Création d'un droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse (Deuxième lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Discussion générale

M. Franck Riester, ministre de la culture .  - Je suis heureux de revenir devant vous pour la nouvelle lecture de ce texte qui, à travers la question des droits voisins, a trait à l'avenir même du journalisme. Il assurera la sécurité du modèle économique de la presse, protégera son indépendance et lui permettra d'informer dans des conditions économiques normales.

La valeur créée par les journalistes et producteurs de contenus d'information est aujourd'hui accaparée par les moteurs de recherche qui ne la redistribuent pas, alors qu'elle génère des revenus publicitaires importants. Dans la moitié des cas, en effet, et même 60 % lorsque la recherche est effectuée sur un téléphone portable, le lecteur ne clique pas sur le lien vers le contenu.

L'objectif de ce texte est d'opérer un rééquilibrage de la valeur créée au profit des éditeurs, des agences de presse et des journalistes qui seront désormais rémunérés pour chaque réutilisation des contenus qu'ils ont créés. Le Gouvernement et le président de la République se sont mobilisés sans relâche pour la réforme du droit d'auteur au niveau européen. L'adoption de la directive sur les droits voisins est une immense victoire dont le mérite revient à ceux qui, en France, à Bruxelles et ailleurs, ont pris leur part à ce combat de 26 mois. La France a su se montrer combative, unie et proactive dans la négociation comme dans la transposition ; et c'est vous, au Sénat, qui avez donné l'impulsion. Je remercie en particulier le rapporteur David Assouline pour son investissement sur un texte que vous avez voté en première lecture à l'unanimité, faisant preuve d'un esprit constructif et de consensus.

M. Pierre Ouzoulias.  - Santo subito !

M. Franck Riester, ministre.  - Ce même esprit a guidé le groupe Modem de l'Assemblée nationale et son président Patrick Mignola, qui a inscrit le texte dans sa niche parlementaire. (M. André Gattolin applaudit.)

Voilà ce que nos concitoyens attendent de nous ! Cessons de nous affronter et construisons ensemble des solutions pérennes, dans l'intérêt de nos concitoyens et de notre pays. Le parcours de ce texte montre que c'est possible, comme l'a montré le vote, fin mai, de la réforme de la loi Bichet.

Toujours dans cet esprit, vous avez accepté des amendements au texte initial pour le faire correspondre à celui de la directive européenne, notamment sur la durée de la protection de ces droits.

Les députés ont précisé que la part des droits voisins reversée aux journalistes devrait être « équitable », adressant ainsi un message aux éditeurs et aux agences de presse dans la perspective de négociations sur la répartition des droits dont, par ailleurs, ils ont précisé les modalités : si aucun accord n'est obtenu dans les six mois, la commission administrative paritaire aura quatre mois pour faire aboutir une médiation. En cas d'échec, elle fixera elle-même cette répartition.

Enfin, sur la transparence, l'Assemblée nationale est parvenue à un point d'équilibre : les plateformes en ligne devront fournir les informations nécessaires au calcul de la rémunération due aux producteurs de contenus.

En deuxième lecture, votre commission de la culture a encore amélioré le texte en incluant implicitement dans le champ des droits voisins les photographies et vidéogrammes, en reconnaissant le rôle des agences de presse en tant que fournisseurs de contenus d'information et en clarifiant la part des droits voisins qui devrait revenir aux auteurs non salariés. La fixation de la rémunération prendra notamment en compte les investissements humains, financiers et matériels des producteurs de contenu et la contribution des publications de presse à l'information politique et générale. Cette dernière précision a pu inquiéter une partie des éditeurs, comme ceux de la presse magazine, même si telle n'était pas l'intention de votre commission. La directive européenne exclut déjà l'information scientifique et universitaire du champ d'application des droits voisins.

M. Assouline a déposé un amendement en séance pour répondre à ces inquiétudes. Il définit la contribution à l'information politique et générale (IPG) comme un critère important du calcul de la rémunération, mais sans exclusive. Le champ d'application dépasse bien celui de la presse d'information politique et générale, au sens de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).

L'unité et la solidarité entre éditeurs de presse seront cruciales car les plateformes numériques chercheront à les diviser, comme elles l'ont fait autrefois en Allemagne et en Espagne. Il faudra négocier unis.

La pérennité économique n'est pas suffisante : l'enjeu est aussi de garantir les conditions d'exercice de notre liberté, en protégeant, à l'ère des réseaux sociaux, la loi de 1881 sur la liberté de la presse, et en retissant le lien de confiance entre les Français et leurs médias.

Je ne suis pas favorable à une modification de la loi de 1881. Certes, les injures, les provocations, les incitations à la haine deviennent monnaie courante sur les réseaux sociaux. C'est lorsque la responsabilité cède du terrain que la liberté s'amenuise, et non l'inverse. La députée Laetitia Avia porte une proposition de loi apportant une réponse spécifique aux délits d'injure et de diffamation qui va dans le bon sens ; mais il ne convient pas de les exclure du champ de la loi de 1881, car ce texte qui proclame la liberté de la presse permet aussi la répression de ses abus. Liberté et responsabilité, préservons l'équilibre de cette loi fondatrice.

Il nous faut également rétablir la confiance des Français dans les médias, qui s'étiole : la moitié de nos concitoyens n'ont pas confiance dans ce qu'ils entendent à la radio... qui est le média auquel ils l'accordent le plus !

C'est pourquoi je suis favorable à la création d'une instance d'autorégulation de la profession ; c'est une vieille idée, nous n'inventons rien. J'ai confié pour cela une mission à Emmanuel Hoog, qui m'a remis ses conclusions en mars dernier. Une telle instance existe chez nos voisins, elle est recommandée par l'Unesco et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les trois quarts des Français y sont favorables, mais les journalistes demeurent partagés même si les syndicats ont évolué sur le sujet. Chez les éditeurs, des réticences, voire de l'hostilité se sont exprimées. Pourtant l'Allemagne, la Suisse et la Grande-Bretagne, qui se sont dotées d'un tel conseil, ne sont pas des démocraties au rabais !

Soyons précis : il ne s'agit pas de créer un conseil de l'ordre, mais une instance de déontologie. En d'autres termes, cette instance n'aura pas de pouvoir de sanction. Ce n'est pas à l'État de la créer : il revient à la profession de s'organiser elle-même. L'Observatoire de la déontologie de l'information a engagé une démarche en ce sens. Par ailleurs, il n'appartient pas au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de dire le vrai et le faux. Il doit seulement s'assurer que les plateformes mettent en oeuvre des procédures contre les manipulations et les « infox ».

Du présent texte dépend la survie d'une presse libre, de nos journalistes et auteurs et de nos valeurs. Mais il ne transpose qu'une partie de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins. La mobilisation sans faille de toutes les parties prenantes, qui a abouti à son adoption, doit se poursuivre dans la transposition de ses articles 17 et 18 - anciennement 13 et 14 - imposant aux plateformes une rémunération juste pour les contenus qu'elles utilisent, ainsi qu'une part juste et proportionnée de cette rémunération pour les auteurs. Nous avons proposé une rédaction en cours de discussion avec le secteur.

Il faut également mettre en conformité avec le droit européen le beau projet français ReLIRE - registre des livres indisponibles en réédition électronique - et certaines dispositions de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) sur les moteurs de référence d'images ; je songe également au principe d'injonction directe de la directive CabSat. Tout cela figurera dans le projet de loi Audiovisuel qui sera présenté en octobre au conseil des ministres et en janvier 2020 à l'Assemblée nationale - un texte que vous examinerez avec le même esprit constructif que la présente proposition de loi, j'en suis certain ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)

M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - En 1786, Thomas Jefferson écrivait : « Notre liberté dépend de celle de la presse et elle ne saurait être limitée sans être perdue. » Ce combat sans relâche est consubstantiel à notre démocratie. Or ce droit peut être menacé, voire bafoué. Je songe à la convocation de journalistes du Monde par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), sans doute pour les intimider ou obtenir des informations sur leurs sources ; je pense également aux menaces et violences commises par des gilets jaunes, mais aussi par des policiers, pour empêcher les journalistes de faire leur travail ; à la proposition du ministre du numérique de créer un conseil de l'ordre des journalistes, qui délivrerait une sorte de brevet de véracité rappelant - par pure ignorance, je l'espère - les heures les plus sombres de notre histoire.

Je vous renvoie enfin au projet, rendu public par Nicole Belloubet, de sortir l'injure et la diffamation de la loi de 1881 relative à la liberté de la presse. Ce serait la vider de son contenu, puisque ces deux délits représentent 90 % des contentieux. Je connais votre attachement à cette loi, monsieur le ministre : défendez son intégrité, ne laissez personne la modifier.

Les menaces économiques qui pèsent sur la presse ont été largement décrites en première lecture. L'édifice de la presse issu de la Libération est fragilisé par l'assèchement des sources de financement des agences et éditeurs de presse, dû à la fois à la baisse des ventes et à celle, encore plus marquée, des recettes publicitaires. Or une étude publiée par News Media Alliance en juin 2019 estime à 4,7 milliards de dollars le montant tiré en 2018 par Google de l'utilisation sans rémunération des informations produites par les médias, dans les seuls États-Unis d'Amérique !

Je mène depuis des années un combat contre les grandes plateformes qui pillent les producteurs de contenus. La directive européenne sur les droits voisins adoptée en avril, que nous nous apprêtons à transposer après deux années de négociation, traduit une vision ambitieuse et une conception européenne d'un droit d'auteur protecteur. Un échec aurait signifié un enterrement du dossier jusqu'à une hypothétique reprise par les nouvelles instances européennes.

Le Gouvernement a soutenu cette proposition de loi dès l'origine et l'a enrichie. Je salue l'ouverture du ministre et de ses services, partagée par l'Assemblée nationale à travers son rapporteur Patrick Mignola et le président de la commission des affaires culturelles Bruno Studer.

Sur la question épineuse des exceptions aux droits voisins, l'Assemblée nationale s'est dans un premier temps tenue au texte de la directive qui autorise l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits, ce qui est à mon sens insuffisant pour parer aux interprétations abusives que pourraient en faire les plateformes en ligne. Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale a donc fait voter en séance un amendement qui lève cette exception « lorsque l'utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer. »

La durée des droits rattachés a été ramenée à deux ans dans la transposition de la directive, alors que la France défendait en janvier, de manière quelque peu optimiste, une durée de cinq ans.

Il a donc fallu un véritable alignement des planètes pour l'adoption de cette directive, qui est une victoire symbolique : le destin de la presse n'est plus de mourir plus ou moins dignement comme d'aucuns le prédisaient.

Nous souhaitons que le texte soit adopté et promulgué avant la fin de la session extraordinaire, ce qui devrait être le cas puisque l'Assemblée nationale l'examinera le 23 juillet. Ne confondant pas vitesse et précipitation, ce qui est la marque du Sénat, notre commission a, en deuxième lecture, apporté plusieurs améliorations. Elle a ainsi veillé à explicitement inclure dans le champ du texte les agences de presse, les photographies et vidéogrammes, ainsi que les auteurs non salariés.

Certains éléments ont également été inclus pour orienter les négociations, comme la notion de prise en compte des investissements consentis et la participation au débat démocratique cher à la presse d'information politique et générale. Après cette amélioration de la commission, je vous proposerai dans un instant une ultime rédaction qui fait consensus dans l'ensemble de la famille de la presse.

Une fois le texte promulgué, la profession devra ensuite avancer de manière unie. Chacun doit comprendre qu'il ne peut briser cette unité sans nuire à l'ensemble des éditeurs. Je veux croire que de leur côté, les plateformes comprendront qu'elles ne peuvent plus se soustraire à nos principes fondamentaux.

Après s'être engagée pleinement à Bruxelles, la France, en votant ce texte, se placera en position de modèle pour toute l'Europe, à la fois pour la transposition de la directive et la négociation avec les géants du numérique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Françoise Laborde applaudit également.)

M. André Gattolin .  - On dit souvent que la critique est un art difficile. Les louanges le sont plus encore, car elles exposent au soupçon de flagornerie et d'hypocrisie. Je suis pourtant sincère en adressant mes félicitations à David Assouline et au président du groupe Modem de l'Assemblée nationale, Patrick Mignola, qui a permis l'inscription du texte dans la niche parlementaire de ce groupe le 9 mai. Après notre vote, et s'il est adopté conforme par l'Assemblée nationale avant la fin de la session extraordinaire, nous aurons transposé un fragment de la directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le numérique avec une rapidité remarquable, puisque le délai moyen de transposition est de 18 mois.

Lorsqu'une volonté forte d'oeuvrer pour le bien de tous est incarnée et se met en marche, tout devient possible. Nous l'avons vu tout récemment avec les désignations aux postes principaux des institutions européennes. L'Europe se révèle utile pour protéger les citoyens et les entreprises face à des plateformes hégémoniques. Le Gouvernement a toujours eu le souci de donner à la presse les moyens de son indépendance, et de garantir la liberté d'expression et d'information.

Instaurer un droit voisin au bénéfice des agences et éditeurs de presse signifie aux plateformes numériques que l'époque où elles s'enrichissaient par le pillage que leur permettait leur position dominante est révolue. Les éditeurs et les agences de presse y trouveront également de nouvelles recettes. Le temps du laisser-faire est révolu : le Far West numérique cède la place à la responsabilisation et au respect des oeuvres d'autrui. En Europe, nous n'avons pas de shérif pour défendre l'équité et la liberté : nous avons la loi. Les géants du numérique ne sauraient supplanter l'État.

Après l'instauration d'une responsabilité éditoriale dans la diffusion des fake news, la taxe sur les services numériques et ce texte, il nous reviendra de réguler les cryptomonnaies.

Notre commission a répondu à trois questions restées pendantes, en élargissant le texte aux photos et vidéogrammes, en précisant les critères d'indemnisation et incluant les auteurs non salariés. Tout cela va dans le bon sens.

Je partage pleinement, enfin, l'idée qu'il n'est pas opportun d'instaurer une gestion collective obligatoire. J'ai eu l'occasion, lors de l'examen en première lecture, de formuler des critiques sur le fonctionnement de certains organismes de gestion des droits d'auteur et des droits voisins.

Le groupe LaREM adoptera le texte dont la cohérence a été renforcée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le concept de droit d'auteur trouve son origine dans la philosophie des Lumières et plus particulièrement dans les travaux de Voltaire, Fichte, Diderot et Kant. Ce dernier a posé, dans Qu'est-ce qu'un livre ?, les bases de la théorie de l'auteur qui, dans une certaine mesure, inspire la directive européenne et cette proposition de loi. Il écrit ainsi : « L'auteur et le propriétaire de l'exemplaire peuvent dire chacun avec le même droit du même livre : c'est mon livre ! mais en des sens différents. Le premier prend le livre en tant qu'écrit ou discours ; le second simplement en tant qu'instrument muet de la diffusion du discours jusqu'à lui ou jusqu'au public, c'est-à-dire en tant qu'exemplaire. » Il résume ce paradoxe par une formule qui garde toute sa pertinence : « La propriété qu'un auteur a sur ses pensées, il la conserve nonobstant la reproduction. » Ainsi l'oeuvre dispose d'un corps que son appropriation transforme en marchandise, et la nature numérique de cette enveloppe ne modifie pas le principe de cette captation. Le produit s'échange et se diffuse, se duplique et circule plus encore aujourd'hui qu'il est devenu incorporel ; mais l'acte créateur reste inaliénable.

Selon Kant encore, l'oeuvre, en tant qu'elle contribue à construire un universalisme, intéresse l'intérêt général, ce qui autorise la collectivité à en organiser la diffusion selon les règles qu'elle se donne.

Ces trois dimensions de l'oeuvre ont inspiré la doctrine juridique française dans sa définition de la notion de balance du droit d'auteur qui concilie les intérêts de l'auteur, ceux des titulaires des droits voisins et ceux de la collectivité en négatif, en limitant les droits exclusifs aux deux premiers au profit de l'intérêt général. Cette notion n'est pas sans rapport avec la matière traitée par cette proposition de loi : dans un monde numérique de plus en plus dominé par des entités supra-étatiques, les gouvernements ne doivent-ils pas limiter les prétentions de celles-ci au nom de cet intérêt général ?

Cette proposition de loi répond heureusement à la question. Le Sénat a décidé de limiter la capacité des plateformes à croître aux dépens d'autrui et de protéger les éditeurs. Avant cela, la directive européenne, adoptée le 17 avril, a posé les bases d'une régulation complète et ambitieuse.

Elle devra être transposée en droit national avant le 7 juin 2021. Par un heureux hasard du calendrier, l'objet de la présente proposition de loi se trouve étendu. Elle fait de la France le premier pays à transposer la directive en ses dispositions relatives au droit voisin des éditeurs de presse et des agences.

Nous aurions pu renoncer à ce texte au profit d'une loi de transposition globale mais pour des raisons tactiques, le groupe CRCE votera ce texte pour poser les premières bases d'une régulation du monde numérique dans l'intérêt des oeuvres, des artistes et des libertés individuelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC.)

Mme Françoise Laborde .  - J'adresse mes félicitations à David Assouline pour cette proposition de loi qui fait des droits voisins un maillon essentiel de l'économie de la presse. En l'adoptant, la France ferait figure de pionnière dans la protection des acteurs de la presse face aux GAFA : les agences et éditeurs de presse seront rétribués pour l'utilisation de leurs contenus par les plateformes numériques et les moteurs de recherche. Ces « infomédiaires » avaient introduit un rapport de force qui leur était très favorable grâce à la menace du déréférencement.

Au niveau européen, la partie n'était pas gagnée, mais l'issue nous rassure : un terrain d'entente a été trouvé. Il y allait de l'indépendance et de la qualité de l'information ! Je rappelle que 29 % des agences de presse ont disparu en huit ans. C'est la viabilité du secteur entier des éditeurs de contenu qui était en jeu ; il fallait mettre un terme à cette spoliation qu'était la reproduction de masse des contenus sans contrepartie.

L'Assemblée nationale a choisi de se conformer à la directive européenne ; notre commission a voulu aller plus loin en ajoutant aux critères de fixation de la rémunération les investissements réalisés et l'importance de la contribution à l'information politique et générale. C'était nécessaire pour conforter les agences de presse, tout comme l'était l'inclusion des photos et vidéogrammes dans le champ du texte. Nos anciennes collègues Corinne Bouchoux et Marie-Christine Blandin en seront ravies. Il convenait également de prendre en compte les auteurs non salariés.

Puisse l'Assemblée nationale maintenir l'équilibre que nous avons trouvé ! Les discussions devront ensuite s'engager sur le terrain entre le collectif des éditeurs de presse et les plateformes.

Les députés avaient raccourci la durée d'indemnisation à deux ans ; je plaidais pour une durée de cinq ans, mais me rangerai à un dispositif cohérent avec la directive européenne. Il conviendra d'en évaluer l'impact dans deux ans. J'appelle enfin à aborder au plus vite la question des snippets, ces courts extraits qui apparaissent dans le lien vers un contenu.

Le groupe RDSE votera le texte de la commission à l'unanimité.

M. Michel Laugier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Nous espérons être arrivés au terme de l'examen de cette proposition de loi pour des raisons de fond, car le texte représente un véritable progrès en répondant à la crise que le numérique a déclenchée dans la presse, comme de procédure.

Le Sénat a pris toute sa part à ce travail en votant en première lecture la réforme de la loi Bichet, dont j'étais le rapporteur. Je forme le voeu que ce texte soit adopté avec une rapidité similaire.

En étant le premier État membre à transposer la directive, la France se montre exemplaire ; mais, comme l'a dit David Assouline, l'acte législatif n'est qu'une étape, et ne sera rien si les plateformes trouvent le moyen de se soustraire à la nouvelle réglementation.

En amendant le texte en deuxième lecture, sur la proposition du rapporteur, nous avons pris un risque stratégique. S'il faut en croire les assurances du Gouvernement et de l'Assemblée nationale, il devrait toutefois être adopté conforme le 23 juillet. Deux des trois amendements présentés ici vont dans le bon sens. Le troisième, qui consiste à clarifier certains éléments pour orienter les négociations sur la rémunération des éditeurs et des agences, suscite de légitimes interrogations. Cela suffira-t-il à assurer l'équité ? Vous le pensez, monsieur le rapporteur, la presse d'information politique et générale en est convaincue depuis le début ; la presse spécialisée semble y souscrire.

Compte tenu de ces engagements et de ces assurances, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur le banc de la commission)

M. Claude Malhuret .  - Le 26 mars, après deux années d'âpres discussions, le Parlement européen a adopté la directive sur le droit d'auteur dont l'objectif est d'adapter ce droit à l'ère du numérique. Ce texte garantit l'accès à l'information et protège les éditeurs face aux GAFAM, devenus des monstres à deux bras très inégaux : un très long bras pour prendre, un bras très court pour redistribuer.

La création d'un droit voisin est vitale pour la presse, comme en témoignent les difficultés de Presstalis. Je remercie David Assouline à la fois pour son initiative et la qualité de son travail de rapporteur.

La durée du droit voisin a finalement été fixée à deux ans, au lieu de cinquante dans la proposition de loi initiale. Le groupe Les Indépendants avait proposé de le ramener à cinq ans, pour ne pas affaiblir la crédibilité de la France dans les négociations. L'Europe s'est montrée encore plus raisonnable.

En deuxième lecture, la commission a apporté des compléments utiles en précisant les modalités de rémunération et en incluant les photos et vidéogrammes dans le champ d'application du texte.

Le texte prévoit la communication des données d'utilisation par les plateformes numériques : vigilance ! Google lit déjà en nous comme dans un livre ouvert. On nous a promis la transparence avec internet ; le résultat, c'est la surveillance généralisée. (Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, renchérit.) UFC-Que Choisir a lancé le 26 juin une action en justice contre Google, qui exploiterait illégalement les données de 26 millions d'utilisateurs. Il est essentiel de protéger les données personnelles contre les utilisations détournées.

Le texte européen prévoit des exceptions pour les plus petits éditeurs de presse - ceux qui ont moins de trois ans d'existence et réalisent moins de dix millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Nous nous en félicitons.

Le débat sur les droits voisins ne résume pas les défis du numérique. En ne se considérant pas comme responsables des contenus qu'ils diffusaient, YouTube et Facebook se comportaient en petits enfants restés sous l'autorité parentale - des enfants dotés d'un canal alimentaire d'une très grande voracité à l'entrée, d'une irresponsabilité absolue à l'autre extrémité... (Sourires) La directive européenne met fin à ce régime ultra-permissif.

Autre défi, la haine, devenue le crack des réseaux sociaux. Nous légiférerons prochainement sur ce sujet.

L'instauration d'un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse constitue une première étape en direction de la régulation du territoire numérique. Nous la voterons et attendons la suite de la transposition de la directive européenne. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Pierre Leleux .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette transposition, même partielle, est un record de réactivité ! Il faut dire que la proposition de loi de David Assouline, votée à l'unanimité par le Sénat en janvier dernier, anticipait la directive européenne. L'Assemblée nationale a tenu compte des derniers ajustements du texte européen. Le calendrier nous a été particulièrement favorable. Il aura tout de même fallu plus de trois ans de débats compliqués et chaotiques, dans les instances européennes, pour que ce droit légitime des éditeurs et agences de presse soit reconnu.

Le texte, enfin, devrait pouvoir s'appliquer dans les prochaines semaines. L'article 11 de la directive, devenu l'article 15, crée un droit voisin pour les éditeurs de presse lorsque leurs contenus sont repris par les plateformes.

Ces dernières captent l'essentiel des revenus publicitaires et mettent en danger l'équilibre économique de la presse. La liberté de celle-ci, principe constitutionnel, est menacée. Il s'agit ici de faire entrer les géants américains et chinois dans le giron du droit d'auteur français : dans le pays de Beaumarchais, c'est une fierté !

L'éditeur devrait donner son accord pour toute diffusion de contenu, pour laquelle il sera rémunéré pendant deux ans. Les modalités d'application de ce nouveau droit seront précisées lors des négociations.

Des contentieux devraient toutefois surgir s'agissant des exceptions au nouveau droit voisin.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UC et sur le banc de la commission)

M. André Gattolin.  - Très bien !

Mme Sylvie Robert .  - Près de cinq ans ont été nécessaires pour réformer la législation européenne sur le droit d'auteur, parcours jalonné de crispations, d'interrogations et d'un intense lobbying. Il est vrai que notre modèle, de tradition séculaire, place en son coeur la création et les créateurs. La France, où Le Chapelier, Beaumarchais et Lamartine ont ouvert la voie, a creusé le sillon fécond du droit d'auteur. La conscience collective de ce droit y est plus développée qu'ailleurs. Cette proposition de loi s'inscrit dans son histoire. Initialement, elle pouvait sembler même trop « gourmande », notamment s'agissant de la durée de protection du droit voisin - finalement abaissée des cinq ans initialement fixés à deux ans, afin d'être en conformité avec la loi européenne.

Les exceptions « d'intérêt général » sont justifiées par l'objectif poursuivi - comme déjà le prévoyait la loi pour une République numérique, sans remettre en cause la création du droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse, fruit d'un dialogue silencieux entre notre texte et la directive européenne. La France sera la première à en transposer une partie des dispositions. Certaines le seront dans le futur projet de loi réformant l'audiovisuel public.

Les exceptions ont été clarifiées et inscrites dans le code de la propriété intellectuelle : un snippet ou un court extrait ne doit pas résumer les propos de l'article. La frontière est ténue.

Les revenus réalisés par les plateformes sur les articles sont tous visés : c'est une avancée majeure, de nature à dissiper tout malentendu juridique. La proposition de loi rétribue les créateurs de contenus - les journalistes et les auteurs - à leur juste valeur.

Ce travail de concert entre l'Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat est à saluer, tant il est devenu rare, mais pourtant précieux. Nous remercions infiniment David Assouline, initiateur de ce mouvement, qu'il a poursuivi en deuxième lecture.

L'enjeu est de taille. La presse, comme nombre de secteurs, a beaucoup souffert de la révolution numérique.

Le public n'a pas délaissé la presse mais s'est davantage tourné vers le numérique : près de 97 % de la population française déclare la lire au moins une fois par mois, pour une durée quotidienne moyenne de 22 minutes. Il n'y a donc pas de désaffection du public. Mais cette lecture est moins rémunératrice pour les publications : les revenus de la presse sont passés de 7 milliards d'euros en 2009 à 4 milliards d'euros ; surtout, les recettes publicitaires ont chuté de 5 milliards d'euros en 2017 à 2,3 milliards en 2015. Les ventes d'exemplaires papier ont chuté et les recettes ont diminué chaque année de 7 %. Elles augmentent dans le même temps de 12 % sur le numérique, mais sans bénéficier aux éditeurs dont les recettes sont captées par les plateformes. Il était temps de rééquilibrer les choses.

Comme le soulignait le rapport de Laurence Franceschini, réalisé en 2018 pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), la création d'un droit voisin est « la reconnaissance (...) du rôle indispensable et de l'importance du métier de l'éditeur de presse pour assurer l'exercice du droit à l'information », lequel est la condition sine qua non d'une démocratie vivante. Cette réforme, comme celle de la loi Bichet, est nécessaire à la survie d'une presse indépendante.

Si d'aucuns ont brièvement eu la tentation de mettre en place un conseil de l'ordre des journalistes, il est au contraire fondamental d'apporter un soutien massif, sans faille et sans ambigüité, à l'ensemble du secteur de la presse, et plus spécialement aux journalistes et aux reporters qui font vivre l'information.

Oui, nous devons soutenir cette réforme à l'heure où la liberté de la presse recule et où les intimidations, voire les agressions, se multiplient contre les journalistes. Nous devons nous féliciter, en France, de la diversité de notre presse. Votons cette proposition de loi à l'unanimité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR, ainsi que sur la plupart des bancs depuis ceux du CRCE jusqu'à ceux du groupe UC, et sur le banc de la commission)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je salue l'engagement de David Assouline, rapporteur et auteur de la proposition de loi. Grâce à sa détermination, à celle de la commission et du Sénat dans son ensemble, et au soutien du ministre, la France sera la première à transposer l'article 15 de la directive européenne sur le droit d'auteur.

La suite devra suivre rapidement, d'autant que les plateformes en contestent les mesures. La souveraineté numérique, sujet enfin pris en compte, et auquel le Sénat consacre une commission d'enquête, nécessite une régulation solide : droit fiscal, régime financier applicable aux plateformes et protection des données.

Lors de notre dernière discussion ici au Sénat, monsieur le ministre, vous avez souscrit, pour la première fois, à ma proposition de résolution européenne de rouvrir la directive e-commerce, qui permettrait d'établir un statut, une redevabilité, une responsabilité des plateformes. Je m'en réjouis. Le secrétaire d'État au numérique, en revanche, devrait se saisir de ce combat au lieu de croire encore à la possibilité d'une autorégulation, de critiquer les journalistes et de vouloir créer une police de l'information...

Certes, les fake news posent problème. Leur développement est notamment lié à la politique du clic rémunérateur, menée par les plateformes. Ne remettons pas en cause pour autant la loi de 1881 !

Il faudra rapidement lancer les négociations pour une application rapide de la proposition de loi, que notre groupe votera, bien évidemment. Elle constitue un signal fort à l'attention des géants de l'internet, mais aussi le versant économique d'un début de responsabilisation des plateformes. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

Mme Nicole Duranton .  - Lorsque nous examinions cette proposition de loi en première lecture, en janvier dernier, nous savions que nos travaux pourraient servir de base à la transposition de la directive sur le droit d'auteur.

La situation actuelle est inquiétante : les plateformes comme Google et Facebook, qui sont devenues les principales portes d'accès à l'information, tirent un revenu du contenu des autres sans rémunérer personne... Imaginez que les radios diffusent de la musique sans contrepartie pour les maisons de disque !

Les agences de presse ne concèdent pas le droit aux éditeurs de presse de transmettre aux plateformes, d'indexer et réutiliser leurs contenus. Mais une interdiction pénaliserait l'audience des éditeurs, donc le chiffre d'affaires des agences, lequel dépend de l'audience... Les agences sont donc démunies face à la puissance des géants du numérique pour défendre leur travail sur le fondement du droit existant. Et les moteurs de recherche peuvent manier toutes les parades juridiques pour faire durer les débats...

Au vu du rapport de force disproportionné, une confrontation avec les plateformes ne permet pas aux agences de faire valoir leurs droits. Une mise en commun des moyens de négociation sur le modèle des sociétés de gestion collective, celui de la Sacem dans le monde de la musique, rééquilibrerait quelque peu les choses.

La capitalisation boursière d'Amazon et de Facebook réunis égale le PIB de la France ! Quant à Google et Facebook, ils captent 92 % des revenus publicitaires sur les Smartphones.

L'enjeu est démocratique, et de justice sociale. Nous devrions être le premier État à transposer la directive sur le droit d'auteur : dans un souci d'efficacité et de protection des acteurs concernés, votons cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission ; M. André Gattolin applaudit également.)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous examinons la proposition de loi créant un droit voisin pour les organes et éditeurs de presse, transposant la directive sur le droit d'auteur dans le marché numérique. Ce texte établit un cadre dans un secteur sensible dont dépend la santé de la démocratie.

Jamais la presse n'a été à ce point en danger : la valeur créée par les journalistes est captée par les géants de l'internet. Nous devons éviter que Google et Facebook ne supplantent l'AFP. Ce texte met fin à leur impunité et rémunère le travail d'éditorialisation. Je me réjouis des travaux menés par les deux assemblées : le texte est cohérent sur le fond.

Je regrette que la directive, à l'article 15, soit allée dans un sens moins protecteur que le Sénat, avec une durée de protection de deux ans. Il est en revanche satisfaisant que la définition des agences de presse ait été précisée.

Le mécanisme qui sera mis en place devra assurer la juste rémunération des éditeurs et agences de presse. Aussi voterai-je cette proposition de loi. (Bravos et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER BIS

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Les reproductions et les extractions effectuées par des organismes de recherche et des institutions du patrimoine culturel, en vue de procéder, à des fins de recherche scientifique, à une fouille de textes et de données sur des oeuvres ou autres objets protégés auxquels ils ont accès de manière licite. »

M. Pierre Ouzoulias.  - La directive a consenti une dérogation pour l'usage scientifique des informations de presse. Il est logique de transposer aussi cette dérogation, surtout qu'elle n'a pas d'équivalent en droit français. J'ai scrupuleusement recopié la directive...

M. David Assouline, rapporteur.  - L'article 38 de la loi pour une République numérique de 2016 prévoit déjà une telle exception, mais son décret d'application a reçu un avis négatif du Conseil d'État, car ladite exception n'était alors pas prévue par le droit européen.

La préoccupation des chercheurs apparaît toutefois légitime, même si elle est un peu éloignée du texte.

Mais l'article 3 de la directive est bien plus large que l'article 38 de la loi de 2016. Qu'en pense le Gouvernement ?

M. Franck Riester, ministre.  - Le champ de cette exception est effectivement plus large que celui de la proposition de loi. Elle sera transposée ultérieurement, comme les autres dispositions de la directive dans le projet de loi Audiovisuel. Mon ministère mène actuellement une concertation sur ce sujet.

Retrait ? Nous travaillerons sur ce texte à l'Assemblée nationale, dès janvier.

M. David Assouline, rapporteur.  - La transposition doit avoir lieu avant juin 2021 : nous avons donc le temps. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Pierre Ouzoulias.  - J'entends l'argument chronologique, mais j'y oppose un argument de principe : équilibrons les droits et les devoirs !

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

L'article premier bis est adopté, de même que l'article 2.

ARTICLE 3

Mme la présidente.  - Amendement n°5 rectifié bis, présenté par M. Chaize, Mmes Deromedi et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Di Folco, MM. Milon, Daubresse et Savary, Mme Bories, M. Laménie, Mme Lamure, M. B. Fournier et Mme Noël.

Alinéa 11

Remplacer les mots :

peuvent confier

par le mot :

confient

Mme Catherine Di Folco.  - Les services de communication au public en ligne, lorsqu'ils reproduisent ou communiquent automatiquement des contenus, n'ont pas le moyen juridique et technique leur permettant de présumer de la nature du contenu reproduit et donc de savoir s'il est, ou non, couvert par un droit voisin des éditeurs et agences de presse.

La gestion collective permettra aux services de communication au public en ligne de connaître les publications bénéficiaires du droit voisin et d'en rémunérer l'exploitation. Or s'il existe une possibilité que des éditeurs ou agences de presse ne confient pas la gestion de leurs droits à un tel organisme, et ne se fassent pas connaître auprès des opérateurs de plateformes, ces derniers encourront un risque important de poursuites et de demandes de dédommagements, en cas de reproduction non autorisée de publications de presse. Ce risque créerait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprise, en l'absence de caractère obligatoire de la gestion collective.

M. David Assouline, rapporteur.  - Cet amendement rejoint ma première intention sur le sujet : il faut pour être efficace que le plus d'acteurs possible s'allient. La proposition de loi privilégie toutefois une gestion collective volontaire, car la gestion collective obligatoire est strictement encadrée par le droit européen et par le droit constitutionnel qui ne l'autorisent pas pour certaines exceptions ou licences légales.

De plus, les éditeurs et agences de presse, ne souhaitant pas s'enfermer dans des négociations, en ont fait une condition de leur accord. Ne modifions pas ce point d'équilibre. Au reste, je n'hésite pas à qualifier l'obligation qui pèsera sur les acteurs du secteur de morale... La profession doit demeurer unie ; nous devons y veiller.

Certains auteurs critiquent le dispositif prévu. Nous avons fait en sorte, bien que le droit voisin ne soit pas un droit d'auteur, que les journalistes puissent en bénéficier.

M. Franck Riester, ministre.  - Je comprends la crainte que les plateformes peinent à identifier les éditeurs et les agences avec lesquels négocier. Mais la CPPAP fournira toutes les informations nécessaires. Elle tient en effet à la disposition des plateformes, si besoin était, la liste des publications de presse disposant d'un numéro d'inscription à la Commission, laquelle peut également être consultée sur le site data.culture.gouv.fr. Enfin, en cas de contentieux, le juge ne manquerait pas de tenir compte de la bonne foi des plateformes qui, en dépit de diligences raisonnables auraient méconnu les droits d'un éditeur. Les objectifs de l'amendement étant atteints, retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°5 rectifié bis est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°7, présenté par M. Assouline, au nom de la commission.

Alinéa 13

Remplacer les mots :

prend notamment en compte

par les mots :

prend en compte des éléments tels que

M. David Assouline, rapporteur.  - Cet amendement clarifie les modalités de prise en compte des éléments susceptibles de concourir à la détermination de la rémunération du droit voisin des agences de presse et des éditeurs de presse. Le caractère à la fois non cumulatif et non exhaustif des critères serait ainsi mieux affirmé.

Les rapports de force des différents acteurs se sont exercés essentiellement sur cette question. La presse d'information politique et générale faisait observer, et on peut le concevoir, que son concours à l'exercice de la démocratie excédait celui de la presse people, par exemple.

M. Franck Riester, ministre.  - Je salue les efforts de conviction, de persuasion, le sens de la diplomatie et de la négociation, dont a fait preuve le rapporteur. La contribution à l'IPG est à prendre en compte pour le calcul du droit voisin. Ce n'est toutefois pas le seul.

Notez que le texte ne parle pas d'IPG mais de contribution à l'IPG. Il n'est nullement question d'exclure une famille de presse de ce droit, exception faite de l'exclusion explicite, par la directive elle-même, de la presse scientifique universitaire. Faisons en sorte que les droits de tous les éditeurs de presse soient défendus au mieux. Leur faculté à s'unir, partant, leur force dans la négociation, n'en sera que plus grande.

M. Stéphane Piednoir.  - J'ai dit en commission ma réticence à l'égard du mot « notamment », en particulier, qui est absolument inutile, et des lois bavardes, en général. Je ne crois pas que cet amendement, même débarrassé du « notamment » apporte quoi que ce soit et ne le voterai pas.

M. David Assouline, rapporteur.  - Nous souhaitons atteindre un équilibre. Nous sommes tous attachés à la liberté de la presse, elle-même diverse. Notre démocratie est imprégnée du pluralisme de la presse, notamment locale. Si le seul critère était l'audience, le droit voisin ne bénéficierait guère à la presse quotidienne et régionale (PQR), ce qui serait dommage. Nous avons ajouté d'autres critères pour être équitables.

M. Franck Riester, ministre.  - Je veux vous convaincre que l'objectif, au-delà d'une transposition rapide d'une partie de la directive, est de réussir à rassembler toutes les familles de presse autour de cette réforme. Le Gouvernement s'est mobilisé à cette fin. Je tiens à remercier David Assouline et Catherine Morin-Desailly pour leurs efforts démultipliés en ce sens. Cette unité est vraiment un plus pour la négociation avec les plateformes. Il faut soutenir cet amendement.

L'amendement n°7 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Leleux et Piednoir, Mme de la Provôté, MM. Brisson, Schmitz, Savin, Kern et Lafon et Mme Lopez.

I.  -  Après l'alinéa 13

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les organismes de gestion collective mentionnés à l'article L. 218-3 sont tenus de mettre à la disposition des services de communication au public en ligne, dans un format ouvert, tous les éléments d'identification relatifs aux publications de presse faisant l'objet des droits couverts par le présent chapitre.

II.  -  Après l'alinéa 14

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les services de communication au public en ligne ne peuvent voir leur responsabilité engagée en raison d'une reproduction ou communication au public mentionnée à l'article L. 218-2 s'ils n'avaient pas effectivement connaissance de la qualité d'éditeur de presse ou d'agence de la personne dont les publications de presse ont été reproduites ou communiquées au public. Cette qualité est présumée acquise lorsque l'éditeur de presse ou l'agence a confié la gestion de ses droits à un organisme de gestion collective mentionné à l'article L. 218-3.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Il serait idéal que la gestion collective soit obligatoire, mais je comprends les arguments du rapporteur et du ministre. Une lacune demeure toutefois - ou, comme on dit chez nous, un trou dans la raquette.

Aussi, le présent amendement ajoute une présomption de connaissance de la nature du contenu reproduit au bénéfice des éditeurs de presse ayant confié la gestion des droits voisins de leurs publications à un organisme de gestion collective. 

En effet, la proposition de loi fait peser sur les opérateurs de plateformes une obligation, en l'absence de licence, de ne reproduire que des mots isolés ou de très courts extraits de publication de presse. Or aucun dispositif ne permet à ces plateformes de savoir que le contenu qu'elles reproduisent est un contenu produit par un éditeur ou une agence de presse. 

Il est nécessaire que les organismes de gestion collective communiquent aux opérateurs de plateforme la liste des sites internet sur lesquels la connaissance de la nature journalistique du contenu doit être présumée acquise. 

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mme Mélot et MM. A. Marc, Guerriau, Capus, Wattebled, Chasseing, Lagourgue, Decool, Bignon et Laufoaulu.

I.  -  Après l'alinéa 13

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les organismes de gestion collective mentionnés à l'article L. 218-3 sont tenus de mettre à la disposition des services de communication au public en ligne, dans un format ouvert, tous les éléments d'identification relatifs aux publications de presse faisant l'objet des droits couverts par le présent chapitre.

II.  -  Après l'alinéa 22

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 218-...  -  Les services de communication au public en ligne ne peuvent voir leur responsabilité engagée en raison d'une reproduction ou communication au public mentionnée à l'article L. 218-2 s'ils n'avaient pas effectivement connaissance de la qualité d'éditeur de presse ou d'agence de la personne dont les publications de presse ont été reproduites ou communiquées au public. Cette qualité est présumée acquise lorsque l'éditeur de presse ou l'agence a confié la gestion de ses droits à un organisme de gestion collective mentionné à l'article L. 218-3.

Mme Colette Mélot.  - Oui, il est nécessaire que les organismes de gestion collective communiquent aux opérateurs de plateforme la liste des sites internet sur lesquels la connaissance de la nature journalistique du contenu doit être présumée acquise, obligeant ainsi les plateformes à un traitement respectueux du droit voisin créé par la présente proposition de loi.

M. David Assouline, rapporteur.  - Cet amendement, disons-le en toute transparence, provient de Qwant, plateforme alternative aux géants du Net, que nous soutenons, car elle a une éthique. Compte tenu de sa taille plus modeste, ses préoccupations et inquiétudes diffèrent de celles des grandes plateformes. Qwant souhaite être rassuré, mais ces amendements ne représentent pas une solution adéquate. Ils créeraient des conditions supplémentaires à l'exercice du droit voisin. En outre, la négociation avec les éditeurs et les agences de presse devrait permettre de répondre aux difficultés soulevées. Retrait ou avis défavorable.

M. Franck Riester, ministre.  - J'ai répondu en détail sur cette question précédemment. J'y insiste, la commission tient à la disposition des plateformes la liste des publications de presse. Retrait ou avis défavorable.

M. Jean-Pierre Leleux.  - Je n'ai jamais dit que le risque juridique était exorbitant. Il existe néanmoins. Je retire toutefois mon amendement.

Mme Colette Mélot.  - Moi aussi.

L'amendement nos2 rectifié est retiré, de même que l'amendement n°1 rectifié.

Mme la présidente.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par Mmes Duranton, Micouleau, L. Darcos et Deromedi, M. Kern, Mme Morhet-Richaud, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Guerriau, Mmes Kauffmann et Bories, M. Lefèvre, Mme Goy-Chavent, MM. Decool et Charon, Mme Lamure, MM. Longeot, Gabouty et B. Fournier, Mme Férat et MM. Poniatowski et Moga.

Alinéa 14

Après la deuxième occurrence du mot :

presse

insérer les mots :

, dans un délai fixé par négociation entre les parties concernées,

Mme Nicole Duranton.  - L'article 3 prévoit que les services de communication au public en ligne fournissent aux éditeurs et aux agences de presse les informations nécessaires à l'évaluation de la rémunération due au titre des droits voisins. Les modalités de cette obligation n'ont cependant pas été fixées, notamment concernant le délai d'intervention des Gafam.

La question devrait être abordée lors d'une négociation entre les acteurs. Néanmoins, en raison du rapport de force asymétrique entre les Gafam et les agences et éditeurs de presse, il est possible que la négociation n'apporte pas les garanties souhaitées. Une information au compte-gouttes ou tardive entraînerait des difficultés d'organisation et de paiements retardés.

Cet amendement vise à s'assurer que dans une négociation conduite entre les parties soit fixé un délai à respecter pour fournir lesdites informations. Il pourra s'agir d'une négociation déjà prévue par ailleurs.

M. David Assouline, rapporteur.  - Cet amendement part du constat d'une asymétrie réelle, mais risque d'être contre-productif en ce qu'il semble conditionner la transmission d'informations à la tenue d'une négociation. Or le texte prévoit que les informations sont transmises sans condition. Les négociations, que le texte rend obligatoires, en fixeront les délais et les modalités, qui pourront être différentes selon les éditeurs. Limitons les contraintes. Retrait ou avis défavorable.

M. Franck Riester, ministre.  - Je partage votre préoccupation, mais les effets de l'amendement pourraient être contre-productifs. En l'absence d'accord préalable, la transparence ne serait plus assurée... Retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°6 rectifié est retiré.

L'article 3, modifié, est adopté.

L'article 3 quinquies est adopté, de même que l'article 4.

Explications de vote

M. Jean-Pierre Leleux .  - Voilà un excellent texte ! Depuis la première lecture, il s'est encore amélioré. Nous pouvons en être fiers et féliciter David Assouline.

Nous créons un quatrième droit voisin, après celui des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et des opérateurs de communication audiovisuelle. Pour ces derniers, le code de la propriété intellectuelle n'admet pas de droit voisin pour les auteurs lorsque leurs oeuvres sont diffusées dans des établissements dont l'entrée est gratuite, tels les bars ou les salons de coiffure. Il faudrait y travailler.

Mme Sylvie Robert .  - Nous pouvons effectivement être fiers de voter ce texte, fidèle à la tradition de notre pays et respectueux des créateurs. Nous le devons à David Assouline. J'espère un vote conforme à l'Assemblée nationale.

Mme Françoise Laborde .  - Je salue ce bel accord. Une précision : la question des snippets, que j'ai évoquée dans la discussion générale, a été introduite par les députés à l'article premier bis.

M. Pierre Ouzoulias .  - Nous voterons cette proposition de loi qui va dans le bon sens. Nous avons entendu les engagements du ministre à poursuivre la transposition en 2020 dans le cadre du projet de loi Audiovisuel. Il ne peut y avoir de liberté sans régulation économique et morale par rapport au monde numérique.

Il faut définir une doctrine vis-à-vis des Gafam et de leurs produits. Les travaux de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique montrent qu'une telle doctrine manque. Les logiciels libres sont encore trop peu utilisés par exemple. S'entendre dire que le confort de l'usager détermine les investissements de l'État n'est pas admissible. Soyons plus offensifs, moins irénistes, résistons aux prédations des plateformes, y compris sur les données du service public !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture .  - Merci à tous ceux qui ont participé à ce travail qui nous honore.

Le Sénat a souvent été à l'initiative de textes qui ont fait bouger la législation européenne. En 2010, sur la TVA sur le livre numérique, nous faisions une proposition visionnaire et avant-gardiste.

Merci, monsieur le ministre, pour votre soutien sur ce texte. Nous en souhaiterions autant sur notre proposition de résolution européenne sur le numérique. Travaillons davantage ensemble pour avancer utilement. La souveraineté numérique est un sujet stratégique, or nous avons parfois l'impression d'être mal compris par le Gouvernement, par exemple sur nos amendements au projet de loi de transformation de la fonction publique... J'espère poursuivre le dialogue avec vous, monsieur le ministre, et que vous serez notre ambassadeur au sein du Gouvernement !

M. David Assouline, rapporteur .  - Merci à tous ceux qui ont oeuvré à l'écriture de ce texte très technique, notamment aux services du ministère et du Sénat. Avec son adoption, les choses commencent !

Il est important que les différentes familles de la presse préservent leur unité lors des négociations à venir face aux plateformes. Imaginez que Google cherche à négocier de gré à gré avec une agence pour contourner le droit voisin... Il faut conserver un front uni ! J'appelle les agences et éditeurs à ne pas faire cavalier seul, j'appelle les plateformes à se montrer attentives à l'éthique et à la liberté de la presse. Nous suivrons les choses de près et attendons de l'Assemblée nationale qu'elle mette le point final à ce texte.

À la demande de la commission, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°162 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 341
Contre     0

Le Sénat a adopté. (Applaudissements)

M. Franck Riester, ministre .  - Merci pour cette unanimité sur un texte important. Merci à David Assouline, son auteur-rapporteur, à Mme la présidente de la commission, aux équipes du Sénat et du ministère. N'ayez crainte pour le vote à l'Assemblée nationale.

Nous fêtons aujourd'hui le 242e anniversaire de la création de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), créée par Beaumarchais. C'est un beau symbole. C'est quand elle est unie autour de ses valeurs que la France est belle !

Prochaine séance demain, jeudi 4 juillet 2019, à 10 h 30.

La séance est levée à 19 heures.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus