Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Modification de l'ordre du jour

Convention internationale (Procédure simplifiée)

Élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct

Discussion générale

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

M. Richard Yung, rapporteur de la commission des affaires étrangères

Exception d'irrecevabilité

M. Jean Louis Masson

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Claude Requier

M. Jean Louis Masson

M. Philippe Bonnecarrère

Mme Colette Mélot

M. François Bonhomme

M. Pierre Laurent

M. Jean-Yves Leconte

M. Alain Richard

Discussion de l'article unique

M. Jean Louis Masson

Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois

Question préalable

Mise au point au sujet d'un vote

Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Question préalable (Suite)

M. Jean Louis Masson

Discussion générale (Suite)

M. Jean Louis Masson

Mme Lana Tetuanui

M. Dany Wattebled

M. François Bonhomme

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Yves Leconte

Questions d'actualité

Actes antisémites (I)

M. Dominique de Legge

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Rétablissement de l'ordre républicain

M. Olivier Cadic

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Prélèvement à la source

M. Bernard Buis

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics

Actes antisémites (II)

M. Olivier Léonhardt

M. Édouard Philippe, Premier ministre

Tarif de l'électricité

Mme Cécile Cukierman

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Actes antisémites (III)

M. Yves Daudigny

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Décrets d'application caméras mobiles

M. Jean-Pierre Decool

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Financement du logement social

M. Philippe Dallier

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement

Épidémie de grippe

Mme Jocelyne Guidez

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Fonction publique

M. Arnaud de Belenet

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics

Retrait américain de Syrie

M. Rémi Féraud

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées

Débat national

M. Cédric Perrin

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Situation d'Arjowiggins

Mme Anne Chain-Larché

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics

Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention

à Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Guillaume Arnell

M. Alain Richard

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

ARTICLE PREMIER

M. Abdallah Hassani

ARTICLE ADDITIONNEL

Explications de vote

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur

M. Jean-Yves Leconte

Annexes

Ordre du jour du mardi 19 février 2019




SÉANCE

du jeudi 14 février 2019

61e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : M. Joël Guerriau, M. Michel Raison.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date du 13 février 2019, M. Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste, a demandé l'interversion de l'ordre d'examen des deux propositions de loi inscrites à l'ordre du jour de l'espace réservé à son groupe du jeudi 21 février 2019.

Convention internationale (Procédure simplifiée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'un projet de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales. Pour ce projet de loi, la Conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République islamique d'Afghanistan, d'autre part. La commission des affaires étrangères est favorable à l'adoption de ce texte.

Le projet de loi est adopté.

Élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la décision du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct.

Discussion générale

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Les élections européennes sont un moment clé de la vie démocratique européenne. Pourtant, le niveau de participation connait une érosion systématique, de 62 % en 1979 à 42 % en 2014.

M. François Bonhomme.  - Et ce n'est pas fini !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - L'enjeu des élections de mai prochain est donc majeur. Sur quelle majorité au Parlement européen le prochain président de la Commission européenne pourra-t-il s'appuyer ? Personne ne peut se satisfaire d'une campagne peu mobilisatrice, plus nationale qu'européenne, d'une participation faible et d'une forme de cogestion entre les principaux groupes politiques au Parlement européen, peu stimulante pour les électeurs.

Le président de la République veut redynamiser le projet européen en renforçant la légitimité, la représentativité et la visibilité du Parlement européen. C'est dans cet esprit que la loi du 7 juillet 1977 relative au scrutin européen a été modifiée en juin 2018 pour rétablir une circonscription électorale unique.

L'Acte électoral de 1976 a aussi fait l'objet d'une procédure de modification lancée par le Parlement européen en 2015, pour rendre le processus électoral plus transparent et plus européen. Car comment expliquer en effet que les règles électorales varient à ce point d'un État à l'autre ?

Dans son rapport d'initiative législative du 11 novembre 2015, le Parlement européen a émis des propositions ambitieuses qui n'allaient pas de soi, étant donné la force des différentes traditions électorales.

Les négociations au Conseil européen ont été difficiles et plusieurs propositions rejetées, sur la fixation d'une date commune ou la participation de citoyens européens résidant à l'étranger par exemple.

Vu l'urgence de donner un nouvel élan démocratique, les négociations ont repris et abouti à un accord entre le Conseil et le Parlement européen en juin dernier. La décision modifiant l'Acte électoral de 1976 a été adoptée par le Conseil des ministres le 13 juillet. Il revient à présent aux États membres de l'approuver.

Cette réforme vise à renforcer les principes communs qui régissent les élections européennes dans les États membres. Je précise que même un Brexit sans accord serait sans incidence sur les dispositions applicables à tous les États membres.

Le nouvel article 1er précise que les membres du Parlement européen sont élus « représentants des citoyens de l'Union », ce qui reprend les termes du traité de Lisbonne et souligne leur légitimité.

Les États membres sont encouragés à l'article 3 ter à ce que l'affiliation des candidats à un parti politique européen apparaisse sur les bulletins de vote, ce qui est déjà possible en droit français.

L'article 3 impose un seuil électoral pour les circonscriptions de plus de 35 sièges, compris 2 % et 5 % des suffrages exprimés, afin de favoriser l'émergence de groupes politiques d'une taille significative. Cette obligation interviendrait pour les élections de 2024. En France, la loi du 7 juillet 1977 fixe déjà le seuil électoral à 5 %.

L'article 3 bis harmonise le calendrier du dépôt des candidatures dans les États membres en fixant la date limite au plus tard trois semaines avant la période électorale, ce qui est cohérent avec les dispositions en vigueur en France.

L'article 4 bis encourage les États membres à prévoir le vote électronique, par correspondance ou par internet ; l'article 9 bis, à prévoir la participation des citoyens résidant dans un pays tiers. En France, les citoyens français résidant à l'étranger peuvent déjà voter par procuration ou dans un bureau de vote du réseau consulaire.

Les sanctions contre le double vote sont renforcées à l'article 9. L'article 9 ter invite les États à désigner une autorité chargée des échanges sur les données relatives aux électeurs et aux candidats, afin de faciliter les échanges ; en France, le décret du 28 février 1979 charge l'Insee et le ministère de l'Intérieur de cette transmission. Les peines en cas de vote multiple vont jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.

Je regrette que le Parlement européen n'ait pas donné suite à sa proposition de créer une circonscription électorale commune dans laquelle les candidats auraient été élus sur la base de listes transnationales. La France défendait cette idée, qui aurait contribué à une approche plus européenne de ces élections.

La France continuera à défendre cette idée, le Conseil européen ayant souhaité que les travaux se poursuivent dans la perspective des élections de 2024.

Cette révision de l'Acte électoral représente une avancée et une harmonisation progressive par le haut. Compte tenu de nos normes actuelles, l'approbation de la décision du Conseil n'appelle pas de modification à notre droit interne. Je vous invite à adopter ce texte, pour une entrée en vigueur avant les prochaines élections. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Indépendants et UC)

M. Richard Yung, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Dans le monde difficile qui est le nôtre, l'Union européenne reste la seule voie possible si nous souhaitons conserver notre capacité d'influence.

Le projet européen a plus que jamais besoin d'un nouveau souffle, dont la légitimité démocratique est le préalable. Pour asseoir la légitimité des députés européens, il faut d'abord mettre fin à l'érosion du taux de participation aux élections européennes.

La loi du 25 juin 2018 a supprimé les huit circonscriptions électorales régionales au profit d'une circonscription unique, qui a cours dans la quasi-totalité des États membres.

Seuil d'éligibilité minimal, date limite commune pour le dépôt des candidatures, faculté d'autoriser le vote en ligne : le texte qui nous est soumis aujourd'hui poursuit cet effort d'harmonisation.

En tant que sénateur représentant les Français de l'étranger, je regrette qu'un scrutin sur Internet ne soit pas envisagé pour nos compatriotes résidant dans un État tiers - pour des raisons de sécurité, certes, mais ce n'est pas simple de voter aux européennes lorsque vous vivez, par exemple, au Panama...

Vu de France, ce texte peut paraître modeste puisque les dispositions obligatoires sont pour la plupart déjà intégrées dans notre droit, mais tel n'est pas le cas pour tous nos voisins.

Une harmonisation totale était toutefois difficile, vu le poids des traditions électorales : les électeurs britanniques ou néerlandais votent en semaine, une vingtaine d'États membres tiennent au vote préférentiel, quand la France et l'Allemagne ont un scrutin avec liste bloquée.

Comme pour la construction européenne, la méthode retenue est donc celle des « petits pas ». Les négociations seront relancées avec une ambition renouvelée dans la perspective des élections de 2024. Puissent la parité et l'instauration de listes transnationales en faire partie. Cette dernière idée figurait dans le rapport d'initiative législative adopté par le Parlement européen en novembre 2015, avant d'être finalement retirée de la décision définitive du Conseil, faute d'accord. À titre personnel, je suis favorable à de telles listes pour faire émerger une citoyenneté européenne. L'Irlande, l'Espagne et l'Allemagne nous soutiennent sur ce point - voyez la déclaration de Meseberg. L'opposition est surtout venue du groupe de Visegrád, qui regroupe des États hélas majoritairement eurosceptiques.

Dans une résolution du 16 avril 2016, le Sénat s'est prononcé contre cette initiative, mais il faut faire progresser les idées. (Sourires)

À l'heure où le populisme effectue une percée inquiétante partout en Europe, il nous appartient de retendre le lien entre les peuples européens et leurs représentants. À cette fin, tout pas vers une Europe plus souveraine, plus forte, plus juste, est bienvenu. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Masson.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi autorisant l'approbation de la décision (UE, EURATOM) 2018/994 du Conseil du 13 juillet 2018 modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil du 20 septembre 1976 (n°298, 2018-2019).

M. Jean Louis Masson .  - L'enjeu de ce projet de loi est très important puisqu'il s'agit de la représentation de la France au Parlement européen. Le Sénat avait initialement opté pour un examen en forme simplifiée, sans débat, amendement ni même explication de vote. J'ai dénoncé ce manque de transparence démocratique et remercie Mme Assassi d'avoir demandé le retour à la procédure normale, comme les présidents de groupe en ont le droit, afin de nous permettre de débattre.

Le choix initial était d'autant plus regrettable que la ratification de la décision du Conseil européen du 13 juillet 2018 est indissociable de celle du 28 juin 2018, pas même évoquée ici, qui répartit les sièges de députés européens entre États membres. Or le vice de constitutionnalité de l'une rejaillit sur l'autre.

L'article 14 du traité de Lisbonne prévoit que chaque État doit avoir un nombre de députés européens dégressivement préférentiel à sa population : chaque député d'un État membre plus peuplé doit représenter davantage de citoyens que chaque député d'un État moins peuplé.

Or la répartition actuelle des sièges montre que ces dispositions sont allégrement violées : un député européen allemand représente 852 000 habitants, alors qu'un député européen français en représente 883 000. L'Allemagne est pourtant plus peuplée ! Cette violation du traité vicie toute la procédure.

Le Parlement européen a lui-même reconnu que la répartition actuelle ne respectait pas le principe de la proportionnalité dégressive.

La décision du Conseil européen du 28 juin 2018 prévoit que si le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, la France gagnera cinq sièges, ce qui devrait garantir le respect des règles - mais si ce départ est retardé, l'ancienne répartition continuera à s'appliquer, en violation du traité de Lisbonne. Madame la ministre, je vous ai interrogée dans une question écrite n°7142 de novembre 2018. Vous avez répondu que si le Royaume-Uni renonçait à sa demande de retrait, la décision du Conseil du 28 juin 2018 deviendrait caduque. Or rien ne l'indique. C'est de l'enfumage complet ! C'est un mensonge ! (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

Si les négociations s'éternisent, nous serions toujours en violation du traité de Lisbonne et donc, indirectement, de notre Constitution. Tant que la répartition des sièges entre États membres n'a pas été redéfinie dans un respect total et non partiel - j'insiste - du traité de Lisbonne, nous devons surseoir à examiner ce projet de loi.

L'article 14 du traité de Lisbonne a été précisé par une décision du Conseil européen du 28 juin 2013, qui rend la répartition certes dégressive mais fort peu proportionnelle. Ainsi, Malte à six députés, soit un écart de représentativité avec la France est de 1 à 12,7... Plus généralement, les grands pays sont défavorisés. Or la Cour de Karlsruhe l'a bien dit, dans un arrêt du 30 juin 2009 : en l'absence de correctif démocratique, continuer de transférer des compétences nationales importantes à une institution dépourvue de légitimité démocratique - c'est la Cour constitutionnelle allemande qui parle ! - n'est manifestement pas pertinent.

Un député européen de Malte représente 60 000 habitants, contre près de 900 000 pour un député français. Le Conseil constitutionnel ne tolère pas un écart de plus ou moins 20 % à la moyenne d'un département et nous tolérerions un écart de 1 100 % pour les élections européennes ?

Et l'article 14 n'est même pas respecté : on fait pire !

M. Richard Yung, rapporteur.  - La commission n'a pu examiner cette motion, qui vient tout juste d'être déposée...

M. Philippe Dallier.  - Il y a toujours des surprises !

M. Roger Karoutchi.  - C'est la génération spontanée !

M. Richard Yung, rapporteur.  - Je m'en étonne, car cela fait cinq mois que nous discutons de ce texte...

À titre personnel, avis défavorable. D'une part, la répartition des sièges relève d'un autre texte, d'application immédiate. D'autre part, la loi du 25 juin 2018 a été validée presque intégralement, non par la Cour de Karlsruhe, mais par notre Conseil constitutionnel, seul compétent.

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Il est savoureux d'entendre M. Masson citer le traité de Lisbonne et invoquer le Conseil constitutionnel.

Une partie de notre classe politique, très à droite, pratique volontiers l'enfumage et le mensonge, mais ce n'est pas le cas du Gouvernement. Vos propos sont inacceptables et inappropriés.

La proportionnalité dégressive est accompagnée d'un seuil minimal de six députés et d'un plafond de 96 ; le principe est donc respecté et continuera à l'être. Avis défavorable.

M. Jean-Yves Leconte.  - Les propos de M. Masson sont en effet savoureux ! Lors de l'examen du projet de loi rétablissant la circonscription unique, il estimait que les députés européens représentaient la France - or ils représentent les citoyens européens vivant en France. Je note avec plaisir son évolution...

La proportionnalité n'est pas encore parfaitement prise en compte ? La démocratisation de l'Union européenne est en route !

La motion n°1 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Claude Requier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Seuil minimal, délai limite pour le dépôt des candidatures, sanction de double vote : la France est dans les clous. Ce texte ne présente pas de difficultés particulières et aurait pu suivre le cheminement discret de la procédure simplifiée.

Notre groupe, qui a compté dans ses rangs Maurice Faure, signataire du traité de Rome, l'approuvera car l'uniformisation des procédures électorales va dans le sens d'une meilleure représentativité des députés européens.

Hélas, face à une participation toujours plus faible aux élections européennes, ce texte ne suffira pas à rétablir le lien entre les citoyens et leurs élus européens.

Nous avions soutenu le rétablissement de la circonscription unique tout en appelant à renforcer la pédagogie sur le rôle croissant du Parlement européen au sein des institutions européennes. Nous avions déposé des amendements pour sensibiliser les jeunes au projet européen. À cet égard, je doute que la présence du drapeau européen dans les classes suffise.

Mme Cécile Cukierman.  - C'est clair !

M. Jean-Claude Requier.  - Je partage les inquiétudes de mes collègues sur les listes transnationales, proposition soutenue par le président de la République mais à laquelle le groupe de Visegrád est farouchement opposé. Il faudra trouver un système qui garantisse le pluralisme et la représentativité de tous les États membres.

Au-delà, c'est sur l'idée même d'Europe qu'il nous faut travailler. Le président de la République a appelé, à la Sorbonne, à rendre l'Europe à elle-même et aux citoyens. Dans un monde ouvert, c'est l'union qui fait la force. Crise de la dette, crise migratoire : la réponse doit être collective.

L'Europe n'est pas la cause des problèmes mais la solution. Le repli sur soi serait suicidaire.

On ne peut nier qu'une crise de légitimité traverse les institutions européennes. Le RDSE est en tout cas opposé au mélange des genres que constituerait un référendum national le jour des élections européennes.

« Aveuglés par les différences de surfaces, ils n'ont pas su voir l'unité de la profondeur », disait l'ancien président grec, Constantin Caramanlis.

Rappelons que nos États partagent un socle de valeurs démocratiques et incitons leurs dirigeants à fixer un cap ambitieux et novateur à notre vieux continent ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, LaREM et UC)

M. Richard Yung.  - Très bien !

M. Jean Louis Masson .  - Le rapporteur a beau être un européiste et un fédéraliste convaincu...

M. Richard Yung, rapporteur.  - Oui, et alors ?

M. Jean Louis Masson.  - ... il ferait bien de lire le règlement du Sénat : le dépôt d'une motion d'irrecevabilité avant la séance est tout à fait autorisé !

Je n'ai aucunement changé de point de vue depuis le texte sur le Brexit : je suis partisan d'une Europe des nations et considère que l'Europe fédéraliste est celle de la chienlit. La majorité du Sénat n'est pas forcément représentative des résultats des élections au suffrage universel direct de 2017. Pourquoi me ferais-je agresser par les partisans du fédéralisme ? Je représente le point de vue d'un certain nombre de nos concitoyens qui ne sont pas populistes pour autant. Que les chantres de la démocratie commencent par respecter des opinions qui sont largement partagées au niveau national - on le verra lors des prochaines élections européennes...

Ce texte traduit une évolution vers une marginalisation de ceux qui ne veulent pas d'une Europe fédéraliste. Ainsi du seuil minimal de 3 %.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean Louis Masson.  - Voilà la conséquence d'être non inscrit ! Le temps de parole est très limité. J'y reviendrai.

M. François Bonhomme.  - Nous n'en doutons pas...

M. Philippe Bonnecarrère .  - Le plus simple, c'est un projet de loi qui vise à rendre le processus électoral plus transparent et à renforcer la légitimité du Parlement européen. Notre droit électoral national intègre déjà ces évolutions. Nous l'approuvons, car la convergence avec nos partenaires est nécessaire et pertinente.

Le plus important est ailleurs : dans la participation future aux élections européennes et dans l'articulation entre les parlements nationaux et européen. La faible participation, talon d'Achille de l'Europe, nous confronte à la vision que nos concitoyens ont de l'Europe et de son rôle dans leur vie quotidienne. La renforcer demande de la pédagogie, une vision de long terme.

Comment surmonter le paradoxe d'une Europe qui doute d'elle-même alors qu'elle a franchi de multiples étapes en matière d'intégration - marché unique, monnaie unique, espace Schengen, charte des droits fondamentaux... - et accompagné de nombreux États membres vers la démocratie ? Les chantiers à venir ne sont pas moins importants, par exemple en matière de défense.

Cette question nous renvoie aussi à la crise démocratique. On voit, avec le grand débat, que tout est dans tout. Difficile de faire la pédagogie des élections européennes en pleine crise de légitimité nationale, de concilier démocratie participative et démocratie représentative... Au-delà du 26 mai, l'exercice de pédagogie devra s'inscrire dans la durée.

Enfin, les parlements nationaux devraient reprendre le paquet Tusk qui proposait de revaloriser leur rôle dans le processus européen. Nous sommes également attentifs au sort des propositions de résolutions européennes - peut-être ce sujet, que la ministre viendra aborder prochainement devant la commission des affaires européennes, figurera-t-il dans la future révision constitutionnelle ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE et LaREM)

Mme Colette Mélot .  - « L'Europe, c'est l'espoir. Choisissez votre Europe ! » Tel était le slogan des élections de 1979. Depuis, le Parlement européen n'a cessé de voir son rôle renforcé dans l'équilibre institutionnel - tandis que la participation aux élections européennes ne cessait de s'éroder, atténuant la portée de ces progrès démocratiques.

Malgré une réelle transparence, le Parlement européen semble opaque. Nos concitoyens jugent l'Europe illisible et éloignée de leurs préoccupations.

Le contexte a évolué et les questions de l'immigration, du Brexit et de la cybersécurité pèseront le 26 mai. Les citoyens veulent une Europe qui les protège, sociale et solidaire.

Ce texte est une opportunité de répondre aux attentes et de démontrer la légitimité du Parlement européen, mais aussi de dénoncer une nouvelle fois les fake news qui décrédibilisent l'Union européenne.

L'harmonisation du processus électoral est une réponse, même si elle ne sera pas suffisante. C'est une avancée modeste, qui témoigne de la volonté d'avancer, malgré la difficulté de la négociation.

Comme pour le rétablissement de la circonscription unique, il s'agit de faire du Parlement européen le coeur battant d'un projet européen porté par le peuple. Je rends hommage à Simone Veil, première présidente du Parlement européen, dont l'image vient d'être honteusement vandalisée : « Se fixant de grandes ambitions, l'Europe pourra faire entendre sa voix et défendre des valeurs fortes : la paix, les droits de l'homme, la solidarité. L'Europe, c'est le grand dessein du XXIe siècle ». Soyons à la hauteur de ses paroles et ne ratons pas le rendez-vous du 26 mai prochain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, RDSE et UC)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ces modifications apportées à l'Acte électoral de 1976 seront sans conséquences en France dont le droit a déjà intégré les différentes dispositions proposées. Nous y sommes donc favorables.

L'exposé des motifs suggère que le texte permettra de redynamiser le projet européen et, partant, la démocratie en Europe. L'objectif est pertinent vue la désaffection croissante pour le scrutin européen, mais je doute que ce texte suffise à y parvenir.

S'il parait opportun de renforcer les principes communs qui régissent les élections au Parlement européen, afin d'en souligner le caractère européen, il serait paradoxal d'accoler à ces élections la tenue d'un référendum national. Les enjeux européens ne doivent pas, le 26 mai, s'effacer derrière les enjeux nationaux.

Je ne suis pas pour autant favorable à l'instauration de l'éventuelle « procédure uniforme dans tous les États membres ». Si des règles communes à tous les États membres sont évidemment essentielles, elles ne doivent pas conduire à ignorer les traditions, les particularités et les sensibilités nationales, auxquelles les citoyens sont attachés.

Dans le domaine électoral comme dans les autres, l'Union européenne doit trouver la bonne distance et laisser aux démocraties nationales des espaces de respiration. Évitons de confondre, en un réflexe pavlovien, harmonisation et uniformisation.

Le président de la République, à la Sorbonne, avait évoqué l'élection de députés européens sur des listes transnationales. À lire l'exposé des motifs, ce serait la suite logique de l'harmonisation des procédures électorales...

Je redis notre opposition à de telles listes, qui reposent sur l'illusion qu'il existerait un peuple européen. Imaginer, comme Guy Verhofsdtat, que des listes transnationales contribueraient à le faire advenir relève de la pensée totémique, pour ne pas dire de billevesées.

Si les peuples qui composent l'Union européenne sont liés par une communauté de destin, ils ont avant tout pour cadre de référence la communauté nationale.

A contrario, les listes transnationales favoriseraient l'élection de députés « hors-sol », « hors-peuple », sans lien avec les électeurs. Mais peut-être est-ce l'objectif du Gouvernement, qui déjà a imposé une circonscription unique. Certes, les huit circonscriptions régionales étaient vides de sens, mais il fallait redécouper en 79 circonscriptions avec scrutin majoritaire, pour garantir davantage de proximité - vous avez fait l'inverse.

Vous m'objecterez que l'Acte électoral de 1976 impose un scrutin proportionnel, mais je reste convaincu que le député européen doit, comme tout élu en démocratie, demeurer à portée d'engueulade de ses électeurs.

Je ne crois donc nullement aux conséquences positives de ce texte sur la participation aux élections du 26 mai et j'entends déjà les lamentations habituelles sur le trop faible taux de participation - les mêmes causes produisant les mêmes effets... Il faudrait plutôt des projets politiques clairs qui répondent aux besoins. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Pierre Laurent .  - Heureusement que notre groupe a demandé ce débat, sinon ce texte serait passé dans l'indifférence générale. Dans trois mois, des élections européennes se tiendront, qui pourraient avoir de graves conséquences sur les nations. Mais, malgré les signaux d'alerte sur la crise démocratique entre les citoyens et l'Europe, rien ne change. L'Europe est au bord du chaos et vous n'agissez pas ! Les décisions sont prises pour le seul intérêt des financiers, les peuples sont mis à l'écart - ce n'est pourtant pas la volonté de débattre qui manque dans notre pays, voyez ce qui se passe avec le « grand débat ».

La France a rappelé son ambassadeur en Italie, c'est grave, le maire de Gdansk a été assassiné, la démocratie est foulée aux pieds en Hongrie, c'est grave. Les Britanniques ont voté le Brexit, c'est grave ! Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump, a ouvert trois bureaux en Europe, à Bruxelles, Rome et Budapest, pour coordonner les campagnes de l'extrême-droite et peser sur le scrutin à venir, c'est grave ! Mais qui en parle sérieusement aux Français ?

Pendant ce temps, le Gouvernement privatise ADP, Engie, les barrages hydrauliques ; les services publics désertent nos territoires et Bruxelles continue, dans de folles logiques concurrentielles, à déréglementer : quatre textes sont en préparation à la Commission européenne. Il est fou de poursuivre dans un tel aveuglement ! Il faut remettre la souveraineté entre les mains des citoyens.

Le débat européen sera à nouveau bradé, caricaturé en un choix tronqué entre libéralisme et extrême-droite ! Le seuil de 5 % adopté par la loi du 25 juin 2018 et les règles applicables aux temps de parole représentent un véritable déni démocratique.

Il faut au contraire permettre un débat véritablement populaire. Il faut se réveiller ! Stoppez ce déni de démocratie, il y a péril en la demeure - nous connaîtrons des heures sombres si rien ne change rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Yves Leconte .  - Ce texte n'est pas une révolution. Il est bien que nous en débattions néanmoins. Il faut entrer dans le fond des sujets, au-delà de l'opposition stérile entre pseudos progressistes et pseudos populistes. Ce texte est issu d'un long travail du Parlement européen. Dommage que le débat se focalise sur ce que les États n'ont pas fait, plutôt que sur ce qu'a fait le Parlement européen, qui réalise un travail trop méconnu au service des citoyens - c'est même l'outil majeur de la démocratisation de l'Europe.

L'imposition progressive de la rigueur de Maastricht a profondément abîmé la vision de l'Europe. Nous y sommes confrontés.

Les États membres ne semblent plus croire aux avancées de 2014 sur l'élection du président de la Commission européenne, je le regrette. Cependant, et c'est heureux, ce texte rappelle que les députés européens sont des représentants des citoyens européens, pas seulement des États membres.

Dans une résolution de 2016, le Sénat avait plaidé pour une circonscription unique pour les Européens résidant hors de l'Union européenne : nous pourrions prendre cet objectif pour 2024.

Je regrette l'inscription d'un seuil minimal de 5 %, imposé par l'Allemagne pour, pensait-elle, faire barrage à la progression de l'AFD - quelle erreur !

Je salue, comme Français de l'étranger, l'incitation à mettre en place des outils de vote pour les citoyens vivant à l'étranger. Certes, il faut lutter contre les doubles votes, mais cela ne doit pas priver certains de pouvoir voter. Il faut, à cet effet, prévoir un droit de recours.

Le groupe socialiste et républicain votera ce texte, il ne fera pas passer l'Europe d'une communauté de destin à une communauté de desseins, mais c'est un petit pas utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Alain Richard .  - Le groupe communiste républicain et citoyen a eu raison de demander un débat comme le permet notre Règlement. L'Union européenne reste une construction unifiée partielle : nous restons des États souverains qui avons consenti des transferts de compétences - l'unanimité est requise en matière fiscale, par exemple - dans le cadre d'un succédané de traité.

S'agissant des règles de représentativité, le problème vient de ce que nous avons une assemblée unique, qui représente à la foi les États et les citoyens. Je rappelle que si nous avions un critère purement démographique, les petits États disparaîtraient quasiment du Parlement européen. Des députés doivent pouvoir représenter Malte, le Luxembourg ou Chypre.

La proportionnelle, critiquée par M. Bonhomme, n'a pas été combattue, ces quarante dernières années, par sa famille politique - qui a été majoritaire au Parlement européen pendant la majeure partie du temps. La France a toujours choisi la moindre interprétation de la proportionnelle établie par les traités - avec le seuil de 5 % - compte tenu de sa préférence traditionnelle pour le fait majoritaire.

Quand nous en avons débattu au Sénat, nous avons tous souhaité éviter le vote préférentiel. Il faut respecter le choix des électeurs de soutenir des partis sans ralliement européen.

Nous débattrons du nombre de sièges dont disposera la France après le Brexit, après la fin du feuilleton. Le drame qui se joue à Londres rappelle l'utilité de la construction européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. Jean Louis Masson .  - Je voterai contre ce texte, comme vous l'imaginez. Je m'oppose aussi aux modalités de ce scrutin. Lorsqu'un État est petit, il est normal qu'il soit moins représenté. Nous le faisons à l'échelle nationale, avec des écarts de 20 % entre circonscriptions, mais nous ne pouvons pas accepter des écarts de représentativité de 1 100 %, comme c'est le cas pour le Parlement européen.

L'article unique est adopté.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte.

Discussion générale

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Répondre à la situation à Mayotte est un impératif pour les Mahorais comme pour les migrants. La République ne peut pas abandonner un de ses territoires, elle ne peut pas laisser courir le risque d'une sécurité menacée et de services publics embourbés.

À Mayotte, il y a plus de 16 000 étrangers éloignés chaque année, soit 6 % de la population mahoraise. Nous ne pouvons, en y renonçant, faire le nid de la misère et de l'insécurité.

En mars-novembre 2018, les Comores ont suspendu leurs réadmissions, créant des tensions. Pour éviter les blocages, il fallait agir vite. Monsieur le rapporteur, vous permettez une réponse rapide et adaptée à l'urgence. Durant la navette sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée, le régime dérogatoire de Mayotte pour la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD), a été supprimé. C'était une erreur. Le projet de loi rétablit donc le délai de cinq jours pour permettre l'éloignement des étrangers en situation irrégulière à Mayotte.

En métropole, le JLD est saisi par principe pour se prononcer. Le délai de 48 heures est juste et adapté. Mais à Mayotte, l'afflux de migrants est intense et constant. On estime que 48 % des habitants de Mayotte sont étrangers, dont 50 % en situation irrégulière. L'application du délai de 48 heures pour la saisine du JLD serait catastrophique. Les demandes ne pourraient être traitées dans les délais, les remises en liberté seraient considérables. Les conséquences sur le fonctionnement des services de police et de la justice mahorais seraient terribles, des missions essentielles seraient sacrifiées et cela enverrait un signal très mauvais. Conserver le délai de deux jours, ce serait créer une embolie sur toute la justice et la sécurité de Mayotte.

Soyons pragmatiques et donnons aux services publics les moyens d'accomplir leurs missions. Le délai de cinq jours ne réduit pas les droits des personnes placées en rétention et ne soustrait pas la mesure au contrôle du juge. Saisissons l'opportunité de doter Mayotte d'un dispositif adapté.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois .  - Nous examinons la proposition de loi relative au délai d'intervention du JLD à Mayotte en cas de rétention administrative. Objet technique et précis, destiné à corriger une erreur de coordination légistique de l'Assemblée nationale dans la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie. Il faut y parvenir avant le 1er mars pour éviter des conséquences négatives sur l'efficacité des services en charge, à Mayotte, de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Ce texte nous invite à conserver le délai dérogatoire de cinq jours pour l'examen par le JLD des mesures de placement en rétention, délai qui existe depuis 2017 - nous l'avions introduit à l'initiative de deux députés mahorais, avec l'avis favorable du gouvernement socialiste.

De portée limitée, la mesure est conforme à l'article 73 de la Constitution, qui autoriser à déroger à la loi pour tenir compte de caractéristiques locales. La pression migratoire est en effet singulière à Mayotte, où le niveau de vie est plus élevé que chez ses voisins. Les chiffres sont éloquents : 48 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère et la moitié d'entre elle est en situation irrégulière - entre 60 000 et 75 000 individus, majoritairement des Comoriens. La plupart effectuent leur voyage vers Mayotte sur des barques de fortune, les kwassa-kwassa, dans des conditions d'hygiène et de sécurité déplorables. En conséquence, la misère et l'habitat insalubre progressent, ainsi que de véritables filières d'immigration et de travail clandestin.

Le maintien d'une procédure dérogatoire répond ainsi à un impératif. Du fait de relations difficiles entre Mayotte et les autorités de l'Union des Comores, les éloignements doivent en effet être souvent interrompus, incidents que le délai dérogatoire de cinq jours permet d'absorber.

Les forces de police ne doivent pas être détournées de leurs missions par la multiplication des escortes entre le centre de rétention administrative de Pamandzi, situé à Petite-Terre et le tribunal de grande instance situé à Grande-Terre.

Enfin, ce texte ne modifie pas les garanties matérielles ou juridiques offertes aux étrangers retenus. Le centre de rétention administrative de Pamandzi, qui a ouvert en septembre 2015, leur offre des conditions sanitaires, de sécurité et d'accompagnement pleinement satisfaisantes - et même bien supérieures à celles constatées habituellement sur l'île, comme le reconnaissent d'ailleurs dans leurs récentes observations les délégués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Ce texte est nécessaire. Mais en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, ce sont des moyens supplémentaires que les Mahorais attendent. Des moyens techniques et des renforts humains ont été déployés, et ces efforts commencent à payer puisque les forces de police ont récemment retrouvé le niveau d'efficacité de 2016. Mais il ne s'agit que d'un rattrapage : il faut amplifier ces efforts pour démanteler les filières d'immigration illégale. Cela exige aussi de renforcer la coopération diplomatique pour aider les pays de la région, tout particulièrement l'Union comorienne, et dissuader les candidats au départ.

Je souhaiterais aussi que les dispositions adaptant les conditions d'acquisition de la nationalité française à la situation migratoire particulière de Mayotte, introduites par le Sénat à mon initiative dans la loi du 10 septembre 2018, soient accompagnées sur place de plus larges campagnes d'informations.

Je salue enfin l'attitude constructive et la bienveillance à l'égard des travaux du Sénat manifestée par le Gouvernement et l'Assemblée nationale. Les débats en commission ont été de qualité, et je ne saurai en terminer sans remercier le président Bas pour la confiance qu'il m'a faite en me confiant ce rapport dans l'intérêt supérieur des Mahorais. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes SOCR et RDSE)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°24, présentée par M. Masson.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte (n° 291, 2018-2019).

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - La commission n'a pu l'examiner. Une suspension lui permettrait de se réunir...

M. le président.  - Soit.

La séance est suspendue pour quelques instants.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Gisèle Jourda.  - Lors du scrutin public n°55 sur le projet de loi organique relatif au renforcement de l'organisation des juridictions, je souhaitais ne pas prendre part au vote.

M. le président.  - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.

Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Question préalable (Suite)

M. Jean Louis Masson .  - J'ai déposé cette motion pour deux raisons. Une raison de forme d'abord. L'Assemblée nationale a considéré que le texte voté initialement par le Sénat était mauvais et l'a inconsidérément modifié en y introduisant une erreur. Elle aurait dû la reconnaître et reprendre le texte du Sénat. Ce n'est pas ici le cas.

Pourquoi changerions-nous d'avis sur un texte que nous avons voté il y a quelques mois à peine, en nous alignant sur la version de l'Assemblée nationale ? On ne dit pas assez que les députés ont commis une erreur ; ce n'est pas à nous de nous déjuger.

D'autre part, je trouve excessive l'application de l'article 45 de la Constitution, qui ne permet pas de présenter des amendements sans rapport avec le texte. Je ne remets pas en cause cet article, ni l'interprétation qu'en fait le Conseil constitutionnel en général, mais celle qui a été faite dans le cas d'espèce de la notion de « lien avec le texte » par la commission des lois. Pourquoi un amendement portant sur la loi Asile et immigration visée par cette proposition de loi et son application à Mayotte serait-il jugé hors de propos ? Cette proposition de loi se propose de rectifier ce texte, comment un amendement qui fait de même, pour le même territoire, pourrait-il n'avoir aucun lien avec lui ?

C'est proprement insoutenable. Manifestement, on se sert du Conseil constitutionnel pour évincer des amendements dont on ne veut pas débattre.

Non inscrit, je suis souvent seul en séance pour défendre des idées, mais j'observe qu'en commission, d'autres collègues ont soulevé le problème.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Avis défavorable. Je me demande si nous parlons du même texte, monsieur Masson. J'ai souligné que l'Assemblée nationale avait commis une erreur. Il ne s'agit pas de revenir sur notre position, mais au contraire de la maintenir - et de corriger l'erreur légistique commise par nos collègues députés, c'est l'objet même, précis, de cette proposition de loi !

Quant à l'article 45, ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Il faut tenir compte de sa lettre et de l'interprétation qu'en fait le juge. Si nous le regrettons, il faudra utiliser la prochaine réforme constitutionnelle pour le réformer.

Un groupe de réflexion, présidé par Alain Richard et Roger Karoutchi, avait en 2015 travaillé sur nos pratiques. Sa recommandation n°35 proposait de renforcer le contrôle des cavaliers législatifs et du respect de la règle de l'entonnoir... Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Même avis.

La motion n°24 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Jean Louis Masson .  - C'est un dialogue de sourds ! Je ne mets pas en cause l'existence de l'article 45 de la Constitution, mais la jurisprudence qui s'y applique. Je ne demande pas même de le modifier. Je conteste seulement que l'on retienne une conception si étroite de la notion de lien avec le texte.

Certains d'entre vous, qui viennent de voter contre ma question préalable, ont pourtant défendu le même point de vue que moi en commission des lois !

N'ayant pas, en tant que non inscrit, la possibilité de réunir 60 collègues pour saisir le Conseil constitutionnel, je trouverais utile qu'il clarifie sa position sur l'article 45 de la Constitution.

Mme Lana Tetuanui .  - Après les îles polynésiennes hier après-midi, nous évoquons Mayotte et l'océan indien, c'est dire à quel point notre ordre du jour nous fait voyager !

Plus sérieusement, une erreur légistique s'est glissée dans la loi Asile, aux conséquences très concrètes pour le 101e département français : le délai de rétention administrative passerait de cinq à deux jours, délai de droit commun. Or la situation de Mayotte est exceptionnelle, cela a été rappelé et justifie une dérogation indispensable.

L'immigration clandestine pèse lourdement sur le fonctionnement du département, son hôpital, ses écoles. Il est donc normal qu'une législation dérogatoire puisse s'appliquer, comme c'est déjà le cas pour les règles de nationalité. En l'espèce, le délai de cinq jours paraît justifié.

Nous saluons le travail constructif de la commission des lois, de son rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, qui a su travailler très en amont avec son collègue député.

Le groupe UC apportera son soutien à une proposition de loi indispensable à la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. Veillons, à l'avenir, dans notre tâche de législateur, à éviter les malfaçons législatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur, applaudit également.)

M. Dany Wattebled .  - Ce texte court vise à corriger un défaut de rédaction intervenu en cours de navette de la loi Asile et immigration. Jusqu'alors, le délai de rétention administrative à Mayotte était de cinq jours, contre deux en métropole. L'objectif de cette proposition de loi est de le ramener à cinq jours.

Ce débat est l'occasion de faire un point sur la situation de Mayotte, dont les habitants, en choisissant la départementalisation, ont souhaité en 2009 que la promesse républicaine soit exaucée sur leur territoire.

Depuis, sa population est passée de 180 000 à plus de 250 000 habitants, ce qui en fait le département français, hors Île-de-France, le plus densément peuplé. Sur ce total, plus de 120 000 sont des étrangers, dont près de la moitié en situation irrégulière. Cette situation démographique singulière met en danger, à présent, le pacte républicain ! Nous ne pourrons tenir la promesse républicaine tant que les flux migratoires resteront aussi importants. La maîtrise de l'immigration clandestine constitue le prérequis de la cohésion sociale de l'île. Nous tenons à doter Mayotte de dispositifs spécifiques pour faire face à une situation inédite.

Le groupe Les Indépendants est donc favorable à ce texte.

(M. le rapporteur applaudit.)

M. François Bonhomme .  - Ce texte nous donne l'occasion de confirmer notre position sur un sujet qui est loin d'être technique. L'Insee, en 2015, nous a déjà indiqué qu'un quart environ des habitants de Mayotte - dont la population est constituée pour près de la moitié d'étrangers - était en situation irrégulière. Près de 20 000 reconduites à la frontière sont opérées chaque année, soit la moitié de celles effectuées sur l'ensemble du territoire national. Tout cela est coûteux humainement et financièrement, et les centres de rétention administrative demeurent inadaptés.

Lors de la discussion de la loi 2018, le Sénat, par la voix de François-Noël Buffet, avait regretté que le Gouvernement n'ait pas démontré l'utilité de l'allongement de la durée maximale de rétention à 90 jours, et dénoncé une mesure d'affichage, qui ne s'attaquait pas aux causes profondes, d'un taux d'éloignement assez dérisoire, en particulier la mauvaise volonté des pays tiers. Tout cela est extrêmement coûteux, humainement et financièrement, et les centres d'accueil sont totalement inadaptés à de longs séjours.

Nous avons simplifié et renforcé le rôle du JLD intervenant au cinquième jour, et au quarante-cinquième jour, afin que l'administration puisse constituer des dossiers solides dans l'intervalle.

Il s'agit ici de rétablir la possibilité de porter la rétention administrative à cinq jours avant l'intervention du JLD ; c'est aussi l'occasion de réaffirmer notre position sur les sujets de l'asile et de l'immigration : clarté en matière d'immigration régulière ; exigence d'intégration ; fermeté face à l'immigration irrégulière ; responsabilité et humanité envers les mineurs étrangers.

Nous défendons la définition d'objectifs chiffrés pour l'entrée et le séjour des étrangers en France, la modification de l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence, réservée aux étrangers en situation régulière, l'information systématique des caisses de sécurité sociale et l'interruption des versements d'aides sociales aux étrangers en situation irrégulière, le renforcement des conditions à remplir pour le regroupement familial et la réévaluation régulière des métiers en tension nécessitant l'apport de travailleurs étrangers.

Monsieur le ministre, vous ne découvrez pas notre position. Nous la confirmons dans une situation qui empire. La Cour des comptes estime à 500 000 le nombre de Mahorais d'ici 25 ans. Si nous n'agissons pas dès maintenant, le problème ne cessera de s'aggraver... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa .  - Une erreur de coordination dans la loi Asile et immigration a harmonisé à deux jours le délai de rétention administrative. Pour une fois, l'impair allait dans le bon sens, mettant fin au délai, spécifique à Mayotte, de cinq jours.

La proposition de loi vise à réinstaurer cette rupture d'égalité sur le sol français, cela n'a qu'un objectif : éloigner les personnes en rétention de leur juge, en violation de l'article 66 de la Constitution...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Non.

Mme Esther Benbassa.  - ... selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Oui.

Mme Esther Benbassa.  - Nous pourrons dialoguer ! La pression migratoire justifierait cette différence de traitement et c'est au nom de l'ordre public que le recours au JLD est entravé. Mais c'est une obligation constitutionnelle, pour les Mahorais, aussi. J'ai pu observer, il y a 15 jours, lors de ma dernière visite en centre de rétention administrative, au Mesnil-Amelot, les conditions matérielles indignes de rétention, des mutineries, des mutilations, une gestion administrative très autoritaire, qui laisse les retenus sous-alimentés sans suivi médical digne de ce nom. Je n'ose imaginer la situation à Mayotte, où ont lieu 43 % des placements en rétention, dont plus de 4 000 enfants.

Ma préoccupation est partagée par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) et Adeline Hazan. La possibilité de déposer une demande d'asile ne leur est pas même notifiée, selon la contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Or les populations immigrées de Mayotte ont une très faible connaissance de leurs droits, face aux éventuels agissements arbitraires de l'administration. Les principes de la République ont été suffisamment mis à mal par la suppression du droit du sol à Mayotte.

Nous demandons à ce que la politique migratoire en outre-mer soit respectueuse des droits de l'homme et soumise à de nécessaires règles procédurales, d'autant que les alternatives à la rétention existent dans le droit européen.

Ne laissons pas Mayotte seule face à ce défi ! L'État doit donner des moyens et mobiliser du personnel de justice, plutôt que d'instaurer un droit à géométrie variable, indigne de notre République, auquel nous nous opposons avec force. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Yves Leconte .  - Depuis juin 2017, aucun Français n'ignore ce qu'est un kwassa-kwassa, mais je n'aurai pas la cruauté de rappeler la petite phrase du président de la République... Ce débat est indigne !

Nous ne pouvons pas considérer qu'une loi, issue de la volonté du Parlement, soit une erreur ! Si nous souhaitons la modifier, il faudrait pouvoir débattre de toutes ses dispositions.

Les kwassa-kwassa, donc. Ce sont 10 000 morts en vingt ans et une situation terrible pour le territoire, en fonction de sa géographie et de son histoire. La coopération sanitaire est insuffisante avec les Comores pour ne pas tenter les Comoriens...

Je suis choqué par le hiatus indigne entre les paroles d'archevêque prononcées dans cet hémicycle et le silence sur les difficultés faites aux immigrés en situation régulière à Mayotte, pour venir en métropole. Un tel niveau d'hypocrisie est-il possible ? Vous ne l'avez pas rappelé monsieur le rapporteur.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Parce que ce n'est pas le sujet !

M. Jean-Yves Leconte.  - Vous aviez pourtant posé la question à propos de la loi Collomb. Mais l'usage abusif de l'article 45 ne nous permettra pas cette fois-ci de nous prononcer sur le sujet.

Pourquoi donc est-il si fondamental de fixer le délai de saisine du JLD à cinq jours ? Pour renvoyer les clandestins avant la décision du JLD ! On ne fait que participer à un carrousel permanent. Entre-temps, les kwassa-kwassa continuent leur ronde, nous avons des morts et un non-respect de la dignité humaine.

Entre deux et cinq jours, il n'y a que trois jours de « stock » - pardon de recourir à cette expression...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nul ne vous y oblige !

M. Jean-Yves Leconte.  - ... mais c'est mathématique ! Nous devons parler du droit à venir dans l'Hexagone pour ceux qui sont en situation régulière.

Il n'y a pas de droit du sol en France, comme on le fait croire, mais en réalité un double droit du sol, ou la possibilité d'acquérir la nationalité française à partir 13 ans, si l'on est né en France ! Les sénateurs représentant les Français de l'étranger peuvent témoigner des difficultés rencontrées par nos compatriotes nés en Algérie dans les années cinquante ou soixante, pour prouver les titres de séjour de leurs ancêtres, afin d'obtenir un certificat de nationalité française. Nos concitoyens de certains territoires, dans quarante ans, vous maudiront, monsieur le rapporteur !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - J'assume !

M. Jean-Yves Leconte.  - Et moi je constate qu'il faut parfois, pour défendre son droit à la nationalité française, remonter à Napoléon III ! Nous ne sommes plus au temps des colonies ! Ce n'est pas par des mesures hypocrites qui ne respectent aucune dignité que nous réglerons la situation dramatique de Mayotte.

Fidèles à la loi Cazeneuve de 2016, regrettant l'usage fait à cette occasion de l'article 45 de la Constitution, et combattants d'une République qui doit être la même pour tous, nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Mme Esther Benbassa applaudit.)

La séance est suspendue à 13 heures.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement, retransmises en direct sur Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.

Chacun veillera à la courtoisie, au respect mutuel et au respect du temps.

Actes antisémites (I)

M. Dominique de Legge .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette semaine, des violences à l'encontre des juifs et la promotion de la barbarie nazie ont marqué l'actualité. La première semaine de février, sept édifices catholiques ont été profanés. Comme si à la crise sociale, à la crise territoriale s'ajoutait une crise du coeur, qui touche l'essence de notre humanité, à notre histoire personnelle et collective. Or la République laïque doit garantir à tous la liberté de croire ou de ne pas croire.

Quelles dispositions prendrez-vous pour garantir une spiritualité apaisée, pour que la France reste le pays des Lumières et ne devienne pas celui de la barbarie et de l'obscurantisme ?

N'est-il pas temps de nommer les fauteurs de troubles ? (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Vous m'interrogez sur le climat nauséabond qui se répand dans notre pays. Vous m'interrogez avec gravité et demandez des réponses effectives : nous sommes en phase. Les actes antisémites, inacceptables, répugnants, se multiplient : menaces contre les personnes, tags, attaques contre les symboles, à l'exemple de l'atteinte à la mémoire d'Ilan Halimi à Sainte-Geneviève-des-Bois.

Vous faites bien de rappeler que la République respecte le sacré. Nous avons le droit de croire ou de ne pas croire ; quand nous croyons, nous devons être respectés. Toujours, sous la République, on a respecté les églises, les cimetières, les lieux de culte. Le dire ne suffit certes pas mais le jour où nous ne le dirons plus, nous serons perdus.

Il faut certes aller plus loin. Le Gouvernement agit dans plusieurs domaines. Celui de la formation des policiers, gendarmes et magistrats d'abord, car ces actes doivent être mieux décelés, faire l'objet d'instructions plus complètes et de sanctions plus sévères. Celui de l'éducation ensuite - combat ancien mais permanent contre l'ignorance et l'obscurantisme. Ce combat est difficile. L'expression « hussard noir » faisait référence à l'uniforme des instituteurs mais aussi à leur combat. Partout, nous devons livrer ce combat contre la haine, les préjugés, la bêtise la plus crasse et la méchanceté la plus vile.

Nous aurons encore l'occasion, en 2019, de renforcer notre droit, notamment sur la responsabilité des gestionnaires de réseaux sociaux qui prétendent n'en être que les hébergeurs. Nous avons engagé la discussion avec nos partenaires européens et agirons au plan national.

Enfin, il faut nommer ceux qui commettent de tels actes. Du vieil antisémitisme français, qui n'a jamais été l'apanage d'une seule famille politique, à cet antisémitisme résurgent qui se nourrit du conflit israélo-palestinien et de l'islamisme radical, tous doivent être combattus. Soyez assuré de l'indéfectible détermination du Gouvernement. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Dominique de Legge.  - Il faut avoir le courage de nommer les auteurs : c'est l'extrême-gauche antisémite, l'islamisme radical qui veut imposer la charia et l'extrême-droite néonazie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

« Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde », disait Albert Camus. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)

Rétablissement de l'ordre républicain

M. Olivier Cadic .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Au nom du groupe UC, j'exprime notre plus vive indignation contre les inscriptions et profanations antisémites visant Simone Veil ou Ilan Halimi. Révulsés, nous redisons notre solidarité envers la communauté juive et condamnons les dégradations d'églises, synagogues et mosquées. Cela doit cesser.

Or le mouvement des gilets jaunes est aussi générateur d'appel à la haine, et entretient chaque samedi un climat nauséabond fait de populisme et d'antiparlementarisme. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et UC) Ils ne sont plus qu'une poignée, ne représentant qu'eux-mêmes. Dans une démocratie, les représentants sont élus ! Vous recevez comme moi des courriers insensés appelant à la destitution du président de la République. Au diable l'État de droit ! Peu importent les conséquences économiques, les salariés mis au chômage technique !

Les commerçants n'en peuvent plus et descendent eux aussi dans la rue, l'exaspération gagne les élus municipaux dont les villes subissent des dégradations. L'agitation de rue doit cesser : qu'ils manifestent, mais selon les règles républicaines !

Le mandat du président s'achève dans 166 semaines ; en serons-nous alors à l'acte CLXVI des gilets jaunes ? Quand allez-vous rétablir l'ordre républicain ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - En effet, le mouvement des gilets jaunes se résume désormais à des manifestations de voie publique, tous les samedis après-midi, qui dégénèrent souvent - et c'est un euphémisme. Á chaque manifestation, quelques centaines d'individus s'en prennent aux institutions, aux mairies, aux forces de l'ordre, aux parlementaires, de manière très violente.

C'est inédit, avec des manifestations non déclarées, infiltrées par l'ultragauche, l'ultradroite parfois, avec des gilets jaunes radicalisés qui ne représentent plus qu'eux-mêmes.

J'étais hier à Dijon pour soutenir nos forces de l'ordre, dont je salue le courage et l'abnégation. Depuis le 16 novembre, nous avons interpellé 8 410 personnes. 7 500 gardes à vue ont été décidées et 1 500 personnes condamnées. Les investigations judiciaires permettent de confondre les casseurs, parfois plusieurs semaines après les faits. Nous attendons beaucoup des dispositions législatives qui permettront d'écarter ces individus des manifestations. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)

Prélèvement à la source

M. Bernard Buis .  - L'impôt sur le revenu est désormais prélevé à la source depuis janvier, réforme longtemps annoncée, aujourd'hui soutenue par les trois quarts des Français.

Le Gouvernement a fait le pari de l'intelligence collective. Le pari que les Français verraient l'avantage d'un paiement en temps réel de l'impôt. Le pari que les entreprises s'organiseraient en temps et en heure. Le pari que les crédits d'impôt soient versés sous forme d'avance de 60 % dès le 15 janvier, sur la base du montant de l'année précédente pour les cinq millions de Français utilisant des services à la personne ou de garde d'enfants. Le pari que le ministère déploierait tous les moyens de communication, d'information et d'accompagnement.

Ce succès montre la préparation de la réforme. (Exclamations croissantes à droite où l'on juge la question complaisante.)

Les Cassandre en tout genre se sont trompés : ceux qui parlaient d'usine à gaz au Sénat - une proposition de loi a même été déposée pour retarder la réforme...

M. le président.  - Votre question.

M. Bernard Buis.  - Si c'est un succès (Manifestations d'impatience à droite), c'est grâce aux entreprises et collecteurs, mais aussi aux équipes techniques de votre ministère. Il faut maintenant transformer l'essai. (Les protestations à droite couvrent la voix de l'orateur.) Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour accompagner les entreprises en 2019 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. le président.  - Terminé !

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - (Brouhaha sur les bancs ; M. Martin Lévrier applaudit.) Oui, le prélèvement à la source est une bonne réforme.

M. Rachid Temal et M. Jean-Marc Todeschini.  - Merci Hollande !

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - Sept millions de nos compatriotes voient leur revenu varier de plus ou moins 10 % chaque année. Désormais le montant de l'impôt sera ajusté chaque mois.

Nous avons formé 40 000 agents des finances publiques pour apporter toutes les réponses aux contribuables et aux entreprises, dans les perceptions, sur internet et via les quatorze centres d'appel. Nous avons travaillé avec les éditeurs de bulletins de paie pour que cette évolution prenne la forme d'une opération de maintenance des logiciels de déclaration sociale nominative, sans investissement nouveau, pour contenir les coûts.

Nos équipes se sont pleinement mobilisées pour répondre aux contribuables et contemporanéiser autant que possible les crédits d'impôt et, comme nous nous y étions engagés devant le Sénat, à faire preuve de bienveillance envers les entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Actes antisémites (II)

M. Olivier Léonhardt .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Monsieur le Premier ministre, lundi 11 février, les arbres plantés à Sainte-Geneviève-des-Bois en hommage à Ilan Halimi ont été coupés, profanés. J'étais maire de cette commune en 2006, quand Ilan a été retrouvé agonisant près de la voie ferrée, après 24 jours de torture. Il est mort parce qu'il était juif. C'était malheureusement un événement annonciateur.

Depuis ce 13 février 2006, mourir en France parce qu'on est juif n'est plus si exceptionnel. Les condamnations de principe, commémorations et minutes de silence ne suffisent plus. J'étais avec vous, monsieur le Premier ministre, mardi dernier, lors de la remise du prix Ilan Halimi. Je sais que vous allez me dire, à raison, que des efforts sont faits, pour la formation des policiers et des magistrats, qu'il faut légiférer contre les messages haineux sur les réseaux sociaux...

Mais il faut des actions plus rapides et plus fortes. L'éducation doit primer. Or des projets pédagogiques, associatifs ou institutionnels, destinés à la jeunesse ne sont pas menés, faute de moyens. Les 6 millions d'euros annuels consacrés à la délégation interministérielle contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT suffisent-ils ? (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Cette profanation a suscité une immense émotion ; je comprends particulièrement la vôtre, vous qui étiez maire au moment du drame.

Mardi - la date était fixée depuis longtemps -, nous remettions pour la première fois le prix Ilan Halimi, né d'une initiative portée par Jérôme Guedj, alors président du conseil général de l'Essonne, récompensant les projets pédagogiques visant à faire comprendre les enjeux de l'antisémitisme. Toutes ces initiatives mobilisant les jeunes - ici une scène nationale, là un collège ou une association - sont des messages d'espoir.

Les quatre projets qui ont été primés étaient remarquables. Oui, il faut former, éduquer, dénoncer, ne jamais renoncer. D'autres l'ont dit avec plus de talent que moi, mais pas avec plus de détermination.

Ce combat est un art d'exécution, à mener de façon systématique. Nous avons apporté un soutien matériel aux équipes laïcité.

Ce ne sera jamais suffisant, certes, et le combat est sans doute éternel. Nous sommes à l'écoute de toutes les pistes, de tous les instruments que vous pourriez proposer, car nous avons besoin de l'engagement et de l'intelligence de chacun. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE, LaREM et UC, ainsi que sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Tarif de l'électricité

Mme Cécile Cukierman .  - En décembre, le ministre de la transition écologique assurait que les tarifs de l'électricité seraient gelés et que les tarifs de l'énergie baisseraient de 2 à 3 %. Nous en sommes à 6 % de hausse ! Après celle de la mobilité, vous allez créer une nouvelle fracture territoriale et risquez de faire basculer de nouveaux ménages dans la précarité énergétique, alors qu'ils sont déjà six millions.

Vous demandez à nos concitoyens de payer encore plus, alors que ces hausses sont le reflet de l'échec de la libéralisation du marché de l'électricité : les factures augmentent de 100 euros par an, alors que les demandes de revalorisation du Smic sont balayées d'un revers de main.

Hausse des prix du carburant, de l'énergie, des prix alimentaires : c'est une véritable politique de paupérisation que vous conduisez. CTA, TFCE, TVA, CFCE pèsent pour un tiers dans la facture des ménages. Quand allez-vous réduire la taxation de ce bien de première nécessité qu'est l'électricité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Vous avez mentionné trois types d'énergie. La forte hausse des prix des carburants en octobre était liée à la hausse du prix du pétrole sur le marché mondial.

M. Philippe Dallier.  - Et ça va revenir !

M. François de Rugy, ministre d'État.  - Depuis, ils ont baissé. Nous avons tenu notre engagement de stopper la trajectoire de hausse des taxes sur les carburants - un alignement entre essence et diésel, motivé par des considérations de santé publique - et sur le gasoil non routier.

Je me suis engagé à ce que le tarif régulé du gaz baisse au 1er janvier 2019 ; de fait, il a baissé de 2 %.

Quant au tarif régulé de l'électricité, il doit, dit la loi, recouper les coûts de production. Nous appliquons la loi : ces derniers augmentent, le tarif augmentera donc. Si nous ne le faisions pas, la hausse serait plus douloureuse l'année prochaine. Toutefois, nous nous sommes engagés à ne pas augmenter le tarif pendant l'hiver, nous nous y tiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Cécile Cukierman.  - Je vous interroge sur la baisse des taxes, vous me répondez que le prix de l'électricité augmentera à l'été. Mais cette hausse sera répercutée l'hiver prochain ! Vous ne réglez pas la question du prix d'achat. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Actes antisémites (III)

M. Yves Daudigny .  - Rues de Paris noircies d'inscriptions antisémites, croix gammées sur des portraits de Simone Veil, « Juden » sur la devanture d'un restaurant, les arbres en mémoire d'Ilan Halimi sciés : l'hydre renaît.

Cet antisémitisme qui reste, qui mute, qui questionne notre devoir de mémoire et percute nos valeurs républicaines, est désinhibé par les réseaux sociaux qui véhiculent une insondable passion pour la haine.

Les actes et menaces antisémites ont crû de 74 % l'an dernier.

Ils traduisent la réalité vécue par nos compatriotes à cause de leur kippa ou de leur patronyme, dans la rue, dans les transports, sur internet, à l'école ou devant leur lieu de culte.

À ceux qui se croient imperméables, rappelons ces mots de Frantz Fanon : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l'oreille : on parle de vous ».

Quelles mesures allez-vous prendre contre ce phénomène qui sème la honte et l'horreur dans le pays des droits de l'homme ? Nous serons aux côtés de tous ceux qui lutteront contre ce fléau. (Applaudissements)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Le Premier ministre vous a présenté notre plan 2018-2020 contre le racisme et l'antisémitisme.

La plateforme Pharos permet de repérer les contenus haineux sur internet et de demander aux fournisseurs d'accès de les retirer. Des investigations judiciaires permettent de confondre les auteurs et donnent lieu à de nombreuses condamnations. Une expérimentation est menée à Marseille pour former les enquêteurs et magistrats afin de mieux caractériser cette odieuse circonstance aggravante qu'est le caractère antisémite d'une infraction. Nous allons poursuivre dans ce sens.

Le ministre de l'Intérieur travaille étroitement avec tous les cultes pour sécuriser les fêtes et cérémonies les plus importantes dans les lieux de culte. Nous agissons avec détermination. L'ensemble des fonctionnaires de police et de gendarmerie sont mobilisés et le fonds interministériel de prévention de la délinquance aide tous les cultes à investir dans des dispositifs de sécurisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants et sur quelques bancs du groupe UC)

Décrets d'application caméras mobiles

M. Jean-Pierre Decool .  - Ni provocation ni perfidie dans ma question : un coup de téléphone aurait peut-être suffi. Mais il y a un malaise.

Emmanuel Macron a lancé des pistes de réflexions sur les institutions, dont la simplification et l'accélération de la procédure législative. Certes, nous sommes réticents à toucher à nos droits parlementaires... Mais comme vous tancez sur la lenteur législative, permettez-nous de vous tancer sur la lenteur réglementaire. Une loi a été votée au Sénat le 13 juin 2018, puis définitivement adoptée le 30 juillet par l'Assemblée nationale pour expérimenter l'utilisation de caméras piétons par les policiers municipaux. Procédure rondement menée... mais les décrets n'ont toujours pas été pris et les caméras restent dans les tiroirs ! L'opinion publique ne comprend pas ce décalage entre la décision politique et sa concrétisation, surtout sur les caméras piétons, qui ont démontré leur utilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur quelques bancs des groupes RDSE et UC)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Les caméras piétons ont été expérimentées pendant deux ans, la loi en a généralisé la possibilité d'usage. Elles sont un outil précieux pour les policiers et les gendarmes et je souhaite que les policiers municipaux puissent les utiliser. Elles font baisser les tensions, apportent des preuves et sont utiles dans la formation du personnel.

M. François Grosdidier.  - Nous le savons depuis dix ans !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le décret en Conseil d'État est en cours d'examen, les circonstances d'utilisation sont complexes.

M. Simon Sutour.  - C'est Courteline !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Nous travaillons avec les polices municipales pour améliorer le continuum de sécurité. Il n'y a aucune volonté de temporiser mais au contraire le souci d'améliorer la gestion de la sécurité des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Financement du logement social

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Les chiffres de la construction pour 2018 sont mauvais : - 7 %. Ceux des logements sociaux sont très mauvais : 20 % en deux ans en Île-de-France, sans perspective d'amélioration en 2019.

Cela pénalise les Français qui attendent un logement social et les communes pour la réalisation de leurs objectifs de la loi SRU - le CGEDD tirait la sonnette d'alarme dès 2015, estimant qu'en 2019 les deux tiers des communes risquaient d'être carencées.

Á cela s'ajoute la crise du secteur du logement social que vous avez déclenchée !

Quelles instructions les préfets de région - qui président le comité régional de l'habitat - recevront-ils pour tenir compte de la bonne volonté des maires pour atteindre leurs objectifs de la loi SRU ? (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes CRCE et LaREM)

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement .  - Les chiffres viennent de tomber : 119 000 logements ont été lancés en 2018 contre 113 000 l'année précédente. Notez que l'année de référence, 2016, était une année exceptionnelle. (On s'en félicite sur les bancs du groupe SOCR.)

La baisse de 3 % en Île-de-France porte le niveau de construction au même niveau qu'en 2015. C'est vrai, nous n'avons pas assez de logements sociaux. À court terme, il faut lever les inquiétudes. C'est le sens de la clause de revoyure.

Deuxième volet, la mise en oeuvre de la réforme des organismes HLM - grâce à la loi Elan ; 230 sur 340 ont autorisé le regroupement, les deux tiers ont bien avancé.

Quant aux carences vis-à-vis de la loi SRU, je prends bonne note de vos propos.

M. Philippe Dallier.  - Sur le constat au moins, nous pouvons être d'accord : il y a urgence pour le logement social. Mais ici au Sénat, sur tous les bancs, des Républicains aux Communistes, nous avons tous dit, dès l'an dernier, que vos décisions allaient précipiter le secteur dans la crise : nous y sommes ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Les maires ne doivent pas payer les pots cassés de vos erreurs ! Prenez enfin les bonnes décisions ! (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Épidémie de grippe

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'épidémie de grippe est à son niveau maximum, avec 1 100 décès depuis janvier. Les salles d'attente sont pleines, comme les urgences. Un médecin réanimateur de l'hôpital d'Arpajon a expliqué à France 3 qu'il était obligé de donner la priorité aux urgences virales, au détriment de prises en charge programmées notamment en chimiothérapie - qui ont dû être décalées.

Selon l'Agence nationale de santé publique, les résultats en semaine 5 sur l'efficacité du vaccin sont insatisfaisants : 59 % pour la souche A(H1N1) et 19 %pour la souche A(H3N2). Pouvez-vous confirmer le bilan ? Qu'en est-il de cette efficacité ? Faut-il rendre le vaccin obligatoire pour les publics fragiles et le personnel le plus exposé ? Ne faut-il pas lancer des campagnes de prévention plus ambitieuses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Chaque hiver, le virus de la grippe circule, avec des conséquences graves sur les publics fragiles, personnes âgées et malades.

Les urgences sont saturées ; aussi nous avons cherché à augmenter la couverture vaccinale des personnes âgées, des personnes diabétiques, obèses et femmes enceintes. Nous avons augmenté la couverture des personnels de santé de 16 % et élargi la possibilité de se vacciner dans les pharmacies dans quelques départements, ce qui a donné lieu à 700 000 vaccinations. Nous l'étendrons à toute la France en 2020. J'ai également demandé à tous les ordres des professionnels de santé, d'agir en leur sein pour inciter à la vaccination des professionnels.

Certes, le vaccin n'a pas une efficacité optimale, mais il faut tenir également compte qu'en cas de vaccination, si la maladie se déclare, son effet est moindre. En semaine 6, l'efficacité est de 74 % et 21 % pour les deux souches, nous en saurons davantage prochainement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jacques Mézard et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)

Fonction publique

M. Arnaud de Belenet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Voilà près de 80 ans, le statut des fonctionnaires était créé. Hier soir, monsieur le ministre Dussopt, vous avez présenté aux partenaires sociaux un projet de réforme pour la transformation de la fonction publique. Cette transformation est nécessaire, parce que le secteur public, comme le privé, est confronté à des changements majeurs, avec le digital et l'intelligence artificielle, ainsi que les exigences nouvelles des usagers, parce que la mobilité est un enjeu nouveau pour les jeunes générations, et encore parce que des contraintes d'organisation empêchent le redéploiement de services publics dans certains territoires, en particulier ruraux.

Depuis 40 ans, on demande aux agents de s'adapter, sans que les moyens ne suivent. Des métiers doivent être interrogés, les fonctionnaires ont droit à une deuxième ou une troisième carrière. Vous proposez plus de mobilité, plus de reconnaissance du mérite, plus d'égalité dans les carrières entre les hommes et les femmes.

Quelle place donnerez-vous dans le débat aux syndicats, aux associations de collectivités, aux fonctionnaires, aux agents publics eux-mêmes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - J'ai en effet présenté hier aux partenaires sociaux - avec lesquels nous travaillons depuis un an - une réforme pour transformer la fonction publique, la rendre plus efficace, tout en donnant de nouveaux droits aux agents, améliorer leur formation et les mobilités, encourager le mérite, tenir compte des évolutions numériques, offrir une deuxième voire une troisième carrière.

M. Rachid Temal.  - C'est un démantèlement !

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - Vous avez vous-même remis mardi, avec le député Jacques Savatier, un rapport très utile sur la formation, né de rencontres nombreuses sur le territoire. Il nous sera précieux. La place réservée aux syndicats et parlementaires sera grande naturellement pour construire une fonction publique rénovée, moderne au service des agents et de la population. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; exclamations sur quelques bancs à gauche)

M. Jean-Marc Todeschini.  - Vous cassez la fonction publique, plutôt !

Retrait américain de Syrie

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Dans la guerre contre Daech, les Kurdes ont neutralisé plus de 30 000 djihadistes, sacrifiant des milliers de combattants. Pourquoi alors, à l'heure de la victoire, les abandonner ? Privés d'armes lourdes et de couverture aérienne, ils sont exposés à une attaque de l'armée turque et de ses supplétifs islamistes - on l'a vu l'an passé dans le canton d'Afrin, où il y a eu des crimes relevant d'un véritable nettoyage ethnique. Nous ne pouvons l'accepter.

Il faut que l'ONU crée une zone de protection dans le nord de la Syrie, pour protéger les Kurdes de la Turquie et du régime syrien, contenir l'influence russe et iranienne, et protéger les minorités. Il y a là une occasion historique de sauver l'honneur de la coalition contre Daech.

Pouvons-nous compter sur le président de la République et le Gouvernement pour agir en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE ; M. Julien Bargeton et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées .  - Nous sommes à la veille d'une opération décisive au Levant. L'opération Chammal achève la reconquête de l'ultime bastion de Daech en Syrie. Nos alliés américains conditionnent leur retrait annoncé à la défaite du califat terroriste. Il ne faut pas se précipiter, d'autant que certaines vérifications sur le terrain sont difficiles à établir. Nous poursuivons les discussions pour donner des garanties aux Kurdes de Syrie. Alors que la situation humanitaire se dégrade, il faut une solution politique pour prendre en compte leurs préoccupations mais aussi celles de la Turquie.

M. Rémi Féraud.  - J'entends l'intention, mais il faudra passer aux actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE)

Débat national

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, Emmanuel Macron a organisé le grand débat. Concertation, discussion, négociation, ouverture, écoute : ces mots martelés par le président de la République sont devenus l'alpha et l'omega de sa méthode... mieux vaut tard que jamais ! C'est le seul moyen de sortir de la crise.

Mais cette nouvelle méthode aurait-elle échappé à votre Gouvernement ? Réforme de la justice contre tous les professionnels, malgré une table ronde organisée par le Sénat pour vous tendre la main, loi Santé sans concertation, réduction de la desserte TGV que les Français n'ont pourtant pas demandée, carte pénitentiaire imposée sans dialogue avec les élus locaux, ordonnances sur toujours plus de sujets... Pourquoi mettre les parlementaires à distance, si vous recherchez l'apaisement ? Quand accepterez-vous la seule méthode qui fonctionne : la concertation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Merci de cette question qui vient à point. Le grand débat est en cours ; vous citez des textes sur lesquels nous avons des désaccords... Il faut bien les acter, mais sans oublier ceux sur lesquels nous avons trouvé des accords, par exemple la loi ferroviaire. C'est le jeu normal de la démocratie.

Le Parlement sera saisi des questions traitées par le grand débat, car il faudra aussi revitaliser la démocratie représentative dans son rôle d'interface entre le Gouvernement et les citoyens. Nous comptons sur le Parlement pour cela. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Une voix à droite.  - Et la réponse ?

M. Cédric Perrin.  - Pour dialoguer, il faut être deux ; quand il y a décalage entre les annonces et les actes, le remède peut être pire que le mal - gare à la déception qui risque d'être à la hauteur des espoirs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Situation d'Arjowiggins

Mme Anne Chain-Larché .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. Elle porte sur l'avenir, que vous avez le pouvoir d'améliorer, des 250 salariés de l'entreprise Arjowiggins, victimes de patrons voyous et charognards. Arjowiggins est la seule entreprise française à pouvoir réaliser le papier de nos passeports, cartes d'identité, permis de conduire... Sénatrice de Seine-et-Marne, je suis sidérée par votre mutisme. Pas plus que le président de la République, Bruno Le Maire n'a pas daigné répondre à mon courrier, rien non plus en réponse à la question de Christian Jacob hier à l'Assemblée nationale. (M. Edouard Philippe le dément avec indignation.)

Qui d'autre qu'une entreprise française pour réaliser le papier de nos documents d'identité ? C'est une question de sécurité nationale ! Qu'attendez-vous, monsieur le Premier ministre ? Les salariés se désespèrent, et nous aussi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - La société Arjowiggins Security de Jouy-en-Morin a été placée en liquidation judiciaire le 30 janvier dernier. L'ancienne filiale de Sequana de 265 salariés avait été reprise par le groupe germano-suisse Blue Motion Technologies, qui s'était engagé devant le tribunal de commerce à maintenir les emplois et à investir. Ce groupe n'a pas tenu ses engagements, malgré les efforts de l'État y compris sur le plan financier : le repreneur a eu un comportement irresponsable.

Le Premier ministre a répondu hier au président Jacob et rappelé l'engagement de l'État et dit aussi combien la situation est dégradée.

Les acteurs privés n'ont pas tenu leurs engagements, il faut regarder la réalité en face. La question du président Jacob arguait hier de la capacité des élus locaux à se rassembler pour trouver des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; MM. Jacques Mézard et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)

Mme Anne Chain-Larché.  - Assez de vent ! Il n'est pas question ici de savoir si l'on doit cocher la case « parent 1 » ou « parent 2 », mais de sauver des emplois en France et d'assurer notre indépendance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

La séance est suspendue à 16 h 5.

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 20.

Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention

à Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte

Discussion générale (Suite)

M. Guillaume Arnell .  - La proposition de loi rétablit à cinq jours le délai de saisine du JLD à Mayotte, dérogation supprimée par erreur dans la loi Asile et immigration de septembre 2018.

Il y a urgence à son adoption, faute de quoi le délai de deux jours s'appliquera dès le 1er mars ; mais il faut aussi en évaluer la pertinence. Le délai de cinq jours a été introduit par deux amendements identiques des deux députés de Mayotte, MM. Boinali Saïd et Ibrahim Aboubacar dans le projet de loi pour l'égalité réelle dans les outre-mer du 28 février 2017. (M. le rapporteur le confirme.)

Il ressort du rapport de M. Thani Mohamed Soilihi que la pression migratoire à Mayotte est affolante : 48 % de la population est étrangère, soit 120 000 personnes sur les 256 000 habitants du département.

Le nombre d'étrangers en situation irrégulière est estimé entre 60 000 et 75 000 - chiffre probablement sous-estimé. Le nombre de dossiers à traiter est énorme, et la réduction à deux jours aura des conséquences insurmontables sur l'avenir même de la préfecture. Ce constat est partagé par tous, et le groupe RDSE votera la proposition de loi.

En juin 2018, j'ai regretté que certains points ne soient pas traités par la loi Asile et immigration : lutte contre la traite des êtres humains, réflexion sur le co-développement, rôle accru des élus locaux dans les régularisations administratives.

J'avais aussi suggéré la création d'un office des migrations à Saint-Martin. J'espère que ces points seront abordés par le Gouvernement.

En attendant, Mayotte mérite, au regard de la pression qu'elle subit, une législation différenciée. Il faudra cependant traiter le problème de fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE M. Thani Mohammed Soilihi, rapporteur, et M. Abdallah Hassani applaudissent également.)

M. Alain Richard .  - Cette proposition de loi est opportune, tout comme sa concentration sur le territoire de Mayotte, son seul objet, puisque certains collègues ont été tentés d'élargir le débat.

Nous appliquons déjà des dispositifs spécifiques à l'accueil et au contrôle des étrangers dans ce département d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel a confirmé la parfaite conformité au principe d'égalité de l'application de règles spécifiques dans certains territoires d'outre-mer quand la situation le justifie.

La tentation - le « y a qu'à » est facile dans un tel débat  - serait de demander simplement l'augmentation des moyens. Refuge facile ! La gestion publique, c'est aussi l'adaptation pragmatique. Nous avons, dans cette assemblée, la capacité de le comprendre et de l'approuver. C'est pourquoi notre groupe votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Je souhaite revenir sur quelques propos inexacts, désobligeants voire outranciers, que j'ai entendus.

Madame Benbassa, le droit du sol n'est pas supprimé à Mayotte !

Mme Esther Benbassa.  - Il y a des dérogations.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Que vous persistiez dans votre désaccord avec des dispositions qui ont été confirmées, comme Alain Richard vient de le rappeler, par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, c'est votre droit le plus strict, il est néanmoins faux de prétendre qu'il a été supprimé.

Monsieur Leconte, vous nous accusez d'hypocrisie. Écoutez donc : « cet amendement ne revient en aucun cas sur les avancées récentes. Il organise les audiences, prenant en compte la situation très particulière de Mayotte, en conservant une égalité sur la durée totale de rétention qui reste de 45 jours au maximum. L'article revient au droit existant avant l'entrée en vigueur de la loi du 7 mars. C'est justifié par les contraintes pratiques que subit le juge des libertés et de la détention et par le nombre très élevé de contentieux » Ainsi en jugeait Ericka Bareigts, avant de rendre un avis favorable à l'amendement déposé par deux députés socialistes... Où est l'hypocrisie ?

Quant à ajouter qu'à cause d'un amendement que j'ai présenté, on va me maudire ! Vous rendez-vous bien compte de vos propos ? En ce jour de Saint-Valentin, essayons de débattre dans le calme et le respect mutuel ! (Sourires et applaudissements sur divers bancs)

Mme Esther Benbassa.  - Nous faisons de la politique, nous ne sommes pas amoureux !

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

L'amendement n°8 n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°21, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le III bis de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers est ainsi rédigé :

« III bis. - L'étranger mineur ne peut être placé en rétention en application des I et II du présent article. »

M. Xavier Iacovelli.  - Cet amendement interdit en toute hypothèse le placement en rétention d'un mineur, qu'il soit accompagné ou isolé, l'intérêt supérieur de l'enfant ne devant souffrir d'aucune exception.

Cette interdiction est d'autant plus urgente qu'à Mayotte, plus de 4 000 mineurs sont retenus en centre de rétention administrative chaque année. En vertu de cette proposition de loi, ces enfants pourraient désormais être retenus sans pouvoir saisir le juge des libertés et de la détention avant le sixième jour, et faire l'objet d'un éloignement sans que le JLD n'ait pu statuer sur la légalité et la régularité de leur rétention.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Le sujet est trop sérieux pour être abordé dans ce cadre. Un amendement identique a été rejeté par la commission des lois puis la Sénat lors de l'examen de la loi Asile et immigration. Par cohérence, avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. L'amendement n'a pas de lien avec ce texte. Le placement des mineurs en rétention est très encadré, notamment par nos obligations européennes et internationales ; la durée est aussi brève que possible. La durée moyenne des placements des familles est à peine supérieure à un jour.

Mme Esther Benbassa.  - Je soutiens cet amendement. Monsieur Mohamed Soilihi, il y a bien une dérogation  au droit du sol.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Mais pas de suppression !

M. Jean-Yves Leconte.  - Sans illusion sur le sort de cet amendement, je souhaiterais croire vos assurances sur la manière dont les placements sont effectués à Mayotte. J'ai souvenir de déclaration de représentants de la préfecture en audition, qui disait traiter des mineurs comme accompagnés, dès lors qu'ils étaient avec quelqu'un qui leur ressemblait ! Bref, les mineurs dits accompagnés ne le sont pas en réalité...Ne jouons pas avec ça !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Je ne sais ce qui a été dit en audition, mais je vous assure que nous veillons à la stricte application de la règle. Nous appliquons le droit, tout le droit et rien que le droit.

L'amendement n°21 n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. Abdallah Hassani .  - Cette proposition de loi répare un défaut de coordination. Je ne reviendrai pas sur le fond, le président Thani Mohamed Soilihi l'a parfaitement expliqué.

Mais gare aux surenchères démagogiques ! Mayotte, c'est 374 km2 soit une densité de population de 900 habitants au km2, sans compter les étrangers en situation irrégulière. Les étrangers qui représentent la moitié de la population proviennent en grande majorité de l'État voisin, qui revendique ouvertement la souveraineté sur Mayotte. Les Mahorais veulent depuis longtemps être considérés comme des Français à part entière, mais souffrent de l'insuffisance des infrastructures, de la pauvreté et de l'insécurité qu'elle suscite. On n'en mesure pas l'ampleur dans l'Hexagone, sauf quand des troubles sociaux paralysent l'île pendant plusieurs mois.

Ce n'est pas pour autant que les Mahorais n'ont pas une longue tradition d'accueil ; mais avec un taux de pauvreté de 84 % de la population, avec des enfants qui doivent aller à l'école par roulement, et des bidonvilles qui s'étendent sur des collines inconstructibles, comment faire ?

Face à ces enjeux, la prudence s'impose : pas de précipitation ! Attention aux effets pervers insoupçonnés lors du dépôt d'un amendement ! Cette proposition de loi de coordination légistique n'est pas le véhicule adéquat pour répondre à ces questions de fond.

Mme la présidente.  - Amendement n°22, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jean-Yves Leconte.  - Une précision : il n'y a pas de droit du sol en France mais un double droit du sol, ou plutôt un droit du sol accompagné de conditions de séjour sur le territoire français et la possibilité de demander la nationalité à partir de 13 ans. Ne faisons pas croire que notre droit est celui des États-Unis ! Il n'y a pas d'exception au droit du sol puisqu'il n'y a pas de droit du sol...

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Ce n'est pas moi qui le dis, c'est madame Benbassa.

M. Jean-Yves Leconte.  - Le département de Mayotte est confronté à une situation dramatique en raison de la pression migratoire dont il fait l'objet. À cette heure encore, en dépit des multiples appels d'urgence lancés par les élus, aucune solution n'a été trouvée.

Ce diagnostic appelle une action diplomatique durable avec les Comores, une lutte tenace contre l'immigration irrégulière et particulièrement contre les passeurs qui font commerce du désespoir et de la misère, et une politique économique, sociale et sanitaire globale.

Le recul des droits et des libertés fondamentales, en revanche, est une mauvaise réponse.

Des Mahorais, des avocats, des associations s'inquiètent de la multiplication des situations dérogatoires. La loi Cazeneuve, que vous avez votée, monsieur le rapporteur, lorsque vous siégiez à nos côtés - souvenez-vous en !...

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Oh oui !

M. Jean-Yves Leconte.  - ... établit une situation égale pour tous. On ne résoudra pas le problème en allongeant les délais de saisine pour faciliter les expulsions, relancer le carrousel et, finalement enrichir les passeurs.

D'où cet amendement de suppression.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Le délai dérogatoire est fondé sur l'article 73 de la Constitution et tient compte, à ce titre, des « caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte. »

Je le rappelle, cette mesure dont vous demandez la suppression a été adoptée en 2017 par un gouvernement socialiste, à l'initiative de députés mahorais socialistes, soutenus par le rapporteur Victorin Lurel et avec avis favorable de Mme Erika Bareigt. Pourquoi remettre en cause une adaptation utile dont vos propres collègues sont à l'origine ? J'ai peut-être changé de bord, mais je suis constant dans mes positions sur ce sujet.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le délai de deux jours, pour saisir le juge, est suspensif de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reste en vigueur, à l'intérieur du délai de cinq jours dont nous demandons le rétablissement. Avis défavorable.

L'amendement n°22 n'est pas adopté.

Les amendements nos11, 9 et 10 ne sont pas défendus.

M. Loïc Hervé.  - Dommage que M. Masson ne soit pas là ! (L'on sourit et renchérit sur divers bancs.)

L'article premier est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Karoutchi.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un titre ainsi rédigé :

« Titre ...

« Dispositions applicables à Mayotte

« Art. L. ...  - Par dérogation au présent livre, à Mayotte, les mesures d'éloignement peuvent être prises uniquement sur la base de troubles à l'ordre public, sans application des notions de : "menace pour l'ordre public", "menace grave pour l'ordre public", "menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société", "nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique" ou de "comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes". »

M. Roger Karoutchi.  - Point n'est besoin d'ironiser sur l'absence d'un collègue, puisque cela vous arrive aussi ! Cet amendement est un rescapé puisque j'en ai déposé cinq dont quatre déclarés irrecevables en vertu de l'article 45 de la Constitution. J'en reparlerai aux présidents Bas et Larcher... En effet, si j'accepte cet article, les divergences d'interprétation entre l'Assemblée nationale et le Sénat sont problématiques. Il est tout de même ennuyeux que le Sénat ne puisse se saisir de matières qui ont été débattues à l'Assemblée nationale.

Cet amendement prévoit que la qualification de trouble à l'ordre public suffit à justifier l'éloignement. La condition de « menaces à la sécurité publique » est trop restrictive et difficile à caractériser.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Un tel débat de fond mériterait un texte spécifique. Adopter cet amendement, c'est prendre le risque de manquer le butoir du 1er mars, en déclenchant une navette.

Par ailleurs, il exigerait des troubles à l'ordre public, là où de simples menaces suffiraient, rendant en fait la tâche de l'administration plus difficile. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur les questions d'ordre public. La menace à l'ordre public doit être suffisamment grave pour justifier la décision de l'administration, qui prend en compte également d'autres considérations, telles que le droit à une vie familiale normale ou l'absence de traitement inhumain ou dégradant. L'amendement pourrait de ce point de vue être anticonstitutionnel, ou contraire aux engagements internationaux de la France.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Je regrette aussi de ne pas avoir pu déclarer recevable plus d'amendements.

Monsieur Karoutchi, je vous sais sensible, avec M. Richard, à la bonne régulation de nos travaux. Vous avez été aussi ministre chargé des relations avec le Parlement.

Oui, il y a une approche différente du Sénat sur l'interprétation de l'article 45 : la loi ELAN le prouve, les cavaliers ayant été censurés par le Conseil constitutionnel : sur 20 articles annulés pour ce motif, 18 provenaient de l'Assemblée nationale ! Cela dit, un débat a été lancé hier ici même par quelques rappels au Règlement, qui exige une réflexion. Peut-être convient-il d'imaginer une forme de recours, les différends qui pourraient surgir au sujet de l'interprétation de l'application de l'article 45, par les différentes commissions et pas seulement la commission des lois, pouvant être tranchés par le Conseil constitutionnel. Nous estimons être proches de sa jurisprudence, il est vrai plus sévère qu'autrefois.

Cet amendement pose un problème de fond qu'il faut traiter. J'ai été en contact avec notre collègue député Mansour Kamardine qui a raison. Mais nous avons un objectif prioritaire : obtenir une loi avant le 1er mars.

C'est bien parce que je porte un jugement positif sur votre proposition, et que je ne voudrais pas risquer un vote contraire, que je vous demande de la retirer.

M. Roger Karoutchi.  - J'en reparle avec Alain Richard...

Dès que vous demandez 10 centimes, la commission des finances déclare votre amendement irrecevable... mais laisse passer des demandes de rapport, qui ont pourtant un coût. M. le président de la commission des lois envisage un recours devant le Conseil constitutionnel... Cela peut rallonger un peu les travaux...

Je retirerai l'amendement, même si je ne suis pas certain qu'il ne puisse être voté, car je ne veux pas mettre en difficulté le Gouvernement en obtenant un texte non conforme...

Mais, monsieur le ministre, cela aurait pu être fait sur le texte anticasseurs...

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Bravo !

L'amendement n°15 n'est pas défendu, non plus que l'amendement n°16.

L'article premier bis est adopté.

L'amendement n°17 n'est pas défendu, non plus que l'amendement n°18.

L'article 2 est adopté.

L'amendement n°7 n'est pas défendu.

L'intitulé de la proposition de loi est adopté.

Explications de vote

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur .  - Merci au ministre, au président de la commission, aux collègues ayant pris part à nos débats - y compris ceux avec qui nous avons été en désaccord.

La situation de Mayotte, il faut la vivre. Nous avons beaucoup parlé d'éloignement, car nous devions corriger une erreur sur ce sujet.

Le maintien des étrangers à Mayotte n'est pas souhaitable. Il faut voir les banjas, ces taudis à flanc de collines, sans eau ni électricité, où vivent des étrangers dans des conditions indignes. À la dernière saison des pluies, une mère et ses quatre enfants y ont perdu la vie à la suite d'un glissement de terrain.

Je veux dire à ceux qui s'expriment sur la question : merci de vous y intéresser, mais venez à Mayotte ; après nous en discuterons. (Applaudissements sur la plupart des bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)

M. Jean-Yves Leconte .  - En pratiquant l'article 45 de manière un peu rapide, vous prenez le risque que si 60 parlementaires jugeaient cette manière abusive, et saisissaient en conséquence le Conseil constitutionnel, la loi ne serait pas en vigueur non plus le 1er mars.

Si le rapporteur envisageait de déposer une proposition de loi plus large sur la situation à Mayotte, il aurait le soutien du groupe socialiste et républicain.

Ce n'est pas en multipliant les différences qu'on progresse. Le principe d'égalité, fondamental dans notre République, doit prévaloir.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur, applaudit.)

Prochaine séance, mardi 19 février 2019 à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 5.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mardi 19 février 2019

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président du Sénat

1. Explications de vote des groupes sur le projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission, n°294, 2018-2019) et sur le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission, n°293, 2018-2019)

De 16 heures à 16 h 30

2. Scrutin public solennel, en salle des Conférences, sur le projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission, n°294, 2018-2019)

À 16 h 30

3. Proclamation du résultat du scrutin public solennel sur le projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission, n°294, 2018-2019)

- Vote sur le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (procédure accélérée) (texte de la commission, n°293, 2018-2019)

À 16 h 45

4. Questions d'actualité au Gouvernement

À 17 h 45

Présidence : Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

5. Débat sur les relations entre l'État et les sociétés autoroutières (demande du groupe UC)