Entraves à des libertés, à des événements et activités légales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi tendant à réprimer les entraves à l'exercice des libertés ainsi qu'à la tenue des évènements et à l'exercice d'activités autorisés par la loi, présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC) Trois éléments fondamentaux ont présidé à cette proposition de loi. D'abord un récent éditorial : « dans l'esprit de nos contemporains, tout se passe comme si la violence était en passe de devenir un moyen légitime de défendre ses intérêts et de promouvoir ses convictions » ; ensuite l'article 5 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen d'après lequel « Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché ». Enfin une lettre signée par les ministres Fesneau et Wargon, adressée au rapporteur du texte créant l'Office national de la biodiversité, avant la CMP conclusive du 25 juin, par laquelle le Gouvernement reconnaissait que « certaines formes d'action militante contrevenaient au libre exercice d'activités autorisées par la loi », ce qui requérait l'intervention du Parlement. Cette lettre intervenait après l'adoption au Sénat d'un amendement par 222 voix contre 90 qui sanctionnait l'entrave aux activités cynégétiques.

La France rurale souffre. Pas une semaine où l'on ne nous explique que telle ou telle action d'entrave a été menée par un groupe d'activistes : incendie d'abattoirs dans l'Orne, de bâtiments d'élevage dans l'Ain, inscriptions sur les quatre boucheries de Lamotte-Beuvron, dans le Loir-et-Cher, blocage de l'accès des engins à un chantier, stationnement devant les entrées des permanences parlementaires, incendies des sièges des fédérations de chasseurs. Notre société est malade.

Les actions subversives suscitent une forte attente dans le monde rural. J'ai été sollicité à de multiples reprises et les acteurs du monde ruraux - agriculteurs, éleveurs, commerçants de bouche - m'ont expliqué leurs souffrances.

Il était nécessaire de faire évoluer l'arsenal répressif pour s'adapter à ces nouvelles formes de violence. Pour cela, il fallait rendre l'article 431-1 du code pénal plus universel en interdisant le recours à la violence pour faire valoir une opinion.

L'exercice était difficile, pour échapper à la censure constitutionnelle. Je remercie le président Philippe Bas et le rapporteur François Bonhomme, ainsi que nos collègues du groupe centriste. Nous sommes parvenus à un avis qui correspond à un équilibre entre la nécessité de prévoir des sanctions bien identifiées et graduées en fonction de la gravité des entraves et le souci de ne pas s'exposer à la censure constitutionnelle.

Certains ont reproché à ce texte d'être une atteinte aux libertés. Il rend au contraire à chacun la liberté d'agir légalement sans être menacé ni ostracisé, ce qui est le fondement de l'article 5 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen que je citais en introduction.

Je vous invite à le voter en espérant qu'il sera inscrit rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Lors de la CMP sur le texte créant l'OFB, la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, m'avait assuré qu'elle suivrait avec intérêt ce texte issu du Sénat, chambre très proche des territoires et de la ruralité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. François Bonhomme, rapporteur de la commission des lois .  - Ce texte vise à répondre fermement et efficacement à des infractions qui relèvent d'un phénomène de société. En 2018, la confédération française de la boucherie a recensé cinquante attaques : dégradations contre les vitrines des boucheries ou leurs murs, faux sang répandu dans les boutiques, menaces aux bouchers et à leurs clients au nom de la cause animale et entraves à la chasse. Ces actions sont le fait de groupes extrémistes, animalistes ou vegans, actifs depuis une trentaine d'années, mais dont l'action a récemment pris un tour plus violent, voire dramatique, comme l'incendie criminel d'un bâtiment d'élevage dans l'Orne, il y a quelques jours, accompagnés de messages violents : « Assassins », « Camps de la mort ».

L'incendie d'un abattoir dans l'Ain est aussi à dénoncer.

Est-il nécessaire de réaffirmer ici que la chasse, activité historique s'il en est, est appréciée par au moins 1,1 million de nos concitoyens ? Or les entraves à la chasse ne sont réprimées que par une contravention de 1 500 euros.

Chacun a le droit d'exprimer librement son opinion dans notre pays. Mais notre démocratie exige aussi que nul n'impose son opinion par la violence ou l'intimidation.

Des instructions ont été données pour renforcer la protection autour des commerces de bouche.

La Chancellerie a incité à une plus grande sévérité à l'encontre des auteurs de débordements violents.

Nous avons souhaité aller plus loin en modifiant l'article 431-1 du code pénal qui en l'état punit de 15 000 euros d'amende et un an d'emprisonnement les entraves à la liberté d'expression, d'association, de réunion, de manifestation et à l'exercice d'un travail, et de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque l'entrave a pris un caractère violent ou de dégradation.

Nous avons proposé de pouvoir sanctionner toute forme d'entrave en élargissant l'article 431-1 du code pénal.

Le Gouvernement a fait part de son intérêt pour ce texte lors de l'examen du texte portant création de l'OFB en avril dernier. Mme Wargon avait souhaité qu'il soit examiné rapidement. Nous lui donnons satisfaction avec l'organisation de ce débat dès le début de la session ordinaire.

La commission des lois n'a pas adopté ce texte, de sorte que nous examinons le texte tel que déposé sur le Bureau du Sénat. Les interrogations ont surtout été d'ordre juridique, notamment des formulations jugées imprécises et génériques. Or une infraction doit être définie de manière précise pour éviter tout arbitraire. Des membres de la commission ont douté de la nécessité de légiférer à nouveau, estimant que les infractions visées étaient déjà réprimées en l'état du droit. En effet, menaces, violences, violation de domicile sont déjà appréhendées par le droit pénal. Cependant, rien n'est prévu en cas d'entrave sans geste de violence.

Il est également nécessaire de rappeler une obligation de fermeté face à ce type d'action.

La commission des lois a adopté l'amendement de réécriture globale déposé par Jean-Paul Prince. Ce texte est attendu par nos concitoyens exaspérés par des comportements contraires au pacte républicain. Il s'agit en vérité d'un texte de liberté conforme à l'esprit de l'article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Notre droit est protecteur des libertés. C'est un fondement de notre démocratie et nous y sommes tous particulièrement attachés.

Ce texte renforce la protection des droits individuels en visant spécifiquement les entraves à la chasse et les violences à l'égard de certaines professions.

Je condamne, au nom du Gouvernement, très fermement, tout type de violence. Le président de la République et le Premier ministre sont mobilisés sur ce sujet tout comme le ministre de l'Intérieur.

Ce texte modifie l'article 431-1 du code pénal en lui donnant une portée plus générale par la suppression de l'exigence de menaces pour une entrave portant sur la liberté d'expression, de travail, d'association ou de manifestation, et en créant une cinquième forme d'entrave : le fait « d'empêcher la tenue de tout événement ou l'exercice de toute activité autorisée par la loi ».

Ce texte pourrait se révéler contreproductif parce qu'il rend trop flous les éléments constitutifs du délit d'entrave, il risque la censure du Conseil constitutionnel et nous ne pouvons l'approuver.

La création d'une nouvelle cinquième forme d'entraves, extrêmement large et imprécise, laisse place à une part d'arbitraire dangereuse pour l'exercice des droits. Les modifications portées par la proposition de loi ne semblent pas nécessaires au regard du droit existant : les actions comme le fait d'empêcher un commerce de vendre ses produits et les spectateurs d'assister à un spectacle, mais aussi les entraves à la chasse sont déjà réprimées. Ainsi l'article R 428-12-1 du code de l'environnement prévoit déjà la sanction des obstructions à l'acte de chasse.

Je sais que vous craignez la recrudescence des actions violentes menées par les antispécistes.

La gendarmerie nationale et les services de renseignement sont pleinement mobilisés sur ce sujet. Nous assurerons la meilleure protection possible de nos artisans et commerçants, ainsi que des chasseurs. Chasse, consommation de viande, spectacles taurins, toutes ces activités mobilisent pleinement les forces de l'ordre. Des investigations minutieuses sont menées pour identifier les auteurs de violence et les faire condamner. Tel a été le cas à Courdemanges dans la Marne où des antispécistes allemands et belges étaient venus bloquer un élevage de porcs.

Sept militants ont été interpellés alors qu'ils incendiaient un abattoir à Jossigny. Au total, dix individus sont mis en examen sous douze chefs judiciaires. Dans le Nord, les responsables d'attaques contre des boucheries ont été condamnés à des peines allant jusqu'à dix-huit mois de prison.

M. Jean Bizet.  - Avec sursis ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Face à la multiplication des actions d'opposants à la chasse qui cherchent la confrontation - je pense aux chasses à courre en Vendée ou dans l'Oise - la gendarmerie met systématiquement en place un large dispositif de sécurité, avec des patrouilles à cheval.

Même si nous en partageons les objectifs, ce texte est beaucoup trop généraliste pour passer le cap du Conseil constitutionnel. Le droit existant suffit, il s'exerce, les exemples que j'ai cités en attestent.

Mme Josiane Costes .  - Boucheries vandalisées, abattoirs incendiés, les actions violentes de militants antispécistes se multiplient. Le groupe RDSE condamne ces atteintes aux biens qui méritent d'être poursuivis et sanctionnés.

Notre rapporteur a eu confirmation de la Chancellerie que des instructions avaient été passées afin de mieux sanctionner les entraves lorsqu'elles entrent dans le champ de l'article 431-1, ainsi que les intrusions, les vols et violences avérés - signe que l'auteur de la proposition de loi a été entendu.

Nous nous inquiétons de possibles atteintes aux libertés d'expression et de manifestation - qui ont d'ailleurs motivé le rejet du texte en commission - notamment avec l'extension du délit d'entrave et l'expression « par tout moyen » qui pourrait donner lieu à des interprétations très extensives.

En outre, sanctionner de la même manière l'entrave à des activités relevant des libertés fondamentales et à des activités de loisir est contraire au principe de proportionnalité des peines.

Les violences et menaces de violences sont déjà sanctionnées de manière appropriée.

Pour la majorité du groupe RDSE, il n'est pas opportun d'élargir l'application de l'article 431-1 du code pénal. L'amendement Prince, approuvé par la commission des lois ce matin, ne lève pas les inquiétudes, les termes d'intrusion et d'obstruction étant porteurs d'instabilité jurisprudentielle. En outre, il ne restreint pas suffisamment l'application du délit d'entrave aux activités sportives ou de loisir. La notion d'activité « exercées dans un cadre légal » paraît trop vaste.

Le groupe RDSE propose de différer ce débat pour réfléchir aux moyens de mieux indemniser les personnes victimes de ces agissements. Dans une jurisprudence du 5 juillet 2018, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ouvre la voie à l'indemnisation de l'entrave à une activité de loisir comme la chasse.

M. François Patriat .  - Cette proposition de loi est dans la suite logique du texte adopté en juillet qui crée l'AFB, renforçant les prérogatives de cet organisme en matière de police de l'environnement. Cette police unique en Europe, nous la devons aux fédérations de chasseurs et de pêcheurs qui l'ont mise en place il y a plusieurs décennies, avant que l'État en fasse un corps de fonctionnaires sous la double tutelle de l'agriculture et de l'écologie.

Cette police rurale est demandée par tous les gestionnaires du monde rural - agriculteurs, forestiers, élus locaux, chasseurs et pêcheurs. La gendarmerie nationale doit pouvoir s'appuyer sur une police spécialisée dans des espaces naturels de plus en plus fréquentés et dégradés.

Cela, cependant, ne suffit pas à lutter contre les nouvelles formes de violences dans nos campagnes, commises par des groupuscules antispécistes, animalistes ou vegans - et au nom de quoi ? D'un ordre moral qu'ils prétendent opposer à des activités parfaitement légales et largement pratiquées. Certes, chacun peut essayer de convaincre ses concitoyens de changer leurs habitudes alimentaires, mais dans le respect d'autrui, non par la violence et l'intimidation !

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. François Patriat.  - Ces délits de ce type doivent être réprimés efficacement, et c'est ce qui justifie mes réserves sur cette proposition de loi. Qui trop embrasse mal étreint, et les définitions sont trop imprécises pour répondre à l'impératif constitutionnel de clarté et de proportionnalité de la loi pénale.

Néanmoins, le droit existant ne suffit pas. Il convient de renforcer les prérogatives de la police rurale contre les intrusions et menaces en tout genre, faute de quoi nos concitoyens seront tentés de se faire justice eux-mêmes.

Si ce texte va dans le bon sens, il n'est sans doute pas assez précis pour être applicable sur le terrain. Le groupe LaREM se partagera entre le vote favorable, l'abstention et le vote contre.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Encore un effort !

M. François Patriat.  - Pour ma part, je voterai pour. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

À nous de produire un texte qui réponde aux attentes des ruraux et mette un terme à l'activité de ces groupuscules sectaires qui méprisent la démocratie, fût-elle participative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, UC et Les Indépendants)

Mme Esther Benbassa .  - Blocus, interruptions de représentations, invasions de terrain, huées : voilà ce qui justifie ce texte, selon l'exposé des motifs. Pour la droite sénatoriale, contrevenir à la loi, ce n'est pas seulement faire ce qu'elle interdit, c'est aussi empêcher ce qu'elle autorise. C'est une véritable entrave à toute expression contre l'ordre établi.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - L'ordre bourgeois, tant que vous y êtes !

Mme Esther Benbassa.  - Après le Gouvernement qui a encadré le droit à manifester en avril, la majorité sénatoriale s'attaque à nos libertés fondamentales. Sur la forme, l'exercice est convenu. Le texte, anticonstitutionnel, sera censuré. Il dénature l'article 431-1 du code pénal qui sanctionne les entraves à la liberté d'expression. Bref, il va à contre-sens du droit existant.

Cette philosophie liberticide et antidémocratique est très inquiétante, tant les mobilisations citoyennes font partie de l'ADN du peuple français.

M. Jean Bizet.  - Le mal français !

Mme Esther Benbassa.  - Ne devons-nous pas la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux révoltes du peuple contre ses élites ? Les congés payés aux piquets de grève de 1936 ? La mobilisation étudiante n'a-t-elle pas fait plier Villepin sur le CPE ? De Notre-Dame-des-Landes à Nuit Debout en passant par les gilets jaunes, faire entendre sa voix et ses convictions est une coutume bien française.

M. Jean Bizet.  - Vive l'anarchie !

Mme Esther Benbassa.  - Vous cherchez à rendre inconciliables le droit de grève et le droit de travailler ; le droit de s'exprimer contre l'abattage des animaux et le droit de pratiquer la chasse à courre. Par votre vision manichéenne, vous scindez la Nation en deux : d'un côté ceux qui se complaisent dans l'ordre établi, de l'autre ceux qui militent pacifiquement pour le changement.

Les mouvements citoyens ne sont pas mus par la haine ; ils aspirent à une ère nouvelle, plus égalitaire et durable. Les revendications écologistes et féministes sont intrinsèquement liées à la désobéissance civile : faucheurs d'OGM, ZAD, décrocheurs du portrait présidentiel, militantes protestant contre les féminicides...

Vous souhaitez une France qui pense toute de la même manière -  et de préférence  comme vous !

Tant qu'une opposition de gauche existera, qu'une jeunesse sera prête à se lever pour ses idées, vous ne parviendrez pas à vos fins et vos tentatives de nous museler seront vaines.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Nous voilà rassurés !

Mme Esther Benbassa.  - J'espère que ce texte, rejeté en commission, le sera aussi en séance.

M. Jean Bizet.  - Surréaliste !

M. Alain Marc .  - Depuis quelques années, une nouvelle menace est apparue, venue de groupes extrémistes qui multiplient les intrusions dans les exploitations allant jusqu'à incendier un abattoir - pas très pacifique, tout cela ! La Confédération française de la boucherie-charcuterie a recensé cinquante agressions en 2018, les permanences de chasseurs ont été saccagées, j'ai reçu des menaces de mort - anonymes bien sûr - en inaugurant une maison de la chasse. Pourtant, les sangliers qui pullulent, les chevreuils ne peuvent être régulés que par les chasseurs !

Au sein d'un État de droit, nul ne saurait imposer ses opinions par la force. La République respecte les choix de vie de chacun de ses concitoyens. Oui, il faut faire preuve de fermeté contre ceux qui s'introduisent dans des bâtiments d'élevage, car menace et intimidation n'ont pas leur place sur le territoire de la République.

Cette proposition de loi vise à mieux réprimer ces actes extrémistes, mais ce faisant, elle soulève des difficultés. Sa rédaction très générale n'est pas conforme à l'exigence de clarté et de précision de la loi pénale ; de plus, entraves, menaces, violences et dégradations sont déjà réprimées par le droit existant.

Cependant l'amendement n°2 voté par la commission des lois améliore significativement ce texte. (M. Philippe Bas, président de la commission, le confirme.) C'est pourquoi, si certains membres du groupe Les Indépendants s'abstiendront, d'autres voteront le texte. Il faut mettre un coup d'arrêt aux violences de ces activistes, sans quoi on risque de voir apparaître des comportements d'autodéfense qui seraient tout à fait préjudiciables à la démocratie. (Mme Cécile Cukierman s'exclame ; Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC, Les Républicains ; M. Joseph Castelli applaudit également.)

M. Loïc Hervé .  - L'intitulé de ce texte laissait perplexe et l'exposé des motifs n'éclairait guère. Quels étaient donc les personnes et les actes visés par ce texte ? La commission des lois y a répondu : les militants vegans et antispécistes qui attaquent certains commerces ou entravent la chasse - délits et contraventions que je condamne avec force.

Le débat en commission a été nourri ; nous étions plusieurs membres du groupe UC à marquer nos réticences. Oui, il faut réprimer ces actes, mais sans porter d'atteinte disproportionnée aux libertés publiques. La formulation vague des infractions risque d'être incompatible avec le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. D'autant qu'il s'agit d'une proposition de loi : le Conseil d'État ne nous ayant pas éclairés, c'était à la commission des lois de le faire.

J'ai donc voté contre ce texte en commission ; depuis, notre collègue Prince, en collaboration avec l'auteur et le rapporteur, a proposé une réécriture satisfaisante. Elle distingue les sanctions concernant la boucherie et l'élevage, activités professionnelles, et celles qui visent la chasse, activité de loisirs. Il faut faire la part des choses : nul besoin de légiférer pour condamner des personnes qui incendient un poulailler, dégradent un commerce : le droit actuel y pourvoit.

M. Bonnecarrère a alerté ce matin sur la tendance alarmante à tout placer sous le régime pénal.

Le groupe UC votera dans sa majorité ce texte, si l'amendement de Jean-Paul Prince est adopté. D'autres s'abstiendront. À titre personnel, je voterai cette proposition de loi si elle est amendée.

On a entendu des organisations agricoles dire qu'elles ne comprenaient pas la décision de la commission des lois de la semaine dernière. Je veux leur rappeler qu'il existe des actions de mobilisation, dans le monde agricole, qui relèvent de l'entrave : blocages de la circulation, de l'accès à des supermarchés, voire à des préfectures. Ces actes sont globalement acceptés par nos concitoyens.

M. Laurent Duplomb.  - Et tombent déjà sous le coup de la loi !

M. Loïc Hervé.  - Je ne voudrais pas qu'avec l'adoption de cette proposition de loi, ce type d'action militante tombe sous le coup de la loi pénale et que notre Haute Assemblée pénalise encore plus les actes de militantisme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et sur le banc de la commission ; Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme Laurence Harribey .  - Remettons le texte dans son contexte. Nous souscrivons tous à son objectif. C'est souvent par des violences, en interdisant aux citoyens l'exercice de leurs droits et de leurs libertés constitutionnelles, que des partis extrémistes ont imposé leur domination à des sociétés jusque-là démocratiques.

Mais, en tant que législateurs, nous devons nous demander si les modifications au droit existant sont pertinentes.

Or l'article 431-1 est clair : il suffit à réprimer ces actes. La non-détermination du délit d'entrave est contraire à l'exigence constitutionnelle de précision de la loi pénale. Nous sommes d'accord avec le ministre sur ce point.

L'alinéa 5 mentionne le fait d'empêcher... Quelle est la différence avec l'entrave ? Cette proposition de loi incriminerait l'ensemble du champ social. Dans un état de droit, le comportement punissable doit avoir été préalablement défini comme tel par la loi. C'est une garantie contre l'arbitraire. L'article 114-4 du code pénal est clair : la loi pénale est d'interprétation stricte. Cette position est partagée par la commission des lois, qui s'est très majoritairement montrée opposée au texte, juridiquement fragile.

Attention à ne pas instituer un délit d'entrave général disproportionné, voire dangereux, criminalisant toute forme de militantisme. C'est ce que le doyen Carbonnier appelait l'effet macédonien : une réaction générale et abstraite face à une agression concrète et particulière de moins grande ampleur.

La vigilance de la commission des lois est rassurante, à cet égard.

Nous condamnons les violences contre les activités autorisées et approuvons la proposition du rapporteur de préciser la notion d'entrave pour englober violences, voies de fait, destructions, dégradations, mais aussi actions d'obstruction et intrusions. D'où notre amendement n°4 rectifié.

Notre groupe s'opposera à toute extension du champ d'application de l'article 431-1 ; attention à ne pas inverser le rapport entre principe de légalité criminelle et comportement répréhensible. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe RDSE)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) G.K. Chesterton prophétisait : « Un temps viendra où l'on devra tirer l'épée pour avoir le droit de dire que, l'été, les feuilles des arbres sont vertes. » (M. Loïc Hervé apprécie.) Compte non tenu du dérèglement climatique... (Sourires)

Parfois, on risque gros à dire des évidences. Merci, monsieur Cardoux, pour cette proposition de loi qui rappelle qu'est permis tout ce qui n'est pas interdit et que la France est un État de droit.

Dans mon département, de nombreux éleveurs se plaignent d'intrusion de la part de militants vegans, en flagrante violation du droit de propriété. Nos agriculteurs ont à coeur de nourrir la population, et sont mobilisés pour améliorer le bien-être animal ; c'est grâce à eux que la France est encore une puissance agricole de premier plan.

Excédés, certains menacent de séquestrer les individus concernés. Il faut à tout prix éviter qu'ils ne se fassent justice eux-mêmes.

Le monde rural a besoin de notre protection. Une clarification juridique du délit d'entrave était nécessaire.

Dès lors qu'aucune effraction n'était constatée, les intrusions semblaient difficilement punissables. Il fallait y remédier.

Le texte vise donc à sanctionner des blocus, des interruptions de représentation, des invasions de terrain. Le groupe Les Républicains votera majoritairement ce texte. Là où la liberté est menacée, il est de notre devoir de la protéger. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - La commission des lois a eu des débats approfondis, à deux reprises. La semaine dernière, nous n'avions pu aboutir à une solution. M. Cardoux, que je remercie, a accepté de se remettre au travail avec M. Prince et avec le rapporteur pour trouver une solution. Nous avons atteint un bon équilibre, car, monsieur le ministre, le délit est désormais suffisamment caractérisé.

Les actes de violence - tel que, récemment, l'incendie d'un élevage de volailles dans l'Orne - sont d'ores et déjà punis par le code pénal.

Il faut punir l'obstruction et l'intrusion, c'est-à-dire le fait d'empêcher des gens d'entrer dans une boucherie, ou de commencer une chasse.

Punir l'obstruction d'une activité commerciale, c'est déjà possible car il s'agit de liberté de travailler. Mais il est bon de l'expliciter. Nous ne mettons pas sur le même plan l'obstruction à une activité sportive ou de loisir, qui encourt, logiquement, une peine moins lourde.

La liberté d'expression et de manifestation, madame Benbassa, monsieur Hervé, nous la défendons. Si vous adoptez l'amendement auquel la commission a donné un avis favorable, elle ne sera pas en cause. Si elle l'était, je ne n'y souscrirais pas !

Madame Benbassa, faire valoir ses convictions n'autorise pas tout. Empêcher la chasse, activité autorisée et encadrée par la loi, c'est utiliser un rapport de forces pour empêcher une liberté de s'exprimer. Ce n'est pas convenable.

Mme Esther Benbassa.  - La chasse devrait être interdite !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - C'est se faire justice soi-même. Nous sommes ici les défenseurs des libertés. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et sur quelques travées du groupe RDSE)

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Menonville.

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 226-4-2 du code pénal, sont insérés des articles 226-4-3 à 226-4-6 ainsi rédigés :

« Art. 226-4-3 - Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende le fait de s'introduire sans l'autorisation de son propriétaire ou d'une autorité compétente à l'intérieur d'un bâtiment dans lequel est exercée une activité agricole telle que définie à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime.

« Le maintien dans le bâtiment à la suite de l'introduction mentionnée au premier alinéa du présent article est puni des mêmes peines.

« Art. 226-4-4.  -  Le fait de provoquer, d'encourager ou d'inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à commettre l'infraction définie à l'article 226-4-3, lorsque ce fait a été suivi d'effet, est puni des peines prévues pour cette infraction.

« Lorsque les faits mentionnés au premier alinéa du présent article ne sont pas suivis d'effet en raison de circonstances indépendantes de la volonté de leur auteur, les peines sont de six mois d'emprisonnement et 7 500 € d'amende.

« Art. 226-4-5.  -  L'infraction définie à l'article 226-4-3 est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende :

« 1° Lorsqu'elle est commise en réunion ;

« 2° Lorsqu'elle est précédée, accompagnée ou suivie d'un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ;

« 3° Lorsqu'elle est précédée, accompagnée ou suivie de violence sur autrui.

« Art. 226-4-6.  -  L'infraction définie à l'article 226-4-3 est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende :

« 1° Lorsqu'elle est commise soit avec l'usage ou la menace d'une arme, soit par une personne porteuse d'une arme soumise à autorisation, déclaration ou à enregistrement ou dont le port est prohibé ;

« 2° Lorsqu'elle est commise en bande organisée. »

M. Franck Menonville.  - Merci à M. Cardoux et à la commission des lois. Face à des intrusions illégales sur des exploitations agricoles, de plus en plus fréquentes, seule est opposable la violation de domicile. Les agriculteurs sont démunis. Cet amendement institue une infraction spécifique au monde agricole, pour garantir la biosécurité. L'enjeu est aussi sanitaire et de sécurité alimentaire.

M. le président.  - Amendement identique n°3 rectifié ter, présenté par MM. Duplomb, Bizet, Poniatowski, J.M. Boyer, Pointereau, D. Laurent, Cuypers, Karoutchi, Vaspart, H. Leroy et Chasseing, Mme Ramond, M. Courtial, Mme Deromedi, M. Piednoir, Mme Gruny, M. Brisson, Mmes Bonfanti-Dossat, Imbert et Férat, MM. Vogel et Canevet, Mme Duranton, MM. Moga et Laménie, Mme Lherbier, MM. Détraigne, Houpert et Savary, Mme Saint-Pé, MM. Lefèvre, B. Fournier, Sol, Panunzi, Segouin, de Nicolaÿ, Charon et Milon, Mmes Billon, Lassarade et Sittler, MM. Guerriau et Chaize, Mme Puissat, M. Bascher, Mmes Di Folco et Deseyne et MM. Kennel, Mayet et Louault.

M. Laurent Duplomb.  - Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, un gendarme me téléphone : son collègue de l'Aveyron avait fait une enquête sur un activiste et il se retrouvait en possession de photos des boucles d'oreilles de mes animaux. Sans doute avaient-elles été prises à l'abattoir ? Non, ces activistes étaient entrés sur mon exploitation en 2017, à plusieurs reprises, pour placer une caméra dans mon bâtiment. Sur les photos, on voyait mon épouse, mon beau-père, en train de travailler. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Qui accepterait d'être surveillé par une caméra dans l'espace privé ? Personne. Pourquoi les agriculteurs devraient-ils l'accepter, parce qu'il leur est impossible de sécuriser leurs bâtiments, d'embaucher des agents de sécurité ?

Si nous ne faisons rien, le vivre-ensemble n'existera plus, ce ne sera plus que des accusations contre les uns au nom des valeurs des autres.

Je vais retirer toutefois cet amendement au bénéfice de l'amendement n°2 rectifié ter de M. Prince qui sanctionne ce genre d'intrusion. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

L'amendement n°3 rectifié ter est retiré.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Je partage votre préoccupation, mais nous disposons de l'arsenal juridique pour réprimer ces actes. L'article 266-4 du code pénal sanctionne le fait de s'introduire et se maintenir dans un local industriel, commercial ou professionnel sans l'accord de son propriétaire ; l'article 221-7 sanctionne les violences, destructions et dégradations qui seraient commises à l'occasion d'une intrusion dans des locaux professionnels.

La chancellerie a donné des instructions de fermeté au parquet. Il n'est pas de bonne pratique de multiplier les incriminations spécifiques. Retrait ou avis défavorable.

L'instruction pénale émise en février 2019 porte sur les actions des mouvements animalistes radicaux à l'encontre des bouchers-charcutiers et des restaurateurs. Rien, en revanche, sur les saccages de cultures, avec disséminations de graines pour rendre les parcelles impures, comme on l'a vu dans l'Aveyron, les Deux-Sèvres ou le Rhône. Ce sont des années de recherches et d'investissement perdues pour les semenciers. Le Gouvernement va-t-il préciser les instructions pénales ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Nous partageons l'objectif de cet amendement qui vise l'intrusion dans les exploitations agricoles. Avis défavorable cependant : la jurisprudence a une interprétation très large de la violation de domicile, qui inclut les locaux professionnels, par exemple les bâtiments industriels. C'est le cas pour des photos, par exemple.

Il est difficile de spécifier des intrusions dans tel ou tel type de bâtiments. S'il y a dégradation ou violence, il y a matière à action pénale.

En effet, monsieur le rapporteur, l'instruction du début de 2019 visait le mouvement antispéciste et animaliste. Mais le fauchage volontaire reste un délit condamné au titre de destruction en réunion, valant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Il y a déjà eu des condamnations.

M. Franck Menonville.  - L'amendement n°2 rectifié ter répondant à nos préoccupations, je retire le mien.

L'amendement n°1 rectifié est retiré.

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié ter, présenté par MM. Prince, Cardoux, Luche et Janssens, Mmes Guidez et Billon, MM. Longeot et Moga, Mme Saint-Pé, M. Chevrollier, Mmes Richer, Gruny et Sittler, M. Courtial, Mme Estrosi Sassone, M. Bouchet, Mme Deroche, MM. Reichardt, Charon, de Nicolaÿ et Pierre, Mme Lopez, MM. Saury, Duplomb, Brisson et J.M. Boyer, Mme Puissat, M. Vaspart, Mme Ramond, MM. D. Laurent, Médevielle et Rapin, Mme Morhet-Richaud, MM. Houpert, Bizet et Mayet, Mme Chauvin, MM. Canevet et B. Fournier, Mme Troendlé, MM. Calvet, Détraigne, Henno, Louault, Piednoir et Gremillet, Mme Bruguière et MM. Savary, Milon, H. Leroy et Chaize.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou d'actes d'obstruction ou d'intrusion » ;

b) Les mots : « ou d'entraver » sont remplacés par les mots : « , d'entraver » ;

c) Après le mot : « territoriale », sont insérés les mots : « , ou d'entraver l'exercice d'une activité commerciale, artisanale ou agricole exercée dans un cadre légal » ;

2° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Sont punis d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 5 000 euros d'amende les actes d'obstruction ayant pour effet d'empêcher le déroulement d'activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal. » ;

3° Au dernier alinéa, les mots : « d'une des libertés visées » sont remplacés par les mots : « de l'une des libertés ou activités mentionnées ».

M. Jean-Paul Prince.  - Cet amendement apporte une solution équilibrée face aux agressions subies par les agriculteurs, bouchers, pêcheurs, chasseurs. Il précise que sont concernées les activités commerciales, artisanales ou agricoles. L'entrave sera punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende et les actes d'obstruction aux activités sportives et de loisirs punis de six mois d'emprisonnement et de 5 000 euros d'amende.

Chacun est libre de ses opinions mais la décision d'interdire telle ou telle activité ou profession n'appartient qu'au peuple ou à ses représentants. J'espère que cette loi sera votée par le Parlement et que ces comportements inacceptables disparaîtront au profit du débat démocratique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mme Harribey et les membres du groupe socialiste et républicain.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 431-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d'obstruction ou d'intrusion » ;

b) La seconde occurrence des mots : « d'entraver » est supprimée ;

2° Au deuxième alinéa, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « ou par des actes d'obstruction ou d'intrusion ».

Mme Laurence Harribey.  - Cet amendement clarifie et complète la notion de menace. La rédaction de la proposition de loi, trop imprécise, remet en cause la liberté d'expression, de réunion ou de manifestation. Comme l'a dit Loïc Hervé, faisons attention à ce que la loi ne se retourne pas contre les agriculteurs lorsqu'ils manifestent. Je n'ai d'ailleurs pas compris sa conclusion.

Notre proposition est équilibrée. Elle ajoute les actes d'obstruction ou d'intrusion dans la définition de la menace.

Il ne s'agit en aucun cas d'une extension de l'application de cet article.

M. François Bonhomme, rapporteur.  - L'amendement n°2 rectifié ter a été réécrit avec la commission des lois pour respecter l'obligation constitutionnelle de précision et de clarté de la loi pénale.

Il précise les modalités de l'entrave, en visant les actes d'intrusion et d'obstruction, ce qui favorisera une répression efficace. Il mentionne les activités commerciales, artisanales et agricoles, et il introduit un délai d'entrave aux activités sportives et de loisir exercées dans un cadre légal. Avis favorable.

De ce fait, Avis défavorable à l'amendement n°4 rectifié qui n'est pas compatible avec l'amendement n°2 rectifié ter, plus précis.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement prend acte de la volonté constructive de M. Prince qui a réécrit son amendement. Le Gouvernement veut mettre un terme à ces actions que nous condamnons tous.

La précision apportée reste néanmoins contraire au principe de la légalité des délits et des peines. En outre, la jurisprudence indique que le délit d'entrave est suffisamment défini par les termes de violence ou de voie de fait. La création d'un délit d'entrave pour certaines activités économiques n'est pas cohérente car il existe déjà une telle incrimination pour la liberté du travail.

Le droit positif punit déjà les troubles visés. Avis défavorable à l'amendement n°2 rectifié ter.

M. Jean Bizet.  - Je souscris au fait que les exactions visées sont déjà prises en compte par la législation.

Toutefois, je suis surpris des propos du ministre qui évoque cinq ans d'emprisonnement pour des destructions de cultures. Le tribunal correctionnel de Marmande, le 16 novembre 2010, a relâché 84 des 86 individus qui s'étaient rendus coupables de destructions de cultures. Il n'a condamné certains d'entre eux qu'à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 50 euros d'amende ! C'est une quasi-impunité. En 2008, j'avais rapporté la loi de coexistence des cultures prévoyant 75 000 euros d'amende et deux ans d'emprisonnement pour de tels délits.

À force de laxisme, on s'oriente vers une situation...

Mme Cécile Cukierman.  - Et l'échelle des peines ?

M. Jean Bizet.  - ... où l'on prive nos exploitations agricoles de leur compétitivité et nos entreprises de leurs capacités de recherche. De tels actes fragilisent une des plus belles filières de semences conventionnelles qui existe en Europe. Elle représente 12 000 emplois et 3,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Monsieur le ministre, revoyez les niveaux de pénalité. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Pierre Grand.  - On parle d'intrusion, d'obstruction, d'entrave, d'agression, de destruction. Tout cela n'est pas compatible avec la République.

On pourrait parler du vol du portrait du président de la République dans une mairie. Or la justice agit avec laxisme quand elle estime que de tels comportements défendent des causes justes... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE) L'intolérance s'étend comme un cancer et c'est la République et donc nos concitoyens qui en sont les victimes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Cécile Cukierman.  - Nous ne voterons pas cette proposition de loi. Certes, il y a eu recentrage du texte, mais seuls les écrits restent, et la loi pourra être interprétée.

Croire que créer de nouvelles peines ou bien les augmenter suffira à arrêter les auteurs de ces actes est quelque peu naïf. Le sentiment de nos concitoyens de ne pas être entendus les encourage à agir de façon spectaculaire.

Défendre une cause, ce n'est pas se tenir par la barbichette. Heureusement que certains se sont introduits dans des usines pour organiser des bals et obtenir les congés payés. (Marques d'agacement à droite) Heureusement que des agriculteurs vont dans des supermarchés pour dénoncer les accords de libre-échange.

M. Jean Bizet.  - Ils ne cassent rien !

Mme Cécile Cukierman.  - Ne mélangeons pas les débats et évitons d'interdire toute expression dans notre pays.

M. Jean-Noël Cardoux.  - Monsieur le ministre, je ne comprends pas : dans vos propos liminaires, vous dites que la proposition de loi est trop imprécise. Nous travaillons, nous récrivons, et là vous dites que c'est trop précis. Il me semblait que cette proposition de loi était le bon cadre, à en croire la prose des ministres qui me demandaient une analyse fine : tel est le cas aujourd'hui.

Avec cette proposition de loi, les obstructions aux activités cynégétiques deviennent un délit et non plus une contravention. C'est très attendu et dissuasif. Le Sénat a travaillé de façon constructive. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean Louis Masson.  - Il est tout à fait inadmissible de se livrer à des opérations hors de la légalité pour défendre telle ou telle cause : dégradation de l'Arc de Triomphe, décrochage du portrait du président de la République, intrusion dans des exploitations agricoles.

Il faut une rupture vis-à-vis du laxisme des juridictions où le traitement des dossiers est invraisemblable. De plus en plus, il y a des exactions. Certains ont le droit de manifester plein la bouche. Mais ce droit doit s'arrêter au respect de la légalité.

Mme Éliane Assassi.  - Balayez devant votre porte !

M. Jean Louis Masson.  - Sous couvert du droit de manifester, on se place en dehors de la légalité. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE) Ce que je reprocherais à cet amendement, c'est de n'être pas assez ferme, on ne peut tolérer que les manifestations pacifiques.

Mme Cécile Cukierman.  - Ne dites pas n'importe quoi ! Nous n'avons jamais toléré les casseurs dans les manifestations !

M. Jean Louis Masson.  - Luttons contre ceux qui pourrissent la vie des autres. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Marc.  - L'explication de M. le ministre m'a semblé un peu courte. Le délit d'entrave n'est pas forcément caractérisé par la violence ou la voie de fait. On peut empêcher un libraire de travailler en l'empêchant d'entrer dans sa librairie.

Il faut accepter l'amendement n°2 rectifié ter.

Mme Laurence Harribey.  - On peut souscrire à la nécessité de préciser l'entrave mais pas à la création de nouvelles qualifications pénales. On ajoute des qualifications à des qualifications. Or elles peuvent déjà être poursuivies sur le fondement de l'article 431-1.

On multiplie les spécificités et les qualifications ce qui aboutira à un inventaire à la Prévert qui en oubliera certaines. Dans sa grande majorité, le groupe socialiste ne votera pas ce texte.

M. Jean-Claude Luche.  - Je suis surpris par certains propos du ministre. Un délit, c'est du pénal.

Je suis sans arrêt sollicité par des agriculteurs qui voient entrer des gens chez eux, qui taguent les murs, ou des chasseurs dont les miradors sont détruits ou les parcs à gibier vandalisés. Cela devient insupportable. Je suis chasseur. Mon père était chasseur. Mon grand-père chassait pour se nourrir. Mais nos arrière-petits-enfants ne pourront plus chasser. Vous serez surpris par la révolte des paysans dont les terres sont envahies par les cervidés et par les sangliers : l'équilibre de la nature ne se fera pas naturellement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)

M. Daniel Chasseing.  - En Corrèze, une partie d'une ferme d'engraissement de 400 ou 500 veaux a été incendiée. En Italie, ces fermes comptent 5 000 têtes. Récemment, une serre à tomates chauffée écologiquement par les déchets a été incendiée, certains ne supportant pas qu'on cultive des tomates en hiver. À Ussel, une entreprise d'abattage de bois a été incendiée : 6 millions de dégâts, car certains refusent les coupes rases de sapins.

C'est dommage pour l'emploi et pour l'argent public.

Nous respectons les avis divergents dans notre démocratie, mais la République, c'est la liberté et non la violence. C'est par la discussion et le vote majoritaire qu'on doit s'exprimer. Cette proposition de loi précise et conforte la loi actuelle, comme l'a souligné le président Bas. Enfin, ce texte ne menace pas la liberté de manifestation ni de réunion. Je voterai l'amendement n°2 rectifié ter et donc la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Claude Bérit-Débat.  - Laurence Harribey a parfaitement expliqué les raisons pour lesquelles nous avions déposé l'amendement n°4 rectifié. Je ne comprends pas l'avis du rapporteur - qui au demeurant ne m'écoute pas... Le dérouleur indiquait un avis favorable sous réserve de rectification... Je me retrouve pourtant dans l'amendement de Laurence Harribey, qui répond au problème posé. Nous siégions ensemble avec M. Cardoux à la CMP sur la création de l'Office national de la biodiversité.

Une majorité du groupe socialiste ne votera pas cet amendement. Ceux qui soutiennent la chasse s'abstiendront pour ne pas mettre en péril la proposition de loi.

Mme Esther Benbassa.  - Cet amendement affine le texte initial en sanctionnant d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende les entraves aux activités professionnelles.

Nous nous opposons à cette proposition qui porte atteinte aux libertés fondamentales. Va-t-on emprisonner ceux qui dénoncent la société consumériste ? Va-t-on emprisonner les militants LGBT qui veulent faire cesser les chants homophobes dans les stades ?

Nous nous opposerons à cet amendement.

M. Jacques Bigot.  - Notre rapporteur soutient l'amendement de M. Prince qui réécrit le texte.

Ce texte est globalement inutile, mais pourquoi les textes qui existent déjà ne sont-ils pas mis en oeuvre ? L'arsenal pénal existe pour poursuivre les auteurs des exactions que vous mentionnez, mes chers collègues. Comment poursuivre les auteurs des exactions ? Comment poursuivre l'auteur de l'incendie d'une guérite de chasse si vous ne le trouvez pas ? Avec ce texte, vous vous faites plaisir, mais rien ne changera.

Quant au décrochage du portrait du président de la République, le juge ne statue pas seul. Un tribunal à Lyon a estimé qu'un état de nécessité pourrait justifier la soustraction de ce portrait. La cour d'appel statuera. L'arsenal juridique existe ; c'est sa mise en oeuvre qui continue de poser problème. C'est cela qu'il faut corriger, au lieu de légiférer pour la presse.

Évitons d'apporter une illusion de plus à nos concitoyens. Nous risquons d'y perdre notre crédibilité.

M. Jean-François Longeot.  - La réaction du ministre me déçoit. Comment rester sans rien faire face à ces exactions ? Nous avons la possibilité de prévenir des réactions émotionnelles de la part des agriculteurs. Votons cet amendement pour prévenir des drames. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Laurence Rossignol.  - Pourquoi avons-nous besoin d'alourdir le code pénal alors qu'il sanctionne déjà tous les faits qui ont été évoqués dans ce débat ? Cette proposition de loi est attentatoire aux libertés. L'article 431-1 protège nos libertés fondamentales, il prévoit une sanction pénale à l'encontre de ceux qui porteraient atteinte à la liberté d'expression. Le vrai problème est celui des moyens d'enquête dévolus à la police.

Chacun sait ici que j'ai déposé une proposition de loi pour l'abolition de la chasse à courre.

M. Loïc Hervé.  - Oh là là !

Mme Laurence Rossignol.  - Si vous ne le saviez pas, vous voici informé. Si nous appliquions le nouvel article 431, le simple fait de se promener dans une forêt de l'ONF, qui la loue de temps en temps à des équipages de vénerie, deviendrait une infraction pénale.

M. Loïc Hervé.  - Le groupe de l'UC votera l'amendement de M. Prince. Il est bien beau de considérer que ce texte est trop imprécis. Cependant, mon collègue Prince, en collaboration avec le rapporteur et le président Bas, en a largement amélioré la rédaction. Sachons donc accepter le compromis - une notion à laquelle mon groupe est particulièrement attaché.

Mme Harribey faisait référence à mon intervention en discussion générale où je parlais des risques d'effets de bord. Il est essentiel de les prévenir. Pour autant, cela ne remet pas en cause mon soutien à l'amendement de M. Prince qui est un bon compromis. Le compromis, chez les centristes, c'est important ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. François Bonhomme, rapporteur.  - Nous avions proposé un avis favorable à l'amendement de M. Harribey sous réserve d'une modification rédactionnelle. Malheureusement, cette modification n'a pas été faite, d'où l'avis défavorable.

L'intention de M. Cardoux était surtout de protéger les faibles et de donner force à la loi.

M. Bizet a mentionné les faucheurs volontaires. C'est une filière qui concerne 19 000 agriculteurs, 12 000 emplois directs et qui consacre près de 15 % à la recherche. On ne peut pas la laisser détruire en toute impunité. Monsieur le ministre, vous me dites que l'arsenal pénal existe contre les saccages volontaires. Peut-être faut-il que l'État balaie devant sa porte et donne des instructions pénales fermes aux parquets pour qu'ils fassent appliquer la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Monsieur Cardoux, peut-être me suis-je mal expliqué : les modifications apportées par l'amendement Prince apportent des précisions, mais pas suffisantes.

Mes collègues du Gouvernement ont indiqué, dans la lettre à laquelle vous faites référence, que ces questions devaient être traitées dans le cadre du débat sur cette proposition de loi. Nous l'avons fait.

Sur la condamnation des faucheurs, vous avez cité, monsieur Bizet, des décisions d'espèce ; j'ai connaissance d'autres beaucoup plus sévères.

M. Jean Bizet.  - Il faudrait les confronter !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Vous avez raison, monsieur le rapporteur, le fauchage volontaire n'est pas acceptable : je relaierai auprès de la garde des Sceaux votre demande d'une instruction spécifique.

Les forces de l'ordre travaillent sur les groupes de décrocheurs qui investissent les mairies pour s'emparer du portrait du président de la République. Des condamnations ont été prononcées. Certes, une décision peut paraître surprenante, mais il ne m'appartient pas de la commenter.

Quant au délit d'entrave, monsieur Marc, il est complété par celui de la violation de domicile, ou encore celui de groupement en vue de commettre des violences ou à l'exercice de la liberté de travailler.

Vous avez cité l'incendie de l'élevage volailler de l'Orne où les tags faisaient allusion aux camps de la mort. Nous ne restons pas sans rien faire face à ces exactions.

Les services de police mènent une action ferme. Une cellule spécifique existe qui travaille en collaboration avec la FNSEA.

M. le président.  - Nous allons expérimenter le vote électronique : c'est une grande première ! (Exclamations amusées)

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°2 rectifié ter est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°1 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 272
Pour l'adoption 192
Contre   80

Le Sénat a adopté.

L'amendement n°2 rectifié ter est adopté, et la proposition de loi est ainsi rédigée.

L'amendement n°4 rectifié n'a plus d'objet.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Indépendants ; M. Franck Menonville applaudit également.)

Prochaine séance demain, mercredi 2 octobre 2019, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 25.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication