SÉANCE

du mardi 10 décembre 2019

38e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, Mme Annie Guillemot.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Projet de loi de finances pour 2020 (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote du projet de loi de finances, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020.

Je remercie le président et le rapporteur général de la commission des finances pour leur travail et leur engagement tout au long des dernières semaines. (Applaudissements) Je remercie aussi les rapporteurs spéciaux et rapporteurs pour avis, ainsi que vous, monsieur le ministre - nous aurions souhaité un peu plus de diversité sur votre banc, mais vous n'êtes pas en cause... (M. le ministre sourit.)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous voici parvenus au terme de la première lecture du projet de loi de finances 2020. Le Sénat a fait quelques économies en rejetant les crédits des missions « Justice », « Sécurité », « Écologie », « Immigration » et « Agriculture » - cette dernière n'était certainement pas le budget des agriculteurs.

Principal point positif, la baisse de la pression fiscale. La justice fiscale est fortifiée par la baisse de 5 milliards d'euros d'impôt sur le revenu en faveur des classes moyennes, qui se traduira par un gain de pouvoir d'achat de 300 euros pour 17 millions de foyers. La suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages représente, elle, un gain de 700 euros.

La démarche de sincérisation du budget se poursuit avec un toilettage de nombreuses niches et microtaxes. Nous nous en réjouissons.

Ce budget donne le coup d'envoi de la réforme de la fiscalité locale, qui paraît bien calibrée, avec la revalorisation des valeurs locatives et le renforcement du mécanisme de garantie du montant de fraction de TVA affectée aux départements.

Le groupe UC a contribué, avec des fortunes diverses, au débat sur la réforme de la fiscalité. Nous saluons la mise en place du dispositif LexImpact. À notre initiative, le Sénat a voté le rabais de quinze à dix ans du délai de rappel fiscal - même si nous ne nous faisons guère d'illusions sur son sort, sachant qu'il en coûterait 450 millions d'euros.

En deuxième partie, le groupe UC a approuvé la stabilisation de la plupart des missions, c'est un effort louable dans le contexte actuel. Nous saluons l'effort en direction de nos compatriotes d'outre-mer à l'initiative de Gérard Poadja, notamment l'éligibilité de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française au fonds d'échanges à but éducatif, culturel et sportif.

Les articles non rattachés ont donné lieu à des débats riches, et à quelques avancées, comme le maintien de l'avantage fiscal lié au mécénat d'entreprise ou le prolongement du PTZ en zone B2 et C.

Si l'examen de toutes les missions ayant un lien avec l'écologie le même jour est un progrès, nous ne pourrons pour autant faire l'économie d'un débat clair sur la fiscalité verte. Il faudra l'organiser rapidement.

Selon que vous serez puissant ou misérable, vos cavaliers budgétaires seront ou non recevables...

Le Sénat a voté le dispositif de collecte des données publiques issues des réseaux sociaux à l'article 57, avec un bornage bienvenu. Je forme le voeu que l'Assemblée nationale écoute le Sénat.

M. Loïc Hervé.  - Espérons !

Mme Nathalie Goulet.  - Je crains qu'elle ne rétablisse en revanche le recours aux ordonnances prévu à l'article 61, que le Sénat a supprimé.

J'espère que le dispositif antifraude aux dividendes sera cette année maintenu en l'état.

Il faudrait, monsieur le ministre, tirer les leçons du rapport de la Cour des comptes sur la fraude fiscale, notamment à la TVA, estimée entre 15 milliards d'euros et 20 milliards d'euros. Nous attendons toujours les logiciels de détection précoce annoncés par M. Darmanin.

La fraude à la TVA concerne aussi le e-commerce : il est temps de mettre de l'ordre dans ce Far West fiscal. C'est ce que fait l'amendement 1196 qui prévoit le paiement scindé ou split payment.

Au total, le Sénat a fait des propositions et voté un texte sérieux. Le groupe UC le votera, en espérant qu'il prospérera à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Mes premiers mots seront pour remercier le rapporteur général et les services de la commission des finances : la charge a été lourde, avec près de 2 500 amendements.

Monsieur le ministre, je ne saurais trop vous conseiller de tenir compte des votes du Sénat. Les collectivités territoriales sont les seuls bons élèves du redressement des finances publiques, alors qu'elles ont perdu 11 milliards d'euros de dotation entre 2014 et 2017 et subissent encore cette année un gel des dotations, soit un effort supplémentaire de 10 % sur le quinquennat. Nous leur devons au moins la visibilité.

Sur la taxe d'habitation, nous avons fait le choix de nous donner le temps de mesurer les conséquences, notamment sur les dotations de péréquation. Mais pour restaurer la confiance avec les élus locaux, cette réforme ne doit pas être l'occasion de tour de passe-passe : d'où la revalorisation de 1,2 % des bases de taxe d'habitation en prenant pour référence l'année 2019 et non 2017.

Nous avons également sécurisé la part de TVA revenant aux départements et rendu aux communes le produit de la taxe sur le foncier bâti. Si la réduction de loyer de solidarité (RLS) se doublait d'une absence de recettes fiscales pour les communes qui construisent du logement social, nous allons droit dans le mur.

Pour soutenir le logement, nous avons rétabli la TVA à 5,5 % sur la construction et la réhabilitation des PLUS, rétabli l'APL accession et prolongé le PTZ dans les zones B2 et C.

Pour les familles, grandes oubliées de votre politique, nous avons fait un geste sur le quotient familial et porté à 70 000 euros l'abattement pour les donations aux petits-enfants.

Pour l'environnement, nous avons étendu le CITE aux propriétaires bailleurs, encouragé le verdissement des flottes automobiles et le suramortissement. Nous avons affecté une part de la fiscalité énergétique aux collectivités territoriales et rétabli le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ».

Pour les entreprises, nous n'avons pu revenir sur le report de la baisse d'impôt sur les sociétés mais avons supprimé le coup de rabot sur la niche Copé comme sur le mécénat d'entreprise, ainsi que la hausse de la taxe sur les bureaux en Île-de-France et de la TICPE car nous ne pouvons plus alourdir les impôts de production.

Pour trouver des économies, sujet sur lequel vous êtes à la peine, nous avons augmenté le temps de travail dans la fonction publique pour l'aligner sur le privé (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR), rétabli les trois jours de carence et gelé le glissement vieillesse technicité (GVT) pour six mois. Nous avons également rationalisé l'AME et réduit les effectifs dans les administrations centrales.

En seconde partie, nous avons rejeté les crédits des missions « Justice », « Sécurité », « Immigration », « Agriculture » et « Écologie ». Hélas, les règles de la LOLF nous interdisent de proposer un contre-budget.

Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi de finances tel que modifié, sans guère d'illusions sur la suite. Il marque bien l'acte II du quinquennat, celui du renoncement au retour à l'équilibre de nos comptes publics. La baisse des prélèvements obligatoires s'amorce mais au prix d'un déficit en hausse et de comptes sociaux dans le rouge. Nous apprendrons demain par quel prodige le Premier ministre compte mettre en oeuvre une réforme des retraites qui ne fasse aucun perdant, sans reculer l'âge de départ et sans creuser le déficit... Gageons que le train de l'État continuera donc de rouler vers l'abîme de la dette.

Pour réformer, il faudrait de la pédagogie, de la méthode et le courage de dire la vérité aux Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Or l'agence du père Ubu semble avoir pris le contrôle de la communication du Gouvernement.

Je terminerai en citant Clemenceau : « Il faut savoir ce que l'on veut ; quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; et quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. » (Applaudissements nourris et bravos sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Claude Raynal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Autant le dire d'emblée : ce projet de loi de finances confirme l'abandon par le Gouvernement de toute volonté de redressement des comptes publics.

M. Philippe Dallier.  - On est d'accord.

M. Claude Raynal.  - En juillet 2017, M. Darmanin se fixait pourtant comme objectif de réduire la dépense publique de trois points, la dette de cinq puis huit points et le déficit de deux points. De ces engagements, plus rien ne reste. Vous chargiez alors vos prédécesseurs, alors que vous faites bien pire, malgré une meilleure croissance.

Vous avez voulu faire porter la responsabilité sur le mouvement des gilets jaunes - qui prend précisément sa source dans votre politique inégalitaire : suppression de l'ISF et de l'exit tax, flat tax, baisse de l'APL, hausse de la taxe carbone, de la CSG, non-indexation des retraites... (M. Roland Courteau approuve.)

Après avoir essayé de capter 9,5 milliards d'euros de recettes, pour ne pas avoir écouté le Sénat, vous avez dû renoncer à des recettes et trouver d'urgence 17 milliards d'euros pour financer en catastrophe une batterie de mesures. Magnifique preuve de savoir-faire politique !

Vous rendez 5 milliards d'euros aux Français, mais gagez ce remboursement en ne prenant pas en charge le coût des mesures gilets jaunes dans le budget de la sécurité sociale, pour 3,5 milliards.

Bref, vous bouchez les trous à la manière du sapeur Camember... Cela me fait penser aux Shadocks : plus ils pompaient, plus il ne se passait rien ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Ce n'est pas ainsi que vous ramènerez la confiance. Les 700 millions d'euros d'économies sur l'assurance chômage et le milliard d'euros sur l'APL mettent à mal les plus fragiles. Ne vous étonnez pas d'avoir perdu la compréhension populaire nécessaire pour réformer !

Sur la taxe carbone, la non-indexation des retraites et de la CSG, le Sénat vous avait mis en garde. L'écouterez-vous enfin ? Nous vous avons demandé de reporter d'un an la réforme de la taxe d'habitation, qui compte encore trop d'angles morts : je songe à l'abandon du critère de la taxe d'habitation dans la répartition de la DGF ou à une péréquation totalement en jachère. Certains amendements ont été votés ici, mais un an de travail supplémentaire ne sera pas de trop. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains)

Abandon de la volonté de redressement des comptes publics, nombreux rétropédalages, incapacité à construire l'avenir conjointement avec le Parlement caractérisent ce budget.

M. Le Maire nous a dit en 2017 qu'il avait une boussole ; il ne lui manque plus qu'un cap. Notre groupe votera contre ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Jean-Claude Requier .  - L'examen du projet de loi de finances est un moment intense de la vie parlementaire, au coeur de notre légitimité. L'an dernier, alors que notre pays était secoué par la crise des gilets jaunes, le président de la République annonçait des mesures d'urgence économiques et sociales à la veille du vote solennel du Sénat. Cette fois-ci, nous attendons pour demain des annonces importantes sur la réforme des retraites.

L'examen de la première partie a été complexe, avec plus de 1 000 amendements ; sans doute faudra-t-il redonner de la clarté à nos débats l'an prochain.

Quoi qu'il en soit, le Sénat a beaucoup travaillé. Le report de la réforme de la taxe d'habitation semble sage, faute de précisions sur le mécanisme de compensation. L'éligibilité des propriétaires bailleurs au CITE sera une incitation à la rénovation énergétique des logements.

Mon groupe a fait adopter des amendements sur la Tascom des pure players, sur la sécurisation des petites lignes aériennes ou sur l'énergie.

Le Sénat a entériné l'abaissement à 11 % de la deuxième tranche d'impôt sur le revenu. Le groupe RDSE est traditionnellement attaché à l'impôt citoyen, cher à Joseph Caillaux. Aujourd'hui, les formes d'imposition sont multiples et le lien entre impôt et citoyenneté s'est distendu. Cela explique peut-être la crise du consentement à l'impôt.

Concernant la fiscalité des entreprises, les gros acteurs tirent mieux leur épingle du jeu que les petits. On peut regretter le rejet d'amendements harmonisant le régime d'imposition des bénéfices pour les microentreprises, notamment agricoles.

La seconde partie n'a pas compté moins d'amendements - revers de la normalisation du collectif budgétaire de fin d'année.

Saluons le doublement des crédits de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), voulue par le groupe RDSE, la revalorisation à 10 millions d'euros de la prime d'aménagement du territoire (PAT), la revalorisation de la retraite des anciens combattants ou le déplafonnement de la dotation aux bourgs-centres. Je me félicite également de la préservation des ressources propres des départements. Je salue enfin la prorogation du PTZ en zone rurale.

Tout cela ne peut faire oublier le rejet de l'élargissement de l'assiette de l'impôt sur le revenu, de la TVA réduite sur les produits de première nécessité ou d'une nouvelle répartition de l'IFER. Plus largement, comment se prononcer sur un budget amputé de cinq missions, et non des moindres ? La majorité du groupe RDSE s'abstiendra sur ce texte ; certains voteront contre, un votera pour. Cette diversité est le symbole de notre liberté ! (Applaudissements sur les travées de groupe RDSE et sur quelques travées du groupe Les Indépendants ; M. Gérard Dériot applaudit également.)

M. Julien Bargeton .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) L'axe principal de ce projet de loi de finances est la baisse des prélèvements obligatoires. L'objectif d'un point en moins sera tenu et même dépassé sur la durée du quinquennat : nous atteindrons 43,4 % du PIB à l'horizon 2020. (M. Philippe Dallier s'exclame.) En 2020, les prélèvements sur les ménages baisseront de 9,3 milliards, avec la baisse de 5 milliards d'euros d'impôt sur le revenu pour les classes moyennes, la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des ménages et la défiscalisation des heures supplémentaires. Au total, sur le quinquennat, ce seront 27 milliards d'euros d'impôts en moins pour les ménages, 13 milliards d'euros pour les entreprises.

La nouvelle vague de suppression de taxes à faible rendement, la lutte contre la fraude dans le commerce électronique sont aussi à saluer. (M. Loïc Hervé s'exclame.)

Les secteurs prioritaires bénéficient d'investissements sans précédent : 1 milliard pour le dédoublement des classes de CP et CE1, 1,7 milliard pour les armées, 4 milliards de plus pour la prime d'activité.

Le débat parlementaire a été de grande qualité, souvent technique, par exemple sur les transmissions à titre gratuit ou le split payment ; mais les grands équilibres du texte n'ont pas été modifiés. L'article 2 qui baisse l'impôt sur le revenu n'a pas été supprimé, non plus que l'article 11 qui baisse l'impôt sur les sociétés, l'article 16 qui supprime le taux réduit de TICPE sur le gazole non routier ou l'article 57 sur l'exploitation des réseaux sociaux par l'administration fiscale. Impôt sur le revenu, taxe d'habitation, impôt sur les sociétés, fiscalité écologique, lutte contre la fraude fiscale : toutes les grandes orientations du texte ont été conservées par la majorité sénatoriale, quoi qu'en dise M. Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

L'amendement Retailleau-Dominati réduisant l'impôt sur les sociétés a été rejeté, tout comme l'amendement Delahaye sur l'impôt sur le revenu. Nous avons aussi rejeté deux milliards de taxation supplémentaire que proposait la gauche...

Mme Éliane Assassi.  - Et l'ISF ? Et les yachts ?

M. Julien Bargeton.  - Vous avez supprimé cinq missions. Peut-on sérieusement imaginer supprimer une politique publique du jour au lendemain ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) C'est parfaitement factice. La majorité sénatoriale a lâché la bride sur la fonction publique : GVT, jours de carence, temps de travail. Nous sommes d'accord pour réformer la fonction publique, mais alors que le Sénat se fait le porte-voix des corps intermédiaires, comment imaginer court-circuiter ainsi les organisations syndicales ? (Les protestations à droite couvrent la voix de l'orateur, que ses amis applaudissent.)

Vous dites vouloir réduire la dépense publique, mais on est bien en peine de trouver dans vos votes des économies précises et réalistes.

Le groupe LaREM s'abstiendra, en signe de soutien à l'allègement de la fiscalité pour les classes moyennes et à la maîtrise de la dépense publique. (Huées sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Stéphane Ravier .  - Les conséquences dévastatrices de votre entêtement ne vous sautent pas aux yeux, malgré les gilets jaunes, les manifestations qui se multiplient, les pompiers, avocats, policiers et paysans dans la rue, les Français qui travaillent sans pouvoir boucler leurs fins de mois, l'insécurité qui grandit, la misère. Rien de cette France de souffrance ne vous fait dévier de votre but. Enfermé dans votre bunker de Bercy, vous allez chercher le moindre sou dans la dernière poche des travailleurs, des familles ou des retraités.

Et vous refusez l'accès de l'Élysée au rapporteur spécial de la mission « Pouvoirs publics », alors que le budget du château augmente de 4 millions d'euros en 2020 !

Le désendettement n'est plus votre priorité, la trajectoire budgétaire est désastreuse. Vous exigez des Français qu'ils se serrent la ceinture - quand elle a encore des trous - tandis que vous augmentez les dépenses des ministères de 6,6 milliards d'euros ! C'est le l'auto-engraissement étatique, au détriment du muscle économique.

Les bourgeons de vos promesses printanières

Cèdent la place à un automne lapidaire

Où les fruits pourris des promesses non tenues

Accablent les Français aujourd'hui dans la rue.

Les crédits de la justice devaient augmenter, or il manque 150 millions d'euros à la trajectoire votée. Idem sur la sécurité, alors qu'il faudrait créer des postes pour reconquérir les territoires perdus de la France... française. (Exclamations) La politique migratoire ne change pas : les autres avant les nôtres !

Vous cumulez ce qui se fait de pire à droite comme à gauche : triste image d'un corps étatique impuissant, impotent et schizophrène. Point de miracle de Noël cette année. La France en marche, monsieur le ministre, vous l'avez - dans la rue ! Je ne voterai pas ce budget d'austérité généralisé.

M. Éric Bocquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR) Singulier télescopage entre le vote du projet de loi de finances et les innombrables rassemblements pour défendre la retraite par répartition... Ces mobilisations font suite à une année ininterrompue de manifestations pour la justice sociale et fiscale. Cette colère légitime, vous l'avez méprisée puis essayé de la contenir. Il est temps de changer de logiciel.

La phrase la plus entendue lors des débats aura été : « Il faut réduire la dépense publique ». Le Gouvernement tente de vendre à l'opinion un budget du pouvoir d'achat, mais 400 000 de nos concitoyens ont basculé dans la pauvreté en 2018 ; 9 millions de gens sont sous le seuil de pauvreté, soit 14,7 % de la population...

La stratégie de communication du Gouvernement ne trompe personne. L'écart entre discours et réalité n'a jamais été aussi grand ; même votre allié, le Modem, s'en inquiète : dans une mondialisation dérégulée, dit-il dans une récente tribune, le capitalisme provoque plus que jamais des inégalités grandissantes. La croissance, dit-il, ne profite qu'à quelques-uns, les distributions de dividendes battent des records, les émoluments des patrons du CAC 40 ont progressé de 14 %. Un édito de l'Humanité n'aurait pas mieux dit ! (Mme Eliane Assassi s'amuse.)

Vous demandez toujours plus d'efforts aux Français mais vous aurez procédé à 197 milliards d'euros d'allègements pour les plus aisés sur le quinquennat. Toutes les missions ou presque sont victimes de coups de rabot. L'un des grands perdants est Bercy, qui se voit supprimer des milliers de postes... Comment dès lors lutter efficacement contre l'évasion fiscale, comme vous y incite la Cour des comptes ?

Ce n'est pas la sympathique nouvelle mouture de l'IFI, sous la forme d'un impôt sur la fortune improductive, proposée par le rapporteur général qui introduira plus de justice fiscale.

Ce n'est pas le sympathique amendement du rapporteur général créant un impôt sur la fortune improductive qui rétablira la justice fiscale tant attendue. Toutes les mesures concrètes proposées par le groupe CRCE ont été balayées. Les transferts de crédits au sein d'enveloppes fermées ne sont pas gage d'efficacité : on dégage 10 millions d'euros pour l'entretien des ponts, quand le rapport du Sénat demandait 1,3 milliard d'euros d'ici à 2030.

La majorité sénatoriale a profité de ce budget pour faire voter des mesures très rudes pour les fonctionnaires - jours de carence et temps de travail notamment. Les agents de la fonction publique hospitalière apprécieront.

Le report d'un an de la suppression de la taxe d'habitation, c'est bien, mais il aurait fallu l'annuler purement et simplement. Le Sénat aurait alors joué pleinement son rôle de défenseur des collectivités territoriales.

« Le capitalisme du XXe siècle n'est plus viable. La croissance ne peut plus se faire au prix d'une destruction de la planète et de l'explosion des inégalités au sein d'un même pays  ». Ce sont les mots de Bruno Le Maire, le 5 septembre dernier.

« Je n'ai jamais séparé la République des idées de justice sociale sans laquelle elle n'est qu'un mot. » Ces mots-là sont de Jaurès. Notre groupe votera contre votre budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR)

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) « C'est dans la commune que réside la force des peuples libres ».

M. Bruno Retailleau.  - Tocqueville !

M. Emmanuel Capus.  - « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner-un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. »

Ces mots de Tocqueville n'ont rien perdu de leur pertinence, surtout au Sénat.

Ce budget, qui doit lancer l'acte II du quinquennat, redéfinit assez largement les contours de la fiscalité locale. Prudence, vigilance, exigence ont guidé notre action, s'agissant de l'autonomie financière et de l'attractivité de nos territoires. Nous avons campé dans une opposition constructive.

Sur le mécénat d'entreprise par exemple, qui fait émerger des synergies locales. Le Sénat ne pouvait se risquer à le complexifier, car la simplicité est gage d'efficacité. On ne réduira pas notre déficit public en rabotant à la marge les dispositifs qui structurent l'économie de nos territoires.

Je me félicite que le Sénat ait adopté l'amendement de la commission des finances qui augmentait de 5 millions d'euros les crédits des maisons de l'emploi.

Nous avons amendé l'article 51, qui introduit une taxe forfaitaire sur les CDD d'usage. On ne lutte pas contre la précarité en taxant encore davantage l'emploi. Le report d'un an de la taxe est une mesure raisonnable.

Mais ce n'est pas le cas pour l'article 5, objet de longs débats, qui modifie en profondeur le financement des collectivités territoriales. Il ne s'agit plus de nous prononcer sur la suppression de la taxe d'habitation. Elle est actée, validée par les urnes, attendue par nos concitoyens. Nous devons nous assurer du bon financement des collectivités locales, sans en retarder la mise en oeuvre.

Ce projet de loi de finances allège la pression fiscale sur les ménages, mais nous accusons encore un manque de compétitivité flagrant vis-à-vis de nos partenaires européens. Les impôts de production sont bien trop lourds : on le ressent partout dans les territoires, dans l'Anjou, dans les Mauges !

Le Sénat doit proposer plutôt que temporiser. Au contraire, dans certains domaines il faut accélérer. L'objectif d'un déficit sous les 3 % paraît acquis ; il faut désormais viser le déficit zéro. Ce n'est pas la vision morose d'un État rabougri, bien au contraire. Il faut trouver les voies et moyens de renforcer l'État dans ses missions régaliennes.

Ce budget amendé par le Sénat poursuit la baisse des prélèvements obligatoires, défend l'autonomie des collectivités territoriales, et contribue à la maîtrise de la dépense publique, mais il manque d'ambition par volonté de temporisation. Le groupe Les Indépendants s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et RDSE)

M. le président.  - Le Sénat va procéder au vote sur l'ensemble du projet de loi de finances pour 2020.

Le scrutin public est de droit.

Conformément à l'article 60 bis du Règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune.

J'invite Mmes Catherine Deroche et Annie Guillemot, secrétaires du Sénat, à superviser les opérations de vote.

Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l'appel nominal.

Le sort désigne la lettre M.

Il est procédé au scrutin par appel nominal.

Le scrutin est clos.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°59 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 279
Pour l'adoption18 5
Contre    94

Le Sénat a adopté le projet de loi de finances, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - Le terme de marathon budgétaire est plus que jamais approprié. Quelque 2 465 amendements ont été déposés, à égalité entre première et deuxième partie. C'est 20 % de plus que l'an dernier et même 30 % pour les articles non rattachés. La montée en charge est encore plus impressionnante si l'on compare sur deux ans : l'augmentation du nombre d'amendement par rapport au projet de loi de finances pour 2018 est de 80 %. Or, le texte de l'Assemblée nationale n'a lui augmenté que de 50 % en deux ans. Pourtant, nous ne disposions toujours que de vingt jours pour examiner le projet de loi de finances, avec de surcroît l'examen du projet de loi de finances rectificatif nouvelle formule.

Nous avons pu tenir les délais cette année grâce à la mobilisation de vous tous et à l'esprit de concision de chacun.

Nous avons eu à travailler un seul samedi et il nous a fallu 127 heures de séance publique, contre 120 heures l'an dernier.

L'année prochaine, j'espère que nous tiendrons encore les délais sans dégrader nos conditions d'examen, alors que le nombre d'amendements sur les missions ne cesse d'augmenter.

Je remercie les ministres qui se sont succédé, le président du Sénat et les vice-présidents de notre assemblée, le rapporteur général - le plus mobilisé d'entre nous en séance publique et lors de la cinquantaine d'heures de commission plénière - les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis.

Merci à tous. (Applaudissements des travées du groupe SOCR à celles du groupe Les Républicains)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances .  - Je serai bref, car vous m'avez beaucoup, certains diront trop, entendu ces derniers jours. Je m'associe aux propos du président Éblé et je remercie tous les collègues et les services qui nous ont permis, dans un délai extrêmement contraint, d'achever l'examen de ce budget. Chacun a su faire preuve de concision, même si nous avons eu des débats approfondis et de qualité, par exemple, sur la fiscalité environnementale, sur la fiscalité du patrimoine, sur les ressources des collectivités territoriales et sur la fiscalité du numérique.

Monsieur le ministre, comme l'an dernier, un grand nombre d'amendements a fait l'objet d'un consensus ou d'un quasi-consensus, par exemple à l'article 5, ou sur le mécénat, ou sur la Société du Grand Paris, ou sur le paiement scindé pour la TVA. Le Gouvernement devrait y voir un signal : s'il l'écoutait, la France s'en porterait mieux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes SOCR, UC, RDSE et Les Indépendants)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics .  - Je me joins aux remerciements du président de la commission des finances et du rapporteur général. Je remercie les intervenants principaux des groupes et le rapporteur général pour les relations constructives et courtoises que nous entretenons. Un certain nombre de désaccords s'est exprimé entre le Gouvernement et le Sénat. Je forme le voeu que, malgré eux, nous continuions à avancer. Le Gouvernement ne participant pas à la commission mixte paritaire, je ne préjuge pas de son résultat.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - L'espoir fait vivre ! (Rires)

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État.  - Je ne peux ni le prévoir, ni le commander. (Exclamations sur diverses travées) Quand bien même il n'y aurait pas d'accord en CMP, je tiens à souligner que certaines pistes feront l'objet de travaux complémentaires. Ainsi, sur l'article 5, objet de nombreuses inquiétudes, le Comité des finances locales formera un groupe de travail dès le 14 janvier et se réunira en plénière à la fin janvier pour travailler sur les évolutions du potentiel fiscal, afin qu'elles n'aient pas d'impact sur le potentiel financier qui commande diverses dotations. Certains désaccords peuvent perdurer sans empêcher de travailler à des convergences.

Je vous répète le plaisir que j'ai eu à travailler avec vous. (Applaudissements)

M. le président.  - Merci, monsieur le ministre.

Prochaine séance demain, mercredi 11 décembre 2019, à 15 heures.

La séance est levée à 16 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication