Risques naturels majeurs outre-mer

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les risques naturels majeurs outre-mer, à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

M. Guillaume Arnell, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur quelques travées des groupes LaREM et UC) Voici plus de deux ans, le 6 septembre 2017, le cyclone Irma frappait les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l'Hexagone semblant découvrir la puissance des cyclones en même temps qu'il se souvenait qu'au-delà des mers, des îles françaises étaient dévastées.

La délégation sénatoriale aux outre-mer s'est engagée dans un travail de longue durée pour tirer les leçons des risques naturels majeurs. Les changements climatiques ne feront que multiplier ces catastrophes.

Du traumatisme devait émerger une prise de conscience collective. Merci au président du Sénat d'avoir soutenu cette initiative.

Merci au président de la délégation aux outre-mer, M. Magras, ainsi qu'aux rapporteurs Darnaud, Jasmin, Hassani et Rapin. Notre travail a débouché sur deux rapports et une centaine de recommandations. Notre choix a été celui de l'ouverture et de l'exigence.

Le temps est venu de l'action. Madame la ministre, comment allez-vous adapter les plans de prévention des risques naturels aux réalités de nos territoires ?

Quels moyens financiers pour la prévention ? Assouplira-t-on le recours au fonds Barnier ? Comment allez-vous accompagner nos collectivités territoriales et accroître la préparation de nos pays ?

Mayotte, Wallis et Futuna manquent cruellement de moyens pour la gestion des crises.

Quels fonds d'intervention rapide après crise ? Comment accroître la résistance des réseaux vitaux en cas d'aléas ? Quelles préconisations sur le renforcement des normes de construction sur lesquelles travaille la Nouvelle-Calédonie ? Quid des moyens sur le nouveau volcan au large de Mayotte ? Quels moyens donnés aux collectivités qui luttent contre les sargasses ? Quelles ambitions pour lutter contre les changements climatiques et les risques de submersion de la Polynésie française ?

Bien plus qu'un simple texte de loi, c'est une ambition globale qui s'impose. Aussi, si la Délégation sénatoriale aux outre-mer a demandé ce débat en amont de ce projet, c'est bien pour éclairer le Sénat sur les grands enjeux qu'il portera. C'est aussi pour vous montrer notre attente, vous dire que nous resterons vigilants pour que ce sujet ne donne pas lieu à de grands discours mais à peu de réalisations. C'est encore pour souligner que l'action que nous appelons de nos voeux ne peut être que collective, appuyée sur nos territoires, leurs populations et les élus de nos collectivités. C'est enfin pour qu'aucun de nous n'oublie la puissance dévastatrice que nous avons connue.

Séismes, éruptions et cyclones ont jalonné l'histoire de nos territoires sans susciter de politiques ambitieuses. Il y va de notre responsabilité à tous de bâtir la résilience de nos outre-mer. Comment ne pas saluer particulièrement les collègues de l'Hexagone qui montrent un intérêt de plus en plus affirmé à l'outre-mer grâce aux travaux de notre délégation ? (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du groupe CRCE)

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer .  - Les ouragans Irma et Maria nous ont tous marqués. S'ils sont imputables aux changements climatiques, ils pourraient connaître une violence accrue à l'avenir. Ces deux ouragans ont causé 11 décès, 95 % de bâtiments endommagés, 20 % de bâtiments détruits et 3 milliards d'euros de dégâts pour les seuls biens assurés.

Il est donc indispensable de mener, dans la durée, les différentes actions qui nous préparent, tous collectivement, à faire face aux risques naturels. Ainsi, nous devons connaître et comprendre les risques de catastrophe pour mieux les gérer, renforcer la gouvernance des risques pour être davantage efficace dans la préparation et l'action de gestion de crise, investir dans la prévention des risques de catastrophe pour renforcer la résilience des populations et des territoires, améliorer les savoirs et savoir-faire pour faire et reconstruire mieux.

C'est l'ambition du « zéro vulnérabilité aux risques naturels » que je porte pour nos territoires à l'horizon 2030, dans le cadre de la Trajectoire outre-mer 5.0. Cette ambition est d'autant plus indispensable outre-mer que les aléas et les enjeux spécifiques sur ces territoires sont énormes.

Les outre-mer sont les territoires les plus exposés aux aléas. En outre, ils ont une forte démographie et beaucoup d'habitats informels.

La distance et l'insularité doivent être intégrées, notamment dans la préparation de la gestion de crise et l'action post-aléa.

L'État n'a cessé de renforcer ses moyens humains et financiers pour les outre-mer. Les moyens des préfets outre-mer ont augmenté de 20 % entre 2012 et 2020.

Le Président de la République a souhaité dynamiser la prévention et la gestion des risques en créant par décret du 15 mai 2019 la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer.

Il s'agit de renforcer la prévention des risques de séisme à Mayotte, de mieux appréhender les sargasses aux Antilles, ou encore de développer une culture du risque au sein de la population.

Le fonds Barnier est très utilisé dans les DROM et les COM. Ainsi, 52 millions d'euros ont été mobilisés en 2019 dans les DROM. La loi de finances pour 2019 a également facilité le recours au fonds Barnier, en permettant d'accompagner les collectivités à des montants plus élevés qu'initialement prévus pour la mise aux normes parasismiques des établissements scolaires, de financer le confortement parasismique ou la construction des bâtiments domaniaux utiles à la gestion de crise, d'assouplir les plafonds des mesures de confortement des HLM et des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

Nos actions s'appuient sur le socle commun des outils de prévention des risques avec une mise en oeuvre adaptée.

La réduction de la vulnérabilité passe par la réalisation de plans de prévention des risques (PPR) : c'est le cas dans toutes les communes de Guadeloupe, de Martinique et de Saint-Pierre-et-Miquelon, de 6 sur 17 à Mayotte et de 9 sur 22 en Guyane. À Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, les révisons sont en cours. Nous devons apprendre à mieux travailler ensemble entre l'État et les collectivités.

Le décret de juillet 2019 sur Saint-Martin laisse une marge d'appréciation locale, notamment en matière de renouvellement urbain.

Un budget de 6 milliards d'euros est prévu pour le plan séismes d'une durée d'une trentaine d'années. Nous travaillerons sur le bâti public existant : dans une première phase, nous avons déterminé la vulnérabilité de ces bâtiments. Ainsi, quelque 860 millions d'euros ont été investis entre 2015 et 2017, dont 397 millions de l'État. Il s'agit désormais d'amplifier le rythme des réalisations. Le délégué interministériel aux risques majeurs s'est vu confier la présidence du comité de pilotage. La première réunion a eu lieu et ce fut une réussite.

Les outils de prévention des risques naturels sont globalement adaptés au changement climatique.

La Caisse centrale de réassurance a réalisé une étude qui prévoit une intensité accrue des cyclones dans le nord des Antilles. Nous devons nous y préparer.

Les préfets mènent des concertations sur le terrain : plus de 1 500 personnes y ont participé.

La Direction générale des outre-mer (DGOM) va travailler sur le projet de loi à partir de toutes ces données. Il sera transmis fin février-début mars au Conseil d'État. Les collectivités d'outre-mer seront ensuite consultées.

Bien sûr, la loi est extrêmement importante mais, comme l'a dit le sénateur Arnell, il faut aussi travailler territoire par territoire. (MM. Michel Magras et Jean-Claude Requier applaudissent.)

M. Robert Laufoaulu .  - Nos outre-mer sont particulièrement sensibles au changement climatique du fait de leur insularité et de leur situation géographique. Il faut investir dans la recherche, l'observation et la prévention des risques.

L'intensité et la fréquence des phénomènes sont croissantes : pluies torrentielles, cyclones, risques sismiques, tsunami, qui ont pour conséquences des mouvements de terrain, des inondations et des infiltrations d'eau salée dans les nappes phréatiques dont l'eau sera à terme impropre à la consommation et à la culture agricole. Les écosystèmes littoraux seront affectés par l'augmentation du niveau de la mer et par l'acidification des océans. Des marges de progrès existent pour les territoires d'outre-mer les plus démunis comme Mayotte ou Wallis et Futuna. Des investissements d'équipements - météo ou holographes - doivent être réalisés. Qu'envisage le Gouvernement ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Je vous rejoins sur la nécessité de conserver des systèmes de surveillance de qualité. Nos territoires d'outre-mer sont les vigies du dérèglement climatique. Ils doivent être équipés pour assumer ce rôle. Les risques sont largement gérés avec un observatoire volcanologique et sismique à la Guadeloupe. Idem pour les inondations et les cyclones.

Des modèles de submersion ont été réalisés. Nous maintiendrons notre capacité sur les trois bassins.

Les Centres de recherches insulaires et observatoire de l'environnement (Criobe) en Polynésie travaillent sur le corail notamment. Les barrières de corail nous protègent et il nous faut travailler sur ces sujets. Entre 2018 et 2019, Mayotte a connu des séismes. Un volcan sous-marin a été découvert qui est surveillé de près. Tous les moyens sont mis en place.

M. Jean-Paul Prince .  - L'ouragan Irma a eu des conséquences dramatiques affectant profondément les constructions des îles touchées, dont Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Les dégâts ont été significativement plus importants à Saint-Martin qu'à Saint-Barthélemy en raison de la plus grande présence d'habitat informel ou insalubre couplé à un moindre respect des règles d'urbanisme. En outre-mer, la précarité de l'habitat démultiplie l'impact des catastrophes naturelles.

Les habitats insalubres ou qui ne sont pas aux normes ne sont pas assurés, ce qui complique encore un peu plus la situation des victimes.

Quelles réponses face aux enjeux fonciers et à la gestion des cadastres ultramarins ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Vous soulignez à juste titre l'importance du respect des règles d'urbanisme. L'action de l'État est multiple : les outre-mer sont souvent en avance sur l'Hexagone en matière de plan de prévention des risques (PPR). Ce sont les communes qui fixent les règles d'urbanisme. L'État est plus particulièrement vigilant dans les zones à risque. Il apporte des financements significatifs, soit 93,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et 101 millions d'euros en crédits de paiement consacrés via la LBU à la lutte contre l'habitat indigne, pour plus de 12 000 ménages entre 2015 et 2019. Quelque 125 millions d'euros ont été consacrés à la réhabilitation de 6 000 logements et la construction de 2 000 logements durant la même période. À cela s'ajoute le rétablissement de l'aide à l'accession en loi de finances pour 2020. Une politique spécifique de lutte contre l'habitat spontané et précaire sera expérimentée à Mayotte.

M. Mathieu Darnaud .  - Guillaume Arnell a fait état du rapport de la délégation à l'outre-mer dans lequel nous avons souligné la diversité des risques. Cette vulnérabilité et cette exposition croissante appellent des réponses urgentes, surtout en matière de prévention. Or les collectivités territoriales dénoncent un manque de soutien. Elles pâtissent d'un manque d'ingénierie et souffrent des conditions difficiles d'accessibilité au fonds Barnier. La délégation a donc demandé la création, au sein du fonds Barnier, une section propre aux outre-mer, avec des conditions d'éligibilité assouplies, sous gestion conjointe du ministère de l'action et des comptes publics, du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère des outre-mer.

Par ailleurs, nous avons demandé à revenir sur le plafonnement des ressources affectées au fonds Barnier voté en loi de finances pour 2018.

Nos collègues Hassani et Rapin ont noté des progrès à la faveur de la loi de finances pour 2019, notamment en ce qui concerne des assouplissements de plafonds, mais aussi s'agissant du Plan séismes Antilles (PSA).

Quelles évolutions législatives, réglementaires et budgétaires pour que le fonds Barnier prenne mieux en compte les outre-mer ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Les outre-mer bénéficient de dispositions plus favorables que l'Hexagone, ce qui est normal au vu des conditions.

Le plafond du taux de soutien aux collectivités territoriales peut aller jusqu'à 80 % contre 50 % dans l'Hexagone. Je ne crois pas que la question soit financière. Chaque année, la part du fonds Barnier consacrée à l'outre-mer augmente : en 2017, 23,7 millions d'euros ont été mobilisés ; en 2018, 37,8 millions d'euros ; en 2019, 52,2 millions d'euros. En revanche, les questions de l'ingénierie et de la maîtrise d'ouvrage se posent. Nous avons donc ouvert à l'AFD une ligne budgétaire de 7 millions pour accompagner tous les projets des TOM.

Les collectivités territoriales peuvent aussi mobiliser le Fonds européen de développement régional (Feder), le pseudo fonds vert de l'AFD et les aides de la Caisse des dépôts et de consignations (CDC).

L'ingénierie reste une priorité pour moi.

Mme Victoire Jasmin .  - Les conséquences sociales, environnementales, urbaines, économiques, humaines du cyclone Irma ont été lourdes.

Je remercie la délégation aux outre-mer de son travail sur les risques naturels en outre-mer. Les réponses doivent donc, dans le cadre de la différenciation de chaque territoire, être diverses et adaptées aux réalités de chaque région.

La prévention est prioritaire pour mieux anticiper les risques et leurs aléas. Des moyens matériels et humains doivent être mobilisés pour la mise à niveau des dispositifs territoriaux d'alerte.

Il faut impliquer chacun pour mieux vivre avec les aléas, en renforçant l'anticipation et les capacités des particuliers et des entreprises à se préparer.

Les amendements Antiste lors du budget 2020 et le mien lors du budget 2019 étaient des appels à revoir les modalités d'attribution du fonds Barnier, difficilement mobilisable par les collectivités d'outre-mer.

L'adaptabilité est désormais la règle ; la culture du risque est fondamentale. Que ferez-vous pour les encourager ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Nous avons connu la violence d'Irma ; nous devons nous préparer à pire. Le nord des Antilles sera certainement touché par des cyclones encore plus violents dans les années à venir. Cela oblige à la formation, celle des fonctionnaires, mais aussi des populations, sur le modèle des journées japonaises.

La vigilance doit être de rigueur partout, pour nous préparer au pire.

Le délégué interministériel fera des propositions sur le fonds Barnier. Cependant, y a-t-il des projets qui n'auraient pas abouti faute d'accès au fonds Barnier ? Non. En revanche, des projets n'aboutissent pas par manque d'ingénierie ou d'accompagnement. C'est là qu'il nous faut améliorer les choses.

M. Stéphane Artano .  - En matière des risques naturels majeurs, la commune de Miquelon-Langlade est confrontée aux mêmes difficultés que celles pointés du doigt par nos rapporteurs, auxquelles s'ajoute un enjeu d'ingénierie qui pèse fortement sur ses équipes. De plus, le transfert de compétence de la protection du littoral à la commune, contre lequel je me suis opposé, n'a pas amélioré la situation.

Tout le village de Miquelon-Langlade est concerné par le risque de submersion marine. Le coût des travaux est largement supérieur à celui de l'Hexagone, même si le fonds Barnier peut financer une partie des études et des travaux.

Nous ne disposons néanmoins pas de taux dérogatoires à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pourrait-on réévaluer les taux du fonds Barnier pour tenir compte de ces conditions ?

En janvier dernier, nos concitoyens ont signifié leur désir de construire leur avenir au sud du village. Cette demande fera l'objet d'une réponse favorable du conseil territorial qui va urbaniser de nouvelles zones. Tous les acteurs devront être au rendez-vous, car ce sont toutes les infrastructures qu'il va falloir à terme relocaliser. Le président Stéphane Lenormand lancera cette concertation ce jeudi.

Vous avez indiqué vouloir soutenir la collectivité : quelle part y prendra l'État ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Évitons les comparaisons de qui a voté quoi. Saint-Pierre-et-Miquelon a son plan de prévention des risques naturels signé le 28 septembre 2018.

Il est important de repenser l'urbanisation du village de Miquelon en l'étendant vers des terrains non inondables. J'ai encouragé le développement d'un écoquartier qui pourra bénéficier des aides du fonds Barnier, de l'AFD et de la Caisse des dépôts et consignations. Je suis prête à y apporter mon soutien.

M. Stéphane Artano.  - Il est effectivement nécessaire de se projeter. Les communes mais aussi les particuliers doivent pouvoir envisager des travaux et j'aurais aimé que vous me répondiez sur un éventuel relèvement des taux de plafonnement du fonds Barnier.

M. Dominique Théophile .  - Depuis quelques années les échouements de sargasses se multiplient sur les côtes de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Ce flux complique l'accès à certaines zones touristiques. La décomposition des algues dégage du sulfure d'hydrogène et de l'ammoniaque.

J'attire depuis longtemps l'attention de la représentation nationale et du Gouvernement sur ce problème. Les parlementaires de tout bord demandent que ces échouements soient reconnus comme catastrophe naturelle.

Le 15 janvier, un sous-amendement de Catherine Conconne sur le sujet a été adopté. Vous avez alors parlé d'une alternative possible à la notion de catastrophe naturelle, que vous présenteriez à l'occasion de la loi en préparation sur les catastrophes naturelles. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Je sais votre engagement dans la lutte contre les sargasses. L'amendement Conconne sur la proposition de loi réformant le régime de catastrophes naturelles n'apporte rien, ou du moins n'aura pas d'effet : le caractère anormal de l'aléa tient à l'absence de conséquence directe entre le phénomène d'échouement et les dégâts sur les biens.

En effet, si on ramasse les sargasses dans les 48 heures, aucun gaz n'émane de ces algues. Il faut donc aider les collectivités sur le ramassage : c'est la seule solution à notre disposition. L'État a apporté 6 millions d'euros aux collectivités en 2018, 4,5 millions d'euros en 2019, en fonction des quantités d'algues échouées. Nous avons lancé des études pour mieux comprendre le phénomène. Une initiative législative n'apportera pas de solution concrète.

Mme Esther Benbassa .  - Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est formel. Le dérèglement climatique va croissant et touchera en premier lieu nos territoires ultramarins. Les cyclones, mais aussi les incendies, conséquences directes de la hausse des températures, ont déjà fait des dégâts. La fonte des glaciers et la montée des eaux augmentent le risque d'inondations et favorisent les affections vectorielles. Comment accroître la surveillance et préparer les populations outre-mer ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Les outre-mer seront touchés par le dérèglement climatique dans les trois bassins. Nous avons un rôle de vigie qui nécessite des moyens. Avec la ministre de la Recherche, nous développons des outils de recherche, pour mieux préparer les conséquences de ces changements climatiques. La France a un rôle essentiel à jouer. Un observatoire a été mis en place à Mayotte après la découverte du volcan sous-marin. Nous travaillons avec le Canada et l'Australie pour mieux préparer les populations aux conséquences du changement climatique.

Le Président de la République doit prochainement se rendre dans le Pacifique. Nous souhaitons partager les résultats de nos recherches avec les États voisins, notamment les plus petits, très vulnérables.

Un fonds recherche de 2,5 millions d'euros a été créé par l'Agence française de développement (AFD) pour répondre au besoin de résilience et d'adaptation dans les TOM.

Mme Esther Benbassa.  - La sinistralité liée au changement climatique ira crescendo. Nous ne pouvons plus fermer les yeux. Il faut un investissement conséquent pour prévenir les risques naturels majeurs.

M. Jean-Marie Mizzon .  - Les assureurs privés et la Caisse centrale de réassurance contre les risques naturels sont les deux acteurs majeurs dans notre pays pour faire face aux catastrophes naturelles. Or les assureurs privés tendent à quitter les territoires d'outre-mer trop exposés. Cela risque de provoquer une rupture d'égalité républicaine. Comment éviter ce phénomène ?

Les stations audiovisuelles publiques ont un rôle important à jouer en matière d'information des populations. La prochaine réforme de l'audiovisuel a-t-elle pris en compte cet enjeu ?

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

Mme Annick Girardin, ministre.  - Après une crise ou une catastrophe, la remise en marche des réseaux de communication est une priorité. Le projet de loi sur les risques majeurs comprendra des mesures pour le rétablissement des réseaux par les opérateurs. L'information est essentielle, notamment pour lutter contre les rumeurs qui entretiennent la peur. Les chaînes de télévision et les radios locales seront concernées par la réforme de l'audiovisuel. À Saint-Martin, l'absence de communication avec la population a été un élément très handicapant dans les premières heures. Les chaînes de télévision et les radios locales seront prises en compte dans la future loi sur l'audiovisuel.

M. Michel Vaspart .  - L'excellent rapport Arnell-Hassani et Rapin traite des risques majeurs outre-mer. Il concerne notamment le recul du trait de côte, sujet majeur outre-mer, mais aussi en Bretagne d'où je suis élu - je songe notamment au Sillon de Talbert. Les situations sont très variables d'un territoire à l'autre. Pour élaborer une politique publique de long terme, il est impératif de poursuivre l'étude de l'état du trait de côte.

La connaissance progresse en la matière avec le concours du Bureau de recherches géologiques et minières et des services des directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Mais le rapport rappelle que les efforts des départements et régions d'outre-mer pour démarrer des projets de recomposition spatiale rencontrent certains freins juridiques et financiers qui ont fait l'objet d'une récente mission d'inspection interministérielle. Quand un travail spécifique dévolu aux outre-mer commencera-t-il ?

La recommandation n°20 du rapport propose l'ajustement régulier des plans de prévention des risques naturels (PPRN) aux évolutions du trait de côte, ainsi que l'intégration des outre-mer à la réflexion sur le financement des réaménagements rendus nécessaires par le recul. Qu'en pensez-vous ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Le recul du trait de côte concerne l'Hexagone autant que l'outre-mer. Le processus est irréversible. Des situations d'instabilité uniques au monde sont constatées dans les outre-mer. Le recul du trait de côte appelle un nouveau modèle d'aménagement et doit être pris en compte dans les PPRN. Dans certains territoires, les préfets peuvent aller plus loin que le seuil de 60 cm au-dessus du niveau de la mer.

Le Gouvernement envisage d'interdire les nouvelles constructions dans les zones menacées dans les trente prochaines années et la relocalisation de certaines autres ; mais aussi de recréer des forêts et des dunes pour ralentir l'érosion.

Sur le financement des réaménagements, des réflexions sont en cours avec le ministère de la Transition écologique et solidaire.

M. Maurice Antiste .  - Nos territoires sont chaque année durement touchés par des phénomènes climatiques majeurs, en particulier les cyclones. Cependant, il faut que les vents cycloniques atteignent 215 kilomètres/heure lors de rafales et 140 kilomètres/heure en moyenne pour être classés comme catastrophe naturelle. En 2007, plusieurs communes ont fait la demande de classement en catastrophe naturelle sans l'obtenir car les vents n'avaient pas atteint les seuils imposés. Parfois, les communes limitrophes ont vu leur demande acceptée car la vitesse de 215 kilomètres/heure avait été atteinte. Cependant les dégâts étaient les mêmes que dans les communes où cela avait été refusé. En outre, la limite est inférieure sur le continent. Comment sont définis les critères et sont-ils régulièrement revus ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - La garantie catastrophe naturelle prévue par les articles L. 125-1 et suivants du code des assurances couvre les dégâts non assurables. Il est possible de faire évoluer les critères par la loi, mais les dommages subis lors de catastrophes qui ne répondent pas à ces critères sont assurables, avec la garantie tempête, neige et grêle. Tous les particuliers, les entreprises, les collectivités territoriales assurées sont pris en charge, sans considération de seuil.

Une évolution des critères pourra être examinée lorsque je défendrai le prochain projet de loi sur les risques majeurs devant vous.

M. Maurice Antiste.  - Je dois donc compter sur votre engagement, madame la ministre. Il faut une plus grande transparence sur les critères et les méthodes d'analyse retenus pour déterminer le caractère d'événement anormal qui seront de moins en moins satisfaits avec le changement climatique. Or, pour que l'assurance fonctionne, il faut préalablement une déclaration de catastrophe naturelle.

Mme Catherine Dumas .  - Le rapport de la délégation aux outre-mer appelle à s'appuyer sur l'expérience des acteurs de l'urbanisme et de la construction, qui sont au plus près du terrain, pour adapter au mieux les règles.

À La Réunion, par exemple, face aux risques sismiques et cycloniques, la révision des règles de construction inadaptées est envisagée. À la Martinique, on cherche à prendre en compte les différents impacts des cyclones : projectiles, houle, glissements de terrain. En Nouvelle-Calédonie, on repense les référentiels de construction pour améliorer la qualité du bâti, mutualiser les expériences et élaborer des modèles pertinents et financièrement accessibles. Ce mouvement se généralise. Comment allez-vous l'accompagner ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - De nombreux travaux ont été lancés pour adapter la réglementation dans les territoires d'outre-mer.

Le ministère des Outre-mer a lancé le plan logement outre-mer, ciblé sur les DROM. Il soutiendra des expérimentations proposées par des entreprises du BTP, jusqu'à 200 000 euros exceptionnellement, via la BPI ; les DREAL seront mobilisées pour rechercher des matériaux et procédés nouveaux ; des commissions locales soutenues grâce à la ligne budgétaire unique locale exploreront l'adaptation aux spécificités climatiques.

L'État soutient les communes innovantes qui adaptent leur urbanisme aux risques. Un appel à projets du ministère de la Transition écologique et solidaire vise à imaginer le littoral de demain ; la commune du Prêcheur, en Martinique, menacée par la submersion, y a répondu en proposant un plan ambitieux de relocalisation progressive de l'habitat.

M. Victorin Lurel .  - Une fois n'est pas coutume, je vous félicite, madame la ministre, pour la qualité de la concertation qui préside à l'élaboration de votre texte. Il propose de bonnes idées, que le Sénat saura enrichir.

Le dispositif d'état d'urgence calamité exceptionnelle relève certes du régalien, mais doit cependant mieux associer les élus.

Concernant l'offre assurantielle, comment éviter l'explosion des surprimes, dans un contexte de trop faible concurrence et d'envolée des tarifs ? Je suggère de faciliter l'utilisation de l'article L.410-304 du code de commerce sur la régulation des marchés pour encadrer les prix. L'article premier de la loi de lutte contre la vie chère permet en effet de réguler les prix par un décret en Conseil d'État. Cela peut être nécessaire pour éviter la spéculation après une catastrophe naturelle.

Je ne vous rejoins pas en revanche sur votre volonté de faciliter les licenciements après une catastrophe naturelle. Inspirez-vous plutôt du principe allemand du Kurzarbeit, qui consiste à travailler moins pour licencier moins, afin de limiter les conséquences d'une baisse d'activité. Pourquoi ne pas l'instaurer en outre-mer ?

Enfin, les échouements massifs de sargasses constituent à n'en pas douter une anormalité. À l'État de faire un effort de solidarité nationale.

Mme Annick Girardin, ministre.  - Le futur projet de loi crée à titre expérimental une procédure d'instauration de l'état de calamité naturelle exceptionnelle pour les collectivités relevant des articles 73 et 74 de la Constitution et la Nouvelle Calédonie. Il serait déclaré par décret pour une durée d'un mois renouvelable et permettrait de présumer la condition de force majeure ou d'urgence. Il s'accompagne d'une exonération de l'octroi de mer et de dérogations temporaires au droit du travail. Nous en débattrons, car nous souhaitons donner aux collectivités toute leur place.

Le dispositif sera distinct de la reconnaissance de catastrophe naturelle, qui vise à régler la question de l'indemnisation des dégâts.

Je m'engage à étudier le meilleur moyen d'inscrire une référence à la loi de régulation économique que vous avez portée en 2012.

Mme Vivette Lopez .  - Je remercie nos collègues pour ce rapport d'information très dense.

L'aspect humain, les conséquences sanitaires et psychologiques de ces catastrophes sont trop souvent oubliées, alors que trois ouragans se sont succédé en trois semaines. Dans le cas d'Irma, un dispositif de prise en charge psychologique a été mis en place. Il est apparu que la population avait relativement peu sollicité un appui psychologique. Le drame a pourtant engendré choc, incompréhension et détresse ; des parcours de vie ont été brisés. Un suivi psychologique et psychiatrique est indispensable dans la durée.

Allez-vous, via Santé publique France, mettre en oeuvre ce suivi des pathologies et en dresser un bilan annuel ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - Irma a donné lieu à 3 910 actes médico-psychologiques à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et en Guadeloupe. Les capacités locales ont été renforcées par des renforts venus de l'Hexagone. Il ne faut pas oublier l'impact d'une telle crise sur le personnel de santé, qui a nécessité un accompagnement médical, technique, administratif et personnel.

Beaucoup de psychologues bénévoles sont eux aussi intervenus sans être toujours comptabilisés. Le plan Orsan, élaboré par l'ARS, comprend un plan de prise en charge médico-psychologique, en complémentarité avec le plan Orsec-NOVI. Il définit la stratégie régionale de prise en charge des blessés en tenant compte de l'âge, du tableau clinique, des spécificités territoriales.

Il faut aussi se rappeler qu'à Saint-Martin et ailleurs, il convient de prendre en compte les spécificités linguistiques dans la communication - anglais, espagnol ou créole. Vous avez raison de dire que les conséquences se font ressentir très longtemps après.

M. Marc Laménie .  - Je salue l'initiative de la délégation aux outre-mer et le travail de nos collègues sur cette question sensible, à la suite d'évènements climatiques dramatiques.

Il faut insister sur la prévention des risques. Il y a certes un droit à l'erreur en climatologie, et il n'est pas facile de cartographier les risques. L'urbanisme et la construction sont rendus particulièrement complexes, et le chiffrage est délicat.

Mme Annick Girardin, ministre.  - La prévention est en effet essentielle, à tous les niveaux : dans la formation des fonctionnaires mais aussi des élus, pour la prise en compte des risques dans les documents d'urbanisme. Il faut certes multiplier les journées de prévention japonaises dans les écoles.

Les territoires d'outre-mer ont la culture du risque. Combien de cyclones ou de catastrophes ont-ils subis ? Mais ces évènements sont de plus en plus sévères, ce qui suppose de réactualiser les données.

Nous avons beaucoup d'avance sur les plans de prévention des risques, car les préfets ont mesuré les défis et les risques spécifiques auxquels ils sont confrontés. La réponse adaptée passe par des plans spécifiques, élaborés et coconstruits territoire par territoire.

M. Marc Laménie.  - Merci. Le travail de sensibilisation et de cartographie est crucial.

M. Didier Mandelli .  - La France n'échappe pas aux effets du changement climatique, en particulier dans les territoires d'outre-mer. Vous avez évoqué leur rôle de « vigie ». Ils sont confrontés à l'élévation des mers, à l'érosion côtière, à l'acidification des océans qui affaiblit les coraux et mangroves protégeant le littoral.

S'y ajoutent les cyclones. Irma a occasionné 26 000 sinistres pour 1,9 milliard d'euros de dégâts. Le taux de reconstruction est seulement de 49 % à Saint-Martin, contre 87% à Saint-Barthélemy.

Quelles mesures ont pris l'État et les collectivités territoriales pour rendre plus résilientes les îles touchées ? Comment l'État compte-t-il adapter les normes de construction pour garantir la sécurité des biens et des personnes ?

Mme Annick Girardin, ministre.  - J'ai rappelé l'implication de l'État sur le volet régalien. J'ai évoqué le fonds Barnier, les interventions de l'AFD, du ministère de la Transition écologique et solidaire, le soutien du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Tout le Gouvernement est mobilisé pour financer des outils particuliers et surtout pour tenir compte des spécificités des territoires d'outre-mer.

Plusieurs rapports récents ont souligné l'inadéquation des normes de construction aux territoires ultramarins. Certains risques s'opposent : des toitures en dur sont nécessaires face aux cyclones, mais c'est un handicap du point de vue du risque sismique...

Il y a le législatif, mais aussi les plans locaux à mettre en place : les réalités des territoires sont très différentes. Chaque territoire a sa propre problématique.

Merci au Sénat d'avoir organisé ce débat qui nous incite à apporter des réponses rapides aux besoins. Vous êtes des vigies de l'évolution législative à l'égard des territoires d'outre-mer.

M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - Comme l'a rappelé M. Arnell, le choc d'Irma ne pouvait laisser le Sénat sans réaction. Le soutien du président Larcher a été essentiel, comme l'implication de Guillaume Arnell, épaulé par Mathieu Darnaud, Victoire Jasmin, Abdallah Hassani et Jean-François Rapin, dont l'expérience de médecin a été précieuse.

Notre délégation a coutume de qualifier les outre-mer de sentinelles du changement climatique. Votre implication, madame la ministre, doit être saluée, comme votre détermination à faire aboutir un texte pour améliorer la prévention et la réponse en cas de catastrophe.

Espérons que vous ne serez pas seule pour porter ce sujet au sein du Gouvernement, et que le travail de notre délégation éclairera le débat. Un dialogue constructif a d'ores et déjà été engagé avec le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer.

Certaines de nos recommandations relèvent du réglementaire, de la libre administration des collectivités territoriales, voire des opérateurs extérieurs. Je suis convaincu que les solutions ne peuvent venir que du terrain. C'est tout l'enjeu de la différenciation territoriale.

L'adaptation du cadre des PPRN suppose de rester à l'écoute des collectivités et des populations. Promouvons de véritables assises de la construction ultramarine, une mutualisation des expériences au service de l'acclimatation de la qualité de la construction, pour une meilleure protection face aux risques.

On ne peut parler de prévention, de gestion de crise et de résilience sans évoquer les populations auxquelles il faut inculquer une vraie culture du risque. En effet, les changements de populations sont très rapides et impliquent une sensibilisation renouvelée.

Il appartient désormais à chacun de s'approprier les recommandations de notre étude. Je sais que le moment venu, les commissions sauront se faire le relais de nos ambitions. (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.