Débat préalable au Conseil européen

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre.

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - C'est la première fois que je participe à cette séance de préparation à un conseil européen ; je me réjouis de bénéficier de vos remarques pour préparer au mieux cette échéance importante.

Premier sujet : le Brexit. Les chefs d'État et de Gouvernement devront se prononcer sur la recommandation de la Commission européenne de passer à la deuxième phase. Les progrès ont été significatifs. Nous serons attentifs au respect du mandat de M. Barnier. Sur les droits des citoyens, les négociateurs ont bien progressé : les Européens, dont 300 000 Français installés au Royaume-Uni, pourront continuer à résider, travailler ou étudier comme aujourd'hui, notamment les infirmières et les médecins dont les qualifications professionnelles resteront reconnues. Les membres de leurs familles conserveront le droit à rejoindre leurs proches dans le futur s'ils ne vivent pas aujourd'hui dans le Royaume-Uni. Les citoyens européens conserveront leurs droits aux soins de santé, à la retraite et aux prestations sociales.

Cela suppose que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) continue à jouer son rôle. Le droit au recours à une question préjudicielle devant elle sera maintenu pendant huit ans.

La solution proposée pose des principes : l'absence de frontière physique sur l'île d'Irlande et, le cas échéant, un alignement du Royaume-Uni sur le marché intérieur et l'union douanière dans les secteurs nécessaires à la bonne coopération entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Le fait que cela convienne au Royaume-Uni et à l'Irlande est très positif, mais nous serons vigilants sur le respect de l'intégrité du marché intérieur et l'union douanière.

Sur le règlement financier, le résultat est très satisfaisant : les dépenses qui doivent être prises en charge par le Royaume-Uni le seront.

La période de transition doit être limitée dans le temps et fondée sur des principes simples : l'application par le Royaume-Uni de toutes les règles européennes en-dehors de toute participation de Londres aux institutions. Le maintien de l'unité à 27 sera plus que jamais déterminant.

Nous avons fait le plus facile, pas le plus dur...

Le Conseil européen fera le point sur les avancées de l'Europe de la défense. La coopération structurée permanente rassemble désormais 25 États membres. C'est une avancée considérable. Le premier projet capacitaire devrait être financé dès 2019. Nous avons également progressé sur le fonds européen de défense. Le Conseil européen devrait y revenir en juin 2018 pour conserver la dynamique actuelle.

Le thème des migrations sera traité lors du dîner des chefs d'État et de Gouvernement. Nous souhaitons aboutir sur la réforme du régime européen de l'asile au premier semestre 2018. Nous avons avancé notamment sur le régime entrées/sorties et sur le système d'information et d'autorisation de voyage ; reste à préciser le financement de la politique migratoire de l'Union européenne. Le président du Conseil européen propose un instrument budgétaire spécifique.

La stabilisation du Sahel et de la Libye reste un enjeu de premier plan. Le président de la République réunira d'ailleurs demain un sommet G5-Sahel.

L'Union européenne doit rester mobilisée pour faire appliquer l'accord de Paris, malgré la décision américaine de retrait. La négociation du paquet énergie-climat 2030 devra être rapidement menée.

Sur les questions sociales, nous voulons, après le succès de la négociation au Conseil sur le détachement des travailleurs, continuer à démontrer que l'Europe permet de converger vers le haut. Le Conseil européen saluera le socle européen des droits sociaux adopté à Göteborg le 17 novembre, qu'il faudra renforcer sur certains volets comme la jeunesse et la formation. En outre, il faudra surtout le mettre en oeuvre.

Le président de la République a proposé un projet d'université européenne : il conviendra de renforcer les partenariats entre universités, la connaissance des langues européennes et en mettant en place un statut européen de l'étudiant. Le processus de la Sorbonne, prolongement de celui de Bologne, sera lancé dès mai 2018.

Les propositions de la Commission européenne sont un premier pas de renforcement de la zone euro. Il faudra aller plus loin.

La parole sera donnée aux citoyens du printemps à l'automne 2018. Ces consultations devront se faire dans un calendrier consensuel, avant les élections européennes.

Le Conseil européen sera aussi l'occasion d'adopter une position consensuelle sur la situation au Proche-Orient depuis la décision de Donald Trump de déplacer l'ambassade des États-Unis en Israël à Jérusalem, que beaucoup ont déclaré regretter. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE et UC)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le Conseil européen se déroulera dans le contexte d'une crise majeure de l'idée européenne, et la volonté du Royaume-Uni de quitter l'Union n'en est qu'un des symptômes. De traité en traité, d'élargissement en élargissement, de renoncement en renoncement, l'Europe tend à devenir un marché, un espace économique au service de la libre circulation des produits.

Dans l'esprit des signataires du traité de Paris, cette construction supranationale devait préparer l'avènement d'une fédération fondée sur « une communauté plus large et plus profonde » selon les mots de Robert Schuman. Elle devait favoriser l'émergence d'une citoyenneté qui garantirait les principes fondamentaux de justice, de paix et de droits de l'homme. Or celles-ci sont bafouées au coeur de l'Europe.

Le Conseil de l'Europe a dénoncé des reculs rétrogrades, notamment quand la liberté de la presse est bafouée, quand la séparation des pouvoirs est violée, quand les droits des oppositions ne sont pas respectés, quand les minorités sont désignées comme les boucs émissaires, quand les femmes ne sont plus considérées que comme des corps à fabriquer du vivant. Alors que les femmes ont dénoncé le pouvoir de la domination masculine et toutes les formes de prédations dont elles sont victimes, il est urgent que l'Union les entende et leur donne les moyens de se défendre. Plus grave : tous les jours, des femmes en Europe meurent sous les coups de leurs conjoints. La France et l'Union européenne s'honoreraient en prenant la tête d'un combat contre les violences sexistes. Cette réaction est d'autant plus attendue que l'Europe n'est pas inactive lorsqu'il s'agit d'imposer aux États membres leur conduite économique.

Tout est permis aussi pour favoriser la circulation des richesses et accroître la concurrence, y compris entre les États : le moins disant fiscal menace leurs budgets et celui de l'Union européenne, alors que la fraude et l'optimisation fiscales font rage, et pas seulement hors des frontières de l'Union.

L'Europe repose sur un pari : le projet libéral. Le ver libéral s'est installé dans le fruit et l'a dévoré ne laissant aux peuples qu'un trognon indigeste, et le rêve d'une Europe dont l'économie serait au service du social.

Vous placez vos espoirs dans un Gouvernement économique de la zone euro qui se situerait au-dessus des Parlements : ce projet porte en germe un nouvel affaiblissement des États-Nations, déjà fragilisés par le libéralisme européen. Les États ne parviennent plus à jouer leur rôle de garant du contrat social, de la redistribution des richesses.

Le refus absolu d'une intermédiation européenne entre l'Espagne et la Catalogne met l'Union européenne face à ces contradictions.

M. Simon Sutour.  - C'est vrai !

M. Pierre Ouzoulias.  - L'Europe devra intervenir tôt ou tard.

D'autres forces centrifuges se manifestent : en Ecosse ainsi, dont la revendication est sociale autant que nationale : comment lui refuser un statut particulier alors que l'Irlande du Nord va en bénéficier ? L'essor de nouvelles entités qui réclament leur place dans l'Union européenne est le produit de la construction européenne !

M. Simon Sutour.  - C'est le sens de l'histoire !

M. Pierre Ouzoulias.  - Depuis dimanche soir, un parallèle avec la situation en Corse est tentant. Nous devons repenser totalement notre projet européen.

Il faut refonder la construction européenne en accordant la priorité aux citoyennes, aux citoyens et à leurs droits sociaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE)

M. Claude Kern .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le programme du prochain Conseil européen et l'actualité internationale et européenne sont très denses.

Quelques points d'actualité internationale d'abord. Le président Trump prend des positions de plus en plus belliqueuses et inconséquentes : à l'égard de la Corée du Nord, de l'accord de Paris, à présent du conflit israélo-palestinien. Toute la zone est fragilisée par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. La France doit avoir une voix forte, qui doit entraîner toute l'Europe. Il n'y a pas d'autre solution, d'autre avenir que la paix. Cela impose d'unifier nos positions, notre politique étrangère et nos urgences en matière de défense. Les États membres qui le souhaitent doivent pouvoir s'associer et élaborer un budget européen. La Défense est le premier point du Conseil européen des 14 et 15 décembre.

Nous saluons l'initiative française de réviser la directive sur les travailleurs détachés. La situation n'est tenable ni pour les entreprises, ni pour les salariés : il faudra plus d'équité.

Le Conseil abordera aussi les questions de transparence fiscale, d'échange d'informations et de lutte contre les paradis fiscaux. La convergence fiscale devra être recherchée, la fraude et l'optimisation fiscales combattues. La frontière est parfois fine. Nos amendements au projet de loi de finances ont hélas été rejetés... C'est l'Union européenne pourtant qui doit nous protéger contre les pratiques de certaines multinationales, néfastes pour les PME et les citoyens.

L'espace européen est un moyen d'épanouissement des élèves et des étudiants. Élu d'une région frontalière, je sais ce qu'apportent les échanges, tels ceux permis par Erasmus, vrai succès. Élargissons-le aux apprentis, comme le propose Jean Arthuis ! Notre pays en a besoin.

L'avenir de l'Union européenne se joue en partie sur le Brexit. Nous ne pouvons laisser les Britanniques décider seuls de notre avenir commun. Ils ne peuvent pas bénéficier des avantages de l'Union européenne sans y appartenir : c'est un principe de justice et de réalisme.

Saluons l'accord trouvé la semaine dernière par Michel Barnier. Comment associerez-vous davantage les parlements nationaux au processus ?

Le groupe UC a beaucoup d'envies pour l'Union européenne : de projets, d'ambitions, de concrétisations, de renaissance. Nous soutenons l'action du président de la République pour faire de l'Europe un pivot et un stabilisateur. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE ; M. Simon Sutour applaudit ; applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Didier Marie .  - Le Conseil européen a un ordre du jour « matriochka », quatre en un : défense et action extérieure en sus des questions classiques, ainsi que l'Agenda des leaders, établi par Donald Tusk, réunion sur le Brexit et sommet informel de la zone euro...

L'Europe a besoin d'ambition pour relever les défis de 2018, retrouver les voix des électeurs et construire l'avenir. Les signes positifs ne sont pas inexistants, mais la crainte des petits pas demeure et l'Allemagne a d'autres préoccupations. La France a donc un rôle majeur à jouer.

Premier défaut : l'insuffisance des garanties sociales. Les apports du socle social défini à Göteborg sont encourageants, mais il faudra aller plus loin sur la sécurité et la santé au travail, l'équilibre vie privée/professionnelle, l'égalité femmes-hommes et la mobilité professionnelle.

Sur la question des travailleurs détachés, un accord a été trouvé mais rien n'est acquis. La France devra être vigilante et préparer la négociation sur le paquet routier.

L'Agenda des leaders, qui permet aux chefs d'État de se saisir de toute question d'importance, est une nouvelle méthode de travail contournant les procédures décisionnelles définies par les traités : le Conseil européen impose l'unanimité dans un domaine régi par la codécision - c'est-à-dire la majorité qualifiée. Nous craignons que cette centralité croissante du Conseil européen ne bénéficie aux adversaires de la méthode communautaire. Cette méthode bénéficiera aux moins-disants !

Les avancées permises par M. Barnier dans la négociation du Brexit sont à saluer. Les Britanniques ne semblent toutefois pas assumer la voie choisie. Pourtant, celui qui part, perd. Les ambiguïtés restent nombreuses, sur le financement du divorce et sur le maintien in fine du Royaume-Uni dans le marché unique.

Le diable étant dans les détails, la seconde phase sera rude et ne sera pas un long fleuve tranquille. Il ne faudra d'accord sur rien tant qu'il n'y aura pas d'accord sur tout.

Le sommet de la zone euro sera l'occasion de discuter des premières propositions sur la réforme de la zone euro de la Commission européenne. Ses propositions manquent d'ambition et ne répondent pas au sursaut démocratique qu'on nous promettait depuis des mois.

L'idée d'un super ministre des finances séduit, mais la ligne budgétaire spécifique déçoit. Le montant du budget ne serait pas soumis aux parlements nationaux. Le Fonds monétaire européen (FME) proposé, lui, ne sortirait pas de la logique punitive ; substituons-lui un véritable Trésor européen, outil de stabilisation financière et de solidarité.

Nous avons aussi besoin d'une gouvernance renforcée et d'un parlement de la zone euro. La crise économique est derrière nous ; il est temps de tourner la page de l'austérité.

Il est bon d'affirmer pour convaincre, mais il faut surtout des actes forts. Les forces libérales ont mené l'Europe au bord du déclin. Sortons de la logique technocratique, redonnons à l'Europe un projet. Cela suppose des paroles fortes et des actes de même nature. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Colette Mélot .  - Le Conseil européen est une nouvelle occasion pour l'Europe de se pencher sur son avenir. Les crises qui frappent notre continent sont vives et dangereuses, mais il y a matière à espérer. La méthode des petits pas, chère à Jean Monnet et à Robert Schuman, est plus que d'actualité pour faire avancer l'Europe. Hier, à Bruxelles, 25 États membres ont lancé une coopération structurée permanente en matière de défense, sur 17 projets concrets. L'établissement d'un centre d'entraînement conjoint ou d'un commandement médical européen est ainsi bienvenu.

Pour constituer des groupes de défense de taille mondiale, l'Union européenne doit développer des outils adaptés pour garantir l'autonomie stratégique européenne. La création d'un fonds européen de défense, doté à partir de 2020, de 1,5 milliard par an, va dans le bon sens. Nous pouvons encore jouer plus collectif en matière d'armement, soixante ans après l'échec de la Communauté européenne de défense (CED), six ans après la dissolution de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), il y a une place pour une Europe de la défense.

Il y a aussi une place pour l'Europe sociale, pour l'Europe de l'éducation et de la culture : il s'agit de l'âme même de notre civilisation commune. Malraux résumait l'humanisme ainsi : « Vouloir retrouver l'Homme partout où nous avons trouvé ce qui l'écrase ».

L'Europe doit redevenir ce projet d'émancipation, cette promesse d'humanité.

L'Union européenne peut et doit être en première ligne des combats contre l'ignorance, l'intolérance, l'exploitation, le populisme, la haine de l'autre.

Jean-Claude Juncker a compris que la vision technocratique et mercantile du grand marché unique ne pouvait suffire. Nous saluons le socle de droits sociaux, le projet d'extension d'Erasmus aux apprentis et aux jeunes artistes, le processus de Bologne et de la Sorbonne. L'Europe a inventé l'université au Moyen Âge !

Veillons à ce que les projets ne soient pas que des annonces, mais préfigurent une Europe plus ouverte et plus juste. Nous soutiendrons en tout cas le président de la République dans cette démarche.

Nous saluons le travail du négociateur en chef, M. Barnier, sur le Brexit, qui menace l'Union européenne. Vendredi dernier, un accord a été trouvé. Puisse ce premier pas ouvrir la voie à une issue positive des négociations. Si le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, il ne quitte pas l'Europe. Son départ doit être une chance pour avancer plus vite avec ceux qui restent.

Le groupe Les Indépendants forme le voeu que ce Conseil européen permette au président de la République de traduire en actes son engagement pour une Europe plus protectrice, plus forte, plus unie, au service des citoyens et tournée vers l'avenir. (Applaudissements sur quelques bancs des groupeSOCR, LaREM, RDSE et UC ; Mme Nicole Duranton applaudit aussi.)

M. Franck Menonville .  - Brexit, sécurité intérieure, migrations, intégration économique occuperont ce Conseil européen.

Le premier de ces sujets a connu une avancée la semaine dernière. La première phase, relative aux droits des citoyens, à la facture du Brexit et à la question irlandaise, est désormais derrière nous : un accord a été trouvé pour les nombreux travailleurs au Royaume-Uni, sur le versement de 51 milliards d'euros de sortie au titre des engagements souscrits par le Royaume-Uni, et sur l'absence d'une frontière dure entre les deux Irlande. Cette dernière question pourrait à elle seule peser sur la nature de la sortie de l'Union européenne, dure ou modérée : restons prudents.

En dépit des efforts réalisés, la situation migratoire reste fragile. Nous avons tous été saisis d'effroi par les ventes de migrants comme esclaves en Libye. L'Union européenne doit renforcer tous les volets de sa politique migratoire. Le président de la République l'a dit lui-même à la Sorbonne : « La crise migratoire n'est pas une crise, c'est un défi qui durera longtemps ». Près de 3,2 milliards d'euros ont été débloqués, mais, à La Valette, tous les fonds n'ont pas été fléchés vers le développement. Le renvoi la semaine dernière de quatre États membres devant la Cour de justice de l'Union européenne est un mauvais signal.

Je me félicite des progrès accomplis par l'Europe de la défense : le Fonds européen de défense serait abondé à hauteur de 5,5 milliards d'euros par an ; les coopérations renforcées permanentes se concrétisent... La France ne doit pas rester seule en première ligne.

Au groupe RDSE, nous soutenons l'harmonisation et la protection. Nous soutenons donc l'assiette commune d'impôt sur les sociétés et la révision de la directive travailleurs détachés. La coordination des politiques économiques et fiscales est indispensable.

Les organisations agricoles s'inquiètent de la renationalisation des aides de la PAC en 2020, qui affaiblirait notre politique agricole et alimentaire. Protégez le marché européen, Madame la Ministre !

Sans renoncer aux règles du commerce international, l'Union européenne doit pouvoir se mettre à l'abri de la concurrence déloyale que favorise une ouverture naïve du marché européen ! Soyons plus vigilants sur l'accord avec le Mercosur que nous ne l'avons été sur le CETA. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Fabienne Keller .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le Brexit, Mme la Ministre l'a dit, a progressé la semaine dernière, même si le montant exact de la facture n'est pas connu avec exactitude et la question de la frontière en Irlande en suspens... L'accord du 8 décembre est-il assez solide ? Nous n'avons pas fait le plus dur, dites-vous. La période de transition excèdera-t-elle deux ans ? D'aucuns disent cinq ans !

Deuxième sujet : l'économie et la fiscalité. Nous saluons les avancées souhaitées par le président de la République à la Sorbonne, celles permises par le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Sera-t-il possible d'accélérer l'adoption des directives Axis et Axis consolidée qui définissent une assiette fiscale commune de l'impôt sur les sociétés ? Avancera-t-on sur la convergence en matière de fiscalité des entreprises ? Quelle est la position de la France sur la taxation des GAFA ? La commissaire européenne a pris des positions audacieuses, signe de volontarisme.

Un accord à 23, 25 depuis hier, sauf le Danemark et Malte, a été conclu en matière de défense. Comment s'articulera cette coopération structurée permanente avec la coopération engagée avec le Royaume-Uni, alors que ce pays privilégie des accords avec l'OTAN ?

La question de l'interopérabilité des forces reste posée. Je regrette le démantèlement partiel de la brigade franco-allemande.

La question irlandaise m'inquiète. Le Good Friday n'est vieux que de dix-neuf ans ; dernière paix signée en Europe. La capitale de l'Irlande du Nord est Londres, mais elle reste attachée à la liberté de circulation sur l'île et les échanges sont très nombreux. Claude Kern, moi-même, et d'autres Alsaciens, sentons bien la particularité de cette histoire. Strasbourg a changé en cent trente ans cinq fois de nationalité ; c'est pourquoi elle a été choisie comme siège du parlement européen.

Je veux saluer l'engagement remarquable de Mme la ministre à Strasbourg, (M. Robert Del Picchia applaudit.) qui vient à chaque session du parlement et a accompagné le président de la République en octobre à la Cour européenne des droits de l'homme encore. Merci de porter la vocation de Strasbourg à être la capitale européenne de la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC, LaREM et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. André Gattolin .  - Pour la première fois, l'ordre du jour du Conseil européen de fin d'année semble moins pléthorique que d'habitude, mais les sujets sont d'importance. Je parlerai surtout du Brexit. Toutefois, je voudrais aussi faire état de mon sentiment mitigé sur la réforme de la zone euro. Après les déclarations d'intention, on semble revenir au business as usual : réformer, mais pas trop. La montagne a accouché d'une souris : au lieu d'un budget commun, de politiques communes, un ministre européen de l'économie et des finances placé sous la tutelle de la Commission européenne et dont le rôle sera de coordonner. Or, sans solidarité financière, on ne fait pas peuple : pour mettre fin à la concurrence fiscale stérile entre États, il faudrait doter l'Union européenne d'un vrai budget. On en est loin. Les projets proposés manquent d'audace, à dix-huit mois des élections et alors que l'Allemagne est sans gouvernement. Pourtant les déclarations de Martin Schulz en Allemagne laissent percer un espoir. Qu'en pensez-vous, Madame la ministre ?

On s'attendait vendredi à l'annonce d'un accord de la première phase avec le Royaume-Uni sur les finances, l'Irlande et les expatriés. Toutefois, le document détaillé laisse dubitatif sur l'avenir de la phase 2.

L'avancée la plus nette est celle sur le statut des expatriés. Le Royaume-Uni reconnaît enfin l'apport de cette main-d'oeuvre, 7 % des forces de travail du pays. Mme May a dû en rabattre sur ses positions et accepter le maintien de droits pour les expatriés. Pourtant, je déplore le sentiment de concession au Royaume-Uni, le fait que les tribunaux britanniques « pourront » consulter la CJUE sur les droits des expatriés pendant huit ans, sans obligation. Quid par la suite ?

Sur le règlement financier, au-delà de la méthode de calcul de Bruxelles, validée, le doute subsiste sur le montant de l'enveloppe due, que Londres estime entre 40 et 45 milliards d'euros. Mais l'Union européenne n'y fera aucun bénéfice, il s'agit simplement d'une compensation des engagements pris. Surtout, le départ du Royaume-Uni marque le départ du second contributeur au budget européen. Saisissons l'occasion pour rationaliser le budget européen, en finir avec les rabais et les sous-rabais.

Reste la question irlandaise. Mme May est prise en otage par certains partis extrémistes. La majorité des Irlandais semble favorable à l'union aujourd'hui.

Au final, les négociations restent ouvertes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE ; Mme Annick Billon et M. Simon Sutour applaudissent également.)

M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Je parle au nom de Christian Cambon, retenu par une rencontre avec des personnalités internationales.

Le 30 mars 2019, le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne. Nous le regrettons. Tony Blair pense que ce n'est pas irréversible, mais de toute évidence, c'est le scénario le plus plausible ; je me réjouis du compromis obtenu vendredi dernier, car sans accord, nous serions ramenés quarante ans en arrière...

Mais nous ne sommes pas naïfs, la phase 2 des négociations s'engage et, comme l'a rappelé le président du Conseil européen, le temps est compté et le plus dur reste à faire.

L'accord trouvé sur la frontière irlandaise n'est pas sans ambiguïté, sans compter les risques de discussion politique en Irlande. La phase 2 sera ardue, pour préfigurer un nouveau cadre entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Ce cadre devra définir une « relation spéciale », équilibrée, non discriminante vis-à-vis des États membres de l'Union européenne et de l'Espace économique européen, dans le cadre d'un traité qui pourrait, nous dit-on, comporter des similitudes avec le CETA, conclu avec le Canada. Notre négociateur, Michel Barnier, l'a dit. Les traités avec le Royaume-Uni seront mixtes : les parlements nationaux seront consultés. Il faudra être de la plus grande transparence envers le débat public et veiller à ce que le Brexit ne rime pas avec dumping réglementaire ou fiscal.

L'avenir à 27 est plus important que le Brexit, a dit le président de la République et la Chancelière. C'est juste. La question migratoire reste un défi considérable, face auquel nous avons échoué, pour le moment, sur le plan humain. Il faut agir vite.

Sur la politique de la défense, la coopération structurée est une avancée prometteuse, mais le test d'une volonté à agir ensemble sera bien l'engagement commun sur les théâtres d'opérations extérieures.

La capacité d'intervention de la France à l'extérieur est une exception en Europe, mais au Sahel, c'est bien toute l'Europe que nous défendrons. Les principes d'un partenariat renforcé avec le Royaume-Uni, seul État membre qui partage notre culture stratégique, semblent déjà faire consensus ; il faut s'en féliciter. La France doit cultiver cette entente scellée avec son unique partenaire européen qui détient l'arme nucléaire et qui est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est par ce levier que nous formerons un bloc européen dans les instances multilatérales et que nous défendrons notre politique de dissuasion, garante du régime de non-prolifération face à l'accélération des essais balistiques et nucléaires de la Corée du Nord.

Maintenir la cohésion de notre continent est un enjeu stratégique et de défense crucial ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE ; Mme Annick Billon applaudit aussi.)

M. Cyril Pellevat, vice-président de la commission des affaires européennes .  - Veuillez excuser M. Bizet, retenu par une obligation dans le cadre de l'Union interparlementaire. Le Sénat plaide pour un retrait ordonné du Royaume-Uni. Notre groupe de suivi sera particulièrement vigilant sur la finalisation de l'accord de retrait - surtout que le négociateur britannique, M. Davis, semble lier le sort de cet accord au contenu de celui sur le cadre des relations futures, ce qui nous paraît tout à fait inacceptable.

Premier point de vigilance, la situation des citoyens européens au Royaume-Uni. Beaucoup de progrès ont eu lieu, mais quel sera le rôle de la CJUE ? Que se passera-t-il dans huit ans ? De même, nous notons des avancées sur la question irlandaise : il n'y aura pas de frontière « en dur », l'accord de paix du Vendredi saint est garanti, mais il faudra préciser les choses dans l'accord définitif. Même chose pour le règlement financier : les Britanniques acceptent de respecter leurs engagements, c'est bien le moins, nous serons vigilants.

L'accord devra être ratifié par les États. Le Royaume-Uni a choisi de quitter l'Union européenne. Nous regrettons son choix mais il ne saurait y avoir plus d'avantages en-dehors que dedans. Il faut surveiller certains secteurs en particulier, comme la pêche.

La coopération structurée permanente de défense est une avancée : peut-on espérer une mise en oeuvre rapide des projets qu'elle recense ? Il nous semble aussi nécessaire de développer des outils de cohérence opérationnelle et des capacités de financement européen en faveur de la défense. Quelles sont notamment les perspectives pour le futur Fonds européen de défense ?

Le Conseil européen se prononcera par ailleurs sur la dimension sociale, l'éducation et la culture. Il s'agit de renforcer la cohésion européenne en progressant vers la convergence sociale. Le sommet de Göteborg a identifié des pistes intéressantes. Nous serons en particulier attentifs à la mise en oeuvre des principes énoncés dans le socle européen des droits sociaux. Nous examinerons également le résultat du trilogue sur l'épineux dossier des travailleurs détachés, très ressenti dans nos territoires. Nos rapporteurs Fabienne Keller et Didier Marie nous en rendront compte. Le renforcement des compétences est un autre enjeu majeur. Les défis à relever sont lourds avec l'impact du numérique et désormais de l'intelligence artificielle. L'Union a un rôle limité. Mais elle peut appuyer et coordonner l'action des États membres. Nous plaidons pour un Erasmus des apprentis. Il contribuerait à l'acquisition de compétences et à la mobilisation des jeunes autour du projet européen.

Enfin, le sommet de la zone euro devrait permettre un débat sur l'avenir de l'Union économique et monétaire, après la présentation de sa feuille de route, le 6 décembre, par la Commission européenne. Notre groupe de suivi a retenu une approche ambitieuse d'un Fonds monétaire européen. Surtout, il a insisté sur le rôle des États membres dans le pilotage exécutif de la zone euro. Ce n'est pas la piste que semble privilégier la Commission ! Je relève que la question pourtant essentielle de la dimension démocratique n'est abordée que sous l'angle de la responsabilité du futur ministre des finances de la zone euro devant le Parlement européen. Rien sur l'association des parlements nationaux, pourtant essentielle à un fonctionnement vraiment démocratique. La Conférence de l'article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, offre à nos yeux un cadre intéressant à cette fin, à condition d'être modernisée. (Plusieurs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Le Conseil européen marquera la clôture de la première phase de négociations avec le Royaume-Uni sur le Brexit et sera l'occasion d'aborder l'avenir financier de la zone euro.

Les 27 États membres devraient autoriser l'ouverture d'une deuxième phase de négociations avec le Royaume-Uni. On évoque un coût de 50 milliards pour le Royaume-Uni au titre des engagements pris. Cette source est-elle confirmée, Madame la Ministre ? Quel sera le calendrier des versements ?

Selon M. Barnier, le plus dur reste à venir : il ne reste que seize mois avant la date de sortie. La question épineuse est celle de l'industrie financière. La commission des finances estime qu'un accord de transition couvrant l'ensemble des services financiers ne s'impose pas, mais le Royaume-Uni dispose de contreparties. La commission des finances a dressé des lignes rouges.

Premièrement, on ne peut admettre que des infrastructures cruciales pour le bon fonctionnement des marchés européens soient soumises à un régime juridique et à une supervision distincts de ceux de l'Union. Dès lors, nous recommandons d'étudier l'opportunité d'introduire une obligation de localiser au sein de l'Union européenne les infrastructures d'importance systémique dont les activités sont libellées en euro. Deuxièmement, les conditions d'une concurrence équitable en Europe devront être préservées. Cela passe notamment par un durcissement des régimes d'équivalence existants afin de maîtriser les risques de divergence réglementaire. Madame la Ministre, j'espère que ces travaux pourront éclairer le Gouvernement dans la définition de la position française sur la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union.

Le choix de Paris comme siège de l'Agence bancaire européenne est un signal positif pour la France.

Le paquet sur la zone euro est plus réaliste que les propositions du président de la République : pas de gouvernement supranational mais des instruments spécifiques - notamment pour soutenir la convergence des États en vue de leur adhésion à l'euro ou encore faire office de mécanisme de stabilisation en cas de choc asymétrique. Ainsi le ministre de l'économie serait également vice-président de la Commission européenne et vice-président de l'Eurogroupe. Le FME jouerait le rôle de filet de sécurité, et serait responsable devant les parlements nationaux, qui pourraient l'interroger par écrit et auditionner son directeur général.

En revanche, la commission des finances déplore le manque d'avancées sur la Conférence interparlementaire de l'article 13 du TSCG : ses réunions n'aboutissent que rarement à des décisions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, UC et Les Indépendants)

Mme Nathalie Loiseau, ministre .  - Vous avez été très nombreux à saluer la perspective d'une conclusion de la première phase de négociations sur le Brexit. M. Gattolin et Mme Mélot ont raison : s'il faut rester vigilants, l'accord est protecteur pour les citoyens européens et les citoyens britanniques dans l'Union européenne.

Oui Monsieur Pellevat il est dommage que le rôle de la CJUE soit limité dans le temps, mais le Conseil européen insistera pour que cette situation ne crée pas de précédent pour éviter d'affaiblir le marché unique.

Sur l'Irlande, la déclaration d'intention va dans le bon sens, mais les principes paraissent s'exclure mutuellement : l'ambiguïté devra être levée dans la deuxième partie - et il ne faut pas que l'éventuel alignement réglementaire du Royaume-Uni et de l'Union conduise à un marché intérieur à la carte.

Je vous rassure, le Royaume-Uni accède bien à la grande partie de nos demandes, et contribuera même à la facilité pour les réfugiés en Turquie et au Fonds européen de développement. La période de transition sera limitée dans le temps et ne pourra être renouvelée.

Nous sommes d'accord sur les principes et les paramètres, mais les hypothèses macroéconomiques peuvent varier et les montants financiers avec elles. Les chiffres de 40 à 45 milliards sont un chiffre net des sommes que le Royaume-Uni continuera de toucher tandis que le calendrier des versements sera celui valable pour tous les États dans l'application du budget européen. La coopération renforcée en matière de défense avec le Royaume-Uni fera l'objet d'accords bilatéraux.

La coopération structurée permanente de défense se déclinera en 17 projets, certains bénéficient du programme de développement de l'industrie de défense, doté de 500 millions pour 2019-2020.

L'Eurocorps, Madame Keller, est séparé de l'Union européenne, et peut être utilisé par celle-ci comme au Mali ou l'OTAN comme au Kosovo ou en Afghanistan.

L'Agenda des leaders ne vise pas à remplacer le législateur. Cette concertation des chefs d'État, où la parole sera libre, ne donnera pas lieu à des décisions écrites. Trop souvent on déplore la lenteur de l'Europe ; il est bon que ses chefs se parlent en toute liberté.

La France partage le souhait de compléter l'union bancaire et mettre en place un filet de sécurité financier. Le moment est venu d'un budget de la zone euro financé par des taxes nouvelles dans le domaine numérique ou environnemental, ou bien encore par une partie de l'impôt sur les sociétés lorsque l'assiette aura été harmonisée, nous plaidons avec l'Allemagne dans ce sens.

Nous soutenons aussi le projet d'université européenne qui doit permettre à un étudiant de commencer ses études dans un pays et de les terminer dans un autre. L'Erasmus des apprentis, qui existe formellement, doit devenir une réalité.

M. Robert del Picchia.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Demain, je serai à Strasbourg avec Mme Schiappa pour réaffirmer notre engagement à défendre les droits des femmes devant le Conseil de l'Europe.

Enfin, je veux rassurer Mme Keller : le Gouvernement est attaché à la présence du Parlement européen à Strasbourg - c'est un symbole de la réconciliation franco-allemande et de la proximité avec les territoires, d'une Europe qui ne se limite pas à Bruxelles... (Applaudissements sur tous les bancs sauf sur ceux du groupe CRCE)

Débat interactif et spontané

M. Jean-Yves Leconte .  - Les migrations ne sont pas une fatalité mais une réalité. Elles sont d'ailleurs plus orientées du Sud vers le Sud que du Sud vers le Nord. Le Nord est attractif ; nous devrions nous en féliciter ! Les images télévisées de migrants vendus en Libye sont inacceptables - maintenant que le colonel Kadhafi ne nous masque plus la réalité, nous ne pouvons plus ne pas voir...

L'idée de se fonder sur des pays tiers sûrs n'est pas une solution. L'asile est un droit. La zone Schengen ne sera stable que si les pays font converger leurs politiques d'immigration et échangent sur leurs expériences en fait d'intégration. Quelles en sont les perspectives ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Chacun est frappé par le drame que vivent les migrants, en Libye notamment. Mais comment traiter cette question si la Libye n'est pas un État ? La France n'est pas inactive ; nous avons réuni les acteurs à la Celle Saint-Cloud et soutenons la mission des Nations Unies confiée à Ghassan Salamé.

Un groupe de travail entre Africains et Européens a été créé pour traiter les situations d'urgence.

Vous critiquez la notion de pays tiers sûrs, mais la Libye n'en fait pas partie. Nous avons engagé une mission de l'Ofpra au Niger pour donner l'asile à des personnes qui y auraient droit ; nous incitons nos partenaires européens à en faire de même.

Sur Schengen, un conseil franco-allemand de l'intégration s'est déjà réuni et nous plaidons pour une harmonisation du droit d'asile.

M. Yvon Collin .  - Les éleveurs français ont manifesté pour alerter les pouvoirs publics sur les conséquences d'un accord avec les pays du Mercosur, leaders mondiaux pour la viande bovine.

M. Lemoyne a déclaré qu'il ne voulait pas confondre vitesse et précipitation - et qu'il privilégierait le contenu.

Les éleveurs français sont inquiets. Où en est-on ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - La France est très engagée au-delà de l'accord avec le Mercosur, sur la réciprocité des avantages commerciaux.

Nous avons demandé à la Commission européenne un bilan détaillé des avantages et des inconvénients pour les différents secteurs de l'économie dans les accords de libre-échange passés ou en négociation.

L'accord avec le Mercosur fera des gagnants, il faut le rappeler, mais nous avons exprimé nos inquiétudes auprès de la Commission européenne, pour les éleveurs. Nous voulons des quotas de viande bovine raisonnables. Nous surveillons aussi les normes sanitaires. M. Lemoyne s'y est attelé à Buenos-Aires.

M. Philippe Bonnecarrère .  - Quelles garanties ont été obtenues dans l'accord pour les relations entre le Royaume-Uni et l'Irlande ? Il y a le respect des accords du Vendredi Saint sur la liberté de circulation.

L'identité du régime entre l'Irlande du Nord et du Sud est venue s'ajouter, ressemblant fort à un cheval de Troie et faisant courir le risque que l'union douanière soit très proche du marché unique, au profit du Royaume-Uni. Quelles garanties avons-nous ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - La question de l'Irlande est réglée dans les principes mais il reste à en fixer le contenu dans la négociation.

Soit l'accord règle la question globalement - imaginons, par exemple, que le Royaume-Uni revienne sur sa décision de quitter l'union douanière et le marché unique - et il n'y a pas de problème ; soit le Royaume-Uni sort, et c'est à lui de faire des propositions ; soit il opte pour l'alignement réglementaire entre l'Irlande et le Royaume-Uni dans le cadre de l'accord du Vendredi Saint - mais l'accord ne peut pas se résumer alors à une somme « d'équivalences » et ouvrir une faculté de pick and choose pour le Royaume-Uni. Nous serons vigilants.

Il faudra aussi prévoir des contrôles à l'entrée sur le marché intérieur, même si cela n'est pas écrit.

M. Simon Sutour .  - L'Europe, d'une réunion d'État, doit devenir une Europe des citoyens.

La conditionnalité des aides nous inquiète. S'il est regrettable que certains États ne respectent pas leurs obligations, notamment en termes d'État de droit - l'État espagnol fait beaucoup parler de lui en Catalogne, récemment -, est-ce aux citoyens d'en payer le prix ? Le risque est grand de voir les fossés avec Bruxelles se creuser davantage.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - L'Union européenne est composée d'États démocratiques où les citoyens peuvent choisir librement leurs dirigeants. Ils doivent donc assumer les conséquences des violations de l'État de droit ou du cadre européen. La question de la conditionnalité a déjà été évoquée lors du dernier Conseil européen. Personne, pas même la Pologne ou la Hongrie, ne l'a contestée.

Si l'on sollicite les fonds de cohésion, c'est bien que l'on souhaite participer à la convergence entre les États, ce qui explique de respecter un pacte avec les autres États.

M. Yannick Vaugrenard .  - Notre défense est en première ligne dans la lutte contre les djihadistes. La France aurait pu considérer, après les attentats sur son sol, qu'elle devait se retirer de ses engagements à l'étranger. Elle n'a pas baissé la garde, ni au Levant ni au Sahel, et nos partenaires européens bénéficient de nos efforts en matière de défense collective.

De nombreux candidats à l'élection présidentielle avaient proposé de sortir l'investissement de défense du calcul du déficit maastrichtien. Après le Brexit, la France reste le seul pays européen à consentir un effort de défense significatif. Le 13 novembre dernier, 23 pays européens émettaient le souhait d'approfondir l'Europe de la défense via une coopération structurelle permanente. Quand nos partenaires accepteront-ils de tirer les conséquences de l'engagement de la France ?

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Nuançons. C'est sur la base de décisions nationales que nous intervenons, non parce que l'Union européenne nous a sollicités. La décision de défalquer ces dépenses du calcul du déficit budgétaire se prend à 28. Surtout, ce serait la porte ouverte à une sorte d'arbre de Noël : chacun plaiderait que telle ou telle de ses politiques publiques profite à ses voisins...

Je salue l'effort de nos partenaires européens à nos côtés, au Levant et au Sahel : nous les avons sollicités pour le soutien logistique, ou pour nous relayer ailleurs afin de concentrer nos forces sur la lutte contre le terrorisme. Les choses ont changé depuis le temps encore récent, quand j'étais diplomate, où l'on considérait le Sahel comme notre zone d'intervention réservée.

Demain, le président de la République réunit un sommet du G5 Sahel pour que nos partenaires européens contribuent au financement des capacités africaines de lutte contre le terrorisme. Nous allons dans la bonne direction.

Mme Laurence Harribey .  - Madame la ministre, vous avez évoqué la recherche d'un instrument financier spécifique pour répondre au problème migratoire. Pouvez-vous nous en dire plus ? N'y a-t-il pas un risque que l'on prenne prétexte d'un tel instrument pour réduire les crédits de la politique de cohésion ? Jusqu'où le Gouvernement français ira-t-il ? Un tel instrument de mutualisation serait sans doute utile, et donnerait du sens à l'action publique.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Ce n'est encore qu'une hypothèse, émise par le président Tusk. Pour traiter des questions migratoires, on ne peut plus passer son temps à tendre le sombrero, comme disait mon homologue espagnol ! Il faut des crédits sûrs pour réagir vite et efficacement. Or le tour de table est lent pour abonder le fonds fiduciaire d'urgence à destination des pays d'origine - nous venons tout juste de finaliser le volet Afrique du Nord.

Il faudrait stabiliser les financements, tout en gardant de la flexibilité pour faire face aux crises inattendues. En la matière, le budget européen présente des faiblesses.

Quid des fonds structurels, de la PAC, des grandes politiques européennes traditionnelles face à l'émergence de nouveaux besoins, de nouvelles attentes, et après le Brexit ? Ce sera l'enjeu du futur cadre financier pluriannuel. Il faudra lutter contre les mauvaises pratiques comme les rabais et réfléchir à de nouvelles ressources propres. C'est l'objet du groupe de travail mené par Mario Monti et de nos propositions pour une taxe sur les grands acteurs du numérique ou une taxe environnementale. Il faudra être créatif pour répondre aux attentes.

Le débat est clos.

Prochaine séance demain, mercredi 13 décembre 2017, à 14 h 30.

La séance est levée à 21 h 10.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus