Quel avenir pour l'enseignement agricole ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : quel avenir pour l'enseignement agricole ? ».

M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe CRCE .  - Le 18 octobre 2006, Françoise Férat présentait à la commission de la culture un rapport sur la place de l'enseignement agricole dans le système français. Il plaît au Sénat de prendre appui sur ces travaux pour réévaluer régulièrement les politiques publiques. Ce débat n'a pas d'autre vocation que de poser les traits généraux d'un bilan qui devra être prolongé.

Depuis 2006, le système d'enseignement agricole en France n'a cessé de se transformer. Les deux dernières années n'ont pas été épargnées par le maelström de la réforme permanente : réforme de l'enseignement supérieur, du lycée et de l'apprentissage avec des conséquences lourdes pour l'enseignement agricole, toujours plus affaibli et privé de ses moyens. Il demeure la cinquième roue du tracteur (Sourires) et si Françoise Férat le voyait à la croisée des chemins en 2006, il est désormais tombé dans l'ornière !

En tant qu'historien de l'agriculture, vous me permettrez de faire d'abord remarquer que la ruralité n'est pas ce monde immobile qu'imaginent avec mépris les urbains. Notre pays ne peut accepter ce lien distendu entre villes et campagne, entre habitants de la campagne et cultivateurs. L'enseignement agricole est l'outil pour le renforcer.

Depuis la révolution néolithique, les agriculteurs - les paysans comme j'aime à les appeler - doivent faire face à des mutations profondes. Une civilisation agricole disparaît, une autre la remplace qui doit affronter les enjeux climatiques et sociaux - car il faut faire vivre dans la même campagne des populations n'ayant pas les mêmes usages de la nature - mais aussi environnementaux et économiques. La formation, l'enseignement, la recherche sont fondamentaux pour éclairer ces transformations majeures.

L'Observatoire national de l'enseignement agricole avait formulé des propositions dans son rapport annuel de 2013. Il a été remplacé depuis par un Observatoire de l'enseignement technique agricole, aux compétences réduites. Ce rapport préconisait une coopération entre les régions et l'État pour développer des centres de formation assurant un maillage territorial. Or les moyens n'y sont pas et il nous reste à évaluer les conséquences de cette dépossession.

La loi donne aux établissements de formation agricole la mission de participer à l'orientation des territoires, mais aussi d'évaluer l'intelligence de la main et de l'outil et d'éclairer des savoirs sur les relations complexes entre le végétal, l'animal et l'humain en société. L'engagement de l'État doit être sans faille pour restaurer la pluralité des modes d'accès à ces connaissances.

Les établissements d'enseignement agricole sont essentiels, tels l'École d'agriculture et des industries rurales de Neuvic en Corrèze qui, en créant une coopérative en fin d'études pour ses anciens élèves, avait su créer un lien fort avec les professionnels et les terroirs.

L'enseignement agricole doit rester attractif. Or les réformes récentes du baccalauréat et la nouvelle organisation de la classe de terminale laissent à craindre que les élèves qui auraient souhaité poursuivre leur formation agricole dans le supérieur ne puissent plus le faire. La procédure Parcoursup a écarté de l'enseignement supérieur les bacheliers issus de l'enseignement agricole. Nous devons savoir ce qu'ils sont devenus.

Certains acteurs de l'enseignement agricole sont présents en tribunes. Je les salue. Les directeurs d'établissement doivent pouvoir bénéficier de la possibilité d'intégrer un corps de la fonction publique. (Applaudissements des travées du groupe CRCE jusqu'à celles du groupe UC)

Mme Céline Brulin .  - Le budget 2020, après la suppression de 20 postes l'an passé en Normandie, en supprime encore 35, alors même que le nombre des élèves a recommencé à augmenter. Comment réaliser des travaux pratiques consistant par exemple à manier des outils d'horticulture, au lycée de Fauville, dans de telles conditions ? Et que dire des salles informatiques du lycée d'Évreux,  prévues pour accueillir 16 élèves et pas plus?

Les réformes récentes ne font que consacrer des diminutions de moyens qui obligent les élèves à choisir entre enseignement facultatif et optionnel. L'autonomie des établissements renvoie à la salle des profs des arbitrages qui devraient avoir lieu à la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), forçant les enseignants à choisir entre la plus et la moins mauvaise des solutions.

Le lycée agricole d'Yvetot proposait un stage professionnel qui a été détricoté, saucissonné en différentes périodes, alors même que le bac pro dans lequel il s'inscrivait donnait la possibilité de s'installer.

Quant aux lycées professionnels maritimes, ils sont également en situation critique, avec un assèchement des recrutements chez les marins pêcheurs qui souffrent d'un manque de considération.

Les moyens manquent pour accueillir des lycéens en pension complète, ce qui réduit le recrutement aux élèves présents sur le territoire. Les exigences de la pêche durable sont enseignées uniquement sous la forme de réglementations à respecter alors qu'il faudrait compléter cet enseignement par des sorties en mer et des rencontres avec l'observatoire de la biodiversité marine.

Cet exemple de la pêche, trop rarement évoqué, est symbolique de ce qui se joue.

Le manque de considération pour l'enseignement agricole est très ancien. Il faut redonner à cet enseignement ses lettres de noblesse. Souhaitons que ce débat soit l'occasion de lui redonner des couleurs. (Applaudissements des travées du groupe CRCE à celles du groupe UC)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.  - Très bien !

M. Franck Menonville .  - En 1850, à Nancy, une statue fut érigée à l'effigie de Mathieu de Dombasle, agronome, père de l'enseignement agricole, qui avait compris que l'enseignement contribue à améliorer la technique mais aussi la productivité, et que le travail de la terre donnait à l'homme une activité noble lui permettant de s'élever.

La diversité de l'enseignement agricole en fonde l'excellence. La loi attribue à l'enseignement agricole public des missions qui dépassent la seule formation scolaire et professionnelle : il doit participer à l'animation du territoire, à la coopération internationale, à l'expérimentation et à l'insertion. C'est dire la responsabilité qui incombe aux acteurs.

Première agriculture européenne, la France doit évoluer pour conserver sa place sur les marchés internationaux et préparer ses agriculteurs au monde de demain. Pour cela, il faut adapter les savoirs et les techniques, développer de nouvelles pédagogies.

Nouveaux besoins, nouveaux publics, nouveaux savoirs. L'enseignement agricole doit s'adapter pour maintenir son attractivité et son excellence. Premier axe, le développement de nouvelles formations, pour s'adapter aux besoins des acteurs. Dans la Meuse, une formation méthanisation a été développée en partenariat avec l'École nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires de Nancy.

Second axe : le renforcement des moyens, contrepartie à la diversification et à la nécessité de renouveler les générations - indispensable lorsque la moitié des agriculteurs a plus de 55 ans.

Investir dans l'enseignement agricole, c'est investir dans notre souveraineté alimentaire, dans la transition écologique et dans la cohésion de nos territoires. En ce début de XXIe siècle, il faut se souvenir du message de Mathieu de Dombasle : l'humain joue un rôle central dans l'enseignement agricole. Notre agriculture en a bien besoin actuellement.

Mme Dominique Vérien .  - Merci au groupe CRCE pour ce débat sur un sujet aussi important. L'enseignement agricole forme nos futurs agriculteurs, mais pas seulement ; il propose des diplômes du CAP au diplôme d'ingénieur. Ses caractéristiques qui résident moins dans la formation que dans le modèle d'organisation : l'internat, source de brassage social, propice au travail studieux mais aussi à la camaraderie, avec des professeurs présents dans l'établissement.

Les maisons familiales rurales sont une autre forme d'enseignement qui donne un cadre aux élèves susceptibles de les guider vers la réussite. Le critère d'âge en limite l'accès aux enfants de plus de 14 ans, alors que des élèves de quatrième y seraient avantageusement accueillis.

La réussite de cet enseignement, malheureusement, est limitée aux territoires ruraux. Les régions faisaient vivre de petits centres de formation d'apprentis (CFA), tel celui de Champignelles, dans l'Yonne, qui fermera ses portes avec la fin de la compétence régionale sur l'apprentissage.

Monsieur le ministre, vous aviez promis d'élargir le recrutement des enseignants et de revaloriser la grille indiciaire. Or le projet de loi de finances est muet, et seuls 50 nouveaux postes au concours... L'enseignement agricole est inventif, force de renouvellement, mais aura besoin de votre soutien pour faire face à ces bouleversements. Car l'avenir de l'enseignement agricole, c'est l'avenir de nos enfants ! (Applaudissements)

M. Jean-Marc Boyer .  - L'enseignement agricole public et privé, sans oublier les maisons familiales rurales, a su s'adapter aux évolutions agricoles, de l'attelage à la mécanisation poussée, parfois excessive. Mais depuis vingt ans, une fracture se creuse. Certains promeuvent l'image d'un agriculteur pollueur, voire criminel. Les réseaux sociaux ont promu une vision outrancière du bien-être animal. Or l'agriculteur aime son travail et ses animaux. L'agribashing porte un réel préjudice à la profession agricole.

M. Stéphane Piednoir.  - C'est bien de le rappeler !

M. Jean-Marc Boyer.  - L'enseignement agricole se trouve dogmatisé vers des filières environnementalistes, en décalage avec une grande partie de la profession agricole, alors qu'il devrait faire une place à toutes les formes d'agriculture.

Il y a une dizaine d'années, 90 % des élèves étaient issus du milieu agricole, avec un vrai projet d'installation. Ils ne sont plus que 30 %. L'enseignement agricole forme désormais des « jardiniers de la nature » qui viennent trop souvent grossir les rangs des demandeurs d'emploi. L'agriculture traditionnelle doit retrouver sa place, avec comme objectif l'installation de jeunes chefs d'exploitation gestionnaires.

Les établissements sont un outil d'aménagement du territoire et les formations tiennent compte des spécialités régionales : filière viticole dans le Bordelais et en Alsace, filière laitière dans le Massif central et les Alpes. Ce lien avec le territoire doit être valorisé.

Il faut revoir les fondamentaux de l'enseignement agricole pour l'adapter aux réalités. L'agriculture a vocation à nourrir la planète ; c'est une des meilleurs au monde, sinon la meilleure. (M. le ministre approuve.) Assez d'agribashing !

L'enseignement agricole est toujours à la pointe. Il pratique depuis quinze ans le contrôle continu au bac. L'Éducation nationale n'a rien inventé ! Sans se fondre dans le dogme de l'écologie intégrale, l'enseignement agricole doit se réinventer ; sinon, il finira annexé par l'Éducation nationale. (M. Yves Détraigne applaudit.)

M. Patrice Joly .  - L'enseignement agricole, c'est 200 000 élèves à la dernière rentrée, 800 établissements publics et privés, soit le second secteur éducatif, qui accueille collégiens, lycéens, étudiants, apprentis. Merci au groupe CRCE d'avoir mis le sujet à l'ordre du jour.

L'enseignement agricole s'adapte à la modification des métiers agricoles. La parité désormais atteinte, le recrutement élargi au-delà des familles agricoles sont des bons points. La formation doit favoriser la reprise des exploitations en accueillant des néo-agriculteurs. Produire plus en qualité qu'en quantité, répondre aux attentes de la société en s'appuyant plus sur l'agronomie que sur la chimie, prendre en compte le bien-être animal, intégrer les enjeux environnementaux, s'adapter aux évaluations climatiques, saisir l'opportunité de la numérisation, de l'automatisation, de l'intelligence artificielle : voilà certains des enjeux nombreux qui s'imposent à l'enseignement agricole.

Les établissements doivent adapter leurs formations aux besoins des territoires ; ils offrent ainsi des formations en matière de service à la personne, d'aménagement de l'espace ou de développement économique, notamment touristique.

L'enseignement agricole facilite l'accès à une formation universitaire aux étudiants éloignés des grandes villes. Il est une voie de promotion sociale : plus de huit diplômés sur dix trouvent un emploi à la sortie.

Il faut promouvoir les formations, faire connaître les gisements d'emplois. Pour ce faire, l'enseignement agricole doit disposer de moyens suffisants. Or ils diminuent encore dans le prochain budget.

Les perspectives ne sont pas encourageantes : les dotations globales horaires ont été diminuées, le seuil d'effectifs par classe relevé. Les réductions se poursuivraient, de 2 % par an jusqu'en 2022. La réforme de l'apprentissage, largement ouvert au privé, fragilise les CFA en zone rurale. Il y a un risque d'abandon des territoires.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Patrice Joly.  - Les chefs d'établissements attendent un statut en rapport avec leurs responsabilités. L'autonomie des établissements doit être préservée, tout comme la polyvalence de leurs missions.

La croissance démographique des territoires ruraux plus élevée que la moyenne ne doit pas faire oublier...

Mme la présidente.  - Il faut vraiment conclure !

M. Patrice Joly.  - ... la désertification de certains territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE ; M. Antoine Karam applaudit également.)

M. Henri Cabanel .  - Notre agriculture manque de bras. Quelque 70 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues et les agriculteurs font de plus en plus appel à une main-d'oeuvre étrangère. Pourtant le ministre de l'Agriculture se félicite des effectifs de l'enseignement agricole : 800 établissements, 195 000 élèves. Cherchez l'erreur...

La réalité est tronquée : la filière des services à la personne a supplanté les filières de production. Certains lycées n'ont d'agricole que le nom. On y forme au paysagisme, plus chic, à l'hippologie, plus gentleman-farmer...

Ces changements reflètent la mutation de notre ruralité, de moins en moins agricole. Se poser la question de l'avenir de l'enseignement agricole, c'est se poser celle de l'avenir de l'agriculture et de son attractivité pour les jeunes.

En 1984, les lycées agricoles formaient majoritairement des enfants d'agriculteurs ou des jeunes voulant le devenir. Aujourd'hui, ils forment majoritairement à d'autres métiers. Il faut désormais les considérer comme des partenaires des politiques publiques territoriales, leur donner les moyens de réaliser l'interface entre monde économique, population et jeunes, en faire des centres de ressources pour les territoires.

Il est primordial de coller aux besoins des territoires, dont les mutations démographiques, sociologiques, économiques, paysagères et environnementales impactent directement l'enseignement agricole.

Les experts sollicités par le ministère de l'Agriculture ont élaboré quatre scenarii à l'horizon 2030 : dualité urbain-rural, économie verte, politique du moins cher, lien social. Tous présentent les mêmes caractéristiques : capacité d'encadrement d'équipes, circuits courts, médiation, conseil en agroécologie, métiers de la qualité.

Mais à quoi serviront nos techniciens agricoles, nos ingénieurs agro, nos experts en organisation si notre agriculture se meurt, victime de l'artificialisation des sols, des normes toujours plus contraignantes, de la lourdeur administrative, de la pression de la concurrence internationale, des aléas climatiques et sanitaires et des prix non rémunérateurs ?

Comment rendre ce métier attractif ? Comment donner aux jeunes envie de s'installer ? La réussite au bac dans les lycées agricoles a beau être supérieure à la moyenne nationale, l'image du secteur est déplorable. Les filières paysagères ou de soins aux chevaux plaisent plus car le métier paraît moins dur et l'image est meilleure. Comment sommes-nous arrivés à ce point de dénigrement de notre agriculture ?

Le rapport de Françoise Férat en 2006 préconisait de ne plus tenir l'enseignement agricole à l'écart des procédures d'orientation de de promouvoir une image plus moderne de ces filières. Si l'enseignement agricole s'est adapté aux mutations des territoires, il s'est surtout adapté à la baisse de l'activité agricole. Nous sommes coresponsables de cette baisse d'attractivité, nous avons tous lâché prise.

L'Occitanie a su inverser la tendance en collaborant avec les chambres d'agriculture.

La réponse passera forcément par un travail sur la juste rémunération des agriculteurs. Il faut une politique agricole, de l'enseignement à la production, à la hauteur des enjeux. Et s'en donner les moyens. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, SOCR et CRCE)

M. Antoine Karam .  - En tant que rapporteur sur les crédits de l'enseignement technique et agricole, je remercie le groupe CRCE pour son initiative.

L'agriculture est à la croisée des préoccupations sanitaires et environnementales ; l'enseignement agricole, en prise avec les défis émergents, ne regarde pas le train passer.

Quatre élèves sur dix étudient les services à la personne. Cette évolution reflète celle du monde rural, où le poids de l'agriculture recule. On ne compte plus que 12 % d'élèves issus d'une famille d'agriculteurs. Les élèves sont de plus en plus jeunes et la parité est atteinte. Le budget 2020 comptera des indicateurs d'égalité entre hommes et femmes.

La passerelle vers l'enseignement supérieur est de plus en plus empruntée : plus de 30 % des titulaires d'un bac pro vont en BTS. L'enseignement agricole a un taux d'intégration professionnelle plus élevé que la moyenne, c'est un choix séduisant. Pourtant, les effectifs ne sont pas à la hauteur des espérances. Il faut rompre avec l'idée que l'enseignement agricole serait une voie de garage réservée aux jeunes en situation d'échec.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation.  - Très bien !

M. Antoine Karam.  - C'est une école de la seconde chance, oui, mais surtout une filière d'excellence. Combien d'élèves savent qu'ils peuvent devenir ingénieurs par cette voie ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Eh oui !

M. Antoine Karam.  - Combien savent qu'un élève de terminale professionnelle agricole a 59 % de chance de trouver un emploi contre 42 % dans l'enseignement général ?

Vous avez lancé la campagne de promotion « L'Aventure du vivant » lors du dernier Salon de l'agriculture. Quel en est le premier bilan ?

Il faut mieux communiquer sur la diversité de l'enseignement agricole, qui donne accès à plus de deux cents métiers, de l'agriculture au numérique. L'enseignement agricole offre la possibilité de poursuivre ses études de la quatrième au doctorat. Il est pleinement engagé dans la réforme du baccalauréat. Il doit jouer un rôle prépondérant dans la valorisation de nos territoires en s'articulant autour de projets locaux. C'est aussi un levier essentiel pour tendre vers l'autosuffisance alimentaire de nos territoires d'outre-mer.

Il faut aussi donner aux établissements privés les moyens de leur développement.

L'année 2020 sera marquée par la mise en oeuvre du plan « Enseigner à produire autrement », axé sur l'agro-écologie. Pour mieux armer les futurs agriculteurs face aux réglementations changeantes et aux incertitudes économiques, il conviendra de développer notamment la formation à la gestion d'exploitation.

L'enseignement agricole doit entrer dans une logique d'expansion. La manière dont nous nous y investissons déterminera en partie l'avenir de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées des groupes UC et SOCR ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Avec près de 75 % des apprentis dans 806 établissements scolaires, l'enseignement agricole a une part majeure dans l'apprentissage. La réforme de celui-ci votée en 2018 propose un choc de simplification qui ne va pas sans difficultés : l'aide pour les diplômés supérieurs a été supprimée, or le diplôme le plus recherché est le BTS Analyse Conduite et Stratégie de l'entreprise agricole. La suppression des aides fléchées vers les diplômes post-bac risque de pénaliser une profession qui cherche pourtant à monter en compétences.

Autre interrogation : les classes mixtes mêlant apprentis et élèves sont bien accueillies par les enseignants mais ceux-ci ne sont pas habilités statutairement à intervenir auprès d'apprentis.

Enfin, la réforme du baccalauréat ne laisse les lycées agricoles proposer que trois spécialités - maths, physique-chimie et biologie - au lieu des douze en filière générale. Les lycéens incertains quant à leur orientation - ils sont 50 % au niveau du bac - risquent de se tourner vers les filières offrant un plus large choix. Les lycées agricoles souhaiteraient pouvoir offrir des enseignements de sciences économiques et sociales, de numérique et de sciences de l'informatique. L'enseignement agricole n'a pas vocation à ne former que des éleveurs et agriculteurs. Monsieur le ministre, avez-vous pris en compte ces problématiques ? Prévoyez-vous des ajustements ? (Applaudissements)

Mme Anne-Marie Bertrand .  - L'agriculture d'hier n'est pas celle d'aujourd'hui, qui n'est pas celle de demain. Quelle agriculture voulons-nous ? Quel rapport à l'environnement, à la consommation ? Comment mieux appréhender les aléas climatiques et les crises sanitaires ? Comment tirer bénéfices des nouvelles technologies, des drones, de la data, de la méthanisation ? Pour produire différemment, il faudra enseigner différemment, ce qui a un coût.

L'enseignement agricole a fait la preuve de sa capacité d'adaptation. Il convient de renforcer les passerelles avec l'enseignement général d'autant que les reconversions sont nombreuses. Cela suppose d'améliorer la visibilité sur les parcours et leurs débouchés.

L'enseignement agricole forme du CAP à la licence, à l'agriculture mais aussi à la gestion et maîtrise de l'eau, au paysagisme ou à l'agroalimentaire. Encore faut-il mieux faire connaître ces formations. Près de 80 % des diplômés ne seront pas agriculteurs. Les conseillers d'orientations doivent être informés des formations spécifiques dans chaque région.

L'enseignement agricole va être confronté au manque d'enseignants. Déjà, les étudiants en licence pro ABCD à Rodilhan, près de Nîmes, suivent en téléconférence des cours de l'université Clermont-Auvergne.

Soyons à la hauteur de notre héritage agricole. Je salue le formidable travail des maisons familiales, notamment celle d'Eyragues. Toutes n'ont malheureusement pas le même soutien du département.

L'agriculture de demain se prépare aujourd'hui. Soyons à la hauteur. (Applaudissements)

Mme Marie-Pierre Monier .  - L'enseignement agricole en France est exemplaire mais on en parle peu. Ce débat est utile - souhaitons qu'il ait un large écho.

Les effectifs réduits permettent un apprentissage dans de bonnes conditions et l'expérimentation pédagogique. L'enjeu est de taille : réussir la transition agro-écologique, assurer la relève de toute une génération, créer un modèle économique et alimentaire viable.

Pour cela, il faut se pencher sur l'enseignement délivré. C'est grâce à l'école que les grandes batailles se gagnent. Nous sommes à un moment charnière : suscitons l'envie, formons les paysans de demain, garantissons à ceux qui partent qu'ils pourront transmettre sereinement leur exploitation.

Nous ne pourrons pas relever ces défis sans un enseignement agricole de qualité. Elle existe, mais pour combien de temps ?

Monsieur le ministre, je salue vos grandes ambitions mais elles doivent s'accompagner de moyens. La baisse de la dotation horaire globale, les 50 suppressions de postes de 2018, pas compensées totalement en 2020, ne sont pas des signes encourageants. Surtout, l'enseignement agricole est frappé de plein fouet par toutes les réformes de l'éducation, qui ne prennent pas sa spécificité en compte.

Ainsi de la réforme de l'apprentissage -  or les branches professionnelles n'ont pas la même connaissance des besoins locaux que les régions. Le financement est lui aussi bouleversé, attisant la concurrence entre public et privé.

L'enseignement agricole est à un moment clé de son histoire. Il est porté avec passion par des personnes qui y croient ; elles ont besoin de nous. Portons la réflexion sur cette question en mettant en place un groupe de travail qui produira un rapport parlementaire sur l'enseignement agricole dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, RDSE et LaREM)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Marie-Christine Chauvin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Créé pour former les agriculteurs, l'enseignement agricole a su évoluer avec la société. Actif, réactif, innovant, ouvert, c'est un précieux partenaire des territoires.

L'innovation pédagogique, l'innovation technique et les expérimentations joueront un rôle essentiel. Il faudra néanmoins des moyens humains supplémentaires pour permettre aux exploitations et ateliers d'expérimenter sans risque pour leur viabilité.

Les maisons familiales rurales pourraient prendre en charge les jeunes de moins de 14 ans qui s'écartent du milieu scolaire ordinaire. Beaucoup de formations se font en apprentissage, qui donne au jeune une bonne connaissance de l'univers professionnel et facilite l'insertion professionnelle car le jeune est immédiatement opérationnel.

Des défis sont devant nous, parmi lesquels l'adaptation au changement climatique. L'enseignement agricole devra, bien sûr, intégrer le thème de l'environnement dans son enseignement initial. Soyons compétitifs, efficaces.

L'enseignement agricole mène à des métiers très divers, à la croisée de l'agriculture, du numérique et de l'industrie. Monsieur le ministre, comment comptez-vous faciliter la communication sur la modernité et la technicité de ces métiers ?

De plus en plus de jeunes non issus du monde agricole intègrent l'enseignement agricole ; c'est une bonne nouvelle mais il convient de les former à la gestion d'entreprise. L'enseignement agricole aura besoin de moyens humains et financiers. Cette formation donne le goût de l'effort et de la persévérance. Gageons que l'enseignement agricole aura les moyens de les inculquer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, LaREM et Les Indépendants)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Ce débat me tient à coeur ; je salue la hauteur de vue de M. Ouzoulias et de tous les intervenants. L'avenir de l'enseignement agricole, c'est tout simplement celui de l'agriculture. C'est une chance pour les jeunes, un atout pour le monde rural, un moteur de la transition agro-écologique.

Dans l'Hexagone et les outre-mer, l'enseignement agricole est le second dispositif d'enseignement du pays. Nos plus de 800 établissements accueilleront bientôt, je l'espère, plus de 200 000 apprenants, de la quatrième au BTS.

L'enseignement agricole, ce sont aussi 19 écoles d'excellence qui forment les cadres de demain ; plus de 120 formations dans l'agroalimentaire, la filière forêt-bois, les services à la personne. Je regrette que les lycées maritimes ne soient pas sous la tutelle de mon ministère : cela compléterait la panoplie. (M. Michel Canevet approuve.) Madame Brulin, si vous pouvez m'aider sur ce dossier... (Sourires)

L'enseignement agricole est un atout riche de sa diversité : établissements publics, privés, maisons familiales rurales. J'ai fait la rentrée à Yvetot, à Magnanville, dans une MFR.

L'enseignement agricole, c'est 60 % des fonctionnaires du ministère et 40 % de son budget. Ce n'est pas la cinquième roue du tracteur, monsieur Ouzoulias, mais son moteur ! Et j'en suis fier.

Quelques constats, factuels et transpartisans - les interventions de ce débat l'ont quasiment toutes été. Grâce à l'enseignement agricole, nous avons un maillage territorial au service des jeunes et de l'emploi, qu'il faut absolument préserver. Il permet de répondre aux attentes des employeurs, en formant des jeunes qui travailleront sur place, dans des postes non délocalisables.

Deuxième constat : l'enseignement agricole marche : on le voit au nombre de diplômes obtenus et au taux de réussite élevé.

Troisième constat : c'est une école du succès, notamment pour les jeunes issus de milieux modestes et ruraux - cette école compte en effet 35 % de boursiers.

Quatrième constat : c'est une école inclusive où la proportion d'élèves en situation de handicap est très supérieure à celle de l'éducation nationale. Le nombre d'auxiliaires de vie scolaire a été multiplié par six, les crédits dédiés au handicap par sept - ils augmenteront de 26 % en 2020 pour la transformation des contrats aidés en accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH).

Cinquième constat, les 15 000 fonctionnaires de l'enseignement agricole méritent d'être salués, encouragés et soutenus. Sans eux, l'enseignement agricole ne serait rien. De même, la fonction publique sans les fonctionnaires marcherait beaucoup moins bien. Nous leur devons les succès de l'enseignement agricole ; je remercie le sénateur Ouzoulias de l'avoir dit dans son intervention. Les directeurs attendaient depuis longtemps un nouveau statut : je m'y étais engagé et c'est chose faite.

Sixième constat : l'enseignement agricole est capable de se réformer, au gré des évolutions de la société, même si cela génère des inquiétudes légitimes. La réforme de l'apprentissage a ainsi conforté nos effectifs avec 1 400 apprentis supplémentaires, soit 4 % d'augmentation. L'enseignement agricole produit 10 % des apprentis de notre pays. C'est un succès, grâce à une communication plus efficace et une plus forte mobilisation des maîtres d'apprentissage. Il faut croire dans les CFA. Les professionnels y ont investi 25 millions d'euros directement : c'est la preuve que la profession y croit.

Oui, la réforme du bac a repris des éléments importants de l'enseignement agricole comme le contrôle en cours de formation, nous pouvons en être fiers.

Sur la question des spécialités, je ne partage pas vos inquiétudes. Les lycées agricoles ne peuvent rivaliser avec les grandes écoles, mais ils peuvent compter sur leurs atouts : le cadre de vie, l'internat, l'ouverture internationale, la possibilité de pratiquer un sport de haut niveau tout en étudiant. C'est une filière d'excellence, avec 93,5 % de réussite au bac en 2018, contre 91,2 % dans l'éducation nationale. (M. Michel Canevet approuve.)

Un dernier constat assombrit malheureusement le tableau : malgré les 855 postes en plus et les 210 classes ouvertes en six ans, le nombre d'élèves avait tendance à baisser : ils étaient 4 000 en moins à la rentrée 2018. Aurions-nous dû fermer des classes ? Je ne m'y suis pas résolu car l'enseignement agricole est une pépite qui va briller encore longtemps. J'ai donc souhaité reconquérir des effectifs. À la rentrée 2019, il y a eu 750 élèves de plus.

Henri Cabanel a raison : l'enseignement agricole doit être un primo-choix. Notre campagne « l'aventure du vivant » a eu dix millions de vues sur Snapchat, le site qui lui est consacré a eu 18 600 visites. La remontée des effectifs est une formidable réponse à l'agribashing. Nous gagnerons le pari de la reconquête et si nous avons plus d'apprenants demain, il y aura plus d'enseignants dans les classes.

Je fais confiance à la gouvernance inclusive des établissements pour étoffer leur offre, sous la surveillance des Directions régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF). Je crois au terrain car c'est là que ça bouge, mais il faut néanmoins un cadre national.

Cette année nous avons augmenté les seuils du dédoublement de certaines classes pour optimiser les moyens. Nous avons veillé à la sécurité des jeunes. Mais croyez-moi, la principale difficulté que rencontrait l'enseignement agricole, c'étaient des effectifs trop faibles, pas des classes trop chargées. C'est pourquoi nous avons fixé le cap des 200 000 apprenants l'an prochain. Je le crois atteignable aussi bien dans l'hexagone qu'outremer.

À Mayotte et en Guyane, nos effectifs sont en très forte hausse, comme le lycée de Matiti, fondé par Antoine Karam, qui a connu la plus forte augmentation du nombre d'élèves.

Je lancerai très prochainement le plan « Enseigner et produire autrement » qui affirmera l'engagement des jeunes à l'éco-responsabilité. En second lieu, nous allons rénover toutes les formations pour intégrer l'agroécologie et le bien-être animal. Ensuite, nous voulons que toutes les parcelles cultivées dans les lycées agricoles soient biologiques ou certifiées. Enfin, il faudra être exemplaire au niveau de la qualité des repas servis dans nos cantines, avec 50 % de bio.

L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), issu de la fusion de l'Institut national de recherche pour l'agriculture (Inra) et de l'institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea), sera le plus gros centre de recherche publique du monde dans le secteur agricole. Je ne partage le pessimisme sur les exploitations de nos lycées agricoles. Les 200 directeurs de ces exploitations, que j'ai réunis récemment, n'ont pas le moral dans les chaussettes. Ils sont prêts à avancer.

Nous n'oublions pas les formations de base, mais il faut intégrer plus d'agroécologie et de bien-être animal, mais aussi du numérique, de la communication, du management et de la gestion puisque les jeunes qui sortent d'un lycée agricole ont vocation à devenir chefs d'exploitation. Il faut remettre le tracteur au milieu du village ! (Sourires)

Il faut encourager les jeunes à aller dans le supérieur. J'adore voir des jeunes issus de milieux populaires le faire grâce à l'enseignement agricole.

Je suis fier de notre enseignement agricole, de ses agents et des jeunes que je rencontre, et je suis conscient de l'ampleur du travail qui reste à accomplir. L'enseignement agricole est sur tous les territoires et doit y rester. Nous devons sortir d'une logique de conservation pour entrer dans une logique d'expansion. L'enseignement agricole doit former plus, doit former mieux, doit former partout !

J'espère que vous m'y aiderez, et que vous aiderez les jeunes à aller dans ces établissements.

Quelques chiffres encourageants pour finir : sur les 450 000 agriculteurs, 150 000 prendront leur retraite dans les dix prochaines années, mais l'an dernier, 12 000 jeunes se sont installés, malgré les difficultés. Nous en sommes presque au renouvellement des générations. Si nous passons cette barre symbolique, nous aurons gagné la plus belle des batailles. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, LaREM, RDSE et UC ; M. Bruno Sido applaudit également.)

Violations des droits humains au Venezuela

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour le renforcement des sanctions adoptées par le Conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les États signataires de l'enquête auprès de la Cour pénale internationale (demande du groupe UC).

Discussion générale

M. Olivier Cadic, auteur de la proposition de résolution .  - Cette proposition de résolution a pour objet de renforcer les sanctions contre les responsables des violations des droits humains au Venezuela et de soutenir le dossier déposé devant la Cour pénale internationale par six pays ; les responsables de ces crimes doivent être condamnés. Merci à tous ceux qui ont soutenu ce texte.

Cette proposition de résolution trouve sa source dans l'audition le 29 mai, à l'initiative de Christian Cambon par la commission des affaires étrangères, de Lorent Saleh, prix Sakharov 2017, qui nous a décrit les traitements inhumains qu'il a subis dans une cellule de torture dénommée « la tombe ». Ce cas est hélas loin d'être isolé.

Depuis 2014, 14 471 personnes ont été arrêtées pour des motifs politiques au Venezuela et plus de 400 sont encore en prison aujourd'hui. En 2019, plus de 50 manifestants ont été abattus par les forces de l'ordre ou les Colectivos, nom donné aux groupes paramilitaires. Dans ce pays, la violence est une politique d'État. Quelque 18 000 personnes ont été tuées depuis 2016, selon l'ONU, qui voit dans la violence un « modèle de conduite systématique ».

Nous avons tous reçu une lettre du représentant de Nicolás Maduro en France, qui nie les faits - c'est le propre des régimes criminels. Pourtant, le 4 juillet dernier, la Haute commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet a pointé un « nombre extrêmement élevé d'exécutions extrajudiciaires ». Entre le début et la fin de ce débat, il y aura eu deux morts assassinés pour « résistance à l'autorité ». Ils auront subi le sort de Fernando Albán, jeté du dixième étage par le service d'intelligence militaire du régime, ou d'Edmundo Rada, kidnappé, torturé, assassiné, son corps calciné, au moment même où le Venezuela obtenait son siège au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU.

M. Alain Fouché.  - Quelle horreur !

M. Olivier Cadic.  - Son crime ? Être un leader politique apprécié à Petare, le barrio - le bidonville - le plus grand du pays.

Personne ne doit ignorer que Nicolás Maduro et ses appuis militaires persécutent, font disparaître et massacrent la population vénézuélienne.

Le Venezuela a les réserves pétrolières les plus importantes du monde, avec 297 milliards de barils, selon l'OPEP. Mais l'inflation y a atteint un million de pour cent en 2018 et il en ira de même en 2019. La pauvreté frappe 94 % des Vénézuéliens. Ils subissent de graves pénuries d'eau et de médicaments. Au moins 80 % de la population est en situation d'insécurité alimentaire.

Pourquoi ce pays si riche est-il devenu si pauvre ? Parce que le chavisme s'appuie sur une corruption endémique. Le régime tient car il utilise illégalement des ressources de la forêt amazonienne, dans l'Arco Minero, qui regorge de réserves exceptionnelles en or, diamants, cuivre, fer et coltan. L'exploitation de pierres précieuses se fait avec des substances toxiques et les populations indigènes sont spoliées.

Le Venezuela est un État failli où les groupes criminels font partie des forces de l'ordre. Il est soutenu pour des raisons géopolitiques par des États peu regardants sur les droits de l'Homme : Turquie, Russie, Chine, Iran ou Cuba. En vingt ans de chavisme, 393 milliards d'euros d'actifs issus de la corruption sont sortis du pays, alors qu'il connaît la pire crise humanitaire de son histoire.

Les Vénézuéliens partent massivement. Chaque jour, 5 000 personnes traversent la frontière à la recherche d'une vie digne. Ils sont actuellement plus de 4,5 millions ; d'ici 2020, ils seront plus de 8 millions. C'est plus que le nombre de Syriens ayant quitté leur pays en guerre.

La France doit montrer aux Vénézuéliens qu'ils ne sont pas seuls. Notre pays, puissance de paix, soutient toutes les médiations pour sortir de ce drame par une voie politique, et je souhaite remercier le Gouvernement pour cela. Je salue le travail de Romain Nadal, notre ambassadeur à Caracas. Mais la France, berceau des droits de l'Homme, ne saurait être un sanctuaire pour les responsables des violations des droits de l'Homme.

Des sanctions de l'Union européenne doivent être appliquées sur tout l'espace Schengen. Les autorités doivent être vigilantes sur les liens avec le narcotrafic. Enfin, la France devrait rejoindre les pays signataires de la plainte devant la CPI.

Je salue la présence en tribune de Mme Zubillaga, représentante du président par intérim Juan Guaido.

Je compte sur vous pour voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles des groupes SOCR et CRCE)

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Pierre Laurent .  - La crise sociale, économique et politique au Venezuela est grave. Elle laissera des traces pendant de longues années. Mais cette proposition de résolution traduit-elle la contribution attendue de la France ? Nous ne le pensons pas. Elle est caricaturale, comme les propos de M. Cadic.

M. Bruno Sido.  - Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

M. Pierre Laurent.  - La proposition de résolution apporte un soutien sans faille au président autoproclamé Juan Guaido, alors que son soutien à l'intérieur du pays recule avec les révélations sur ses liens directs avec les tentatives de déstabilisation des États-Unis. La proposition de résolution met aussi en cause la Russie dans une logique de guerre froide. Ne marginalisons pas la France dans la région. La crise politique a débouché sur la violence et les Vénézuéliens payent un prix élevé. Le HCR parle de 3,7 millions de Vénézuéliens ayant quitté le pays. Quelque 80 % des habitants sont sous le seuil de pauvreté.

Après des années de lutte contre la pauvreté, l'affaissement des prix du pétrole a fait reculer l'économie vénézuélienne. Le PIB a baissé de 50 % depuis 2015. Les réponses du pouvoir n'ont pas toujours été appropriées - même les forces qui soutiennent Nicolás Maduro en conviennent. Les attendus de la proposition de résolution ne disent rien du fait que la déstabilisation du pays a été alimentée par les États-Unis, hostiles déjà à Hugo Chavez, qui imposent leurs sanctions extraterritoriales - qui, étonnamment, ne posent problème à personne...

Pourquoi s'en tenir à emboîter le pas aux États-Unis, dont les sanctions ont nourri le désordre dans ce pays, clef de voûte de l'Amérique latine, à travers laquelle les États-Unis frappent Cuba, appuient les gouvernements du Chili et de l'Équateur qui répriment leurs peuples ? Cela fleure bon le retour de la doctrine Monroe en Amérique latine. La France suivra-t-elle ? (Protestations sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains)

Où mène la reconnaissance unilatérale de Juan Guaido, sinon, à la confrontation ? Les élections récentes ont eu des résultats contradictoires : la présidentielle étant remportée par Maduro, les législatives par l'opposition. Sortir de cette situation par la violence, voire la guerre civile, serait un calcul effroyable.

La droite vénézuélienne a ses responsabilités dans les violences. Dans le bassin du lac de Maracaibo - à la frontière avec la Colombie - où elle a remporté l'élection de trois gouverneurs, narcotrafiquants et paramilitaires règnent en maîtres. La tentative de 2016 en toute inconstitutionnalité de la majorité parlementaire de destituer Nicolás Maduro a enflammé la situation. En revanche, le retour des députés de la majorité au sein de l'Assemblée nationale à la faveur d'un accord avec une partie de l'opposition est un premier pas. Le Mexique et l'Uruguay ont proposé leur médiation, comme la Norvège. La France devrait soutenir ces efforts. L'ONU appelle à un dialogue politique inclusif et crédible dans le plein respect de l'État de droit.

Le rapport de Michelle Bachelet pour l'ONU chiffre à 5 000 le nombre de tués par les forces de sécurité en 2018, dans la spirale de violences alors provoquées. Notons à ce propos que 400 membres des forces d'action spéciale sont jugés en ce moment pour ces crimes. Deux représentants de l'ONU ont été autorisés à accéder à tous les centres de détention.

À l'inverse des sanctions de Washington soutenues par cette proposition de résolution, il faudrait soutenir les efforts de dialogue d'où qu'ils viennent.

Cette proposition de résolution ne fait qu'alimenter le portrait caricatural d'une situation complexe. Nous voterons contre.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - C'est dommage !

M. Alain Fouché .  - Nombreux sont les rêves d'inspiration marxiste ou communiste qui ont tourné au cauchemar. Celui du Venezuela promet d'être long et douloureux : près de 15 % de la population a fui le pays et 94 % vit sous le seuil de pauvreté. Bienvenue à Caracas ! Le pays ne parvient pas à sortir de la crise qui a dégénéré lorsque Maduro a proclamé sa réélection au prix d'une fraude électorale. Juan Guaido a ensuite été reconnu par 55 pays comme président par intérim jusqu'à ce que de nouvelles élections présidentielles aient lieu.

Personne ne s'attendait à ce que Maduro quitte le pouvoir de son plein gré. Mais ce qui a surpris, c'est le niveau des violences par lequel il s'y est maintenu. L'ONU dénonce un usage systématique d'une force excessive à l'encontre des manifestants. Depuis 2018, des milliers d'opposants sont arrêtés, torturés, assassinés. Il est insensé qu'un siège ait été accordé au Venezuela de Maduro au sein du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU.

Quels sont les soutiens du régime de Maduro ? Corée du Nord, Turquie, Chine, Russie, Bolivie d'Evo Morales -  expert en victoires électorales  - telle est l'équipe de choc de la démocratie qui est au chevet du Venezuela. Dormez tranquilles, braves gens !

Jean-Luc Mélenchon s'en est donné à coeur joie, soutenant ces régimes autoritaires, oubliant, dans un délire de révolutionnaire de salon, que s'il avait été opposant politique à Caracas, il aurait peut-être été défenestré du dixième étage comme Fernando Albán.

En janvier puis en août, les États-Unis ont décrété de lourdes sanctions, pariant sur le soulèvement de la population ou de l'armée - avec plus de tweets que de résultats pour l'instant.

Le Conseil européen a infligé des sanctions au régime. Certains les ont dénoncées qui aggravent la crise humanitaire. Mais fallait-il laisser ce peuple sombrer dans la misère et la torture ? (M. Bruno Sido renchérit.) Les Vénézuéliens ont le droit de choisir librement leurs dirigeants. Les sanctions économiques inciteront le régime à négocier. Nous ne croyons pas à l'action violente et les atteintes aux droits de l'Homme doivent cesser. La procureure de la CPI a ouvert une enquête préliminaire pour violation des droits de l'Homme et crime contre l'humanité. L'action prendra du temps, mais on ne peut que la soutenir.

Nous sommes nombreux à avoir signé cette proposition de résolution pour aider un peuple opprimé, maltraité dans des conditions scandaleuses, et je ne comprends pas que tous ne s'y associent pas. Mais nous ne pouvons pas faire mieux que des sanctions économiques. Les Indépendants voteront cette excellente résolution. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles des groupes SOCR et CRCE)

M. Olivier Cigolotti .  - Syrie, Sahel, détroit d'Ormuz, Corée du Nord, Algérie, Liban, Chili... Les foyers de crise sont si nombreux et complexes qu'ils nous font oublier ceux qui perdurent depuis longtemps. Cette proposition de résolution remet sur le devant de la scène le Venezuela.

Il n'a pourtant jamais été aussi urgent de venir en aide à ce pays qui a longtemps été la nation la plus prospère et développée de l'Amérique latine, avec Caracas comme perle du continent, et qui s'enfonce dans une crise humanitaire sans précédent depuis que le pays a détruit son économie en soumettant toute son économie au prix du baril de pétrole.

Alors que crise politique et crise économique se nourrissent l'une l'autre depuis maintenant des années, des vents contradictoires soufflés par la communauté internationale viennent attiser les braises.

Quelle ironie que cette crise ait réactivé un clivage stratégique que l'on croyait disparu depuis les années 1990 ! Alors que Juan Guaido est en effet reconnu par le Groupe de Lima, les États-Unis et la quasi-totalité de l'Union européenne, Maduro, lui, a pour soutien la Chine, la Russie, la Turquie, l'Iran, le Nicaragua et Cuba : que du beau monde !

Les Vénézuéliens souffrent et s'exilent en nombre vers les pays voisins : 10 % d'entre eux sont déjà partis, parce qu'ils ne supportent plus les pénuries de médicaments, les coupures d'eau et d'électricité, l'inflation qui se compte en millions de pourcents et l'insécurité croissante.

La France n'est pas restée indifférente et a durci sa position à l'égard de Maduro. En 2018, elle a apporté son soutien à la demande d'ouverture d'une enquête par la CPI à l'encontre de Maduro par cinq États d'Amérique latine et du Canada. Elle a reconnu Guaido comme président chargé de la mise en oeuvre d'un processus électoral dès le 4 février 2019.

L'Europe n'est pas non plus restée les bras croisés, comme en témoigne la conférence internationale tenue récemment à Bruxelles. Cette proposition de résolution va dans le bon sens. L'État français doit soutenir la procureure de la CPI Fatou Bensouda pour que soient condamnés les auteurs de violation des droits humains.

Pour la première fois, des États et non plus des individus, ont porté plainte contre un autre État devant la Cour pénale internationale. La France a déclaré son soutien à cette démarche, mais n'a pas signé la plainte. Pourquoi ne l'a-t-elle pas encore fait, madame la ministre ?

Le groupe UC soutiendra cette proposition de résolution et espère que le Gouvernement saura l'entendre. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles des groupes CRCE et SOCR)

M. Bruno Sido .  - Le Venezuela est plongé dans une descente aux enfers sans fin. Les Vénézuéliens vivent une situation dramatique. L'impasse est totale. Les pénuries de nourriture, les difficultés d'accès aux soins, les coupures d'électricité rendent la vie insupportable. Il ne s'agit plus de vivre, mais de survivre : 7 millions de Vénézuéliens ont besoin d'une assistance humanitaire, un quart des enfants souffre de malnutrition.

Cette situation est le résultat d'une gestion catastrophique du pays, d'un manque d'investissement, d'une corruption aggravée, qui durent depuis des années.

Les habitants fuient massivement le pays. 10 % de la population l'a déjà fait et les départs continuent, malgré la fermeture des frontières. L'exode massif est sans précédent et dangereux, notamment pour les mineurs isolés, victimes de passeurs, condamnés à vivre dans la rue.

À cela s'ajoutent les risques de déstabilisation régionale. La Colombie, premier pays d'accueil avec près de 1,5 million de réfugiés, est elle-même confrontée à des difficultés économiques et doit mener à terme son fragile processus de paix.

L'Union européenne et la France ne sont pas restées inactives, agissant via le Haut-Commissariat aux réfugiés, la Croix-Rouge ou Médecins du Monde. Mais le régime de Maduro entrave l'arrivée de l'aide internationale. Il démantèle les contre-pouvoirs et fait subir à son peuple des arrestations arbitraires, tortures, violences, exécutions. Selon le Gouvernement Maduro lui-même, plus de 1 500 personnes auraient ainsi été tuées pendant les six premiers mois de 2019 et plus de 800 personnes seraient détenues arbitrairement. La commission des affaires étrangères a reçu le bouleversant témoignage de Lorent Saleh, prix Sakharov 2017. Comment comprendre l'entrée du Venezuela dans le Conseil des droits de l'homme des Nations-Unies il y a deux semaines ?

La solution politique est la seule issue, mais nous ne voyons aucun signe d'espoir. Les différentes tentatives de médiation, dont celle d'Oslo, sont au point mort. Le régime entretient un simulacre de dialogue avec une opposition minoritaire. Il faudrait une élection présidentielle libre et transparente dans le cadre d'une transition négociée pour sortir de cette crise.

Pas moins de 24 pays de l'Union européenne ont reconnu Juan Guaido comme président par intérim. La population est désespérée et n'a pas d'autre choix que de reprendre le chemin de la rue.

Il faut accroître les sanctions. Le 25 septembre, des sanctions individuelles ont été prises par l'Union européenne contre sept membres des forces de sécurité, ce qui porte à 25 le nombre de responsables qui ont fait l'objet d'interdictions de visas et de gels d'avoirs.

Cette proposition de résolution appelle la France à appliquer strictement ces sanctions et à rejoindre les pays ayant engagé la procédure devant la Cour pénale internationale. Ce serait une reconnaissance du drame vécu par les Vénézuéliens et le signal de la fin de l'impunité pour les crimes commis.

Si la France, pays des Droits de l'Homme, s'y associait, ce serait un acte fort. Pendant ce temps, Maduro continue à opprimer son peuple, sans faiblir, et se permet de soutenir les manifestants en Équateur et au Chili. Notre groupe Les Républicains votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles des groupes CRCE et SOCR)

M. Rachid Temal .  - La crise que connaît le Venezuela a débuté il y a six ans à la mort de Chavez. La contestation de la désignation de Maduro comme son héritier a pris une dimension nouvelle lorsque l'opposition a remporté en 2015 les élections et que Juan Guaido s'est proclamé président par intérim le 23 janvier 2019. Les contre-pouvoirs ont alors été démantelés, la population étant à la fois otage et victime. La crise a ouvert une situation d'une gravité sans précédent d'un point de vue humanitaire avec 1 557 personnes décédées entre novembre 2018 et février 2019 à cause d'une défaillance des hôpitaux et 95 % des Vénézuéliens vivent sous le seuil de pauvreté - un comble dans un pays si riche.

Les droits de l'Homme sont maltraités, les députés de l'opposition poursuivis et les manifestations réprimées dans la violence. Le Gouvernement vénézuélien évoque 1 500 morts au cours d'opérations de sécurité et 66 personnes seraient décédées dans les manifestations depuis janvier.

Face à cette situation, il y a deux options. Celle des États-Unis, qui accentuent sans cesse leurs sanctions, ce qui ne fait qu'aggraver la situation humanitaire des Vénézuéliens. Ces sanctions ont été intensifiées par Trump, qui n'excluait pas une intervention militaire. Cette stratégie repose sur le pari qu'un soulèvement populaire pourrait renverser le régime Maduro. Ce pari semble perdu, le régime ayant le soutien de l'armée et de certaines puissances étrangères.

L'autre option, celle de l'Union européenne, est celle de l'aide humanitaire et la tenue d'élections démocratiques. Dans ce but, elle a formé un groupe de contact international et une tentative de médiation s'est tenue en Norvège récemment.

Évitons le manichéisme : nous condamnons le régime Maduro qui fait fi des règles élémentaires de la démocratie. (M. Bruno Sido s'en réjouit.) Pour autant, considérer que Guaido serait l'incarnation du bien contre le mal ne va pas de soi. Notons d'ailleurs qu'il peine à maintenir l'unité de l'opposition dont une partie a passé un accord avec Maduro.

Des interrogations se profilent sur les liens qu'il entretient avec des organisations paramilitaires. Cependant, nous ne mettons pas sur le même plan Guaido et Maduro.

L'Union européenne a adopté de nouvelles sanctions comprenant l'interdiction de pénétrer sur son territoire et le gel des avoirs des dirigeants vénézuéliens impliqués dans des violences.

Michelle Bachelet a remis un rapport sans concession sur l'état du droit au Venezuela et les actes de violence qui y sont commis. Le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies a ouvert, le 27 septembre dernier, une enquête sur les violations des droits de l'Homme depuis 2014 au Venezuela. Celui-ci, de façon surréaliste, a obtenu un siège à ce même conseil pour la période 2020-2022 !

Le groupe votera cette proposition de résolution, malgré ses manques. Il faut en effet réaffirmer ce qu'est notre boussole : le droit de chaque peuple de choisir librement et démocratiquement son destin.

Il faudrait ajouter dans cette proposition de résolution le soutien de la France à des élections libres et transparentes, à tout processus de médiation pour sortir de la crise et aux programmes humanitaires dans et hors du Venezuela.

Nous aurions aimé que ces trois points soient, sinon inscrits dans le texte, du moins rappelés par l'ensemble des membres de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et Les Républicains)

M. Guillaume Arnell .  - La situation politique au Venezuela réveille le souvenir des années de plomb dans les décennies soixante et soixante-dix en Amérique latine. Le Venezuela s'en était démarqué, instaurant dès 1958 une longue tradition républicaine.

Nicolas Maduro a été réélu en 2018 dans des conditions que nous savons troubles. La France l'a déploré, à juste titre. Amnesty International et le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies ont dressé un bilan sans appel des violences : arrestations arbitraires, exécutions extrajudiciaires par centaines. Plus de 4 millions de Vénézuéliens ont quitté le pays en cinq ans. La Colombie a ouvert ses frontières, mais la coopération régionale se dégrade. Par crainte de déstabilisation, Chili, Pérou, Équateur ont durci les conditions d'entrée. Une dégradation plus globale, qui n'est pas à exclure, pourrait toucher nos territoires d'outre-mer de la région dont Saint-Martin.

Le groupe RDSE soutient toute initiative destinée à la reprise du dialogue entre le gouvernement et l'opposition et pour la défense des libertés fondamentales. Mais les moyens de pression internationale sont limités : une fois de plus, la Russie et la Chine ne suivent pas. Une ingérence directe n'est pas souhaitable.

L'indécence s'est invitée le 17 octobre au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, quand le Venezuela y a obtenu un siège alors même qu'en septembre, ce conseil a diligenté une enquête sur les violations des droits de l'Homme au Venezuela. Cela devrait nous faire réfléchir sur le fonctionnement des institutions multilatérales.

Intervention inenvisageable, pressions onusiennes limitées ; restent les sanctions que la proposition de résolution appelle à renforcer. Le groupe RDSE la soutient, même si les sanctions n'ont pas toujours la portée espérée.

Le président Wilson estimait qu'une « nation boycottée est une nation en voie de capitulation » et que le boycott était un moyen de parvenir à la paix évitant le recours à la force ; pourtant l'Irak n'a pas été épargné et l'Iran, la Corée du Nord, la Russie se sont à peine émus des sanctions qu'on leur a infligées.

Notre responsabilité est d'apporter une aide humanitaire à tous les Vénézuéliens. Nos collègues appellent à une sanction rigoureuse par la CPI. Le tribunal suprême du Venezuela est dominé par des proches du régime : justice doit être apportée aux Vénézuéliens au plan international.

Le renoncement n'est pas dans les gènes de notre République. Le groupe RDSE votera cette proposition de résolution. Le respect des droits de l'Homme a toujours été au coeur de l'action internationale de la France. Madame la ministre, le groupe RDSE vous soutiendra dans toutes vos initiatives en faveur du Venezuela, n'en déplaise à l'ambassadeur en France de la République bolivarienne du Venezuela. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Bernard Cazeau .  - Le Venezuela est depuis six ans le théâtre d'une crise économique effroyable : effondrement de la rente pétrolière - la production a chuté de 40 % en 2018 - engendrant une hyperinflation - plus de 8 millions de pour cent en 2019. Crise humanitaire ensuite : le système de santé s'est effondré, 3,7 millions de citoyens seront touchés par la malnutrition, 300 000 en grave danger par manque de médicaments.

Enfin, c'est l'une des pires crises migratoires à l'échelle mondiale. Plus de 4 millions de Vénézuéliens ont fui, sans compter les déplacés intérieurs.

Les opposants politiques sont la cible d'attaques impunies : aucune enquête judiciaire n'a été diligentée.

Il faut trouver une solution politique au conflit, intégrant toutes les parties. Nicolas Maduro a utilisé tous les subterfuges : mise en oeuvre inconstitutionnelle d'une assemblée constituante de citoyens pour dépouiller le Parlement de son pouvoir législatif, notamment. Conformément à la Constitution vénézuélienne, il revenait à Juan Guaido, président du Parlement d'assurer la présidence par intérim en attendant des élections libres.

Semer la confusion, créer la précarité alimentaire et énergétique, obtenir, suprême cynisme, un poste au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU : Maduro n'a reculé devant rien.

La France s'est engagée à apporter une aide humanitaire d'1,3 million d'euros en deux ans pour les Vénézuéliens et les pays voisins du Venezuela qui les accueillent. Il n'est plus possible de faire l'apologie du modèle chaviste. Les Vénézuéliens sont les cobayes d'une dictature populiste où les adversaires politiques sont désignés comme ennemis du peuple. Le pouvoir vénézuélien est un pouvoir autoritaire et agressif, incompétent et corrompu.

La seule issue, pour nous, démocrates, est de rendre la parole à ce peuple. Le groupe LaREM votera donc cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE ; M. Bruno Sido applaudit également.)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Nous sommes comme vous très préoccupés par la situation au Venezuela. Vous avez à bon droit salué notre ambassadeur, Romain Nadal, dont le travail nous fait honneur.

Au Venezuela, quelque 10 à 14 millions de personnes ont besoin d'assistance alimentaire. Quelque 7 millions de personnes auront quitté le pays d'ici à la fin 2020. Il est essentiel que les acteurs humanitaires aient accès au terrain.

Sur le plan politique, le processus de médiation d'Oslo a été ajourné le 15 septembre. France et Union européenne portent le même message : seule une issue pacifique et négociée, avec des élections présidentielles crédibles, est envisageable.

Le groupe de contact où siège la France s'est réuni cette semaine ; il appelle à l'élaboration d'une feuille de route sur les garanties à mettre en oeuvre pour une solution politique.

Tout recours à la force, d'où qu'il vienne, de l'intérieur comme de l'extérieur, doit être rejeté.

Mme Michelle Bachelet, dans son rapport présenté en juillet, a dénoncé des exécutions extrajudiciaires. La France l'appuie sans réserve et condamne les violences à l'encontre d'élus comme Edmundo Rada, membre du parti Voluntad Popular, mort le 16 octobre dernier. Elle demande que toute la lumière soit faite sur ce drame.

La France veillera avec rigueur à la façon dont le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies mènera à bien sa mission avec le Venezuela parmi ses membres.

L'enquête préliminaire de la CPI est soutenue sans réserve par la France. En septembre 2018, le Canada et les États latino-américains ont demandé au procureur d'ouvrir une enquête sur la commission de crimes contre l'humanité. Le président de la République est clair sur le sujet. Au-delà du cas du Venezuela, cela illustre comment les États s'approprient le Statut de Rome pour lutter contre l'impunité. C'est en effet la première fois qu'un groupe de pays défère un État lié par le Statut devant la CPI.

Nous suivons avec attention la procédure menée à la CPI par Fatou Bensouda. Le Conseil des droits de l'Homme des Nations unies a constitué une mission de vérification des faits, que nous soutenons également. En outre, le rapport de la Haut-Commissaire de l'Union européenne en juillet a mené à une enquête sur place.

Vous avez évoqué de possibles liens avec le narcoterrorisme. L'Union européenne a prononcé un embargo sur tout équipement susceptible de faciliter la surveillance ou la répression. La France l'applique strictement.

Nous maintenons aussi notre soutien aux structures annoncées au niveau européen : le 27 septembre, sept nouvelles personnalités étaient ciblées, avec un gel des avoirs et une interdiction d'entrée sur le territoire européen, donc français.

Notre position associe appui aux négociations et sanctions accrues.

Le Gouvernement soutient votre proposition de résolution. En revanche, si nous avons pleine confiance dans la CPI pour établir les faits, le processus doit être accepté par toutes les parties. Une fois les faits établis par la CPI, nous évaluerons l'opportunité d'aller plus loin.

Je vous remercie de votre engagement en faveur des valeurs de liberté et de fraternité. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)

La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble de la proposition de résolution

À la demande du groupe UC, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°20 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 324
Contre   15

Le Sénat a adopté.

Prochaine séance, mardi 5 novembre 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 21 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet Chef de publication