Base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés.

Discussion générale

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi répond à une revendication ancienne des associations qui nous demandent de repenser le calcul de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH).

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a repris la proposition de loi de Marie-George Buffet déposée à l'Assemblée nationale en décembre 2017, signée par de nombreux groupes. Or en commission, seul le groupe socialiste nous a suivis.

Ce texte rétablit la vocation première de l'AAH, celle d'être une allocation de compensation, et non une aide temporaire à l'instar des minima sociaux. Pas moins de 90 % des allocataires redemandent l'AAH ; c'est donc bien une allocation répondant à un état permanent et non un droit.

De plus, selon une enquête de l'Observatoire des inégalités datant de 2017, la moitié des personnes reconnues handicapées par l'administration ont un revenu inférieur de 200 euros en moyenne aux autres. Plus le handicap est sévère, plus l'écart se creuse, allant jusqu'à 500 euros. Cette exposition plus forte n'est pas près de diminuer, tant votre Gouvernement précarise ceux qui sont déjà fragiles : suppression du complément de ressources, baisse des quotas d'appartements adaptés, limitation du cumul entre RSA et AAH, auxquelles s'ajoutent des mesures plus générales comme la baisse des APL, l'augmentation de la CSG, la suppression de l'aide au transport ou la désindexation des prestations sociales...

L'AAH est une allocation d'autonomie. Prendre en compte les revenus du conjoint diminue cette allocation et prive certains de son bénéfice - en plus d'imposer une dépendance au conjoint qui peut être humiliante.

Un reportage diffusé sur France 3, en mars dernier, alertait sur cette situation : un homme y disait son mécontentement de vivre « au crochet » de sa conjointe - et la problématique de la dépendance au conjoint se pose davantage encore pour les femmes. Selon une étude de l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale, datée de mars 2016, les femmes handicapées sont davantage victimes de violences sexuelles au sein du couple.

L'arrêt de la prise en compte des revenus du conjoint dans l'AAH est une garantie d'émancipation.

C'est pourquoi notre proposition de loi est aussi soutenue par les associations féministes dont « Femmes pour le dire, femmes pour agir » qui se bat pour les femmes handicapées.

L'AAH ne saurait être retirée en cas de vie en couple ; il faut individualiser les droits sociaux.

Je vous appelle, chers collègues, à voter cette proposition de loi, modifiant la position exprimée en commission. Nous sommes attendus, regardés par les associations : chacun doit prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Ce texte a fait l'objet d'un débat nourri en commission des affaires sociales sur la nature de l'AAH, qui occupe une place à part : elle est versée aux personnes dont la situation d'incapacité permanente les tient durablement éloignées de l'emploi. C'est donc une prestation sociale, comme le RSA. Elle tient compte à ce titre des revenus du conjoint.

À l'époque de sa création, l'accompagnement du handicap était conçu comme une forme de charité. La loi de 2005 a substitué à cette logique celle de la compensation, c'est-à-dire l'indemnisation d'un préjudice moral. Cette indemnisation est assurée par les Prestations de compensation du handicap (PCH) versées par les départements.

L'AAH se trouve donc au croisement de ces deux philosophies, solidarité et compensation, ce qui peut parfois en rendre la compréhension malaisée. Individuel et déconnecté du niveau de revenu lorsqu'il s'agit de compenser le besoin en aides humaines et techniques consécutif à un handicap, le financement prend des formes plus solidaristes, proches de la logique des minima sociaux, lorsqu'il s'agit de soutenir financièrement les personnes dont le handicap les tient éloignées de l'emploi.

Nous peinons encore à faire un choix clair entre compensation et solidarité. Cette dualité est le signe d'une politique publique inaboutie.

Ce texte supprime la prise en compte des revenus du conjoint, inscrivant l'AAH dans la catégorie des revenus de compensation. Ce faisant, elle s'inscrit dans la logique de la loi de 2005. Pourquoi voir une aberration là où il n'y a que bon sens et désir de simplifier la vie de personnes qui n'ont vraiment pas besoin de complications ?

L'AAH compense une perte de revenus liée à une incapacité de s'insérer dans le marché du travail : nulle observation là-dessus.

Le projet de loi de finances 2018 avait été l'occasion pour le Gouvernement d'annoncer la revalorisation du montant individuel maximal, de 820 à 900 euros, et l'abaissement du plafond de ressources du couple, qui se verra appliquer un quotient dégressif familiarisant du même coup une prestation individuelle.

Nous n'avons pas eu d'indications chiffrées des services concernés, mais tout porte à croire que la seconde mesure exclura nombre de personnes du périmètre de l'allocation.

Ce texte doit aboutir à une politique du handicap cohérente et plus juste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées .  - L'insertion des personnes en situation de handicap est une priorité du quinquennat ; des mesures importantes seront annoncées par le Premier ministre demain lors du conseil interministériel du handicap. La revalorisation exceptionnelle de l'AAH touchera plus d'un million de personnes. Elle s'insère dans un projet de société inclusive.

Depuis 1975, l'AAH est un minimum social, assurant un plancher de ressources sans logique compensatoire - c'est la PCH, créée en 2005, qui assume ce rôle.

Avec le RSA, l'AAH, financée par l'État, participe de notre filet national de sécurité. Les transferts sociaux réduisent le taux de pauvreté de huit points et les minimas sociaux, de six points.

Il est vrai, ce filet est complexe. C'est pourquoi le Gouvernement va refondre les dix minima sociaux, dans la perspective d'un revenu universel minimal.

L'AAH s'articule avec la solidarité entre époux, principe de base de notre modèle social. La priorité doit être donnée à la mobilisation familiale des ressources. C'est le sens de cette allocation.

La prise en compte de cette ressource s'exprime, rappelons-le, au bénéfice des personnes. En effet, l'allocation croît avec la taille du foyer. Et le bénéficiaire peut cumuler une allocation à taux plein avec un SMIC.

Je salue le travail de l'auteure de ce texte, mais je tiens à vous alerter qu'en supprimant le plafond de ressources pour les couples, ce texte diminuerait le montant de l'AAH pour quelque 57 000 ménages, puisque ne serait plus retenu que le plafond pour les personnes seules - alors même que l'impact budgétaire serait de 360 millions d'euros par an.

Les modalités de calcul de l'AAH tiennent pleinement compte des besoins spécifiques des personnes : « base ressources » réduite aux seules ressources imposables à l'impôt sur le revenu, intéressement à la reprise d'une activité, abattement de 20 % dans la prise en compte des revenus du conjoint - si le conjoint touche 1 500 euros par mois, seuls 1 200 euros seront comptabilisés, plafond supérieur à celui applicable à d'autres minima sociaux, exonérations fiscales particulières, par exemple de taxe d'habitation. Ces droits connexes ont été conçus pour soutenir l'autonomie des personnes.

Le budget 2019 revalorisera l'AAH pour la deuxième année consécutive, pour porter la hausse à 11 % par rapport à son montant actuel - c'est l'équivalent d'un treizième mois, pour une dépense de 2 milliards d'euros sur l'ensemble du quinquennat. Cela répond à l'engagement du président de la République de renforcer la solidarité nationale.

La prestation de compensation du handicap, elle, est une prestation en nature qui vient en complément des aides de la sécurité sociale, multidimensionnelle, universelle et sans conditions de ressources. Douze ans après sa création, elle apparaît complexe ; c'est pourquoi nous souhaitons la refondre pour une meilleure prise en compte de la parentalité notamment.

Notre projet de société est inclusif ; il reconnaît les personnes en situation de handicap comme des personnes à part entière. Ce projet nous rassemble largement, j'ai pu le constater lors de la présentation du rapport du sénateur Philippe Mouiller.

Je vous fais confiance, en donnant un avis défavorable à ce texte, quant à votre volonté commune de co-construire une société du vivre ensemble.

Mme Sabine Van Heghe .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je remercie la rapporteure et ses collègues du groupe CRCE d'avoir initié l'examen de cette proposition de loi très nécessaire. Elle est soutenue unanimement par le groupe socialiste.

Cette proposition de loi a d'abord été déposée à l'Assemblée nationale à l'initiative des députés communistes.

Le Gouvernement et la majorité, gênés aux entournures, ont bloqué son examen à l'Assemblée nationale et c'est donc au Sénat que nous pouvons en discuter. C'est dire l'importance du Sénat : il faudra s'en souvenir lors de la révision constitutionnelle.

L'AAH a bénéficié à 1,13 million de personnes en 2017. Elle sera revalorisée pour passer de 819 euros par mois à 860 euros au 1er novembre 2018, puis à 900 euros en 2019. C'est bien peu face aux millions d'euros de cadeaux fiscaux faits aux plus riches.

Le coefficient multiplicateur diminuera pour passer de 2 à 1,9 puis 1,8 en 2019, ce qui exclura certains du dispositif. Le plafond de l'allocation diminuera. Pour un couple de bénéficiaires, les revenus du foyer passeront de 1 638 euros à 1 625 euros. Treize euros, cela peut sembler peu ; pour les finances publiques, oui ; pour boucler les fins de mois : ce peut être essentiel.

Le Gouvernement reprend ainsi d'une main ce qu'il a donné de l'autre : revalorisation de l'AAH, mais baisse du plafond. Cela ne fera qu'ajouter de l'exclusion à l'exclusion. La personne handicapée doit avoir le choix de ne pas dépendre de son conjoint. Pour percevoir l'AAH, il faut un taux d'incapacité de 80 %, ce qui exclut la possibilité de travailler sans pourtant que cela doive condamner à l'exclusion sociale.

Le maintien de l'AAH et sa revalorisation régulière sont essentiels. Le Gouvernement n'apporte qu'une réponse comptable et décalée par rapport aux réalités vécues. Nous l'avions déjà constaté lors de l'examen de l'article 18 de la loi ELAN, qui diminue à 20 % le quota d'appartements adaptés, un véritable scandale. Je ne demande qu'à être démentie.

Madame la ministre, apportez votre soutien à cette proposition de loi attendue par les associations. L'adoption de ce texte ne mettrait pas en péril les finances publiques car 23 % seulement des personnes en situation de handicap sont en couple. Ce serait un geste de solidarité apprécié. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que les politiques publiques se réduisent à des considérations budgétaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Véronique Guillotin .  - Cette proposition de loi touche à la vie quotidienne des bénéficiaires de l'AAH, sujet auquel nous sommes tous sensibles.

L'AAH est un outil indispensable à l'inclusion des personnes handicapées. Les avis divergent sur son mode de calcul. Tout doit être mis en oeuvre pour garantir le maximum d'indépendance aux personnes en situation de handicap. C'est la société tout entière qui doit être aux avant-postes pour garantir l'indépendance de chacun. La loi sur l'égalité des chances prône comme principe qu'une société juste et apaisée est une société inclusive.

Le Gouvernement a annoncé des revalorisations de l'AAH, à 860 euros au 1er novembre 2018, puis 900 euros au 1er novembre 2019, soit 80 euros supplémentaires, c'est appréciable.

Cependant, la baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint et l'article 65 du projet de loi de finances qui supprime l'indexation de l'AAH modèrent cette augmentation.

Nos collègues du groupe CRCE proposent de ne plus prendre en compte les revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH. Ces revenus sont toutefois pris en compte dans les autres minima sociaux. L'objectif de l'AAH étant d'assurer un minimum de ressources, il est cohérent qu'elle prenne en compte l'ensemble des ressources du foyer. La compensation, quant à elle, est assurée par la PCH.

L'accueil fragile et insuffisant réservé aux personnes handicapées dans la société actuelle est un frein à leur inclusion. Dans cet environnement global, la solidarité familiale joue un rôle majeur. La proposition de nos collègues nous ferait passer à côté de cet enjeu à la base de toute société inclusive.

La majorité du groupe RDSE s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Jocelyne Guidez .  - L'AAH est l'expression de la solidarité nationale et reste un minimum social à part entière. Cette proposition de loi est issue d'une question posée par Bernard Jomier à l'Assemblée nationale, qui a donné lieu à deux propositions de loi, dont celle de Marie-George Buffet qui n'a finalement pas été examinée, ce que je regrette. Ça aurait été un geste fort, comme l'a dit le président Chassaigne... Les députés ont raté l'occasion de dépasser les clivages sur cette question épineuse et d'engager une réforme d'ampleur.

Je salue les travaux de la rapporteure. Ce texte rappelle l'importance pour l'allocataire de voir son autonomie assurée. Sylvain Tesson, récompensé en 2011 par le prix Médicis essai, écrivait que l'autonomie matérielle n'est pas moindre que l'autonomie spirituelle.

L'AAH a une portée sociale. L'article premier vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint. L'article 2 prévoit une baisse du plafond financier. Ce tour de passe-passe comptable est choquant.

Cependant, d'autres minima sociaux comme le RSA prennent en compte les revenus du foyer. La question se pose donc légitimement pour l'AAH au même titre que pour d'autres allocations.

Le rapport de Christophe Sirugue de 2014 nous invite à clarifier le système des minima sociaux, tout comme les travaux de Mathieu Klein et Claire Pitollat.

Notre rapporteur général Vanlerenberghe conduit une mission sur le sujet au sein du groupe Union centriste. Mieux vaudrait envisager une réforme d'ensemble sur le système des allocations.

Les auteurs de la proposition de loi estiment à 250 000 les bénéficiaires ciblés par les mesures du Gouvernement. Mais pour combien de temps ? La Dares estime que le nombre d'allocataires a doublé depuis 1990, pour atteindre 1,13 million de personnes.

Même si nous soutenons l'esprit du texte, nous appelons de nos voeux une réforme globale qui prendra en compte la spécificité des personnes handicapées.

Le groupe Union centriste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Daniel Chasseing .  - La proposition de loi dont nous débattons vise à distinguer l'AAH de la situation maritale de la personne handicapée. L'AAH ne relève pas d'une logique d'indemnisation, mais de solidarité. Elle a été créée en 1975 et plus d'un million de personnes la perçoivent. Elle est différente de la PCH qui n'est pas versée en tenant compte des ressources.

Le Gouvernement a fait un effort significatif avec une augmentation du montant de l'allocation à 860 euros en 2018, puis 900 euros en 2019. Il a en revanche gelé le plafond de l'AAH pour les bénéficiaires qui sont en couple.

L'AAH est dégressive dès lors que le conjoint gagne plus de 1 126 euros et n'est plus versée dès qu'il touche 2 200 euros. Le plafond devrait évoluer.

Pour nous, la solidarité doit tenir compte des revenus du couple, mais il faudrait maintenir une somme inaliénable quel que soit le plafond fixé.

Un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires, aux possibilités budgétaires et à l'accompagnement de personnes handicapées en Établissement et service d'aide par le travail (ESAT) serait bienvenu.

Le groupe Les Indépendants ne votera pas ce texte.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il faut se prononcer sur une proposition de loi qui supprime la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH, aide financière versée en cas d'exclusion durable de l'emploi.

La prise en compte des revenus du conjoint serait contraire au principe même de l'allocation. Cependant, l'AAH est destinée à compléter les autres ressources de la personne handicapée, pension d'invalidité ou RSA. Il s'agit d'une prestation en espèce et non en nature, qui doit donc être calculée en tant que telle sur les revenus du foyer.

Le système de solidarité français protège les plus vulnérables par l'effort national. Préservons-le.

Mieux vaudrait revaloriser la PCH pour mieux l'adapter aux situations vécues.

Ne pas tenir compte de la situation familiale du bénéficiaire, cela jouerait contre le lien social et la famille. La société n'est pas qu'un agrégat d'individus libres...

En revanche, il est choquant que le montant de l'AAH soit augmenté alors que dans le même temps, par un savant calcul, le plafond de ressources restera strictement le même, ce qui annihile tout effet de revalorisation.

Quelle est donc cette logique qui donne d'une main pour reprendre de l'autre ? Quel est donc ce Gouvernement qui pense d'abord - et seulement - à son image ? D'autant qu'il envisage de supprimer le complément de ressources de 179 euros des personnes handicapées éloignées du marché du travail depuis plus d'un an. C'est scandaleux !

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Amiel .  - L'AAH a vocation à garantir un minimum de ressources aux personnes handicapées qui ne disposent d'aucun ou de faibles revenus. Elle est subsidiaire : ce n'est que si les droits à l'invalidité et aux avantages vieillesse sont inférieurs à un certain seuil que l'AAH sera versée ; elle est encore différentielle, familiarisée et non contributive - en quoi elle relève de la solidarité.

Doit-elle être considérée comme une aide individualisée, comme le suggère cette proposition de loi ? La logique de solidarité, nationale ou familiale, s'articule avec celle de la compensation, assurée par la PCH versée par les conseils départementaux.

L'AAH, qui fait partie des minima sociaux, devrait-elle devenir une prestation compensatoire ?

Le montant de l'AAH, de 819 euros depuis le 1er avril 2018, passera à 860 euros au 1er novembre 2018 puis à 900 euros au 1er novembre 2019, soit un investissement total de 2 milliards d'euros. Cette augmentation s'accompagne d'un abaissement du plafond des revenus pour un couple avec toutefois un coefficient de 1,9, contre 1,5 pour le RSA, et 1,8 en 2019 : si le montant augmente, le taux du cumul diminue. L'objectif est de faire bénéficier de cette augmentation à ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les personnes seules.

Nous ne voterons pas cette proposition de loi qui n'aborde le sujet que de façon parcellaire et réductrice, même si l'intention est louable.

Il restera à réfléchir sur les minima sociaux et la spécificité des allocations pour le handicap ; il faudra aussi prendre en compte les personnes handicapées vieillissantes les plus démunies qui devraient, selon moi, bénéficier de structures d'accueil spécifiques.

Restera aussi à réfléchir à des minima différenciés selon l'âge, les territoires, le statut des bénéficiaires, et aux moyens de faire en sorte que plus personne ne vive sous le seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Éliane Assassi .  - Notre groupe a fait le choix de déposer au Sénat le texte porté à l'Assemblée nationale par Marie-George Buffet, cosigné par des députés issus de groupes allant des Républicains à la France insoumise, en passant par La République en marche. Nous pensions trouver un accord au Sénat. Aussi avons-nous été surpris du sort que lui a réservé la commission des affaires sociales, pointant son coût et réclamant une refonte complète de l'ensemble des dispositifs existants.

Oui, cette proposition de loi a un coût. Oui, une réforme globale des aides sociales pour lutter contre le non-recours est indispensable. Mais notre rôle est aussi d'envoyer un signal positif à ces personnes en situation de handicap qui se sentent rejetées, traitées comme des citoyens de seconde zone. Il faut remettre de l'humain au coeur des décisions politiques. Après les paroles du candidat Macron, les annonces à grand renfort de communication, passons aux actes !

Car les personnes handicapées ont subi toute une série de reculs depuis un an : la suppression du complément de ressources - 175 euros en moins par mois -, la baisse de 100 à 20 % de l'obligation de logements neufs accessibles dans la loi ELAN, la suppression de la prise en charge des sorties thérapeutiques pour ceux qui veulent rejoindre leur famille le week-end. Sans parler de la baisse des APL, la hausse de la CSG ou la fin de l'indexation des pensions de retraite, qui touchent tous les Français. Tout concourt à la dégradation des conditions de vie des personnes en situation de handicap, qui ne sont hélas pas toutes employables.

Accorder l'AAH à l'ensemble des femmes et des hommes qui ont un taux d'incapacité supérieur à 80 % est un impératif, une exigence de dignité. Individualiser l'AAH s'impose. Je songe à Marie, hémiplégique depuis dix ans et dépendante de son mari, privée de l'AAH et de la pension d'invalidité parce que celui-ci gagne plus de 2 200 euros par mois. Son témoignage, publié par l'Association des paralysés de France (APF), est éloquent.

Trop de personnes handicapées dépendent de la solidarité familiale pour payer leur loyer, leurs courses... L'État, madame la ministre, doit leur garantir des conditions de vie dignes ! Préférez-vous laisser la situation des personnes handicapées au point mort ? (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR.)

M. Marc Laménie .  - Je salue le travail de Mme Cohen et de ses collègues du groupe CRCE sur ce sujet sensible. Instaurée par la loi du 11 février 1975, l'AAH assure un minimum de ressources aux personnes en situation de handicap. Son attribution est conditionnée par différents critères, dont les revenus du foyer du demandeur. Cette proposition de loi supprime la prise en compte des revenus du conjoint pour l'établissement du plafond de ressources.

Il convient de prendre en compte les enjeux sociaux de solidarité. Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, Arnaud Bazin et Éric Bocquet, ont insisté, lors de l'examen du projet de loi de finances 2018 sur ces publics fragiles. L'AAH représente 9,7 milliards au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Tâchons d'associer à la concertation les acteurs : associations, fédérations d'employeurs, Conseil national consultatif des personnes handicapées. Il est à craindre que, cette année, la revalorisation promise par le président de la République se heurte à des difficultés budgétaires non anticipées. L'AAH n'est pas une aide comme les autres.

La délégation aux droits des femmes du Sénat aurait aussi son mot à dire - j'en fais partie et sais les situations sensibles dont elle a à connaître. (Mme Laurence Cohen approuve.)

Philippe Mouiller, rapporteur pour avis sur cette mission, a expliqué pourquoi il n'était pas opportun de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint. L'AAH n'est pas la PCH : raisonner en termes de foyer s'entend. Il conviendrait d'ailleurs de réviser le périmètre et le montant de la PCH et de veiller au maintien des compléments de ressources.

Je suis souvent d'accord à titre personnel avec les positions du groupe CRCE. Mais je suivrai ici mon groupe qui suivra, quant à lui, la commission des affaires sociales dont j'ai été membre quelques années, et dont je connais le travail de qualité. Je voterai donc contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Maurice Antiste .  - En mai dernier, j'attirais l'attention de la ministre de la Santé sur les règles de calcul de l'AAH, dégressive puis supprimée dès lors que le conjoint gagne plus de 2 252 euros par mois.

On m'avait répondu qu'à l'occasion de la revalorisation annoncée, le coefficient multiplicateur passerait de 190 à 180 %. Mais baisser le plafond simultanément renforce la dépendance financière des personnes handicapées à leur conjoint ! La revalorisation ne bénéficiera pas à 250 000 allocataires en couple. Et le Gouvernement économisera 450 millions d'euros par an, soit 80 % du coût de l'augmentation.

Quid en outre du complément de ressources que touchent 65 000 personnes ? Disparaîtra-t-il au profit de la majoration de l'allocation pour la vie autonome ?

Cette proposition de loi est vitale pour nos concitoyens handicapés à qui nous devons des garanties financières, au nom de la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Laurence Cohen .  - Si l'article premier n'est pas voté, notre proposition de loi tombe entièrement...

Mme la ministre nous dit que le Gouvernement fait un effort financier considérable envers les personnes en situation de handicap : 2 milliards d'euros sur le quinquennat, soit 400 millions par an selon mes calculs, ce qui est assez modeste... L'exonération des cotisations patronales, qui prive le budget de la sécurité sociale de ressources, représente 20 milliards d'euros par an de cadeau aux entreprises, pour des emplois qui ne sont pas créés !

Vous revalorisez l'AAH, certes, mais abaissez les plafonds : vous reprenez donc d'une main ce que vous donnez de l'autre...

Vous parlez d'un revenu universel d'activité mais quid des personnes handicapées qui n'ont pas d'activité professionnelle ? Vos arguments n'infirment en rien le bien-fondé de notre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Cette proposition de loi est essentielle. On sent nos collègues de droite bien embarrassés. Reconnaissez que sur le fond, cette proposition de loi est cohérente avec la philosophie de cette allocation : c'est bien une aide compensatoire du handicap. Voilà ce qui devrait nous unir.

Vous arguez de la nécessité de mener une réflexion globale - mais qui peut le plus peut le moins !

Au bout du compte, avec la baisse des plafonds, la revalorisation de l'AAH ne bénéficiera pas à grand monde. Tout est rogné petit à petit dans notre pays. Par exemple, le nombre d'orthophonistes ne cesse de chuter dans nos villes alors que la réussite scolaire des enfants suppose un suivi. Dans l'Essonne, le nombre de salariés de l'Éducation nationale à la disposition des instituts médico-éducatifs recule. Dans une société qui a du mal à reconnaître que les différences sont une chance, que chacun apporte quelque chose à la société, l'effort financier ici demandé est dérisoire comparé à des cadeaux fiscaux faits par ailleurs... (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur .  - Une précision, madame la ministre : le montant individuel de l'allocation aux adultes handicapés ne peut dépasser le plafond individuel, même lorsque le bénéficiaire est en couple. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Esther Benbassa .  - L'autonomie de la femme handicapée est un enjeu majeur. La faire dépendre des revenus du conjoint est d'un autre âge ; cela ne correspond plus à la place que les femmes occupent aujourd'hui dans la société. Les femmes sont la moitié de l'humanité, même handicapées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Arnaud Bazin .  - Rapporteur spécial de la mission « Solidarité » avec Éric Bocquet, je comprends l'inspiration de cette proposition de loi mais elle n'est absolument pas financée et aggraverait encore le déficit.

En revanche, il est temps de mettre fin au jeu de bonneteau du Gouvernement qui reprend, entre la suppression du complément de ressources, la désindexation, le calendrier décalé et défavorable et la baisse du coefficient, ce qu'il donne avec la revalorisation !

Tout cela est totalement illogique et trompe les personnes handicapées, qui ne verront pas la traduction concrète des annonces.

Il faudra éviter ce désagréable malentendu dans le cadre de la loi de finances - pas de cette proposition de loi qui n'a pas vocation à prospérer.

Mme Laurence Cohen.  - Vous pourriez émettre une abstention positive...

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Je partage la position de Mme Duranton : il faut clarifier le paysage des prestations. Un scrutin public a été demandé, preuve d'une volonté de dénoncer nommément ceux qui ne voteraient pas cette proposition de loi. Je trouve cela scandaleux. Au Parlement, chacun prend ses responsabilités, le statut de parlementaire nous protège. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants ; M. Éric Gold applaudit également.)

Mme Éliane Assassi .  - Je ne peux laisser dire cela. Le résultat du scrutin public, c'est-à-dire le nom de chaque votant, paraîtra au Journal officiel.

M. Alain Milon, président de la commission.  - Et sur Twitter ?

Mme Éliane Assassi.  - Je ne suis pas Twitter ! Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste n'est pas Twitter ! La publication du scrutin public au Journal officiel, c'est un acte citoyen, pas une dénonciation. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

À la demande du groupe CRCE, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°6 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 270
Pour l'adoption   99
Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté, non plus que l'article 3.

ARTICLE 4

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur .  - Je remercie Mme Van Heghe d'avoir souligné que le vote de cette proposition de loi aurait été un bon signal pour les personnes en situation de handicap. Merci à Laurence Cohen d'avoir repris cette proposition de loi ; à Mme Assassi d'avoir parlé d'humain et de personnes.

Je ne partage pas les arguments de ceux qui ont voté contre ou se sont abstenus. L'AAH est un minimum social, oui, mais au même titre que le RSA ? Les personnes qui touchent l'AAH, handicapées à au moins 80 %, n'ont pas de perspectives d'amélioration financière, au contraire des chômeurs que le RSA aide à rebondir. L'amalgame n'est pas judicieux.

M. Guillaume Arnell.  - Il n'y a pas d'amalgame !

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur.  - C'est une argumentation assez hypocrite, pour tenter de justifier une position politique. J'ai été surprise de voir qu'aucun amendement n'avait été déposé en commission ! Vous auriez pu le faire, notamment sur son financement. (Mme Éliane Assassi renchérit.) Aucun groupe n'a jugé utile de le faire. (Protestations sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe RDSE ; applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur.  - Décidément, vous n'avez pas envoyé un signal positif aux personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

L'article 4 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, il n'y a plus de texte. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.