Précarité énergétique des ménages

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la précarité énergétique des ménages, à la demande du groupe CRCE.

M. Fabien Gay, pour le groupe CRCE .  - Madame la ministre, comment remarque-t-on la bascule de la précarité à la pauvreté, puis à l'extrême pauvreté ? Cela commence souvent par un coup dur, perte de travail, divorce, séparation, retraite après une carrière chaotique, qui oblige à se serrer la ceinture : vous commencez par faire attention, puis très attention à votre alimentation, non pas pour manger mieux, mais moins cher, moins varié, avec moins de viande, puis de plus en plus de pâtes ; les sorties culturelles sont bannies ; les seules balades ont lieu au centre commercial, sans achat ; puis vient le jour, faute de pouvoir la payer, où vous devez retirer les enfants de la cantine, où leur était servi leur seul repas équilibré... Le 15 du mois, il faut choisir entre payer le loyer et la facture de gaz ou d'électricité... C'est cette dernière que vous « choisissez », parce que le montant est moins élevé et parce que vous croyez pouvoir vous rattraper ensuite : erreur ! Rapidement, ce poste enregistre plusieurs mois d'impayés et vous ne savez plus vers qui vous tourner pour demander de l'aide.

Je veux dire à nos concitoyens, de plus en plus nombreux, des centaines de milliers, qui sont dans ce cas qu'ils ne doivent pas avoir honte. Nous devrions avoir honte ! Comment un pays qui compte quarante milliardaires et deux millions de ménages ayant un patrimoine supérieur au million de dollars, où les actionnaires ont reçu 57 milliards d'euros de dividendes, ne permet-il pas l'accès de chacun à l'énergie ?

Selon l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), douze millions de personnes sont concernées. Selon le Médiateur de l'énergie, près de 30 % de ménages baissent le chauffage pour économiser. Selon l'Insee, entre l'été 2017 et la fin 2018, les prix de l'énergie ont augmenté de 13,5 %, faisant basculer davantage de ménages dans la précarité énergétique.

Comment s'étonner dès lors que des millions de nos concitoyens enfilent des gilets jaunes et occupent des ronds-points pour crier leur colère et exiger justice   La problématique est majeure.

Elle va au-delà de la situation économique des ménages. L'augmentation du prix du pétrole et du gaz, comme la libéralisation du marché de l'électricité, sont en cause, de même que la hausse des prix de l'immobilier, la stagnation des revenus, l'étalement urbain, et j'en passe...

Au risque de vous choquer, j'affirme qu'il faut un service public de l'énergie en situation de monopole, a contrario des politiques menées depuis vingt ans. Les usagers sont devenus des clients et les dividendes versés aux actionnaires - 27 milliards d'euros pour Engie en sept ans - s'envolent.

Le Gouvernement continue à livrer le secteur de l'énergie au privé, dont l'objectif est simple : le profit, le profit, le profit ! Seul le secteur public répond aux intérêts de l'humain et de la planète. Les ménages les plus fragiles ont les dépenses énergétiques proportionnellement les plus élevées. Ne les taxons pas davantage !

L'État doit également intervenir dans l'aménagement du territoire et accélérer son action en matière de rénovation de logements. Au rythme où nous allons aujourd'hui, soit 288 000 rénovations dites performantes ont lieu chaque année, dont 54 000 sur des logements classés F et G, les plus inefficaces, il faudrait 140 ans pour les rénover tous ! Les aides existantes sont concentrées sur les propriétaires, alors que les précaires sont locataires dans leur immense majorité.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Fabien Gay.  - Il n'est pas justifié, dans la France du XXIe siècle, de couper l'électricité et le gaz, quelle que soit la saison !

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Fabien Gay.  - L'énergie doit se voir appliquer la TVA réduite à 5,5 %. Au-delà, au lieu de pratiquer la charité à coup de chèque Énergie dont les gens ne veulent pas, il faut partager le gâteau de la richesse, en augmentant les salaires pour lutter efficacement contre toute forme de précarité ! (Bravos et applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - La précarité énergétique est hélas une réalité pour nombre de nos concitoyens. Selon l'Observatoire national de la précarité, 11,8 % des Français consacrent plus de 8 % de leurs revenus à l'énergie, contre 13,8 % en 2013. En dépit de ces progrès réels, l'enquête annuelle du médiateur de l'énergie montre que 15 % des répondants souffrent du froid dans leur logement, le plus souvent à cause d'une isolation insuffisante.

Le Gouvernement a mis en place des aides. En 2015, quelque 150 000 ménages ont bénéficié d'une aide du fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour payer leurs factures d'énergie et en 2017 on a compté près de 550 000 interventions des fournisseurs d'énergie après impayés. Les mesures que nous avons prises afin de faciliter le paiement des factures seront renforcées en 2019 et 2020. Le chèque Énergie a touché plus de 3,6 millions de ménages en 2018. Il est envoyé automatiquement aux ménages éligibles. En 2019, il passera, comme nous l'avons annoncé à l'automne, à une moyenne de 150 euros à 200 euros et concernera 5,8 millions de ménages.

Mais le coeur du problème concerne les logements. L'objectif est d'en rénover 500 000 par an, dont 150 000 passoires énergétiques du parc privé et 100 000 logements sociaux, avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations. La France compte 7 millions à 8 millions de passoires énergétiques. Plusieurs outils existent : le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), les aides de l'ANAH notamment. Cette dernière a accompagné 62 000 rénovations en 2018.

Elle renforcera son action pour atteindre un objectif de 75 000 logements par an. Les certificats d'économies d'énergie (CEE) ont permis la rénovation de 200 000 logements depuis leur création.

Au total, 300 000 logements sont rénovés chaque année pour améliorer l'isolation. L'éco-prêt à taux zéro a été simplifié par la loi de finances pour 2019, pour les types de travaux et pour les logements éligibles. Nous mobilisons les banques pour qu'elles informent leurs clients des solutions disponibles.

Nos efforts portent également sur la mobilité pour réduire les pollutions mais aussi aider les plus modestes. Ainsi, 300 000 dossiers ont été déposés en 2018 pour la prime à la reconversion automobile, 255 000 ont été traités et pour 71 % des ménages non imposables, l'aide s'élève à 2 000 euros. Le dispositif sera renforcé en 2019 pour atteindre 4 000 euros, voire 5 000 euros pour l'achat d'une voiture électrique, pour les personnes relevant des deux premiers déciles de revenus, ou pour les personnes non imposables qui roulent plus de 60 kilomètres par jour pour leurs déplacements professionnels. Nous savons que nous devons aller encore plus loin en matière de lutte contre la précarité énergétique.

Le CITE est un secteur bloquant pour les ménages modestes ou très modestes, compte tenu de son paiement décalé. Il sera réformé.

Nous devrons mieux informer nos concitoyens sur les aides existantes et mieux coordonner l'action de tous les acteurs sous une bannière unique, via une charte signée bientôt, sous l'égide de François de Rugy et de Julien Denormandie. Nous devons repenser l'organisation générale du service public de l'efficacité énergétique, au regard du travail engagé avec Régions de France, afin de décliner les solutions nationales sur le plan régional, dans des territoires pilotes, dès le troisième trimestre 2019.

Nous devons venir à bout des passoires thermiques, en particulier dans le parc locatif privé, en aidant les propriétaires bailleurs.

Le chemin est long et d'autres formes d'intervention, et de propositions concrètes, notamment issues des retours du grand débat national en cours, doivent être avancées. Soyez assurés de la totale détermination du Gouvernement.

Mme Cécile Cukierman .  - La commission de régulation de l'énergie (CRE) a lancé, contre l'avis de l'Autorité de la concurrence, une nouvelle attaque contre le service public de l'électricité, en annonçant, le 7 février dernier, une augmentation de 5,9 % des tarifs réglementés. Même si les promesses n'engagent que ceux qui y croient, le Premier ministre s'était engagé, le 30 novembre, à ce que ces tarifs n'augmentent pas pendant l'hiver.

La France traverse pourtant une crise sociale sans précédent, avec le mouvement des gilets jaunes dont l'une des premières préoccupations est liée à l'énergie.

Le silence du Gouvernement est d'autant plus gênant que cette augmentation est contestée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et par l'Autorité de la concurrence qui reproche à la CRE d'abuser de son pouvoir en empiétant sur le domaine législatif. La situation est inédite. C'est la première fois que deux autorités administratives indépendantes se trouvent ainsi publiquement en conflit ! Le Gouvernement doit prendre position. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Les tarifs de l'électricité n'ont pas été augmentés cet hiver, comme le Gouvernement s'y était engagé. La prochaine augmentation n'aura pas lieu avant le 1er juin, selon les formules figurant dans la loi, conformément aux directives européennes. L'Autorité de la concurrence n'a jamais dit que la CRE avait outrepassé ses pouvoirs.

M. Roland Courteau .  - De 10 % à 12 % de nos concitoyens se trouvent en situation de précarité énergétique, liée au prix de l'énergie, à la mauvaise isolation du logement et à leur modeste niveau de revenus.

Des mesures curatives ont été prises, comme le chèque Énergie consolidé. Il faut renforcer les dispositifs curatifs et préventifs et agir massivement sur la rénovation thermique des logements en remplaçant le CITE par une prime. Pour les logements en location, il faut mettre en face un niveau minimum de performance pour en finir avec les passoires. Quelles sont vos intentions, madame la ministre ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Vous avez bien isolé les trois causes principales de la précarité énergétique. La prime d'activité améliore utilement les revenus des ménages modestes. En outre, nous transformerons effectivement le CITE en prime. Nous luttons aussi contre les passoires thermiques et avons renforcé sensiblement le chèque Énergie qui passe de 3,6 millions à 5,8 millions de ménages éligibles.

M. Roland Courteau.  - Oui, il y a trop de passoires énergétiques, trop de logements sont indécents au sens du décret de 2002. Il faut mettre en place des normes minimales pour les logements. En effet, les mauvaises isolations ont des conséquences sur l'état de santé de nos concitoyens : dépression, anxiété, migraine, bronchite chronique, mal de vivre... C'est inacceptable ! (Marques d'approbations sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Françoise Laborde .  - « Dès que le froid arrive, c'est le casse-tête qui recommence(...) J'ai acheté un radiateur à roulettes que je mets en route le soir quand les enfants rentrent de l'école ; la journée, je me débrouille en allant dans les endroits chauffés comme les galeries marchandes, car il fait 12 degrés dans le salon. Bien sûr, nous dormons tous ensemble pour avoir moins froid ». En février 2019, la Fondation Abbé Pierre a publié ce témoignage d'une victime de la précarité énergétique.

Les collectivités locales jouent un rôle fondamental pour lutter contre ce phénomène aggravant pour les ménages les plus fragiles. Aujourd'hui, la part du logement dans les dépenses des ménages atteint plus de 22 %, contre 9,3 % en 1959. Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour réduire cette charge pour les ménages les plus précaires ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Je vous remercie de citer ce témoignage. Nous travaillons pour améliorer la situation des Français dans le besoin.

Les collectivités locales sont effectivement en première ligne ; c'est pourquoi nous favorisons la contractualisation entre l'ANAH et les collectivités territoriales et les intercommunalités, pour démultiplier localement les actions et favoriser l'accès des ménages les plus modestes aux aides.

Nous avons concentré les certificats d'économie d'énergie dans le dispositif Coup de pouce qui permet de changer la chaudière au fuel pour une chaudière au gaz moyennant 1 euro. Un appareil aux normes permet de réduire les dépenses en énergie.

M. Jean-Paul Prince .  - Les tarifs de l'abonnement effacement jours de pointe (EJP) ont connu une forte augmentation, profitable tant aux consommateurs qui allègent leur facture qu'au fournisseur d'électricité qui profite de leur consommation réduite pendant les 22 jours de pointe. Cet abonnement n'est plus disponible aux nouveaux consommateurs depuis 1998. Toutefois, pas moins de 450 000 foyers l'utilisent encore. On constate une hausse continue pour les jours classiques qui ont augmenté de 6,5 % en 2017, et une baisse du tarif pour les jours de pointe. L'option effacement jours de pointe est donc de plus en plus dénuée d'intérêt.

Certains abonnés pourraient se retrouver en situation de précarité énergétique, en dépit des avantages de ce système, qui fait baisser la demande dans des périodes critiques et s'inscrit pleinement dans les objectifs souscrits par notre pays pour réduire la consommation d'énergie. N'est-il pas pertinent de ne pas le priver d'effet, à défaut d'offrir une alternative ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le tarif EJP a en effet vocation à faire baisser la consommation les jours de pointe, en modulant les tarifs. L'option Tempo en 1996 a permis une avancée en apportant une gestion plus fine qu'EJP, mais avec les mêmes objectifs. En 1997, l'option EJP a donc été mise en extinction.

Ces deux outils ne sont pas destinés à lutter contre la précarité énergétique, mais permettent effectivement de réduire la demande dans les périodes de grande tension. Je porterai une attention particulière aux tarifs EJP ; en attendant, nous étudions avec l'Ademe et la CRE, l'utilité et les modalités de ces tarifs d'effacement.

Mme Colette Mélot .  - Mme Laborde a bien décrit les conséquences de la précarité énergétique, qui touche 10 % des Français. Elle est un facteur aggravant de la pauvreté, pousse les ménages au surendettement.

Des fonds européens dédiés aux collectivités locales permettent de financer les rénovations thermiques des appartements HLM mais aussi des propriétés dégradées. Ainsi, grâce à la communauté d'agglomération Melun-Val-de-Seine, l'Office public départemental a reçu un million d'euros, soit 50 % du coût de la rénovation thermique de 234 logements, représentant 30 % d'économies sur les charges de chauffage des locataires.

La précarité énergétique est un sujet où l'écologie s'accorde le mieux avec l'économie. Il faut en finir avec les passoires énergétiques ; le Gouvernement compte-t-il s'inspirer d'une recommandation formulée dans un rapport d'information parlementaire du 29 janvier dernier, suggérant d'augmenter les aides aux opérateurs pour en finir avec les passoires énergétiques ?

Mme Nassimah Dindar.  - Très bien !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - La précarité énergétique a été définie dans la loi Grenelle II. Vous avez raison de citer le surendettement ; nous travaillons donc avec les banques pour faire connaître les dispositifs CITE et PTZ. Nous avons un objectif annuel de 100 000 rénovations de logements sociaux, grâce à un concours de 3 milliards d'euros de la Caisse des dépôts et consignations, au financement du grand plan d'investissement et grâce à une contractualisation avec les bailleurs. La stabilité des résultats obtenus depuis plusieurs années devrait nous inciter à être toujours plus ambitieux...

M. Guillaume Chevrollier .  - (M. Vincent Segoin applaudit.) Plus de cinq millions de Français subissent la précarité énergétique ; vivant dans des passoires thermiques, ils sont les premières victimes de la hausse des prix de l'énergie comme de celle des carburants.

Les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs pour aider à payer les factures, de manière préventive ou curative, grâce au FSL ou aux aides de l'ANAH, qui ciblent les ménages les plus modestes. J'ai échangé avec l'Agence du logement de la Mayenne. Elle m'a fait part du manque de lisibilité et de l'émiettement des aides locales, régionales ou nationales, qui freinent leur efficacité.

De plus, le démarchage téléphonique frauduleux qui explose dans ce secteur abuse de la confiance des consommateurs. Certains bailleurs ne rénovent pas leur bien, profitant de la pauvreté de leurs locataires. Comment y remédier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Vous avez raison : il existe de nombreuses aides et elles ne sont pas toutes lisibles. Le FSL aide 300 000 ménages chaque année - pour 250 euros environ en moyenne  - géré par les conseils départementaux ; le chèque Énergie touchera 5,4 millions de ménages et le CITE sera élargi.

Nous massifions les programmes de rénovation, financés par les certificats d'économies d'énergie, portés désormais par les grands énergéticiens. Le programme Faire, partagé par tous les acteurs, doit permettre les synergies et développer un label reconnu par tous nos concitoyens. Nous travaillons avec Régions de France à un service public de l'efficacité énergétique. Nous simplifions les guichets et certifions l'existence de tiers de confiance à même de convaincre nos concitoyens de mener des actions de rénovation.

M. Guillaume Chevrollier.  - Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut de la simplicité et de la stabilité.

Mme Françoise Cartron .  - La précarité énergétique est devenue un sujet de préoccupation majeure. Au cours de l'hiver dernier, 15 % des ménages ont affirmé avoir souffert du froid chez eux. Un sur quatre est en situation de vulnérabilité énergétique, avec une surreprésentation des ruraux, des agriculteurs et des retraités.

Des dispositifs existent : remplacement des tarifs sociaux par le chèque, porté à 200 euros cette année. Mais à long terme, la meilleure façon d'éradiquer la précarité reste de rénover les logements.

L'ANAH, avec le programme Habiter mieux, finance jusqu'à la moitié des travaux mais les plus pauvres n'y ont guère recours, faute d'information parfois. Comment faire passer les messages à ces « invisibles » ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, nous devons atteindre tous ceux qui se perçoivent comme « invisibles ». Le taux de recours au chèque Énergie en 2017 était de 85,5 % - plutôt un bon taux. Mais nous devons faire mieux et relancer les bénéficiaires qui ne l'ont pas activé.

Nous pouvons aussi faire mieux sur l'accès au programme ANAH, c'est le rôle de la plateforme Faire. Le collectif pour les énergies renouvelables (CLER) a un programme « Services locaux d'intervention pour la maîtrise de l'énergie » (Slime). La Poste a aussi son propre programme de sensibilisation des ménages.

M. Joël Bigot .  - La veille du dépôt du projet de loi Énergie, le Gouvernement a décidé de revoir sa copie ; cela arrive au moment où « l'affaire du siècle » se déploie. Les deux questions de l'écologie et de la précarité énergétique sont intimement liées.

J'espère que le Gouvernement prendra en compte les remarques du Conseil national de la transition écologique (CNTE) qui vous invitait à instaurer le « service public de performance énergétique de l'habitat » comme prévu par la loi relative à la transition écologique et à la croissance verte. Nous sommes encore très loin, avec 350 000 rénovations par an, d'atteindre l'objectif des 500 000 inscrit dans la programmation pluriannuelle de l'énergie. Il faudrait 15 milliards à 30 milliards d'euros de dépenses chaque année pendant trente ans pour rattraper le retard. Le Gouvernement s'inspirera-t-il des dispositifs belges et scandinaves, efficaces et lisibles ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Je veux vous rassurer, le projet de loi Énergie n'est pas moins ambitieux. Il a pour ambition d'atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui est en fait une réduction plus élevée que la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre qui était visée auparavant.

Le service public de l'économie d'énergie doit être mis en oeuvre. Nous y travaillons avec les régions et les collectivités territoriales. Oui, il faut simplifier les empilements d'aides et mieux coordonner les collectivités locales. C'est le sens de l'expérimentation qui commence dans trois régions pilotes et nous permettra de trouver la meilleure organisation possible pour nos concitoyens.

Mme Denise Saint-Pé .  - Entre 5,8 millions et 6,7 millions de ménages sont touchés par la précarité énergétique. Il faut renforcer les moyens de lutte contre la mauvaise isolation des logements. Ne faut-il pas s'interroger sur les méthodes de calcul des tarifs de l'énergie, qui ne cessent d'augmenter ?

Les aides excluent ceux qui ont froid et ne se chauffent pas. Le chèque Énergie est utilisé à 70,57 % à fin 2018. Que faire pour lutter contre le non-recours aux certificats qui ouvriraient aux consommateurs précaires d'autres droits ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le chèque Énergie, d'un montant de 200 euros en moyenne, a précisément pour but d'accompagner les ménages les plus vulnérables ; il est plus simple et plus juste que les tarifs sociaux. Il est attribué en fonction des revenus des ménages indépendamment de leur effort ; ils touchent donc aussi ceux qui ne se chauffent pas. Le montant de l'aide a été augmenté de 150 à 200 euros. Nous ne sommes pas moins ambitieux en visant 500 000 rénovations par an.

Mme Denise Saint-Pé.  - Madame la ministre, le chèque Énergie doit faire mieux que 70 % - 69 % dans mon département. Comment se fait-il que ses bénéficiaires ne puissent pas bénéficier des autres aides car on leur demande de renvoyer de nombreux documents justificatifs à leurs fournisseurs ?

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le tarif de première nécessité (TPN) a fonctionné de 2004 à 2017 ; il était financièrement compensé auprès du fournisseur. Depuis 2017, le chèque Énergie s'est substitué aux tarifs sociaux TPN. Il n'est pas entièrement automatisé car les bénéficiaires doivent l'envoyer au fournisseur sous format papier, occasionnant une hausse des coûts de gestion, lesquels ne feront qu'augmenter encore, avec l'extension de 3,6 millions à 5,8 millions de bénéficiaires. Comment comptez-vous remédier à cette situation ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le taux de recours du chèque Énergie est de près de 83 %, après une expérimentation de deux ans. Il est devenu un moyen de paiement en ligne pour 30 % des bénéficiaires. Il peut donner lieu à une pré-affectation à un fournisseur. Depuis 2019, l'attestation pourrait elle aussi être pré-affectée, ce qui correspond à environ 600 000 demandes au titre de la campagne 2018 et permettra aux bénéficiaires dont la situation ne change pas de n'avoir aucune démarche à faire.

Mme Angèle Préville .  - Vivre dans un logement indigne, une pièce calfeutrée est devenue une réalité en France.

Trop de locataires précaires sont captifs d'un marché insuffisamment réglementé, contraints d'habiter dans des logements mal isolés - classés F et G - leurs factures de chauffage et d'électricité explosent et ils renoncent à se chauffer et à utiliser l'eau chaude.

Certes, il y a des réponses : chèques Énergie, aides sociales, DPE opposable... mais il n'y a rien pour rendre obligatoire la rénovation de ces passoires énergétiques : les locataires n'ont pas les moyens de contraindre les propriétaires à faire des travaux.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

Mme Angèle Préville.  - La justice sociale est au coeur du débat. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - La question est cruciale. Nous aidons les locataires à payer leurs factures, mais il est difficile d'atteindre les bailleurs et les propriétaires, qui n'ont guère de bénéfice à ce que les factures baissent alors que la rénovation leur coûte.

Nous agissons par le levier de l'incitation. Dès 2020, le CITE sera élargi aux propriétaires bailleurs qui font des travaux. Un audit des logements en DPE F et G sera obligatoire dès 2021 préalablement à leur location.

À plus long terme, il faudra éventuellement, si ces mesures s'avèrent inefficaces, réfléchir à une interdiction de la location de ces passoires énergétiques.

Mme Angèle Préville.  - Notre pays s'est engagé à promouvoir le développement durable, à rendre le coût de l'énergie abordable, à réduire les inégalités. Dès lors, ne faut-il pas agir en amont, faire du préventif plutôt que du curatif ? Pourquoi ne pas plafonner les loyers des logements classés F et G ? Il y a urgence climatique, sociale, énergétique : nous serons très attentifs à la future loi Énergie.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Selon un sondage IFOP, six Français sur dix attachent de l'importance à la transition énergétique ; cependant, les travaux de rénovation énergétique ont un coût important. Les prêts de rénovation sont attribués aux propriétaires occupants ou bailleurs qui font des travaux. Avec le PTZ, prorogé jusqu'à 2021, les emprunteurs ont trois ans pour réaliser jusqu'à 30 000 euros de travaux. Le dispositif est favorable mais il porte le risque d'une explosion des défaillances à cause du taux d'endettement élevé des ménages modestes.

La Banque de France souligne ainsi une hausse des dossiers de surendettement et met en garde les autorités sur ce risque. Un ménage qui dispose de 1 500 euros mensuels ne peut avoir à rembourser davantage que 495 euros par mois, c'est la règle du tiers ; or, sur 15 ans, le remboursement de 30 000 euros représente 166 euros mensuels, hors assurance : c'est donc considérable pour les ménages précaires.

L'État pourrait-il se substituer à ces emprunteurs précaires pour l'assurance et se porter garant auprès des organismes de crédit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Effectivement, la rénovation énergétique ne doit pas conduire à augmenter le surendettement. C'est pourquoi nous développons les mesures qui réduisent le reste à charge : les certificats d'éco-énergie ne laissent qu'un euro en reste à charge, permettant le changement d'une chaudière ou la rénovation de combles sans endettement. De même, nous avons remplacé le CITE par une prime immédiatement disponible, financée par l'ANAH et sans avance de frais.

Nous avons également simplifié l'éco-PTZ, supprimé l'obligation d'un bouquet de travaux, ce qui diminue le reste à charge, allongé la durée de remboursement et nous sensibilisons davantage les banques sur ce prêt, ainsi que sur les risques de surendettement.

M. François Bonhomme .  - La précarité énergétique touche plus de 6 millions de personnes en France. Notre pays, qui se présente en leader en tout, fait figure de mauvais élève : nous serions, en Europe, au dixième rang pour la précarité énergétique liée au logement et au onzième pour celle liée aux transports.

La vulnérabilité énergétique est donc une réalité, surtout quand 40 % des dépenses énergétiques passent dans l'achat de carburants. En Occitanie, l'une des plus vastes régions de France, la politique ferroviaire est un levier contre la vulnérabilité liée à la mobilité : il faut soutenir les petites lignes du quotidien et associer les collectivités à cette action. Il serait intéressant d'ouvrir la gestion de certaines lignes du réseau ferré national aux collectivités territoriales, ou d'autoriser les collectivités à une tarification de stationnement spécifique pour les ménages précaires.

Quels outils allez-vous mettre en place pour lutter contre la précarité énergétique dans les transports ? Quel rôle comptez-vous donner aux collectivités pour atteindre cet objectif ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Précarité énergétique et transports sont des sujets connexes en effet. Le Gouvernement souhaite penser une mobilité plus durable. C'était le sens des Assises de la mobilité, conduites sous l'égide d'Élisabeth Borne et auxquelles les collectivités territoriales ont été associées étroitement.

Le projet de loi LOM, prochainement discuté au Sénat, crée des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) sur tout le territoire pour développer la convergence multimodale et proposer des mobilités homogènes.

Nous avons renforcé l'an passé la prime à la conversion en élargissant son champ et en augmentant son montant ; plus de 300 000 demandes ont été faites, 71 % des bénéficiaires ne sont pas imposables. Nous allons continuer dans ce sens, avec l'objectif de doubler la prime pour les 20 % des ménages les plus modestes et pour ceux qui ont des distances de trajet élevées.

Enfin, un nouvel appel à projet sera lancé en 2019 pour des actions de mobilité.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - Les certificats d'économie d'énergie sont efficaces pour déclencher des travaux. Mais si le modèle est vertueux, il est, en pratique, vicié par les lourdeurs administratives.

Le recours au certificat doit en effet être notifié avant les travaux, mais ce n'est qu'posteriori que les ménages savent s'ils sont éligibles. Pour gagner en efficacité et éviter tout refus posteriori, ne faudrait-il pas que le fournisseur se charge lui-même du contrôle de l'éligibilité du consommateur ?

Ensuite, l'information n'étant pas toujours très claire, les ménages peuvent difficilement faire jouer la concurrence - alors que les écarts de prix peuvent être très importants. De plus, le montant de la prime est calculé sur la base du gain énergétique moyen et non du gain réel. Il faut donc renforcer la transparence en imposant la publication des tarifs du kW.

Le certificat, encore, manque d'efficacité et d'équité parce qu'étant payé par les vendeurs d'énergie, son coût est en fait répercuté sur les factures, donc acquitté par le consommateur. Les locataires sont les premiers perdants : ils contribuent, sans en être bénéficiaires. Ne faudrait-il pas, plutôt, un système de bonus/malus qui inciterait les bailleurs à faire des travaux ?

Enfin, le certificat reste peu connu, donc peu utilisé, les pouvoirs publics mettant davantage l'accent sur les aides publiques comme la TVA réduite ou le CITE, alors même qu'ils sont cumulables.

Les moyens restent trop peu lisibles, donc insuffisamment mobilisés : comment comptez-vous remédier à ces difficultés ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le certificat d'économie d'énergie a contribué à 146 000 rénovations des combles, 40 000 isolations de murs, au remplacement de 46 000 chaudières et 250 000 fenêtres. C'est donc un outil utilisé massivement, qui mobilise des moyens importants.

Cependant, il faut, comme vous le suggérez, renforcer la transparence, nous y travaillons avec l'opération « Coups de pouce » qui informe sur l'offre tarifaire et sur la concurrence.

M. Vincent Segouin .  - La précarité énergétique nous touche au quotidien, les maires le constatent très largement dans leurs permanences. Dans mon territoire, nous avions l'espoir qu'une Opah servirait de guichet unique mais, après 100 000 euros engagés en études préalables et trois ans d'exercice, le bilan est bien maigre : à peine 130 dossiers traités, tant les difficultés administratives ralentissent les travaux.

En effet, les aides s'empilent et les dispositifs manquent de clarté : impossible de s'y retrouver. J'ai essayé, comme particulier, de déposer un dossier. J'ai commencé par aller sur le site de l'ANAH, mais il ne reconnaît pas mon numéro fiscal et me renvoie sur un numéro vert - et c'est mon jour de chance, car je tombe juste dans le créneau hebdomadaire où quelqu'un est censé répondre. J'appelle, presque heureux... mais je tombe alors sur une messagerie... qui me renvoie vers le site de l'ANAH, celui-là même qui exige mon numéro fiscal, mais qui ne le reconnait pas ! (Sourires) En fait, rien n'a changé : l'argent public reste toujours aussi mal utilisé, le fonctionnement l'emporte toujours sur l'investissement.

Quand allez-vous simplifier les procédures, uniformiser et stabiliser les critères des aides ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Merci pour ce retour d'expérience client, il est important de se placer dans la perspective du particulier qui demande de l'aide pour la rénovation énergétique de son logement. Toutes les aides à la rénovation énergétique ne relèvent pas de l'État, les collectivités territoriales ont aussi les leurs ; c'est pourquoi, il importe de travailler ensemble à un service public de l'efficacité énergétique. C'est pourquoi nous travaillons à la création d'un guichet unique et que nous fusionnons le crédit d'impôt avec les aides de l'ANAH.

Malgré tout, le CITE bénéficie à un million de foyers, 350 000 logements ont été rénovés et 75 000 dossiers sont suivis par l'ANAH. Les aides sont donc très utiles.

M. Vincent Segouin.  - Croyez mon retour d'expérience : si je gérais ma société de services comme l'État gère ces dossiers, mon entreprise aurait fait faillite depuis longtemps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Fabien Gay .  - Merci à tous pour ce débat. La précarité énergétique, il faut d'abord savoir ce que cela recouvre - je le dis car l'Observatoire national, en supprimant le critère du froid ressenti, a effacé de ses tableurs deux millions de personnes ! Or il y aurait 30 % des ménages qui souffrent ou ressentent qu'ils souffrent du froid dans leur logement...

Nous proposons d'ajouter le thème de la mobilité, qui est un enjeu de précarité énergétique quand tant de nos compatriotes n'ont pas d'autre choix que de prendre leur véhicule - du fait même des trop nombreuses zones blanches de la mobilité.

Il faut, selon nous, s'attaquer aux causes. Le chèque Énergie fait débat, dites-vous, parce que trop de Français n'y recourent pas alors qu'ils y ont droit. Mais, en réalité, il faut aussi noter qu'il ne représente que 150 euros, alors que, selon l'Observatoire, il faudrait entre 523 et 735 euros pour sortir une personne de la précarité énergétique ! Le problème, c'est donc aussi celui des revenus : il faut augmenter les salaires, à commencer par le Smic, pour que tous nos compatriotes vivent dignement.

On ne saurait passer sous silence la question de la privatisation du service public de l'énergie. Vous voulez vendre Engie, avec la loi Pacte, et il se murmure que vous voulez démanteler aussi EDF (Mme la ministre le nie.), déjà obligée de vendre l'énergie nucléaire au privé. Pensez-vous vraiment qu'un opérateur privé, qui ne se préoccupe que du profit, puisse apporter des réponses à la précarité énergétique ? Nous ne sortirons pas nos compatriotes de la précarité énergétique en privatisant les opérateurs énergétiques !

Enfin, devant l'ampleur des besoins de rénovation énergétique des logements, nous avons besoin d'un plan Marshall ! Au rythme actuel, il faudrait 140 années pour rénover tout le parc.

Je rappelle nos propositions : une TVA à 5,5 % et l'interdiction des coupures d'énergie toute l'année pour les précaires, annulation de la CSPE - mais nous avons une proposition de loi sur ces sujets d'importance, nous en reparlerons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 heures.