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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Repenser la politique familiale

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe LaREM

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Mme Nadine Grelet-Certenais

Mme Colette Mélot

Mme Véronique Guillotin

Hommage à une délégation israélienne

Repenser la politique familiale (Suite)

Mme Brigitte Lherbier

M. Martin Lévrier

Mme Laurence Cohen

Mme Élisabeth Doineau

M. Jean-Louis Tourenne

M. Charles Revet

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Mme Victoire Jasmin

M. Édouard Courtial

M. Guillaume Chevrollier

M. Sébastien Meurant

M. Marc Laménie

Mme Patricia Schillinger

Échec en CMP

La politique de concurrence dans une économie mondialisée

M. Richard Yung, pour le groupe LaREM

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Mme Colette Mélot

M. Jean-Marc Gabouty

M. Jean Bizet

M. Georges Patient

M. Joël Bigot

M. Fabien Gay

M. Pierre Louault

M. Gérard Longuet

M. Jean-François Longeot

Mme Catherine Conconne

M. Marc Laménie

M. Serge Babary

M. Sébastien Meurant

M. Richard Yung

Annexes

Ordre du jour du mardi 22 mai 2018




SÉANCE

du jeudi 17 mai 2018

84e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. David Assouline, vice-président

Secrétaire : Mme Mireille Jouve.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Repenser la politique familiale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « comment repenser la politique familiale en France ? », à la demande du groupe LaREM.

Mme Patricia Schillinger, pour le groupe LaREM .  - Depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ont été engagés plusieurs travaux ayant trait à la politique familiale : la mission interministérielle sur la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les allocations familiales, la négociation de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion avec la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, et, au niveau européen, la discussion de la directive sur la conciliation entre vie privée et vie professionnelle.

Le sujet est au coeur de l'actualité sans que le Parlement ne soit pour autant saisi d'un texte. D'où ce débat pour partager certains constats et dégager des pistes d'amélioration.

À sa refondation en 1945, la politique familiale française a eu pour premier objectif historique le soutien à la natalité par la compensation financière des charges des familles ; à partir des années soixante-dix, l'accent a été mis sur l'aide aux familles les plus modestes et, depuis plus de vingt ans, sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. À cela, il faut ajouter la pérennité financière de la branche famille. Avec 59 milliards par an, soit 2,7 % du PIB, la France est en tête, au sein de l'OCDE, pour les aides fiscales et dans la moyenne par les prestations monétaires et en nature : nous faisons mieux que les Italiens et les Espagnols, mais moins bien que les Danois.

Si le bilan est favorable, il existe des marges de progression. Nous devons lutter de manière accrue contre la pauvreté des familles, notamment monoparentales. Selon l'Insee, les familles représentent 66 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté en août 2017. La pauvreté frappe 19,6 % des enfants et 39,3 % des enfants dans les familles monoparentales.

Des mesures ont été prises dans la loi de financement : majoration de l'aide à laquelle les familles monoparentales peuvent prétendre au titre de la garde de leur enfant ou encore harmonisation des conditions de ressources. Doit-on, peut-on s'en tenir là ? Quand la pauvreté des enfants reste à un niveau préoccupant, il faut, à mon sens, revoir les instruments consacrés à la politique familiale pour les adapter à la priorité de la lutte contre la pauvreté. La question ne se limite pas, tant s'en faut, à la question de l'universalité des allocations familiales que je soutiens.

Nous devons également améliorer la capacité d'accueil des moins de 3 ans : en 2015, on comptait 56,6 places pour 100 enfants. Une famille sur deux est touchée par ce manque de solution. Or le maintien et l'évolution des femmes dans la sphère professionnelle dépendent de la possibilité de les soulager des charges familiales.

Bref, Madame la Ministre, quelles mesures pour lutter plus efficacement contre la pauvreté subie par les enfants ? Faut-il verser les allocations familiales dès le premier enfant ? Cibler les jeunes ménages ? Voire prévoir l'attribution d'une allocation fixe par enfant ? Quelle est la position du Gouvernement sur la directive européenne en discussion ? Voilà les questions à nous poser pour élaborer une réforme de notre politique familiale qui devra être l'occasion d'un rattrapage pour l'outre-mer. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UC ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Merci de me donner l'occasion de débattre du sens et des objectifs de la politique familiale, qui a beaucoup évolué au fil du temps, comme la famille. On peut, on doit aller plus loin.

La politique familiale constitue un pilier majeur de la sécurité sociale ; elle représente un instrument puissant de réduction des inégalités et d'aide à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. La correcte articulation de ces objectifs est l'originalité de la politique familiale française. S'il faut la repenser, je ne prône pas de bouleversement majeur - je suis attachée à son équilibre.

Trois chantiers mobiliseront toute mon attention. D'abord, le soutien à la parentalité qui est, si vous me le permettez, le parent pauvre de la politique familiale. Les prestations monétaires, la garde d'enfants sont essentielles mais il faut aussi des lieux de médiation pour échanger sur la fonction parentale, trouver des conseils et exposer ses difficultés sans être jugé sur le modèle de la Maison verte de Françoise Dolto. Les crèches peuvent jouer ce rôle. J'ai décidé, dans le cadre de la future convention avec la branche famille, de consacrer davantage de temps, dans les établissements d'accueil des jeunes enfants, pour les échanges avec les parents. C'est aussi le rôle des PMI. La visite à domicile durant les premiers jours de l'enfant est cruciale. Avec l'Association des départements de France, je travaille à rénover les missions de ces centres en les allégeant de certaines tâches qui se justifient moins.

Ensuite, l'intérêt de l'enfant. La politique familiale s'est construite sur le soutien à la natalité, en se focalisant sur l'adulte. Mais l'enfant ? Il a des besoins propres. Comme Janusz Korczak, je crois qu'il faut se mettre à la hauteur de l'enfant... non pas se baisser mais s'élever jusqu'à lui. Je serai attentive à tout ce qui peut le blesser et à l'écoute de leurs besoins : jouer, partir en vacances, apprendre, découvrir. La stratégie de lutte contre la pauvreté comme la nouvelle convention avec la CNAF mettront l'accent sur le soutien à l'apprentissage précoce du langage en crèche, le soutien aux activités extrascolaires, le financement de projets pour les adolescents. Ces projets semblent parfois minuscules à notre échelle mais ils ont du sens parce qu'ils permettent à tous les enfants de s'émanciper. Il y a des sujets plus difficiles : les violences faites aux enfants. Nous avons beaucoup de chemin à parcourir sur la formation, la levée de certains tabous, la mise en réseau pour mieux protéger et éviter le pire. J'attends, sur ce sujet, les conclusions d'un important rapport de l'IGAS.

Enfin, mieux accompagner le moment des ruptures : les séparations, la survenue d'une maladie, le décès d'un proche ou l'annonce du handicap d'un enfant. Je rends hommage à la Caisse nationale d'allocations familiales, à l'engagement de ses agents mais il lui faudra aller plus loin. Cloisonnement, démarches inutiles, contrôles superflus, rien ne justifie cela ; il s'agit d'un défaut de nos organisations et encore souvent d'une conception assez paternaliste de la solidarité. Allègement des démarches, développement des téléprocédures, information sur les droits et établissement d'une relation de confiance, tous ces chantiers figureront dans la future convention. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR, Les Indépendants, RDSE et UC)

Mme Nadine Grelet-Certenais .  - La maternité, la parentalité et la charge des personnes sont des facteurs discriminants dans la vie professionnelle des femmes. Elles se voient contraintes de travailler à temps partiel voire de renoncer à leur travail.

En avril 2017, la Commission européenne a présenté un projet de directive bien inspiré. Elle propose une meilleure indemnisation du congé parental qui pourrait être fractionné, un congé paternité de dix jours rémunéré au moins à hauteur de la prestation de maladie - soit le double d'aujourd'hui et, enfin, cinq jours de congé rémunérés par an pour s'occuper d'un proche dépendant.

Cependant, plusieurs pays, dont la France, s'opposent à l'harmonisation du congé parental pour des raisons financières. La grande cause nationale serait-elle sacrifiée sur l'autel budgétaire ? Alors que 96 % des congés parentaux sont pris par les mères et 4 % par les pères, nous avons une occasion de rééquilibrer la donne.

En 1791, Olympe de Gouges écrivait dans la Déclaration des droits des femmes et de la citoyenne que « la liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ». Madame la Ministre, en approuvant cette directive, vous feriez honneur à cette devise en libérant les femmes de ce fardeau héréditaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Le projet de directive présenté en avril étendait le congé parental jusqu'aux 12 ans de l'enfant. À notre sens, cela peut poser problème pour le retour à la vie civile ou plutôt professionnelle des femmes. Le compromis qui se dessinerait serait de laisser chaque État membre fixer eux-mêmes le niveau adéquat de rémunération du congé parental. La France s'est engagée sur une rémunération de 396 euros par mois pour les personnes qui ne travaillent pas. Notre souci est de veiller que cette directive n'aboutisse pas à éloigner les femmes du marché du travail. Nous voulons des évolutions qui correspondent à la vision du travail des femmes dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Colette Mélot .  - Depuis la Libération, la politique familiale est l'un des piliers de la politique nationale. Le programme du Conseil national de la résistance en avait détaillé les aspects concrets. On lui doit le dynamisme de notre natalité dans notre pays - même si elle est moindre depuis quelques années. Elle a assuré la pérennité de notre système de retraite et accompagné les transformations sociales et économiques de notre société pendant plus d'un demi-siècle. La fin du quotient familial sous le précédent quinquennat a été un coup dur. Le Gouvernement d'Édouard Philippe a pris une décision courageuse dans le PLFSS 2018, en recentrant les aides de la politique familiale vers les familles dans le besoin, en particulier monoparentales.

Vous aviez annoncé, Madame la Ministre, que les familles les plus en difficulté pourraient bénéficier de 138 euros supplémentaires au titre du complément de mode de garde mais trouver une place en crèche est souvent un parcours du combattant. Madame la Ministre, pourquoi ne pas uniformiser les procédures d'admission pour soutenir plus particulièrement les familles en difficulté ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je vous remercie de l'avoir souligné, j'ai effectivement demandé le recentrage de l'aide au mode de garde vers les familles monoparentales.

Nous voulons diversifier les modes de garde ; j'ai reçu, il y a peu, les associations représentatives des assistantes maternelles. J'ai également reçu l'Association des départements de France. La mixité sociale dans les crèches est effectivement un souci. Un groupe de travail a été mis en place avec Mme Schiappa. Nous ne pouvons pas faire preuve de coercition sur ce sujet, qui est à la main des élus locaux. Une charte, comprenant l'engagement à favoriser l'inclusion des familles les plus éloignées de l'emploi serait déjà une avancée.

Mme Véronique Guillotin .  - Depuis plusieurs mois, la France, avec d'autres, bloque l'accord sur l'harmonisation européenne du congé parental. Nul besoin de rappeler qu'il est pris à 96 % par les femmes et ce chiffre n'a pas évolué depuis dix ans. Son indemnisation, de moins de 400 euros par mois, est une des plus faibles de l'OCDE. Elle passerait à 950 euros en moyenne avec le projet de directive. En Allemagne, ces dernières années, la proportion de pères est passée de 3 % à 25 % avec la revalorisation du congé parental à 67 % du salaire net.

La facture, pour la France, pourrait se révéler moins forte que prévu puisque la pression sur le système d'accueil du jeune enfant serait allégée par la libération des places en crèche et que les recettes fiscales seraient augmentées. Le président de la République ne défend-il pas l'harmonisation européenne ? Ne veut-il pas l'égalité entre les femmes et les hommes ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La France ne bloque pas la directive mais recherche un compromis qui soit conforme à nos choix culturels en faveur de la liberté de choix des femmes et de leur inclusion professionnelle. En France, le congé parental est pris, en très grande majorité, par les femmes. Le président de la République privilégie le renforcement du congé maternité pour les indépendantes. Nous faisons des choix de société. Un compromis sera trouvé d'ici le 21 juin.

Toute notre politique vise à donner à chacun le choix. (M. Martin Lévrier applaudit.)

présidence de M. Gérard Larcher

Hommage à une délégation israélienne

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs et Mme la ministre se lèvent.) Je salue la présence d'une délégation de députés de la Knesset conduite par M. Yuli-Yoel Edelstein, président de cette assemblée, en visite officielle en France.

L'idée de cette visite est née du déplacement que j'ai effectué en Israël puis dans les Territoires palestiniens, il y a un peu plus d'un an, en janvier 2017, accompagné d'une délégation de sénateurs.

J'ai accueilli hier et aujourd'hui la délégation de la Knesset, en présence en particulier de notre collègue M. Philippe Dallier, vice-président et président du groupe d'amitié France-Israël qui, à ce titre, s'est rendu en Israël du 1er au 4 mai avec d'autres membres du groupe d'amitié.

Votre venue, Monsieur le Président de la Knesset, à l'occasion des 70 ans de l'existence de l'État d'Israël, traduit la volonté de renforcer le dialogue entre nos deux institutions, notamment en matière de développement technologique, à deux semaines du lancement de la saison croisée France - Israël : un colloque a d'ailleurs eu lieu hier matin au Sénat sur le thème « France-Israël : regards croisés sur l'innovation technologique », colloque que nous avons ouvert ensemble. Votre venue traduit aussi la volonté de renforcer notre dialogue sur plusieurs sujets, dont la lutte contre le terrorisme.

Un accord de coopération interparlementaire, le premier dans l'histoire de nos deux assemblées, a été signé en fin de matinée.

Innovation, éducation, investissements, mais aussi naturellement la situation préoccupante au Proche-Orient, ont été au coeur de nos échanges.

Les événements tragiques intervenus ces derniers jours témoignent d'un regain de tensions lourd de menaces. Toutes les parties doivent faire preuve de retenue et contribuer à la désescalade. Je partage les propos tenus par le président de la République le 15 mai, tout comme ceux échangés dans cette assemblée lors des questions au Gouvernement, mardi dernier, sur notre attachement à la solution de deux États vivant côte à côte, en paix et en sécurité.

« Plus grande est la lumière quand elle jaillit de l'obscurité », affirmait dans ses Responsa Rachi de Troyes. Alors, la lumière, c'est la paix ; cette quête que l'on ne doit jamais cesser, même dans des temps difficiles, lorsqu'on est dans l'obscurité.

Au nom du Sénat de la République française, je vous renouvelle, Monsieur le Président de la Knesset, ainsi qu'à l'ensemble des membres de votre délégation, la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception du groupe CRCE)

présidence de M. David Assouline, vice-président

Repenser la politique familiale (Suite)

Mme Brigitte Lherbier .  - Les enfants d'aujourd'hui seront les adultes de demain. Universitaire, je n'ai cessé de répéter à mes étudiants que l'éducation ressortait de la liberté fondamentale des parents. Cependant, la vie de couple n'est pas aussi simple que dans les contes de fées. Les parents attendent de l'État des crèches et des écoles aux horaires adaptés, une logistique, de l'aide. L'union des parents s'achève parfois par une séparation ; il revient au juge aux affaires familiales d'organiser la désunion. Les familles qui se recomposent ensuite connaissent de nouveaux problèmes. Ces évolutions sociales sont perturbantes pour l'élaboration de la politique familiale. L'enfant reste-t-il au coeur des préoccupations ? Les magistrats, les services sociaux, les médecins scolaires nous alertent souvent sur des situations de violences familiales. Ce tableau est peut-être noir mais devait être brossé.

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je ne peux qu'adhérer à ce constat. Notre politique familiale doit s'adapter aux réalités. Le soutien à la parentalité sera un pilier de la future convention avec la CNAF. Nous travaillons à la mise en place de lieux de médiation pour les familles avec Nicole Belloubet. Mon souhait est de structurer cette politique et de l'évaluer car nous avons peu de retours du terrain sinon qu'il existe un vrai besoin de la mener.

M. Martin Lévrier .  - Après un congé parental d'éducation, le salarié retrouve, en principe, son emploi ou un emploi similaire. Dans la pratique, une longue absence lui est préjudiciable, ce qui freine la demande de congé parental. Les entreprises ont prévu un entretien professionnel pour faciliter la réinsertion des salariés. Cela suffit-il ? Ne faudrait-il pas aller plus loin en systématisant une reprise en douceur, alternant un temps de travail le matin et de formation l'après-midi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Effectivement, la difficulté du retour à l'emploi est un frein. La reprise en douceur que vous proposez doit être discutée dans le cadre du droit du travail avec les partenaires sociaux. J'en parlerai avec Mme Pénicaud. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Martin Lévrier.  - Merci, Madame la Ministre, d'en parler à Mme Pénicaud. C'est le moment puisque le débat sur la formation professionnelle arrive bientôt.

Mme Laurence Cohen .  - Merci au groupe LaREM pour ce débat. J'apprécie la volonté de la ministre de s'atteler aux violences contre les enfants. Mme la ministre a dit que la France ne bloque pas la directive européenne sur le congé parental, soit. En tout état de cause, le problème ne se limite pas à la faible attractivité du congé parental en France : il faut aussi mieux reconnaître les métiers dits féminins et lutter contre les inégalités de salaires. Quels moyens financiers le Gouvernement compte-t-il consacrer à cette cause ? La Belgique et le Portugal ont annoncé, eux, qu'ils y consacreraient des fonds.

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La France cherche un consensus avec ses partenaires européens. Les pays, du Nord notamment, ont d'autres pratiques que les nôtres : les pères prennent plus souvent le congé parental. La réforme du congé parental effectuée par le précédent gouvernement n'a pas encore été évaluée, je l'ai demandé. Nous débattrons des priorités le moment venu. En attendant, la priorité va au congé de maternité pour les indépendantes.

Mme Laurence Cohen.  - Le projet de directive européenne comporte des avancées concrètes : un congé de paternité de dix jours comme en Allemagne, en Autriche, à Chypre, en Croatie, en République tchèque et en Slovaquie ; un congé parental payé au niveau des indemnités maladie durant quatre mois, un congé payé de cinq jours pour les aidants proches comme à Malte ou en Roumanie. Le président de la République a affirmé au Parlement européen le 17 avril dernier que la directive était « une belle idée ». Espérons que la situation se débloque enfin.

Mme Élisabeth Doineau .  - J'ai beaucoup apprécié vos propos, Madame la Ministre, sur le soutien à la parentalité. Les visites à domicile de la PMI sont effectivement essentielles.

En 2017, pour la première fois depuis dix ans, la branche famille de la sécurité sociale est revenue à l'équilibre. Elle devrait dégager 5 milliards d'euros d'excédents en 2021.

La natalité est en baisse pour la troisième année consécutive. Le solde naturel est le plus bas depuis l'après-guerre. Les études soulignent la corrélation entre la politique familiale et le niveau de natalité.

Le modèle français et le principe d'universalité doivent demeurer ; je me réjouis, Madame la Ministre, que vous ne souhaitiez pas le bouleverser. Il est néanmoins indispensable d'apporter une réponse contemporaine aux difficultés des familles. Pourquoi ne pas verser des allocations familiales dès le premier enfant et aider les entreprises et les employeurs publics à créer des places d'accueil pour les enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous sommes attentifs à ce que la politique familiale réponde aux enjeux actuels. Le PLFSS a affirmé une trajectoire ambitieuse, responsable et solidaire. Pouvoir trouver un mode de garde est déterminant dans le choix de faire un enfant, tout comme la confiance en l'avenir et la nécessité d'assurer sa carrière professionnelle. Le frein principal à la natalité réside dans la conciliation entre vies familiale et professionnelle. Tout ne passe pas par les crèches, dont les horaires doivent être plus adaptés aux besoins. Nous devons aussi développer le système des assistantes maternelles.

Mme Élisabeth Doineau.  - Soit mais la corrélation existe si l'on regarde l'ensemble des pays d'Europe. Il faut aider les grandes entreprises et grandes administrations à construire des lieux d'accueil pour les enfants de leurs salariés.

M. Jean-Louis Tourenne .  - Notre modèle divise par quatre les inégalités de niveau de vie. Et pourtant la main invisible de notre organisation sociale nourrit les frustrations, les amertumes que la violence parfois exprime. Elle alimente le caractère héréditaire des classes dominantes et leur entre soi. Les chiffres sur la fréquentation des crèches, des écoles et des universités, les pratiques culturelles et sportives sont édifiants.

Le précédent gouvernement a mis en place des mesures pour lutter contre ces inégalités : revalorisation de l'allocation de soutien familial, l'ASF, montant majoré du complément familial, modulation de la prestation d'accueil du jeune enfant, la PAJE, augmentation des aides financières aux crèches.

Ce gouvernement revient en arrière sur les rythmes scolaires, facilite les licenciements ce qui fragilise les perspectives des familles, remet en cause l'accord avec la CNAF.

Pourtant, les initiatives locales foisonnent : développement des vacances pour tous, internat de respiration, école du bonheur, scolarisation à 2 ans... Il est temps de développer une vision de la société plus juste et déterminée. Je rêve que ce débat ne serve pas seulement à cacher les vilains coups de rabot de Bercy, qui condamnent irrémédiablement les enfants défavorisés.

Nous devons développer une politique d'épanouissement de chaque enfant pour que leur destin ne dépende pas des conditions de leur naissance. Il faut un grand service public de la petite enfance. Y êtes-vous prête, Madame la Ministre ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je ne chercherai pas à réduire les inégalités ? C'est parfaitement faux et le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale en témoigne. Il faut des politiques ciblées sur les plus vulnérables quand le droit commun leur est défavorable.

J'ai donné la priorité à l'aide aux familles les plus défavorisées. Modification du financement des crèches dont les horaires seront adaptés pour plus d'accessibilité et de mixité, plus de crèches dans les quartiers prioritaires de la ville ; inclusion sociale dès la petite enfance, soutien à la parentalité, tout cela figurera dans la future convention avec la CNAF.

M. Charles Revet .  - Selon le Larousse, la famille est un « ensemble de personnes formé par le père, la mère et les enfants, où l'un des deux ». La famille est l'union d'une femme et d'un homme pour mettre au monde des enfants. C'est ainsi depuis que le monde est monde. Et les progrès de la science n'y changeront rien.

La société change et de plus en plus de femmes souhaitent s'engager dans des activités professionnelles. Ce choix doit être respecté.

La France connaît un grave problème démographique. Depuis ces dernières années, le nombre de naissances diminue chaque année. Que compte faire le Gouvernement pour aider les familles et favoriser la reprise de la natalité ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Vous demandez que la France se montre généreuse pour accompagner les familles qui prennent un congé parental, et que celui-ci donne des droits à la retraite. C'est le cas. Les prestations allouées par la branche famille s'élèvent déjà à 50 milliards d'euros et les avantages pour la retraite à 18 milliards. Faut-il aller plus loin encore, ou privilégier d'autres priorités ?

La natalité en est une. L'âge des mères ne cesse de reculer, en raison de la difficulté à concilier vie professionnelle et familiale. Mes priorités sont l'accueil des jeunes enfants, l'aide aux familles en difficulté dans les moments de rupture, le soutien à la parentalité : c'est un enjeu de cohésion sociale, pour que les enfants grandissent dans un environnement favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Charles Revet.  - Il y a urgence, car c'est l'avenir de notre pays qui est en jeu. Il faudra y revenir.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - La complexité de notre système le rend incompréhensible. Une famille monoparentale avec quatre enfants perçoit 380 euros par mois et par enfant, quand certaines familles ne bénéficient d'aucune aide.

Comment expliquer cette segmentation : de nombreuses aides pour les plus modestes, le quotient familial pour les plus aisés, rien ou presque pour les classes moyennes ?

Comment justifier que l'on conditionne l'aide aux familles de deux enfants et plus ? Il est difficile de démontrer les effets sur la natalité. Rien ne permet d'affirmer que le coût croît en fonction du nombre d'enfants, et il est difficile de définir le rang qu'occupe l'enfant dans une famille recomposée.

Dans La face cachée des prestations familiales, Léon Régent préconise une allocation familiale unique versée dès le premier enfant, qui se substituerait aux aides existantes et supprimerait les effets de seuil. Qu'en pensez-vous ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Les familles avec un seul enfant ne perçoivent pas d'allocations familiales mais bénéficient de la PAJE, de l'allocation de rentrée scolaire, de l'allocation de soutien au parent isolé et de l'allocation pour handicap le cas échéant, et 30 % d'entre elles bénéficient du quotient familial.

Nous avons identifié 100 000 ménages avec un seul enfant sur lesquelles nous pourrions cibler nos aides avec par exemple un complément familial majoré. C'est une piste compatible avec la trajectoire de nos finances publiques, nous y travaillons.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Vous considérez comme moi qu'il faut davantage aider certaines familles avec un seul enfant. Cependant votre système risque de complexifier la situation. Avec une allocation pour chaque enfant, sorte de revenu universel, on gagnerait en lisibilité. Les familles modestes seraient gagnantes, même s'il y aurait quelques perdants chez les plus aisés. C'est un choix politique.

Mme Victoire Jasmin .  - L'outre-mer connaît des problèmes statutaires, démographiques, culturels et sociaux très spécifiques qui supposent que l'on adapte le droit commun à nos particularités.

Les Assises de la famille lancées par la présidente du conseil départemental de la Guadeloupe ont été l'occasion de repenser le vivre-ensemble et de faire des propositions innovantes et concrètes, notamment sur la gouvernance de l'action sociale.

Alors que plusieurs crèches ont fermé, il est fondamental d'améliorer les modes de garde pour que tout enfant trouve une solution, par exemple avec un dispositif de tiers-payant. L'accueil des jeunes enfants a aussi le mérite de les éloigner de la violence intrafamiliale et favorise leur épanouissement. Un partenariat avec la CNAF et les collectivités territoriales, une majoration de la prestation de service unique, des dispositifs de sociabilisation des familles seraient utiles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Vous avez raison, les territoires d'outre-mer ont des particularités - forte natalité, nombre de familles monoparentales, manque de dispositifs d'accueil - qui appellent des réponses spécifiques. Nous y travaillons au sein de la convention d'objectifs et de gestion. Les CAF apportent déjà un complément financier, notamment à Mayotte, mais nous avons identifié des pistes d'amélioration pour être au plus près des territoires et des besoins.

Mme Victoire Jasmin.  - Je compte sur vous. Merci d'avoir initié ce débat et de l'avoir étendu à l'outre-mer.

M. Édouard Courtial .  - Un des tristes héritages du gouvernement précédent est d'avoir remis en cause une des politiques qui marchait le mieux : la politique familiale universelle voulue par le général de Gaulle. Résultat, la fécondité est en baisse depuis trois ans, et désormais inférieure à 1,9 enfant par femme.

Pourtant, un rapport de l'Assemblée nationale signé par un député de la majorité préconise d'aller encore plus loin ! Notre collègue Gilles Lurton, co-rapporteur Les Républicains, s'en est désolidarisé.

Je le dis sans ambages : remettre en cause le quotient familial serait une erreur politique, économique et historique. Politique d'abord, car ce serait une hausse d'impôts déguisée, alors que la lutte contre la fraude, qui a progressé de 5 % en 2017, doit être une priorité.

Économique ensuite, car l'équilibre de notre système de retraite par répartition n'est pas assuré et nous avons besoin de jeunes actifs.

Historique enfin, car cette politique est une tradition tournée vers l'avenir, un outil pour donner à la France les artisans de sa propre histoire.

Ne nous emprisonnons pas dans un faux clivage entre progressisme et conservatisme, dans une fausse lutte des classes hors d'âge et dépassée...

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Édouard Courtial.  - Prenons de la hauteur, au nom des principes de solidarité et de responsabilité vis-à-vis des générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je suis moi aussi inquiète du taux de natalité qui était une fierté de notre pays, même s'il reste le plus élevé en Europe. Il a beaucoup évolué au cours des années. Sa baisse récente s'explique par la diminution du nombre de femmes en âge de procréer et de la fertilité.

La politique familiale est et restera universelle. Elle s'exprime de différentes façons : prestations, aides financières aux modes de garde, quotient familial. Ce dernier ne connaîtra pas de modifications, je m'y engage.

Quant à l'universalité des allocations familiales, il faut savoir que prélever davantage sur les plus hauts revenus rapporterait assez peu. Je ne souhaite pas bouleverser les équilibres actuels mais poursuivre mes priorités, avec au centre, l'intérêt de l'enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur certains bancs du groupe SOCR)

M. Guillaume Chevrollier .  - L'évolution démographique de l'Europe est sans précédent : baisse des mariages, hausse des divorces, natalité en berne, taux élevé d'avortements, vieillissement... En 2017, le taux de fécondité en France est tombé à 1,88 enfant par femme.

Nous ne pouvons faire l'économie d'une politique nataliste ambitieuse. La PAJE est un pilier de la politique familiale. Elle comprend la prime à la naissance, l'allocation de base, la prestation partagée d'éducation de l'enfant et le complément de libre choix du mode de garde. Or votre Gouvernement a diminué cette allocation en l'alignant sur le montant du complément familial : une perte de 500 millions d'euros pour les familles. La PAJE joue pourtant un rôle certain sur le taux d'emploi des femmes.

Le président de la République a fait de l'égalité femme-homme la grande cause de son quinquennat. N'y a-t-il pas contradiction entre cette ambition et la casse de la politique familiale que vous menez ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Nadine Grelet-Certenais.  - Tout en nuances...

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Vous ne parlez que du plafonnement de revenus pour la PAJE, mais nous avons aussi majoré de 30 % le complément de mode de garde pour les familles monoparentales et dégelé la prime de naissance, une augmentation de 18,5 euros par mois. Nous avons aussi aligné l'allocation de base de la PAJE avec le complément familial dans un souci de lisibilité et de simplification. Il n'y aura pas de perdant : seuls les enfants nés après le 1er juillet 2018 sont concernés, aucune famille ne verra son montant de prestations diminuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Guillaume Chevrollier.  - La conciliation entre vie familiale et professionnelle suppose une stratégie globale. C'est une erreur de faire de la politique familiale une variable d'ajustement budgétaire. Les familles ont besoin de visibilité, donc de stabilité. Une bonne politique familiale doit soutenir toutes les familles.

M. Sébastien Meurant .  - La politique familiale est depuis des années le parent pauvre de nos politiques publiques, une variable d'ajustement de la politique de redistribution. Héritage du Conseil national de la Résistance, elle se réduit comme peau de chagrin : allocations sous conditions de ressources, suppression de la majoration de retraite pour les mères de trois enfants et plus, ministère de la famille qui joue l'Arlésienne... Résultat : le nombre de naissances baisse, et l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée n'a pas inversé la tendance... (On s'amuse sur les bancs du groupe LaREM.)

Dans les années vingt, la politique familiale avait pour but d'encourager la natalité et la fécondité des Françaises. Ce qu'il en reste est devenu une pompe aspirante de l'immigration : on le voit à Mayotte. (Exclamations sur les bancs du groupe SOCR)

Pour certains à gauche, il faudrait arracher les enfants à leur déterminisme familial... Abstraction faite des calculs politiciens et des idéologies sectaires, nous devrions nous accorder sur le fait que les parents sont les meilleurs éducateurs pour leurs enfants. L'État devrait les soutenir.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Sébastien Meurant.  - Le Gouvernement compte-t-il mettre l'argent des contribuables au service de la natalité des Français ou faire de la politique familiale une énième pompe aspirante de l'immigration et un mode de financement de l'assistanat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Loin d'être une variable d'ajustement, la politique familiale est une véritable réussite et un investissement considérable : 50 milliards d'euros par an pour la branche famille, 12 milliards pour les indemnités journalières au titre des congés maternité et paternité, 18 milliards en droits à la retraite issus de ces congés, 14 milliards d'euros de dépenses fiscales via le quotient familial. On ne peut dire que notre politique familiale soit chiche.

Pompe à immigration ? C'est un raccourci...

Le ministère des solidarités est aussi celui de la famille, et je suis pleinement engagée sur la politique familiale et la protection de l'enfance.

J'ai décliné mes priorités, elles ne sont pas financières. Nous voulons être au rendez-vous des familles en difficulté au moment des ruptures, soutenir la parentalité car c'est un enjeu de cohésion sociale, miser sur l'éducation dans un environnement favorable à l'épanouissement des enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur certains bancs des groupes SOCR et Les Indépendants)

M. Marc Laménie .  - Merci au groupe LaREM de l'initiative de ce débat sur un réel enjeu de société.

La difficulté est de concilier vie professionnelle et vie familiale. Le nombre de crèches est limité, notamment en zone rurale, et toutes les familles, faute de revenus suffisants, n'ont pas accès aux crèches privées. Il faut encourager la création de mini-crèches et autres haltes-garderies qui offrent des plages horaires plus souples permettant aux parents de chercher un emploi ou suivre une formation...

Comment créer des moyens d'accueil suffisants, quand les budgets des CAF diminuent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Les crèches ne répondent pas à la totalité des besoins des familles françaises. Il faut diversifier les modes d'accueil, notamment dans les territoires ruraux qui ont besoin d'individualisation, d'adaptation aux horaires décalés. Il faut des services modulés : mini-crèches, maison d'assistantes maternelles, etc. Nous en discutons avec les associations de crèche, d'assistantes maternelles et les départements. Nous devons mener une politique volontariste et adaptée à la diversité des besoins, selon les territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Marc Laménie.  - Merci de cet engagement, partagé à tous les niveaux, État, sécurité sociale et collectivités locales. La lutte contre la pauvreté des familles et des enfants et le soutien à la parentalité sont des combats permanents.

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Ce débat a mis en lumière constats et visions. Il faut évaluer les évolutions du modèle familial français et d'une politique familiale dont la priorité n'est plus la natalité mais l'accompagnement des ménages dans la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

La politique familiale ne suffit plus à nous maintenir au-dessus du seuil de deux enfants par femme, même s'il est toujours délicat d'établir un lien de cause à effet entre politique mise en oeuvre et taux de natalité.

La dimension redistributrice de la politique familiale, l'accompagnement des familles dans les difficultés de la vie, l'attractivité du congé paternité sont à intensifier.

Nous ne pouvons plus nous appuyer sur un modèle familial unique. L'aide aux familles monoparentales, souvent précaires, est une priorité qui s'inscrit dans la stratégie du Gouvernement de lutte contre la pauvreté des enfants.

Érigée en grande cause nationale, l'égalité hommes-femmes se joue tant dans la sphère familiale que professionnelle. Et les solutions de garde sont à la croisée de ces deux mondes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR et Les Indépendants)

La séance, suspendue à 16 heures, reprend à 16 h 15.

Échec en CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur la proposition de loi relative à la mise en oeuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d'agglomération n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

La politique de concurrence dans une économie mondialisée

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « la politique de concurrence dans une économie mondialisée », à la demande du groupe LaREM.

M. Richard Yung, pour le groupe LaREM .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Depuis Adam Smith, en passant par Walras, Pareto ou Schumpeter...

M. Gérard Longuet.  - Ça démarre très fort ! (Sourires)

M. Richard Yung.  - ... les économistes ont mis en lumière les vertus de la concurrence, qui améliore la qualité des produits, fait baisser les prix et stimule l'innovation. Du moins en théorie, sinon en pratique.

Dans une économie mondialisée, la concurrence est rendue possible par le libre-échange qui supprime les obstacles tarifaires et non tarifaires, permet aux pays de se spécialiser et aux consommateurs d'accéder à un large éventail de biens et de services.

Le libre-échange a pourtant peiné pour s'imposer : les freins n'ont été levés qu'après la Seconde Guerre mondiale, si l'on excepte le Zollverein, union douanière qui a permis l'unification allemande. À la différence des Pays-Bas, par exemple, la France a toujours eu un problème avec la mondialisation. Celle-ci est désormais telle que des géants économiques ont émergé. Leur position dominante est un avantage dont ils abusent. Il revient aux autorités de concurrence de sanctionner ces pratiques. C'est ce qu'a fait notre Autorité nationale de la concurrence sur l'Internet mobile, ou la commissaire européenne à la concurrence en infligeant à Google une amende de 2,4 milliards d'euros.

Nous déplorons toutefois des pratiques hélas répandues : le dumping fiscal, par l'exploitation de failles juridiques, qui creuse le manque à gagner pour les États ; ou les subventions étatiques non déclarées, chinoises notamment ; le verrouillage de l'accès aux marchés publics américains ou chinois alors que les nôtres leur sont ouverts.

Tous les secteurs de l'économie nationale, y compris stratégiques, doivent-ils être ouverts sans discrimination à la concurrence étrangère ? L'Allemagne et la France demandent depuis trois ans à l'Union européenne de prendre des mesures, pour l'instant sans succès.

La France joue un rôle actif : volonté de modifier la directive sur les travailleurs détachés, appui de la taxe sur le chiffre d'affaires des géants du numérique, extension du décret Montebourg qui soumet les investissements étrangers dans des domaines stratégiques à l'autorisation de Bercy. Le Buy European Act, pensé sur le modèle du Buy American Act, figurait dans le programme d'Emmanuel Macron.

Vous le voyez : beaucoup a été fait en peu de temps pour refonder la politique de la concurrence, mais il reste des obstacles. Comment les surmonter, pour atteindre l'objectif d'une concurrence équitable et durable ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants ; M. Jean Bizet applaudit également.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - La concurrence est une caractéristique intrinsèque de nos économies de marché : sans concurrence, pas de nouveaux entrants, pas de nouveaux produits, et une logique de rente. Bien utilisée, elle sert l'ordre public économique.

Ce débat a passionné les économistes, et est au coeur de la construction européenne.

Un mot d'actualité : le 8 mars dernier, le président Trump a annoncé des droits de douane sur l'acier et l'aluminium qui pénaliseront surtout des alliés des États-Unis : l'Union européenne, mais aussi le Canada, le Brésil, l'Argentine, le Mexique et la Corée.

L'Union européenne a immédiatement réagi : elle n'est pas à l'origine des surcapacités du secteur et ne menace pas la sécurité des États-Unis, dont elle est l'allié. L'administration Trump a accepté l'exemption temporaire de l'Union européenne ; nous demandons toujours une exemption permanente et inconditionnelle des mesures sur l'acier et l'aluminium et refuserons toute négociation commerciale sous la menace.

Saisine de l'organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mesures de sauvegarde pour protéger l'industrie européenne de l'acier, mesures de compensation sur des produits américains ciblés, nous restons vigilants. La France reste attachée aux règles du commerce mondial, même si elles sont imparfaitement adaptées aux réalités commerciales - les subventions massives de certains États à leurs entreprises nationales, par exemple. Nos entreprises ne luttent pas toujours à armes égales.

Les surcapacités concernent potentiellement de nombreux secteurs, comme les batteries automobiles.

L'Union européenne doit contribuer au renforcement des disciplines multilatérales dans le cadre de l'OMC. Nous avançons : une nouvelle méthode antidumping nous donnera des outils efficaces ; l'arsenal de défense européen contre les pratiques anticoncurrentielles a été enrichi.

À signaler également : le règlement sur les investissements étrangers en Europe ; le règlement relatif à la réciprocité dans les marchés publics ; la mise en place d'un procureur commercial européen.

Notre politique de la concurrence ne doit pas seulement s'adapter à la mondialisation, elle doit répondre aux nouveaux défis que représentent les acteurs du numérique. L'économie des plateformes est dominée par des acteurs extra-européens : à nous de stimuler nos acteurs, de mieux appréhender les relations contractuelles entre PME et mastodontes. Booking, Expedia ont par exemple été sanctionnés pour pratiques déloyales envers les hôteliers français. Bruno Le Maire a également lancé des procédures contre Google, Amazon et Apple. Saluons l'initiative de la Commission européenne, qui prépare un règlement pour encadrer les plateformes numériques.

Les géants du numérique paient en outre peu ou pas d'impôt, ce qui pose un problème d'équité et mine le marché intérieur. Face à ces défis, nous réfléchissons, nous sommes actifs et résolus à ancrer notre politique de concurrence dans les réalités de la mondialisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC)

Mme Colette Mélot .  - Depuis que l'Europe est l'Europe, la concurrence est inscrite dans son ADN. Prérogative communautaire depuis le Traité de Rome de 1957, elle garantit les meilleures conditions de fonctionnement des marchés.

L'économie numérique ne peut échapper à cette mise en concurrence. Quelques géants dominent le marché, bloquant l'entrée de nouveaux acteurs. Les pouvoirs publics ne sont pas démunis ; en 2015, quatre économistes du Conseil d'analyse économique faisaient des propositions pour ouvrir le secteur à la concurrence. Quelles solutions le Gouvernement envisage-t-il pour accompagner les autorités européennes dans ce domaine ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le numérique ne doit pas faire exception. Nous ne pouvons laisser perdurer des abus de position dominante ou des rentes de situation. J'ai parlé des condamnations de Booking et Expedia, des procédures contre Amazon, Google et Apple. La Commission européenne a également pris des initiatives audacieuses. Nous devons renforcer notre arsenal juridique, ce qui passe par le rétablissement d'une juste concurrence fiscale. Nous y travaillons avec Bruno Le Maire.

Le Gouvernement soutient le projet de règlement européen en faveur d'un encadrement renforcé des plateformes.

La lutte contre les concentrations est un autre enjeu - je songe au rachat de WhatsApp par Facebook. L'Allemagne et l'Autriche ont déjà fait évoluer leur réglementation, nous y réfléchissons.

Mme Colette Mélot.  - Ce sujet suscite une très forte attente. Les GAFA doivent être traités comme les autres entreprises. C'est une question d'équité.

M. Jean-Marc Gabouty .  - La politique de concurrence est sans cesse sous les feux de l'actualité, qu'elle serve les politiques publiques ou les décisions géostratégiques.

Difficile de trouver l'équilibre entre la lutte contre le protectionnisme, l'entente ou la concurrence déloyale et, d'autre part, l'intérêt des consommateurs et la liberté d'entreprendre.

L'Union européenne fait de la politique de la concurrence un pilier de sa construction. Mais il ne faut pas céder à la naïveté et freiner par trop de zèle l'émergence de champions européens ou accepter qu'un pays ami bride unilatéralement la liberté du commerce et des échanges avec certains États, tel l'Iran, par une attitude impérialiste et insupportable, au mépris des règles internationales ! (MM. Sébastien Meurant et Marc Laménie applaudissent.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le sujet est brûlant. Bruno Le Maire et Jean-Yves Le Drian évaluent le risque pour nos entreprises et défendent leurs intérêts légitimes ; c'est à elles qu'appartiendra la décision de rester ou non en Iran.

Nous devons réfléchir, au sein de l'Union européenne, à l'impact de ces sanctions extraterritoriales et afficher notre souveraineté économique. Le règlement européen de blocage de 1996 est à réviser ; nous devons créer les moyens de notre autonomie financière, avec des instruments de financement ad hoc. Donnons-nous enfin les moyens de parler d'égal à égal avec l'OFAC (Office of Foreign Assets Control) américain en créant un équivalent européen.

Bref, nous voulons continuer à commercer de manière autonome, dans des conditions que nous estimons légitimes.

M. Jean-Marc Gabouty.  - Nous sommes donc assez désarmés, pour l'heure, pour répondre au diktat américain. Total, qui détenait 51 % dans un projet gazier iranien, laisse la place aux Chinois : plus qu'une affaire privée, c'est une affaire d'État.

M. Trump semble plus sensible à la menace qu'aux câlins.

M. Jean Bizet .  - Seule une concurrence libre et non faussée permet au marché libre de produire ses effets. C'est le principe de la politique de concurrence européenne. Or les échanges s'accélèrent, certains acteurs ont des comportements discutables. L'Union européenne doit donc adapter sa politique de concurrence, par exemple en termes de contrôle des concentrations. Nos entreprises sont parfois empêchées (M. Gérard Longuet confirme.) et contraintes de chercher des partenaires extra-européens. En cause, une approche datée de cette politique. Cessons d'être naïfs et de prôner une approche décalée de la concurrence, en empêchant finalement l'émergence de champions européens.

Comment le Gouvernement fera-t-il évoluer cette politique ? Quel rééquilibrage alors que des États soutiennent sans faiblir les entreprises, sans parler de l'extraterritorialité des lois américaines ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Il faut évidemment soutenir l'émergence de champions européens. Le Gouvernement a montré son implication à propos de rapprochements récents...

Le président de la République a souhaité construire une Europe qui protège. Cela passe par des instruments de défense commerciale plus transparents. Nous pousserons l'adoption de règlements sur les investissements étrangers, sur la réciprocité dans les marchés publics et le procureur européen.

Avec la loi Pacte, il y aura davantage de secteurs soumis à une procédure de contrôle et les sanctions seront plus efficaces.

M. Georges Patient .  - On ne peut nier les retombées positives de la concurrence libre et non faussée grâce à l'Union européenne, soixante ans après l'adoption de ce principe. Mais des territoires français, outre-mer, parce qu'ils sont isolés, sont coincés dans une relation exclusive avec la métropole. Ils attendent toujours leurs Trente Glorieuses.

Depuis les accords de Cotonou, 92 % des produits des pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) peuvent entrer sur le marché européen sans droits de douane, alors qu'ils ne sont pas produits selon les normes sociales et environnementales qui s'imposent dans l'outre-mer français. Les entreprises ultramarines sont victimes de cette concurrence déloyale et faussée, sous prétexte d'aide au développement. Les entreprises des pays ACP sont subventionnées sans respecter les mêmes normes sociales ni environnementales.

J'ai vu aussi disparaître la riziculture guyanaise, alors qu'elle prospérait au Suriname.

Les régions ultrapériphériques (RUP) seront-elle encore les laissées-pour-compte des futurs accords de Cotonou ? (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le mandat de négociation pour le renouvellement, en 2020, de l'accord de Cotonou est en cours de définition. La France, très attentive à la situation dans les Caraïbes, a proposé que les territoires d'outre-mer (TOM) et les RUP soient associés au suivi du futur accord.

M. Joël Bigot .  - Merci à LaREM pour l'organisation de ce débat - la concurrence mérite mieux que des mesures de dumping fiscal et que la fin de l'exit tax.

Le nouveau monde ne sera pas si vert, sinon de façade. Les futurs accords de libre-échange mettront en danger l'environnement. Où en est-on du projet de veto climatique, qui permettrait d'éviter que des multinationales utilisent des accords pour contourner les politiques environnementales des États ?

La guerre économique est là, François Mitterrand parlait de guerre sans mort, mais de guerre à mort. L'environnement ne mérite-t-il pas un garde-fou ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Les valeurs et les objectifs environnementaux de l'Union européenne doivent être présents dans sa politique commerciale. Nous y travaillons avec la Commission. Nous avons obtenu des résultats, par exemple dans les négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. 

M. Fabien Gay .  - En optant pour une économie de marché et une libéralisation de l'ensemble des secteurs industriels, l'État, sous l'impulsion européenne, a laissé notamment libre court au dumping social. Au fil des restructurations, la valeur du travail est niée au profit de la valorisation de l'actionnariat privé. L'État, sous l'impulsion de l'Union européenne, a laissé faire le dumping fiscal, ouvrant la voie aux licenciements boursiers.

Il faut renoncer au dogme de la concurrence libre et non faussée. La régulation et la réglementation sont nécessaires.

Les échanges marchands ont gagné une telle ampleur qu'ils ne répondent plus aux besoins humains mais ne favorisent que des gains financiers déconnectés de l'économie réelle. La notion de service public à la Française - qui considère certains biens comme communs à l'humanité - doit être sauvegardée, le droit européen nous y autorise.

Les accords de libre-échange servent-ils les intérêts des citoyens ? La dépénalisation du droit des affaires et de la concurrence fragilise le rôle de l'État, qui doit aussi protéger les PME - à quand, Madame la Ministre, un Small Business Act à la française ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Il n'y a pas de dogme de la concurrence, il y a des règles du jeu pour organiser une concurrence non faussée. La France a largement réussi à faire prévaloir sa vision : le service d'intérêt général économique est ainsi consacré par les traités. Quant au contrôle, l'État régulateur est toujours à l'ordre du jour : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a à coeur d'utiliser les nouveaux outils de sanction fournis ces dernières années, notamment dans la loi Sapin.

M. Pierre Louault .  - Les accords de libre-échange posent des problèmes d'harmonisation des normes. L'agriculture française ne peut lutter contre la concurrence internationale, voire européenne, car les normes que nous imposons à nos agriculteurs sont souvent bien plus contraignantes. La qualité a un prix, mais l'absence de normes conduit un tiers des agriculteurs français à la faillite.

Aujourd'hui, le prix des céréales est défini par le marché de Chicago. Ne peut-on pas imaginer un second marché pour les produits de qualité à côté des marchés mondiaux, qui obéirait aux normes européennes ou françaises ? (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le libre-échange apporte des opportunités, mais aussi des dangers pour les filières agricoles.

L'ouverture des marchés doit être équilibrée. Les accords de libre-échange doivent favoriser un alignement vers le haut sur le plan sanitaire et environnemental. Ils doivent nous permettre d'exporter notre modèle.

Pour la viande bovine, il y a certes des intérêts défensifs mais aussi offensifs - voyez l'ouverture des marchés chinois et sud-coréens.

M. Pierre Louault.  - Le défi, aujourd'hui, est de produire de la qualité aux cours mondiaux - ce n'est pas possible. Il faut faire reconnaître la qualité par des normes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

M. Gérard Longuet .  - Libéral de conviction, je suis fier d'avoir pu signer les accords de Marrakech créant l'OMC - sans normes sociales ou environnementales, il est vrai.

Le volontarisme se heurte aux réalités du commerce mondial et des comportements. Depuis vingt ans, la France a réduit l'empreinte de ses productions, en se désindustrialisant, et en se conformant à la réglementation européenne ; cependant, c'est le paradoxe, notre empreinte carbone s'est dégradée, parce que faute de produire nous-mêmes, nous nous sommes tournés vers des pays où l'industrie est bien plus émettrice de CO2.

Pourra-t-on porter le tarif carbone à un niveau dissuasif ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ; Mme Victoire Jasmin applaudit aussi.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Vaste débat. La première étape, c'est de faire partager le souci de l'empreinte carbone : c'est de plus en plus le cas.

M. Gérard Longuet.  - Pas aux États-Unis !

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Je parle des États, mais aussi des municipalités, des entreprises... Cela grâce notamment à l'accord de Paris.

Ensuite, cet enjeu doit apparaître clairement dans les négociations commerciales, nous y travaillons.

M. Gérard Longuet.  - Je crains, Madame la Ministre, que votre patience aboutisse à une désindustrialisation encore accrue de la France.

Faisons en sorte que le prix du CO2 soit dissuasif ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-François Longeot .  - Les phénomènes de concentration touchent toute l'économie. Ils sont favorables aux promoteurs mais aussi aux consommateurs. Mais cela n'est pas sans danger lorsque se développent des monopoles, comme lorsque Facebook acquiert Instagram et WhatsApp, maîtrisant des données personnelles très larges et très nombreuses.

La politique commerciale doit prendre en compte ces enjeux nouveaux et éviter des concentrations non plus seulement de richesse, mais d'intelligence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - La donnée est un sujet nouveau, pas encore suffisamment pris en compte dans la politique commerciale.

Les données que les acteurs publics possèdent sont un gisement de richesse, je pense en particulier au développement de l'intelligence artificielle.

Le Gouvernement encouragera toutes les initiatives de partage des données entre industriels. Les politiques d'ouverture sont inconcevables sans un cadre protecteur des données personnelles. C'est tout l'intérêt du Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui entre en vigueur le 25 mai. Il offre aux Européens un niveau de protection inégalée au monde. C'est un atout commercial. Les évolutions récentes comme le scandale Cambridge Analytica montrent que le choix européen est attractif à l'échelle internationale.

Mme Catherine Conconne .  - J'habite un pays situé à 8 000 kilomètres des centres d'approvisionnement : la Martinique. Des filières s'y battent pour survivre.

Or les outre-mer deviennent des zones de déversement de produits européens de basse qualité à bas prix, les producteurs locaux sont impuissants. Vue la cherté de la vie, le prix des produits est la priorité pour les consommateurs.

Monoprix délaisse la banane locale au profit d'une banane équatorienne labellisée Max Havelaar, dont le logo a désormais remplacé le drapeau bleu blanc rouge. Le régime social de l'Équateur serait plus équitable que le nôtre ?

Madame la Ministre, osez le protectionnisme car il est légitime sur certains produits. Cela permettra aux insulaires de vivre, tout simplement ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOCR, Les Républicains et UC)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - J'entends votre plaidoyer contre les marchés de dégagement outre-mer. La loi Égalité réelle outre-mer a donné la possibilité aux préfets d'intervenir en cas de situation critique liée à un afflux de produits.

Pour ce qui est de la banane, un accord commercial UE-Équateur est entré en vigueur le 1er janvier 2017. L'Équateur est le premier producteur mondial de bananes avec 27 % des exportations mondiales. Cet accord a fait passer les droits de douane de 167 euros la tonne à 75 euros la tonne pour l'Équateur. Annick Girardin suit ce dossier, nous porterons toute notre attention à ce qu'il soit porté plus d'attention à ce sujet dans l'accord renouvelé en 2020.

M. Marc Laménie .  - Rappelons le savoir-faire de nos entreprises nationales, grandes et petites.

L'activité économique reste une priorité et nos entreprises méritent d'être soutenues par l'État. Quelles mesures pour réduire les contraintes quotidiennes des chefs d'entreprise, qui ont des difficultés d'accès à l'Internet haut débit et à la téléphonie ? Comment, également, lutter contre la contrefaçon et contre la fraude ? (Applaudissements)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Dans le cadre européen, l'ambition de mettre à niveau le tissu économique en matière numérique est forte. En France, nous accélérons le déploiement du haut débit sur tout le territoire. En 2020, nous visons un débit de 8 mégabits par seconde, et en 2022 le très haut débit en tout point du territoire pour pouvoir être compétitifs.

À l'échelle européenne, une proposition de solution intermédiaire est sur la table pour la taxation des géants du numérique.

M. Marc Laménie.  - Le combat est permanent. Ne baissons pas les bras. Soutenons le monde économique et nos entreprises auxquelles nous sommes attachés.

M. Serge Babary .  - Dès son origine, l'Union européenne a fait le choix de l'économie de marché. Si ce modèle prévaut pour l'ouverture à la mondialisation, il exige une vigilance constante si l'on veut préserver l'intérêt général.

La politique de concurrence européenne qui consiste à repérer et sanctionner les pratiques concurrentielles atteint ses limites. Elle ne peut être réduite à une vision uniquement juridique, mais doit tenir compte des aspects économiques, écologiques, sociaux et sanitaires.

L'État doit assurer la protection des consommateurs et des producteurs nationaux. Dans de nombreux domaines, les entreprises françaises se soumettent à des normes très strictes qui entraînent des coûts de production conséquents, qu'il s'agisse des normes sanitaires, environnementales ou sociales. Or l'État négocie des accords commerciaux facilitant l'importation de produits qui ne respectent pas les normes européennes. Ces transactions doivent être empêchées ou à tout le moins taxées, les consommateurs doivent être informés très clairement sur les produits, c'est essentiel pour la pérennité de la qualité de nos produits industriels et agricoles. (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Nous sommes prêts à sanctionner le non-respect des normes sanitaires, dans un souci de défense du consommateur.

En revanche, les conditions de production peuvent s'éloigner des normes européennes. Là encore, l'Union européenne doit utiliser sa puissance commerciale et sa vision pour prendre en compte les effets de dissymétrie dans les négociations commerciales.

M. Serge Babary.  - Je donne acte à Mme la ministre de sa bonne volonté. Mais j'ai plutôt une impression de fatalisme. Pendant ce temps, notre tissu économique se défait. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - Croyez-vous vraiment que l'Allemagne ait besoin de la souveraineté européenne pour asseoir sa puissance ? Nous sommes les dindons de la farce de l'hyper concurrence européenne. L'Italie, l'Espagne sont mieux armés que nous face à l'Allemagne. La France se désindustrialise depuis des années et souffre d'un grave handicap économique.

Une première raison est le niveau élevé des prélèvements obligatoires : 57 %, c'est autant de liberté en moins pour l'économie !

La deuxième est une haine de soi au nom de laquelle on admire l'étranger, on attend l'Europe, au lieu de soutenir la marque France.

Qu'attend le Gouvernement pour aider les petites entreprises françaises et défendre un patriotisme économique intelligent ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le constat n'est pas neuf. On pourrait détailler ce qui a été et pas fait par le passé. Le Gouvernement est dans l'action, pour redonner à la France toute sa place dans l'Union européenne.

Nous menons une réforme fiscale inédite, une réforme du travail inédite, une réforme de la formation inédite, nous « dé-surtransposons », nous simplifions les normes.

Nous ouvrons tous les chantiers pour que notre économie atteigne son plein potentiel.

M. Richard Yung .  - Monsieur Meurant, nous ne devons pas avoir honte de la marque France. Nous sommes un grand pays qui compte nombre de marques de luxe et d'Indications géographiques protégées (IGP), reconnues de haute qualité partout dans le monde, y compris dans le domaine agricole. Une des grandes demandes du débat est la prise en compte des normes environnementales dans les relations commerciales. Les traités environnementaux et économiques ne se recoupent pas. Il faudra les renégocier pour les harmoniser.

Le président des États-Unis remet en cause le multilatéralisme commercial. Nous devons faire face à des difficultés extérieures - Chine, Russie, États-Unis en particulier avec la sortie de l'accord nucléaire iranien. Total envisage de se retirer. PSA et Renault sont menacés. Les banques françaises, qui ont subi des pénalités s'étalant entre 2 et 9 milliards d'euros aux États-Unis, sont désormais très prudentes pour soutenir des investissements en Iran.

Un conflit s'annonce, nous devons adopter une position très ferme face aux menaces des États-Unis.

L'Union européenne peut développer des relations commerciales avec d'autres partenaires : Inde, Chine, Amérique Latine. (Applaudissements)

Prochaine séance, mardi 22 mai 2018, à 9 h 30.

La séance est levée à 17 h 40.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mardi 22 mai 2018

Séance publique

À 9 h 30

1. Vingt-six questions orales.

À 14 h 30 et le soir

2. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 383, 2017-2018)

Rapport de M. Christian Cambon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 476, 2017 2018)

Avis de M. Philippe Bonnecarrère, fait au nom de la commission des lois (n° 472, 2017-2018)

Avis de M. Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances (n° 473, 2017-2018)

Texte de la commission (n° 477, 2017-2018).