Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la résilience alimentaire des territoires et à la sécurité nationale.

Discussion générale

Mme Françoise Laborde, auteure de la proposition de résolution .  - Le sujet de la résilience alimentaire n'est pas nouveau. Il a été évoqué par plusieurs rapports du Sénat.

La proposition de résolution traite de ce sujet à l'aune de la sécurité nationale. Le rapport de Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, pour la délégation sénatoriale à la prospective, traite de la nécessaire évolution de nos modes de production agricole face aux difficultés hydriques à venir ; celui de Guillaume Arnell sur les risques naturels majeurs outre-mer, évoque la vulnérabilité des territoires ultramarins ; face au risque alimentaire, en raison de la pénurie de production et de la dépendance aux approvisionnements.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a également travaillé sur le sujet et publié un rapport en 2017 sur la nécessité de repenser l'aménagement du territoire face au changement climatique. Yvon Collin, en 2012, avait aussi publié un rapport sur le défi alimentaire à l'horizon 2050, mettant en exergue l'importance de la préparation des pouvoirs publics.

Donc, nous n'inventions rien et je tiens à vous rassurer, je ne suis pas devenu collapsologue ! (Sourires) Je n'ai pas sombré dans le pessimisme mais il nous faut réinvestir le champ de notre responsabilité d'élus, trop longtemps oubliée, consistant à pourvoir à l'alimentation de nos concitoyens.

Stéphane Linou, pionnier du mouvement Locavore, et ancien conseiller général de l'Aude, alerte depuis des années les populations, les administrations et les élus, sur l'importance de l'alimentation en circuit court au regard de la sécurité nationale. Son dernier rapport, édifiant, montre que nous sommes confrontés à un risque sérieux mais qui n'a jamais été envisagé en tant que tel et encore moins évalué.

Si le « bien manger » s'est imposé comme une priorité, la résilience alimentaire, envisagée sous l'angle de la sécurité, n'est pas pensée. Or production et consommation ne sont plus territorialisées. Toutes les zones rurales, vulnérables, sont « alimentairement malades ». La question de la production alimentaire n'est pas analysée à l'aune de la sécurité. Nous sommes incapables, en cas de crise, d'assurer notre subsistance. L'exécutif ne dispose que de plans d'urgence comme le plan Orsec, mais, bien qu'efficace, il ne propose pas une réponse satisfaisante en cas de crise systémique durable.

Pour répondre aux exigences de production, d'alimentation et de protection de la population, il faut d'abord forger une stratégie de territorialisation des productions alimentaires. Pour ce faire, il faut revoir les lois de modernisation de la sécurité civile et la loi de programmation militaire pour y intégrer le foncier nourricier. Il faut aussi relocaliser nos productions.

Un appel a été signé le 27 novembre en ce sens par des ONG et des fédérations agricoles dont la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), la Confédération paysanne et l'Assemblée des chambres d'agriculture. Les autorités - élus et institutions - doivent garantir l'existence d'une chaîne résiliente entre foncier agricole et consommateur, ce dernier devant être invité à acheter local.

Tel est l'objet de cette proposition de résolution, qui ouvre un débat et fait oeuvre de pédagogie.

Avec les membres du groupe RDSE, je vous demande de l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Cette proposition de résolution aborde la question essentielle de l'autonomie alimentaire de nos territoires à travers un prisme inédit. La résilience est définie comme la capacité à s'adapter à des aléas - climatiques comme économiques - menaçants.

Il est nécessaire de repenser notre modèle de production et de consommation, compte tenu des évaluations climatiques et des risques pendants. La question sanitaire doit également être prise en compte. Le 6 avril 2016, nous avons fait voter une proposition de résolution sur l'assurance récolte et la mutualisation des risques économiques en agriculture.

Dans une proposition de loi du 30 juin 2016, nous mettions en place des fonds de stabilisation des revenus agricoles dans chaque région. Dans une proposition de résolution, hélas rejetée le 12 décembre 2018, nous proposions d'aller plus loin : encourager le développement de paiements pour services environnementaux (PSE) et rémunérer ainsi les pratiques agricoles favorables à l'environnement. Il faut remédier à notre dépendance aux matières premières importées et recentrer notre production et nos emplois sur les territoires.

Les cent principales aires urbaines ont une autonomie alimentaire de 2 % en moyenne ; ce qui signifie que seulement 2 % de la production agricole locale se retrouve dans les assiettes ! Avec 8 % d'indépendance alimentaire, Avignon fait figure de bon élève. Le degré d'autonomie alimentaire de l'aire urbaine de Saint-Etienne n'atteint que 1,7 %.

Dans nos territoires ruraux, on observe ainsi un ballet de camions de la grande distribution, justement pointé dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution. L'objectif de 50 % d'autonomie alimentaire est atteignable, y compris dans les aires urbaines. Ne manque que la volonté politique ! Les zones les plus denses comme Paris, Lyon et Marseille devront être accompagnées. Élus locaux et citoyens doivent se mobiliser.

Se fondant sur les travaux de Stéphane Linou, pionnier du « manger local » en France, les auteurs de la proposition de résolution ont choisi de placer leur réflexion sur le thème de la sécurité : outre les aléas climatiques et les crises économiques, sont visés les risques de blocages dus notamment à des troubles à l'ordre public. Cette approche aurait été jugée catastrophiste, voire aurait pu prêter à sourire, il y a quelques années, mais les bouleversements climatiques anticipés ne ressortissent désormais plus de la science-fiction. Le risque de canicules simultanées dans l'hémisphère nord est multiplié par 20, selon une étude de l'Institut sur le changement climatique de Potsdam.

Je m'interroge, en revanche, sur le choix de la reconnaissance de l'agriculture comme secteur d'activité d'importance vitale (SAIV). Cet outil est-il vraiment pertinent ? Comment encouragera-t-il la relocalisation de la production ?

En outre, l'alimentation est déjà reconnue comme SAIV. Le ministère de l'Agriculture a publié un guide sur le sujet en 2014. S'agit-il d'un élargissement du SAIV existant ou de la création d'une nouvelle catégorie ?

La préservation des terres et la protection des agriculteurs doivent être une priorité nationale. Le ministère de l'Agriculture doit prendre en compte les enjeux discutés aujourd'hui.

Le groupe socialiste votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupeSOCR et RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. François Bonhomme .  - Cette proposition de résolution met en exergue une réalité indiscutable. Sécheresses, catastrophes naturelles, inondations : les agriculteurs doivent faire face à de nombreux aléas climatiques.

L'État a ponctionné, hélas, le fonds de prévention des risques naturels majeurs, comme le regrettaient nos collègues Vaspart et Bonnefoy dans leur rapport.

Les communes constituent le premier échelon permettant de prévenir les catastrophes naturelles. Victoire Jasmin et Guillaume Arnell rappelaient, pour leur part, la fragilité des territoires d'outre-mer : seules trois communes de Guyane disposent d'un plan de sauvegarde, une seule commune à Mayotte et à La Réunion.

Certes, les plans Orsec existent, mais ils sont insuffisants. Leur efficacité pratique dépend de la capacité d'anticipation des communes. Cependant, cette proposition de résolution ressort d'une vision quelque peu collectiviste. Les agriculteurs n'ont pas attendu l'État pour développer les circuits courts et la production biologique. Ces évolutions devraient favoriser l'autonomie alimentaire des territoires. La proposition de résolution fait en outre l'impasse sur les plans de prévention déjà en place.

Comme la plupart des membres de mon groupe, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Paul Émorine.  - Très bien !

M. Dominique Théophile .  - Je remercie Mme Laborde et le groupe RDSE pour son initiative. Le sujet n'est pas nouveau, mais il est de plus en plus discuté au regard des aléas climatiques et politiques auxquels sont confrontés nos territoires.

Ce texte est un premier pas pour développer une culture du risque, mieux protéger le foncier agricole et renforcer l'autonomie alimentaire des territoires. La proposition de résolution suggère de modifier la loi de programmation militaire et la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004.

L'actualité vous donne raison. En août 2019, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) s'est penché sur ce sujet dans le cadre de son rapport spécial sur les terres émergées. Il a constaté les incidences sur les quatre piliers de la sécurité alimentaire : disponibilité des produits agricoles ; accès la nourriture ; utilisation qui en est faite et stabilité des approvisionnements.

Les institutions et les ONG qui oeuvrent auprès des populations les plus démunies s'y intéressent aussi. Il est apparu nécessaire de faire évoluer nos politiques d'urgence et de traiter la sécurité alimentaire de manière plus intégrale et durable, dans les pays pauvres comme en France.

Notre système alimentaire est vulnérable. Il l'est plus encore outre-mer, confronté à des crises politiques et climatiques : l'ouragan Irma par exemple. Le manque de réserve de nourriture a conduit à des pillages, en septembre 2017, à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, dans les heures et les jours qui ont suivi la catastrophe.

En 2018, à cause des sargasses, les îles de la Désirade et de Terres de Bas aux Saintes en Guadeloupe, ont été coupées du monde. En décembre 2018, l'île de La Réunion a connu elle aussi une rupture d'approvisionnement de biens de première nécessité en raison du mouvement des gilets jaunes. Près d'un millier de conteneurs, contenant des produits frais, des matières premières destinées à la fabrication d'alimentation animale ou des médicaments et du matériel médical, sont ainsi restés en attente de livraison.

Or, dans ces territoires, seul un quart des marchandises vendues sont produites localement. Il faut encourager la diversification de la production locale.

Le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et SOCR, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Fabien Gay .  - Avec Marie-Noëlle Lienemann, notre corps et notre esprit sont ici, mais notre coeur est avec celles et ceux qui manifestent contre votre réforme des retraites, monsieur le ministre...

M. le président.  - Venez-en au sujet...

M. Fabien Gay.  - J'y suis ! Le scénario de l'effondrement est de plus en plus présent dans notre société : successions d'évènements climatiques extrêmes, rapports du GIEC, du Haut Conseil pour le climat et de toutes les instances mesurant les effets de l'action humaine sur le climat, surexploitation irrationnelle de ressources naturelles finies... Cela provoque désespoir, colère, sidération, voire dépression chez nos concitoyens.

Mme Françoise Laborde.  - Je n'en suis pas là !

M. Fabien Gay.  - L'urgence n'a jamais été aussi prégnante. La peur du futur est devenue une peur très présente, voire quotidienne. Elle peut vous tétaniser. Pour 60 % de nos concitoyens, les conditions de vie sont dégradées. À quoi bon si le monde de demain, c'est Mad Max ? (M. Roger Karoutchi rit.) Il ne faut pas renoncer...

M. Roger Karoutchi.  - Ni exagérer !

M. Fabien Gay.  - Mais nous pouvons encore agir !

M. Roger Karoutchi.  - Absolument !

M. Fabien Gay.  - Oui, des centaines de milliers de gens marchent pour le climat, des milliers de jeunes se mobilisent et agissent ; ils montrent qu'une autre manière de vivre est possible. Nous ne partageons pas le point de départ de la proposition de résolution.

Les petites exploitations, jugées moins rentables, ont fermé à cause de la libéralisation des marchés agricoles, or ce sont elles qui font une production de qualité, et réinvestissent les campagnes. Il faut relocaliser la production, assouplir les règles des marchés publics, en faveur des circuits courts, réinvestir les campagnes avec une agriculture à visage humain. Ainsi, nous pouvons éviter la fracture alimentaire et sociale.

Il faut renoncer aux grands traités internationaux de libre-échange, tels que le CETA, le Mercosur ou le Jefta. Certains peuvent monter en gamme, mais pendant ce temps, les autres mangent mal. La peur ne peut pas être un moteur mais la proposition de résolution est pertinente.

Il faut que les acteurs s'en emparent pour élaborer un plan de résilience alimentaire. La perte du lien entre territoires de production et de consommation est réelle. Le foncier agricole est menacé. Relocaliser la production, passer à l'agriculture biologique, privilégier les circuits courts, cartographier réseaux de producteurs, de transports et de distribution : telles sont les réponses au défi social et environnemental systémique et au défi climatique. Le prisme sécuritaire de la proposition de résolution ne nous convient pas.

C'est une démarche holistique qu'il faut adopter. (Exclamations sur les travées du groupe RDSE)

La majorité du groupe CRCE s'abstiendra et quelques membres voteront pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées des groupes SOCR, RDSE et UC)

M. Franck Menonville .  - Chaque jour, nous recevons des images de personnes souffrant des désastres de la faim, dans des pays meurtris par des conflits et des guerres. Mais la faim est aussi parfois à l'origine de crises.

La France a conquis sa souveraineté alimentaire grâce à son agriculture. Elle demeure la première agriculture européenne et l'une des plus diversifiées au monde. Le discours du RDSE est trop alarmiste mais la proposition de résolution est pertinente.

Mondialisation des échanges et dérèglement climatique transformeront nos agricultures et notre consommation.

Il n'y a pas si longtemps, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la France souffrait massivement de la faim. Elle est parvenue à l'éradiquer grâce à une agriculture robuste, moderne et performante.

L'agriculture a constitué le premier pilier de l'Union européenne, avec la création de la PAC. Souvenons-nous d'où nous venons, pour comprendre où nous allons. La France peut être fière de son agriculture. Alors que notre déficit commercial est structurel, notre industrie agroalimentaire présente une balance commerciale positive.

Notre pays, premier producteur européen, devant l'Allemagne et l'Italie, est autosuffisant, même si cela ne signifie pas nécessairement résilience, tout comme autonomie ne signifie pas autarcie.

Ne cédons pas au chant des sirènes du localisme, ce serait réducteur. Développement de nos capacités de production et échanges avec nos partenaires européens ont assuré notre succès.

Certes, la place des importations dans notre alimentation augmente. Nous devons être mobilisés.

La terre comptera 10 milliards d'habitants en 2050. Comment pourra-t-on les nourrir ?

Notre agriculture, jugée à la pointe en matière environnementale, et parmi les plus durables au monde, peut encore gagner en productivité. Tout ce qui renforce le local va dans le bon sens.

Il faut rendre les modèles complémentaires et les combiner, au lieu de les opposer.

Nous partageons les objectifs généraux de cette proposition de résolution mais pas sa philosophie.

Mme Françoise Férat .  - Je tiens à remercier Françoise Laborde : notre alimentation est un sujet fondamental et quotidien.

Cette proposition de résolution démontre qu'une grande loi agricole est nécessaire, et notamment une loi sur le foncier agricole. (Mme Françoise Laborde approuve.) Le foncier agricole doit être protégé. Nous appelons aussi à une réflexion sur la modernisation des outils de gestion de la production et du foncier.

Nous voulons une fiscalité qui soutient la transmission des terres agricoles. Le développement des circuits courts améliore les revenus des agriculteurs.

Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont des outils fondamentaux, aux mains des collectivités.

La référence à la loi de programmation militaire m'a surprise et va faire sursauter les agriculteurs, qui sont déjà soumis à suffisamment d'impératifs.

Il est contradictoire de vouloir une localisation stricte des productions et de devoir nourrir 10 milliards d'habitants.

En tant qu'élus des territoires, nous devons prendre garde à ce que les textes que nous votons prennent la mesure des difficultés actuelles des agriculteurs, comme la proposition de loi que nous examinerons tout à l'heure. L'agribashing ambiant doit être combattu.

Les votes centristes seront partagés ; à titre personnel je ne voterai pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)  Cette proposition de résolution trouve son origine dans un mémoire de recherche, Résilience alimentaire et sécurité nationale, enquête au sein des milieux de l'agriculture, de la sécurité, de l'armée et de l'alimentation. Elle souligne le risque systémique majeur en cas de catastrophe. Ce risque est rare.

En outre, le plan Orsec permet de faire face à tout type de situation d'urgence.

Cette proposition de résolution dénonce les incidences de « la logique de marché » sur le foncier agricole. Faut-il aller vers le collectivisme soviétique de sinistre mémoire ? (M. Joël Labbé proteste.) Il faut respecter le droit de propriété !

Le foncier agricole ne serait pas protégé contre « l'accaparement par des puissances étrangères ». Mais la loi du 20 mars 2017 a renforcé la transparence des nouvelles acquisitions.

Mieux vaut être à l'écoute des agriculteurs, pour construire des solutions répondant à leurs besoins. Les opérateurs d'importance vitale ont pour obligation d'analyser les risques et de prévoir un plan de sécurité, en identifiant les points d'importance vitale qui feront l'objet d'un plan de protection à la charge du préfet. Les agriculteurs ont toujours eu un rôle vital pour les populations sans qu'il soit nécessaire d'en faire formellement des opérateurs d'importance vitale.

Ne mettons pas les agriculteurs sous la tutelle de l'État !

Je ne voterai pas cette proposition de résolution qui instrumentalise les peurs. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Résilience alimentaire et protection des populations marchent apparemment ensemble. Oui, la logique du marché fragilise la préservation des terres arables, et les solidarités territoriales. D'accord aussi avec les autres constats de l'excellent rapport Roux-Dantec, qui nous a tous ébranlés.

Il faut s'organiser collectivement pour faire face aux pénuries d'eau, encore d'accord.

En cela, cette proposition de résolution obtient ma totale adhésion...

Mme Françoise Laborde.  - Très bien !

Mme Nadia Sollogoub.  - Hélas, il y a un « mais » ! La notion de bien commun se heurte au droit de propriété. Faire référence à la loi de programmation militaire inquiète les agriculteurs qui redoutent des lourdeurs administratives. Le ministère des Armées, le ministère de l'Intérieur ont-t-ils été consultés ?

Cette proposition de résolution envoie un message de repli sur soi. Un producteur de la Nièvre m'a rappelé qu'il produisait pour 1 000 personnes dans un village de 200 habitants. Les circuits courts ont leurs limites. Si l'on pousse la logique jusqu'au bout, il faudrait renoncer au café !

Cela dit, votre proposition a le mérite de nous faire réfléchir. Le groupe UC sera partagé, un vrai vote de centristes ! (Sourires) Pour ma part, je m'abstiendrai. (Mme Michèle Vullien applaudit.)

M. Guillaume Chevrollier .  - En 2050, il faudra nourrir 10 milliards de personnes dans un contexte de changement climatique qui accentuera la pression sur les terres agricoles. Seules les puissances qui auront préparé leur agriculture seront sereines.

La France est-elle capable d'être autonome ? Il est de la responsabilité de l'État de garantir notre souveraineté alimentaire, « ardente obligation » selon le général de Gaulle. Est-il normal, monsieur le ministre, que l'économat des armées ne s'approvisionne pas seulement auprès des agriculteurs français ?

Nous nous sommes retrouvés, dans la mondialisation, nantis de multiples normes, face à des concurrents ne respectant aucune règle. Le rapport Primas-Duplomb détaillait les menaces pesant sur notre agriculture. Les importations agricoles et alimentaires augmentent, alors que 8 % à 12 % des produits importés ne respectent pas les normes européennes. C'est à la fois un problème de sécurité sanitaire et de concurrence déloyale.

Plutôt qu'un simili Gosplan - collectiviste - il faut lutter pour l'agriculture et contre l'agribashing, en bon français !

La loi EGalim a suscité l'espoir mais les agriculteurs n'ont eu aucun retour financier.

L'État doit agir pour que notre agriculture soit plus compétitive. Or la loi EGalim n'améliore pas le revenu des agriculteurs et déstabilise les filières.

Il faut que l'agriculture française se redresse et elle n'a aucune raison de ne pas y arriver. Garantissons notre autosuffisance alimentaire ! La France en est capable.

Les orientations proposées sont inadaptées. C'est pourquoi une majorité des membres du groupe Les Républicains votera contre cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Joël Labbé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Cette proposition de résolution traite d'un enjeu essentiel de sécurité nationale, la résilience alimentaire. Je salue l'initiative de Mme Laborde qui a entraîné le groupe RDSE. Ce n'est qu'une proposition de résolution, il convient de le souligner.

L'importance de la résilience alimentaire en matière de sécurité civile a été oubliée, alors que les aléas climatiques sont de plus en plus nombreux et graves, que les pénuries d'eau sont de plus en plus d'actualité. Villes et campagnes, sous perfusion des grandes surfaces et de leurs systèmes logistiques, ne sont pas préparées : l'autonomie est de 2 % pour les aires urbaines, guère plus pour les territoires ruraux.

Les outre-mer, comme l'a souligné Dominique Théophile, sont particulièrement concernés, en raison de leur dépendance aux importations et de leur vulnérabilité face aux aléas climatiques.

Les plans Orsec, prévus pour des crises exceptionnelles, sont insuffisants pour des risques systémiques. Toutes ces questions ont été mises en lumière par M. Stéphane Linou, présent aujourd'hui en tribune, et qui vient d'être lauréat d'un prix national sur la prévention et la résilience. De nombreux militaires se sont montrés intéressés par son travail.

La résolution fait des recommandations pertinentes : préparation des populations, intégration du lien entre questions militaires et alimentaires, notamment par l'inclusion de la production alimentaire et du foncier agricole dans les secteurs d'importance vitale.

La relocalisation d'une majeure partie de l'alimentation est essentielle. Les PAT et l'approvisionnement local de la restauration collective sont des premiers pas. Mais il faut aller plus loin, en agissant sur le foncier et en développant localement des systèmes agricoles résilients.

Ces questions font écho à trois colloques auxquels j'ai participé : un à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la reterritorialisation de l'alimentation - eh oui, monsieur le ministre, nos chercheurs travaillent sur ces sujets - un autre à l'Assemblée nationale à l'initiative du député Potier intitulé « Partager et protéger la terre, plaidoyer pour une loi foncière » - car le foncier nourricier est un bien stratégique qu'il faut protéger - et un dernier organisé par l'Association française des sols à Vannes sur l'érosion des sols.

J'ai compris qu'il n'y aurait pas de majorité sur ce texte. (Dénégations sur les travées socialistes)

M. Jean-Paul Émorine.  - En effet !

M. Joël Labbé.  - Mais c'est une simple résolution qui donne un signal fort aux agriculteurs. Ce n'est en rien une collectivisation comme je l'ai entendu. La puissance publique doit simplement jouer son rôle avant tout dans l'intérêt des agriculteurs.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Joël Labbé.  - Qui sait ? Il y aura peut-être un miracle à la veille de Noël ! (Sourires ; applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR, CRCE et LaREM)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Merci pour cette proposition de résolution qui permet de mettre le débat sur la table. J'ai lu votre rapport. Le sujet de la résilience alimentaire des territoires, en lien avec la sécurité nationale, est essentiel.

Nous partageons également l'ambition de conserver nos terres, de préserver notre souveraineté alimentaire et de garder nos agriculteurs partout en France : la cohabitation avec les autres habitants doit continuer à bien se passer. Je dis partout en France métropolitaine et outre-mer, car, comme l'a souligné Dominique Théophile, ces territoires sont les plus touchés.

Le dérèglement climatique est plus présent que jamais ; face à lui, l'agriculture n'est pas un problème, mais une solution avec l'agroécologie et la couverture des sols.

Cette semaine, à Madrid, pour la COP25, je suis intervenu au sujet de l'initiative « 4 pour 1 000 » portée par la France pour l'enrichissement des sols. Il n'y aura pas d'agriculture durable sans agroécologie.

Interrogeons-nous sur la cohabitation entre agriculture d'une part et logements et infrastructures d'autre part. Tous, nous avons construit des lotissements et des zones d'activités autour de nos communes ; je ne jette la pierre à personne. Mais dans le Var et les Alpes-Maritimes où j'étais lundi, j'ai vu le résultat d'inondations en grande partie liées à l'artificialisation des sols qui constituent dès lors de véritables autoroutes pour l'eau ! C'est pourquoi j'ai annoncé une loi foncière au congrès de la Fédération nationale des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Nous avons reçu plus de 400 contributions et nous sommes en train de lister les sujets de consensus et les questions les plus débattues. Tout ce qui relèvera du règlementaire fera l'objet d'un décret pris au plus vite. Zéro artificialisation nette des sols, tel est notre objectif.

Il faut aussi permettre la transmission des exploitations et l'installation des jeunes. Je travaille sur un projet de décret pour éviter l'achat de nos terres par de grands groupes étrangers qui s'accaparent notre foncier. Il faut protéger notre agriculture française, qui est une des plus saines, sûres et durables du monde.

Les ressources hydriques vont manquer, comme le rapport Dantec-Roux l'a souligné. Le groupe RDSE est décidément très proactif sur le sujet...

Avec Bruno Le Maire, nous travaillons sur un pacte productif pour renforcer la souveraineté alimentaire et la compétitivité, qui ne doivent pas être opposées.

N'opposons pas les systèmes agricoles, les circuits courts et l'agriculture conventionnelle. Évitons que les riches du Nord s'alimentent bien, et les pauvres du Sud mal.

Allons-nous assez loin dans la consolidation de notre ancrage alimentaire ? Les 74 projets alimentaires territoriaux y contribuent dans 47 départements métropolitains et ultramarins. Faisons vibrer les couleurs républicaines à travers le patriotisme alimentaire. Le consommateur qui pousse son caddie dans un supermarché achète ce qu'il veut, mais il doit savoir ce qu'il achète : il ne doit pas y avoir d'étiquette bleu-blanc-rouge s'il n'y a dans ce qu'il contient que le sel et le poivre qui soient français...

Dans le cadre des projets alimentaires territoriaux et de la restauration collective - scolaire, hospitalière, Ehpad, armée - il convient de prolonger ce mouvement.

Il faut développer l'agriculture périurbaine autour des métropoles pour alimenter les cantines scolaires. Donnons-nous en les moyens. 50 % de signes officiels de qualité (SIQO) et 20 % de bio, c'est atteignable.

Nous allons mettre en place un grand plan Protéines végétales qui sera lancé en 2020 et que j'ai présenté devant l'Union européenne. Nous ne pouvons plus continuer à importer des tourteaux de soja OGM d'Amérique du Sud.

Le rapport du Sénat « Se nourrir en 2050 » nous aidera. Il est important que ce débat sur la résilience alimentaire ait eu lieu, même si cette proposition de résolution ne sera peut-être pas adoptée. Nous devons avancer sur la sécurité de notre agriculture. Faisons évoluer en profondeur les mentalités. Le Gouvernement est pleinement investi. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC)

À la demande du groupe RDSE, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°60 :

Nombre de votants 322
Nombre de suffrages exprimés 298
Pour l'adoption 141
Contre 157

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 heures.