SÉANCE

du mardi 29 octobre 2019

13e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, Mme Françoise Gatel.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Service public de l'éducation et neutralité religieuse

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation.

Discussion générale

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chaque jour, 13 millions d'enfants sont confiés à l'école publique : 2,5 millions en maternelle et 4,5 millions en primaire, quatre jours par semaine.

Cette école républicaine, issue des lois de Jules Ferry de 1881 et 1882 a pour but de former les citoyens de la République et de les intégrer dans la société.

Dans sa lettre aux instituteurs de 1888, Jules Ferry écrivait en substance que le législateur devait veiller à la séparation de l'école et de l'église, à assurer la liberté de conscience des maîtres et des élèves et à distinguer deux domaines, celui des croyances, qui relèvent des individus, et celui des connaissances communes indispensables à tous.

Dans sa circulaire de mai 1937, Jean Zay soulignait l'importance de la neutralité de l'école en rappelant qu'il fallait la protéger de toute propagande.

Aucune forme de prosélytisme ne saurait être tolérée à l'école.

En 2004, la loi voulue par le président Chirac interdisait les signes religieux ostentatoires à l'école pour que nos enfants acquièrent des savoirs dans l'harmonie. Elle posait la base du confinement de la religion dans l'intimité des élèves.

La question des accompagnants de sortie scolaire refait régulièrement surface. La circulaire Chatel de mars 2012 rappelait que la neutralité était pleinement applicable : pas d'affichage des valeurs politiques ou religieuses pendant les sorties scolaires.

Vincent Peillon a décidé de ne pas l'abroger après l'élection de François Hollande. Ensuite, Najat Vallaud-Belkacem a déclaré que la règle devait être d'accepter les accompagnatrices voilées, et que le refus devait être l'exception. Ce flou a posé problème à la justice et créé un vide.

Les sorties scolaires font partie intégrante du temps scolaire. Les accompagnateurs ne sont pas des usagers du service public mais des collaborateurs de ce même service public.

Nous devons tout faire pour éviter que les enfants deviennent des proies vulnérables du prosélytisme. Lionel Jospin le rappelait lui-même dans une circulaire.

Les sorties sont destinées aux enfants et non aux parents qui ne font qu'accompagner bénévolement. Tout parent doit se soumettre à la neutralité.

Face au vide juridique, le législateur doit agir. C'est pourquoi, avec Bruno Retailleau, Jérôme Bascher et 103 collègues, nous avions déposé un amendement à la loi sur l'école de la confiance qui a dû être supprimé en CMP.

C'est le 9 juillet que j'ai déposé ma proposition de loi, hors de toute actualité médiatique. Elle vise à clarifier que la neutralité s'étend aux collaborateurs occasionnels du service public, soit des parents bénévoles, auprès des élèves.

Portons l'héritage de Jules Ferry et de Jean Zay en protégeant l'innocence et la liberté de conscience des enfants, alors que notre pays est secoué par des tensions politico-religieuses. Ce n'est pas un combat entre droite et gauche mais un combat républicain.

Robert Badinter voyait dans la laïcité une « grande barrière contre la prison du fanatisme ». Tous les enfants sont des enfants de la République.

Nous devons pouvoir former les citoyens de demain dans une école apaisée sur le socle commun de la République une et indivisible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Max Brisson, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le contexte politique et médiatique qui préside à l'examen de ce texte, je forme le voeu que nos débats se concentrent sur l'école et elle seule, et que nous soyons fidèles à Jean Zay qui parlait de l'école comme « cet asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Permettez à l'ancien professeur d'histoire que je suis de revenir brièvement, pour bien poser les choses, sur ce qui caractérise depuis l'origine notre école publique.

Pour ses pères fondateurs, l'école avait une mission essentielle : permettre à l'élève de se construire librement en tant que citoyen, à l'abri de toute influence extérieure. Cet idéal émancipateur a eu immédiatement un corollaire : la neutralité de l'école publique face aux croyances. Ainsi, dès 1882, le cours d'instruction religieuse devenait une leçon d'instruction morale et civique ; en 1886, l'ensemble du personnel y enseignant devait être de statut laïc ; entre 1886 et 1903, les signes religieux étaient progressivement retirés des salles de classe.

Quatre questions sont nécessaires à un débat serein.

Première question : qu'est-ce qu'une sortie scolaire ? Les circulaires de 1999 et 2011 sont claires. La première précise : « Les activités pratiquées à l'occasion d'une sortie scolaire viennent nécessairement en appui des programmes. Elles s'intègrent au projet d'école et au projet pédagogique de la classe. Chaque sortie, quelle qu'en soit la durée, nourrit un projet d'apprentissages ». J'en veux pour preuve l'interdiction faite aux élèves depuis la loi de 2004 de porter des tenues et signes religieux ostensibles à la fois dans le bâtiment scolaire, mais aussi lors des sorties scolaires. L'application de cette loi par le ministre de l'Éducation nationale montre bien que les sorties scolaires sont bien du temps scolaire, qui doit donc être neutre du point de vue des croyances religieuses.

Deuxième interrogation : que signifie la neutralité du point de vue des croyances à l'école publique ? Le législateur s'est progressivement montré particulièrement strict. Ainsi, le droit impose une neutralité religieuse dans l'enseignement public aux personnels, comme dans tous les services publics ; mais également aux usagers que sont les élèves, mineurs ou majeurs, ceci depuis la loi de 2004 qui a restreint leur possibilité d'afficher leurs croyances religieuses ; à toute personne enfin intervenant dans une salle de classe, y compris les parents d'élèves, lorsqu'elle participe à des fonctions similaires à celles des enseignants, et ce depuis la décision de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juillet dernier.

Le service public de l'éducation est donc l'unique service public qui impose à ces usagers - en l'occurrence les élèves - une restriction de la manifestation de leur croyance religieuse.

Finalement, les intervenants à l'extérieur des salles de classe et donc les accompagnants des sorties scolaires sont désormais les seuls à ne pas être soumis dans les activités liées à l'enseignement à ce principe de neutralité religieuse ou a minima à une restriction de la manifestation de manière ostensible de leur appartenance religieuse.

Or qu'est-ce qu'un accompagnateur ? C'est ma troisième question. La fiche relative aux parents d'élèves tirée du vade-mecum de la laïcité précise que le parent accompagnateur « contribue à la bonne marche de l'activité pédagogique » et qu'il a « un devoir d'exemplarité devant tous les élèves concernés par cette activité, dans son comportement, ses attitudes et ses propos ».

Il faut considérer le point de vue de l'enfant qui, à 4 ou même 8 ans, ne fait guère la subtile différence statutaire et réglementaire entre l'accompagnant et l'intervenant : pour lui, il fait face à un adulte, qu'il doit écouter et vers qui il peut se tourner en cas de problème.

Enfin, il est paradoxal de considérer le parent accompagnant comme un simple tiers, alors qu'on prétend vouloir de la coéducation et inclure les parents dans la communauté éducative. Le parent serait-il acteur en tout sauf pendant la sortie scolaire où il devrait rester motus et bouche cousue ? En réalité, le parent est un collaborateur occasionnel du service public qui bénéficie de ce statut en cas d'accident durant le temps de l'activité.

Pour autant, une loi est-elle nécessaire ? C'est ma quatrième question. Je crois sincèrement que la loi est nécessaire pour clarifier la situation des directeurs d'école et des chefs d'établissement. L'étude de 2013 du Conseil d'État n'a pas apporté de réponses suffisamment claires aux acteurs de terrain. Certes, le parent d'élève est un usager du service public de l'éducation et, à ce titre, n'est pas soumis au principe de neutralité religieuse. Mais parallèlement, il revient à l'autorité compétente de déterminer si « des considérations précises relatives à l'ordre public, au bon fonctionnement du service public d'éducation ou à la nature des missions confiées aux parents » justifient l'application du principe de neutralité à l'adulte accompagnant la sortie scolaire. C'est là que naît l'inconfort juridique et donc la nécessité d'une loi.

Plusieurs syndicats de chefs d'établissements et d'inspecteurs nous ont fait remarquer qu'en l'absence de textes clairs, les directeurs apprécient seuls les considérations mentionnées par le Conseil d'État, entraînant en fonction des écoles, parfois dans la même commune, des décisions différentes, ce qui n'est pas acceptable du point de vue du législateur.

Voilà les raisons qui justifient, de mon point de vue, l'adoption de cette proposition de loi. Au-delà du solide travail de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, la commission a souhaité élargir le champ du texte à toutes les activités liées à l'enseignement, pour prendre en compte l'école hors les murs. En revanche, et logiquement, cette interdiction ne s'appliquera pas aux parents d'élèves si leurs activités ne sont pas liées à l'enseignement : démarches administratives, rencontres avec les enseignants ou fête de l'école...

L'article premier de la loi de 1905, qui est une loi de liberté, rappelle que la République protège la liberté de croire ou de ne pas croire, et d'afficher ou de ne pas afficher ses croyances religieuses. Je le dis avec d'autant plus de force après l'attaque de la mosquée de Bayonne dans mon département.

Mais, à l'école publique, la neutralité a pris une dimension exceptionnelle par rapport aux autres services publics, et ceci depuis 130 ans, afin de protéger de toute influence ce que Jules Ferry appelait « cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'élève ». Il nous appartient donc de parachever cette volonté continue qui anime depuis plus d'un siècle le législateur, afin de mieux protéger encore l'école pour mieux protéger l'enfant dont la conscience est en construction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - En ces circonstances, j'exprime ma solidarité avec les victimes de Bayonne. S'en prendre à un lieu de culte, c'est s'en prendre à ce que les hommes considèrent comme sacré et aussi à la République, qui protège la liberté de conscience.

La question posée par cette proposition de loi a été examinée ici même il y a trois mois, lors de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance. Ma position reste inchangée par rapport à ce que j'exprimais en repoussant votre amendement que vous avez bien voulu retirer en CMP. Je pensais qu'on en resterait là et je regrette d'avoir aujourd'hui à revenir sur tout cela.

La situation est claire. J'ai dit : pas interdit mais pas souhaitable. Certains m'accusent de porter un jugement de valeur ; d'autres considèrent qu'il faut légiférer : in medio stat virtus. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

La virtus se traduit aussi par le courage. Car il faut du courage aujourd'hui pour désigner les maux qui traversent notre société et non moins de courage pour traduire ensuite une position d'équilibre qui permette de sauver et notre liberté et notre concorde. C'est le trésor de notre République que de nous donner avec la laïcité les clés de la liberté, mais aussi celles de la concorde nationale. C'est une question qui appelle discernement et esprit de responsabilité. En la matière, seul l'intérêt des élèves doit guider nos réflexions et nos débats.

Les sorties scolaires ne sont pas dans le cadre de l'établissement scolaire et les adultes accompagnants ne sont pas des fonctionnaires. La neutralité ne s'applique pas aux usagers du service public, à l'exception des élèves depuis la loi de 2004 - que j'ai jugée excellente.

Les parents accompagnants sont-ils des usagers ou des collaborateurs du service public ?

Le Conseil d'État, dans son étude de 2013, a rappelé que la manifestation des convictions religieuses avait pour limite le trouble à l'ordre public ou au bon fonctionnement du service public. Il indique en particulier que « les exigences liées au bon fonctionnement de l'éducation peuvent conduire l'autorité compétente, s'agissant des parents d'élèves, qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

Nous ne sommes donc pas démunis pour regarder au cas par cas si le port de signes religieux par les parents d'élèves excède ce qui relève d'un usage souhaitable. En d'autres termes, s'il y a un risque de prosélytisme ou de pressions inacceptables sur les élèves.

La loi irait au-delà du nécessaire et aurait des effets contre-productifs. La loi ne doit pas régler chaque aspect de la vie courante. C'est ce qu'a rappelé le président de la République lorsqu'il a évoqué les règles de civilité. Qu'un homme refuse de serrer la main d'une femme est choquant. Il est pourtant inenvisageable de légiférer là-dessus. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Pemezec.  - Et pourquoi ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Montesquieu nous en avertissait déjà : les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.

En allant au-delà du nécessaire, une loi serait aussi contre-productive parce qu'elle enverrait un message brouillé aux familles. Nous voulons rapprocher les familles des écoles, c'est la meilleure chance d'accomplir le projet républicain.

Car ce que la République veut pour ses enfants, c'est qu'ils puissent grandir, s'épanouir et finalement atteindre l'âge adulte grâce aux lumières que donne l'éducation. Pour cela nous avons besoin d'un pacte entre la famille et l'école. Nous devons envoyer aux enfants le message que les parents sont les bienvenus, et que c'est ensemble, parents et école, que nous assurons leur éducation.

L'école c'est l'espace de la science, de l'argumentation, du discernement.

L'enfant a besoin d'un cadre de neutralité pour forger ses convictions et son esprit critique, dans la plus belle tradition philosophique et scientifique de notre pays.

M. Philippe Pemezec.  - Et donc ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - L'histoire de l'école républicaine témoigne de cette volonté collective de mettre nos enfants à l'abri des passions des adultes. Jean Zay, en 1936, a publié une circulaire célèbre qui rappelait que l'école doit rester l'asile inviolable où les querelles des adultes ne pénètrent pas. (On en convient sur les travées du groupe Les Républicains.)

En 1886, la loi Goblet confie à un personnel exclusivement laïc l'enseignement dans les écoles publiques. La loi de 2004, interdisant le port des signes ostentatoires à l'école, s'inscrit dans cette longue tradition républicaine.

Cette laïcité fait désormais largement consensus - elle devrait nous réunir, car elle est le produit du long travail des siècles qui a su distinguer ce qui relève du divin, donc de la conscience de chacun, et ce qui relève du politique et des règles communes à tous. C'est Michel de L'Hospital qui nous met en garde contre les risques de la discorde.

C'est Malesherbe qui s'est battu pour la liberté de pensée dans un esprit d'équilibre, en nous gardant de tout excès. C'est Molé qui a su se lever contre des lois injustes. C'est Portalis qui nous enjoint de ne pas multiplier les lois inutiles et nous dit « qu'il faut être sobre de nouveautés en matière de législation ».

Notre socle de laïcité nous vient de loin, mais la laïcité est aussi le cadre de notre avenir, c'est un principe profondément moderne, attaché à l'idéal républicain, qui est un idéal d'émancipation de chacun par l'éducation, et un idéal d'égalité de tous. (Marques d'approbation)

Cet idéal républicain est à l'envers d'un projet de société qui existe dans d'autres parties du monde, où l'on préfère juxtaposer des communautés plutôt que de faire vivre le contrat social entre gens égaux. Ces sociétés, dont nous ne voulons pas, courent le risque de la fragmentation.

M. Bruno Retailleau.  - Très bien !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Nous n'en voulons pas car la vraie chance pour la liberté de conscience c'est de vivre dans un cadre laïc.

La laïcité est un trésor français qui se traduit par un corps de règles. Ce n'est pas un ministre inactif qui s'exprime devant vous.

Plusieurs voix à droite.  - Si !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Nous avons produit un vade-mecum de la laïcité, à partir de cas concrets, pour indiquer ce qu'il convient de faire ; nous avons installé des équipes laïcité, mobilisées chaque fois qu'un cas se produit... (Exclamations dans les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Pemezec.  - Du vent !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Le combat est aussi contre la radicalisation. Avec le Sénat, nous avons donné une suite favorable à la proposition de loi Gatel pour renforcer le contrôle sur les établissements privés hors contrat. Je me tiens personnellement informé de l'évolution des écoles sensibles.

Avec la loi Pour une école de la confiance, nous avons renforcé le contrôle de la scolarité à domicile et nous avons interdit tout prosélytisme aux abords des établissements scolaires.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture.  - Merci !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Nous n'avons pas besoin de nouvelle loi. Nous avons besoin de continuer notre combat pour la laïcité. La France est laïque et indivisible...

M. Philippe Pemezec.  - Justement !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - ... démocratique et sociale. Voilà le cap que nous devons garder pour notre école. Redonnons du sens à la République, à l'émancipation de tous, à notre pays qui nous unit, la France. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, SOCR et sur plusieurs travées du groupe RDSE ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°13, présentée par M. Masson.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, la proposition de loi tendant à assurer la neutralité religieuse des personnes concourant au service public de l'éducation (n° 84, 2019-2020).

M. Jean Louis Masson .  - Monsieur le ministre, vous avez très bien parlé. Il est temps de passer aux actes. Voilà ce qui a manqué non seulement à ce Gouvernement, mais aussi aux précédents présidents de la République.

Cette motion de renvoi en commission vise à resituer la problématique globalement. Un sondage publié le 27 octobre montre que 70 % des Français estiment que la laïcité est menacée par le communautarisme.

Une voix sur les travées du groupe CRCE.  - Pas vrai !

M. Jean Louis Masson.  - 82 % souhaitent l'interdiction des prières publiques.

Des membres du groupe Les Républicains.  - Nous aussi !

M. Jean Louis Masson.  - 73 % souhaitent l'interdiction des signes religieux lors des sorties scolaires et 72 % souhaitent que les employeurs puissent les interdire également.

Cette proposition de loi aurait dû aller plus loin. La commission aurait pu compléter le texte initial de manière utile.

Il faut dire non à la radicalisation et à toutes les formes de communautarisme, comme aux flux migratoires où le terrorisme recrute. Pourquoi le terrorisme islamiste vient-il se réfugier en France plutôt que dans les pays musulmans qui auraient les moyens de les accueillir ? (On s'amuse à droite.)

M. Emmanuel Capus.  - C'est pas le même droit du travail !

M. Jean Louis Masson.  - Pourquoi les bateaux soi-disant humanitaires vont-ils chercher les migrants aux abords des côtes libyennes pour les amener en Europe, alors que les ports d'Algérie, de Tunisie et d'Égypte sont juridiquement sûrs ?

Autrefois, les immigrés voulaient s'intégrer dans notre société ; désormais, ils cherchent à nous imposer leurs us et coutumes plutôt que de s'adapter à notre mode de vie.

Nous avons le devoir de réagir contre toutes les formes de communautarisme qui alimentent le terrorisme.

Le 16 octobre dernier, j'ai rappelé cette nécessité en félicitant l'élu du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté qui avait eu raison de demander qu'une femme voilée ne soit pas acceptée dans le public de ce conseil de région. La grande majorité des Français pensent comme moi.

Si cette proposition de loi avait été déposée plus tôt sous M. Sarkozy, par exemple, cet incident n'aurait pas eu lieu.

Mme Laurence Cohen.  - N'importe quoi.

M. Jean Louis Masson.  - J'ai déposé un groupe d'amendements pour interdire le port du burkini et les horaires séparés pour les femmes dans les piscines ; un autre groupe pour interdire le port du voile dans les emplois de tout secteur, au sein des assemblées territoriales et dans les sorties scolaires.

Enfin, mon troisième groupe d'amendements, qui portait sur l'égorgement des animaux destinés à la consommation des musulmans, n'a pas pu être enregistré. (Mme Laurence Cohen hue.)

Le communautarisme ne doit pas l'emporter ! Pourquoi lui donner plus de droits ? Au nom de quoi, alors que je n'irais pas me baigner tout habillé dans une piscine, on autoriserait tel ou tel à se baigner intégralement habillé ?

Mme Samia Ghali.  - Hors sujet !

M. Jean Louis Masson.  - Le problème n'est pas de religion, mais de propreté. Chacun est tenu de prendre une douche avant d'entrer dans une piscine, musulman ou pas ! (Brouhaha)

Les positions sur ces questions caractérisent le renoncement de nos dirigeants. Idem pour les abattoirs : on proteste au nom du bien-être animal, et sous prétexte d'un rituel, on peut laisser un animal agoniser pendant dix minutes.

M. Stéphane Piednoir.  - Quel rapport ?

Mme Samia Ghali.  - Il y a des sorties scolaires aux abattoirs ?

M. Jean Louis Masson.  - Le code civil est pourtant clair sur le sujet qui interdit de faire souffrir les animaux - donc les modes d'abattage de certaines religions, par des méthodes qui relèvent d'une cruauté d'un autre âge... (Les sénateurs de gauche scandent le compte à rebours du temps de parole de M. Masson, puis frappent en rythme leur pupitre pour couvrir sa voix.)

M. Max Brisson, rapporteur.  - Mon espérance est déçue. J'imaginais que nous ne parlerions que de l'école... Les professeurs et les élèves le méritent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Josiane Costes applaudit également.)

M. Masson n'aura pas manqué de temps pour parler de sujets qui ne relèvent pas de notre commission.

Notre position se restreint au code de l'éducation et à l'enseignement. La sortie scolaire relève du temps de la classe.

Et voilà que vous venez d'importer tout un débat extérieur, alors qu'il s'agit de défendre l'innocence et la liberté d'apprendre des enfants. Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme Samia Ghali.  - L'intervention de M. Masson me conforte dans l'idée que cette proposition de loi n'a pas lieu d'être. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Elle stigmatise.

M. Bruno Sido.  - Pas du tout.

Mme Samia Ghali.  - D'où que nous venions, nous sommes avant tout des Français !

M. Pierre Charon.  - Et les femmes voilées ?

Mme Samia Ghali.  - Vous avez mis les femmes voilées en accusation dans ce texte. Je suis triste pour elles. J'en appelle au président de la République garant d'une juste paix. Il est temps de siffler la fin de la récréation, car ce spectacle n'est pas digne de notre pays. (Protestations à droite)

Une maman qui accompagne son enfant en sortie scolaire ne veut qu'aider l'école de la République.

M. Alain Joyandet.  - Justement !

Mme Samia Ghali.  - Si l'école n'est pas d'accord, il faut qu'elle emploie des intervenants. (Mmes Pascale Gruny et Catherine Troendlé et M. Alain Joyandet protestent ; plusieurs sénateurs Les Républicains scandent le compte à rebours du temps de parole de Mme Ghali ; Mme Laurence Cohen applaudit.)

Mme Josiane Costes.  - Le groupe RDSE ne votera pas cette motion. Nous voulons un débat, surtout au vu de ce que nous avons entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

La motion n°13 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Laurent Lafon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi a fait l'objet de nombreux débats dans l'opinion publique. L'encadrement législatif est-il suffisant ou doit-il être complété ? Notre souci est de préserver l'esprit des lois d'équilibre de 1905 et de 2004. Le voile, comme toute autre tenue inspirée par la religion, n'est pas interdit en France - à condition qu'elle ne trouble pas l'ordre public. Son usage en revanche est encadré notamment pour préserver la neutralité dans les services publics et protéger l'enfant dans l'école alors que sa conscience n'est pas encore formée.

Qu'en est-il des sorties scolaires ? Les instructions ministérielles le précisent, ce qui ne suffit manifestement plus. Si cette proposition de loi est votée, l'accompagnement des sorties scolaires ne relèvera plus des seuls directeurs d'école, mais de la loi : c'est un apport appréciable. (Mmes Catherine Troendlé et Jacqueline Eustache-Brinio applaudissent.)

Autre apport, cette loi définit le temps d'école hors l'école, ce qui interdit qu'un élève remette un signe ostentatoire d'une religion lorsqu'il sort du bâtiment scolaire pour participer à une sortie scolaire, ce que rien n'interdit pour l'instant expressément.

Le texte distingue aussi utilement le statut d'intervenant et d'accompagnant. L'un participe à l'enseignement, l'autre non. La jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon n'est pas suffisante sur le sujet. En 2013, le Conseil d'État a attribué le statut de collaborateur exceptionnel du service public aux accompagnants. Les sorties scolaires ne doivent pas devenir le symbole de l'intrusion du religieux à l'école.

Car quid de l'école à domicile et des écoles hors contrat ? (M. Jacques Grosperrin le confirme ; applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. David Assouline applaudit également.)

Nous ne pouvons faire abstraction de l'emballement médiatique de ces derniers jours qui a mélangé tous les débats. Ne cédons pas à cette confusion. Ce qui gêne dans cette proposition de loi n'est pas tant son contenu que le contexte dans lequel elle intervient, fait d'amalgames et de positions caricaturales. Est-ce la vocation du Sénat de participer à un tel débat sans sérénité ?

Une voix à droite.  - Oui !

M. Laurent Lafon.  - Mieux vaudrait simplement rappeler lucidement ce qui fait notre Histoire et les valeurs de notre République. C'est ce que le Sénat a su faire avec les travaux de nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, rapporteurs de la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'Islam en France et de ses lieux de culte - et encore avec la proposition de loi Gatel sur l'encadrement des écoles hors contrat.

La voie est étroite entre la lutte contre la radicalisation et la sécurité de ne pas se couper de la communauté musulmane.

M. le président.  - Il faut conclure !

M. Laurent Lafon.  - Le groupe UC aura des votes partagés sur ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants)

Mme Sylvie Robert .  - Il y a de grandes lois auxquelles il ne faudrait jamais toucher, ou au moins à leurs principes tels que définis aux articles 1er et 2 de la loi de 1905 qui définissent la laïcité.

Il y a malheureusement des lois opportunistes, comme celle-là. La jurisprudence administrative actuelle est claire : les accompagnants sont des usagers du service public de l'éducation, et ne sont donc pas soumis à l'obligation de neutralité. Mais cela ne convient pas à votre idéologie. Avec ce texte, vous ne remédiez à aucun flou, vous posez un problème juridique en tripatouillant la loi. Au final, vous vous retrouvez à élargir le périmètre d'interdiction en matière de signes religieux ostensibles, qui prévaut en l'état pour les élèves, aux parents accompagnateurs, tout en tendant à les assimiler au régime applicable aux agents publics.

Quant aux directeurs d'école, il serait préférable de faciliter leur quotidien plutôt que de les empêcher d'organiser des sorties scolaires.

Notre rapporteur a déclaré dans un communiqué que certains d'entre nous étaient partisans d'une laïcité accommodante, quand lui défendait une laïcité intransigeante.

Monsieur le rapporteur, je défends la laïcité comme vous, ne la qualifions pas, cela l'affaiblit et la vide de sa substance pour mieux y substituer sa propre conception. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

Laissons à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, dans un esprit de concorde et de tolérance. Comme l'a dit Robert Badinter, c'est l'une des grandes barrières contre le poison du fanatisme.

La laïcité interroge avant tout notre rapport individuel et collectif à l'altérité, la manière dont nous parvenons, ou non, à vivre en société. Elle est la pierre angulaire sur laquelle repose notre socle commun, et il est terrible de constater que c'est en l'instrumentalisant que certains mettent en danger la communauté nationale.

Immigration, islam, communautarisme, quartiers, radicalisation... arrêtons de tout confondre ! Oui, la République a certainement des terres à reconquérir. Mais cela est un problème autrement plus grave que ce texte : en excluant les mères voilées, on les éloigne de la République.

Ne nous trompons pas de combat en faveur de la République. Comme le disait Aristide Briand, nous n'avons pas le droit de faire une loi qui ébranle la République ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM ; M. Pierre Laurent applaudit également.)

Mme Françoise Laborde .  - En supprimant un amendement sénatorial lors de la commission mixte paritaire sur l'école de la confiance, les députés ont choisi de laisser prospérer un vide juridique sur le port du voile par les accompagnants de sorties scolaires. Notre collègue a donc déposé cette proposition de loi en juillet. Mais deux évènements médiatiques ont remis la question au centre du débat : l'affiche incompréhensible de la FCPE - dont les statuts et l'histoire sont pourtant laïcs - et dans la provocation absurde d'un conseiller régional du Rassemblement national qui ne connaît pas les règles d'accueil du public dans l'enceinte de sa collectivité, ni les droits de cette mère d'élève à accompagner une sortie scolaire dans l'état actuel des textes.

L'insécurité juridique est préjudiciable à tous. Les circulaires dont les interprétations ont varié, et la jurisprudence ne suffisent pas. Il revient au législateur de trancher cette situation avant qu'elle ne devienne explosive et instrumentalisée par les extrêmes.

En 2013, le Conseil d'État, dans une étude, répondant à une saisine du Défenseur des droits, avait encouragé le législateur à clarifier la situation. En s'appuyant sur un arrêt de 1941, il soulignait : « entre l'agent et l'usager, la loi et la jurisprudence n'ont pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou de participants qui serait soumise en tant que telle à l'existence d'une neutralité religieuse ».

La loi du 15 mars 2004 impose la neutralité aux usagers - les élèves - afin de les protéger contre toute forme de prosélytisme. Elle leur interdit aussi de manifester leur appartenance religieuse pendant le temps pédagogique. Pourtant, les accompagnants des sorties scolaires peuvent manifester leur appartenance religieuse.

Or, les sorties viennent en appui au programme ; il faut donc lever l'ambiguïté en nous appuyant sur le concept de neutralité.

Depuis Jules Ferry, la neutralité s'applique aux agents, aux enseignants et aux usagers. Depuis l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 23 juillet, elle s'applique aussi aux intervenants à l'intérieur des classes.

La sortie scolaire prolonge l'activité scolaire, sur le temps scolaire, avec des visées pédagogiques, c'est un prolongement de l'enseignement. (Mme Catherine Troendlé confirme.)

La démarche volontaire de l'accompagnant n'a pas vocation à être un droit. Il ne vient pas dans le but d'être avec son enfant, mais pour aider l'enseignant à encadrer toute la classe.

Le texte de la commission est satisfaisant : il soumet les accompagnants et les agents aux mêmes obligations et aux mêmes valeurs.

Les membres de mon groupe se prononceront individuellement en conscience. Pour ma part, je le voterai. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains ; M. Yves Détraigne et Mme Françoise Férat applaudissent également.)

M. Antoine Karam .  - Quelques jours après l'outrance prétendument laïque d'un membre du Rassemblement national - qui aurait dû présenter publiquement ses excuses - nous avons droit à un débat nauséabond. Cette polémique fait le lit de tous les extrêmes. Ne pas céder aux provocations est un acte républicain.

Je m'étonne de ce texte alors que la droite sénatoriale s'était opposée il y a deux ans à la suppression de la rémunération des prêtres en Guyane... (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)

Monsieur le ministre, vous avez rappelé les principes qui régissent la laïcité de notre République : c'est la liberté de croire ou ne pas croire, mais aussi l'égalité de tous devant la loi, quelles que soient nos croyances ou convictions. C'est aussi la stricte neutralité de l'État à l'égard du fait religieux.

L'objectif annoncé de ce texte est de clarifier la situation, en créant une nouvelle catégorie de personnes qui participe au service public de l'éducation. Or la jurisprudence est claire en qualifiant les accompagnants d'usagers du service public. Sachant qu'ils sont bénévoles, cela me semble sage, car il ne peut s'agir de collaborateurs occasionnels. En revanche, il revient aux chefs d'établissement de prévenir tout acte prosélyte qui nuirait au bon fonctionnement du service public.

Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905, le disait bien : « Le silence du projet de loi n'a pas été le résultat d'une omission (...). Il a paru à la commission que ce serait encourir (...) le reproche d'intolérance et même s'exposer à un danger plus grave encore, le ridicule, que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d'instaurer un régime de liberté, imposer de modifier la coupe de ses vêtements ».

Une fois les religions séparées de l'État, le voile, la croix, la kippa, le foulard ou le turban deviennent des vêtements comme les autres.

Ce bel usage qui veut que les enseignants fassent appel aux parents pour participer à une sortie scolaire se passe déjà dans le cadre d'un dialogue confiant. Il est possible de les encourager à ne pas porter de signe religieux - ce qui reste une tolérance, et non un droit. (M. Philippe Pemezec ironise.)

L'affiche revendicatrice de la FCPE me semble donc aussi inadaptée que cette proposition de loi.

Dans certaines écoles, l'interdiction du foulard mettrait les enseignants dans une grande difficulté.

Ne cédons pas à la tentation de faire de la laïcité un territoire guerrier sur lequel nous lutterions contre le communautarisme. En cette matière, notre assemblée a su, à l'initiative de notre collègue Françoise Gatel, apporter une réponse législative adaptée pour mieux contrôler les écoles hors contrat. Nous devons aussi travailler à des solutions efficaces pour lutter contre la déscolarisation et mieux contrôler l'enseignement à domicile.

J'entends parler de courage de légiférer. Mais le véritable courage, ne serait-il pas d'assumer le principe selon lequel, la liberté doit être la règle et la restriction de police l'exception ?

La laïcité est ce qui permet de vivre dans notre société. Notre groupe s'opposera donc à cette loi inutile et inadaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MmeNassimah Dindar et Michèle Vullien applaudissent également.)

M. Jean Louis Masson .  - (Exclamations sur diverses travées) Comme je le disais tout à l'heure, il faut une réponse globale aux dérives communautaristes. Le port du voile prend, dans certains quartiers, une telle ampleur qu'on peut se demander si on est encore en France. Si nous en sommes arrivés là, c'est le résultat d'un laxisme généralisé.

Je me réjouis de cette proposition de loi, que ses auteurs auraient dû faire adopter lorsque Nicolas Sarkozy était président !

M. Stéphane Piednoir.  - C'est une obsession !

M. Jean Louis Masson.  - Pourquoi n'en parler que lorsqu'on est dans l'opposition ?

Mme Sophie Primas.  - On espère bien que vous y resterez longtemps !

M. Jean Louis Masson.  - Malgré la complaisance des bien-pensants face au communautarisme, parfois dans un but électoraliste...

Mme Esther Benbassa.  - Où sont les bien-pensants ?

M. Jean Louis Masson.  - ... le ministre de l'Intérieur s'est inquiété, à juste titre, de « Molenbeeks » à la française où sévit et s'épanouit le communautarisme. Ainsi, un maire de ma région s'est vanté de gagner le suffrage des musulmans en finançant à 100 % la construction d'une mosquée.

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est interdit !

M. Jean Louis Masson.  - C'est autorisé en Alsace-Lorraine ! (Rires)

Une voix à gauche.  - Pour les autres religions aussi !

M. Jean Louis Masson.  - Il a aussi financé une école coranique et il s'est même vanté de décorer les lampadaires de croissants islamiques dans la rue allant à la mosquée.

M. le président.  - Votre temps de parole est écoulé.

M. Pierre Ouzoulias .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Ces dispositions ont déjà été votées par le Sénat dans le cadre de la loi pour l'école de la confiance. Mais votre majorité a choisi de ne pas les retenir lors de la CMP. Elle a accepté cette « concession mineure » selon l'expression du rapporteur, parce qu'un autre amendement a été intégralement repris dans la loi définitive. Intégré dans le code de l'éducation par l'article L. 141-5-2, il indique que « Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d'endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d'enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l'enseignement ».

Pourquoi avoir déposé moins d'une semaine après l'adoption de ce texte cette proposition de loi ? C'est un prétexte pour dire qu'il y a des pratiques religieuses incompatibles avec la République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Eh oui !

M. Pierre Ouzoulias.  - Elle nourrit la suspicion plus générale selon laquelle certains de nos concitoyens, par leur origine familiale, leur religion ou leur tradition, ne pourraient pleinement appartenir à la Nation, qu'il y aurait des dispositions religieuses fondamentalement incompatibles avec la citoyenneté républicaine. Un lien de causalité pourrait même être établi entre une pratique religieuse d'ordre vestimentaire, la volonté de créer au sein de la République des communautés souhaitant échapper à ses lois et ce que Amin Maalouf appelle très justement « Les Identités meurtrières qui se construisent dans la haine d'autrui ».

Le caractère laïc de la République figure dans la Constitution de 1946 grâce à un amendement du député communiste Étienne Fajon.

L'article premier déclare ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Il fut complété dans la Constitution de1958 : « Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». L'essentiel est dit et la force de ces principes constitutionnels devrait nous inciter à plus de retenue, de circonspection et de sagesse dès que l'on tente de les corriger pour en atténuer la portée.

Cette exigence est d'autant plus impérieuse depuis l'attentat contre la mosquée de Bayonne. La laïcité ne peut être l'instrument de l'exclusion. L'égalité des droits et des devoirs doit s'exercer sans distinction de naissance ou de religion.

Les défenseurs d'une laïcité prétendument intégrale, oublient que jadis le chanoine et député Félix Kir montait à la tribune en soutane.

M. Stéphane Piednoir.  - Jadis !

M. Pierre Ouzoulias.  - Désormais la neutralité devrait même s'étendre à tous les services au public, même privés !

Ce débat mérite mieux que ce texte. Notre groupe est prêt à s'y atteler. La laïcité doit être au service de l'émancipation intellectuelle, politique et sociale.

Monsieur le rapporteur, vous avez cité Jean Zay, assassiné par la Milice, qui a, dans deux circulaires, interdit dans les écoles la propagande politique et confessionnelle. En 1939, alors que le ministre de l'Intérieur Albert Sarraut voulait renvoyer les enfants de réfugiés républicains espagnols, ce même Jean Zay s'y opposa au nom de notre vision humaniste et universaliste de l'école. C'est toujours elle qui nous inspire : nous voterons donc contre votre texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et LaREM)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les indépendants) Je m'interroge sur l'opportunité de débattre de cette proposition de loi qui porte sur le port du foulard des mamans accompagnatrices de sorties scolaires et rien d'autre.

Laïcité de l'État, pas de la société. Cela veut dire que la France garantit la liberté de conscience et de pratique, lorsqu'elles respectent les valeurs républicaines. J'ai enseigné à Melun dans un collège d'éducation prioritaire. J'y ai aussi été adjointe au maire pendant 30 ans. Il est caricatural de prétendre que la totalité des femmes qui portent le voile l'utilisent comme l'étendard d'un projet islamique. Les mamans accompagnatrices défendent simplement leurs convictions dans une société ouverte. Voulons-nous les empêcher d'accompagner les sorties scolaires, ghettoïsant encore plus les enfants de certains quartiers ?

Interdire le port du voile à ces femmes les stigmatise, les enferme dans leurs pratiques, empêche l'islam d'évoluer avec la société. L'école est parfois leur seul lieu de socialisation pour ces femmes.

Laïcité de l'État, non de la société, cela veut aussi dire ne pas céder aux pressions et aux caricatures, apaiser les tensions entre communautés. L'État n'a pas à se plier aux revendications communautaires.

Enfin, nous devons protéger tous les enfants du prosélytisme, faire confiance à l'intelligence des enseignants, des directeurs d'établissements et éventuellement du juge pour garantir la laïcité.

La réponse au communautarisme n'est pas la stigmatisation qui exacerbe les tensions. L'école doit rester un sanctuaire, un abri pour permettre à tous les enfants de grandir avec les valeurs républicaines. La France ne saurait écarter une communauté qui reflète une partie d'elle-même.

Pour autant, cette tolérance n'est pas sans limites. J'en vois pour preuve l'interdiction du voile intégral en 2010, l'obligation de neutralité religieuse à l'école en 2004, le récent renforcement du contrôle des écoles coraniques et des enfants déscolarisés. D'autres lois viendront probablement sur la formation et le contrôle des imams, sur le mode de financement des mosquées, sur l'évolution de notre système d'intégration.

La réponse la plus saine pour désamorcer les tensions est de réaffirmer les principes : de tolérance, de liberté de conscience, de fraternité et de partage des valeurs de la République. Nous ne devons pas combattre le voile des mamans en sortie scolaire, mais l'obscurantisme religieux qui se développe, le glissement d'une partie des musulmans vers une pratique radicale de l'Islam. Latifa Ibn Ziaten, mère d'une victime de Mohammed Merah, illustre sans relâche ce combat. Elle s'exprime partout sans problème.

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Colette Mélot.  - Les membres de mon groupe voteront en leur âme et conscience (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC)

M. Jérôme Bascher .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce n'est pas parce que quelques-uns hystérisent le sujet qu'il ne faut pas le traiter : nous n'avons que trop tardé... Charles Péguy disait : « il faut dire ce que l'on voit, mais il est difficile de voir ce que l'on voit ». Ce sont les extrémistes de tout bord qui se sont emparés, non pas du débat, mais des failles dans les lois de notre République.

Sur mon initiative, le Sénat avait réaffirmé le principe de laïcité pendant les sorties scolaires lors de l'examen du projet de loi sur l'école de la confiance. Certains n'y ont vu que du racisme, voire de la haine contre les musulmans. Nous sommes bien en-dessous d'Atatürk. L'enjeu, c'est notre modèle républicain, le creuset de notre école républicaine sans distinction de race, de sexe et, à l'initiative de Portalis, de religion. Voulons-nous abandonner le combat des féministes, chère Laurence Rossignol ? (Mme Laurence Rossignol s'étonne d'être mise en cause.)

Ne trahissons pas Aristide Briand ! Nous risquerions de vivre face à face, plutôt que côte à côte...

Sans texte clair, sans cadre légal, les positions seront inconciliables. Trente ans après l'affaire du foulard de Creil - je suis sénateur de l'Oise, avec Olivier Paccaud et Laurence Rossignol - il est temps de passer aux actes. Robert Badinter l'a dit : « Ce qui n'est pas illégal n'est pas forcément bienvenu ». Porter le voile n'est pas une prescription canonique.

M. David Assouline.  - C'est le café du Commerce ?

M. Jérôme Bascher.  - Sans distinction de sensibilité, nous ne devons pas abdiquer pour les croyants, les agnostiques, les athées. Face aux extrémistes, nous ne pouvons pas avoir la main tremblante au moment de voter ce texte !

M. David Assouline.  - Quel courage !

M. Jérôme Bascher.  - Je vous demande, chers collègues, de voter pour l'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la Patrie, comme l'aurait dit le Général ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Philippe Pemezec .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Il y a un an, monsieur le ministre, nous débattions de la tenue des accompagnants de sorties scolaires. J'ai écouté, religieusement, (On s'amuse sur les travées du groupe RDSE.) votre réponse ambiguë : je suis plutôt d'accord avec vous, mais la loi est la loi... Les choses n'ont pas évolué depuis...

Ce qui est en question dans cette affaire, c'est la remise en cause régulière des valeurs de notre société et de notre vivre ensemble par les tenants d'une vision de l'islam communautariste et radical.

Ce texte lève cette ambiguïté, après vingt ans d'hésitation et de manque de courage. Cette ambiguïté a alimenté les tensions, attisées par les tenants d'un islam politique qui tentent de remettre en cause notre société et ses valeurs républicaines.

Les sorties scolaires sont bien effectuées durant le temps scolaire ; les accompagnants sont des collaborateurs occasionnels du service public. Les règles de neutralité doivent donc s'appliquer à eux aussi. L'école est le reflet de notre société, mais aussi là où la France de demain se construit.

On ne réglera pas le problème du communautarisme qui ronge la société française avec de jolies citations. L'Archipel français de Jérôme Fourquet montre bien que nous avons échoué à le combattre. Aujourd'hui, les maires et les directeurs d'école gèrent tant bien que mal ces questions.

Que dire du prosélytisme, des menus scolaires, des revendications et horaires spécifiques pour les femmes à la piscine ? La religion doit s'exercer dans le seul cadre privé.

A-t-on jamais forcé un parent d'élève à accompagner une sortie scolaire ? Si pour une mère de famille retirer son voile et montrer ses cheveux est insupportable, elle peut rester chez elle, mais qu'elle ne prétende pas collaborer à un service public laïc et démocratique si elle ne veut pas en accepter les règles.

C'est un véritable rapport de force qu'engagent ces femmes qui brandissent le voile comme un étendard.

Il faut, pour y répondre, avoir le courage d'entendre ce que disent les Français dans ces quartiers qui s'enfoncent peu à peu dans le communautarisme. Quelqu'un a dit lors d'un débat qu'il suffisait que tout le monde mange halal pour régler le problème et pourquoi pas casher ?

Personnellement, je préfère le poisson le vendredi... (Protestations à gauche) Je crois dans la France, aux valeurs de la République ! Nous devons voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Laurence Rossignol .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les auteurs de cette proposition de loi ont dû se demander si ce débat tombait bien.

J'ai le sentiment très désagréable d'être prise dans un étau. D'un côté la haine, le racisme, de cette partie de la France qui n'est pas laïque, qui déteste les Arabes, les musulmans, et qui n'a jamais tant aimé la France que quand elle n'était pas la France... (Protestations à droite)

Mes chers collègues de la droite, ne vous émouvez pas lorsque je parle de l'extrême droite ! Je ne parlais pas de vous... (Mêmes mouvements)

L'autre pièce de l'étau, c'est l'extension de l'emprise religieuse dans la société française et, entre autres, celle de l'islam politique. Car, si la foi relève de l'intime, la religion est une question politique. La première étape stratégique des doctrinaires passe par la réislamisation des musulmans de France. Il s'agit de communautariser les musulmans autour du fait religieux dans l'espace public en opposant une pratique religieuse de plus en plus rigoriste à la laïcité républicaine. Le voile est l'objet symbolique de leur visibilité, même si, paradoxalement, cette visibilité passe par l'invisibilité des femmes. (Marques d'approbation à droite)

Si le voile devient objet de racisme, il devient aussi symbole de la résistance au racisme. C'est le scénario de l'escalade... D'un côté Dijon, et son conseiller départemental haineux, de l'autre la coalition des naïfs qui laisse prospérer l'islam politique. Je ne suis ni d'un côté ni de l'autre. Ce n'est pas pleutre, mais prudent. Or cette proposition de loi n'y contribuera pas : ce sera même du pain béni pour les islamistes.

Défendre la laïcité, c'est en faire un usage juste et constant, non exalter l'identité chrétienne ni convoquer les évêques à tout bout de champ pour solliciter leur avis sur le droit des femmes à disposer de leur corps ! La laïcité suppose la justice et l'égalité.

On a cité un récent sondage approuvant cette proposition de loi sans mentionner que la plupart des répondants voulaient étendre l'interdiction à tous les usagers du service public : halls des hôpitaux, bureaux de poste, à la CAF, dans les mairies... Êtes-vous prêts à les suivre ? Aujourd'hui non, mais dans un ou deux ans, selon le contexte ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. François Patriat applaudit également.)

Nous payons aujourd'hui l'abandon des quartiers populaires. Tant qu'un jeune avec un prénom musulman aura cinq fois moins de chance de trouver un emploi que les autres...

Mme Catherine Troendlé.  - Ce n'est pas vrai !

Mme Laurence Rossignol.  - ... comment croira-t-il à l'égalité républicaine ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Cette proposition de loi va-t-elle réduire la fracture actuelle, allons-nous désarmer les haineux de tout bord, allons-nous nous extraire du face à face sinistre des identitaires des deux camps ? Non.

Le groupe SOCR ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe LaREM)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France est une République laïque : c'est une règle qui doit la ressembler. La laïcité est un droit et un devoir. Le législateur a fait de l'école un espace neutre. Cette conquête s'est faite par étapes : en 2004 les signes ostensibles d'appartenance religieuse étaient interdits dans l'enceinte scolaire.

Ce texte est une nouvelle étape. Je ne comprends pas l'attitude du président de la République qui dit que le port du voile n'est pas son affaire. Chaque sortie scolaire nourrit un projet pédagogique : on ne peut distinguer l'enseignement délivré en classe de l'école hors les murs, dans le gymnase ou la salle municipale.

La jurisprudence tend vers la neutralité religieuse des parents d'élèves. En témoigne le récent jugement de la cour administrative d'appel de Lyon.

L'ambivalence du Gouvernement est source de polémiques et de tensions. Monsieur le ministre, vos collègues ont multiplié les prises de position contradictoires - les limites du « en même temps ».

Un récent sondage donne 66 % des Français favorables à notre proposition de loi, qui prône la liberté et la tolérance pour tous.

Jacques Chirac déclarait en 2003 que la laïcité symbolisait notre cohésion nationale, notre aptitude à vivre ensemble et à nous réunir sur l'essentiel. Seize ans plus tard, ce texte y répond.

Monsieur le ministre, la sortie scolaire est-elle du temps scolaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre .  - Si un Huron pénétrait dans votre Haute Assemblée pour assister à notre débat, il constaterait que c'est bien la laïcité, comme principe fondamental, qui nous réunit, sur l'ensemble des bancs. Tel n'a pas toujours été le cas. (On approuve sur des travées du groupe SOCR.) La laïcité est un trésor, un outil de concorde nationale. Il en va de même de la lutte contre le communautarisme, contre la radicalisation. Il importe de montrer que pour la Représentation nationale, le sujet n'est donc pas le « pourquoi » - la base du contrat social - mais le « comment » : par quel chemin arrivons-nous à une laïcité effective, luttant contre le communautarisme, la radicalisation, pour bâtir une République de citoyens égaux.

J'ai mené sur ce plan des actions très concrètes, depuis deux ans et demi, beaucoup plus que ce qui a été fait dans les quinze années précédentes.

M. Bruno Retailleau.  - La loi de 2004 !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Certes, mais rien d'aussi important n'a été fait depuis lors.

Une citation a été présentée comme la mienne qui est en réalité apocryphe. J'ai toujours dit que le droit actuel nous permettait d'agir de manière pertinente.

La question que pose l'examen de cette proposition de loi est : nous aidera-t-elle ? Je pense que non. On doit respecter les chemins différents pour aboutir au même résultat. Mais soyons attentifs au sens des mots, comme l'a souligné Laurence Rossignol.

J'ai dit la même chose que Robert Badinter - auquel vous avez fait référence - en résumant ainsi l'état du droit actuel : « pas interdit mais pas souhaitable ».

Certains sujets relèvent de la loi, d'autres non. Si nous prenions le temps d'un débat serein sur la question nous pourrions nous accorder sur une action qui nous mène vers une laïcité du quotidien, pour faire reculer le communautarisme, dont je déplore l'essor dans les espaces comme dans les esprits : je suis le premier à le dire et à me battre contre cela.

Nous devons être clairs mais aussi efficaces. Atteindra-t-on notre objectif ? Je vous ai répondu mais chacun a sa réponse. L'essentiel est de nous retrouver sur l'image d'une France, unie sur l'essentiel, parce qu'elle mise sur son contrat social, où la laïcité est centrale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées des groupes UC et SOCR)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Max Brisson, rapporteur .  - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir, par vos propos apaisants, replacé le débat au bon niveau, comme nous avons essayé de le faire en commission, en le centrant sur la manière dont l'école publique s'est construite. L'école de la République a une histoire très particulière et très française.

M. David Assouline.  - C'est l'histoire de la gauche !

M. Max Brisson, rapporteur.  - Pas seulement, car un fort consensus s'est construit sur cette histoire de l'école laïque.

La seule chose qui est inscrite dans l'article premier, c'est la volonté du législateur de poursuivre le travail dans le droit fil des pères fondateurs de l'école, en étendant la laïcité et en considérant que l'accompagnateur participe à une activité d'enseignement. La sortie scolaire, c'est la classe hors les murs. Elle doit être protégée, autant que l'école dans ses murs.

Oui, tout au long de nos débats, pensons à ce temps d'activité pédagogique et protégeons-le ! (Bravos et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Olivier Paccaud .  - N'est-il pas de bon sens que les participants au service public de l'éducation via ces activités scolaires respectent ces valeurs ?

Notre société est de plus en plus fracturée par les tensions communautaires. Faire Nation est de plus en plus compliqué. Vivre ensemble n'est plus une évidence. Or il reste un lieu d'épanouissement qui doit être sanctuarisé : l'école de la République. L'école et la République sont en effet consubstantielles.

L'école a pris en charge tous les enfants, ceux dont les parents croyaient au ciel et ceux dont les parents n'y croyaient pas.

Il y a eu les lois de 1881, 1882 et 1905, mais aussi celle de 2004 que nul ne remet en cause malgré 15 ans de polémique, après l'affaire de l'établissement de Creil dans ce département de l'Oise que nous représentons ici avec Jérôme Bascher et Laurence Rossignol.

Pourtant, à l'époque, certains refusaient de légiférer et prédisaient que des établissements scolaires se videraient. Ce n'a pas du tout été le cas ! (Quelques applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le voile n'a rien d'anodin. J'en parlerai avec le point de vue neutre de l'historien, mais aussi de l'athée que je suis. Dans les trois religions du Livre, le voile est la manifestation vestimentaire de la position particulière des femmes dans la société. Tertullien, dans Le Voile des viergesDe Virginibus velandis - écrivait en substance : « Tout est féminin dans une tête de femme. Tout ce que les cheveux peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de façon qu'il enveloppe aussi la nuque. » C'est la nuque qui doit être soumise. Le voile est son joug : velamen jugum illarum est.

L'historienne Rosine Antoinette Lambin montre que le christianisme est le premier monothéisme à avoir construit la théorie religieuse de la morale de la coiffure féminine. Et de conclure que le voile est de souche méditerranéenne, à la fois occidental et oriental. Ce n'est pas à nous de légiférer de manière théologique. En revanche, dans notre travail législatif, seules comptent les lois que nous nous donnons à nous-mêmes et rien ne doit nous être imposé. Nous devrons nous en souvenir lors du débat bioéthique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)

M. Stéphane Piednoir .  - Notre débat illustre la complexité des rapports que nous entretenons, nous Français, avec la religion. Nos racines sont judéo-chrétiennes. On trouve bien quelques laïcards aigris pour le contester, comme une sorte de revanche sur l'histoire. (Murmures sur plusieurs travées à gauche) Chose étonnante, ce sont les mêmes qui défendent l'étalage sans entrave de l'exercice d'autres cultes dans l'espace public. Le voile, ce bout de tissu, est un emblème. Il est tout sauf insignifiant ! Faut-il être à ce point irrationnel pour refuser de voir que les sorties scolaires sont du temps scolaire ?

Demandons aux accompagnants d'enlever pour quelques heures ce bout de tissu, le temps des sorties scolaires, sans que cela les prive du droit, garanti par la Constitution, de pratiquer leur religion. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Kanner .  - Pourquoi donc cette proposition de loi ? Sommes-nous à ce point submergés par des incidents de prosélytisme en sortie scolaire ? Ou sommes-nous face à une instrumentalisation de la laïcité, par calcul politique ? Les pourfendeurs de notre modèle républicain peuvent se réjouir ! Ils auront beau jeu de dénoncer l'interdiction et l'exclusion ! On ne répond pas à une vision totalitaire de la société par l'institution d'une intolérance vécue comme une humiliation.

Je suis interpellé par la laïcité à géométrie variable qui pousse la droite à rejeter le grand service public laïc unifié de l'Éducation nationale et l'intégration de l'Église dans le répertoire des influenceurs...

Richelieu a dit : « la politique, c'est l'art de rendre possible le nécessaire ». Cette proposition de loi n'est pas nécessaire. Nous voterons contre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe LaREM)

M. Alain Joyandet .  - Je souhaite revenir sur l'incident du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Ce que ne montre pas la vidéo, c'est que la plus grande confusion a régné. La présidente ne savait que faire. Elle n'a pas suspendu la séance. Des conseillers régionaux en venaient aux mains, pour s'arracher leurs appareils photos. La confusion était à son comble pendant de longues minutes. Le moins que l'on puisse en dire est que l'état du droit n'était pas clair.

En 1989, le Conseil d'État a rendu un avis sur les filles voilées de Creil. Il a dit : on a le droit de porter le voile mais sous certaines conditions, les chefs d'établissement peuvent en décider autrement. Il a fallu la loi de 2004 pour clarifier la situation. Quand le ministre dit : ce n'est pas interdit, mais pas souhaitable, on constate son embarras.

Cette proposition de loi n'a rien de révolutionnaire, elle se borne à clarifier le droit, en bouclant la boucle, en quelque sorte. La précision législative ramènera le calme dans nos établissements et nos institutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa .  - Si elle s'en prend aux femmes qui accompagnent les sorties scolaires, c'est que la droite va mal. (On proteste sur quelques travées du groupe les Républicains.) En cette veille d'élections municipales, elle cherche à mordre sur le terrain de l'extrême droite. Quelque 35 % des musulmanes en France seulement portent le voile. C'est bien modeste face à la violence de la réprobation qui s'exprime. Il n'y a pas là de quoi alarmer la population, qui a bien d'autres priorités.

Seulement 56 % des Français s'intéressent au sujet, privilégiant d'abord les questions de santé et la lutte contre le chômage. La droite fait mine de lutter contre l'islamisme. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Certains, dignes héritiers du colonialisme paternaliste d'antan (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) prétendent les affranchir de l'oppression masculine ! Le voile est parfois utilisé comme symbole de radicalisation. Quelque 70 % des musulmanes sont favorables au port du voile, sans forcément le porter. Occupons-nous plutôt des femmes battues. Seule une laïcité inclusive nous amènera à l'intégration, la stigmatisation n'entraîne que le désordre et brise la cohésion sociale.

M. Michel Savin .  - Les lignes de fracture sont nombreuses. Notre débat ne doit pas se focaliser uniquement sur le port du voile. Une problématique reste ouverte : celle de la baignade. Quelle sera la réaction des enseignants face au port d'un burkini par une accompagnatrice ? Évitons toute dérive communautaire. Je soutiens cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. David Assouline .  - Je souscris totalement aux propos de Laurence Rossignol, à la virgule près. Nous sommes pris dans un piège à mâchoires. Ce n'est pas du tout juste de rejeter la portée symbolique de ce débat.

Ce qui porte véritablement atteinte à la laïcité dans notre pays, c'est que certains enfants sont déscolarisés et pris en charge par des gens qui les endoctrinent. Et en parallèle, il y a une montée du racisme antimusulman dans notre pays. Qui peut le nier ? M. Zemmour a pignon sur rue, sur LCI et ailleurs, alors qu'il a été condamné pour incitation à la haine !

M. Jacques Genest.  - C'est hors sujet !

M. David Assouline.  - Bien sûr que non ! Je reste Charlie. (M. Jacques Genest proteste derechef.) Qui s'est battu pour la loi de 1905 et contre la loi Falloux ?

Mme Sophie Primas.  - Pas nous !

M. David Assouline.  - Et à l'inverse, pour Sens commun et contre le mariage pour tous ? (Protestations et huées sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et UC) Un peu de sincérité ! Il n'y a pas ici que des grands défenseurs de la laïcité !

M. Jean Louis Masson .  - (Exclamations sur plusieurs travées à gauche) On ne parle pas des enfants, dans ce débat. Est-il normal que vos enfants ou petits-enfants soient encerclés par des femmes voilées qui font du communautarisme ? En tant qu'usagers du service public, fragiles, ont-ils à être victimes de prosélytisme ? Pourquoi ne pas faire encadrer les sorties scolaires par des sorcières d'Halloween ? (Mouvements divers) C'est scandaleux ! Les enfants n'ont pas à être pollués par le prosélytisme et le communautarisme.

Mme Esther Benbassa.  - Ça suffit !

M. Jean Louis Masson.  - Les communautaristes doivent s'adapter à notre société et s'ils ne sont pas contents, qu'ils retournent d'où ils viennent. (Protestations renouvelées sur les travées du groupe CRCE et murmures sur plusieurs autres travées)

M. Guillaume Gontard .  - La majorité sénatoriale porte une lourde responsabilité. Elle offre la parole aux extrémistes, que l'on vient d'entendre. On s'en prend toujours aux mêmes. De quoi avez-vous peur, au juste ? La loi de 1905 c'est d'abord, ne l'oublions pas, la liberté, l'égalité, la fraternité.

Parlons des vrais problèmes : l'urgence climatique, la santé, la pauvreté qui ne cesse d'augmenter, touchant plus de neuf millions de personnes, nos services publics qui ferment les uns après les autres, nos biens publics qu'on abandonne...

« Le voile à l'école, frivoles paroles, le voile à l'école, folles fariboles » chante Brigitte Fontaine. Faudra-t-il que l'on nous resserve cette même chanson à chaque réveillon ?

M. Pierre-Yves Collombat .  - Certains croient qu'une proposition de loi de ce type pourrait suffire à calmer les esprits. Rappelez-vous le grand projet du service public unique et laïc de 1983 qui a mis tout le monde dans la rue - même si les rôles étaient alors inversés...

L'école, c'est un service public, mais pas comme l'eau ou le gaz !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Ou la SNCF ?

M. Pierre-Yves Collombat.  - Il s'agit de faire en sorte que les enfants pensent par eux-mêmes. C'est une ardente obligation si l'on veut forger des consciences libres. Voilà d'où procède la laïcisation des enseignants.

Prétendre que la présence d'une mère, sollicitée pour accompagner les enfants, qui voilerait ses cheveux, conformément aux préceptes de Tertullien, rappelés par M. Ouzoulias, empêcherait les enfants de penser par eux-mêmes, c'est se moquer du monde ! (Plusieurs applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

Mme Nassimah Dindar .  - Considérons-nous le poutou des femmes tamoules à La Réunion ou le salouva et le kishali des femmes mahoraises comme des signes religieux ? Dieu sait combien les femmes mahoraises demandent la création d'écoles républicaines sur leur territoire !

Je suis de La Réunion, terre où toutes les cultures, toutes les religions coexistent pacifiquement dans l'esprit de la République. Ces mères de famille restent des usagers du service public même quand elles accompagnent leurs enfants. Cette proposition de loi va à contre-courant de ce que veut la République. Elle pousse ces femmes dans leurs retranchements. Il ne faut pas mettre ici l'école sur le devant de la scène. (Applaudissements des travées du groupe UC jusqu'à celles du groupe SOCR ; M. Pierre Laurent applaudit également.)

M. François Bonhomme .  - Le Défenseur des droits a constaté beaucoup d'incertitudes quant au champ d'application du principe de laïcité. Le Conseil d'État, que vous suivez, monsieur le ministre, estime, au prix de quelques contorsions, que les parents ont le statut de simples usagers du service public et ne sont donc pas soumis au principe de laïcité. Tout cela est difficile à comprendre et justifie qu'on légifère.

Les Anglo-saxons ont fait le choix du communautarisme. C'est l'honneur de la France d'avoir fait de l'école un lieu sanctuarisé. Évitons de nous aligner, d'accommodements raisonnables en accommodements sur les positions de nos voisins. Rappelons-nous la citation de Robert Badinter (M. David Assouline proteste.) sur l'école « grande barrière contre le fanatisme ». (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Fabien Gay .  - Il y a le texte et le contexte. Le rapporteur ne me convainc pas. Sans remonter à l'épisode de l'établissement de Creil, il y a quinze ans, en passant par les excès de Zemmour and Co, jusqu'à l'incident du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté ou encore à l'attentat tout récent de la mosquée de Bayonne, le contexte est à l'islamophobie avec une libération inquiétante de la parole puisqu'un éditorialiste n'hésite plus à comparer le voile à l'uniforme SS lorsqu'un autre confie descendre d'un bus lorsqu'une femme voilée y monte !

En stigmatisant ainsi la population musulmane, on renforce le communautarisme. Ce sont les deux côtés d'une même pièce. À une société dite de vigilance qui n'est autre que de délation, je préfère résolument celle de la confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Éric Jeansannetas applaudit également.)

Mme Sylvie Goy-Chavent .  - Il y a quelques années, la question du port du voile par les femmes accompagnatrices ne se posait pas. Depuis, des jeunes femmes musulmanes qui s'habillaient à l'européenne se sont retrouvées contraintes, du jour au lendemain, à porter des vêtements qui les couvrent de la tête au pied : elles me le disaient lorsque j'étais enseignante.

Monsieur le ministre, l'école doit rester laïque. Je voterai sans hésiter ce texte, parce qu'en posant un cadre, il aidera les chefs d'établissement qui se retrouvent pris entre le marteau et l'enclume. Nous sommes les garants de la laïcité, ceux qui permettront aux jeunes femmes de ne pas entrer dans le carcan du prosélytisme.

Mme Samia Ghali .  - Les hasards du calendrier font que j'ai reçu cet après-midi en visite au Sénat un groupe d'enfants de Marseille, accompagnés de leurs mamans. (On en doute à droite.) C'est un hasard, vous le savez bien. (Mêmes marques d'incrédulité sur les mêmes travées) Si, ces visites se réservent très longtemps à l'avance, bien avant que notre ordre du jour soit connu. Les enfants ne comprenaient pas l'objet de ce débat se demandant pourquoi on voulait du mal à leurs mamans. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Démago !

Mme Samia Ghali.  - Tout comme cet enfant au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.

M. Alain Joyandet.  - Vous n'y étiez pas. C'est du racolage.

Mme Samia Ghali.  - C'est vous qui racolez le RN ! On ne peut pas exclure cette partie de la France. La liberté c'est aussi pour les femmes qui souhaitent porter le voile de pouvoir le porter.

Mme Catherine Troendlé.  - Belle vision de la France !

Mme Annick Billon .  - Les sorties scolaires sur le temps scolaire doivent respecter le principe de neutralité. À 4, 6 ou 8 ans, un enfant ne peut pas faire la différence entre un intervenant et un accompagnateur. Le voile est un signe de soumission à l'homme. (Mme Catherine Troendlé approuve.)

Le contexte ne doit pas nous empêcher de prendre nos responsabilités. Je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jacqueline Eustache-Brinio remercie.)

M. Jean-Marie Mizzon .  - Quelle est la fonction première de la loi, sinon protéger les plus fragiles ? Parmi eux, il y a les enfants. Forts de ce constat, Jules Ferry et ses successeurs ont bâti l'école laïque.

Quand il y a conflit d'intérêts entre un enfant et un adulte, je choisis toujours l'enfant. Je voterai ce texte. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Ce que vient de dire mon collègue me stupéfie. Le voile serait une maltraitance et provoquerait une souffrance ? Ne confondons pas tout ! Sachons distinguer le texte du contexte très alarmant dans lequel il s'inscrit. Ne donnons pas du grain à moudre à ceux que nous voulons combattre.

L'école est un lieu où se construisent le respect et la compréhension.

Le voile peut-être un choix. D'ailleurs, pourquoi stigmatiser les « mamans » ?

M. Max Brisson, rapporteur.  - Lisez le texte !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Ce sont des femmes libres, pour la plupart ! Pourquoi les infantiliser ainsi ? J'en ai assez de ce féminisme de circonstance ! Nous saurons vous le rappeler dans de prochains débats.

Mme Catherine Troendlé.  - C'est vous qui dites cela ? Vous n'avez pas le monopole de la défense des femmes. !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Ces citoyennes ont fait ce choix et interviennent en tant que parents au sein de l'école.

M. Rachid Temal .  - Sur cette question du voile, qui divise tant, je mettrai l'accent sur ce qui nous rassemble. Cependant, nous sommes tous favorables dans cet hémicycle au principe de laïcité et à la lutte contre le radicalisme et l'intégrisme. La question de l'égalité femmes-hommes mobilise également notre soutien à tous. La laïcité permet à tous et à chacun de croire ou de ne pas croire.

Plusieurs religions souhaitent que leur dogme dépasse la République et nous sommes tous d'accord pour lutter contre de tels projets.

Le sujet de fond est celui du prosélytisme que nous combattons. L'école est une première étape. La loi de 1905 est parfaite pour avancer. Cette proposition de loi n'apporte rien de plus. Je voterai contre. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SOCR)

M. Laurent Duplomb .  - S'il s'agissait d'interdire le port des signes religieux dans l'espace public, je voterai contre. Mais si la sortie scolaire est le prolongement de la classe, ce qui est le cas, les règles qui s'appliquent au temps scolaire doivent s'y appliquer aussi. Voilà un principe tout simple et logique à suivre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre .  - Quelle serait l'utilité de cette proposition de loi ? Monsieur Joyandet, vous avez mentionné la loi de 2004, dont je suis un très chaud partisan. J'étais recteur au moment où elle a été votée. C'est une loi bien faite, fruit de travaux approfondis, et elle s'applique bien aujourd'hui.

Cependant, le parallèle avec ce qui est ici proposé ne fonctionne pas, à cause de l'hybridité du problème qui fait que chacun peut avoir raison dans les deux positions en présence. Il s'agit en effet du temps scolaire, non pas d'espace scolaire et l'on peut en discuter à l'infini.

Quant aux directeurs d'école, certains me disent avoir besoin d'un cadre strict, d'autres que la loi serait inapplicable, car des mamans voilées - pardon, des mères - accompagnent des sorties sans aucun prosélytisme et que, de toute façon, toutes les mères de leur école le sont.

En outre, le droit actuel n'est pas muet. L'avis du Conseil d'État est clair.

Mme Françoise Laborde.  - C'est une étude.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - En effet. Elle indique qu'il est loisible à un directeur d'école d'interdire un accompagnement prosélyte. Et elle peut être complétée par des jurisprudences ultérieures.

Les manières de vivre sa religion divergent d'un quartier à l'autre. La loi viendrait écraser le réel.

Voilà pourquoi nous avons préféré intervenir au cas par cas, grâce au vade-mecum.

Évitons de généraliser. Nous avons les moyens de faire face à toutes les situations. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio le conteste.)

Nous ne voulons pas exacerber les clivages et les exemples de l'outre-mer sont intéressants en cela.

Ayons confiance dans nos principes des Lumières. (Marques d'approbation sur quelques travées du groupe UC) L'essentiel, c'est encore d'avoir tous les enfants à l'école. (M. Loïc Hervé approuve ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées des groupe UC, les Indépendants, SOCR)

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jacques-Bernard Magner.  - Certes la commission de la culture a modifié la proposition de loi mais n'améliore pas l'état du droit et accentue même la confusion juridique. Sous couvert de laïcité sans concession, ce texte stigmatise toute une catégorie de citoyens. Nous ne sommes pas dupes sur le but réel.

En étendant l'interdiction posée par la loi de 2004, qui s'applique aux seuls élèves, le texte crée un amalgame entre agents du service public et usagers soumis à une simple obligation de discrétion, auxquels la jurisprudence a toujours assimilé les parents d'élèves.

Votre rédaction crée une nouvelle catégorie non définie, aux contours flous, qui sera source de contentieux.

La jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon, abondamment évoquée par le rapport, ne fait que poser une exigence de neutralité ; elle n'y change donc rien. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

M. Max Brisson, rapporteur.  - Adopter cet amendement conduirait à rejeter l'article unique du texte.

M. Rachid Temal.  - Ce serait ballot !

M. Max Brisson, rapporteur.  - Nous avons abordé ce texte en considérant la sortie scolaire comme temps scolaire : dès lors, ce qui vaut pour la classe dans les murs de l'école vaut aussi pour la classe hors les murs.

J'ai proposé d'élargir l'exigence de neutralité à toute activité liée à l'enseignement, en m'appuyant sur la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon.

Il n'est pas satisfaisant, monsieur le ministre, que deux directeurs d'école d'une même commune soient amenés à prendre des positions différentes. Nous ne devons pas les laisser seuls. Le législateur doit prendre ses responsabilités.

Je reste fidèle aux principes de laïcité intransigeante qui ont façonné notre école publique. Une laïcité accommodante n'aurait pas construit le même édifice. Avis défavorable : protégeons cet héritage, nous le devons aux pères fondateurs de l'école de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Avis favorable.

M. David Assouline.  - Je m'interroge sur la sincérité de ceux qui après avoir défendu l'autonomie des établissements, le cas par cas, ne jurent plus désormais que par la loi. Le ministre l'a dit, les situations sont diverses ; le baromètre, c'est le prosélytisme.

Si l'on veut être crédible dans notre intransigeance vis-à-vis de l'islamisme politique, qui est notre ennemi irréductible, cessons de convoquer au conseil des nations respectables celles qui financent massivement l'islamisme politique dans nos quartiers, sous couvert d'oeuvres scolaires ou sociales...

Une autre menace pèse sur l'équilibre du monde : celle des évangélistes, qui ont dicté la position de Bush, de Trump, de Bolsonaro... (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Ils agissent massivement dans nos quartiers, avec des moyens énormes. Il faudra leur opposer la même intransigeance ! (Protestations à droite)

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien.

M. Pierre Ouzoulias.  - Cette loi sera une étape fondamentale pour faire progresser la laïcité et protéger la liberté des femmes, dites-vous. Pourquoi alors avoir accepté de retirer cette disposition de la loi Blanquer ? L'interdiction bien plus large du prosélytisme lié à l'enseignement, que vous avez fait adopter avec l'accord du Gouvernement, serait-elle donc inutile ?

M. Max Brisson, rapporteur.  - Vous vous répétez.

M. Pierre Ouzoulias.  - Dans les Hauts-de-Seine, les petites filles qui refusent de retirer le voile vont à l'école privée confessionnelle. Si le voile est un tel joug, pourquoi l'autoriser à l'école privée ? Soyez logiques, allez jusqu'au bout de votre démarche laïque et féministe. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Rachid Temal.  - Si la classe hors les murs est le prolongement de la classe dans les murs, il s'ensuit qu'elle doit être encadrée par des agents de l'Éducation nationale ou des communes...

Dans une même commune, des écoles privées autoriseraient les signes religieux, et les écoles publiques non ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Il faut de la cohérence pour que les lois soient acceptées. Allez au bout de votre logique !

M. Jean Louis Masson.  - En laissant le choix au directeur d'école, on instaure une République à deux vitesses : dans certaines écoles, on acceptera qu'un fourgon de femmes voilées accompagne les sorties, dans une autre, on fera respecter la laïcité.

L'argument du ministre selon lequel dans certaines écoles, toutes les mères volontaires portent le voile est scandaleux : quid de la liberté des quelques enfants qui ne viennent pas de ce milieu ? On a le droit de ne pas tolérer ce communautarisme qui empiète sur nos libertés.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - À en juger par le nombre de caméras dans les couloirs du Sénat, ce sujet intéresse les médias.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ils ne s'intéressent qu'à ce qui est insignifiant !

M. Jean-Raymond Hugonet.  - À part quelques saillies excessives, qui sont l'expression démocratique, le débat est serein et de haut niveau. Je salue le rapporteur Max Brisson qui pose le débat comme il se doit : les sorties scolaires ont un contenu pédagogique, les accompagnateurs ne sont donc pas de simples usagers mais bien des collaborateurs occasionnels du service public.

Puisqu'Aristide Briand a été cité, je vous livrerai une autre citation du même auteur : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. Jacques-Bernard Magner.  - J'ai apprécié les propos du ministre et le remercie de son avis favorable.

En tant qu'enseignant, j'ai organisé de nombreuses sorties. Les accompagnants n'apportent pas une aide pédagogique mais purement logistique ; ils ne participent pas à la préparation de la sortie. Il n'est pas possible, matériellement, de ne recourir qu'à des professionnels. Se priver des bonnes volontés, c'est se tromper de République. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

M. Alain Joyandet.  - Merci, monsieur le ministre : vous nous donnez des arguments en faveur de ce texte de précision puisque c'est bien de cela qu'il s'agit. Vous nous avez dit que certaines femmes font du prosélytisme.

M. Pierre Laurent.  - Combien ?

M. Alain Joyandet.  - Si nous ne précisons pas la loi, un directeur d'école ne pourra pas appuyer un refus sur un argument juridique. Il y aura des contentieux, et le directeur sera dans son tort ! Il faudra bien légiférer à terme.

Vous dites que la loi permet d'agir au cas par cas ; mais la loi doit justement être la même pour tous ! Un de nos anciens collègues aimait dire : « On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment ». Il serait pourtant souhaitable de sortir de cette ambiguïté dans l'intérêt de la République.

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est un grand ecclésiastique qui a dit cela !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - L'état du droit permet déjà au directeur d'école de refuser un accompagnant. Vous avez renforcé cette possibilité en votant l'article 10 de la loi pour une école de la confiance qui interdit tout prosélytisme aux abords des établissements. Le directeur aura des arguments juridiques solides - et il aura son ministre avec lui.

En agissant avec pragmatisme et souplesse, on évite la casuistique législative qui pousse à légiférer à chaque fois qu'un débat s'invite dans l'actualité. Je recherche l'unité nationale et regrette la polémique sur ces sujets. Regardez les insultes que j'ai reçues pour avoir dit quelque chose de simple à ce sujet - la même chose que Robert Badinter ! (M. Loïc Hervé et Mme Sophie Primas félicitent le ministre.)

Ce qui nous rassemble - le respect de la laïcité et la lutte contre le communautarisme - passe par le pragmatisme de terrain, non par une règle unique qui écraserait le réel.

M. Max Brisson, rapporteur.  - Nous avons un vrai débat sur des questions qui peuvent nous opposer. La commission de la culture a un rapport fort à l'école.

Il y a l'école dans les murs et hors les murs. Depuis l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, les intervenants extérieurs qui rentrent dans l'école ne pourront plus afficher leur croyance. Je propose de projeter cette vision dans les activités scolaires hors les murs.

M. Magnier a évoqué son expérience d'enseignant. Comment demander à l'enfant de faire la distinction subtile entre le statut des adultes qui l'accompagnent ? Nous croyons au rôle des parents, à la coéducation ; pour l'enfant, l'adulte est porteur de repères.

Nous demandons simplement que dans une activité d'enseignement, on n'affiche pas sa croyance. C'est une question de vivre ensemble, de respect de l'école publique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Françoise Laborde.  - Très bien !

M. François Bonhomme.  - Le vide juridique n'est pas éventuel, il est établi ! Le tribunal administratif de Nice et la cour administrative d'appel de Lyon ont rendu des décisions différentes, la question est en suspens. Comment apporter une sécurité juridique aux directeurs d'école ? (M. Alain Joyandet approuve.) Monsieur le ministre, vous serez rattrapé par le réel quand les directeurs se trouveront en porte-à-faux.

L'école de la République doit être protégée de toute intrusion, y compris celle de la religion.

J'invite par ailleurs à la sobriété lexicale. Le terme « stigmatiser », employé à tout bout de champ, est malvenu. Faut-il rappeler que les stigmates sont les blessures du Christ en croix ? Quel retour du refoulé ! (Sourires)

Mme Françoise Gatel.  - Cher Max Brisson, cela fait longtemps que nous avons quitté l'école, que nous nous sommes envolés - et non envoilés. (Sourires)

Monsieur le président Kanner, vous louez la position de la gauche en faveur de la République et de la laïcité. Je m'étonne que vous n'ayez pas voté notre proposition de loi sur l'école privée hors contrat qui correspondait à votre philosophie ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Rachid Temal.  - Nous voulions aller plus loin !

Mme Laurence Cohen.  - M. Ouzoulias et le ministre l'ony dit : la loi pour l'école de la confiance interdit toute forme de prosélytisme. Pourquoi y revenir ? Soyez cohérents.

Il y a, dites-vous, l'école dans les murs et l'école hors les murs, puisqu'il y a un contenu pédagogique aux sorties scolaires. Mais si les accompagnateurs ont un rôle pédagogique, alors qu'ils soient rémunérés ! Allez jusqu'au bout de votre logique ! (On renchérit à gauche.)

La loi de 1905 est avant tout une loi de liberté. Cette proposition de loi instrumentalise une question anecdotique. Le nombre d'incidents liés au voile dans les sorties scolaires est presque nul. Dans le contexte politique actuel, c'est un texte dangereux qui ne grandit pas ceux qui le portent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. Jean-Yves Leconte.  - L'école de la République doit accompagner tous les jeunes, d'où qu'ils viennent, vers la citoyenneté. En renvoyer certains vers l'école confessionnelle parce qu'on exclurait leur famille de l'école publique, ce n'est pas l'esprit de l'école de la République.

Aristide Briand, souvent cité, disait avoir voulu rendre la loi « acceptable », car « nous n'avons pas le droit de faire une réforme dont les conséquences puissent ébranler la République ». C'est si actuel ! N'utilisons pas la laïcité pour fracturer la société française !

Mme Françoise Laborde.  - La liberté des accompagnants ne saurait primer sur la liberté de conscience en construction de nos enfants.

Oui, monsieur Karam, j'assume mes votes, dont celui de la proposition de loi Gatel. Mais je n'ai pas voté l'amendement sur le prosélytisme aux abords de l'école - le musée est-il aux abords de l'école ? - car sans surveillance, il ne sert à rien. J'avais déjà soulevé la question du prosélytisme passif lors du texte Baby Loup. Je suis cohérente sur cette question.

Je citerai, pour ma part, Ferdinand Buisson, selon qui le triomphe de l'esprit laïque n'est pas de rivaliser avec l'esprit clérical. L'esprit laïque, c'est de réunir indistinctement les élèves de toutes les familles et de toutes les églises pour leur faire commencer leur vie dans une atmosphère de paix, de confiance et de sérénité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Nassimah Dindar.  - Le premier danger, c'est la religion de la violence à l'école. Pour lutter contre cette violence, il faut impliquer les parents, avec ou sans foulard. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme Sophie Primas.  - Dans ce débat je suis hésitante. Mme Rossignol a parlé de ligne de crête, l'expression est bienvenue. Je sais le travail des élus locaux pour recoudre la République, pour faire société ; je salue tous ceux qui m'ont éclairée sur la question, notamment les maires de Chanteloup-les-Vignes, de Mantes-la-Jolie ou des Mureaux.

M. Brisson m'a convaincue ; je voterai la proposition de loi. (On ironise à gauche.) Je ne veux pas donner raison aux extrémistes. Mais je voudrais demander aux accompagnants : est-ce si terrible d'enlever sa kippa ou son voile pour quelques heures, au nom de la République ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE)

M. Laurent Lafon.  - Le rapporteur a su trouver une voie d'équilibre. J'ai toutefois une réserve sur la notion de participation à l'activité d'enseignement. Pour moi, l'accompagnant n'y participe pas. La rédaction de l'article premier ne fait pas clairement la distinction entre fonction pédagogique et simple encadrement.

Monsieur le ministre, la liberté de jugement est essentielle. Je m'étonne que vous ne vous appuyiez pas davantage sur les rectorats, qui doivent s'impliquer davantage auprès des directeurs d'école.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Rassurez-vous, j'ai demandé, dès mon premier discours aux recteurs, qu'ils apportent un soutien total aux inspecteurs et directeurs d'école. J'ai créé dans la foulée le Conseil des sages sur la laïcité, véritable point de repère qui édicte des règles et élabore un vade-mecum, que j'endosse. Tout directeur d'école sait qu'il est soutenu par le ministre. Chaque rectorat a une équipe laïcité dédiée. Loin d'être purement théoriques, elles sont intervenues des centaines de fois. La question des accompagnants est peut-être emblématique mais elle n'est pas, et de loin, le premier sujet de préoccupation sur le terrain en matière de laïcité et de lutte contre le communautarisme. Nous avons des remontées quotidiennes dont je rends compte chaque trimestre.

M. Bruno Retailleau.  - Je rends hommage à Max Brisson. En réalité, deux conceptions incompatibles de la laïcité s'affrontent ; j'y reviendrai. La question des signes ostentatoires divise cet hémicycle et les politiques mais rassemble très largement les Français. Sondage après sondage, on constate que 78,6 % d'entre eux redoutent une remise en cause de la laïcité. Nos compatriotes sont attachés au patrimoine de 1905, désormais consensuel. C'est le bien commun de tous, droite et gauche.

Entre l'affaire du foulard de Creil et la loi de 2004, quinze ans se sont écoulés. C'est notre famille politique qui l'a portée, avant, en 2010, la loi contre le voile intégral. La loi El Khomri a permis de mieux encadrer l'expression religieuse dans l'entreprise. Avec cette mesure, nous n'aurions pas eu l'affaire Baby-Loup.

La loi de 2004 a montré son efficacité : seulement 15 % des jeunes filles sont voilées.

La loi doit être claire, elle ne peut pas être dans le « en même temps ».

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Bruno Retailleau.  - Refuser de légiférer, c'est se défausser sur le personnel de l'Éducation nationale. Il y a l'école dans les murs et l'école hors les murs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Marc Boyer.  - Une activité périscolaire est une activité qui se déroule hors de l'établissement en parallèle de l'enseignement. J'ai eu l'occasion d'en encadrer, notamment dans le domaine sportif. Or les accompagnants sont toujours amenés à participer, par exemple en arbitrant un match. Mais aurait-on accepté des accompagnants portant des signes religieux à la piscine ? La limite est là. Il faut clarifier les choses et éviter les amalgames.

M. Ronan Dantec.  - On cite la grande loi d'apaisement Briand-Clemenceau en oubliant la circulaire qui a autorisé le port ostentatoire de la croix à l'école, en échange du retrait de crucifix des salles de classe. C'était un compromis, mais aussi un pari sur l'école républicaine : on voulait ainsi éviter les départs massifs vers les écoles confessionnelles. Le pari de Briand a réussi et la pratique catholique a baissé.

Aujourd'hui, l'école est-elle toujours assez forte pour trouver l'équilibre qui fait société, pour accueillir des enfants confrontés à un autre cadre de valeurs ? Votre texte montre les parents du doigt et renvoie l'enfant à son héritage familial. Or l'école précisément introduit la distance avec cet héritage. La loi est claire, n'y touchons pas. (Mmes Nassimah Dindar et Françoise Gatel applaudissent.)

Mme Esther Benbassa.  - Depuis 14 h 30 nous parlons du voile... qui ne figure pas dans le texte. C'est une obsession ! Le texte concerne-t-il aussi les porteurs de kippa ? (« Bien sûr » ! sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Laurent.  - Ce texte est extrêmement politique, malgré vos efforts pour le réduire à un vote technique.

Vous ne cessez de dénoncer « un problème majeur ». L'avez-vous démontré ? Non, et pour cause. Il y a 14 millions d'enfants et enseignants, pour quelques centaines de problèmes par an, dont quasiment aucun ne concerne les accompagnatrices voilées.

Les parents d'élèves interviennent à de nombreux moments de la vie scolaire - lors des kermesses, des réunions parents-professeurs. Vous mettez le doigt dans un engrenage !

Vos motivations prennent racine dans un contexte très préoccupant que vous accompagnez, que vous alimentez. Vous surfez dans des eaux nauséabondes ! (Protestations à droite et au centre) Au lieu de jeter de l'huile sur le feu, revenons plutôt aux valeurs de confiance et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul applaudit également.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°10 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°17 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l'adoption 121
Contre 181

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Masson.

Alinéa 1

Compléter cet alinéa par les mots :

et de s'abstenir de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste

M. Jean Louis Masson.  - Je n'ai pas déposé cet amendement pour m'opposer à cette proposition de loi dont j'approuve l'esprit mais parce que la rédaction de la commission n'est ni assez ferme ni assez claire.

Je souhaite qu'on interdise de porter des signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ou communautariste. C'est très important ! M. le ministre semble penser que tout finira par s'arranger... j'en doute.

Un collègue nous dit qu'il y a quatorze millions d'enfants et seulement une centaine de problèmes par an. C'est déjà énorme, car combien de difficultés n'ont pas été signalées ? Les parents sont-ils contents que leurs enfants soient entourés de personnes habillées pour Halloween ? Nombre de personnes ne prennent pas la plume pour se plaindre. Il est indispensable de légiférer fermement.

M. Max Brisson, rapporteur.  - L'article 111-1 porte sur les valeurs et les missions de l'école. Cet amendement ne va pas dans le sens de cet article du code de l'éducation qui porte sur les principes, les valeurs et les missions de l'école. Laissons-lui toute sa cohérence. J'ai apprécié, à ce propos, l'intervention de M. Paccaud en ce sens. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Avis défavorable.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Je remercie Max Brisson pour ses propos. Je dédie cette proposition de loi à mes élèves d'Argenteuil, Zohra, Fatima, Samia, Leïla, qui se sont battues dans les années 2000 pour sortir du carcan familial, de la pression religieuse pour vivre leur liberté, comme toutes les jeunes filles de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre Ouzoulias.  - J'ai lu différemment le sondage cité par le président Retailleau. Quelque 26 % des Français estiment qu'il faut faire reculer l'influence des religions - au pluriel - dans la société. Quelque deux tiers des Français ne se réclament d'aucune religion. On assiste à un recul du religieux de la sphère publique. Vous dites, monsieur le président, que cette loi est destinée à accompagner ce mouvement. Irez-vous jusqu'au bout de cette logique ? Je n'en suis pas sûr. Nous verrons lors du débat sur la loi de bioéthique !

Mme Sophie Primas.  - Vous n'en savez rien !

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°18 :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 285
Pour l'adoption 165
Contre 120

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par M. Magner et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jacques-Bernard Magner.  - Cet amendement est de coordination avec celui de suppression de l'article premier.

Il est bien dommage que la majorité sénatoriale ne nous ait pas suivis. Elle n'a entendu ni nos arguments juridiques, ni nos arguments politiques. Des classes entières ne pourront plus faire de sortie, puisque les mères ne pourront plus les accompagner. Or, elles montrent leur volonté d'intégration. Au lieu de leur tendre la main, on va les exclure définitivement. Des enfants seront stigmatisés...

M. le président.  - S'agit-il d'une explication de vote ? Ces propos n'ont pas de rapport avec l'amendement.

M. Max Brisson, rapporteur.  - Les sorties scolaires sont du temps scolaire. Cette loi doit s'appliquer à Wallis et Futuna. Pour les autres territoires d'outre-mer, où la loi est applicable de plein droit, nous ne sommes pas compétents pour intervenir.

Retrait ou avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Sagesse.

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, M. Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mme Guillotin et MM. Requier et Vall.

Remplacer le mot :

concourant

par le mot :

participant

Mme Françoise Laborde.  - Cet amendement remplace « concourant » par « participant » étant donné que le corps du texte a été modifié.

M. Max Brisson, rapporteur.  - Le terme « participe » est plus large. Il prend mieux en compte les activités des intervenants adultes que le terme « concourant » plus restrictif.

Puisque le texte emploie le terme « participer », adoptons cet amendement pour mettre le titre en conformité. Avis favorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Sagesse.

M. Jacques-Bernard Magner.  - Celui qui participe est dans l'action du début jusqu'à la fin de la sortie scolaire. Il participe à son organisation et à sa préparation. Le terme « concourir » me semble plus adapté.

Mme Esther Benbassa.  - Je souhaite une réponse à ma question.

Mme Sophie Primas.  - C'est dans le texte !

M. Max Brisson, rapporteur.  - Nous avons une divergence d'appréciation sur le rôle des adultes lorsqu'il participe à une activité liée à l'enseignement.

Madame Benbassa, il est évident que c'est l'ensemble des signes religieux ostensibles qui sont visés. Nous sommes dans la logique d'une école publique où l'on n'affiche pas les croyances religieuses. Dans les lois de 1881, 1882, 1886 et de 1903, il était précisé clairement qu'il ne fallait pas afficher de signes religieux ostensibles.

M. Jean Louis Masson.  - Le rapporteur a longuement disserté sur le libellé du titre. Mais à quoi sert cette querelle de terminologie ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - À rien !

M. Jean Louis Masson.  - Quel est le sens de la querelle sur le titre ?

M. Max Brisson, rapporteur.  - Comme professeur, j'ai souvent bataillé contre des élèves mettant des titres qui n'étaient pas en adéquation avec le contenu de leur dissertation. Ici, le titre sera en concordance avec le texte.

Mme Claudine Lepage.  - Je ne crois pas que la question pertinente de notre collègue de La Réunion ait reçu de réponse.

M. le président.  - Je vous rappelle que nous sommes sur le seul amendement n°9 rectifié.

L'amendement n°9 rectifié est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

Explications de vote

Mme Sylvie Robert .  - Nous débattons de ce texte depuis près de cinq heures. Nous avons de réelles divergences de points de vue. Il s'agit vraiment d'une proposition de loi de circonstance ; elle n'est pas nécessaire et elle sera inefficace. Il y a eu beaucoup de clarifications. La loi actuelle est suffisamment claire.

Dans notre République démocratique, laïque, indivisible et sociale, cette proposition de loi n'est pas la bienvenue. Je suis stupéfaite que vous arrangiez la laïcité à votre sauce ! La loi de 1905 est une loi de liberté aux valeurs fortes.

Ce texte est malvenu et dangereux dans le contexte actuel.

Mme Catherine Troendlé.  - Ne mélangeons pas tout !

Mme Sylvie Robert.  - Depuis trois semaines, nous ne parlons que de l'islam. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains)

Notre République a besoin d'apaisement et cette proposition de loi n'y contribue pas. Bien sûr, nous ne la voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le contexte était très difficile. Nous avons accepté de revenir sur le terrain du droit, comme notre rapporteur nous demandait de le faire.

Vous ne nous avez pas donné les explications que nous attendions. Pourquoi avoir déposé cette proposition de loi seulement cinq jours après la loi Blanquer ? Que s'est-il passé ? Pourquoi une disposition rejetée par vous en CMP est soudain devenue fondamentale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Vous avez dit que vous défendiez la laïcité alors que la gauche l'avait abandonnée. Nous allons vous proposer prochainement des propositions de loi pour renforcer la laïcité, notamment des textes que vous avez refusés. Nous mettrons ainsi à l'épreuve votre sincérité.

Pour notre part, nous considérons que la laïcité est un outil fondamental pour l'émancipation des consciences. Nous porterons la laïcité jusqu'au bout avec vous ou sans vous ! (MM. Henri Cabanel et Joël Labbé applaudissent ; applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

Mme Françoise Gatel .  - Je remercie notre rapporteur pour ces débats. J'exprime mon respect vis-à-vis des auteurs de la proposition de loi. Sans mauvais jeu de mots, je veux vous dire qu'il ne faut pas se voiler la face. Je ne voterai pas cette proposition de loi car les mères de famille et les enfants dont nous parlons ont un lien ténu avec la République et si nous votons ce texte, je crains que nous les envoyions dans les bras des radicaux qui leur diront que les Français les rejettent.

Mes chers collègues de la gauche, c'est la majorité sénatoriale qui a voté la proposition de loi sur les écoles confessionnelles : cessez vos leçons de morale. À l'école, à l'hôpital, à l'université, le refus de la mixité témoigne des progrès de la radicalisation et du communautarisme.

Je salue le travail du ministre, en qui j'ai toute confiance.

Contre le communautarisme, toute la société doit se mobiliser, y compris les musulmans. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE)

M. Bruno Retailleau .  - La majorité du groupe Les Républicains votera ce texte nécessaire pour sortir de l'entre-deux et de l'en même temps. Comme Max Brisson l'a formidablement démontré, les règles qui s'appliquent dans les murs doivent également être en vigueur hors les murs.

Pourquoi cette neutralité religieuse renforcée ? Parce que l'école est le lieu où se forment les esprits. Mais aussi, parce que l'école est le lieu où s'exprime la conception française de la laïcité qui diffère de celle très libérale du monde anglo-saxon. La laïcité à la française s'est faite par l'État et elle ne reconnaît que le citoyen ; elle ne reconnaît pas d'autres communautés que la communauté nationale. Le citoyen se libère de toutes ses allégeances. Dans les régimes anglo-saxons, la laïcité ne reconnaît que l'individu, ce qui leur permet de s'accommoder du communautarisme.

La laïcité et la liberté sont deux soeurs jumelles, voire siamoises, qui doivent s'épanouir dès le plus jeune âge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Bravo !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre .  - Au risque de me répéter, j'aimerais rappeler ce qui nous unit. La question du port des signes ostentatoires par des accompagnants n'est pas centrale, mais renvoie à des enjeux centraux sur la laïcité.

Nous avons vu combien il est difficile de produire un discours subtil et précis sur la laïcité. Le contrat social français est spécifique. Au fil des décennies a émergé une vision commune selon laquelle l'appartenance à la République l'emporte sur toute autre appartenance.

Chacune de mes positions est inspirée par ce que je vois sur le terrain. Or, sur un plan pratique, cette proposition de loi ne sera sans doute pas efficace. La lutte contre la radicalisation est un sujet national et l'éducation nationale prend toute sa part dans ce combat. La lutte contre le communautarisme est en réalité un engagement en faveur de l'appartenance républicaine, l'égalité des citoyens et l'émancipation par l'éducation. Enfin, nous disposons des outils juridiques pour assurer le principe de neutralité à l'école et pour lutter contre le prosélytisme.

Même votée, nous savons que cette proposition de loi prendra du temps à être présentée à l'Assemblée nationale et le sort qu'elle y rencontrerait.

Mme Sophie Primas.  - C'est joliment dit.

M. Alain Joyandet.  - Vous dérapez !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  - Quoi qu'il en soit, je veillerai à prendre toutes les mesures nécessaires pour aider les directeurs d'école à lutter contre le prosélytisme. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Sylvie Robert applaudit également.)

À la demande des groupes Les Républicains et CRCE, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°19 :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 277
Pour l'adoption 163
Contre 114

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - En accord avec le groupe Les Républicains et la ministre, je vous propose de reporter le débat sur la politique sportive à la séance de ce soir.

Il en est ainsi décidé.

La séance, suspendue à 19 h 10, est reprise à 19 h 20.