Représentation des communes déléguées dans les communes nouvelles

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat : Représentation des communes déléguées dans les communes nouvelles, une demande du groupe RDSE. Ce débat et le suivant s'inscrivent dans l'ordre du jour réservé à un groupe. Nous devons avoir terminé à 18 h 30. J'invite chacun à respecter son temps de parole.

M. Yvon Collin, pour le groupe RDSE .  - Alain Bertrand souffrant d'une extinction de voix, je me fais son porte-parole.

Je remercie Mme Gatel, rapporteure de la commission des lois, même si nous aurions préféré examiner aujourd'hui notre proposition de loi.

Plusieurs maires ont signalé le problème de la représentativité à long terme des communes déléguées dans les communes nouvelles. Lors des élections municipales de 2020, le nombre de conseillers municipaux chutera, ce qui suscite des inquiétudes. En effet, si la représentativité des communes déléguées figure généralement dans les chartes des communes nouvelles, elle n'a aucun caractère obligatoire.

Jusqu'au prochain renouvellement du conseil de la commune nouvelle, le conseil municipal est composé de l'ensemble des membres des conseils municipaux des anciennes communes. Deuxième période transitoire de 2020 à 2026 : après le premier renouvellement, le conseil municipal de la commune nouvelle sera du nombre prévu pour une commune de la strate démographique immédiatement supérieure. Enfin, à partir de 2026, c'est le droit commun de l'article L2121-2 du code général des collectivités territoriales qui s'applique.

Lors des prochaines élections de 2020, rien n'obligera les listes à comporter des candidats de chaque commune déléguée. En cas de démission ou de décès du maire délégué, la représentativité de la commune déléguée peut ne pas être assurée.

Ce manque de pérennité de la représentativité des communes historiques fait obstacle aux fusions.

Le groupe RDSE avait rédigé une proposition de loi pour garantir la représentation des communes déléguées au sein de la commune nouvelle. Les listes seraient composées de candidats résidant dans chaque commune déléguée...

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Yvon Collin.  - Le maire délégué serait choisi parmi les conseillers municipaux résidant dans la commune déléguée. Un conseiller municipal décédé ou démissionnaire ne pourrait être remplacé que par un candidat de la même commune déléguée.

Toutefois, il y aurait un problème dans les communes de moins de mille habitants, où les conseillers sont élus au scrutin majoritaire, car l'ordre de la liste peut être modifié. La solution serait d'appliquer le scrutin de liste à toutes les communes nouvelles, quelle que soit la population. C'était le sens d'un amendement d'Alain Bertrand - mais, à la suite de la motion votée en commission, la proposition de loi est devenue un débat.

Certes, la création de communes nouvelles provient d'abord d'une démarche volontaire des élus, mais avoir un projet commun n'implique pas de renoncer à son identité, symbolisée par une mairie, une école, une église, un monument aux morts.

La rapporteure de la commission des lois a jugé que la législation actuelle donnait assez de souplesse aux communes pour s'organiser, et qu'il fallait leur faire confiance : elles sauraient naturellement assurer le respect des anciennes communes déléguées. Cet optimisme l'honore - mais en matière électorale, mieux vaut s'assurer qu'espérer ! Imaginons quatre communes voulant fusionner, l'une de 900 habitants, les trois autres de 50 habitants, soit 1 050 habitants au total. Comme les candidats de la commune majoritaire n'ont aucun intérêt à laisser des places éligibles aux autres, il n'y a aucune garantie que ces communes soient représentées au conseil municipal, même si elles auront un maire délégué.

Les maires des petites communes connaissent les faiblesses de la nature humaine : le bon sens rural les pousse à demander des garanties.

Notre texte n'était pas parfait, mais nous aurions pu, ensemble, l'améliorer. Ce débat, toutefois, a le mérite de lancer la discussion. Il est de la responsabilité du Sénat de lancer des pistes.

L'excellent travail de Mme Gatel avait reconnu que dans l'état actuel du droit, des communes déléguées pourraient ne pas être représentées, par exemple lorsque le conseil d'une commune nouvelle constituée de seize communes déléguées ne compte que quinze membres. Certains ajustements juridiques peuvent être apportés aisément. Rien ne s'oppose à ce que nous aboutissions. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Pierre-Yves Collombat et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)

M. le président.  - Merci, j'ai reconnu la prose, et même l'accent, d'Alain Bertrand. (Sourires)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - Ce débat est l'occasion de revenir sur un sujet cher au Gouvernement, celui des communes nouvelles. Projets locaux portés par les élus, elles sont le gage d'une meilleure administration et de meilleurs services rendus à la population. L'État a toujours été un partenaire attentif, soucieux d'accompagner les initiatives des territoires.

Les communes nouvelles ont été créées par la loi du 16 décembre 2010 ; la loi Pélissard du 16 mars 2015, du nom de l'ancien président de l'Association des maires de France (AMF), en a amélioré le régime et assis le succès.

À la différence de la rationalisation imposée de la carte intercommunale, les communes nouvelles reposent uniquement sur le volontariat. Ainsi, 1 760 communes ont fusionné pour former 517 communes nouvelles, regroupant 1,8 million d'habitants. La France est passée sous la barre symbolique des 36 000 communes. Selon la direction générale des collectivités locales (DGCL), 24 projets sont en cours. Il y a donc une décélération du processus, mais le Gouvernement croit toujours à la force de ce modèle et compte accompagner son développement : prolongation jusqu'au 1er janvier 2019 des incitations financières, y compris pour les communes nouvelles créées en 2017 ; élargissement du bénéfice de la bonification de la DGF de 5 % aux communes de 10 000 à 15 000 habitants ; fonds de modernisation de 50 millions d'euros au sein de la dotation de soutien à l'investissement public local (DSIL).

Une circulaire du 18 avril 2017 vise à encadrer la graphie des noms des communes nouvelles - car l'imagination des élus est parfois débridée ! Autres mesures : une dispense d'actualisation des cartes grises, le maintien des associations communales de chasse agréées, l'adaptation des formulaires Cerfa, le maintien des aides au titre du Fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ) aux communes déléguées...

MM. Jean-Claude Requier et Yvon Collin.  - Très bien !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Grâce à la loi Sido de novembre 2016, les communes associées peuvent être maintenues sous la forme de commune déléguée. De manière transitoire, il pourra être dérogé à la loi sur la parité pour l'élection des adjoints.

M. Bruno Sido.  - Absolument.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Les communes seront enfin représentées dans les organes délibérants des EPCI à fiscalité propre et des syndicats.

Toutefois, il ne faut pas oublier le principe ayant présidé à la création des communes nouvelles : ce sont des communes à part entière, non des intercommunalités déguisées.

Le groupe RDSE, dans sa proposition de loi, proposait que les listes aux élections municipales de la commune nouvelle comportent obligatoirement des candidats de chaque commune déléguée ainsi qu'un remplacement obligatoire de chaque conseiller municipal par un conseiller issu de la même commune déléguée. Le critère de résidence constitue une rupture d'égalité devant le suffrage. Vous réintroduisez de fait les sections électorales supprimées en 2013 : c'est pourquoi nous partageons l'analyse de la rapporteure sur l'inconstitutionnalité de la loi.

Il y a eu d'autres propositions. L'AMF propose de fixer le nombre de conseillers municipaux à trois fois le nombre de communes déléguées. Pour mémoire, c'est seulement à partir du deuxième renouvellement que le nombre de conseillers municipaux sera conforme au droit commun.

Le Gouvernement tient à ce que les communes nouvelles soient considérées comme des communes à part entière : le dispositif dérogatoire n'a pas vocation à être pérennisé. Nulle commune nouvelle ne pourra réussir sans une volonté commune autour d'un projet d'avenir et d'une vision partagée du territoire. Il faut conforter les communes nouvelles, non freiner leur entrée dans le droit commun.

C'est le sens des propositions de la conférence des communes nouvelles. Le Gouvernement sera là pour vous aider. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE, LaREM et SOCR)

M. Éric Kerrouche .  - Entre 2015 et 2016, du fait de la volonté des élus locaux, plus de 500 communes nouvelles ont été créées à partir de 1 800 communes historiques, pour 25 000 conseillers municipaux et 1,7 million de citoyens. C'est la preuve de la capacité d'adaptation et d'innovation des territoires dès lors que le régime juridique est souple et permet de respecter les spécificités de chacun. Quelque 95 % des communes nouvelles ont souscrit au régime dérogatoire et transitoire qui prend fin en 2020. À cette date, les effectifs des conseillers municipaux chuteront, parfois jusqu'à 80 %, posant la question de la représentation démocratique. Les communes nouvelles constituent bien une nouvelle entité, pas une supra-communalité, mais cela ne doit pas interdire d'assurer une meilleure représentativité, sans complexité excessive. Le caractère obligatoire de la Charte peut-il être examiné ? Pourquoi ne pas laisser à chaque commune nouvelle le soin de définir sa propre gouvernance ? (M. Alain Bertrand applaudit.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre .  - La solution doit être trouvée au moment où l'on constitue les listes. Comme dans une commune, on s'efforce de représenter tous les quartiers, les têtes de listes devront faire en sorte que les anciennes communes déléguées soient bien représentées.

Dans le Maine-et-Loire, les chartes des nombreuses communes nouvelles servent de document de base - certes sans valeur juridique, mais contractuelle et morale. Lui donner force juridique risquerait d'entrer en contradiction avec la loi et d'alourdir le fonctionnement des communes nouvelles.

M. Alain Marc .  - La démarche volontaire des élus a été encouragée par un pacte financier et par des garanties de représentativité des communes historiques à titre transitoire. La fin programmée de ce régime transitoire provoque des inquiétudes légitimes. En 2020, la baisse du nombre des conseils municipaux devrait être de 49 % ; en 2026, de 56 %. Les élus redoutent que les communes déléguées soient insuffisamment représentées. Une nouvelle phase transitoire ne pourrait-elle pas être définie ? (M. Alain Bertrand applaudit.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Les règles du jeu étaient connues, les créateurs des communes nouvelles les avaient en main. Ils savaient que la période transitoire, par définition, s'achèverait un jour, qu'ils passeraient d'abord à la strate supérieure, puis à la strate correspondant à la population de la commune. Le Gouvernement ne reviendra pas dessus. La meilleure réponse, c'est l'équilibre dans la formation des listes.

M. Alain Marc.  - On a confondu finalité et moyens. Ce qui compte, c'est de définir un projet de territoire plutôt que de toucher aux structures.

M. Jean-Claude Requier .  - Comme beaucoup d'entre vous, je sors d'une campagne électorale, j'ai visité les 318 communes du Lot. On a parlé presque partout des communes nouvelles. Les petites communes qui se regroupent ont peur de ne plus avoir de conseillers municipaux. Le protocole n'est que moral, rien n'obligera les nouveaux candidats à respecter les engagements pris par les anciens.

Je comprends que notre proposition coince sur le plan constitutionnel. Comment faire pour satisfaire les demandes légitimes des élus tout en respectant le droit ? Je crains que l'on ne tourne en rond cet après-midi... (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Les anciennes communes deviennent toutes commune déléguée, sauf décision contraire des conseils municipaux avant la création de la commune nouvelle. Le plafonnement du nombre d'adjoints au maire à 30 % du nombre de conseillers municipaux est aménagé, puisque la loi du 16 mars 2015 dispose que les maires délégués sont adjoints au maire de droit, sans être décomptés. Le maire délégué dispose d'une annexe de la mairie, il est officier d'état civil et de police judiciaire, il peut recevoir des délégations territorialisées, créer un conseil de la commune déléguée. Le conseil municipal de la commune nouvelle peut instituer une conférence municipale comprenant les maires délégués pour débattre des sujets les concernant. Bref, le rapport entre commune nouvelle et communes déléguées est souple, libéral, et respecte les particularités des communes historiques.

M. Jean-Claude Requier.  - Permettez-moi de citer Henri Queuille.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Un radical ! (Sourires)

M. Jean-Claude Requier.  - « Il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre » (Sourires)

M. François Grosdidier.  - C'est pour ça que nous ne sommes pas tous radicaux !

Mme Agnès Canayer .  - Attention à ne pas donner l'illusion d'un maintien de la démocratie de proximité. Au Havre, une commune associée loi Marcelin perdure depuis 45 ans, alors qu'elle est devenue un quartier de la ville. Un maire associé sans pouvoir, un budget annexe où il n'y a rien... une illusion de démocratie !

Comme dit Mme Gatel, une commune nouvelle, c'est une nouvelle commune. Elle doit permettre à terme l'intégration de l'ensemble de ses composantes.

L'autre écueil, c'est de vouloir une organisation uniforme pour toutes les communes nouvelles. Chacune a ses spécificités. Faisons confiance aux élus locaux pour mettre en place les conditions de l'intégration et de la représentation équilibrée de tous les territoires.

Un exemple local, pour conclure : nous avons cassé l'accord local de mon intercommunalité, à la suite de la loi NOTRe. Comment garantir le principe de la libre administration des collectivités territoriales au sein des communes nouvelles ?

M. Mathieu Darnaud.  - Vous avez quatre heures ! (Sourires)

M. le président.  - Si chacun continue à dépasser de la sorte son temps de parole, nous ne pourrons pas achever le débat dans les temps. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains, où l'on souligne que la règle s'applique à tous.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - La commune associée loi Marcellin que vous citez pourrait toujours fusionner avec Le Havre, pour créer une commune nouvelle, quitte à demeurer commune déléguée. Mais dans l'état actuel du droit, impossible de la faire entrer de force.

Les chartes doivent rester contractuelles, et non des normes réglementaires qui rigidifieraient le système.

Quant aux accords locaux, vous savez que le Conseil constitutionnel impose la règle du tunnel de 20 %...

M. Didier Rambaud .  - Les communes déléguées n'ont pas vocation à perdurer ; elles sont transitoires. Tout dispositif visant à renforcer leur représentativité doit être examiné avec prudence. On ne saurait imaginer des communes nouvelles prospérer avec des communes déléguées constituées indéfiniment. Elles n'ont d'autre fonction que de garantir une transition fluide vers la commune nouvelle et un lien de proximité avec les habitants. Le conseil municipal peut d'ailleurs décider de leur suppression dans le délai qu'il détermine. Comment concilier souplesse et clarté ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je suis globalement d'accord. La possibilité de créer des communes déléguées est transitoire, et facultative. À tout moment, on peut - me semble-t-il - les supprimer. Jacques Pélissard, l'auteur de la loi, avait bien déterminé les choses. Trop souvent, à relégiférer, on rigidifie...

M. Pierre-Yves Collombat .  - Il est des communes nouvelles de bon sens, d'autres nées d'un réflexe de défense contre la pénurie financière, pour exercer en commun des compétences orphelines ou simplement pour exister au sein d'intercommunalités XXL ou de grandes régions. Beaucoup aussi ont pensé que les communes déléguées n'étaient pas provisoires, que les mesures temporaires seraient éternelles. Pourquoi ne pas répondre à leurs attentes ? Qu'est-ce qui s'oppose à leur donner satisfaction ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Rien ne s'oppose au bon sens !

Mme Françoise Gatel.  - Bravo !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Chacun savait à quoi s'en tenir. Les gens ont mûrement réfléchi, élaboré des projets, en connaissance de cause. Les règles du jeu étaient connues.

Ce n'est pas un hasard si les communes nouvelles sont très majoritairement dans l'ouest de la France. Cela correspond à un état d'esprit mutualiste, un caractère culturel, l'habitude de travailler ensemble. (Mme Françoise Gatel le confirme.)

On ne peut pas modifier le modèle qui restera fondé sur le volontariat.

Mme Françoise Gatel.  - Très bien.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je constate que ce qui est permis aux métropoles ne l'est pas aux petites communes. Une commune nouvelle n'est pas un EPCI, dites-vous ? Mais un EPCI peut cacher une commune qui ne dit pas son nom : la métropole lyonnaise, par exemple !

Mme Sonia de la Provôté .  - Sur 517 communes nouvelles qui ont vu le jour, 37 sont dans le Calvados. Les communes nouvelles bousculent nos habitudes. Il ne faut pas se leurrer, ce succès n'est pas étranger aux avantages financiers concédés par l'État. Celui-ci doit veiller à reconduire les agréments et les aides obtenus préalablement par les communes historiques.

Aujourd'hui, les communes nouvelles s'inquiètent de ne pas voir perdurer ces avantages qui ont conditionné leur création. C'est en vivant la commune nouvelle au quotidien que les habitants s'en emparent. Pour ce faire, il faut de la stabilité. C'est de la sécurisation du projet de territoire qu'il est question.

Que pensez-vous d'un délai de trois ans, comme le propose le rapport de Françoise Gatel et Christian Manable ? Cela permettrait de réaliser un projet de territoire cohérent.

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - La bonification de DGF de 5 % est reconduite jusqu'au 1er janvier 2019 et étendue aux communes jusqu'à 15 000 habitants. Les communes nouvelles ont droit à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Désormais, il n'y a plus de seuil pour accéder à la dotation de soutien à l'investissement public local (DSIL) qui a été pérennisée.

Quant à pérenniser le régime dérogatoire, c'est impossible.

M. Joël Bigot .  - Le Maine-et-Loire est en pointe sur les communes nouvelles : le nombre de communes est passé de 358 en 2015 à 186 en 2017. Les élus d'Anjou ont su dépasser les clivages partisans, faire triompher l'intérêt collectif sur l'esprit de clocher. Je me réjouis que le projet de loi de finances soutienne cette dynamique. Même si le seuil de 10 000 habitants est contestable, le maintien de la bonification de la DGF est bienvenu.

Le rapport de nos collègues Gatel et Manable fait des remarques pertinentes. Un délai de trois ans a été prévu pour permettre aux communes nouvelles de se mettre en règle avec les nouvelles obligations qui leur incombent en matière de logement social ou d'accueil des gens du voyage. Il faut aussi établir des documents d'urbanisme communs, mettre en place des comités techniques paritaires...

Le délai peut sembler bien court, notamment pour les territoires ruraux. Le Gouvernement prévoit-il un accompagnement renforcé pour laisser aux communes nouvelles le temps de s'adapter à leurs nouvelles obligations ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Effectivement, des obligations s'imposent aux communes nouvelles s'il y a franchissement de seuil. Il est fixé à 5 000 habitants concernant les aires d'accueil pour les gens du voyage. Quant à la construction de logements sociaux, vous faites sans doute allusion à l'article 55 de la loi SRU. Il est prévu des aménagements dans la loi Égalité et citoyenneté : aucune pénalité financière n'est applicable les trois premières années, en cas de non-respect. Dans un cas comme dans l'autre, nous constatons un manque. Il n'y aura donc pas d'exceptions. En revanche, je suis ouverte à la discussion. Peut-être pouvons-nous envisager de laisser un peu plus de temps aux élus.

M. Mathieu Darnaud .  - Disons toute la vérité sur la commune nouvelle et la place des communes déléguées. Comme M. Pierre-Yves Collombat, je crains que les maires qui ont choisi le regroupement en commune nouvelle par choix défensif aient un réveil douloureux à la fin de la période transitoire. Je suis très sceptique sur l'accumulation des mesures dérogatoires.

Madame la ministre, vous avez rappelé, fort justement, que le phénomène des communes nouvelles n'est pas uniforme sur le territoire. Le Maine-et-Loire compte 181 communes, contre 363 autrefois. Dans mon département de l'Ardèche, aucune commune nouvelle ! Le maintien de la commune déléguée encouragera leur création (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et CRCE)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Oui, il faut toujours dire la vérité et donner tous les éléments à ceux qui envisagent la création d'une commune nouvelle. Le projet n'est pas pérenne s'il est guidé par l'opportunisme financier. Les communes déléguées sont pérennes. On peut les conserver aussi longtemps qu'on le veut, comme on peut les supprimer à tout instant à la majorité simple. Le système est souple.

Mme Patricia Schillinger .  - La fin de la période transitoire inquiète les élus locaux : la représentation des communes déléguées n'est ni organisée ni obligatoire. L'introduction de contraintes dans la constitution des listes municipales en fonction du lieu de résidence créerait une rigidité indésirable, qui ne correspond pas à la philosophie du projet.

En revanche, pour encourager les regroupements, ne pourrions-nous pas, comme l'a proposé notre collègue Arnaud de Belenet, modifier l'article 7 de la loi du 11 décembre 1990 qui empêche la création de communes nouvelles après mars 2019 ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Autoriser la création de communes nouvelles jusqu'au 1er janvier 2020, à quelques semaines du renouvellement des conseils municipaux ? Non, et c'est précisément la raison pour laquelle il est prévu, dans la loi du 11 décembre 1990, une année blanche dans le redécoupage avant chaque renouvellement. C'est une question de lisibilité, tant pour les électeurs que pour les personnes qui se présentent à l'élection.

Mme Cécile Cukierman .  - Depuis 2010, 542 communes nouvelles ont été créées, regroupant 1 830 communes et 1,8 million d'habitants. Grâce aux communes déléguées, les communes ont pu conserver leur histoire tout en mutualisant les moyens. En revanche, il est illusoire de croire que les communes perdureront après 2020. La représentation des communes déléguées doit être clarifiée. Pourquoi maintenir les incitations financières si c'est un choix effectué librement au niveau local ? Sans doute parce que l'idéologie sous-jacente est la réduction du nombre de communes et l'alignement sur le modèle européen... Comptez-vous donner toutes les informations aux élus afin qu'ils fassent un choix éclairé plutôt que de décider l'avenir de leur commune à partir du seul argument financier ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - L'enfer est pavé de bonnes intentions... Cela dit, l'esprit qui a présidé à la création des communes nouvelles a été constructif. L'idée était d'aider des communes qui ne pouvaient plus faire face seules à l'évolution de notre pays. On ne peut pas accuser Jacques Pélissard d'avoir voulu supprimer les communes ; bien au contraire, il les a confortés (Mme Françoise Gatel abonde.). Suffisamment grandes, elles peuvent répondre aux exigences de plus en plus grandes de leurs administrés. Trois majorités se sont succédé depuis 2010, toutes ont considéré que la commune nouvelle reposait sur le volontariat et un projet d'aménagement du territoire. Il ne faut pas en créer une pour l'argent, c'est certain.

Mme Françoise Gatel .  - Si le RDSE a posé une question pertinente, sa réponse l'est moins. Christian Manable et moi-même avons constaté la révolution silencieuse que représentent les créations de communes nouvelles. Sans remettre en cause le principe général, je propose d'allonger la période transitoire en accordant aux communes nouvelles, lors du renouvellement de 2020, un nombre de conseillers municipaux trois fois supérieur à celui du nombre des communes d'origine. Sans cela, à la Hague qui rassemble 19 communes, 80 % des 234 conseillers municipaux auront disparu. Avec la mesure que je propose, la commune conserverait 57 conseillers municipaux, au lieu de 35.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Madame Gatel, j'ai bien compris que vous vouliez augmenter le nombre de représentants municipaux. Ce n'est pas possible. Disons la vérité : les communes nouvelles sont des nouvelles communes. Le transitoire n'est pas éternel.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Et les métropoles ne sont pas des EPCI !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - N'opposons pas rural et urbain. Les communes nouvelles sont pour l'un comme pour l'autre. Le Gouvernement n'ira pas dans votre sens, Madame Gatel. Personne n'oblige les élus à créer une commune nouvelle.

Mme Françoise Gatel.  - La commune nouvelle n'est pas une colocation de communes, nous en sommes d'accord. Il n'en faut pas moins faire preuve d'un peu de souplesse si l'on veut le succès. Nous en parlions ce matin au Congrès des maires...

M. Christian Manable .  - L'essor récent des communes nouvelles marque un tournant. Françoise Gatel et moi-même avons identifié, dans notre rapport, quelques-uns des ressorts de la révolution silencieuse des communes nouvelles. La loi du 16 mars 2015 a été largement inspirée par les débats au sein de l'AMF. Le mouvement a été initié par les élus eux-mêmes, sur le terrain. Si le succès est réel, il n'est pas uniforme. Dans le Maine-et-Loire, 50 % des communes ont fusionné. Mon département de la Somme est médaille de bronze en nombre de communes, 782 ; il ne compte que deux communes nouvelles. Malheureusement, c'est parfois dans les départements qui auraient le plus besoin de communes nouvelles que l'on n'en crée pas. Dans la Somme, il y a une commune de 5 habitants et 7 élus ! Le soir des élections, vous êtes sûr de déboucher le champagne que vous avez mis au frais ! Son budget est inférieur à 10 000 euros par an.

Plusieurs voix à droite.  - Et alors ?

M. Christian Manable.  - L'État doit jouer son rôle de facilitateur.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Christian Manable.  - Afin de mieux accompagner ces territoires, peut-on envisager des dispositions nouvelles ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - La création d'une commune nouvelle repose sur le volontariat. La majorité des élus souhaite que cela ne change pas. Oui, l'État doit accompagner les communes. Je crois à la vertu de la pédagogie. Si vous le souhaitez, je peux me déplacer dans la Somme. Nous maintenons les incitations financières jusqu'à 2019, ensuite commence l'année blanche. Il n'est pas interdit de réfléchir à de nouveaux accompagnements, par exemple au sein de la Conférence nationale des territoires.

M. Philippe Bas .  - Les départements de l'Ouest ont eu fortement recours au nouvel instrument que constituent les communes nouvelles. Il est moins aisé d'y recourir en raison de l'existence de très grandes intercommunalités aux compétences renforcées par leur statut de communautés d'agglomérations. Si l'on veut à la fois de très grandes intercommunalités et la vitalité des communes, cellules de base de la démocratie, c'est-à-dire trouver un bon équilibre entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, peut-être faut-il envisager que les grandes communautés d'agglomération rétrocèdent des compétences aux communes pour les inciter à devenir des communes nouvelles ? Les intercommunalités se consacreraient à l'essentiel : développement économique, aménagement du territoire, urbanisme, gestion des ordures ménagères... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je salue, Monsieur Bas, la finesse de votre raisonnement. C'est exact, nous avons commis une erreur en abaissant le seuil de création des communautés d'agglomération. Et tout ça, pour faire plaisir à quelques-uns... (Exclamations faussement indignées) Certains ont créé des communes nouvelles pour peser davantage dans les grandes intercommunalités et récupérer des compétences que ces dernières ne voulaient pas exercer. Des retours de compétences, ce serait une nouveauté ! On mettrait en compétition communes nouvelles et intercommunalités. Cela mérite assurément une large réflexion... (Sourires)

M. Jean-Marie Janssens .  - Avec 517 communes nouvelles, le modèle communal français est en mutation. La commune doit cependant demeurer le socle et le ciment de notre République. Nous demandons à l'État, au-delà d'incitations financières, un vrai pacte de proximité garantissant le maintien des services publics de proximité ; la sanctuarisation des dotations, à commencer par la DETR ; une aide au maintien des commerces et à la revalorisation des centres-bourgs ainsi qu'un soutien dans la lutte contre la désertification médicale. Ce pacte est encore plus nécessaire pour les territoires ruraux. Pouvez-vous nous assurer, Madame la Ministre, que l'État ne se désengagera pas et aidera les communes nouvelles à conserver des services publics de proximité ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Monsieur le Sénateur Janssens, vous avez vous-même créé une commune nouvelle dans le Loir-et-Cher. Ce que vous dites pour les communes nouvelles est valable pour toutes les communes. En effet, elles sont la cellule de base de la démocratie et ce sont d'ailleurs les seules à avoir conservé la clause de compétence générale. Vous voudriez, en plus du bonus sur la DGF et les dotations, un fléchage de la DETR et de la DSIL. N'oubliez pas cependant que l'enveloppe est normée : quand on donne aux uns, on prend aux autres. Après tout, on peut y réfléchir...

M. Philippe Bas.  - Que de réflexions ouvertes ! (Sourires)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je suis pour le dialogue... (Même mouvement)

M. Franck Montaugé .  - Dans notre paysage institutionnel, la commune nouvelle apparaît comme une nouvelle réforme d'organisation pour répondre de façon plus efficiente aux besoins de la population. Je suis de ceux qui pensent que la commune doit rester la cellule de base de la République. Et ce, pour trois raisons. D'abord, elle est la porte d'entrée dans la citoyenneté - c'est l'enjeu démocratique. Ensuite, les services, quand ils sont organisés par la commune, le sont à moindre coût - c'est l'enjeu financier. Enfin, elle est le cadre où la qualité de la relation entre les élus et leurs administrés est la plus grande - c'est l'enjeu social. Les communes nouvelles doivent préserver, voire conforter ces trois principes. Les élus vivent très mal ce qu'ils ressentent comme un déclassement de la commune, un dédain vis-à-vis de leur engagement qui tient souvent du sacerdoce.

M. Philippe Bas.  - Très bien !

M. Franck Montaugé.  - Envisagez-vous l'élection des présidents d'EPCI au suffrage universel direct ? (Exclamations indignées sur les bancs du groupe Les Républicains) Ce serait la fin des communes. Les communes nouvelles ont-elles vocation à se substituer aux communes ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Oui, la commune est au coeur de notre identité nationale et républicaine, et les Français y sont attachés. L'incitation financière favorise la création des communes nouvelles, mais celles-ci restent le fruit du volontariat. Le Gouvernement n'a nullement l'intention de faire élire au suffrage universel direct les présidents d'intercommunalité - seule la métropole de Lyon, en raison de son statut particulier, est dans ce cas. Le Gouvernement a décidé une pause dans les réformes territoriales. Cela vaut pour les structures comme pour la manière dont les structures sont élues.

Mme Catherine Deroche .  - Certaines communes nouvelles, comme dans le Maine-et-Loire, ont une taille qui leur permettrait d'exercer les compétences des communautés de communes. Les intercommunalités XXL auraient pour compétences, comme l'a dit Philippe Bas, le développement économique, le tourisme, la gestion des déchets. Les communes nouvelles, elles, détiendraient les compétences de proximité. Or les intercommunalités sont tentées de prendre le plus possible de compétences pour bénéficier de la DGF bonifiée. Avez-vous l'intention de revoir le partage des compétences et de limiter les compétences obligatoires ? Peut-on envisager, pour les communes nouvelles et les communes traditionnelles au sein des intercommunalités, d'autres formes de conventionnement que le syndicat ? En un mot, envisagez-vous de laisser la place à l'imagination et de faire confiance aux élus des territoires ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Il existe d'autres formes de mutualisation que le syndicat, comme les ententes, mais elles sont peu connues. Nous n'avons pas l'intention de revenir sur les compétences obligatoires, hors compétences eau et assainissement, comme le président de la République l'a dit au congrès de l'AMF. À l'initiative du Gouvernement, les règles sur la DGF bonifiée ont été assouplies dans le projet de loi de finances pour 2018 à l'Assemblée nationale. Le seuil a été abaissé de neuf à huit compétences.

Mme Catherine Deroche.  - Un seuil de huit compétences reste élevé pour certains territoires. Les choses sont trop rigides. Quoi que vous en disiez, vous ne faites pas confiance aux élus.

M. Philippe Mouiller .  - Dans mon département des Deux-Sèvres, ce sont de très petites communes, de moins de 300 habitants, qui envisagent la fusion en des communes nouvelles de 1 000 à 1 500 habitants. Y a-t-il un nombre critique d'habitants pour créer une commune nouvelle ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Non, il n'y a ni seuil ni modèle, tout dépend de la volonté des communes. Qu'on se le dise une bonne fois pour toutes, nous faisons confiance aux territoires pour s'organiser... dans le cadre républicain, celui de la loi. Madame Deroche, j'ai passé ma vie à défendre les élus locaux. Ce n'est pas parce que l'on laisse les élus s'organiser dans les limites d'une loi que l'on bride la liberté locale. La République est décentralisée, elle n'est pas désorganisée !

M. Philippe Mouiller.  - Merci, même si vous avez plutôt répondu à l'oratrice précédente...

M. Bruno Sido .  - La France compte 36 000 communes. Ce serait trop, selon certains. En 1971, la loi Marcellin a autorisé la création des communes associées, sur la base du volontariat, officiellement -  sous la pression des préfets, en réalité. Dans mon département de la Haute-Marne, la moitié d'entre elles ont divorcé très vite ; il n'en reste qu'une centaine. Les garanties étaient pourtant réelles : une mairie annexe, un délégué sénatorial... La loi du 8 novembre 2016, qui porte mon nom, était une façon de soulever la question suivante : le regroupement implique-t-il la disparition des anciennes communes ? Va-t-on traiter les communes déléguées comme les communes associées ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Non, je le redis, nous n'entendons pas faire disparaître les communes déléguées. Votre proposition de loi était d'ailleurs très intéressante.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - La dynamique de regroupement des communes est une réalité. Dans mon département, les communes, plus peuplées, sont plus fortes. Elles pèsent davantage au sein des intercommunalités. Un regroupement doit reposer sur un projet de territoire, c'est-à-dire plus d'équipements, plus d'investissements et de services publics. Un nouveau pacte de stabilité de la DGF et une dotation aux communes nouvelles seraient utiles, notamment dans les territoires de montagne. Est-ce prévu ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Oui, l'Assemblée nationale a voté un nouveau système d'aide, avec un bonus de DGF de 5 %. Le pacte de stabilité concernera toutes les communes nouvelles, de zéro jusqu'à 15 000 habitants. Nous avons besoin d'un plafond puisque l'enveloppe est normée, l'Assemblée nationale l'a porté de 10 000 à 15 000 habitants. Nous l'avons accepté, pour favoriser les rapprochements.

Mme Josiane Costes .  - En octobre dernier, les élus des communes nouvelles se sont regroupés pour la première fois en assises nationales. Une commune nouvelle doit être appréhendée comme une nouvelle commune, pas comme une intercommunalité bis. Au sein de ces nouveaux ensembles, le respect de l'identité des communes déléguées est primordial. Comment le Gouvernement entend-il répondre aux préoccupations des communes nouvelles - composition des conseils municipaux et allocation temporaire spéciale aux communes nouvelles ?

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - J'ai répondu sur le nombre d'élus. Le Gouvernement n'entend pas créer de subventions supplémentaires, compte tenu des efforts consentis par ailleurs. La suppression du seuil minimal de 1 000 habitants fera sans doute réfléchir les plus petites communes. Le passage du plafond de 10 000 à 15 000 sera aussi, nous l'espérons, incitatif.

La séance, suspendue à 16 h 20, reprend à 16 h 30.