Situation et rôle de l'OTAN et place de la France en son sein

M. le président.  - L'ordre du appelle un débat sur la situation et le rôle de l'OTAN et sur la place de la France en son sein.

M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste .  - Le groupe CRCE a demandé ce débat au lendemain de l'offensive turque en Syrie avec l'aval des Américains - une trahison de deux alliés de l'OTAN occasionnant le lâche abandon des Kurdes.

Avec les déclarations du président de la République sur la « mort cérébrale de l'OTAN » et la déclaration finale, plus belliqueuse que jamais, du sommet de Londres de la semaine dernière, le Sénat ne peut se contenter d'être spectateur : notre débat est nécessaire, urgent, j'espère qu'il encouragera un débat politique de toute la société française sur des choix stratégiques déterminants pour la Nation. Les actions de la Russie sont une menace et la Chine un sujet stratégique, a-t-on entendu à Londres.

En 2020, d'après M. Stoltenberg, son secrétaire général, l'OTAN pourrait aligner en moins de cinq jours 25 000 soldats, 300 avions et 30 navires de combat. Pour quelles visées ?

L'OTAN est unilatérale et anachronique : il faut viser sa dissolution. Je sais que beaucoup au Sénat ne le pensent pas mais le débat est nécessaire.

Au lendemain de la chute du mur du Berlin, l'occasion de repenser le système a été gâchée. On a annoncé la fin de l'histoire. Rien n'a été vu du multilatéralisme et de la pluralité actuelle.

Les attentats terroristes servent l'idéologie de la peur, qui plaide pour une vision belliqueuse de l'OTAN.

Quelques pays dominent la gouvernance de la mondialisation. Il faut aller vers le partage commun pour tous les peuples. L'OTAN est profondément inadaptée pour le rôle de gendarme du monde.

La construction de la paix mondiale est une question sociale. La voie multilatérale est la seule qui vaille, comme la COP nous le montre en matière environnementale.

Les enjeux de la sécurité sont humains. Ce n'est plus la puissance qui assure la paix, c'est l'inclusion sociale. Le terreau des entrepreneurs de violences - terroristes, mafieux ou prédateurs des richesses  - est la misère. On le voit au Sahel. Il faut désormais parler de relations intersociales, et non plus de relations internationales selon l'expression de Bertrand Badie. Nous sommes au bout des logiques de puissances ; les camps, les alliances, les blocs sont derrière nous, nous devons penser les relations internationales et de sécurité à partir du multilatéralisme.

Il faut renforcer l'ONU et les partenariats régionaux. L'OTAN nous entrave et nous assigne à la confrontation. Quel est le bilan de ses interventions militaires ? Afghanistan, Kosovo, Syrie : partout des pays ravagés, une violence disséminée, une instabilité accrue : où est la sécurité promise ?

Au Sahel, notre intervention est menacée du même enlisement pour les mêmes raisons.

L'aide au développement piétine alors que les dépenses militaires s'envolent. L'OTAN en est le premier accélérateur. L'objectif d'y consacrer 2 % du PIB est insensé.

Alors que l'accord États-Unis-Russie sur les armes nucléaires intermédiaires est au point mort, que fait la France ? L'OTAN nous tire vers l'escalade. À quand des initiatives françaises pour la désescalade ? Le président de la République veut dialoguer avec le président russe. Mais alors à quoi rime notre soutien sans faille à l'ouverture du front est de l'OTAN ? Qu'est-ce que cela veut dire, alors, que les grandes manoeuvres comme Defender 2020, ce débarquement en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne de troupes américaines qui traverseront l'Europe vers les frontières russes  - et auxquelles des milliers de soldats français participent ?

Le président de la République a justifié sa sortie sur l'OTAN par la nécessité de réveiller la défense européenne, mais quelle peut-être celle-ci alors que les Turcs - qui occupent la moitié d'un pays membre de l'Union européenne, Chypre - sont membres de l'OTAN ?

De deux choses l'une : ou bien la France reste embarquée sous leadership américain, ou bien nous ouvrons le chantier d'une Europe de la défense.

La France devra s'interroger sur sa sortie du commandement intégré de l'OTAN. Voilà les questions à se poser si nous ne voulons pas que les propositions du président de la République soient un simple punchline. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Bernard Fournier .  - Qu'est-ce que l'OTAN aujourd'hui ? Un facteur de paix et de régulation. Si on peut regretter que le débat ait été hystérisé, il était nécessaire.

Les États-Unis se désengagent. L'Europe et les États-Unis sont de moins en moins perçus par le président américain comme un seul bloc.

Après 70 ans de stabilité de part et d'autre de l'Atlantique, il faut une redéfinition. Le partage du fardeau de l'Alliance est légitime. Le secrétaire général exécutif de l'OTAN nous reproche de ne pas recevoir les financements prévus.

La clause F35 remplace la clause de l'article 5 dont la force est devenue moins évidente. En octobre dernier, les États-Unis ont cautionné sans concertation l'offensive turque contre nos alliés Kurdes. Cela a été condamné par la quasi-totalité des Alliés.

Les diversités de lecture stratégique ne doivent plus être tues. L'OTAN peine à s'adapter aux nouvelles menaces. Qui est l'ennemi de l'OTAN ? D'après le secrétaire général de l'OTAN, après le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne, 80 % de la défense de l'Europe sera assurée par des pays non-membres de l'Union européenne. Mais contre qui ? Si certains ne voient que le flanc Est, la France plaide pour une vision à 360 degrés.

Peut-on accepter que des marchandages tiennent lieu de politique stratégique au sein de l'Alliance, comme lorsque la Turquie exige qu'elle adhère à sa propre définition du terrorisme ? Elle doit se réformer pour éviter de tels errements et garantir notre sécurité. La France est force de proposition. Elle a un rôle essentiel à jouer pour faire de l'Alliance une structure plus adaptable. Le secrétaire général ne doit plus donner l'impression d'adopter systématiquement le point de vue du président américain. La position du président de la République à Londres va dans le bon sens mais souffler sur les braises plutôt que sur les bougies d'anniversaire n'était peut-être pas opportun (Sourires). Nous devons renforcer notre place dans l'Alliance par conviction.

Je veux rendre hommage à nos soldats morts au Sahel. Ils nous obligent. Il s'agit de garantir la paix et la sécurité 70 ans de plus. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères.  - Excellent !

M. André Vallini .  - Née en 1949, l'OTAN a bien joué son rôle de défense de l'Europe occidentale jusqu'en 1989. Depuis la dissolution du Pacte de Varsovie en 1991, sa redéfinition n'avait jamais été faite. L'arrivée de Vladimir Poutine a permis de redéfinir un adversaire, la Russie, sorte de la nouvelle URSS qu'il faudrait contenir.

Certes la Russie a une attitude agressive avec ses tentatives de déstabilisation de l'intérieur des pays européens. Mais la Russie reste une puissance économique dont le PIB est celui de l'Espagne et le budget militaire de 61 milliards de dollars, contre 282 milliards de dollars pour l'OTAN. Nous ne saurions montrer la moindre faiblesse face à la Russie, mais celle-ci n'est pas une menace globale.

Les États-Unis se sont lassés du rôle de gendarme du monde. L'investissement militaire américain sur notre continent n'a jamais été réduit et les liens entre Europe et États-Unis sont plus étroits qu'entre ces derniers et l'Asie : c'est parce qu'ils y ont intérêt. Mais leur grand ennemi est aujourd'hui la Chine.

L'attitude d'Erdogan en Syrie a provoqué une crise au sein de l'Alliance mais la solidarité politique n'y a jamais été évidente. La question syrienne s'inscrit dans une longue tradition. La vérité est que les Européens ne peuvent pas rester indéfiniment spectateurs dans un contexte instable. Ce contexte instable est une chance pour les Européens, qui pourraient faire avancer l'idée d'une Europe de la défense. Un jour, il le faudra, pour la crédibiliser face aux menaces, rationaliser les achats militaires et promouvoir l'identité européenne.

En 1992, le traité de Maastricht a jeté les bases d'une politique étrangère commune. En 2013, un premier conseil européen consacré à la défense a eu lieu. En 2017, une coopération structurée permanente a été lancée. Elle est balbutiante. La France est isolée quand elle voit l'Europe de la défense comme une alternative à l'OTAN.

Avant l'armée européenne, il y a une solution plus réaliste : européaniser l'OTAN.

Le secrétaire général Stoltenberg soutient cette idée. Le sevrage des addicts au parapluie américain doit être préparé. Pour y parvenir, mieux vaut éviter tout raidissement de nos partenaires.

La France se doit d'être à la hauteur de son rôle historique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM)

M. Jean-Claude Requier .  - La formule choc du président de la République sur l'OTAN a le mérite de relancer le débat sur une organisation qui vient de fêter ses 70 ans - gage de solidité - mais qui est fragilisée par la multiplication des désaccords entre ses membres, dans un contexte géopolitique multipolaire.

L'« empire du mal » n'est plus seulement à l'Est, il est multiforme et diffus : conflits asymétriques, terrorisme, cybercriminalité.

L'Alliance a su évoluer en ajoutant des missions de coopération et de gestion de crise. Mais cela n'a de sens que si tous les membres ont les mêmes attentes. Un meilleur équilibre est nécessaire.

Notre groupe soutient un dialogue entre la Russie et l'Occident. Pour cela, il ne faut pas que l'élargissement ne soit pas sans limite à l'Est. La Russie a un rôle très important dans le désarmement en Syrie.

Face à la Chine, privilégions un partenariat. La France peut être une puissance d'équilibre, avec ses territoires ultramarins dans la zone Indo-Pacifique.

La Turquie a acheté un système de défense russe et intervient en Syrie. Mais n'oublions pas qu'elle a retenu 3,5 millions de réfugiés.

L'abandon de souveraineté en matière de défense est une réalité pour de nombreux pays européens. La France a su conserver son autonomie stratégique - c'est l'essentiel - comme en témoigne notre intervention au Sahel, qu'elle effectue quasiment seule et ce, grâce à son effort sur le budget militaire.

Union européenne et OTAN sont complémentaires. Nous devons relever le défi de la défense européenne.

Mais l'Union européenne est loin de fournir une coopération opérationnelle, à défaut d'interopérabilité.

À force d'être focalisés sur leur voisin russe, les pays de l'Est considèrent que la stabilité en Méditerranée ne relève que de ses riverains.

L'affirmation d'intérêts divergents fragilise le multilatéralisme. N'oublions pas que l'OTAN nous a sans doute sauvés du pire. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Richard Yung .  - Le président de la République avait souhaité que le sommet de Londres soit l'occasion d'une discussion stratégique profonde sur les objectifs de l'Alliance atlantique. Nous ne craignons plus les missiles ni les chars soviétiques - les menaces sont différentes : cyberattaques, menaces dans l'espace, et j'en passe.

Le président américain s'éloigne de l'Alliance, non seulement budgétairement, mais aussi politiquement. La Turquie est aussi un problème.

Cette situation a suscité une prise de conscience chez les Européens. Ils consacrent plus d'argent à la défense, mais ils doivent encore développer la coopération au niveau de l'Union européenne - ce qui n'est pas contradictoire avec l'OTAN.

Les Européens doivent travailler à développer la défense européenne.

« De l'audace, de l'audace, de l'audace », disait le président de la République aux ambassadeurs à propos de la Russie. Mais nous ne sommes pas des enfants de Marie : le rapt de la Crimée, des homicides par les services russes dans nos pays... sans oublier l'attaque de notre doyenne Jeanne Calment, qui n'aurait pas été la véritable doyenne de l'humanité ! (Sourires) Il faut dire les choses...

Le Sahel est un élément crucial de notre sécurité collective. Le sommet qui se prépare à Pau avec le G5 Sahel est une bonne nouvelle.

Les chefs d'État africains doivent nous confirmer qu'ils demandent notre intervention. C'est bien le président malien qui a téléphoné dans la nuit pour demander de l'aide, parce que les terroristes étaient à 150 kilomètres de la capitale Bamako ! (M. Christian Cambon, président de la commission, le confirme.)

Il faut clarifier la situation, car il se développe un sentiment anti-français qui ne convient pas. Le Mali et le Burkina Faso doivent faire des efforts pour structurer leurs forces armées. Au Burkina Faso, la construction de l'armée ne fonctionne pas. Politiquement, le Mali, par exemple, doit progresser dans ses négociations avec l'Azawad. (Quelques applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE)

Mme Christine Prunaud .  - L'extension de l'OTAN a conduit à une diversité d'intérêts, parfois contradictoires, comme en témoigne l'invasion du Rojava par la Turquie, qui veut y résoudre la question des Kurdes « terroristes ». Erdogan veut mettre en place une administration dans cette zone annexée avec la bénédiction de l'OTAN. La Turquie invite les islamistes de l'Ouzbékistan et d'autres pays turcophones à venir s'y installer.

Partout le fanatisme, l'obscurantisme triomphent. Dix-huit ans après l'intervention en Afghanistan, les islamistes sont toujours là, attendant le départ des États-Unis pour mettre en place un régime encore pire. Les interventions de l'OTAN ne règlent rien, au contraire, elles empirent des situations déjà dramatiques. Les gouvernements successifs prennent des décisions suffisamment drastiques contre les États qui oppriment les peuples. Il y a une incohérence entre les objectifs des pays membres de l'OTAN et les objectifs de cette institution. Il est temps de poser la question de notre participation à l'OTAN. Nous en sommes réduits à attendre une hypothétique réunion pour en redéfinir les objectifs.

Le renforcement de l'ONU est la solution, avec la suppression des droits de veto des membres permanents du Conseil de sécurité. L'ONU est la seule institution où les discussions ne sont pas envisagées sous un jour militaire.

L'Europe de la défense n'est qu'une augmentation des dépenses militaires.

Face à l'OTAN, il faut renforcer l'ONU, mieux réguler voire stopper le commerce des armes, et renforcer la mission de contrôle du Parlement. Nous devons conditionner la participation à un conflit armé à une autorisation du Parlement comme cela existe dans de nombreux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Jérôme Bignon .  - L'ambiance aurait pu être plus chaleureuse pour les 70 ans de l'OTAN. La formule choc du président Macron était destinée à susciter le débat. C'est chose faite. Le président Trump a considéré l'Alliance comme obsolète et, en privé, a envisagé le retrait des États-Unis. Erdogan a suscité l'incompréhension de ses alliés en actualisant un système anti-missiles russes, et a conditionné au classement comme terroristes des YPG toute discussion au sein de l'OTAN.

Pourtant, les menaces n'ont pas disparu. Nous ne sentons pas les mêmes menaces à Paris et à Tallinn, et nous ne disposons pas tous des mêmes forces. L'OTAN a assuré la sécurité du continent depuis des décennies, effectuant des exercices de manière remarquable.

L'OTAN a annoncé vouloir s'intéresser aux djihadistes - c'est une bonne nouvelle. Actuellement, la France paie le prix du sang en ce domaine. (M. Christian Cambon, président de la commission, le confirme.)

Les mentalités semblent changer, avec des projets industriels et l'organisation du budget de défense de certains États membres.

Tant que les membres de l'Alliance partagent les mêmes valeurs, il n'y a pas de raison de s'éloigner. Mais quid de la Turquie ? Elle n'est pas Erdogan, lequel n'est pas pour toujours au pouvoir. Il faut discuter avec les puissances régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; MM. Christian Cambon, président de la commission et Yannick Vaugrenard applaudissent également.)

M. Jean-Marie Bockel .  - Le président de la République a assurément secoué l'alliance, avec ses mots durs, mais justes.

Le fonctionnement interne de l'OTAN soulève trois questions. Le partage du fardeau a été mis au coeur du débat par les États-Unis depuis Barack Obama. Si les progrès vers l'objectif de dépenses militaires à hauteur de 2 % du PIB en 2025 sont notables, l'Allemagne ne consacre que 1,2 % de son PIB à la défense, contre 1,8% pour la France. Le sujet de la juste contribution de chacun au financement de sa défense rejoint celui d'une défense européenne commune. L'Europe doit se renforcer comme pilier européen de l'OTAN et au sein de l'Union européenne.

Ma seconde interrogation est d'ordre stratégique : comment les 29 membres peuvent-ils agir de concert quand leurs intérêts politiques et géostratégiques divergent ? Il faut une confiance mutuelle, laquelle repose sur la clarification des priorités stratégiques de certains membres. La relation militaire et diplomatique entre la Turquie et la Russie, ainsi que l'opération militaire turque contre les combattants kurdes qui ont lutté contre Daech nous interrogent. M. Erdogan partage-t-il encore des valeurs et des intérêts communs avec nous ? Et c'est un ami de la Turquie qui vous le dit... Le président turc marchande son soutien au renforcement de la protection du flanc ouest et à l'adoption de sa propre définition du terrorisme.

Ma troisième question porte sur la solidarité entre États membres, notamment quand l'un d'entre eux décide d'agir pour assurer la sécurité de tous. Qu'en est-il des opérations françaises au Sahel contre la menace djihadiste qui prétend détruire l'Occident ? La France a déployé 4 500 soldats, seule, sur un théâtre d'opérations aussi grand que l'Europe. L'Allemagne, seconde contributrice, emploie au minimum ses forces. Est-ce légitime dans un contexte de menace croissante ? Nous devons développer une doctrine d'emploi de nos forces et préciser nos règles de solidarité.

Je veux appuyer le rappel de Richard Yung sur le G5 Sahel. Nous ne pouvons pas partir du Sahel, ce serait le chaos et le reniement du travail utile, parfois ultime, que nous faisons. Pour autant, on ne peut pas continuer comme si de rien n'était. Chacun doit prendre ses responsabilités dans la sécurité et le développement. J'ai bien connu le Mali avant la guerre, j'y ai noué des amitiés. Nous y sommes trop seuls.

Les documents de planification de l'OTAN s'appuient sur un concept stratégique qui n'a pas été révisé depuis 2010. Quel sens donner à l'Alliance si le principe fondateur de l'article 5 du traité, l'assistance à un membre attaqué, est mis en doute par le membre principal, les États-Unis ?

L'Alliance doit s'interroger sur sa raison d'être. Elle ne doit pas hésiter à agir hors de l'Atlantique Nord. L'OTAN ne me paraît légitime que si elle inscrit son action dans une vision à 360°. Il faut seconder les alliés qui agissent souvent seuls.

Il faut redynamiser notre traité. Ce n'est possible qu'en discutant en interne, avec la Turquie. Sans quoi cette alliance sera disloquée, après la plus longue période de paix que l'Europe ait connue, et pour laquelle des soldats sont morts, et meurent encore. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'aux travées du groupe Les Républicains)

M. Christian Cambon .  - Sur les murs de la chapelle de Colleville-sur-mer, où reposent 10 000 jeunes américains, figurent ces mots : « Leurs tombes sont le symbole éternel de leur héroïsme et de leur sacrifice à la cause commune de l'humanité. »

La relation transatlantique est à la genèse de l'OTAN depuis l'indépendance des États-Unis. La fraternité transatlantique n'a jamais été démentie. Mais notre combat commun est plus qu'un engagement militaire. C'est la défense de valeurs communes, dont la liberté des peuples et le respect de la personne humaine. L'OTAN est un outil militaire et un concept politique.

L'intervention du président de la République au sommet de Londres a été particulièrement vive, mais elle était nécessaire. Auparavant le débat se limitait à des dépenses et à un quasi-partenariat commercial. Il faut que l'OTAN intègre les menaces d'aujourd'hui.

Pour bâtir l'architecture globale de la défense de l'Europe, il faut intégrer la Russie et les États-Unis aux discussions, sans naïveté ni dogmatisme. L'Alliance atlantique sera forte si elle repose sur deux piliers forts, de part et d'autre de l'Atlantique. C'est ce que nous devons faire accepter aux États-Unis, et faire comprendre à nos amis européens. L'OTAN doit analyser les menaces. L'Europe est victime des terroristes. Mais la définition diffère avec la Turquie dont le positionnement devra être clarifié. Quelles seront les conséquences de l'acquisition de S-400 russes par la Turquie ?

Il est indispensable que les membres de l'Union européenne avancent ensemble. Nous devons trouver sans arrogance les voies pour construire brique après brique une véritable défense européenne, sans négliger nos alliés baltes, inquiets de la réouverture du dialogue avec la Russie.

Jamais le monde n'a été aussi dangereux, aussi instable. La première demande de nos concitoyens, c'est la sécurité. Soyez sûr, monsieur le ministre, que la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat travaillera à vos côtés pour contribuer à la paix et à la sécurité. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'aux travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Une semaine après le sommet de Londres, je suis très heureux que le Sénat se saisisse de la question de l'avenir de l'OTAN, et je remercie Pierre Laurent. Nous sommes partis d'un constat : l'Alliance est dans une situation de trouble politique.

Il y a un enjeu de confiance sur la force de la relation transatlantique. Le président des États-Unis et son prédécesseur ont fait de l'Asie le pivot de leur stratégie. Cela a rendu l'Alliance transatlantique incertaine même si, paradoxalement, les forces américaines ont été renforcées en Europe.

Le retrait sans consultation des forces militaires des États-Unis du nord-est syrien a créé un autre trouble, posant problème pour la solidarité entre les partenaires de l'OTAN. L'offensive turque en Syrie a visé nos partenaires de la coalition contre Daech. Ce n'est pas acceptable, d'autant que nous n'en avions pas parlé au préalable.

L'environnement stratégique européen est rendu plus complexe par des menaces plus nombreuses. Or les Européens n'agissent pas assez en faveur de la défense.

La France a souhaité engager un débat stratégique au sein de l'OTAN. Lors de la réunion interministérielle du 20 novembre, j'ai souhaité, avec mon homologue allemand Heiko Maas, qu'il s'engage dès le sommet de Londres. Cela a été le cas, avec Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan, Angela Merkel et Boris Johnson. Il se poursuivra.

Ce débat portera sur trois enjeux fondamentaux. Son premier enjeu est la définition des finalités stratégiques de l'Alliance, ce qui implique une vision partagée, et de s'accorder sur la question : qui est l'ennemi ? Le contexte est différent de celui lors de la création de l'OTAN puisque le pacte de Varsovie a été dissous.

La Russie est une menace. C'est une réalité dans le domaine cyber et cela peut l'être aussi pour son voisinage, comme on l'a vu en Ukraine. Mais la Russie est aussi un voisin et un partenaire potentiel. C'est pourquoi le président de la République a initié au sommet de Brégançon une démarche de confiance. La montée en puissance militaire et technologique de la Chine impose une réflexion stratégique, mais ce pays n'est pas l'objet désigné de notre défense collective.

Le premier ennemi, ce sont les groupes terroristes, au Levant et au Sahel. Le sommet dit de Barkhane qui devait se tenir lundi à Pau a été reporté après la mort de 71 soldats nigériens hier soir dans une attaque terroriste. Il aura lieu début 2020, pour que les autorités nigériennes puissent mener leur deuil.

Dans le Sahel, il doit y avoir une clarification avec les pays du G5 et une remobilisation. Nous devons poursuivre ensemble notre combat contre le terrorisme, solidaires, apprécier les nouvelles modalités de mobilisation militaire et de coordination. Chacun, dans les pays concernés, doit prendre les engagements nécessaires, notamment pour les accords de paix au Mali.

La remobilisation passe par le développement mais aussi l'implication européenne. Nous avons invité lors de ce prochain sommet le haut représentant de l'Union européenne, Josep Borrell, et le président de la commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat.

La contribution des Européens à l'Alliance atlantique est un deuxième enjeu. Le temps où l'Europe comptait sur d'autres pour assurer sa sécurité est révolu. L'Union européenne doit renforcer ses responsabilités.

Monsieur Vallini et monsieur Cambon, Vous avez évoqué l'européanisation de l'OTAN. C'est le sens de nos initiatives. Nos efforts pour une coopération structurée permanente sont soutenus par de nombreux pays européens. Si la présidence finlandaise a souhaité réduire la contribution européenne à l'OTAN, ce n'est pas notre volonté.

M. Christian Cambon, président de la commission.  - J'espère bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Nous devons reconstruire un agenda et un cadre de droit de la maîtrise des armements.

En novembre 2020, nous fêterons les 30 ans de la Charte de Paris reprenant les dix principes d'Helsinki de 1975, et réfléchirons ensemble à la sécurité collective européenne.

Avec la suppression du traité sur les forces conventionnelles en Europe, et de celui sur les armes intermédiaires, nous devons prendre des initiatives pour relancer l'architecture européenne de sécurité collective. Sinon l'Europe risque d'être un théâtre inactif.

Les budgets de défense européens montent en puissance, mais nous devons être plus proactifs.

Dernier enjeu, nos droits et devoirs d'alliés : confiance, solidarité, responsabilité. Il faut plus de concertation. Un allié - la Turquie - ne peut pas intervenir contre nos alliés ni acheter du matériel hors de l'Alliance, ni empiéter sur la souveraineté d'un membre de celle-ci comme la Grèce - je pense au traité que la Turquie a signé avec la Libye, qui soulève beaucoup d'inquiétudes.

À l'issue du sommet de Londres, je constate que nous avons obtenu des résultats. Un groupe de travail va se mettre en place sur la refondation stratégique de l'OTAN et proposer des pistes concrètes.

À Londres, le président de la République a réaffirmé le sens de l'article 5. Je rappelle qu'il a été activé une seule fois, en 2001, pour aider les États-Unis, victimes de l'agression que constituaient les attaques du 11 septembre.

Vis-à-vis de la Russie, nous avons rappelé la politique d'équilibre nécessaire. Le dialogue doit faire avancer des dossiers tels que l'Ukraine. Un sommet, le premier depuis trois ans, s'est tenu en format Normandie sur le Donbass. Un nouveau rendez-vous a été fixé dans quatre mois.

Les discussions sur la Turquie ont apporté des clarifications. Le PYD ne peut pas être classé comme organisation terroriste.

Nous avons affirmé nos divergences sur la Libye et la Syrie mais continuons à dialoguer, notamment dans le format nouveau initié à Londres entre la Turquie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France. Une réunion de suivi se tiendra à Istanbul en février prochain.

La compatibilité du système S-400 acheté par la Turquie à la Russie avec ceux des autres alliés devra faire l'objet de réflexions car c'est absolument stratégique.

Enfin, notre message d'un rééquilibrage au sein de l'Alliance pour les Européens a été entendu. Le débat doit se poursuivre pour la réadaptation de l'Alliance. (Applaudissements sur toutes les travées)

Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.

La séance est suspendue à midi.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.