Santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer la santé visuelle des personnes âgées en perte d'autonomie.

La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du Règlement du Sénat. Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - La qualité de vie et l'accompagnement de la perte d'autonomie des personnes âgées sont des priorités du Gouvernement. Mieux prendre en charge nos aînés est un devoir de solidarité. Plusieurs réformes sont en cours pour aller vers une société plus inclusive et protectrice de nos aînés : transformation du système de santé, nouvelles synergies entre médecine de ville, hôpital et médico-social, réduction du reste à charge.

Les personnes âgées auront un meilleur accès à certaines prestations dans les domaines de l'optique, du dentaire et de l'audiologie. Concrètement, depuis le 1er janvier, le reste à charge est réduit de 100 euros par oreille. Dès 2020, il sera nul en optique et sur une partie du panier dentaire.

Le Gouvernement a lancé en octobre dernier un débat national autour du grand âge et de la perte d'autonomie. La mission conduite par Dominique Libault formulera des propositions d'ici le mois de mars ; un projet de loi sera ensuite déposé.

Sans remettre en cause ces travaux qui s'inscrivent sur le temps long, la présente proposition de loi répond à la nécessité d'aider les personnes âgées hébergées en Ehpad à disposer de lunettes adaptées à leur correction.

Étant donné la difficulté d'obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologue - qui est appelée à s'aggraver vu la démographie de la profession - des mesures ont été prises pour étendre les compétences des orthoptistes et opticiens-lunetiers.

La proposition de loi initiale permettait aux personnes âgées hébergées en Ehpad de bénéficier d'un test de réfraction et d'une adaptation de leur correction sans devoir se déplacer chez un opticien. Reste qu'il faut s'assurer de la qualité et de la sécurité des soins. Chez le patient âgé, les pathologies oculaires sont nombreuses ; seul un examen ophtalmologique complet permet de les détecter.

C'est pourquoi le Gouvernement rejoint la position de l'Assemblée nationale qui privilégie la voie de l'expérimentation. Celle-ci n'étend pas les compétences des opticiens mais délocalise seulement leur exercice.

Le Gouvernement apporte un soutien pragmatique à ce texte que d'aucuns jugent peu ambitieux. Nous devrons ouvrir le chantier plus large de l'organisation de la filière de santé visuelle. Nous devons nous appuyer davantage sur le numérique : la téléconsultation est remboursée depuis le 15 septembre. Nous héritons d'une démographie médicale en souffrance, et l'élargissement du numerus clausus mettra du temps à produire ses effets. Aussi toutes les solutions doivent être explorées.

Le projet de loi relatif à la transformation du système de santé jettera des ponts entre hôpital, ville et secteur médico-social. L'exercice coordonné a vocation à se développer. Nos propositions viseront à fluidifier les parcours, améliorer la qualité, la sécurité et la pertinence des soins. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Notre commission a examiné le 16 janvier, en application de la procédure de législation en commission, cette proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale à l'initiative du groupe UDI-AGIR.

Son adoption conforme permettra à l'opticien-lunetier d'effectuer un test de réfraction en Ehpad et d'adapter, le cas échéant, l'équipement optique du résident.

C'est un assouplissement bienvenu - mais la commission a fait part des immenses attentes que suscite le sujet de l'accès aux soins visuels. Je crains que cette mesure n'ait dans les faits un impact limité.

L'adaptation de l'équipement optique par l'opticien reste conditionnée à la production d'une ordonnance de moins de trois ans, condition rarement remplie au moment de l'entrée en Ehpad. Ce nouveau droit aura donc du mal à s'appliquer.

Le vrai problème demeure celui de l'accès au prescripteur médical. Comme déléguée à l'accès aux soins auprès de Mme Buzyn, je suis convaincue que le principal défi qui se pose au législateur concerne la délégation d'actes médicaux. La pénurie de l'offre de soins ophtalmologiques a provoqué la montée en compétences des orthoptistes, consacrée par la loi de modernisation de notre système de santé. Malgré ces progrès, cette loi doit être approfondie.

Je crains que l'équipement optique des personnes âgées en Ehpad ne pâtisse de l'inégale répartition de l'offre de soins sur le territoire.

Alors qu'Agnès Firmin Le Bodo voulait habiliter directement les opticiens à effectuer des opérations de réfraction et d'adaptation en Ehpad, les députés LaREM ont exigé l'accord préalable du directeur général de l'ARS, censé éviter toute convention anticoncurrentielle. Ces conventions étant déjà incluses dans le contrôle de qualité externe, c'est une précaution inutile qui risque de compliquer l'accès au droit.

Que révèle l'adoption d'un texte aussi modeste de l'initiative parlementaire ? Les sénateurs ne demandent qu'à vous épauler, madame la ministre, et à vous apporter la richesse et l'expérience que leur confère leur connaissance de terrain.

M. Daniel Chasseing .  - Cette proposition de loi permet aux opticiens-lunetiers de se déplacer dans les Ehpad pour réaliser sur place des tests d'acuité visuelle, dits de réfraction, pour répondre à la perte de mobilité dans une population avec une forte prévalence de troubles de la vue. Actuellement, ils ne peuvent faire de test que dans leur magasin.

Selon une étude bordelaise portant sur 700 personnes âgées de 84 ans en moyenne, 40 % présentaient des troubles de la réfraction non corrigés, pour de multiples raisons : négligence, faible disponibilité des ophtalmologistes, perte de mobilité, coût, résignation. C'est encore plus vrai dans les Ehpad. Or le dépistage et la correction sont essentiels car les troubles de la vue favorisent les chutes.

Il sera important d'adopter la proposition de loi conforme. Un dispositif d'information complémentaire du médecin traitant serait utile. Il serait également judicieux d'autoriser les orthoptistes à pratiquer leurs examens en Ehpad, sous l'autorité d'un ophtalmologiste.

Plus généralement, l'amélioration du parcours de soins et de la qualité de service en Ehpad est une priorité. D'ici 2050, le nombre de personnes âgées dépendantes passera de 1,3 million à 2,6 millions ! Malgré les mesures pour favoriser le maintien à domicile, l'hébergement en Ehpad restera incontournable. Il faudra renforcer l'encadrement, pour une prise en charge décente. En attendant que la sécurité sociale soit à l'équilibre, il faut augmenter dès 2020 les dotations soins des Ehpad. Nous attendons beaucoup du projet de loi à venir sur l'autonomie, car une solidarité digne de nos aînés doit être au centre de notre société.

Le groupe Les Indépendants votera le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La France compte 1,5 million de personnes de plus de 85 ans ; en 2016, 7 500 Ehapd accueillaient plus de 608 000 pensionnaires.

Le dispositif actuel ne permet pas aux personnes hébergées en Ehpad de disposer de lunettes adaptées à leurs besoins. Le délai moyen pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste est de 80 jours. En 2030, la densité de médecins ophtalmologistes sera de six pour cent mille habitants, en baisse de 20 % par rapport à 2016. Près de 40 % des personnes âgées, selon l'Inserm, souffrent de troubles visuels non corrigés. D'où un risque de chute, d'isolement et de perte d'autonomie. Les difficultés de mobilité compliquent les consultations hors Ehpad.

Cette proposition de loi remédie à cette situation en autorisant les opticiens-lunetiers à pratiquer dans les Ehpad des tests de réfraction, qu'ils peuvent déjà réaliser dans leur magasin depuis 2007. Cela ne concerne que le renouvellement d'équipements existants.

La réécriture de l'article unique à l'Assemblée nationale soumet cette possibilité à l'autorisation du directeur de l'ARS, qui ne pourra y recourir que dans un cadre expérimental et pour trois ans. L'expérimentation ne concernera que quatre régions. Ces restrictions excessives risquent d'entraver sérieusement la mise en oeuvre du texte. C'est très regrettable. Dommage aussi que le champ de la proposition de loi n'ait pas été élargi à l'accès aux soins auditifs ou à la réorganisation de la filière visuelle.

Le groupe Les Républicains votera toutefois ce texte malgré son manque d'ambition et les restrictions que l'Assemblée nationale lui a apportées. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et Les Indépendants)

M. Dominique Théophile .  - Je me félicite que le groupe UC du Sénat ait repris cette proposition de loi consensuelle qui améliore le suivi médical des résidents en Ehpad qui sont nombreux à pâtir d'un équipement visuel inadapté. Selon une étude de l'Inserm, 40 % des plus de 78 ans n'ont pas de lunettes adaptées à leur vue. En outre, le délai moyen pour obtenir un rendez-vous en ophtalmologie est de 52 jours. À cela s'ajoute la difficulté à se déplacer. Pourtant, des lunettes adaptées permettent d'éviter les chutes et la vue est un vecteur de socialisation, sachant que d'après le rapport Monalisa, la France est le troisième pays le plus touché par le problème de l'isolement. Or l'impact de la solitude chez les personnes âgées peut être dévastateur, tant sur le corps que sur l'altération de la fonction cognitive.

Le groupe LaREM partage l'objectif de cette proposition de loi. Cette expérimentation sera bénéfique, sans aucun doute. Elle est particulièrement sensée en milieu rural, où l'accompagnement est difficile à mettre en place. Enfin, elle participe de la politique que mène le Gouvernement avec le programme « 100% Santé » visant à faciliter l'accès aux soins des plus démunis.

Le groupe LaREM votera ce texte à l'unanimité.

Mme Laurence Cohen .  - Je regrette le recours une fois de plus à la procédure d'examen en commission qui prive nos concitoyens d'un débat public alors qu'ils demandent plus de transparence.

À cela s'ajoute la pression du Gouvernement pour une adoption conforme, au détriment de nos prérogatives de parlementaires. À l'heure où les gilets jaunes réclament le RIC et critiquent la démocratie représentative, c'est un mauvais signal.

La portée de cette proposition de loi est très limitée. Le secteur mercantile de l'optique pourra se féliciter de cette rustine censée répondre à la pénurie d'ophtalmologistes. Cela s'inscrit dans la droite ligne de la loi Macron de 2015 qui voulait supprimer l'obligation d'ordonnance pour les verres correcteurs et du décret du 12 octobre 2016 qui autorise les opticiens à adapter les prescriptions médicales lors d'un renouvellement, après examen de la réfraction.

Autoriser les opticiens-lunetiers à faire des tests de réfraction dans les Ehpad est une solution simpliste qui ne répond pas au vrai problème qu'est la pénurie d'ophtalmologistes.

La santé visuelle des personnes âgées dépendantes est un sujet très préoccupant. Comment accepter que 40 % des personnes âgées n'aient pas de lunettes adaptées - souvent pour des raisons de coût ?

Attention à ne pas créer de nouveaux problèmes. Comment défendrez-vous les personnes âgées fragiles contre des commerciaux intéressés à vendre leurs lunettes ?

Nous ne contestons pas l'importance du métier d'opticien-lunetier mais les ophtalmologues doivent demeurer la porte d'entrée pour les soins d'optiques. Or leur nombre a diminué de 5,7 % entre 2007 et 2017. Pour inverser la dynamique, nous proposons de supprimer leur numerus clausus, comme le souhaite le président de leur syndicat, Thierry Bour.

Il faut revaloriser la profession et favoriser les installations dans des centres de santé publics accessibles dans chaque canton. Et pour lutter contre les renoncements aux soins, nous proposons que les frais d'optique soient pris en charge à 100 % par la sécurité sociale - et non par les mutuelles qui répercutent les coûts sur les assurés...

Nous regrettons enfin que le texte reste muet sur le manque de personnels dans les Ehpad.

Souhaitons que les projets de Mme Buzyn, dont nous ne savons encore rien, apportent des réponses... En attendant, notre groupe votera ce texte qui apportera une petite amélioration et sera attentif à l'évaluation de l'expérimentation.

M. Yves Daudigny .  - Adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi d'effet limité apporte toutefois des améliorations concrètes. L'accès aux soins visuels représente un défi démographique. Si 40 % des personnes âgées portent des lunettes inadaptées à leur vue, c'est tant pour des raisons financières que par une forme de fatalisme. Le délai moyen pour une consultation chez un ophtalmologiste est en outre de 80 jours - le plus élevé de toutes les spécialités médicales. Le nombre d'ophtalmologistes a baissé de 5,7 % en dix ans et on prévoit une chute de 20 % d'ici 2030.

Or, comme les troubles de l'audition, une vue déficiente se répercute sur la qualité de vie et l'autonomie : risque de chute, marche hésitante, dégradation des échanges sociaux.

Cette proposition de loi permet d'éviter aux aidants ou au personnel soignant des Ehpad de devoir accompagner les personnes âgées pour des examens qui ne peuvent actuellement être pratiqués que dans les magasins des opticiens-lunetiers. Elle n'apporte pas de réponse structurelle au problème d'offre de soins, mais le groupe socialiste votera pour une adoption conforme.

Mme Véronique Guillotin .  - Le titre de ce texte est ambitieux, pour une réalité bien modeste. Nous sommes nombreux à être préoccupés par les inégalités, sociales ou territoriales, dans l'accès aux soins. La santé visuelle des personnes âgées est un vrai sujet d'inquiétude, face à la pénurie d'ophtalmologistes. Le plan de transformation du système de santé a vocation à y répondre. Mais cela prendra du temps, ce qui justifie le recours à des mesures simples et de court terme.

Cette proposition de loi rappelle l'État à son devoir de solidarité envers les plus fragiles. Il est plus difficile pour les résidents d'Ehpad de se déplacer, et la nécessité d'un accompagnement est un frein réel à l'accès aux soins. Or le retard d'accès aux soins est un facteur aggravant de la dépendance.

Le groupe RDSE votera ce texte même s'il regrette son caractère expérimental et son manque d'ambition. Le texte initial ne mettait pas en péril la qualité des soins mais offrait une solution simple, rapide et validée par toutes les parties.

Dans les Ehpad, les personnes âgées sont accompagnées par du personnel soignant à même d'organiser ce type de service. Je serais même favorable à la possibilité d'organiser les tests dans tous les lieux de résidence des personnes âgées, comme cela se passe en dentisterie, y compris à domicile. On sait déjà que les opticiens se rendent à domicile pour présenter leurs équipements et à cette occasion réalisent des tests. Il ne s'agit pas d'une extension des compétences des opticiens mais d'une délocalisation de l'activité. Pourquoi faire déplacer inutilement nos aînés ?

Lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous avons évoqué les transports hospitaliers et alerté sur les difficultés financières des petites entreprises de transport. Une limitation des déplacements serait intéressante pour le patient mais aussi pour les comptes de la sécurité sociale.

Le groupe RDSE votera en faveur de cette proposition de loi et appelle à sa généralisation. Faisons preuve d'audace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

Mme Jocelyne Guidez .  - Les familles françaises font de plus en plus le choix de maintenir leurs aînés à domicile le plus longtemps possible. On entre en Ehpad de plus en plus tard, dans une situation de santé très dégradée. En assouplissant notre droit, nous améliorerons leur qualité de vie.

Je salue le travail de notre collègue députée, Mme Firmin Le Bodo, auteure de la proposition de loi, et de notre rapporteur, Mme Doineau. Nous partageons toutefois sa frustration. En effet, la majorité LaREM a souhaité faire de cette mesure une simple expérimentation - je le regrette car cela empêchera la majorité de nos anciens d'en bénéficier. Le projet de loi initial aurait permis à toutes les personnes en Ehpad de renouveler leurs lunettes sans se déplacer chez un opticien-lunetier. L'autorisation de l'ARS complexifie encore la démarche. En l'espèce, le recours à l'expérimentation n'est pas de bon augure...

Le Gouvernement ne cesse de rappeler qu'il travaille sur un grand texte sur la dépendance. Je regrette que l'on n'ait pas opté plutôt pour une démarche d'amélioration continue. Espérons que les retours d'expérience serviront à améliorer le futur projet de loi.

Parler de la santé de nos anciens, de leur qualité de vie en Ehpad, c'est parler de notre propre avenir et de la solidarité intergénérationnelle que nous voulons. Malgré toutes nos objections, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

La proposition de loi est adoptée définitivement.

Prochaine séance, demain, jeudi 24 janvier 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 17 h 35.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus