Bioéthique (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la bioéthique. Ce scrutin s'effectuera depuis les terminaux de vote.

Explications de vote

Mme Christine Herzog .  - Nous allons nous prononcer sur un texte qui bouleversera les fondamentaux de notre société. Qu'il s'agisse des liens parentaux et familiaux, du statut de l'embryon ou de la manipulation génétique, ce projet suscite en effet plus de questions que de réponses.

Concernant la procréation médicalement assistée (PMA) sans père, je rappelle que l'enfant n'est pas un droit. Il ne s'agit pas de priver quiconque d'avoir un enfant, mais de refuser qu'on transforme notre modèle de société pour des raisons d'ordre compassionnel.

L'absence de toute mention de la PMA sur l'acte de naissance interdit à l'enfant d'avoir accès à son identité, de connaître son père biologique et ses origines, ce qui peut entraîner de lourdes conséquences. C'est une atteinte à ses droits fondamentaux et le fait de devoir attendre sa majorité pour connaître le donneur représente une épée de Damoclès qu'on devrait leur épargner. (De nombreux murmures parsemant l'hémicycle, l'oratrice s'interrompt un instant et le président invite au silence.)

Ce déni des droits de l'enfant est encore aggravé par le récent arrêt de la Cour de cassation, qui supprime de fait tout contrôle sur les gestations pour autrui (GPA) réalisées à l'étranger, en éliminant la procédure d'adoption et en consacrant le « parent d'intention ». Cette décision contourne le lien de filiation et permet de la cacher totalement à l'enfant. Heureusement, le Gouvernement est intervenu pour revenir à la loi actuelle et éviter les pires dérives de trafics d'enfants.

Nous savons tous que la PMA pour les couples de femmes entraînera l'autorisation de la GPA au nom de l'égalité des droits. Parlons aussi des droits des mères porteuses dans les pays en développement : la marchandisation du corps et l'exploitation de la pauvreté sont inacceptables.

Face à une série de mesures dont on ne maîtrise pas les conséquences et qui s'affranchissent des limites au nom du progrès, je voterai contre ce projet. (Mmes Claudine Kaufmann et Christine Bonfanti-Dossat, ainsi que M. Sébastien Meurant, applaudissent ; MM. Jean-Claude Luche et Jean-Marie Mizzon applaudissent également.)

Mme Laurence Cohen .  - Au terme de discussions sur des sujets parfois troublants, souvent passionnants et toujours enrichissants, je remercie les rapporteurs et le président de la commission pour le travail accompli et la sérénité des débats.

Il y en a assez peu, dans cet hémicycle, qui soient autant transpartisans.

Au sein de notre groupe, comme des autres, nous ne nous sommes pas accordés sur des questions aussi sensibles que la PMA post mortem ou le diagnostic préimplantatoire, sur lesquelles j'ai moi-même évolué au fur et à mesure des auditions et des débats dans l'hémicycle.

Sur d'autres, un consensus s'est établi, comme sur la suppression de l'inégalité entre couples hétérosexuels et couples de femmes dans l'accès à la PMA, avancée essentielle qui établit définitivement qu'il n'y a pas un seul modèle de famille, composé « d'un papa, d'une maman, d'un bébé », mais « des » familles.

Comment ne pas penser que le déremboursement de la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes, que nous regrettons, est une concession aux anti-PMA qui nous ont inondés de mails décadentistes ? Comment ne pas nous indigner, également, de l'introduction d'une évaluation sociale et psychologique avant un recours à la PMA ? Quelle étrange conception de l'égalité ! Pourquoi une telle frilosité ?

Heureusement, la majorité du Sénat... (L'oratrice est interrompue par des murmures, tandis qu'on invite à l'écouter sur les travées du groupe CRCE.)... a voté en faveur de la PMA, ce qui était, pour nous, fondamental. Le texte initial n'allait pas assez loin en ne mettant pas sur un pied d'égalité les parents hétérosexuels et les parents homosexuels.

L'adoption a aussi servi de base pour « laisser passer » l'article 4 bis sur l'interdiction de transcription totale à l'état civil des actes de naissance des enfants nés de GPA à l'étranger.

Je rappelle que mon groupe s'est opposé à la GPA qui, contrairement à la PMA, marchandise le corps des femmes. Les enfants n'ont pas à être victimes de leur mode de conception.

En tant que parlementaire communiste, je me réjouis que toutes les familles politiques dénoncent massivement la marchandisation des corps mais il est édifiant de constater que cette unanimité ne repose pas sur les mêmes bases idéologiques. Chez certains, il s'agit de limiter la liberté de choix des femmes - ce qui prouve que le patriarcat est toujours vivant. (Quelques protestations à droite)

Au fil des débats, alors que nous étions plutôt favorables au texte de la commission spéciale proposant de laisser libre choix aux donneurs de dévoiler leur identité aux 18 ans de l'enfant, nous avons finalement été convaincus par la version du Gouvernement ouvrant l'accès aux origines pour tous les enfants conçus avec tiers-donneurs.

Ne nous engageons pas sur la voie du moins-disant éthique : notre pays doit éclairer les autres nations avec son modèle bioéthique. Les dispositions de l'article 17 qu'un amendement de notre groupe a supprimé mériteraient une ample discussion. Le Sénat a parfois été trop timoré sur la recherche, prompt à brandir le risque d'eugénisme. Mais ne confondons pas ligne rouge et inventivité. L'audition du professeur Frydman m'en a convaincue.

Nous voterons donc ce projet de loi en restant vigilants : affranchissons-nous des maux qui caractérisent notre société moderne et capitaliste, en prenant de la hauteur, par une approche qui ne soit ni deshumanisante ni discriminante : c'est ainsi que nous serons une société éthique.

J'ai préféré le débat respectueux qui a eu lieu dans l'hémicycle lors de l'examen du texte : chacun était alors à l'écoute... (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SOCR)

M. le président.  - Faisons silence pour écouter les orateurs.

M. Daniel Chasseing .  - Les débats sur la bioéthique apportent autant de questions que de réponses. Nous révisons souvent des lois au vu des avancées scientifiques, médicales ou des évolutions de l'intelligence artificielle. Le groupe Les Indépendants salue le travail des rapporteurs, du président de la commission et de l'ensemble des collègues pour la qualité de nos échanges.

Nous avons su garder tout au long des débats la bienfaisance inscrite au coeur de l'injonction d'Hippocrate. Nous avons été attentifs à la dignité de la personne humaine, au fondement de la législation bioéthique de la France depuis la loi de 1994.

Même si l'eugénisme et la GPA étaient absents de ce texte, des sujets importants ont soulevé de nombreux débats.

L'article premier voté par le Sénat élargit l'accès à la PMA aux couples de femmes comme aux femmes seules, mais limite son remboursement aux seuls couples hétérosexuels infertiles. En outre, une évaluation psychologique des futurs parents est prévue. Si le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est déclaré favorable au projet de loi, l'Académie de médecine et le Conseil de l'ordre des médecins se sont interrogés sur les conséquences de l'absence de père sur l'enfant. Une PMA pourra être refusée par l'équipe médicale, notamment pour une femme seule en situation de précarité. Le Sénat s'est opposé à la PMA post-mortem. Je suis favorable à la rédaction de l'article premier issue de nos travaux.

Le Sénat a rappelé qu'il n'existait aucun droit à l'enfant. Il a supprimé la possibilité de procéder à des diagnostics préimplantatoires pour rechercher des anomalies chromosomiques et a écarté les centres privés à but lucratif de la PMA. Il a maintenu l'interdiction des tests génétiques, bien qu'il me semble plus efficace de les encadrer, puisqu'ils sont disponibles sur internet.

À l'article 2, le Sénat a supprimé la possibilité d'autoconservation des gamètes, hors raison médicale, afin de ne pas céder aux pressions sociales qui pèseraient sur les femmes. Je ne pensais pas que des employeurs pouvaient faire preuve d'une telle violence...

À l'article 3, il a subordonné l'accès à l'identité du donneur de gamètes au consentement de ce dernier et l'a autorisé dès lors que l'enfant atteint sa majorité.

Le Sénat a également préféré l'adoption à la reconnaissance conjointe pour établir la filiation d'un enfant né d'un couple de femmes par PMA. J'y suis favorable.

La PMA et le don de gamètes intéressent la société au premier chef, mais le texte comporte également d'autres mesures d'importance. Ainsi, le Sénat a interdit, sur proposition de la commission spéciale, la création d'embryons chimériques homme-animal et animal-homme et l'introduction de cellules pluripotentes dans un animal. Les recherches sur des embryons non implantables, avec l'accord du couple, ont été autorisées à titre dérogatoire jusqu'à 21 jours : les implications médicales d'une meilleure compréhension de la différenciation des cellules à ce stade sont majeures.

Les dons d'organes, de cellules hématopoïétiques et de sang sont facilités par l'article 5 du projet de loi. Le délai de réflexion des parents avant une interruption médicale de grossesse (IMG) est supprimé.

Si le texte ne comprend aucune mesure relative à la GPA, le Sénat a interdit la transcription intégrale d'actes de naissance étrangers faisant mention d'un parent d'intention dans l'état civil français ; j'ai voté cet amendement.

Les questions soulevées par le projet dépassent les clivages politiques traditionnels. Chacun votera conformément à ses valeurs, à ses idées et à ses croyances. À titre personnel, je voterai ce texte, tout en regrettant certaines suppressions. Le groupe Les Indépendants, qui porte bien son nom, exprimera des opinions variées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean-Marie Mizzon .  - (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe UC) Je salue l'excellence des rapporteurs et leur remarquable sens de l'écoute. Grâce à eux, le Sénat a largement consulté, au bénéfice du débat démocratique. Il est appréciable de pouvoir débattre d'un sujet majeur sans procédure accélérée. (M. le président de la commission spéciale approuve.)

La commission spéciale a adopté 137 amendements et, pour l'essentiel, le Sénat a confirmé sa position. Il a ainsi voté l'élargissement de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes ; rejeté l'autoconservation des gamètes sans motif médical ; précisé les modalités d'accès aux origines ; rappelé l'interdiction du recours à la GPA et de la création d'embryons transgéniques ; soutenu la possibilité de tests génétiques pour le dépistage de certaines maladies.

À l'article 3, nous avons trouvé un point d'équilibre sur l'accès aux origines des enfants issus d'un don de gamètes, qui respecte aussi l'identité des donneurs.

L'article 4 a été réécrit de manière à faciliter l'adoption par la mère d'intention, sans établissement de deux filiations maternelles pour le même enfant. C'est une réponse au nouveau fait social créé par l'article premier. Certains sénateurs de mon groupe s'interrogent toutefois sur l'adéquation de la proposition sénatoriale avec les attentes des couples de femmes.

L'article 3 bis ouvrait la réflexion sur la GPA. Le Gouvernement comme le Sénat ont voulu le supprimer. D'aucuns considèrent cependant que le texte, en se limitant à des considérations juridiques et de filiation, ne va pas assez loin pour interdire le recours à la GPA.

Le Sénat a interdit les tests génétiques à visée généalogique et les diagnostics préimplantatoires destinés à rechercher des aneuploïdies L'article 14 porte la durée de recherche sur l'embryon à 21 jours, par dérogation, et soumet les recherches sur les cellules souches embryonnaires à un régime de déclaration.

La suppression de l'article 17, qui permettait la création d'embryon chimériques et de chimères par l'introduction de cellules pluripotentes, est heureuse. En revanche, l'article 4 aurait dû être modifié en conséquence des corrections apportées à l'article premier, lequel, tout en ouvrant la PMA à toutes les femmes, interdit le double don de gamètes et, partant, la PMA à une femme seule stérile.

Après l'article 6

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 1222-11 du code des transports, il est inséré un article L. 1222-11-... ainsi rédigé : 

« Art. L. 1222-11-...  -  En cas de défaut d'exécution dans la mise en oeuvre du service garanti prévu à l'article L. 1222-1-2, l'autorité organisatrice de mobilité impose à l'entreprise de transports, quand celle-ci est directement responsable du défaut d'exécution, un remboursement total des titres de transports aux usagers en fonction de la durée d'inexécution des plans. La charge de ce remboursement ne peut être supportée directement par l'autorité organisatrice de mobilité.

« L'autorité organisatrice de mobilité détermine par convention avec l'entreprise de transports les modalités pratiques de ce remboursement selon les catégories d'usagers. »

La prise en charge par l'assurance maladie n'est possible que pour des cas d'assistances médicales à la procréation (AMP) pour indications médicales.

L'article 2 supprime l'autoconservation des gamètes sans raison médicale pour protéger les femmes des pressions de leurs employeurs.

Le diagnostic préimplantatoire a été confirmé. Les discussions ont été sérieuses et approfondies et le groupe centriste demeure partagé.

Pour ma part, je reste un opposant à la PMA parce qu'elle est l'antichambre de la GPA. (Marques de protestation sur plusieurs bancs à gauche)

M. Bruno Sido.  - C'est pourtant vrai !

M. Jean-Marie Mizzon.  - Je ne suis en rien réfractaire à la marche du progrès. (M. David Assouline s'interroge.) Madame la ministre, le 21 janvier, vous déclariez ici-même : « nos choix reflèteront nécessairement un certain état de la science, des mentalités et de l'éthique. Ils résulteront de la confrontation entre le possible et le souhaitable, entre des parcours individuels parfois douloureux et des conséquences collectives. C'est au Parlement et nulle part ailleurs que ces choix doivent être faits, car nous les ferons ensemble ».

Madame la ministre, vous les ferez sans moi. Les enfants, nés d'êtres humains, doivent rester des êtres humains avec leurs beautés et leurs imperfections. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe UC, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après avoir rapporté devant vous une partie du texte, il me revient d'exprimer le vote du groupe Les Républicains. Il ne sera pas unanime, car certains, dont je ne suis pas, estiment qu'il associe à tort des décisions sociétales - telle l'extension de l'AMP aux femmes seules et aux couples de femmes - aux questions véritablement bioéthiques. Comme le disait le président Milon à l'issue de la discussion des articles, chacun avait en tête son texte idéal et personne ne se retrouve dans celui-ci.

Trois lignes directrices se dégagent de nos débats. La première : nous n'avons rien cédé au militantisme et tout fondé sur la cohérence juridique. Le rôle de la sécurité sociale n'est pas de financer des actes médicaux mais des actes portant sur les risques et conséquences de la maladie. Les mères doivent avoir les mêmes droits et obligations à l'égard des enfants, mais nous avons maintenu la différence entre la mère biologique et la mère qui le devient en adoptant l'enfant. L'interdiction de la transcription de l'intégralité des actes d'état civil établis à l'étranger relève de la même cohérence.

Deuxième ligne directrice : les choix éthiques établissent les limites que la condition humaine fixe à la science. Nous avons en ce sens supprimé le dépistage préimplantatoire des anomalies chromosomiques sur les embryons, interdit les modifications génétiques, les embryons transgéniques et chimériques. Nous avons accompli un vrai travail de bioéthique, en traçant ces lignes rouges.

La liberté est notre troisième ligne directrice, liberté de vote et de parole. Nous avons eu le temps de nous exprimer très librement, ayant eu la sagesse collective de ne déposer qu'un nombre limité d'amendements.

Un vrai débat s'est instauré, où nous avons exprimé nos oppositions, nos doutes et nos convictions. La liberté de vote s'est exercée tout au long des débats, donnant lieu à des positions contrastées dans le groupe Les Républicains. C'est l'émanation du respect que nous avons les uns pour les autres. Notre groupe exprimera donc son vote dans la cohésion comme dans la liberté. (Applaudissements et marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe UC)

M. Jacques Bigot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Ne plus avoir de voix quand il faut expliquer quelle voix portera mon groupe, reste pour le moins compliqué... (Sourires)

Les lois de bioéthique viennent régulièrement nous interpeller sur la manière dont la société doit intégrer les progrès scientifiques. Les débats ont été nourris, intenses, riches de nos interrogations et de notre liberté de vote sur des questions de conscience et sur ce que nous pensons des attentes de nos concitoyens en la matière. Je remercie la commission spéciale, le président et les rapporteurs pour la qualité du travail accompli.

La convention d'Oviedo, souvent citée dans nos débats, insiste en son article 28 sur la nécessité du débat public : « les Parties à la présente Convention veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l'objet d'un débat public approprié à la lumière, en particulier, des implications médicales, sociales, économiques, éthiques et juridiques pertinentes, et que leurs possibles applications fassent l'objet de consultations appropriées. »

Voilà pourquoi nous avons un Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Depuis plus de dix ans, en Alsace, le professeur Israël Nisand organise, avec le soutien de la ville et de la métropole, des débats de bioéthique qui passionnent les gens, notamment sur la fin de vie ou sur des questions aussi permanentes que celle-ci : « quel être humain pour demain ? »

Dans son avis 129, le CCNE a indiqué que ce texte à venir, celui dont nous discutons à présent, devait être une loi de confiance de l'individu sur les grandes avancées des sciences plutôt qu'une loi d'interdiction. Nous n'avons pas répondu à ce voeu.

Dans le cadre de l'AMP, au titre premier, la question de la parentalité aurait dû être abordée plus profondément. À côté de la parentalité biologique, une autre parentalité que la parentalité charnelle ou adoptive existe dans le cadre de projets parentaux portés par des femmes. La situation est plus compliquée pour les couples d'hommes car il y a utilisation d'un corps de femme, ce qui est contraire à nos principes éthiques. Cette question n'a pas été abordée. Nous aurions pu faire mieux.

L'enfant né de PMA doit pouvoir comprendre qu'il est né d'un donneur, au même titre que celui qui renaît grâce au rein issu d'un donneur. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur de nombreuses travées des groupes SOCR, CRCE et sur quelques travées du groupe LaREM)

Madame la ministre, je savais que votre Gouvernement avait des certitudes absolues. Il vient de reconnaître qu'il peut parfois se tromper ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les marcheurs auraient pu être un peu plus « en marche », (Quelques sourires sur les mêmes travées) s'ils s'étaient inspirés des conseils du CCNE.

Le titre III est très en deçà de ce que nous attendions sur la diffusion des progrès scientifiques et technologiques dans le respect des principes éthiques, que le Gouvernement a entendu limiter. Quant au titre IV, des évolutions minimes, concédées alors que vous n'étiez pas à votre banc, madame la ministre, permettront de sauvegarder la recherche génétique française, mais c'est insuffisant.

Nous sommes conscients qu'une telle loi de révision bioéthique ne peut jamais être parfaite. Il reste à l'évidence des marges de progrès. La majorité de notre groupe votera pour ce texte en constatant quelques petites évolutions. Nous espérons pouvoir revenir avec de meilleurs sentiments. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Le respect a toujours prévalu dans nos débats, d'une grande intensité, sur un sujet qui touche à l'intime. Je salue notamment les qualités pédagogiques de Mme Jourda (M. Loïc Hervé approuve.) même si je ne partage pas toutes ses convictions.

Naissance, mort, maladie, désir d'enfant, intérêt de l'enfant, barrières éthiques que nous souhaitons poser aux progrès de la science, ce « nous » désignant la société autant que les parlementaires qui s'efforcent de la représenter : telles étaient les questions sensibles et difficiles à trancher par le projet de loi.

Une forme d'appréhension a envahi certains à l'approche de l'examen de ce texte. Cependant, c'est à nous, parlementaires, élus démocratiquement sans mandat impératif, de légiférer, d'ériger des lignes rouges, à travers la diversité de notre histoire, de nos valeurs et de celles de nos foyers, mais aussi de ce que nous comprenons de la société et ce qu'elle souhaite.

La majorité de notre groupe estime que la société est désormais prête à accueillir des familles fondées sur une approche affective de la parentalité.

Ma propre éthique m'a poussée à toujours défendre la capacité des femmes à décider. J'ai deux grands regrets après la première lecture du projet de loi par notre assemblée. Mon premier concerne la PMA pour toutes : pour qu'elle représente un droit réel et afin de ne pas créer de rupture d'égalité, son remboursement ne doit pas être limité aux cas d'infertilité médicalement prouvés, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours avéré chez les couples hétérosexuels. Mon second porte sur l'autoconservation des ovocytes. Le vote s'est hélas cristallisé sur l'ouverture de cette pratique aux établissements privés à but lucratif. Notre groupe a majoritairement voté contre l'article, alors qu'il approuvait la mesure relative à l'autoconservation, par crainte d'une marchandisation que nous rejetons sans équivoque. Le débat s'est également concentré sur les pressions sociales que pourraient subir les femmes. Il est salutaire de les prendre en compte, mais ne conviendrait-il pas de laisser les femmes décider ? (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)

Les débats sur la PMA post mortem ont été empreints de dignité, mais je regrette le rejet auquel ils ont conduit. Il en va de même pour l'interdiction du double don de gamètes et du diagnostic préimplantatoire.

Quant à la filiation, je m'oppose à l'article 4 bis qui pénalise l'enfant né d'une GPA à l'étranger. Je regrette tout autant le vote de la majorité sénatoriale sur la filiation par adoption pour la mère d'intention des enfants nés par PMA au sein d'un couple de femmes. La mesure ne va pas dans le sens du progrès.

Je suis, en revanche, favorable à l'interdiction des tests génétiques à visée généalogique. Après des débats riches et argumentés, je reste convaincue que le recueil des données génétiques doit être étroitement encadré.

Sur l'ensemble de ces sujets, les clivages traditionnels entre la gauche et la droite ne tiennent pas plus que les appareils partisans. De fait, ce texte ne satisfera sans doute personne. Nous avons dû faire des choix qui auront des conséquences sur la vie des Français. Pour eux, le groupe RDSE ne peut se résoudre à rendre copie blanche. Il votera majoritairement pour l'adoption du texte. Nous profiterons de la deuxième lecture pour tenter de vous convaincre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) C'est avec honneur et fierté, mais non sans difficulté, que je donnerai la position du groupe LaREM. Des convictions personnelles divergentes se sont exprimées dans tous les groupes. Les nombreuses mises au point au sujet de votes en témoignent.

L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à toutes les femmes constitue une mesure juste. Les réticences qui se sont exprimées ne sont pas éthiques, mais culturelles, voire cultuelles. Je regrette que le Sénat, à peine après avoir ouvert un nouveau droit, l'ait aussitôt restreint en réservant le remboursement de la PMA par l'assurance maladie aux problèmes médicaux.

Cette exclusion crée une rupture d'égalité de droit d'accès entre celles qui auront les moyens de recourir à l'AMP et les autres. En outre, 15 % des couples hétérosexuels qui y recourent ne présentent aucune infertilité médicalement constatée. Seront-ils exclus de cette technique ? Ceux qui ont eu un enfant biologique après une AMP seront-ils contraints au remboursement ? Enfin, les AMP réalisées à l'étranger seront-elles prises en charge par l'assurance maladie ?

L'extension de l'AMP ne représente pas un risque de glissement vers la GPA - l'exemple de l'Espagne et de la Norvège le prouve - d'autant que nous avons réaffirmé l'interdiction de la GPA en France. Nul n'a de droit à l'enfant et l'intérêt supérieur de l'enfant a d'ores et déjà valeur constitutionnelle et supraconstitutionnelle. Nous nous sommes ainsi opposés à la transcription intégrale dans l'état civil des actes de naissance des enfants nés de GPA à l'étranger.

S'agissant de la levée de l'anonymat du donneur de gamètes, il serait cruel et inégalitaire de priver l'enfant de la connaissance de ses origines et de le laisser dans l'incertitude jusqu'à sa majorité.

Le rejet de l'autoconservation des gamètes est regrettable. Le dispositif permet aux femmes de reporter une grossesse et leur laisse une chance supplémentaire de rencontrer un partenaire sérieux. Soyons honnêtes, messieurs, ce ne sont pas les femmes qui ont procrastiné le plus en matière de parentalité... (Mmes Catherine Procaccia et Sophie Primas applaudissent avec enthousiasme.) Punissons les employeurs qui font subir des pressions en la matière et cessons de traiter les femmes comme des petites choses fragiles qui auraient besoin d'être protégées de tous y compris d'elles-mêmes et laissons les disposer enfin de leur corps ! 

Mme Sophie Primas.  - Bravo !

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Je déplore également l'interdiction des chimères. Une certaine défiance vis-à-vis du monde scientifique s'est fait jour lors de l'examen de ce texte. (M. Roger Karoutchi en doute.) Nous avons néanmoins engagé des débats intéressants sur la PMA post mortem et sur les tests génétiques.

Je regrette enfin le choix du Sénat s'agissant du mode de filiation des enfants nés par PMA dans un couple de femmes. Nous aurions souhaité placer tous les parents sur un pied d'égalité. Espérons que la navette parlementaire nous permette de poursuivre la réflexion.

Il n'existe pas, madame la ministre, les garants de l'ordre moral d'un côté et, de l'autre, ceux qui le conduiraient à sa perte. Nous ne pouvons nous résoudre à voter contre une avancée des droits, une avancée sociétale telle que l'extension de l'AMP pour toutes. Nous sommes attendus, au-delà de ces murs, sur cette promesse présidentielle.

J'avoue avoir éprouvé un certain malaise, face aux propos considérant les femmes soit comme des êtres égoïstes mus par leurs désirs individuels, soit comme des êtres prétendument fragiles, voués à être instrumentalisés... (Marques d'approbation de plusieurs sénatrices) Ces débats nous ont montré que le patriarcat et le paternalisme ont encore de beaux jours devant eux !

Parce qu'il est hors de question de laisser place au doute, parce que les symboles tels que l'AMP sont plus forts que les reculs enregistrés ici, notre groupe votera majoritairement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur quelques travées du groupe RDSE ; MJean-Pierre Sueur applaudit également.)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Il va être procédé dans les conditions prévues par l'article 56 du Règlement au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi relatif à la bioéthique.

Si vous disposez d'une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s'affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant.

Si vous avez donné une délégation et que vous êtes finalement présent, vous pouvez voter directement en insérant votre carte dans votre terminal de vote. La position que vous exprimerez ainsi primera sur un vote exprimé par délégation : même si le délégué vote pour vous, c'est votre position qui sera enregistrée.

Le scrutin est ouvert.

M. le président. - Avant de donner les résultats, je tiens à signaler que nous sommes 326 en séance. Preuve de l'engagement du Sénat sur ces questions majeures !

Voici le résultat du scrutin n°89 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 296
Pour l'adoption 153
Contre 143

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE)

M. David Assouline.  - Heureusement que la gauche existe, madame la ministre !

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Nous voilà parvenus, à l'issue de quinze jours de débat, à un moment important. Chacun a pu mesurer la dimension singulière de ce texte et ses conséquences concrètes dans la vie de nos concitoyens.

Des possibilités sont ouvertes par le progrès scientifique et technologique, qui avance à une vitesse effrénée ; des volontés particulières s'expriment, selon les convictions de chacun ; mais à la fin, la volonté générale doit s'incarner dans la loi. Nous avons cheminé sur la ligne de crête, entre possible et souhaitable. C'est aux représentants de la Nation de discerner et de tracer la frontière.

Je me réjouis que l'AMP soit ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules, malgré les divergences sur les modalités de prise en charge par l'assurance maladie ; et que cette assemblée reconnaisse les familles dans toute leur diversité, dans les droits et les devoirs qui leur incombent. Leurs projets parentaux seront reconnus par la loi. J'ai une pensée pour ces familles, qui nous attendent.

Je l'ai dit : aucun principe bioéthique fondamental ne doit être mis en tension. C'est pourquoi j'ai souhaité la suppression de certaines dispositions génétiques introduites par la commission spéciale : nous en sommes encore au temps de la recherche sur les mutations génétiques.

À l'article 2, j'ai estimé que l'ouverture de l'autoconservation aux centres privés lucratifs ne garantissait plus un cadre protecteur. Je pense sincèrement qu'il faut rejeter cette mesure.

À l'article 3, nous plaiderons avec Adrien Taquet pour le rétablissement du texte de l'Assemblé nationale. Il n'est pas souhaitable que certains enfants devenus majeurs accèdent à l'identité des donneurs, tandis que d'autres ne le pourraient pas. Nous proposerons pour la même raison de justice, avec Mme Belloubet, de rétablir les dispositions de l'Assemblée nationale à l'article 4 sur la filiation. (Murmures à droite) Il n'y a pas de raison, en cas de projet parental porté par deux femmes, d'imposer à l'une d'elles de passer par l'adoption.

Mme Sophie Primas.  - Le Sénat travaille donc pour rien ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Concernant l'article 4 bis, nous souhaitons que le débat se poursuive afin de réaffirmer une règle simple. La conformité de transcription de l'acte de naissance de l'enfant s'apprécie au regard de la loi française. Il est hors de question de légaliser la GPA, à laquelle nous sommes farouchement opposés. (M. André Reichardt le conteste.) Mais il faudra trouver le bon équilibre afin de sécuriser l'état civil de l'enfant.

Avec Frédérique Vidal, nous avons décidé de relever d'emblée les points susceptibles de déséquilibrer le projet de loi. Ainsi les recherches sur l'embryon doivent avoir pour seul but d'améliorer les connaissances sur la biologie humaine et sur la santé. Les articles concernant la recherche ont été profondément modifiés et je ne doute pas que le débat restera dense lors des prochaines lectures. Un certain nombre de points seront approfondis dans les prochaines navettes parlementaires mais je salue aujourd'hui la qualité, la sincérité et la richesse des débats qui ont eu lieu, malgré les divergences. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe RDSE)

M. le président.  - N'anticipons pas la deuxième lecture ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et RDSE) C'est mon rôle de président du Sénat de le rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées des groupes UC, RDSE et SOCR)

Nous ne sommes pas seulement la chambre des collectivités territoriales mais aussi celle de la société française ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR ainsi que sur plusieurs travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants)

La séance est suspendue à 15 h 40.

présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente

La séance reprend à 15 h 50.