Quelle réponse de la France au projet d'annexion de la vallée du Jourdain par l'État d'Israël ?

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème : « Quelle réponse de la France au projet d'annexion de la vallée du Jourdain par l'État d'Israël ? », à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Christine Prunaud, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste .  - Je remercie la Conférence des présidents de l'inscription de ce débat à l'ordre du jour.

Jean-Paul Chagnollaud, président de l'Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient, écrivait en 2017 : « Les gouvernements israéliens de ces dernières années ont tout fait pour tourner le dos à Oslo, accentuer leur contrôle sur la population palestinienne et accélérer la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est avec l'obsession d'y établir encore et encore des faits accomplis qu'ils veulent irréversibles. La prochaine étape est l'annexion de tout ou partie de la zone C, ce qui est déjà une réalité de facto dans la vallée du Jourdain entièrement absorbée par le système de domination israélien. »

Je partage totalement cette analyse. Les Palestiniens subissent un niveau de violence croissant, accepté par une grande partie de la communauté internationale.

Précisons d'emblée que la défense de la Palestine et du droit international n'est pas la remise en cause de l'État d'Israël.

Le 28 janvier 2020, Trump dévoile son plan de paix, ou plutôt de guerre. Les grandes puissances s'en sont seulement indignées. Impensable, pour les Palestiniens, de co-construire cette feuille de route qui ne leur laissait aucune place.

Le 1er juillet prochain, la Knesset se prononcera sur le plan de Netanyahou d'annexion de la vallée du Jourdain et des colonies juives en Cisjordanie.

Sachant qu'Israël occupe déjà au moins 85 % de la Palestine historique, ce vote serait la mort d'une solution à deux États. La proposition de Donald Trump est une provocation : un État palestinien démilitarisé et morcelé, archipel d'une demi-douzaine d'îlots séparés par des territoires israéliens, reliés par des ponts, tunnels, routes, check points, et une seule frontière avec un autre État, l'Égypte - frontière virtuelle car sous contrôle israélien.

Dans ce plan, il n'est plus question de retour des réfugiés et de leurs descendants. Il sera possible de transférer les 300 000 à 400 000 Palestiniens du Triangle. La résolution 194 de l'ONU ne sera pas plus appliquée que les précédentes.

En échange, Trump propose une aide de 50 milliards d'euros pour l'économie et le logement - secteurs largement sous contrôle israélien.

Quel avenir pour les Palestiniens des territoires occupés ? Seront-ils expulsés de la terre qui les a vus naître et qu'ils font fructifier ? Quel sera leur statut de citoyen ?

C'est la fin du mince espoir d'une solution où les Palestiniens seraient maîtres de leur territoire et de leur destinée.

Des voix s'élèvent dans la société et dans l'armée israélienne face à cette provocation. Dans une tribune publiée le 18 juin dans Le Monde, des personnalités et organisations juives dénoncent un dévoiement du projet sioniste de Ben Gourion. Ce qui devait être un pays d'accueil et de refuge est devenu un État agressif et discriminatoire.

Avec cette annexion, les Arabes palestiniens représenteront 40 % de la population israélienne, alors qu'une loi de 2017 sur l'État-Nation, État Juif, a retiré l'arabe des langues officielles et reconnu le caractère juif de l'État d'Israël, en faisant un État théocratique.

Nous essayons, pour notre part, de persévérer dans la défense de la solution à deux États, du droit au retour des réfugiés et du strict respect des résolutions de 1947 et 1967.

Face à cette situation, nous faisons face à la frilosité des plus grandes puissances occidentales qui ne condamnent pas ce plan mais affirment seulement qu'il est contraire au droit international.

Je regrette que notre Gouvernement ne fasse rien, arguant de la nécessité d'une action unanime des États membres de l'Union européenne - qu'il sait impossible.

Accompagnons nos amis palestiniens et israéliens dans un avenir de paix, fondé non sur l'oppression mais sur l'égalité et la liberté, et avec les mêmes droits pour tous.

Monsieur le ministre, il nous reste quinze jours pour que notre pays riposte - selon le mot que vous avez employé, et qui me convient. Mais quelle riposte ? Aujourd'hui au moins, quelles pistes ? Qu'allez-vous mettre en oeuvre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR ; M. Olivier Cigolotti et Mme Claudine Kauffmann applaudissent également.)

M. Pierre Laurent .  - Face au crime contre le droit international qui se profile au 1er juillet, le temps des communiqués de presse et des déclarations de principe est passé. Il faut une riposte forte de la France, de l'Union européenne, des Nations unies contre le sabotage des accords d'Oslo qui dure depuis trop longtemps.

Il faut une riposte de la France et de son Président de la République - je ne parle pas des consuls de France à Jérusalem qui ont toujours agi avec courage. C'est pour cela que nous avons demandé ce débat avant le 1er juillet. Car seule une pression internationale d'ampleur peut arrêter ce projet. Le Premier ministre israélien, adversaire farouche de la solution à deux États, a tout fait pour miner le processus de paix auquel il veut porter le coup fatal.

Ce plan bafouerait le droit des Palestiniens à vivre en paix dans leur État, ferait primer la loi du plus fort sur le multilatéralisme basé sur le droit, déstabiliserait une région déjà à feu et à sang, enfermerait les Israéliens dans un État devenu apartheid, durablement instable, reléguant des millions de Palestiniens dans des bantoustans. Nous devons réagir avec force.

Nous n'en pouvons plus de nos accommodements avec l'inacceptable. Lorsque le Parlement a demandé la reconnaissance de la Palestine, on nous a dit que c'était trop tôt, qu'il fallait attendre le plan américain. Puis est venu le plan Trump. Vous l'avez condamné, mais bien timidement, comme s'il y avait encore matière à discuter. (M. le ministre s'offusque.) Les militants qui ont appelé au boycott des produits issus des colonies et demandé des sanctions ont été traînés devant la justice et accusés d'antisémitisme. La Cour européenne des droits de l'homme les a rétablis dans leurs droits.

Il est déjà bien tard, diront certains. En vérité, il n'est jamais trop tard. Benyamin Netanyahou est prêt à tout, il est de la trempe de ces dirigeants extrémistes qu'il affectionne, Trump, Bolsonaro, et qui sait si demain il ne pactisera pas avec Erdogan pour se partager la région après y avoir attisé le feu ?

Nous ne comprenons pas que la Hongrie ou la Pologne empêchent de prononcer des sanctions européennes. N'est-il pas honteux que ces pays dont nous condamnons les dérives anti-démocratiques servent d'alibi à l'inaction européenne ?

Nous devons agir avec l'ONU, avec son secrétaire général, saisir le Conseil de sécurité pour exiger la condamnation qui s'impose. Nous devons reconnaître l'État de Palestine, ce qui déclencherait sans nul doute un mouvement international d'ampleur. Il faut relancer le processus vers la solution à deux États. Nous devons proposer la suspension de l'accord d'association et des accords de coopération et militaire avec Israël. Nous devons agir. Tout nous commande de le faire.

Les Palestiniens sont à bout. La région est une poudrière. N'oublions pas les paroles d'Yitzhak Rabin, juste avant d'être assassiné : « Nous avons fondé un peuple, mais nous ne sommes pas revenus dans un pays vide ». Sans cette promesse de reconnaissance et de respect mutuel, la paix n'adviendra pas. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

M. Joël Guerriau .  - Voilà plus de 70 ans qu'Israël et la Palestine sont en conflit, avec des répercussions sur toute la région. Jordanie, Liban, Syrie accueillent de très nombreux réfugiés palestiniens. L'Europe a aussi été atteinte à travers les attentats terroristes.

Ce conflit possède une dimension universelle. Certains ont pu déplorer une certaine lassitude de la communauté internationale. Mais le projet d'annexion, qui bénéficie du soutien actif de Trump, intermittent de la déstabilisation, constituerait une violation du droit international.

L'ONU plaide pour une solution à deux États sur la base des frontières d'avant 1967. Quelles autres solutions ? Entériner la loi du plus fort, c'est ouvrir la voie aux violences, aggraver les tensions régionales.

Un autre chemin est possible. Israël et ses voisins arabes développent de nouvelles relations de coopération ; elles sont une chance, mais restent fragiles. Les Émirats Arabes Unis, qui ont des liens forts avec Israël, ont averti que l'annexion mettrait un coup d'arrêt à ce rapprochement qui seul rend la coexistence pacifique envisageable.

Les Palestiniens ont fait une contre-proposition avec un État palestinien souverain, indépendant et démilitarisé. Le principe en avait été accepté par Benjamin Netanyahou dans son discours de juin 2009 à l'université israélienne Bar Ilan.

Israël et la Palestine sont à un tournant de leur histoire. La solution à deux États est possible. Ne laissons pas l'Histoire se répéter. Le projet d'annexion détruira tout espoir d'un État palestinien indépendant. Ne donnons pas plus d'arguments aux extrémistes qui cherchent le chaos !

Les violations du droit international doivent cesser pour qu'une paix durable soit possible. « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître » nous rappelle Rousseau.

La réponse de la France doit être européenne mais la diplomatie européenne doit dépasser les incantations et défendre ses principes. L'Europe doit s'engager en faveur de la paix au Moyen-Orient car elle ne manquerait pas de souffrir d'une reprise des hostilités. Seul le respect du droit saura structurer une société planétaire pacifiée. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR et UC)

M. Olivier Cigolotti .  - Dans l'histoire du conflit israélo-palestinien, le 1er juillet 2020 fera date. Le Parlement israélien devra valider le plan de Donald Trump, présenté comme le « deal du siècle », qui n'est rien de moins qu'une annexion d'un tiers de la Cisjordanie, en échange de la reconnaissance d'un État palestinien à la souveraineté diminuée, sans armée ni contrôle de ses frontières, et sans Jérusalem.

Ce plan marque une rupture avec le consensus international. Il jette aux orties des accords d'Oslo qui prévoyaient deux États souverains, avec des frontières stables, partageant Jérusalem comme capitale. Rupture aussi car il prend pour point de départ une situation de fait, celle de la colonisation, et non celle que reconnaît le droit international.

Une initiative unilatérale d'Israël serait considérée comme une violation du droit international, créant un risque de chaos dans une région hautement inflammable.

Nous en sommes réduits à des protestations de principe, sans grande portée. L'Union européenne, premier partenaire économique d'Israël, est inaudible car divisée ; la règle de l'unanimité impose des compromis d'autant plus délicats que le souvenir de la Shoah reste présent. Cet attentisme est risqué, car une humiliation arabe pourrait avoir des répercussions jusque dans nos quartiers.

La pression internationale n'a pas su lutter contre le processus de colonisation, et le soutien de Washington au gouvernement Netanyahou est indéfectible. L'État hébreu souhaite aller vite et procéder à l'annexion avant les élections américaines de novembre.

L'idée est pourtant loin de faire consensus au sein du peuple israélien, qui n'est pas un bloc monolithique uni derrière son premier ministre.

M. Christian Cambon.  - Tout à fait.

M. Olivier Cigolotti.  - Certains y voient une aubaine à saisir, d'autres un cadeau empoisonné ; d'autres voudraient aller plus loin. Les Israéliens sont conscients des troubles sécuritaires à attendre.

Comment imaginer qu'un État palestinien non viable puisse être accepté par la population palestinienne ? Le découpage de la Cisjordanie proposée par le plan Trump s'apparente à une conurbation désordonnée, sans cohérence.

Et cette annexion entraînera nécessairement des réactions des voisins d'Israël qui doivent prendre en compte leurs opinions publiques. Le risque de déstabilisation de la région est immense, avec le risque de nouveaux flux de réfugiés.

« Si nous réglons tous les problèmes du Proche-Orient mais pas celui du partage de l'eau, la région explosera, la paix ne sera pas possible », expliquait Yitzhak Rabin en 1992. Or l'annexion de la vallée du Jourdain pose la question centrale de l'accès à l'eau des territoires palestiniens, avec un risque d'insécurité alimentaire.

L'annexion de la vallée du Jourdain est une manoeuvre infiniment dangereuse. Pour satisfaire la frange la plus extrême de l'opinion israélienne, elle crée plus de problèmes qu'elle n'en résout, au premier rang desquels le statut des Palestiniens eux-mêmes.

Nous devons garder en mémoire cette citation d'Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui le regardent sans rien faire ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur diverses travées du groupe SOCR)

M. Christian Cambon .  - La gravité des collègues qui m'ont précédé le montre : nous sommes à un tournant historique qui pourrait marquer la fin de la séquence ouverte en 1993 par les accords d'Oslo. Ce processus reposait sur l'idée d'une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien, reposant sur deux États ayant chacun Jérusalem comme capitale.

Certes, la perspective de l'annexion découle du plan Trump qui fait de l'État palestinien une étonnante constellation de parcelles plus ou moins reliées entre elles. Personne ne peut croire à sa viabilité. On peut toujours espérer que le Gouvernement israélien entende la voix de ses amis, de la diaspora américaine et même des deux tiers de la population israélienne qui y seraient opposés.

La France est l'amie d'Israël et l'a toujours été. Les liens entre nos deux pays sont forts, profonds, sincères. C'est pourquoi la France ne peut laisser un pays ami plonger dans l'inconnu.

Ce qui paraît acquis, et cela inquiète les responsables militaires et sécuritaires israéliens, c'est que ce tournant débouchera sur une relance du cycle de la violence, amplifiée par l'arrêt inévitable de la coopération sécuritaire entre Israël et l'Autorité palestinienne : personne n'en avait besoin.

Quid de l'Égypte et de la Jordanie, cette dernière ayant averti que l'annexion de la vallée du Jourdain aurait de lourdes conséquences ? Le rapprochement avec les pays du Golfe est-il irrémédiablement compromis ? Enfin, les liens avec la diaspora seraient mis sous tension.

Si Israël met fin à la perspective de deux États, que fera-t-il des Palestiniens ? J'avais prévu une mission d'information en Israël et dans les territoires palestiniens, annulée par la crise du Covid, pour examiner la question.

Mais la question reste posée, brûlante et inquiétante tant elle semble mener à une impasse. En effet, soit les Palestiniens seront des citoyens à part entière de cet État unique, et cela posera la question de l'identité de l'État d'Israël, car l'ensemble des Arabes israéliens et des Palestiniens représenterait déjà la moitié de la population de cet ensemble large. Soit les Palestiniens ne seraient pas des citoyens à part entière, ce qui serait en contradiction avec la nature démocratique de l'État d'Israël affirmée lors de sa création et sans cesse démontrée depuis. Il y a là une équation politique insoluble.

Theodore Herzl affirmait : « S'il se trouve parmi nous des fidèles appartenant à d'autres religions et à d'autres nationalités, nous leur garantirons une protection honorable et l'égalité des droits » et il rappelait que l'Europe leur avait enseigné la tolérance.

Que peut apporter l'Europe face à ce conflit ? Le Haut-Représentant, Josep Borell, a déclaré le mois dernier : « Nous sommes prêts à utiliser toutes nos capacités diplomatiques afin de prévenir toute forme d'action unilatérale ». Vous-même, monsieur le ministre, avez promis une réponse. Mais laquelle ? Notre discrétion confine à l'effacement, aggravée par les divergences au sein de l'Europe.

Alors, il nous reste à porter haut la voix de la France, mais nos positions semblent figées alors que la situation pourrait rapidement dégénérer. Monsieur le ministre, vous n'avez pas ménagé votre peine. Mais quelle est la vision de la France ? La solution à deux États a-t-elle encore un sens ?

Certains Palestiniens commencent à revendiquer un État binational et l'égalité des droits. Continuerons-nous à nous accrocher à la solution des deux États si plus personne n'y croit ?

Nous devons aborder avec lucidité ces questions douloureuses. Il ne reste que quelques jours pour dissuader le Gouvernement israélien ; s'il persiste, n'écoutant ni les Européens, ni les démocrates américains, ni les pays arabes les moins hostiles, ni son propre appareil sécuritaire, la France et l'Europe ne devront-elles pas revoir les principes que nous avons toujours défendus pour la paix dans cette région du monde ? (Applaudissements)

M. Gilbert Roger .  - Le Gouvernement israélien doit se prononcer à partir du 1er juillet sur le plan Trump pour le Proche-Orient, qui prévoit l'annexion de la vallée du Jourdain occupée depuis 1967.

Si la décision était exécutée au mépris du droit international, elle remettrait en cause le projet même d'un État palestinien.

Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, a annoncé une rupture des accords économiques et sécuritaires avec Israël si l'annexion avait lieu. La Jordanie, quant à elle, a annoncé qu'elle reconsidérerait ses relations avec Israël en cas d'annexion.

Ce projet est contesté au sein même de la société israélienne. Dans une récente tribune, plusieurs experts israéliens ont exprimé leurs inquiétudes sur les conséquences pour la sécurité d'Israël. Pour les signataires de ce texte, elle remettrait en cause les traités de paix avec l'Égypte mais également avec la Jordanie. Le Royaume jordanien pourrait ainsi connaître de graves troubles en cas d'annexion alors qu'il offre à Israël une profondeur stratégique face à la Syrie, l'Irak et l'Iran. Les pays du Golfe, disent ces experts, pourraient devoir faire face à une colère populaire attisée par la baisse du prix du pétrole. Enfin, les signataires n'excluent pas un effondrement de l'Autorité palestinienne en cas d'annexion. Or Israël a besoin de cette collaboration dans la lutte qu'elle mène contre le terrorisme.

Le chef de file centriste de l'opposition israélienne, Yair Lapid, a déclaré que cette annexion unilatérale provoquerait des dommages irréparables avec le Parti démocrate et une majorité des juifs américains.

Le président de l'organisation B'Tselem, Ainit Gilutz, qui défend les droits humains des Palestiniens et qui prône une solution à deux États équilibrée, rappelle que l'annexion légitimerait une situation déjà dramatique pour le peuple palestinien et appelle la communauté internationale à ne plus se taire.

La France, membre permanent du Conseil de sécurité, ne peut rester silencieuse et elle doit agir, tout en respectant l'exigence de sécurité d'Israël et de justice pour les Palestiniens.

Deux propositions de résolution votées par le Parlement en décembre 2014 ont appelé le Gouvernement français à reconnaître l'État palestinien, mais le processus de paix est au point mort.

En 2017, la France a organisé une conférence réunissant 77 pays sur la paix au Proche-Orient, mais rien n'en est sorti. Le 6 février 2017, la Knesset reconnaissait les colonies illégales en Cisjordanie, au mépris de la résolution 2334 adoptée par les Nations unies en décembre 2016. En juillet 2018, le Parlement israélien votait un texte faisant d'Israël un État du peuple juif avec Jérusalem comme capitale et l'hébreu comme seule langue officielle. Le texte va à l'encontre des principes démocratiques et institutionnalise des discriminations raciales envers les Arabes israéliens.

Si l'annexion avait lieu sans réaction forte de l'Europe et de la France, ce serait la fin de l'idée d'un État palestinien. La France ne doit pas abandonner cet objectif d'un tel État vivant en paix avec Israël et avec Jérusalem comme capitale partagée. Aussi, en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Palestine de notre Haute Assemblée, j'appelle, une nouvelle fois, solennellement, le Gouvernement français à reconnaître I'État de Palestine : le législateur doit se tenir du côté du droit.

La France doit pousser l'Union européenne à envisager des sanctions économiques contre Israël, comme elle l'a fait pour la Russie après l'annexion de la Crimée. Compte tenu de l'importance de leurs échanges commerciaux avec l'État hébreu, les Européens, s'ils en ont la volonté politique, ont tous les outils nécessaires pour sanctionner Israël.

La France doit aussi soutenir les poursuites engagées par l'Autorité palestinienne auprès de la CPI, qui vient de l'autoriser à poursuivre Israël pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Les enjeux sont trop importants : assez de grandes déclarations et de petites sanctions. La France doit agir, et maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE et sur quelques travées du groupe UC)

M. Yvon Collin .  - « Pourquoi ce besoin de nous mettre le monde entier à dos ? Ils pensent que c'est une chance unique qui ne se représentera jamais. Mais toutes les chances ne sont pas bonnes à saisir ». Cette déclaration d'un ancien responsable sécuritaire israélien est éclairante.

Benyamin Netanyahou, allié avec Berny Gantz, veut mettre en oeuvre le plan d'annexion de Donald Trump.

Alors que les accords de 1993 devaient ouvrir la voie à un état Palestinien, le plan de paix unilatéral de Trump fonde Israël à agir. Certes, il y a une annexion de facto : 200 000 colons en 1993, 430 000 aujourd'hui en Cisjordanie. L'annexion représenterait cependant une grave violation de la Charte des Nations unies et des conventions de Genève ; elle serait contraire à la position de l'Assemblée générale des Nations unies selon laquelle l'acquisition de territoires par la force est inadmissible.

La communauté internationale - moins les États-Unis - est unanime.

Dans ces conditions, que va devenir la recherche d'une entente israélo-palestinienne ? En effet, cette annexion enterrerait le droit palestinien à l'autodétermination des peuples par des moyens non violents. De l'autre côté, la diaspora, attachée au respect des droits de l'Homme, pourrait ne pas reconnaître le projet sioniste visant à l'établissement d'un état juif et démocratique. Alors que la situation humanitaire et sécuritaire est déjà difficile dans les territoires palestiniens, l'annexion pourrait provoquer une troisième intifada.

Israël devra assumer le sort de centaines de milliers de Palestiniens vivant en Cisjordanie. Le Premier ministre n'envisage pas d'accorder aux Palestiniens des territoires annexés les mêmes droits civiques et politiques que ceux dévolus aux Israéliens. Comment accepter la création de citoyens de deuxième zone ? Deux peuples vivant dans le même espace, dirigés par le même État, mais avec des droits profondément inégaux. Le Premier ministre déclare pourtant, sans sourciller, que l'annexion le rapprocherait de la paix.

Que deviennent les accords de paix avec l'Égypte et la Jordanie ? Cette dernière voit dans l'annexion « une menace sans précédent pour le processus de paix qui pourrait plonger le Proche-Orient dans un long et douloureux conflit ». Le rapprochement avec l'Arabie Saoudite est lui aussi compromis.

L'Union européenne et la France doivent s'en tenir à la solution des deux États. Israël aurait beaucoup à perdre en annexant la vallée du Jourdain. Il faut préserver la référence au droit international : c'est votre position, monsieur le ministre, et celle du groupe RDSE. Il faut préserver la référence au droit international et condamner ce qui s'apparente à un passage en force.

Il faut distinguer, dans nos accords bilatéraux avec Israël, le territoire d'Israël en lui-même et les territoires occupés depuis 1967. C'est la seule solution, même si certains y voient une sanction déguisée.

Des milliers de Palestiniens manifestent à Jéricho pour leurs droits et demandent une réponse diplomatique.

Monsieur le ministre, nous comptons sur votre action bienveillante et énergique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR)

M. Bernard Cazeau .  - Ce débat arrive à point nommé avant le 1er juillet, sans quoi le coup de grâce pourrait être porté à deux promesses que nous avons peine à maintenir depuis soixante-dix ans de négociations internationales : une paix durable au Proche-Orient et une issue positive au conflit israélo-palestinien qui permettrait â Israéliens et Palestiniens de vivre côte à côte en paix et en sécurité.

Le 28 janvier, le président Trump a présenté un plan non concerté avec les Palestiniens, qui ne peut être la base d'une paix viable puisqu'il entre en contradiction avec les accords internationaux. En effet, il reconnaît la souveraineté israélienne sur la vallée du Jourdain, ce qui met fin au statut de ces territoires depuis 1967 ; et il nie le statut de Jérusalem comme capitale de deux États.

Allié à son rival Benny Gantz, le 13 mai, Benyamin Netanyahou a prêté serment devant la Knesset et confirmé le projet d'annexion - illégal, car il constitue une acquisition de territoire par la force, contraire au droit international.

Les deux tiers des Israéliens ne soutiennent pas ce projet, qui causerait des troubles supplémentaires et placerait Israël au ban de la scène internationale alors qu'ils ont assez de soucis avec les conséquences économiques de la pandémie et un taux de chômage de 29 %.

Une tribune d'experts et d'anciens hauts gradés des milieux militaires avertit que l'annexion constituerait une menace pour la sécurité d'Israël, qu'elle remettrait en cause le traité de paix avec l'Égypte, mais aussi fragiliserait le traité avec la Jordanie, dont la stabilité serait mise en cause.

Enfin, selon eux, une telle annexion anéantirait tout espoir d'une coopération renforcée entre Israël et les monarchies du Golfe. La réaction de l'ambassadeur des Émirats Arabes unis à Washington en est un premier avertissement.

C'est le souci de la stabilité et de la sécurité d'Israël qui nous pousse à prendre cette position contre une fuite en avant regrettable.

Notre groupe, monsieur le ministre, soutient votre action pour ramener toutes les parties à la raison. Nous le faisons en accord avec plus d'un millier de parlementaires européens qui viennent de signer une pétition en ce sens. Le message doit être ferme, cohérent et uni.

Ce 1er juillet, l'Allemagne prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne ; et le 19 juin, vous avez tenu une conférence de presse conjointe avec votre homologue allemand, Heiko Maas, au cours de laquelle ce sujet a été évoqué.

Nous savons la force de travail à deux. Peut-on espérer un moteur franco-allemand de relance du processus de paix au Moyen-Orient ?

Jean-Paul Sartre disait : « Chaque parole a une conséquence. Chaque silence aussi. » Oublions paroles et silences, adoptons les actes concrets qui s'imposent. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur la plupart des travées depuis celles du groupe CRCE jusqu'à celles du RDSE)

Mme Claudine Kauffmann .  - Je tiens à intervenir à la suite d'un courrier adressé aux parlementaires par Avraham Burg, ancien président de la Knesset.

La question qui nous est soumise ce soir n'appelle qu'une seule réponse, toute de bon sens, de discernement et de retenue : la France doit s'opposer à cette annexion inique de la vallée du Jourdain, car ce territoire constitue une partie essentielle d'un futur État palestinien viable.

Mon propos n'est aucunement antisioniste, d'autant qu'Israël a pris depuis longtemps sa juste place dans le concert des Nations. Cependant, la France, qui porte haut depuis des siècles le flambeau de la Liberté, ne saurait s'accommoder de cette annexion. Tous les Israéliens n'y sont pas favorables à ce vol territorial.

Trop de larmes et de sang ont été répandus en cette région du monde. Notre devoir est de faire respecter le droit international qu'Israël a foulé au pied et les valeurs démocratiques sans lesquelles ne peut exister une quelconque stabilité au Proche-Orient.

Si l'annexion avait lieu, la solution des deux États s'évanouirait. Mères juives et arabes ne mettent pas leurs enfants au monde pour les voir tomber sous les balles. Toutes aspirent à une paix qu'elles n'ont jamais connue.

La France doit adopter une position extrêmement ferme, autrement l'embrasement du Proche-Orient est possible.

Nous, parlementaires français, pourrons être les boucliers du peuple palestinien. Une guerre n'engendre pas de vainqueurs, seulement des orphelins et des veuves !

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Le durcissement des relations internationales, le retour du fait accompli et l'émergence de dirigeants imprévisibles constituent le contexte de notre débat.

Vue d'Europe, la longue séquence de guerres au Proche et Moyen-Orient contre Al-Qaïda puis l'État islamique a fait passer au second plan le conflit israélo-palestinien, qui s'installe dans une exceptionnelle longévité, malgré des sommets et plans de paix successifs. Israël se sent toujours en insécurité. Les Palestiniens considèrent que leur cause n'est plus aussi bien entendue...

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Oui.

M. Pascal Allizard.  - L'Europe paye son manque d'ambition, d'unité et de poids. Elle est considérée comme un acteur économique ou culturel, voire humanitaire, un bailleur de fonds, mais pas comme un décideur politique majeur.

La France possède une connaissance fine de la région. Nous auditionnions, il y a quelques jours, notre ambassadeur en Israël et notre Consul général à Jérusalem. Forte de son réseau culturel et diplomatique actif, la France entretient des relations suivies avec Israël et l'Autorité palestinienne. Mais sa voix porte moins que du temps du Général de Gaulle. La France est toujours capable de parler à tout le monde, mais elle est moins entendue. Il nous manque une grande vision, un nouveau souffle à notre action internationale.

Les États-Unis et Donald Trump, qualifié par son allié israélien de « plus grand ami qu'Israël ait jamais eu à la Maison Blanche », avancent sans nuance, sans égard pour l'avis des Européens ni pour les conséquences locales.

Ce n'est pas étonnant, à un moment où la relation transatlantique n'a jamais été aussi incertaine. L'Amérique suit son propre agenda.

Le Plan Trump a suscité de nombreuses inquiétudes sur le statut de Jérusalem et l'annexion de la vallée du Jourdain, contestés par les Palestiniens et une partie de la communauté internationale.

Outre les Palestiniens, des milliers d'Israéliens ont manifesté, samedi, à Tel Aviv contre ce projet. À l'inverse, certains qui sont installés dans la zone considèrent que ce territoire appartient à Israël.

Paris continue à demander à Israël de s'abstenir de toute action unilatérale « qui conduirait à l'annexion de tout ou partie des territoires palestiniens ». (M. le ministre le confirme.)

Le chef de la diplomatie de l'Union européenne souligne que « la solution des deux États, avec Jérusalem comme future capitale pour les deux États, est la seule façon de garantir une paix et une stabilité durables dans la région ». Les Européens pourront-ils prendre des mesures concrètes pour dissuader Israël ? Si oui lesquelles ? Chacun a pu constater l'effet nul de la menace de sanctions vis-à-vis de la Russie dans la crise ukrainienne, (M. le ministre en doute.) et même des effets contreproductifs des sanctions a posteriori.

Si la France et l'Union européenne échouaient à dissuader les autorités israéliennes, le discrédit serait grand sur notre capacité à changer le cours des évènements mondiaux et le risque d'embrasement dans la région serait grand. La Jordanie, ou la Russie, redevenue une puissance majeure du Proche-Orient à la faveur des atermoiements européens en Syrie, pourraient faire bouger les lignes. Quelle sera l'attitude de la Chine qui recherche un statut d'acteur politique global et non seulement économique, sur la scène internationale ?

Je participerai avec plusieurs sénateurs à un prochain déplacement en Israël reporté par le Covid. Nous souhaitons faire entendre la voix de la France. La diplomatie parlementaire est faite pour cela : tisser des liens, bâtir des ponts, favoriser le dialogue et nous nous y efforcerons. Nous ne pouvons pas laisser faire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Ces échanges ont été utiles et denses. Le conflit israélo-palestinien se trouve sans doute, en effet, à un tournant historique. Début mars, je m'étais exprimé devant certains d'entre vous sur le sujet.

Benyamin Netanyahou, candidat du Likoud, et Benny Gantz, leader de la coalition Bleu Blanc, ont conclu un accord de coalition fin avril qui prévoit d'engager un processus d'annexion partielle de la Cisjordanie à partir du 1er juillet. Le Gouvernement a été formé le 17 mai.

Le champ géographique de l'annexion n'a pas encore été précisé, ni dans l'accord de coalition, ni par la suite, mais deux conditions ont été posées : la première, l'assentiment des États-Unis ; la seconde, les intérêts stratégiques d'Israël seront pris en compte et les accords de paix existants, avec l'Égypte et la Jordanie, préservés.

Les États-Unis devraient se prononcer en recherchant un consensus entre le Likoud et Bleu Blanc sur le périmètre de l'annexion et en prenant en compte les résultats du comité conjoint israélo-américain mis en place pour cartographier les frontières après la publication de la « vision » américaine. La position des États-Unis ne fait que peu de doutes. Mon homologue américain, Mike Pompeo, a indiqué cet après-midi même -heure de Paris - que la décision appartenait à Israël - ce qui revient à un nihil obstat.

La position de la France repose sur un cadre - le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité -, un objectif - deux États vivant dans la paix et la sécurité au sein de frontières sûres et reconnues internationalement, fondées sur les lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem pour capitale - et une méthode - la négociation entre les parties et non les décisions unilatérales. Voilà le prisme à travers lequel nous avons lu le plan proposé le 28 janvier dernier par le Président américain. Mais il s'écarte du droit international, il ne permet pas la création d'un État palestinien viable et n'est accepté que par l'une des deux parties comme une base possible de négociation.

Le projet d'annexion, que le Premier ministre Benjamin Netanyahou a endossé dans son discours d'investiture, met en oeuvre cette vision, mais de manière unilatérale et accélérée. Si cette annonce se concrétisait, ce serait la décision la plus grave depuis 1980 et la loi constitutionnelle sur Jérusalem.

L'annexion de territoires palestiniens, quel qu'en soit le périmètre, remettrait en cause de manière grave et irrémédiable les paramètres du règlement du conflit. Elle remettrait en cause les principes au coeur du droit international bâti depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que nous invoquons s'agissant de la Crimée, et les résolutions adoptées depuis 1967 par le Conseil de sécurité de l'ONU, notamment les 242 et 2334.

Elle rendrait également quasiment impossible d'atteindre l'objectif de la solution à deux États car l'État palestinien ne serait viable ni économiquement, ni géographiquement, ni politiquement. Les Palestiniens verraient leur liberté de mouvement encore plus entravée.

L'annexion rendrait irréversible la présence des colonies existantes. Le nombre de colons a été multiplié par trois depuis les accords d'Oslo de 1993. Ils sont aujourd'hui 650 000, dont 220 000 à Jérusalem et 430 000 en Cisjordanie.

L'annexion remettrait en cause la méthode de la négociation directe entre Israéliens et Palestiniens. Or seule une logique de négociation permettrait d'aboutir à une solution viable parce qu'acceptée par les deux parties.

L'annexion remettrait en cause les aspirations nationales des Palestiniens, qui ont vocation à disposer d'un État viable, mais tout autant le projet national des Israéliens de vivre dans un État juif et démocratique...

M. Yvon Collin.  - C'est sûr.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - En ancrant dans leur droit la réalité de l'État unique, les Israéliens se retrouveraient à terme, devant un choix impossible entre le caractère juif de leur pays et le caractère démocratique de leur État.

L'annexion remettrait en cause la stabilité régionale et la sécurité même d'Israël à laquelle la France est très attachée et sur laquelle elle ne transigera jamais. Les relations entretenues par Israël avec l'Égypte et la Jordanie font partie des rares progrès enregistrés ces dernières décennies et cet acquis est fragile. Les autorités jordaniennes ont formulé des mises en garde au plus haut niveau. Le Roi de Jordanie a évoqué la possibilité d'un « conflit massif ». Les accords de paix de Wadi Araba en 1994 avec la Jordanie et le traité de paix Israël-Égypte de 1979 reposent sur la perspective de la création d'un État palestinien souverain et indépendant. Y mettre un terme fragiliserait ces accords.

L'annexion pourrait également déstabiliser les camps de réfugiés palestiniens, notamment en Jordanie et au Liban. Ce serait ainsi un effet d'aubaine pour les États les plus hostiles à Israël, à commencer par l'Iran, au détriment des voix plus modérées dans la région.

En somme, l'annexion ne serait dans l'intérêt de personne, ni dans celui des Palestiniens, ni dans celui d'Israël, dont la sécurité passera, à terme, par un accord avec les Palestiniens et par une pleine intégration régionale, ni dans celui d'une région, dont la stabilité est déjà menacée, ni dans celui des Européens et de la communauté internationale qui ont investi des efforts diplomatiques et financiers massifs dans la perspective des deux États.

Pour toutes ces raisons, à quelques jours de l'échéance du 1er juillet, la France est pleinement mobilisée. Notre objectif est de préserver les conditions d'une négociation future et la possibilité d'une solution négociée. Nous nous coordonnons avec nos partenaires européens et arabes pour envoyer des messages préventifs et dissuasifs pour que l'annexion, quel qu'en soit le périmètre, ne se produise pas.

Si nos efforts n'aboutissaient pas, nous nous préparons à réagir. Une décision d'une telle gravité ne peut en effet rester sans réponse.

Le premier axe de notre action est préventif. Nous faisons passer aux Israéliens des messages clairs. Nous faisons valoir les avantages qu'ils pourraient retirer d'un renforcement de leur coopération avec l'Union européenne s'ils renonçaient à cette annexion et s'engageaient dans un véritable processus politique négocié. Nous leur indiquons ainsi que nous ne reconnaîtrons aucun changement aux lignes de 1967 qui ne soit pas agréé par les parties, et donc nous ne reconnaîtrons pas la souveraineté israélienne sur les territoires annexés.

Je l'ai dit publiquement, et lors de mon entretien du 17 juin dernier avec mon homologue israélien M. Ashkenazi. Et le Président macron le dit à chacun de ses entretiens avec Mahmoud Abbas.

Les Palestiniens savent pouvoir compter sur nous pour agir en faveur d'une solution négociée d'un État souverain, viable, contigu et démocratique.

Nous avons mobilisé une aide spécifique dans le contexte de la Covid, et débloqué par anticipation notre aide budgétaire annuelle de 16 millions d'euros à l'UNRWA après le retrait financier des États-Unis. Il s'agit de donner aux Palestiniens des raisons de ne pas se détourner du cadre d'Oslo.

Le second axe de notre action est dissuasif. Si les Israéliens poursuivaient dans leur décision d'annexion, les relations de l'Union européenne et d'Israël en seraient affectées, au travers de l'accord d'association ou des nombreux programmes de coopération, en particulier dans le cadre de la préparation du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Réunir un consensus au sein de l'Union européenne sur cette question est difficile. J'ai appelé plusieurs fois à l'unité sur le sujet, notamment lors du Conseil des ministres des Affaires étrangères du 15 mai. Nous ne pouvons décider seuls de suspendre tel ou tel accord entre l'Union européenne et Israël.

Nous sommes en coordination étroite avec nos grands partenaires européens et avec le représentant Josep Borrell. Soulignons que la règle de l'unanimité ne s'applique pas à tous les sujets européens concernant Israël. Une série de mesures peuvent être prises à titre national et de manière coordonnée avec nos principaux partenaires européens.

Au plan national, nous pourrons insérer des clauses territoriales dans nos accords avec Israël. Cela ne signifie pas du tout que nous mettons fin à tous les accords qui nous lient avec Israël.

Il nous appartiendra également de mettre en place des contrôles de l'application de l'étiquetage différencié des produits en provenance des colonies israéliennes, qui est une obligation, au titre du droit d'information du consommateur européen, confirmée par la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne.

Enfin, nous nous coordonnons avec nos partenaires arabes, en particulier l'Égypte et la Jordanie. L'annexion induit les enjeux de sécurité évoqués par M. Cazeau. M. Gantz et M. Ashkenazi sont d'anciens chefs d'État-major qui connaissent l'importance du maintien de ces accords. Nous nous concertons avec nos homologues jordaniens, égyptiens et allemands. Nous coordonnons nos messages, nos actions et nos ripostes avec nos partenaires arabes.

Nous incitons l'Arabie saoudite à se mobiliser. Les Émirats arabes unis ont récemment mis en garde contre une annexion. Celle-ci ne modifierait en rien, bien au contraire, notre détermination ancienne à reconnaître l'État palestinien dans le cadre et le format appropriés, lorsque cette décision sera utile pour la paix.

La situation est préoccupante. C'est pourquoi nous agissons de manière déterminée et résolue, et non seulement déclaratoire, pour défendre la solution de deux États dans le cadre du droit international, seul moyen d'aboutir à la paix après des années de conflictualité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que depuis les travées du groupe SOCR jusqu'à celles du groupe Les Républicains)

Prochaine séance, demain, jeudi 25 juin 2020, à 9 heures.

La séance est levée à 23 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication