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Table des matières



Rappel au Règlement

M. Jean Louis Masson

Base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés

Discussion générale

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de loi

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées

Mme Sabine Van Heghe

Mme Véronique Guillotin

Mme Jocelyne Guidez

M. Daniel Chasseing

Mme Nicole Duranton

M. Michel Amiel

Mme Éliane Assassi

M. Marc Laménie

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Maurice Antiste

Mme Laurence Cohen

Mme Marie-Noëlle Lienemann

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur

Mme Esther Benbassa

M. Arnaud Bazin

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Mme Éliane Assassi

ARTICLE 4

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur

Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ?

M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

M. Vincent Delahaye

M. Jean-Pierre Decool

M. Jean-François Husson

M. Didier Rambaud

M. Éric Bocquet

M. Patrice Joly

M. François Bonhomme

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Jean-Marc Gabouty

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique

Annexes

Ordre du jour du jeudi 25 octobre 2018

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mercredi 24 octobre 2018

9e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

Secrétaires : M. Yves Daudigny, Mme Mireille Jouve.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Rappel au Règlement

M. Jean Louis Masson .  - Je n'ai pas une grande sympathie pour Mme Merkel, mais elle a rempli son devoir moral en enjoignant aux pays européens de suspendre leurs ventes d'armes à l'Arabie saoudite. Le dauphin de l'émir, non content d'instaurer une dictature, est manifestement à l'origine d'un crime odieux digne du Moyen Âge et les responsables saoudiens commettent des crimes de guerre contre les houthis au Yémen.

Ceux qui les cautionnent ont les mains pleines de sang. Nous devons adopter une position claire. Si le président de la République ne fait rien, il se rendra complice de ces criminels de guerre.

Mme la présidente.  - Acte est donné de votre rappel au Règlement.

Base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés.

Discussion générale

Mme Laurence Cohen, auteure de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi répond à une revendication ancienne des associations qui nous demandent de repenser le calcul de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH).

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a repris la proposition de loi de Marie-George Buffet déposée à l'Assemblée nationale en décembre 2017, signée par de nombreux groupes. Or en commission, seul le groupe socialiste nous a suivis.

Ce texte rétablit la vocation première de l'AAH, celle d'être une allocation de compensation, et non une aide temporaire à l'instar des minima sociaux. Pas moins de 90 % des allocataires redemandent l'AAH ; c'est donc bien une allocation répondant à un état permanent et non un droit.

De plus, selon une enquête de l'Observatoire des inégalités datant de 2017, la moitié des personnes reconnues handicapées par l'administration ont un revenu inférieur de 200 euros en moyenne aux autres. Plus le handicap est sévère, plus l'écart se creuse, allant jusqu'à 500 euros. Cette exposition plus forte n'est pas près de diminuer, tant votre Gouvernement précarise ceux qui sont déjà fragiles : suppression du complément de ressources, baisse des quotas d'appartements adaptés, limitation du cumul entre RSA et AAH, auxquelles s'ajoutent des mesures plus générales comme la baisse des APL, l'augmentation de la CSG, la suppression de l'aide au transport ou la désindexation des prestations sociales...

L'AAH est une allocation d'autonomie. Prendre en compte les revenus du conjoint diminue cette allocation et prive certains de son bénéfice - en plus d'imposer une dépendance au conjoint qui peut être humiliante.

Un reportage diffusé sur France 3, en mars dernier, alertait sur cette situation : un homme y disait son mécontentement de vivre « au crochet » de sa conjointe - et la problématique de la dépendance au conjoint se pose davantage encore pour les femmes. Selon une étude de l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale, datée de mars 2016, les femmes handicapées sont davantage victimes de violences sexuelles au sein du couple.

L'arrêt de la prise en compte des revenus du conjoint dans l'AAH est une garantie d'émancipation.

C'est pourquoi notre proposition de loi est aussi soutenue par les associations féministes dont « Femmes pour le dire, femmes pour agir » qui se bat pour les femmes handicapées.

L'AAH ne saurait être retirée en cas de vie en couple ; il faut individualiser les droits sociaux.

Je vous appelle, chers collègues, à voter cette proposition de loi, modifiant la position exprimée en commission. Nous sommes attendus, regardés par les associations : chacun doit prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Ce texte a fait l'objet d'un débat nourri en commission des affaires sociales sur la nature de l'AAH, qui occupe une place à part : elle est versée aux personnes dont la situation d'incapacité permanente les tient durablement éloignées de l'emploi. C'est donc une prestation sociale, comme le RSA. Elle tient compte à ce titre des revenus du conjoint.

À l'époque de sa création, l'accompagnement du handicap était conçu comme une forme de charité. La loi de 2005 a substitué à cette logique celle de la compensation, c'est-à-dire l'indemnisation d'un préjudice moral. Cette indemnisation est assurée par les Prestations de compensation du handicap (PCH) versées par les départements.

L'AAH se trouve donc au croisement de ces deux philosophies, solidarité et compensation, ce qui peut parfois en rendre la compréhension malaisée. Individuel et déconnecté du niveau de revenu lorsqu'il s'agit de compenser le besoin en aides humaines et techniques consécutif à un handicap, le financement prend des formes plus solidaristes, proches de la logique des minima sociaux, lorsqu'il s'agit de soutenir financièrement les personnes dont le handicap les tient éloignées de l'emploi.

Nous peinons encore à faire un choix clair entre compensation et solidarité. Cette dualité est le signe d'une politique publique inaboutie.

Ce texte supprime la prise en compte des revenus du conjoint, inscrivant l'AAH dans la catégorie des revenus de compensation. Ce faisant, elle s'inscrit dans la logique de la loi de 2005. Pourquoi voir une aberration là où il n'y a que bon sens et désir de simplifier la vie de personnes qui n'ont vraiment pas besoin de complications ?

L'AAH compense une perte de revenus liée à une incapacité de s'insérer dans le marché du travail : nulle observation là-dessus.

Le projet de loi de finances 2018 avait été l'occasion pour le Gouvernement d'annoncer la revalorisation du montant individuel maximal, de 820 à 900 euros, et l'abaissement du plafond de ressources du couple, qui se verra appliquer un quotient dégressif familiarisant du même coup une prestation individuelle.

Nous n'avons pas eu d'indications chiffrées des services concernés, mais tout porte à croire que la seconde mesure exclura nombre de personnes du périmètre de l'allocation.

Ce texte doit aboutir à une politique du handicap cohérente et plus juste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées .  - L'insertion des personnes en situation de handicap est une priorité du quinquennat ; des mesures importantes seront annoncées par le Premier ministre demain lors du conseil interministériel du handicap. La revalorisation exceptionnelle de l'AAH touchera plus d'un million de personnes. Elle s'insère dans un projet de société inclusive.

Depuis 1975, l'AAH est un minimum social, assurant un plancher de ressources sans logique compensatoire - c'est la PCH, créée en 2005, qui assume ce rôle.

Avec le RSA, l'AAH, financée par l'État, participe de notre filet national de sécurité. Les transferts sociaux réduisent le taux de pauvreté de huit points et les minimas sociaux, de six points.

Il est vrai, ce filet est complexe. C'est pourquoi le Gouvernement va refondre les dix minima sociaux, dans la perspective d'un revenu universel minimal.

L'AAH s'articule avec la solidarité entre époux, principe de base de notre modèle social. La priorité doit être donnée à la mobilisation familiale des ressources. C'est le sens de cette allocation.

La prise en compte de cette ressource s'exprime, rappelons-le, au bénéfice des personnes. En effet, l'allocation croît avec la taille du foyer. Et le bénéficiaire peut cumuler une allocation à taux plein avec un SMIC.

Je salue le travail de l'auteure de ce texte, mais je tiens à vous alerter qu'en supprimant le plafond de ressources pour les couples, ce texte diminuerait le montant de l'AAH pour quelque 57 000 ménages, puisque ne serait plus retenu que le plafond pour les personnes seules - alors même que l'impact budgétaire serait de 360 millions d'euros par an.

Les modalités de calcul de l'AAH tiennent pleinement compte des besoins spécifiques des personnes : « base ressources » réduite aux seules ressources imposables à l'impôt sur le revenu, intéressement à la reprise d'une activité, abattement de 20 % dans la prise en compte des revenus du conjoint - si le conjoint touche 1 500 euros par mois, seuls 1 200 euros seront comptabilisés, plafond supérieur à celui applicable à d'autres minima sociaux, exonérations fiscales particulières, par exemple de taxe d'habitation. Ces droits connexes ont été conçus pour soutenir l'autonomie des personnes.

Le budget 2019 revalorisera l'AAH pour la deuxième année consécutive, pour porter la hausse à 11 % par rapport à son montant actuel - c'est l'équivalent d'un treizième mois, pour une dépense de 2 milliards d'euros sur l'ensemble du quinquennat. Cela répond à l'engagement du président de la République de renforcer la solidarité nationale.

La prestation de compensation du handicap, elle, est une prestation en nature qui vient en complément des aides de la sécurité sociale, multidimensionnelle, universelle et sans conditions de ressources. Douze ans après sa création, elle apparaît complexe ; c'est pourquoi nous souhaitons la refondre pour une meilleure prise en compte de la parentalité notamment.

Notre projet de société est inclusif ; il reconnaît les personnes en situation de handicap comme des personnes à part entière. Ce projet nous rassemble largement, j'ai pu le constater lors de la présentation du rapport du sénateur Philippe Mouiller.

Je vous fais confiance, en donnant un avis défavorable à ce texte, quant à votre volonté commune de co-construire une société du vivre ensemble.

Mme Sabine Van Heghe .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je remercie la rapporteure et ses collègues du groupe CRCE d'avoir initié l'examen de cette proposition de loi très nécessaire. Elle est soutenue unanimement par le groupe socialiste.

Cette proposition de loi a d'abord été déposée à l'Assemblée nationale à l'initiative des députés communistes.

Le Gouvernement et la majorité, gênés aux entournures, ont bloqué son examen à l'Assemblée nationale et c'est donc au Sénat que nous pouvons en discuter. C'est dire l'importance du Sénat : il faudra s'en souvenir lors de la révision constitutionnelle.

L'AAH a bénéficié à 1,13 million de personnes en 2017. Elle sera revalorisée pour passer de 819 euros par mois à 860 euros au 1er novembre 2018, puis à 900 euros en 2019. C'est bien peu face aux millions d'euros de cadeaux fiscaux faits aux plus riches.

Le coefficient multiplicateur diminuera pour passer de 2 à 1,9 puis 1,8 en 2019, ce qui exclura certains du dispositif. Le plafond de l'allocation diminuera. Pour un couple de bénéficiaires, les revenus du foyer passeront de 1 638 euros à 1 625 euros. Treize euros, cela peut sembler peu ; pour les finances publiques, oui ; pour boucler les fins de mois : ce peut être essentiel.

Le Gouvernement reprend ainsi d'une main ce qu'il a donné de l'autre : revalorisation de l'AAH, mais baisse du plafond. Cela ne fera qu'ajouter de l'exclusion à l'exclusion. La personne handicapée doit avoir le choix de ne pas dépendre de son conjoint. Pour percevoir l'AAH, il faut un taux d'incapacité de 80 %, ce qui exclut la possibilité de travailler sans pourtant que cela doive condamner à l'exclusion sociale.

Le maintien de l'AAH et sa revalorisation régulière sont essentiels. Le Gouvernement n'apporte qu'une réponse comptable et décalée par rapport aux réalités vécues. Nous l'avions déjà constaté lors de l'examen de l'article 18 de la loi ELAN, qui diminue à 20 % le quota d'appartements adaptés, un véritable scandale. Je ne demande qu'à être démentie.

Madame la ministre, apportez votre soutien à cette proposition de loi attendue par les associations. L'adoption de ce texte ne mettrait pas en péril les finances publiques car 23 % seulement des personnes en situation de handicap sont en couple. Ce serait un geste de solidarité apprécié. Nous ne pouvons nous résoudre à ce que les politiques publiques se réduisent à des considérations budgétaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Véronique Guillotin .  - Cette proposition de loi touche à la vie quotidienne des bénéficiaires de l'AAH, sujet auquel nous sommes tous sensibles.

L'AAH est un outil indispensable à l'inclusion des personnes handicapées. Les avis divergent sur son mode de calcul. Tout doit être mis en oeuvre pour garantir le maximum d'indépendance aux personnes en situation de handicap. C'est la société tout entière qui doit être aux avant-postes pour garantir l'indépendance de chacun. La loi sur l'égalité des chances prône comme principe qu'une société juste et apaisée est une société inclusive.

Le Gouvernement a annoncé des revalorisations de l'AAH, à 860 euros au 1er novembre 2018, puis 900 euros au 1er novembre 2019, soit 80 euros supplémentaires, c'est appréciable.

Cependant, la baisse du coefficient de prise en compte des revenus du conjoint et l'article 65 du projet de loi de finances qui supprime l'indexation de l'AAH modèrent cette augmentation.

Nos collègues du groupe CRCE proposent de ne plus prendre en compte les revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH. Ces revenus sont toutefois pris en compte dans les autres minima sociaux. L'objectif de l'AAH étant d'assurer un minimum de ressources, il est cohérent qu'elle prenne en compte l'ensemble des ressources du foyer. La compensation, quant à elle, est assurée par la PCH.

L'accueil fragile et insuffisant réservé aux personnes handicapées dans la société actuelle est un frein à leur inclusion. Dans cet environnement global, la solidarité familiale joue un rôle majeur. La proposition de nos collègues nous ferait passer à côté de cet enjeu à la base de toute société inclusive.

La majorité du groupe RDSE s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Jocelyne Guidez .  - L'AAH est l'expression de la solidarité nationale et reste un minimum social à part entière. Cette proposition de loi est issue d'une question posée par Bernard Jomier à l'Assemblée nationale, qui a donné lieu à deux propositions de loi, dont celle de Marie-George Buffet qui n'a finalement pas été examinée, ce que je regrette. Ça aurait été un geste fort, comme l'a dit le président Chassaigne... Les députés ont raté l'occasion de dépasser les clivages sur cette question épineuse et d'engager une réforme d'ampleur.

Je salue les travaux de la rapporteure. Ce texte rappelle l'importance pour l'allocataire de voir son autonomie assurée. Sylvain Tesson, récompensé en 2011 par le prix Médicis essai, écrivait que l'autonomie matérielle n'est pas moindre que l'autonomie spirituelle.

L'AAH a une portée sociale. L'article premier vise à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint. L'article 2 prévoit une baisse du plafond financier. Ce tour de passe-passe comptable est choquant.

Cependant, d'autres minima sociaux comme le RSA prennent en compte les revenus du foyer. La question se pose donc légitimement pour l'AAH au même titre que pour d'autres allocations.

Le rapport de Christophe Sirugue de 2014 nous invite à clarifier le système des minima sociaux, tout comme les travaux de Mathieu Klein et Claire Pitollat.

Notre rapporteur général Vanlerenberghe conduit une mission sur le sujet au sein du groupe Union centriste. Mieux vaudrait envisager une réforme d'ensemble sur le système des allocations.

Les auteurs de la proposition de loi estiment à 250 000 les bénéficiaires ciblés par les mesures du Gouvernement. Mais pour combien de temps ? La Dares estime que le nombre d'allocataires a doublé depuis 1990, pour atteindre 1,13 million de personnes.

Même si nous soutenons l'esprit du texte, nous appelons de nos voeux une réforme globale qui prendra en compte la spécificité des personnes handicapées.

Le groupe Union centriste s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Daniel Chasseing .  - La proposition de loi dont nous débattons vise à distinguer l'AAH de la situation maritale de la personne handicapée. L'AAH ne relève pas d'une logique d'indemnisation, mais de solidarité. Elle a été créée en 1975 et plus d'un million de personnes la perçoivent. Elle est différente de la PCH qui n'est pas versée en tenant compte des ressources.

Le Gouvernement a fait un effort significatif avec une augmentation du montant de l'allocation à 860 euros en 2018, puis 900 euros en 2019. Il a en revanche gelé le plafond de l'AAH pour les bénéficiaires qui sont en couple.

L'AAH est dégressive dès lors que le conjoint gagne plus de 1 126 euros et n'est plus versée dès qu'il touche 2 200 euros. Le plafond devrait évoluer.

Pour nous, la solidarité doit tenir compte des revenus du couple, mais il faudrait maintenir une somme inaliénable quel que soit le plafond fixé.

Un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires, aux possibilités budgétaires et à l'accompagnement de personnes handicapées en Établissement et service d'aide par le travail (ESAT) serait bienvenu.

Le groupe Les Indépendants ne votera pas ce texte.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il faut se prononcer sur une proposition de loi qui supprime la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH, aide financière versée en cas d'exclusion durable de l'emploi.

La prise en compte des revenus du conjoint serait contraire au principe même de l'allocation. Cependant, l'AAH est destinée à compléter les autres ressources de la personne handicapée, pension d'invalidité ou RSA. Il s'agit d'une prestation en espèce et non en nature, qui doit donc être calculée en tant que telle sur les revenus du foyer.

Le système de solidarité français protège les plus vulnérables par l'effort national. Préservons-le.

Mieux vaudrait revaloriser la PCH pour mieux l'adapter aux situations vécues.

Ne pas tenir compte de la situation familiale du bénéficiaire, cela jouerait contre le lien social et la famille. La société n'est pas qu'un agrégat d'individus libres...

En revanche, il est choquant que le montant de l'AAH soit augmenté alors que dans le même temps, par un savant calcul, le plafond de ressources restera strictement le même, ce qui annihile tout effet de revalorisation.

Quelle est donc cette logique qui donne d'une main pour reprendre de l'autre ? Quel est donc ce Gouvernement qui pense d'abord - et seulement - à son image ? D'autant qu'il envisage de supprimer le complément de ressources de 179 euros des personnes handicapées éloignées du marché du travail depuis plus d'un an. C'est scandaleux !

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Amiel .  - L'AAH a vocation à garantir un minimum de ressources aux personnes handicapées qui ne disposent d'aucun ou de faibles revenus. Elle est subsidiaire : ce n'est que si les droits à l'invalidité et aux avantages vieillesse sont inférieurs à un certain seuil que l'AAH sera versée ; elle est encore différentielle, familiarisée et non contributive - en quoi elle relève de la solidarité.

Doit-elle être considérée comme une aide individualisée, comme le suggère cette proposition de loi ? La logique de solidarité, nationale ou familiale, s'articule avec celle de la compensation, assurée par la PCH versée par les conseils départementaux.

L'AAH, qui fait partie des minima sociaux, devrait-elle devenir une prestation compensatoire ?

Le montant de l'AAH, de 819 euros depuis le 1er avril 2018, passera à 860 euros au 1er novembre 2018 puis à 900 euros au 1er novembre 2019, soit un investissement total de 2 milliards d'euros. Cette augmentation s'accompagne d'un abaissement du plafond des revenus pour un couple avec toutefois un coefficient de 1,9, contre 1,5 pour le RSA, et 1,8 en 2019 : si le montant augmente, le taux du cumul diminue. L'objectif est de faire bénéficier de cette augmentation à ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les personnes seules.

Nous ne voterons pas cette proposition de loi qui n'aborde le sujet que de façon parcellaire et réductrice, même si l'intention est louable.

Il restera à réfléchir sur les minima sociaux et la spécificité des allocations pour le handicap ; il faudra aussi prendre en compte les personnes handicapées vieillissantes les plus démunies qui devraient, selon moi, bénéficier de structures d'accueil spécifiques.

Restera aussi à réfléchir à des minima différenciés selon l'âge, les territoires, le statut des bénéficiaires, et aux moyens de faire en sorte que plus personne ne vive sous le seuil de pauvreté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Éliane Assassi .  - Notre groupe a fait le choix de déposer au Sénat le texte porté à l'Assemblée nationale par Marie-George Buffet, cosigné par des députés issus de groupes allant des Républicains à la France insoumise, en passant par La République en marche. Nous pensions trouver un accord au Sénat. Aussi avons-nous été surpris du sort que lui a réservé la commission des affaires sociales, pointant son coût et réclamant une refonte complète de l'ensemble des dispositifs existants.

Oui, cette proposition de loi a un coût. Oui, une réforme globale des aides sociales pour lutter contre le non-recours est indispensable. Mais notre rôle est aussi d'envoyer un signal positif à ces personnes en situation de handicap qui se sentent rejetées, traitées comme des citoyens de seconde zone. Il faut remettre de l'humain au coeur des décisions politiques. Après les paroles du candidat Macron, les annonces à grand renfort de communication, passons aux actes !

Car les personnes handicapées ont subi toute une série de reculs depuis un an : la suppression du complément de ressources - 175 euros en moins par mois -, la baisse de 100 à 20 % de l'obligation de logements neufs accessibles dans la loi ELAN, la suppression de la prise en charge des sorties thérapeutiques pour ceux qui veulent rejoindre leur famille le week-end. Sans parler de la baisse des APL, la hausse de la CSG ou la fin de l'indexation des pensions de retraite, qui touchent tous les Français. Tout concourt à la dégradation des conditions de vie des personnes en situation de handicap, qui ne sont hélas pas toutes employables.

Accorder l'AAH à l'ensemble des femmes et des hommes qui ont un taux d'incapacité supérieur à 80 % est un impératif, une exigence de dignité. Individualiser l'AAH s'impose. Je songe à Marie, hémiplégique depuis dix ans et dépendante de son mari, privée de l'AAH et de la pension d'invalidité parce que celui-ci gagne plus de 2 200 euros par mois. Son témoignage, publié par l'Association des paralysés de France (APF), est éloquent.

Trop de personnes handicapées dépendent de la solidarité familiale pour payer leur loyer, leurs courses... L'État, madame la ministre, doit leur garantir des conditions de vie dignes ! Préférez-vous laisser la situation des personnes handicapées au point mort ? (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR.)

M. Marc Laménie .  - Je salue le travail de Mme Cohen et de ses collègues du groupe CRCE sur ce sujet sensible. Instaurée par la loi du 11 février 1975, l'AAH assure un minimum de ressources aux personnes en situation de handicap. Son attribution est conditionnée par différents critères, dont les revenus du foyer du demandeur. Cette proposition de loi supprime la prise en compte des revenus du conjoint pour l'établissement du plafond de ressources.

Il convient de prendre en compte les enjeux sociaux de solidarité. Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, Arnaud Bazin et Éric Bocquet, ont insisté, lors de l'examen du projet de loi de finances 2018 sur ces publics fragiles. L'AAH représente 9,7 milliards au sein de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Tâchons d'associer à la concertation les acteurs : associations, fédérations d'employeurs, Conseil national consultatif des personnes handicapées. Il est à craindre que, cette année, la revalorisation promise par le président de la République se heurte à des difficultés budgétaires non anticipées. L'AAH n'est pas une aide comme les autres.

La délégation aux droits des femmes du Sénat aurait aussi son mot à dire - j'en fais partie et sais les situations sensibles dont elle a à connaître. (Mme Laurence Cohen approuve.)

Philippe Mouiller, rapporteur pour avis sur cette mission, a expliqué pourquoi il n'était pas opportun de supprimer la prise en compte des revenus du conjoint. L'AAH n'est pas la PCH : raisonner en termes de foyer s'entend. Il conviendrait d'ailleurs de réviser le périmètre et le montant de la PCH et de veiller au maintien des compléments de ressources.

Je suis souvent d'accord à titre personnel avec les positions du groupe CRCE. Mais je suivrai ici mon groupe qui suivra, quant à lui, la commission des affaires sociales dont j'ai été membre quelques années, et dont je connais le travail de qualité. Je voterai donc contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Maurice Antiste .  - En mai dernier, j'attirais l'attention de la ministre de la Santé sur les règles de calcul de l'AAH, dégressive puis supprimée dès lors que le conjoint gagne plus de 2 252 euros par mois.

On m'avait répondu qu'à l'occasion de la revalorisation annoncée, le coefficient multiplicateur passerait de 190 à 180 %. Mais baisser le plafond simultanément renforce la dépendance financière des personnes handicapées à leur conjoint ! La revalorisation ne bénéficiera pas à 250 000 allocataires en couple. Et le Gouvernement économisera 450 millions d'euros par an, soit 80 % du coût de l'augmentation.

Quid en outre du complément de ressources que touchent 65 000 personnes ? Disparaîtra-t-il au profit de la majoration de l'allocation pour la vie autonome ?

Cette proposition de loi est vitale pour nos concitoyens handicapés à qui nous devons des garanties financières, au nom de la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Laurence Cohen .  - Si l'article premier n'est pas voté, notre proposition de loi tombe entièrement...

Mme la ministre nous dit que le Gouvernement fait un effort financier considérable envers les personnes en situation de handicap : 2 milliards d'euros sur le quinquennat, soit 400 millions par an selon mes calculs, ce qui est assez modeste... L'exonération des cotisations patronales, qui prive le budget de la sécurité sociale de ressources, représente 20 milliards d'euros par an de cadeau aux entreprises, pour des emplois qui ne sont pas créés !

Vous revalorisez l'AAH, certes, mais abaissez les plafonds : vous reprenez donc d'une main ce que vous donnez de l'autre...

Vous parlez d'un revenu universel d'activité mais quid des personnes handicapées qui n'ont pas d'activité professionnelle ? Vos arguments n'infirment en rien le bien-fondé de notre proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Cette proposition de loi est essentielle. On sent nos collègues de droite bien embarrassés. Reconnaissez que sur le fond, cette proposition de loi est cohérente avec la philosophie de cette allocation : c'est bien une aide compensatoire du handicap. Voilà ce qui devrait nous unir.

Vous arguez de la nécessité de mener une réflexion globale - mais qui peut le plus peut le moins !

Au bout du compte, avec la baisse des plafonds, la revalorisation de l'AAH ne bénéficiera pas à grand monde. Tout est rogné petit à petit dans notre pays. Par exemple, le nombre d'orthophonistes ne cesse de chuter dans nos villes alors que la réussite scolaire des enfants suppose un suivi. Dans l'Essonne, le nombre de salariés de l'Éducation nationale à la disposition des instituts médico-éducatifs recule. Dans une société qui a du mal à reconnaître que les différences sont une chance, que chacun apporte quelque chose à la société, l'effort financier ici demandé est dérisoire comparé à des cadeaux fiscaux faits par ailleurs... (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur .  - Une précision, madame la ministre : le montant individuel de l'allocation aux adultes handicapés ne peut dépasser le plafond individuel, même lorsque le bénéficiaire est en couple. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Esther Benbassa .  - L'autonomie de la femme handicapée est un enjeu majeur. La faire dépendre des revenus du conjoint est d'un autre âge ; cela ne correspond plus à la place que les femmes occupent aujourd'hui dans la société. Les femmes sont la moitié de l'humanité, même handicapées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Arnaud Bazin .  - Rapporteur spécial de la mission « Solidarité » avec Éric Bocquet, je comprends l'inspiration de cette proposition de loi mais elle n'est absolument pas financée et aggraverait encore le déficit.

En revanche, il est temps de mettre fin au jeu de bonneteau du Gouvernement qui reprend, entre la suppression du complément de ressources, la désindexation, le calendrier décalé et défavorable et la baisse du coefficient, ce qu'il donne avec la revalorisation !

Tout cela est totalement illogique et trompe les personnes handicapées, qui ne verront pas la traduction concrète des annonces.

Il faudra éviter ce désagréable malentendu dans le cadre de la loi de finances - pas de cette proposition de loi qui n'a pas vocation à prospérer.

Mme Laurence Cohen.  - Vous pourriez émettre une abstention positive...

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Je partage la position de Mme Duranton : il faut clarifier le paysage des prestations. Un scrutin public a été demandé, preuve d'une volonté de dénoncer nommément ceux qui ne voteraient pas cette proposition de loi. Je trouve cela scandaleux. Au Parlement, chacun prend ses responsabilités, le statut de parlementaire nous protège. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants ; M. Éric Gold applaudit également.)

Mme Éliane Assassi .  - Je ne peux laisser dire cela. Le résultat du scrutin public, c'est-à-dire le nom de chaque votant, paraîtra au Journal officiel.

M. Alain Milon, président de la commission.  - Et sur Twitter ?

Mme Éliane Assassi.  - Je ne suis pas Twitter ! Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste n'est pas Twitter ! La publication du scrutin public au Journal officiel, c'est un acte citoyen, pas une dénonciation. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

À la demande du groupe CRCE, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°6 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 270
Pour l'adoption   99
Contre 171

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté, non plus que l'article 3.

ARTICLE 4

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur .  - Je remercie Mme Van Heghe d'avoir souligné que le vote de cette proposition de loi aurait été un bon signal pour les personnes en situation de handicap. Merci à Laurence Cohen d'avoir repris cette proposition de loi ; à Mme Assassi d'avoir parlé d'humain et de personnes.

Je ne partage pas les arguments de ceux qui ont voté contre ou se sont abstenus. L'AAH est un minimum social, oui, mais au même titre que le RSA ? Les personnes qui touchent l'AAH, handicapées à au moins 80 %, n'ont pas de perspectives d'amélioration financière, au contraire des chômeurs que le RSA aide à rebondir. L'amalgame n'est pas judicieux.

M. Guillaume Arnell.  - Il n'y a pas d'amalgame !

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur.  - C'est une argumentation assez hypocrite, pour tenter de justifier une position politique. J'ai été surprise de voir qu'aucun amendement n'avait été déposé en commission ! Vous auriez pu le faire, notamment sur son financement. (Mme Éliane Assassi renchérit.) Aucun groupe n'a jugé utile de le faire. (Protestations sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe RDSE ; applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteur.  - Décidément, vous n'avez pas envoyé un signal positif aux personnes en situation de handicap. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

L'article 4 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Les articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, il n'y a plus de texte. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.

Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Dette publique, dette privée : héritage et nécessité ? ».

M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste .  - Mettre en débat l'enjeu de la dette n'a rien d'anodin à la veille de l'examen d'un projet de loi de finances qui veut accélérer la baisse du déficit public et des prélèvements obligatoires, portant ainsi un nouveau coup à notre modèle social.

C'est pourtant avec la dette publique que nous avons redressé la France ravagée après la Seconde Guerre mondiale, reconstruit nos ponts et nos routes, développé notre réseau d'autoroutes et nos aéroports, notre patrimoine locatif social en réponse au mal-logement, généralisé la sécurité sociale, équipé le pays en hôpitaux, lancé la fusée Ariane, construit le TGV... Chaque fois que l'attractivité de notre pays l'a exigé, nous avons utilisé la dette publique comme moteur d'avancées.

C'est avec la dette publique que les collectivités territoriales ont répondu, dans les années 1980, au défi de la décentralisation. C'est avec la dette publique qu'elles protègent aujourd'hui les zones naturelles sensibles, développent les transports publics !

Mais c'est aussi la dette publique qui a payé nos aventures coloniales, les restructurations économiques, les réductions d'impôt et allégements de cotisations sociales injustifiés, les déficits publics consentis au nom de la compétitivité.

Belle compétitivité, qui fait de la France l'un des pays où les ménages et les entreprises sont les plus endettés !

À la fin du premier trimestre 2018, l'endettement des ménages approchait 95 % de leur revenu disponible, contre 53 % en 2000. L'inflation a consommé une part essentielle du loyer de l'argent.

Nous avons hérité de la nécessité de souscrire des dettes, publiques et privées. Nous n'en serons pas les contempteurs. Leur montant peut préoccuper, certes, mais à l'aune de leur contenu et des contreparties.

Un État qui s'endette auprès des marchés financiers - car c'est là que vont les 43 milliards d'euros de service de la dette - parce qu'il renonce à des recettes fiscales en espérant des retombées économiques, c'est aussi peu pertinent qu'une famille qui finance ses dépenses quotidiennes par le crédit renouvelable !

Même quand le budget de la France était à l'équilibre, il y a toujours eu une dette publique, ne serait-ce que pour proposer un produit d'épargne sécurisé. Le marché boursier était largement dominé par les titres obligataires. Durant les Trente Glorieuses se développait la bancarisation de l'économie - mais à l'époque, le secteur bancaire était largement nationalisé.

Comment faire sans engagement financier des banques, alors que nos entreprises ont besoin de 1 600 ou 1 700 milliards d'euros pour développer leur activité ?

Je ne peux que pointer les errements d'un passé plus ou moins récents : le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), bientôt transformé en allègement pérenne de cotisations, aura mobilisé 85 milliards d'euros depuis 2013, dont 20 à 24 proviennent de l'accroissement de la dette. Pour éponger la facture, on a relevé le taux de la TVA, ce qui a porté atteinte au pouvoir d'achat des ménages et à la capacité d'autofinancement des collectivités locales.

Les collectivités locales, justement, en ont payé le prix via les baisses de la dotation globale de fonctionnement (DGF), de 3,8 milliards d'euros chaque année. Au total, 55 milliards de DGF perdus depuis 2012... et il semble que dans le même temps, il ait manqué 57 milliards aux collectivités territoriales pour maintenir leur dette au niveau de 2012 !

Quel impact du CICE sur l'emploi ? Selon les plus optimistes, il aurait permis de préserver ou créer à peu près 250 000 emplois ; le comité de suivi, plus prudent, avance le chiffre de 100 000. L'effet a été positif sur les salaires moyens mais pas sur le salaire d'embauche ou les augmentations salariales. Sur l'investissement, pas d'effet sensible.

Avec le CICE, on a abandonné 80 milliards d'impôts sur les sociétés et 4 milliards d'impôts sur le revenu. Cela fait beaucoup en prestations sociales.

Pourquoi le taux d'endettement des ménages français a-t-il augmenté ? La hausse des prêts immobiliers, liée à la détente des taux d'intérêt, les incitations à l'achat d'un véhicule à crédit ont joué. Mais endettement signifie aussi insuffisance de revenu et d'épargne.

N'oublions pas que c'est l'endettement privé qui a mené les économies occidentales à la crise financière - éclatement de la bulle immobilière en 1992-1993, thrombose des subprimes en 2008 - avec pour conséquence une récession et l'explosion de la dette publique.

Nous ouvrons le débat pour que chacun apporte son éclairage, en souhaitant que ce débat devienne public, car chacun doit avoir son mot à dire sur la question de l'argent. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Vincent Delahaye .  - Je remercie le groupe CRCE de nous donner l'occasion de nous exprimer sur un enjeu majeur des finances publiques : la dette publique, passée de 15 % de la richesse nationale en 1974 à près de 100 % aujourd'hui - soit 2 300 milliards d'euros - et qui ne cesse de prendre de l'ampleur.

Notre collègue Savoldelli a rapporté l'endettement des ménages à leur revenu disponible. J'ignore ce qu'est le revenu disponible de l'État...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Comparaison n'est pas raison !

M. Vincent Delahaye.  - ... mais si on rapporte la dette publique aux recettes de l'État, il faudrait plus de sept ans pour la rembourser. Pour que ceux qui nous écoutent, et je les espère nombreux, se fassent une idée : la dette publique, c'est 136 000 euros pour une famille de quatre personnes !

Le chiffre officiel de la dette cache un trou noir, que notre collègue Savoldelli a complètement oublié. Ce sont les engagements hors bilan, un fourre-tout où les gouvernements successifs ont enfoui les sommes qu'ils anticipaient devoir payer un jour sans réellement s'en soucier. À hauteur de 1 000 milliards d'euros il y a douze ans, ils flirtent désormais avec les 4 000 milliards d'euros si bien que la dette publique réelle dépasse les 6 000 milliards d'euros.

Depuis trop longtemps, la réduction de la dette est une chimère dans notre pays. Les gouvernements promettent, la main sur le coeur, de s'y attaquer. Très rares sont les résultats, abondants sont les rendez-vous manqués et les excuses démagogiques. Cette lâcheté coûtera cher aux générations futures. Certains pensent que l'État ne se gère pas comme une entreprise, pas moi. Les cigales finissent toujours par passer à la caisse...

Il existe, bien sûr, une bonne dette. La bonne dette est celle qui finance l'innovation et la croissance de demain...

M. Jean-François Husson.  - Très juste !

M. Vincent Delahaye.  - La mauvaise dette finance le fonctionnement d'un État trop lourd et trop inefficace. C'est elle qui domine dans une France, qui ne parvient pas à la faire reculer. Un seul exemple : sur les 50 000 suppressions de postes promises par le candidat Macron, seuls 1 600 ont été supprimés en 2018, 4 100 le seront en 2019. Soit, en deux ans, à peine 11 % de l'effort total quand il aurait dû être de 40 %.

Le budget proposé pour 2019 est loin d'illustrer une gestion rigoureuse. La dépense publique augmentera de 2,2 % soit 24 milliards d'euros ; et la rigueur budgétaire n'est pas au rendez-vous puisque le déficit public avoisinera les 100 milliards d'euros, soit davantage que le produit de l'impôt sur le revenu. Pour le combler, il faudrait doubler l'impôt sur le revenu ou augmenter de 50 % la TVA.

Une gestion rigoureuse de l'argent public, c'est d'abord retenir une hypothèse de croissance prudente. Celle du Gouvernement est bien trop optimiste. À mon sens, il aurait fallu tabler sur le consensus des économistes, qui est à 1,7 %, moins 0,5 %, soit 1,2 %. C'est primordial si l'on veut réduire la dette d'autant que le contexte international est incertain : tarif du baril, taux d'intérêt, guerres commerciales et j'en passe...

Sans grande réforme de l'action publique, nous n'aurons que des réformes au fil de l'eau et nous baignerons dans une insouciance irresponsable, bien loin d'un État moderne, c'est-à-dire modeste.

N'oublions pas que le véritable prix payé par les prochaines générations sera celui des intérêts de la dette. C'est l'un des principaux postes budgétaires avec 41,2 milliards d'euros, soit l'équivalent du budget de l'Éducation nationale. Personne ne peut soutenir qu'il s'agit d'un investissement pour l'avenir puisque cet argent va aux marchés financiers que mes collègues de gauche aiment tant. Ce qui rend la France, contrairement au Japon qui a une dette plutôt nationale, très dépendante de l'étranger. Le jour où les marchés se retourneront, nous serons en grande difficulté.

D'ailleurs, la Banque centrale européenne prévoit de relever ses taux après l'été 2019, ce qui fragilisera les pays de la zone euro particulièrement endettés. Selon l'Agence France Trésor, une hausse de 1 % des taux alourdirait la charge de la dette de 2,4 milliards la première année et de 8,5 milliards d'euros d'ici trois ans. Pas vraiment une bagatelle budgétaire... Et voici que le Gouvernement continue d'emprunter : il bat même des records en prévoyant de se financer sur les marchés à hauteur de 228 milliards d'euros en 2019 !

Monsieur le ministre, vous dont la formation politique voulait changer le monde politique, commencez par changer la politique budgétaire. Vous voulez une France en marche, faites en sorte que la France cesse de marcher sur la dette !

M. Jean-François Husson.  - Très bon !

M. Vincent Delahaye.  - C'est notre responsabilité envers nos enfants. Pensez au vers de Corneille : « Que de maux et de pleurs nous coûteront nos pères ! » (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ; M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. Jean-Pierre Decool .  - Nous y sommes presque : la dette publique représente 100 % du PIB, ce qui ne s'est jamais vu en temps de paix, et la dette privée atteint les 130 % du PIB. C'est dire l'urgence qu'il y a à la réduire.

Une urgence politique, d'abord. La dette représente un fardeau pour les générations futures, mais aussi pour la France menacée de déclassement économique vis-à-vis de voisins européens qui ont débuté, eux, un vigoureux désendettement. Comment peser politiquement en demeurant l'homme malade de l'Europe ?

La réduction de la dette est une priorité pour préserver notre souveraineté. Avec une dette à 100 % du PIB, une remontée des taux d'intérêt représente un danger de premier ordre. Le service de la dette est déjà le deuxième poste de dépenses de l'État, soit cinq fois plus que le budget de la justice. En l'absence d'une politique de consolidation budgétaire, la hausse de la charge de la dette risque de devenir incontrôlable.

Deuxième urgence : contrer l'instabilité que la dette privée fait peser sur notre économie. La dette des entreprises et des ménages atteignait 130 % du PIB en 2017, contre moins de 100 % en 2007. Rappelons que la crise financière de 2008 était d'abord une crise de la dette privée. En dépit du renforcement des règles prudentielles, les politiques monétaires accommodantes, la hausse des prix de l'immobilier et le retour de la croissance font peser des risques sur cet endettement. Je déplore qu'aux États-Unis et ailleurs certains appellent à démanteler les institutions et les normes que nous avons mises en place. Au contraire, il faut continuer à s'engager pour une finance plus saine, plus responsable et mieux encadrée ; un engagement qui n'a de sens qu'au niveau européen.

Troisième urgence : rompre avec un État dopé à la dépense publique. C'est un enjeu de souveraineté. Cette question sera le juge de paix du quinquennat d'Emmanuel Macron. Pour l'heure, les conditions ne sont pas réunies pour une diminution ambitieuse de la dépense publique qui permettrait de réduire la dette publique. Le nombre de fonctionnaires baisse trop lentement ! C'est pourtant la responsabilité de notre génération de lever cette hypothèque qui pèse sur l'avenir de nos enfants.

M. Jean-François Husson .  - Oui, la dette publique est un lourd héritage laissé en fardeau aux générations futures. En revanche, ce n'est pas une fatalité. Elle n'est pas, contrairement à ce que pensent nos collègues du CRCE, dictée par les marchés ou la technocratie de Bruxelles. Elle résulte des inconséquences budgétaires des gouvernements qui se sont succédé. C'est la fable de La Fontaine, celle de la cigale « qui se trouve fort dépourvue quand la bise fut venue ».

La France dépense 280 milliards d'euros de plus que l'Allemagne, elle est la championne européenne de la dépense publique depuis 2016. Sans hausse de la fiscalité ou retour de la croissance, il n'y aura pas de réduction de la dette publique. Or la France est aussi la championne des prélèvements obligatoires, et sans que son niveau de recettes ne couvre son niveau de dépenses. D'où un ras-le-bol fiscal, qui obère toute hausse de fiscalité.

Quelles marges reste-t-il ? La lutte contre la fraude fiscale, dont notre collègue Bocquet a montré l'importance. Le dernier scandale illustre l'ampleur du phénomène : les États européens auraient été floués de 55 milliards d'euros par an depuis quinze ans ; la France, de 3 milliards d'euros chaque année. Mais la lutte contre la fraude fiscale ne suffit pas. Reste la maîtrise de la dépense. Tous nos voisins ont fait des efforts pour réduire leur dette. La France se targue d'être passée en dessous de 3 % de déficit alors que l'Allemagne a réduit son endettement de quatre points entre 2016 et 2017. Les pays européens sont déjà à l'équilibre ou en excédent budgétaire ; nous, au contraire, ne faisons qu'augmenter notre dette.

Cela n'a rien de nouveau. Soit les gouvernements ont laissé filer les déficits, soit ils ont subi des crises qui ont accéléré l'endettement. Résultat : 20 % d'endettement en 1980, 56 % en 1995, 67 % en 2005 puis explosion avec la crise de 2008 à 83 %.

Malgré des taux d'intérêt extrêmement bas, la charge de la dette représente le deuxième budget de l'État, après l'enseignement scolaire. Elle absorbe plus que ce que rapporte l'impôt sur les bénéfices des entreprises et la taxe sur les carburants.

Mais, à court terme, le plus inquiétant est l'envolée de la dette des entreprises. La Banque de France s'inquiète de l'endettement croissant des entreprises - 73 % contre 61 % en moyenne dans la zone euro, ce qui justifie une vigilance renforcée, selon le Haut Conseil de stabilité financière.

Le risque de crise systémique n'a pas disparu. La bulle des crédits aux économies émergentes, la situation italienne, tout comme la bulle immobilière au Canada sont autant de risques qui pourraient nous toucher, et la dette brise nos capacités d'investissement. Tout doit être fait pour réduire notre dette publique et notre dette privée avant que ne s'enclenche une spirale négative qui pourrait être mortifère ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Didier Rambaud .  - Monsieur le ministre, je salue votre nomination à la tête d'un secrétariat chargé du Numérique auprès du ministre de l'Économie et des Finances et du ministre de l'Action et des Comptes publics. Nous y voyons une structuration intelligente pour transformer durablement l'administration.

En 2017, la dette des administrations publiques a atteint 98,5 % du PIB et devrait atteindre 98,7 % du PIB en 2018. En l'absence de transferts internationaux, les dépenses publiques sont financées par l'impôt, les contribuables d'aujourd'hui, ou par l'emprunt, les contribuables de demain. La charge de la dette est relativement stable depuis vingt ans, à 42 milliards d'euros, grâce à la baisse des taux d'intérêt. Le niveau élevé de dette publique n'est pas propre à la France. Dans les pays développés, l'encours de la dette publique a quasiment doublé entre 2007 et 2017, de 71 à 105 % du PIB. Cette forte évolution à la suite de la crise de 2007 a joué un rôle de stabilisateur macroéconomique, grâce à des actions concertées de relance au sein du G20. Cela doit nous rappeler une évidence : il faut tâcher de résorber les déficits en haut de cycle.

En 2007, le gouvernement décide une baisse ciblée de la fiscalité sans diminuer la dépense publique. La dette publique progresse à 68 % en 2008, le déficit est proche de 3 %. Autrement dit, la France a les mains liées pour faire face au choc qui arrive.

Les risques d'un niveau trop élevé de dette publique sont pourtant bien définis par les néo-classiques : ils sont associés à un moindre niveau d'investissements privés et à une pression déflationniste.

L'endettement des entreprises et des ménages représente 130 % du PIB, supérieur à celui de l'Allemagne, mais inférieur à celui du Royaume-Uni et des États-Unis - qui dépasse les 150 % du PIB. La question du niveau d'endettement ne doit se poser qu'au regard des dépenses financées ; les entreprises et les ménages ont pu profiter des taux extrêmement bas pour financer des investissements.

Pour autant, des motifs d'inquiétude existent : des bilans de banques anormalement élevés, relevés par la Banque des règlements internationaux en septembre dernier ; des tensions commerciales internationales qui ont déjà des effets concrets en Chine.

Pour finir, deux évidences. La première est qu'il faut réduire la dette. Le Gouvernement s'est engagé sur une trajectoire. La dépense de l'État se contractera de 0,8 %. C'est inédit, c'est la première fois depuis cinq quinquennats, même si c'est difficile à croire.

Deuxième évidence, une surveillance accrue au niveau européen est indispensable. La crise grecque et la crise espagnole en ont montré la nécessité. Depuis, la surveillance budgétaire a été renforcée avec le six-pack, le two-pack, et le TSCG. Les efforts de convergence doivent être accentués. Pour mieux accompagner les chocs et les bas de cycles, une assurance fédérale pourrait être mise en place et donnerait un signe fort aux populistes. Pourquoi pas un système européen d'assurance chômage, pour accroître l'harmonisation des marchés du travail européens ?

M. Éric Bocquet .  - La dette publique est devenue la clef de voûte de la construction du budget. « La France vit au-dessus de ses moyens », « Si nous ne faisons rien, nous irons tout droit à la faillite », ce discours officiel ne résiste pas à un examen approfondi. Est-il pertinent de comparer la dette d'un pays à celle d'un ménage ? Un pays ne meurt pas et ne peut pas être saisi... Comment ne pas prendre en compte le patrimoine, les actifs existants dans le pays ?

Peut-on envisager la dette publique sans regarder la dette privée ? Il faudrait, de plus, ajouter le patrimoine des ménages français estimé à plus de 10 000 milliards d'euros. Pourquoi rapporter la dette, dont le remboursement s'échelonne sur plusieurs années, à une valeur annuelle, le PIB ? Cela n'est jamais le cas pour un ménage. Avec le même mode de calcul, on démontrerait qu'un couple gagnant 32 000 euros par an et contractant une dette de 200 000 euros pour s'acheter un appartement qu'ils remboursent pendant vingt-cinq ans, est endetté à 625 % ! Or c'est la situation de nombre de nos concitoyens.

Pourquoi la Commission européenne, si prompte à imposer l'austérité, ne commence-t-elle pas par condamner les paradis fiscaux en Europe ?

Le budget de la France n'est plus équilibré depuis 1973. Le 3 janvier 1973, les gouvernants de l'époque décidèrent que l'État pourrait se financer auprès des marchés financiers. Puis le traité de Maastricht de 1992, en son article 104, interdit à la Banque centrale européenne et aux banques nationales d'accorder des prêts aux « institutions ou organes de la communauté, aux autorités régionales ou locales ». En 1974, la dette française représentait 14,5 % du PIB ; fin 2017, elle avait atteint le chiffre de 99,2 %.

Il convient de nommer et d'identifier les marchés financiers. Ils sont parfois désignés sous le pseudonyme de « Zinzins » - non parce qu'ils sont fous, bien qu'on puisse parfois le penser - mais parce qu'ils sont constitués d'investisseurs institutionnels, c'est-à-dire des fonds de pension anglo-saxons, des fonds d'investissement et des compagnies d'assurance et des banques. Chaque année, nous leur versons entre 42 et 50 milliards d'euros, soit 600 Airbus, au service de la dette - curieuse expression. Le budget de la République ne devrait-il pas d'abord servir l'intérêt général ?

Les économistes orthodoxes nous expliquent doctement que la dette provient d'une incurie et d'une gabegie de l'État. Or la dépense publique reste stable en proportion. Non, le problème vient du déficit de recettes, pas d'un prétendu excès de dépense. Un audit sérieux et intégral de notre dépense publique s'impose.

Depuis quarante ans, la France a payé plus de 1 400 milliards d'euros à ses créanciers. Et il faut tenir compte de l'impact des dégrèvements et abattements, ainsi que des effets de l'évasion fiscale. Si l'État s'était endetté auprès des banques ou des ménages, la dette publique serait inférieure de 29 points du PIB à son niveau actuel.

Maurice Allais disait que la création monétaire devait relever de l'État, et de l'État seul. La Banque centrale européenne ne doit-elle pas jouer ce rôle ? C'est une question politique majeure car, comme Thomas Jefferson le disait, que « celui qui contrôle l'argent de la Nation, contrôle la Nation ». Pour finir, une citation de Gilles Deleuze : « L'homme n'est plus l'homme enfermé, mais l'homme endetté. » (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Patrice Joly .  - La dette publique serait une des causes, sinon la cause principale, de nos maux. Nous vivons au-dessus de nos moyens, ce qui ferait courir un risque lourd et injuste aux générations futures... Qu'en est-il réellement ? La dette publique approche les 100 % du PIB, elle est d'abord celle de l'État, contre 130 % pour la dette privée - ce qui est inférieur aux taux donnés au Japon, aux États-Unis ou au Royaume-Uni où il est de 156 %. Pourquoi, alors, tant s'en inquiéter ?

Depuis les années 1980, son poids est devenu l'argument principal des économistes néolibéraux pour justifier le retrait de l'État. D'abord, le ratio dette/PIB devenu l'indicateur privilégié, rapporte un stock à un flux ; il faudrait comparer la dette au patrimoine public.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Juste !

M. Patrice Joly.  - Ensuite, la dette est sans cesse ramenée à une année de production, alors qu'elle s'engage sur le long terme. Enfin, les dépenses de l'État dans l'éducation, l'innovation ou encore les infrastructures sont aussi d'investissement et profiteront aux générations à venir.

Brandir la menace d'une dette atteignant les 100 % de PIB est une manipulation politique. C'est une façon de réduire les choix dans les manières d'organiser la société et de concevoir la place de l'État. Elle est pourtant salutaire pour les classes moyennes et les plus pauvres, pour ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir une autre protection et d'autres services que ceux assurés par le service public. Les transferts sociaux et fiscaux diminuent le taux de pauvreté monétaire de 8 points. La France se situe ainsi parmi les pays où la redistribution sociale est la plus élevée. Ce n'est pas un problème, c'est clairement une solution !

La dette ne servirait qu'à payer des fonctionnaires improductifs ? Leur valeur ajoutée s'élève à 333 milliards d'euros, ce qui représente un tiers de celle des salariés des entreprises de droit privé.

Historiquement, la France est attachée à l'intervention de l'État dans les domaines régaliens, la santé, l'éducation mais aussi l'économie, ce qui a même donné une doctrine : le colbertisme. L'État aménageur, l'État régulateur, garant du progrès social est constitutif de notre histoire, une histoire qui fait de nous la sixième puissance mondiale. La dette publique génère de la valeur ajoutée, de l'emploi, des infrastructures, de la formation, de l'éducation et de la santé. Et cela fonctionne : nous attirons les investissements étrangers - centres de R&D et centres de décisions. La dette publique est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Les territoires les plus isolés, ruraux, notamment, demandent l'intervention de l'État ! La redistribution des revenus réduit les inégalités. D'autres pays, certes, ont fait des choix différents. S'en portent-ils mieux ? Non : aux États-Unis, l'espérance de vie, à la naissance est inférieure de deux ans et demi à la nôtre ; le coût de la santé y est deux fois supérieur, pour une moindre qualité de soins en moyenne. La dette publique est un outil de régulation, par son action contracyclique.

Si l'on doit s'inquiéter d'une dette excessive, c'est de la dette privée, notamment celle des ménages, surtout depuis la crise de 2007. Le néolibéralisme nous a donné la modération salariale, la contre-révolution fiscale, la théorie du ruissellement, qui n'ont pas fonctionné ! L'endettement des ménages a explosé, mais les néolibéraux n'ont pas désarmé. Les institutions financières telles que le FMI et la Banque mondiale reconnaissent à présent les envers du passé. La prochaine crise est à redouter dans l'innovation sur les crédits à la consommation, mais nous continuons à regarder du côté de la dette publique...

Regardons plutôt du côté du libre-échange ou de la contre-révolution fiscale, engageons une nouvelle relance sociale, la transition économique et écologique, il y a urgence ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. François Bonhomme .  - Le débat nous rappelle un enjeu de taille : celui de la souveraineté. La dette publique, de 96,8 % du PIB en 2017, devait se stabiliser avant de croître pour diminuer à nouveau en 2020. Nous en sommes à 99 % du PIB, soit 34 200 euros par Français... En Allemagne, la dette publique passe sous les 60 % du PIB... Certes, la dette de la SNCF a été comptabilisée... En 2019, l'État empruntera un montant record de 195 milliards d'euros sur les marchés. En cas de remontée des taux d'intérêt, nous pourrions craindre un choc sur notre dette souveraine, mettait en garde le gouverneur général de la Banque de France.

La Banque postale prévoit une remontée des taux des obligations assimilables au Trésor de 1,3 % en 2018 et de 1,6 % en 2019. Le président de la Banque centrale européenne, M. Draghi, envisage une remontée des taux à la mi-2019. Or une hausse de 1 % des taux augmenterait la charge de la dette de 2,1 milliards d'euros en 2019, de 19 milliards en dix ans. Certes, l'OAT 10 ans se situe autour de 0,80 % mais le risque est réel. Surtout que la part détenue par la BCE dans notre dette, de 20 %, va diminuer pour laisser place aux fonds spéculatifs et investisseurs étrangers.

La dette publique est donc un défi pour l'avenir, comme l'a relevé notre rapporteur général. La réalité s'obstine et risque de nous rattraper.

Quand le Gouvernement présentera-t-il des projets de réforme à la hauteur de la situation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Si la dette publique et la dette privée sont des sujets de préoccupation pour le Sénat, elles le sont aussi pour nos concitoyens.

Le service de la dette est un des principaux budgets de l'État ! Certains soutiennent que le niveau de la dette publique n'est pas si grave au regard des actifs qu'on peut mettre en face. Et ils ratissent large, mélangeant actifs publics et privés. Certes, la privatisation d'ADP et de la Française des jeux donnera une bouffée d'oxygène.

M. Pascal Savoldelli.  - C'est du one shot !

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Mais les chasseurs, nombreux dans cet hémicycle, le savent : une fois la cartouche tirée, on est bien démuni surtout si aucune économie budgétaire réelle n'est réalisée... Pourriez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, sur l'affectation des produits de cession ?

De même, l'arrêt du programme de la BCE d'achats d'actifs pourrait avoir un impact. Si elle détient 20 % de nos titres, 53 % sont détenus par des investisseurs étrangers, dont il faut entretenir la confiance dans notre signature...

La dette des ménages atteint 1 163 milliards d'euros soit 130 % du PIB, celle des établissements non financiers 2 187 milliards ; des volumes colossaux, stimulés par des taux artificiellement bas. Ne faut-il pas craindre, en cas de retournement brutal des taux d'intérêt, venant des États-Unis et du changement de la politique de la BCE, que les ménages et les entreprises soient exposés à des défauts de paiement ou des cessions d'actifs immobiliers pour les ménages, provoquant une récession économique ? Notre économie est financièrement fragile, en témoigne le déficit de notre commerce extérieur...

Merci, monsieur le ministre, d'apporter des réponses à nos interrogations et à celles de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Marc Gabouty .  - Le thème mériterait un rapport d'information, voire une thèse... Héritage ou nécessité ? Héritage, nous n'avons pas le choix. Refuser de rembourser nous priverait définitivement d'accès aux marchés. Nécessité ? Oui, aussi, sous certaines réserves. La dette est le carburant du moteur de la croissance ; encore faut-il qu'elle ne noie pas le moteur, comme cela a été le cas en Grèce...

Peut-on agréger dette publique et privée ? Jean Tirole, prix Nobel d'économie, le soutient sans qu'il faille confondre les deux totalement.

Le taux d'endettement des ménages, à 58 % du PIB, reste en France inférieur à celui des Anglais, 86 %, et des Américains, 103 % ; comparativement aux entreprises allemandes, les nôtres sont toutefois deux fois plus endettées.

Allons plus loin avec le taux d'épargne des ménages, qui garantit la capacité à rembourser : le taux annuel d'épargne des ménages se situe entre 14,5 % et 16 %, soit davantage que chez nos voisins, comme le Royaume-Uni où il est de 5 %.

La situation de la dette publique est plus inquiétante car elle n'est pas gagée par l'épargne. Elle atteint 98 % du PIB. Le déficit représente 20 % du budget de l'État et la part de la dette publique concernant l'État six années de recettes ! D'où les objectifs retenus par le Gouvernement de réduction progressive jusqu'à 90 % en 2021-2022. Ils sont tenables, mais nous encourageons le Gouvernement à accélérer la diminution des dépenses publiques.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique .  - Je tiens d'abord à vous remercier d'avoir consacré plus d'une heure à ce sujet, avec passion. Nul doute que nos concitoyens suivront la retransmission de ce débat et ils auront raison !

Oui, la dette est un instrument économique utile, nécessaire même, qu'elle soit publique ou privée. En période de crise, elle finance l'assurance chômage ou la croissance d'une jeune entreprise. Mais pour y parvenir, il faut avoir des marges : c'est le battement entre les périodes d'endettement et de désendettement qui fait la soutenabilité d'une dette.

Certes, elle a augmenté, passant de 64 % à 98 % du PIB entre 2007 et 2017. Mais depuis trente ans, la France n'a jamais mis à profit les périodes de croissance pour réduire son ratio de dette publique.

C'est une exception dans le paysage européen, alors que, depuis 2015, le ratio a reculé de 7 % en Europe. En 2007, nous étions au même niveau que l'Allemagne, mais nous avons divergé depuis.

L'addiction à la dette est un poison lent. On ne marche pas sur la dette, c'est elle qui vous marche dessus. Il est essentiel de la réduire par beau temps, pour faire baisser le service de la dette et nous protéger contre une remontée des taux d'intérêt, sachant qu'un point de taux représente 2 milliards d'euros par an ; pour avoir des marges de manoeuvre par des mesures contracycliques ; pour renforcer notre crédibilité en Europe.

Le Gouvernement a fixé un cap clair : une dette réduite de cinq points et un déficit public proche de zéro en 2022.

Pour cela nous allons réduire la dépense publique grâce à des mesures ciblées, mais aussi en repensant les missions de l'État, avec des réformes structurelles - dans l'éducation et la formation. Il faut prendre les problèmes sociaux à la racine plutôt que par leurs symptômes infinis. Moins de dépenses publiques et de dettes, plus d'investissement et d'innovation...

M. Patrick Chaize.  - C'est quand ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État.  - Lutter contre la dette c'est aussi faire payer leur juste part d'impôt aux géants du numérique.

Pour la dette privée aussi, la hausse est constante depuis dix ans : elle atteint 130 % du PIB fin 2017, dont 60 % pour les ménages et 70 % pour les sociétés non financières. Cette dette croît plus vite que l'activité : il faut des modèles plus solides sur le long terme.

D'abord en rendant des marges aux entreprises pour l'investissement, grâce à la baisse de l'impôt sur les sociétés, grâce à la révolution engagée sur la fiscalité du capital. Le financement en fonds propres de nos entreprises sera facilité par la loi Pacte qui arrivera bientôt au Sénat, après avoir été adoptée à une large majorité par l'Assemblée nationale. (On ironise sur les bancs du groupe Les Républicains.)

La question de la dette a aussi une dimension européenne. L'union monétaire et l'euro nous ont beaucoup apporté depuis vingt ans en contrepartie d'un effort de discipline accru pour les États.

La zone monétaire commune doit cependant être complétée, en achevant l'union bancaire, en renforçant le mécanisme européen de stabilité, en créant un vrai budget de la zone euro.

Le Gouvernement, soyez-en assurés, poursuivra les efforts en ce sens, engagés depuis dix-huit mois. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)

Prochaine séance demain, jeudi 25 octobre 2018, à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 40.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du jeudi 25 octobre 2018

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : Mme Agnès Canayer - M. Victorin Lurel 

1. Questions d'actualité au Gouvernement.

De 16 h 15 à 20 h 15

Présidence : M. Vincent Delahaye, vice-président

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

2. Proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants : un enjeu social et sociétal majeur (n° 565, 2017-2018).

Rapport de M. Olivier Henno, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 26, 2018-2019).

Texte de la commission (n° 27, 2018-2019).

3. Débat portant sur : « La scolarisation des enfants en situation de handicap ».

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°6 sur l'article premier de la proposition de loi portant suppression de la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :343

Suffrages exprimés :270

Pour :99

Contre :171

Le Sénat n'a pas adopté.

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (146)

Contre : 145

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe SOCR (74)

Pour : 74

Groupe UC (51)

Contre : 1 - M. Vincent Delahaye

Abstentions : 49

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Valérie Létard, Président de séance

Groupe RDSE (23)

Pour : 9 - MM. Joseph Castelli, Jean-Pierre Corbisez, Mme Josiane Costes, MM. Ronan Dantec, Joël Labbé, Mme Françoise Laborde, MM. Olivier Léonhardt, Franck Menonville, Raymond Vall

Abstentions : 13

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Didier Guillaume, membre du Gouvernement

Groupe LaREM (22)

Contre : 22

Groupe CRCE (16)

Pour : 16

Groupe Les Indépendants (11)

Abstentions : 11

Sénateurs non inscrits (5)

Contre : 3

N'ont pas pris part au vote : 2 - MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier