Bilan du soutien aux territoires ruraux les plus fragiles

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Le bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles », à la demande du groupe RDSE.

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE .  - Bonaparte, dont la figure est particulièrement liée à notre institution disait : « la répétition est la plus efficace des figures de rhétorique... » : c'est dans cet esprit que nous vous proposons un nouveau débat sur la ruralité, comme il y a deux ans.

Même en Île-de-France, la question rurale se pose pour les communes de la grande couronne avec encore plus d'acuité et d'urgence qu'il y a deux ans. Il faut donc faire un bilan du soutien à la ruralité.

Avec 80 % du territoire et 20 % de la population, malgré un dynamisme économique et démographique, les campagnes subissent le recul désastreux des services publics et l'établissement de déserts médicaux.

Depuis dix ans, l'État a certes engagé des actions pour soutenir les territoires ruraux, avec les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR), chers à M. Vall, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) qui a été augmentée en 2018, les zones de revitalisation rurale (ZRR) créées en 1995 pour favoriser l'implantation d'entreprises. Les pouvoirs publics agissent, le Sénat a mis en avant ces questions cruciales, mais les outils manquent d'efficacité, de lisibilité et de simplicité dans leur gouvernance.

Il est regrettable que, à rebours de la décentralisation, les ressources propres diminuent au bénéfice des subventions étatiques sur lesquelles les collectivités territoriales n'ont pas de prise. Comme l'a montré Loïc Hervé, les commissions départementales d'élus n'ont qu'un contrôle limité sur l'attribution des subventions - elles n'examinent d'ailleurs qu'un faible nombre de dossiers...

En juillet 2017, lors de la Conférence nationale des territoires, le président de la République avait appelé à un « pacte girondin », pour rapprocher la décision des territoires. Dans la ruralité, ce sont d'abord les élus municipaux qui font le lien avec les citoyens. Nous devons renforcer leur contrôle sur les dotations d'investissement. Ce n'est malheureusement pas ce qui se profile : l'instruction du 9 mars 2018 indique que la DETR a vocation à financer les priorités du Gouvernement !

Un peu de cohérence : un nouvel acte de la décentralisation, comme le président de la République a semblé le vouloir, demande que l'on commence, au moins, par réduire l'écart de DGF par habitant entre les territoires urbains et ruraux !

Les outils à disposition doivent être renforcés pour être efficaces. Les PETR permettent à plusieurs EPCI de s'unir autour d'un projet de territoire. Ces territoires structurés sont un outil pertinent mais des améliorations pourraient permettre de renforcer le dialogue et la solidarité entre rural et urbain. Les EPCI sont une opportunité pour les services de proximité.

Mais l'IFOP a montré en novembre 2018, dans son étude « Les Français et leurs maires », la déception des élus municipaux face à des EPCI trop centralisés. Et je ne parle pas de la loi Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ; ce débat n'y suffirait pas.

Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et le Fonds européen de développement économique régional (Feder), gérés depuis 2014 par les régions, ne sont pas assez lisibles. Il serait utile, aussi, de renforcer le département comme échelon de proximité, tout en favorisant le droit à l'expérimentation.

De même, il faut faire un bilan précis des ZRR et des contrats de ruralité, qui sont vitaux mais dont l'efficacité est contrastée. La nouvelle carte des ZRR, définie lors de la loi de finances rectificative de 2015, exclut des communes qui devraient avoir droit à ces aides, mais dont les EPCI sortent des critères. Est-il bien efficace d'attribuer ces financements à 15 000 communes, au risque de saupoudrer l'action publique ?

Il faut réfléchir à l'instauration d'un contrat unique, comme le suggérait Alain Bertrand dans son rapport sur l'hyper-ruralité en 2014.

Les territoires ont besoin de plus de lisibilité, d'un financement sécurisé et de plus de confiance dans les collectivités, en renforçant la décentralisation.

Monsieur le ministre, vous savez combien la ruralité est inhérente à l'identité du groupe RDSE. Nous avons déposé de nombreuses propositions de loi sur ces thèmes, sur le désenclavement des territoires, la désertification bancaire, l'Agence nationale de la cohésion des territoires...

Mais seule une action volontariste de l'État, dans une relation de confiance avec les collectivités territoriales, pourra traiter cette question. C'est tout l'enjeu de ce débat. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Arnaud de Belenet .  - Merci au groupe RDSE pour ce débat, particulièrement important pour le Sénat et pour le groupe LaREM en particulier, tant les soubresauts que connaissent les territoires ruraux montrent que les tensions y sont exacerbées. Ce débat pourrait être l'occasion de faire un constat catastrophique et de céder à la tentation d'instrumentaliser des questions qui compliquent la vie des maires : écoles, restriction des services publics nationaux, dotations...

Je m'efforcerai de ne pas céder à la tentation de faire ce constat larmoyant - et me tournerai plutôt vers l'avenir.

Cependant, on doit dire combien la baisse des dotations intervenue depuis 2011 est forte, et qu'elle se conjugue avec la baisse de la population et les effets de l'intercommunalité : pour les petites communes rurales, c'est la triple peine.

Au-delà de ce constat, nous voyons aussi des dynamiques fortes dans la politique du Gouvernement. Je note par exemple que la contractualisation avec les opérateurs téléphoniques répond aux attentes, il y aura 5 000 équipements nouveaux d'ici 2025, de même qu'avec le déploiement de la fibre : le programme d'action est fort parce qu'il en va de la revitalisation des territoires ruraux. Avec l'action « Coeur de ville », c'est la question des centralités dans le monde rural qui a retenu toute l'attention du Gouvernement. Il y a encore le plan Santé, avec la revalorisation des services de proximité, qui garantit 500 hôpitaux de proximité et augmente le nombre d'assistants médicaux. La ruralité est également prise en compte dans la loi d'orientation des mobilités (LOM), la réforme de la fonction publique territoriale, le soutien au numérique en milieu rural, la formation professionnelle, l'apprentissage - et, bien entendu, l'école, avec l'engagement tenu de ne pas fermer d'école.

Il y a une grande distorsion entre le sentiment de déclassement et la réalité de l'ambition gouvernementale et des dynamiques enclenchées.

Sur un plan opérationnel, je ferai quatre remarques.

En matière de DETR, la commission départementale n'examine que les projets dépassant 100 000 euros, elle ignore tout des nombreuses subventions accordées aux projets moins coûteux ; la moindre des choses serait que les préfets informent la commission de ses choix pour ces projets plus petits.

Il y a, ensuite, une question spécifique pour les très petites communes qui sont à quelques milliers d'euros près - et dont les élus, c'est devenu un exemple largement cité, en sont à tondre par leurs propres moyens les espaces publics communaux... Le mouvement des gilets jaunes pointe ce sujet avec beaucoup d'acuité. Pourquoi ne pas prévoir des moyens spécifiques, dédiés à ces situations ? Cela coûterait certes 400 ou 500 millions d'euros, je connais la réponse de M. Darmanin, mais ce serait une façon d'améliorer les choses pour les élus de ces petites communes.

Les réformes à venir, ensuite, en particulier celle de la fonction publique territoriale, sont l'occasion d'améliorer les choses, d'être plus efficace - je pense, par exemple, à la possibilité que plusieurs communes, via un centre de gestion, emploient un même agent public, c'est un levier pour renforcer les services de proximité.

Enfin, la notion de différenciation doit être au coeur de l'action en direction des territoires ruraux, elle est indispensable à la réussite de toutes nos politiques pour ces territoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE ; M. Philippe Bonnecarrère et Mme Nelly Tocqueville applaudissent également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Merci au groupe RDSE pour ce débat, dont le sujet sous-jacent porte sur les moyens - car ils ont baissé drastiquement ces dernières années.

Je parlerai de ce que les territoires ruraux ont en moins. Attachée à l'égalité républicaine, je m'insurge contre les inégalités de DGF ; 16 745 communes, soit 47 % de l'ensemble, ont vu leur DGF diminuer en 2018 ; c'est le cas pour 70 % des communes de la Loire, département à 80 % rural et où, en cinq ans, la DGF est passée de 147 à 104 millions d'euros - c'est dramatique, sachant que les communes rurales investissent le plus.

Selon que la commune soit considérée comme rurale ou urbaine, la DGF varie entre 65 et 130 euros par habitant.

L'avenir des communes rurales repose sur une politique d'aménagement territorial volontariste, et les pouvoirs publics doivent laisser plus de place aux élus de terrain, qui connaissent la réalité. Pour rendre les territoires plus attractifs, il faut des moyens et une volonté.

Le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) est indispensable - le Sénat en est persuadé. Mais les élus locaux doivent mener une réflexion plus globale sur les commerces de centre-ville ou de centre-bourg et les centres commerciaux.

Les ZRR rencontrent aussi des problèmes, depuis que le collectif budgétaire pour 2015 en a établi les critères à l'échelle des intercommunalités, combinant densité de population et revenu fiscal.

L'installation de jeunes agriculteurs et de médecins est difficile, comme celle de toutes les activités ; il faut donc prendre en compte la réalité des territoires, répondre par des actions concrètes, adaptées.

Parlerais-je de l'accès à internet et même à la téléphonie mobile, devenu une condition à la vie même dans les territoires ruraux ? Parlerais-je de la politique des infrastructures, qui laisse de côté la desserte des territoires enclavés au bénéfice des métropoles ?

L'égalité d'accès aux services publics est sacrifiée, alors qu'il est au coeur de l'aménagement du territoire. Stoppons le délitement et l'éloignement des services publics, il en va du socle même de nos territoires : le service public doit rester un élément déterminant du maillage territorial. Il en va de l'égalité républicaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs des groupes SOCR et RDSE)

Mme Nelly Tocqueville .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Nous l'avons démontré à maintes reprises ici, la ruralité est une chance pour notre pays, mais elle doit être soutenue.

Ce vocable recouvre des réalités variables : certains espaces sont plus fragiles, et leurs habitants expriment un sentiment d'abandon. Il faut compter aussi avec les nouveaux enjeux, les nouveaux défis que représentent la préservation de l'environnement, l'aménagement du territoire, la biodiversité ou encore le logement.

Il faut un accompagnement pour relever ces défis. Les campagnes les plus fragiles sont caractérisées par un affaiblissement démographique. Elles représentent 800 cantons et couvrent le tiers du territoire national, elles sont peu denses, avec une population vieillissante et une activité agricole elle-même en souffrance. S'y ajoutent les espaces ruraux ouvriers et traditionnels, au tissu industriel en déclin, comme c'est le cas en Normandie et dans le tiers nord de la France - où nous sommes confrontés à un taux de chômage très élevé.

L'État et les élus doivent s'interroger sur l'efficacité des politiques publiques.

Les Assises des territoires ont permis de cartographier les ruralités dans leur diversité, et ces territoires les plus fragiles en particulier. Depuis 2015, les maisons de service au public (MSAP) répondent à un besoin fort de désenclavement - 1 300 maisons ont ouvert, 500 sont en projet.

Les contrats de ruralité 2016-2022, les dotations d'investissement telles que la DETR ou la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) permettent d'engager des projets de dynamisation.

Le Feader et le programme Leader viennent en appui. Les petites communes n'ont pourtant pas les outils adaptés pour monter des dossiers, elles se découragent. C'est regrettable, car ce sont des leviers utiles pour relancer l'activité en milieu rural. La crise des gilets jaunes est en partie symptomatique de la fracture sociale et territoriale.

Les maires ruraux l'ont dit lors des débats avec le président de la République, les services de proximité disparaissent, obligeant nos concitoyens à se déplacer où à recourir à internet... alors que leurs territoires ne sont pas bien connectés. Il y a encore bien trop de zones « blanches »...

Quel dispositif se substituera au Fisac ? On ne peut envisager qu'il n'y en ait pas.

La disparition de la réserve parlementaire est regrettable ; seules 80 % de ces sommes ont été basculées dans la DETR.

Une action concertée entre l'État et les élus est indispensable, au nom de l'égalité des territoires. Pourquoi ne pas mener une réflexion identique à celle qui a été conduite pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ? Même chose pour les mobilités : il ne faudrait pas qu'au nom de la rentabilité, on accentue encore le sentiment d'abandon...

Ne nous contentons pas d'affirmer que la ruralité est une chance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Maryse Carrère .  - Merci pour ce débat. La semaine dernière, j'interrogeais le Gouvernement sur le non-versement de 700 millions d'euros d'aides du fonds européen Leader - occasion de rappeler combien ce fonds est important, mais difficile à obtenir pour les petites communes. Dans l'océan des aides, fonds et dotations, trop peu sont versés simplement et rapidement, efficacement.

Certes les PETR, la hausse de la DETR et l'arrêt de la baisse des DGF sont à noter, mais cela ne suffit pas : l'investissement public recule dans nos territoires ruraux.

Les limitations de dépenses pour les départements sont difficiles à respecter alors que de nouvelles compétences, telle la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemafi), se sont ajoutées à leurs compétences habituelles.

Ces communes restent frileuses sur les investissements. Face à la lenteur et à la multiplication des aides, nous devons aller vers une simplification. Dans mon département, 11 communes ont été exclues des ZRR en 2015. La hausse de la cotisation foncière des entreprises ne suffira pas. Un report est prévu en 2020, mais ces collectivités n'ont aucune solution à court terme.

J'espère que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) y pourvoira. Cette simplification doit se faire en accord avec tous les responsables politiques, avec pour objectif de simplifier le quotidien de milliers d'élus locaux démunis. Le regroupement des aides ne devra pas s'accompagner d'une baisse des aides.

Mais l'ANCT ne suffira pas. La mère de toutes les batailles passe par la reconquête démographique et l'attractivité.

Mon groupe RDSE a déposé sur ces sujets de nombreuses propositions de loi.

Comment ne pas évoquer le big bang de la loi NOTRe ? Il faut mener une réflexion sur les budgets des nouvelles intercommunalités.

Les élus locaux sont les plus à même de renforcer la démocratie. Leur redonner des possibilités d'investissement, c'est vivifier le principe de libre administration des collectivités territoriales inscrit à l'article 72 dans la Constitution. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM ; MM. Jean-Paul Émorine et Bernard Delcros applaudissent également.)

M. Jean-Claude Luche .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.) Oui, les PETR, les contrats de santé, les maisons de services au public ont le mérite d'exister. Mais la ruralité a besoin de la présence physique des services publics et d'activité économique.

Même lorsqu'elle a droit à des aides, la ruralité ne les perçoit pas ; il y a de quoi se révolter lorsqu'on apprend que près de 700 millions d'euros lui ont échappé à cause de dysfonctionnements dans les fonds européens.

Comme on parle de politique de la ville et de zones franches urbaines (ZFU), il faudrait parler de politique de la ruralité et de zones franches rurales. La vie en rural n'est pas la même qu'en métropole. Il faut des textes ou des interventions spécifiques à cette ruralité.

Il faut attirer des jeunes. Plutôt que de s'agglutiner dans les métropoles, ils pourraient trouver à la campagne une qualité de vie appréciable. Mais il leur faut trouver un emploi pour tous.

En attendant, le maintien des ZRR est essentiel, autant que le maintien des services publics. Mais nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour mettre en place des zones franches rurales ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE et LaREM ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

M. Daniel Chasseing .  - Ce débat utile est l'occasion de dresser un bilan de l'action publique en direction des territoires ruraux.

Il n'y a pas une, mais des ruralités. Dans la ruralité à proximité des villes, le périurbain, les élus doivent promouvoir le foncier, les services publics... Dans la ruralité plus éloignée, les élus se battent pour défendre tout simplement la vie et la création d'emplois. Je me concentrerai sur celle-ci, l'hyper-ruralité. C'est là que se joue l'avenir de notre cohésion territoriale, donc le principe constitutionnel d'égalité des territoires.

Nous sommes à la croisée des chemins. Nos outils ne sont pas tous à la hauteur des enjeux. Les ZRR n'ont pas répondu aux attentes des territoires les plus fragiles, malgré la réforme de 2015. Les contrats de ruralité vont dans le bon sens mais ils sont insuffisants.

La DGF se stabilise mais reste deux fois inférieure dans le rural que dans l'urbain. Les maisons de service au public, les maisons de santé vont dans le bon sens, comme la suppression du numerus clausus et les aides à l'installation des médecins pour un maintien de la médecine en zone rurale, mais il faudrait aller vers une meilleure prise en charge de la dépendance, à domicile comme en établissement.

Il faut davantage travailler pour le haut débit. Le département de Corrèze a ainsi choisi courageusement d'être maître d'ouvrage pour l'accès sur tout le territoire à la fibre en 2021, avec l'aide de la région et de l'État. C'est indispensable pour l'implantation d'entreprises et pour que les particuliers puissent vivre une vie identique à celle de leurs concitoyens.

L'État doit s'engager pour maintenir vie et emploi sur le territoire, en mettant des moyens suffisants. Cela doit être la grande cause du ministère de la cohésion des territoires, avec une politique concertée entre préfets, élus, chambres consulaires.... Seule l'installation des TPE y aidera. Les zones franches y contribueront, de même que des ZRR nouvelle formule avec des aides conséquentes.

Les zones hypodenses doivent être aidées par l'État. Poursuivons les mesures de la loi EGAlim, alors que trois quarts des emplois ont été perdus dans ce secteur. Nous sommes attentifs aux négociations européennes. Dans les actions « Coeur de ville », les communes rurales doivent bénéficier du Fisac.

Aidons aussi les actifs dans leurs déplacements. L'État doit compenser leurs frais. La taxe carbone ne doit pas être augmentée.

Le groupe Les Indépendants pense qu'il faut réinventer la ruralité grâce à l'intervention de l'État, des créations d'entreprises. Nous sommes prêts à soutenir le Gouvernement pour repenser ses dispositifs, afin qu'ils soient plus simples et intégrés dans une véritable politique d'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et RDSE ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

M. Charles Guené .  - Les dispositifs d'aménagement du territoire doivent être refondés. Je ne reviendrai pas sur les déboires des zones de revitalisation rurale. La réforme votée en 2015 à l'issue d'un rapport important constitue une catastrophe pour les territoires ruraux en déclin, notamment avec une exception pour les territoires de montagne et son report à 2020. Toute réforme fait des gagnants et des perdants mais encore faut-il qu'elle soit équitable.

Les critères retenus sont incohérents. Les deux nouveaux relèvent du pâté de cheval et d'alouette : on a cumulé une densité de population et un revenu fixe par unité de consommation. Le premier varie de 1 à 1 500, le deuxième de plus ou moins 15 %. La cartographie est choquante et lumineuse (M. Charles Guené montre une carte.) : de nombreuses communes de la « diagonale aride » ont été frustrées au profit de communes de l'ouest et du sud-est.

J'ai plusieurs fois proposé, par amendement, de traiter différemment les cinq EPCI ayant moins de 15 habitants/km2, voire les vingt qui se situent en deçà de 20 habitants/km2. Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et Joël Giraud, rapporteur général de l'Assemblée nationale, m'ont répondu en octobre 2018 qu'il faudrait plutôt réformer globalement ces dispositifs...

Les ZRR sont très utiles ; je parle d'expérience. Même si elles coûtent 313 millions d'euros, ce ne sont pas des « chimères » dénoncées par l'Assemblée nationale. Surtout, monsieur le ministre, ne transférez pas leur montant dans la DETR. Le précédent du devenir de la réserve parlementaire nous laisse dubitatif...

Réformons les aides aux territoires, qui s'achèvent en 2020, et revitalisons cette ruralité qui se meurt. Débattons à nouveaux des critères en se fondant non sur une base nouvelle abstraite, mais sur la réalité des territoires. Le Sénat est prêt à y participer. N'ajoutez pas la psychose du vide au désarroi actuel ! La loi de finances rectificative pourrait être un cadre adéquat. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC) Jean-Claude Requier a rappelé que de nombreux mécanismes de solidarité ont été mis en place pour soutenir des territoires ruraux les plus fragiles. Pourtant, des différences se sont accentuées. Comment en est-on arrivé là ?

La décentralisation a transféré de nouvelles compétences sans transfert efficace de régulation des richesses. L'épargne nette du Cantal par exemple a été réduite à zéro sous le poids de dépenses sociales toujours plus lourdes.

L'ouverture au marché de certaines activités indispensables, faute d'accompagnement de mesures contraignantes pour les opérateurs, a créé de nouvelles fractures territoriales - par exemple pour le téléphone mobile ou le numérique.

Face aux enjeux démographiques, avec une population qui peut augmenter de sept millions d'habitants d'ici trente ans, ayons une politique volontariste d'aménagement équilibré du territoire.

Notre société se transforme. Les nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC) en sont des marqueurs. Saisissons ces chances pour développer les territoires, et sortons de décisions seulement comptables qui raisonnent sur le seul plan du nombre d'habitants.

Investissons plutôt que d'assister, nous aiderons au développement de territoires exemplaires en matière de santé, d'attractivité, de transition énergétique.

Nous devons investir dans les infrastructures, les services, la matière grise, comme décider que tous les territoires doivent avoir accès aux nouvelles technologies. Investir dans la ruralité aujourd'hui, c'est investir dans le pays pour demain.

Faites de l'ANCT le garant de l'équité territoriale pour renforcer une cohésion territoriale malmenée.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour une politique d'aménagement du territoire dynamique, efficace, offensive ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Anne-Marie Bertrand .  - Avec 80 % de la population qui vit sur 20 % du territoire, la France est constituée de villages - touristiques, agricoles ou dortoirs. Les nouveaux ruraux demandent les mêmes services que leurs concitoyens citadins, c'est bien normal. Je ne parle pas de ceux qui veulent que les coqs se lèvent plus tard ou que les cloches arrêtent de sonner, mais des ruraux qui ne veulent pas être en seconde zone. En s'installant à la campagne, ils n'ont pas renoncé aux transports en commun, aux services publics, aux soins ou au haut débit... Parfois, ce n'est pas un choix, car les centres-villes sont devenus trop chers.

Nous avons mis en place de nombreux fonds qui, au fil des ans, ont fondu. L'écrêtement interne de la DGF dénature l'objectif de la péréquation verticale et la baisse continue des dotations creuse les inégalités territoriales.

Les intercommunalités devaient être le rempart des communes rurales, à force de synergie et de mutualisation. Or, dans les faits, ce sont souvent les communes rurales qui financent les communes urbaines. Certes, elles bénéficient de certains investissements mais les projets éligibles à la DETR doivent être portés par des intercommunalités.

À l'heure de la vente par internet, des circuits courts et du made in France, nos granges peuvent devenir des ateliers d'excellence - si l'on donne à notre ruralité les moyens d'innover. Une ruralité forte, c'est une France forte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et RDSE)

M. Jean-Paul Émorine .  - La loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux, dont j'étais rapporteur, est la première grande loi sur la ruralité. À l'époque, nous avions beaucoup travaillé avec la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) à l'instauration de dispositifs financiers prenant en compte la densité de population : le seuil était fixé à 35 habitants/km2. Il a fallu expliquer aux inspecteurs des finances que dans la ruralité, 300 millions d'euros par an équivalent à 3 milliards dans les ZFU !

En 2014, un rapport de l'Assemblée nationale soulignait la pertinence de ces actions mais la loi de finances rectificative de 2017 a relevé les seuils, à 63 habitants/km2 et un revenu médian de 19 111 euros par habitant, écartant de facto certaines communes.

J'ai lu le rapport du député Viguier sur les déserts médicaux. Il faut nous appuyer sur les dispositifs existants, sur les cartes de référence : on ne résoudra pas les problèmes sans aider les professionnels de santé. Même les vétérinaires hésitent désormais à s'installer en zone rurale !

Venez à la Conférence de la ruralité, monsieur le ministre, relancez les pôles d'excellence ruraux ! Nous comptons sur vous pour une ruralité vivante, elle constitue notre patrimoine national ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)

M. Bernard Fournier .  - Pour 80 % des Français, la vie à la campagne est l'idéal ; or rarement nos territoires ruraux n'auront été si maltraités et la fracture territoriale si prégnante.

Les ruraux se sentent abandonnés par l'État, méprisés par les grandes métropoles. Les treize plus grandes métropoles concentrent 27% de la population mais plus de la moitié des offres d'emploi.

La baisse des dotations est incontestable. La disparition du Fisac a été actée par le projet de loi de finances pour 2019, de même que la suppression de la réserve parlementaire qui permettait à de nombreuses collectivités de boucler leurs projets. Les pôles d'excellence rurale touchent à leur fin, l'engagement pour la prime d'aménagement du territoire, si précieuse pour les entreprises rurales, s'effondre.

Quelle iniquité entre les communes de moins de 3 500 habitants, dont la DGF varie de 64 à 88 euros par habitant, et les communes de plus de 20 000 habitants où elle est de 128 euros !

Depuis le début des années 2000, le repli massif des services publics, observé sur tout le territoire, frappe tout particulièrement les communes rurales.

Sur 687 millions d'euros de fonds européen Feader destinés aux 340 territoires ruraux français, seulement 4 % ont été versés aux régions. Cela pénalisera des milliers de projets ruraux. Belle illustration du peu de soutien de nos gouvernants aux territoires ruraux les plus fragiles ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants et RDSE)

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales .  - Je remercie le groupe RDSE de son initiative qui prolonge notre débat du 21 novembre dernier. Maire dans un territoire rural, président de conseil départemental, je partage votre attachement à la ruralité.

En tant que coordinateur du grand débat national, j'accompagne le président de la République dans sa grande consultation des maires. La question du soutien au développement des territoires ruraux y est largement évoquée par des élus locaux dont le sentiment d'abandon s'accentue. Le président de la République a eu des paroles fortes, refusant tout défaitisme. Il a annoncé un agenda rural. Il faut des réponses adaptées, c'est tout l'enjeu du droit à la différenciation prévu dans la révision constitutionnelle et déjà expérimenté avec la collectivité européenne d'Alsace.

Le Gouvernement est mobilisé en faveur des territoires ruraux. Pour la deuxième fois consécutive, il n'y a pas de baisse globale de la DGF. La DETR a augmenté de 400 millions d'euros depuis 2014 et dépassera 1 milliard d'euros en 2019. Elle finance des priorités définies à l'échelle locale ; j'ai signé lundi, avec Mme Gourault, une circulaire rappelant aux préfets les règles de bon fonctionnement des commissions départementales d'élus.

Nous avons pérennisé la DSIL, qui devait être exceptionnelle, et qui atteindra 570 millions d'euros cette année.

La loi de finances pour 2019 a renforcé le mécanisme de péréquation en faveur des territoires les plus fragiles. La DSR a augmenté de 90 millions d'euros pour atteindre 1,5 milliard d'euros en 2019, contre 421 millions d'euros en 2004. Cette même loi de finances a également prévu un mécanisme de rattrapage en cas de perte d'éligibilité à la DSR cible. Vous avez également créé une dotation budgétaire en faveur des communes de moins de 10 000 habitants dont une part importante du territoire est classée en zone Natura 2000 - c'est la première fois que l'on appréhende ainsi la notion de densité. Merci à M. Charles Guené, que je remercie pour la qualité de son travail. (On apprécie sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il est faux de dire qu'en matière de DGF, un urbain vaut deux ruraux. Il ne faut pas confondre dotation forfaitaire et DGF ! Grâce à la péréquation, l'effort de solidarité a été renforcé depuis 2017. Dans le Lot, monsieur le président Requier, la commune de Saint-Cirgues, 429 habitants, a bénéficié d'une dotation forfaitaire de 250 euros par habitants et d'une dotation de péréquation de 64 euros par habitant, soit une DGF globale de 314 euros par habitant.

M. François Bonhomme.  - Ils sont riches !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - De son côté, Cahors, ville préfecture, avec ses 21 008 habitants, recevait 72 euros par habitant de dotation forfaitaire et 40 euros de dotation de péréquation, soit un total de 112 euros par habitant. Et je peux faire la même démonstration dans tous les départements. Tenir compte de la seule dotation forfaitaire n'a pas de sens. Merci, monsieur de Belenet, d'y être revenu.

Il est vrai que la DGF est très complexe et ses critères pléthoriques. Le président de la République n'est pas fermé à la réflexion - même si le sujet n'a pas été évoqué hier par Territoires Unis.

L'accompagnement financier ne suffit pas, et le Gouvernement actionne tous les leviers de l'action publique. Le renforcement des pôles de centralité que sont les petites et moyennes villes, notamment via le programme « Action Coeur de ville » - 5 milliards d'euros sur cinq ans - a un effet d'entraînement sur les territoires ruraux. De même, le programme « Territoires d'industries », lancé avec l'AdCF et Régions de France, bénéficiera aux territoires ruraux frappés par la désindustrialisation. À ce jour, 136 territoires d'industrie sont labellisés et 29 territoires pilotes signeront leur contrat d'ici la fin du mois.

Les territoires les plus en difficulté comme la Nièvre, la Creuse ou encore les Ardennes bénéficient de contrats particuliers ; demain, je signerai le Pacte Ardennes en présence de MM. Huré et Laménie.

M. Requier propose de revoir le zonage de la ZRR, qui recouvre actuellement une commune sur deux. Je suis preneur de toutes vos propositions.

Merci, monsieur Émorine, d'avoir évoqué les cabinets médicaux. Je redis mon attachement aux pôles d'équilibre territorial et rural (PETR), plébiscités.

Soutenir les territoires ruraux les plus fragiles suppose d'y garantir les services publics. C'est le sens des 1 300 maisons de services au public que le Gouvernement continue de déployer, avec un maillage territorial de plus en plus fin ; 85 % sont dans des communes de moins de 5 000 habitants et 126 structures itinérantes existent. Nous étudions avec bienveillance ces projets.

L'accès aux soins est un enjeu sensible, avec la baisse de la démographie médicale. C'est l'un des premiers thèmes évoqués dans le grand débat national. Le président de la République et Agnès Buzyn ont pris des engagements forts pour attirer davantage de médecins dans les territoires ruraux et leur rendre du temps médical disponible.

La fin du numerus clausus donnera des résultats à terme. D'ici là, 400 médecins salariés seront déployés dans les déserts médicaux, de même que des communautés professionnelles de santé.

L'Agence nationale de cohésion des territoires soutiendra les territoires les plus en difficulté. Deux amendements de l'Assemblée nationale ont été adoptés mardi, avec l'aval du Gouvernement : le premier renforce la solidarité entre métropoles et territoires environnants, le second crée le contrat de cohésion.

Conserver le lien avec les territoires ruraux passe aussi par le numérique : on ne peut accepter les zones blanches. Le Gouvernement a lancé un New Deal mobile pour une couverture mobile de qualité d'ici fin 2020 ; avec le plan France Très Haut Débit, cela représente un investissement de 3,3 milliards d'euros pour le développement des réseaux d'initiative publique. Certains territoires sont en surchauffe et font face à une pénurie de main-d'oeuvre ! Le très haut débit fait partie des sujets évoqués dans le grand débat, mais les progrès sont notables. Les zones « Territoires d'initiatives » avancent même plus vite que les zones AMII.

La tournée des maires engagée par le président de la République a révélé un besoin de proximité. Cela signifie qu'il faut revoir la loi NOTRe, que j'ai toujours combattue, non pour la détricoter mais pour l'adapter pragmatiquement et réhabiliter les échelons de proximité historiques que sont la commune et le département.

Mme Françoise Laborde.  - Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Merci à la réunion Territoires Unis pour sa contribution. Il faut être fidèle au principe « qui paie décide », mais aussi à son corollaire, « qui décide assume ».

Le président de la République a annoncé un agenda rural, idée portée par l'AMRF, ciblé sur les territoires les plus fragiles. En avril, il annoncera des mesures fortes à la suite du grand débat national. Nous en reparlerons ensemble, comme nous l'avons fait lors de la proposition de loi de Mme Gatel sur les communes nouvelles, qui sera débattue à l'Assemblée nationale et dans le cadre des conclusions du grand débat national.

Merci de vos contributions pour la ruralité, pour les ruralités françaises. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains et SOCR)

La séance est suspendue à midi.

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.