Autorisation d'analyses génétiques sur personnes décédées

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi relative à l'autorisation d'analyses génétiques sur personnes décédées, présentée par M. Alain Milon et plusieurs de ses collègues (demande du groupe Les Républicains).

La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du Règlement du Sénat. Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

Mme Catherine Deroche, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - La commission des affaires sociales a adopté le 30 mai à l'unanimité la proposition de loi d'Alain Milon qui autorise des examens génétiques post mortem dans l'intérêt thérapeutique des proches des personnes décédées.

Elle prolonge la consécration, en 2004, d'une obligation d'information de la parentèle en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins. L'objectif est d'éviter les situations de pertes de chance.

Ce texte ne modifie pas l'équilibre entre le secret souhaité par le patient et le devoir moral de solidarité familiale.

Les examens génétiques peuvent en effet avoir des conséquences pour toute la famille. Notre commission a rigoureusement encadré le dispositif en s'appuyant sur deux principes : le respect de la volonté de la personne décédée et la garantie d'une prise en charge de qualité pour les familles.

Elle a ainsi fixé quatre conditions cumulatives : absence d'opposition exprimée du vivant de l'intéressé ; finalité médicale de l'examen dans l'intérêt des ascendants, descendants et collatéraux ; demande par un membre de la famille potentiellement concerné ; prescription par un médecin qualifié en génétique, éventuellement dans le cadre d'une équipe pluridisciplinaire. Au médecin prescripteur d'apprécier si les conditions sont réunies.

Nous distinguons deux situations : l'examen à partir d'éléments du corps prélevés préalablement au décès de la personne ou dans le cadre d'une autopsie médicale, notamment en cas de mort subite de sujets jeunes.

Cette proposition de loi est très attendue par les professionnels de santé et l'Agence de la biomédecine y voit une évolution fondamentale.

C'est une contribution au renforcement de notre politique de prévention, qui demeure le parent pauvre de notre système de santé.

En clarifiant le droit, elle unifiera les pratiques. Ce dispositif est consensuel et attendu, Madame la Ministre. Il serait dommage de différer son adoption pour de simples considérations de forme ou de calendrier. (Applaudissements)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Les progrès dans le domaine de la génétique soulèvent des questions inédites. Le Comité consultatif national d'éthique m'a remis hier le rapport de synthèse des États généraux de la bioéthique. Leurs travaux, débutés en janvier, ont recueilli un large panorama d'opinions pour s'efforcer de définir quel monde nous voulons pour demain.

Votre proposition de loi répond à un problème précis : autoriser la réalisation d'examens génétiques après le décès - ce que les lois de bioéthique ne permettent pas aujourd'hui.

Je comprends le souci de prévenir les risques en utilisant les progrès de la génétique.

Mais je regrette que le débat sur ces sujets de bioéthique s'engage alors que l'avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), de l'Office pour l'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opesct) et du Conseil d'État sont encore attendus. Le vecteur le plus approprié sera la loi de bioéthique, dont la révision interviendra d'ici quelques mois.

À l'article 2, vous confiez à l'Agence de la biomédecine l'édiction de règles de conservation d'échantillons biologiques. Mais le sujet n'est pas seulement technique. Il touche au consentement et à l'information des membres de la famille qui sont au coeur de l'édifice bioéthique. Ce cadre comme celui de l'information de la parentèle ne peut être modifié sans prendre en compte l'ensemble des problématiques.

Je suis favorable à la possibilité, encadrée, de réaliser des examens de génétique sur une personne décédée, mais dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique et en ayant une vision de l'ensemble des enjeux et impacts. Le débat est ouvert, je suis sûre que vos réflexions nourriront le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants)

Mme Véronique Guillotin .  - Les nombreuses auditions ont confirmé l'attente des professionnels de santé.

Le capital génétique peut prédisposer à certaines maladies graves, comme certains cancers du sein. Connaître l'histoire génétique a donc un intérêt pour la famille du patient : mieux cibler les traitements mais aussi mieux dépister la maladie chez les apparentés et proposer des mesures de prévention.

Jusqu'ici la loi prévoyait que ces tests génétiques ne pouvaient être réalisés que dans l'intérêt de la personne malade. Cette proposition de loi autorise l'examen sur une personne décédée, au bénéfice des membres de la famille.

Les amendements adoptés en commission préservent les grands principes éthiques : le patient pourra signifier son opposition à un examen post mortem, la finalité ne pourra être que médicale, seul un médecin qualifié en génétique pourra prescrire l'examen qui se fera sur des tissus prélevés avant le décès ou lors d'une autopsie en cas de mort subite.

Le Gouvernement nous renvoie à la loi sur la bioéthique, qui sera présentée en 2019. C'est risquer de voir cette mesure diluée dans des débats autrement plus médiatiques, sur la fin de vie ou la PMA. C'est surtout une perte de chance pour nombre de nos concitoyens car un tel délai peut mettre en jeu un pronostic vital.

Cette proposition de loi est consensuelle et va dans le sens de la prévention, souhaitée par le Gouvernement. Notre groupe votera ce texte équilibré qui respecte les principes éthiques fondamentaux et porte l'ambition d'une politique de santé progressiste et moderne. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

M. Michel Amiel .  - Alors que l'Opecst présentera demain les conclusions des États généraux de la bioéthique, nous débattons d'un sujet qui concerne la génétique et la génomique. Est-ce opportun, sachant que la loi de bioéthique approche ? Hélas, je crains qu'à cette occasion, les passions ne prennent le pas sur la raison... D'où l'intérêt d'un débat apaisé dès maintenant.

Entre le premier caryotype en 1956 et le premier séquençage complet du génome en 2003, que de progrès ! Et que de controverses... La connaissance des facteurs génétiques de risque permet d'adapter le suivi et de prendre des mesures de prévention.

Cette proposition de loi permet des tests génétiques sur les personnes décédées, dans l'intérêt de sa famille. Équilibrée, elle respecte la volonté du patient qui se serait exprimé de son vivant.

Le Sénat s'honore de répondre à l'attente des professionnels sur ce point. Mais il faudra rester vigilant sur ces pratiques, devenues de plus en plus aisées.

Ce texte porte une avancée qu'il serait bienvenu d'adopter en dehors de tout débat passionné. Même si, à titre personnel, je voterai pour, le groupe LaREM laisse ses membres libres de voter selon leur vision personnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et Les Républicains)

Mme Laurence Cohen .  - Le groupe CRCE n'est pas très friand de la procédure de législation en commission et ce texte aurait mérité un plus long débat dans l'hémicycle, car ses enjeux sont essentiels. Son objectif est de pallier l'impossibilité d'obtenir le consentement du patient décédé en instaurant un régime de consentement présumé.

Ces sujets sont sensibles et auraient pu effectivement être abordés lors de la révision des lois de bioéthique. Précisons qu'il n'est pas question de porter atteinte à l'intégrité physique et à la dignité. Les analyses se feront dans le respect des protocoles fixés par l'Agence de biomédecine, dans l'intérêt médical des proches, dans un souci de prévention et de surveillance. Elles porteront sur des prélèvements effectués avant le décès ou dans le cadre d'une autopsie médicale.

Les amendements de la rapporteure clarifient le texte, dans le respect des droits de la personne. La possibilité de refuser toute analyse post mortem ou la levée du secret médical garantit les libertés individuelles. Le texte de la commission trouve un équilibre entre la possibilité du secret et le droit pour la famille de savoir.

Plus de six mille maladies génétiques sont d'ores et déjà répertoriées et le champ des connaissances ne fera que grandir avec les nouvelles possibilités offertes par ce texte.

Je souhaite que, conformément à ses engagements, le Gouvernement dégage des moyens pour développer la prévention.

Le groupe CRCE votera cette proposition de loi, en espérant qu'elle ira au bout de son parcours législatif. (Applaudissements)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) En tant qu'élu et citoyen, je suis attentif à tous les débats sur la bioéthique. Ils sont au coeur de l'actualité et de nombreux clivages qui traversent notre société, sur la fin de vie ou la PMA, sont loin d'être tranchés. Espérons que nous pourrons en débattre dans la sérénité.

Je n'ai pas tout de suite mesuré la portée de ce texte. Les débats en commission m'ont éclairé sur l'avancée qu'il représente, et je félicite Alain Milon.

Mme Françoise Gatel.  - Bravo !

M. Olivier Henno.  - C'est le rôle du législateur d'accompagner le progrès et de l'encadrer.

Cette proposition de loi renforce la prévention : saisissons cette opportunité. Les avancées de la médecine vont changer notre rapport au monde et au corps. En biologie, ce qui était de la science-fiction il y a sept ans est désormais de la science, nous a dit la directrice de l'Agence de biomédecine.

Nous avons pris note, Madame la Ministre, de votre accord sur le fond et de vos réserves sur la forme. Vos avis de sagesse en commission ont conduit celle-ci à adopter la proposition de loi ; les membres du groupe UC la voteront, dans le respect des convictions de chacun. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Indépendants et Les Républicains)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je salue cette proposition de loi concrète et nécessaire, ainsi que le travail de la rapporteure.

Le cadre législatif en vigueur n'a été pensé que dans le cas où la personne qui fait l'objet de l'analyse génétique en est l'unique bénéficiaire. Les proches sont de facto privés d'informations d'ordre génétique qui permettraient d'engager des démarches de prévention et de surveillance.

Lors des débats sur la loi Bioéthique de 2004, marqués par l'affaire Yves Montand, il avait été acté qu'en matière de filiation, « la génétique devait s'arrêter à la porte des cimetières », selon l'expression de Jean-François Mattéi, protégeant de l'exhumation toute personne n'ayant pas expressément consenti à des analyses génétiques de son vivant.

Cette proposition de loi ne remet pas en cause les grands principes posés par nos lois de bioéthique. L'autorisation d'analyses génétiques post mortem n'est possible que pour des objectifs de santé publique. D'autre part, la volonté du défunt est respectée.

En n'autorisant ces examens qu'à partir d'éléments prélevés préalablement au décès ou dans le cadre d'une autopsie, on évite des dérives potentielles. L'intégrité du corps du défunt est respectée.

Sur un aspect important, l'information des personnes potentiellement concernées par le résultat des analyses, vous avez consacré, à bon escient, le droit à la non-information.

Cette proposition de loi comble un impensé du législateur sans bouleverser les équilibres des lois bioéthiques. Les examens visés sont au demeurant déjà parfois pratiqués sans filet par des professionnels. Il fallait y remédier au plus vite. (Applaudissements)

M. Daniel Chasseing .  - La génétique permet désormais de mettre à jour des prédispositions génétiques à certaines pathologies telles que le cancer. Les progrès de la science nécessitent une évolution législative. La loi subordonne en effet les analyses génétiques post mortem au consentement du patient... Or de telles analyses peuvent être nécessaires, voire indispensables aux onco-généticiens pour des dépistages précoces.

Cette proposition de loi est fondée ; elle ne porte atteinte ni à la dignité de la personne humaine ni au respect de la vie privée. Le groupe Les Indépendants y est favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs des groupes SOCR, UC et Les Républicains)

M. Alain Milon .  - Je suis très satisfait du soutien recueilli par cette proposition de loi ; je remercie en particulier la rapporteure pour son travail remarquable, avec une pensée amicale pour Dominique Stoppa-Lyonnet et Paul Gesta, à l'origine du texte.

Le sujet n'a pas été abordé par les États généraux de la bioéthique ; c'est finalement un oubli heureux car ainsi la proposition de loi sera examinée sans bruit ni effusions, avec toute la sérénité nécessaire ; j'espère qu'il entrera rapidement dans le droit positif.

Pas moins de 5 % des cancers étant liés à des prédispositions génétiques, la consultation d'un onco-généticien permet parfois de déceler les risques, notamment chez les moins de 50 ans, en identifiant les altérations génétiques et d'alerter des apparentés vivants. Il peut être nécessaire de remonter l'histoire familiale des cancers ce qui suppose des analyses post mortem en sus des prélèvements sur les personnes vivantes.

Le consentement de la personne étant par définition impossible à obtenir en l'espèce, il fallait mettre en adéquation la législation avec les progrès de la cardiogénétique et de la neurogénétique qui ouvrent tout un champ de possibles. La proposition de loi offre la possibilité de protéger les descendants grâce à un dépistage précoce : c'est un maillon de la chaîne, permettant de concilier liberté individuelle et intégration dans l'histoire de l'héritage génétique familial.

Frédéric Mistral disait : « les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut ». Cette proposition de loi y ajoute l'épaisseur des branchages. (Applaudissements)

Mme Catherine Deroche, rapporteure.  - Bravo !

La proposition de loi est adoptée.

M. le président.  - C'est une très belle unanimité. (Applaudissements)