Conclusions du rapport de la commission d'enquête sur Lubrizol

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête chargée d'évaluer la gestion des conséquences de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen.

Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur de la commission d'enquête .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) La multitude des problèmes posés par l'accident de Lubrizol explique la présence de plusieurs ministres au banc, ministres dont je salue la disponibilité. Mon intervention portera sur les enjeux sanitaires. Le 26 septembre, cet accident a provoqué la dispersion de produits chimiques, dont le nombre et les effets demeurent, pour une large part, inconnus.

Notre rapport distingue les réponses immédiates à l'incendie de celles de long terme du suivi sanitaire de la population exposée.

Avoir su éviter des conséquences encore plus graves ne nous empêche pas de déplorer des manquements opérationnels.

L'accident de Lubrizol fait office de prélude à l'actuelle crise sanitaire. La réponse du préfet du département a permis d'éviter une catastrophe. Mais les interventions divergentes des ministres ont donné l'impression d'une certaine cacophonie et peut-être d'un opportunisme politique. Le ministre de l'Agriculture a levé les restrictions sur les produits laitiers quelques jours avant la remise du rapport des experts sanitaires : comment voulez-vous que les populations s'y retrouvent ?

Plus préoccupants ont été nos constats sur le suivi sanitaire des populations exposées au nuage de fumée. Nicole Bonnefoy et moi-même déplorons le refus catégorique du ministère de la Santé d'envisager un suivi sanitaire : la population est inquiète sur les effets à long terme de cet incendie sur sa santé.

Plusieurs risques auraient justifié un suivi sanitaire d'envergure : les décideurs publics se sont un peu vite satisfaits des résultats partiels sur la qualité du sol et de l'air, oubliant les inconnues concernant les risques des dioxines dans le sol et des composés du phosphore, sans parler des effets cocktails et de la question controversée de la dispersion de particules d'amiante, lors de l'explosion du toit des entrepôts.

L'inapplication du principe de précaution au motif d'une absence de certitude scientifique ne peut plus se justifier.

Nous recommandons que soient ouverts deux registres de morbidité, l'un sur les cancers, l'autre sur les malformations congénitales. La santé des citoyens est un bien trop précieux pour que l'incertitude justifie l'inaction.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission d'enquête .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Après huit mois de travaux, nous avons formulé une quarantaine de propositions s'inscrivant dans six axes pour améliorer prévention et gestion des accidents industriels majeurs. Ce rapport est un outil pour éviter que la situation ne se reproduise, et non une critique de votre politique.

Nos travaux ont démontré des angles morts importants dans la politique de prévention des risques et en particulier une difficulté pour l'administration d'accéder en temps réel aux informations sur les produits stockés dans un site Seveso.

Le nombre réduit de sanctions prononcées à l'encontre des industriels après le constat de manquements aux obligations légales et réglementaires semble relever d'une certaine passivité du contrôle, notamment pour le risque incendie.

En outre, le public est le grand absent de la politique de prévention des risques : 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques industriels et technologiques, 10 % seulement savent comment réagir en cas d'accident. Les élus et les associations ont également formulé des critiques sur les instances de concertation.

L'accident de Lubrizol révèle un manque de culture du risque. Augmentons la fréquence des exercices, diversifions la composition des structures de concertation, renforçons les obligations des exploitants, développons les mutualisations entre opérateurs. Plusieurs mesures ont été reprises par le Gouvernement : c'est une bonne chose. Comment faire approuver l'ensemble des PPRT d'ici la fin de l'année ?

Le renouvellement des conseils municipaux est une occasion pour renforcer l'information des élus sur les risques industriels, sanitaires et climatiques.

Nous proposons de proroger le crédit d'impôt des particuliers pour les travaux dans les logements en lien avec un PPRT.

Les victimes de l'accident ne doivent plus subir de franchise - c'est loin d'être une mesure symbolique pour les personnes modestes.

Comment tenir l'objectif d'une augmentation de 50 % des contrôles dans les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ? Depuis quinze ans, les effectifs de l'inspection ont augmenté alors que les contrôles ont été divisés par deux. Comptez sur notre soutien face à Bercy.

Comment mieux associer les citoyens à la politique de prévention des risques et mieux les informer ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Merci de me donner l'occasion d'un nouvel échange sur cet accident. Le Gouvernement a fait face à cet incendie avec une parfaite transparence. Les résultats des prélèvements dans les 112 communes exposées aux retombées de suie ont été présentés. Des traces de plomb et de benzo-a-pyrène ont été retrouvées, mais ces polluants étaient déjà présents dans la région avant l'incendie. Des résultats complémentaires sont encore attendus pour les zones plus éloignées de l'incendie, dans l'Oise et le Nord. C'est la première fois qu'un protocole de surveillance aussi ambitieux est mis en oeuvre.

Afin d'éviter qu'un tel accident se reproduise, dès le 11 février 2020, j'ai présenté un plan d'action. La liste des produits susceptibles d'avoir été dispersés sera mise à disposition du public à l'avenir en cas d'incendie. Nous sommes également amenés à revoir le stockage des matières dangereuses.

L'obligation de réaliser un plan d'opération interne, c'est-à-dire le plan de gestion de crise de l'établissement, sera élargie à tous les sites Seveso, avec des contrôles tous les trois ans, et chaque année pour les Seveso seuil haut. Ces documents seront mis à disposition du public.

Les contrôles seront augmentés de 50 % d'ici la fin du quinquennat. Pas moins de cinquante postes d'inspecteurs supplémentaires contrôleront les ICPE à partir de 2021.

Je viens de nommer le préfigurateur du futur bureau d'enquête accident-risques industriels : il s'agit de l'ancien directeur régional et interdépartemental de l'environnement et de l'énergie d'Île-de-France.

Le rapport de la commission d'enquête sénatoriale m'a été remis et ses propositions enrichiront le plan d'actions du Gouvernement

385 sur 390 PPRT sont terminés, les cinq restants sont en attente de concertation avec les collectivités territoriales. Le crédit d'impôt sera prolongé jusqu'en 2023.

De nombreux dispositifs réglementaires associent élus, citoyens, entreprises pour créer une culture du risque industriel. J'ai lancé une mission pluridisciplinaire sur la modernisation de la culture du risque à la rentrée.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - L'incendie de Lubrizol, dans la nuit du 26 septembre, a inquiété la population rouennaise et nos concitoyens, s'interrogeant sur les effets sanitaires de cet incident industriel.

Plusieurs ministères et services de l'État étaient concernés. Ces derniers ont mis en oeuvre une action coordonnée pour protéger les populations. Je rappelle la qualité et la diligence du système de soin et des expertises modélisées.

La stratégie du ministre de la Santé et des ARS a visé la protection des citoyens et la surveillance de la pollution. Aucun cas grave n'a été signalé durant cette phase aigüe.

Santé publique France a été saisie pour donner une synthèse des impacts sanitaires. L'ARS de Normandie a analysé les eaux. Le ministère de la Santé a lancé des études dans les milieux de différentes substances polluantes. Mais les résultats étaient inférieurs aux seuils.

Le ministère de la Santé a évalué les conséquences précises sur la santé et la nature via la saisine de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Seules sept propositions sur quarante de la commission d'enquête relèvent du ministère de la Santé.

Nous partageons l'objectif d'une meilleure protection des populations. La mise en place de registres de morbidité n'est pas opportune en raison des périmètres des registres déjà existants. Mais on pourrait analyser les causes des cancers à l'échelle infra-départementale. En 2020, serait créé un septième registre sur les malformations congénitales dans des zones encore non couvertes par les registres actuels.

Le suivi sanitaire à moyen et long termes est indispensable pour suivre les effets de cet incendie.

Mme Céline Brulin .  - Madame Borne, lors d'une audition juste après l'incendie, vous avez estimé que la législation issue notamment de la catastrophe d'AZF n'était pas complètement adaptée à gérer le risque à moyen ou long terme.

Aucune obligation d'enquête de santé à long terme n'est ainsi imposée. Or le principe de précaution aurait dû vous guider dès le départ, avec des registres de morbidité. Je salue une ouverture, mais n'attendons pas le résultat des prélèvements, à la charge de l'industriel, pour déclencher une enquête médicale.

Ne pouvons-nous imaginer une disposition législative pour déclencher des enquêtes sanitaires et environnementales immédiates ? La contractualisation en vigueur empêche tout recours ultérieur contre Lubrizol.

Il est nécessaire de mieux associer les élus locaux pour contrôler les sites, pour la protection civile. Quelles consignes comptez-vous donner en ce sens ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Nelly Tocqueville applaudit également.)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Nous aimerions pouvoir rassurer les populations. Mais les conséquences d'un incendie sont très complexes à déterminer - nous avançons à l'aveugle - même si l'incertitude est anxiogène.

Nous avons effectué des suivis de l'activité aux urgences et de SOS médecins, ainsi que des conséquences psychosociales de cet incendie. Le rapport cite des points d'amélioration et nous nous en saisirons.

Je partage votre souhait d'associer toujours plus les élus locaux.

M. Jérôme Bignon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.) Ce rapport est très complet. Ses propositions devront être prises en compte, en particulier concernant la place primordiale de l'information. Les préfets doivent en parler davantage aux élus locaux et aux citoyens, y compris dans les départements voisins, ce qui ne fut pas toujours le cas en septembre.

La Bresle, qui sépare la Seine-Maritime de la Somme, a pu être pour Lubrizol ce que le Rhin fut pour Tchernobyl. Sous l'effet des vents d'ouest dominants, les cultivateurs de la Somme ont vu de la suie se déposer sur leurs terres cultivables et pâturables, dans de nombreuses communes. Il y aura des conséquences à long terme.

Est-on sûr qu'un véritable et sérieux suivi épidémiologique a bien été mis en place ? Des prélèvements de carottes ont-ils été effectués ?

S'agissant de la réparation des préjudices, si la première phase s'est déroulée à peu près convenablement, cela ne semble pas être le cas de la phase 2 où la paperasse a pris le dessus sur la fluidité. En outre, le lait jeté et le temps perdu ne sont pas indemnisés. Quid des indemnisations en cas de préjudices indirects ?

La commission d'enquête plaide pour une véritable culture du risque. Qu'en pensez-vous ? Quelle place pour l'information ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; Mme Nelly Tocqueville et M. Joël Bigot applaudissent également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Chacun peut être touché par le panache d'un incendie. Les exploitants doivent informer toutes les communes touchées. L'Ineris et Météo France modélisent le panache dans des délais très courts et c'est ce qui s'est passé pour Lubrizol : dès l'après-midi, pas moins de deux modélisations ont été envoyées à la préfecture.

Des prélèvements conservatoires ont été réalisés dans toutes les communes touchées.

Courant juillet, nous aurons les prélèvements des Hauts-de-France et les indemnisations concernant indifféremment les communes, les exploitations et les entreprises de Seine-Maritime et des Hauts-de-France.

M. Pascal Martin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quand l'incendie hors norme de Lubrizol a éclaté, j'étais sur place en tant que président du conseil départemental de Seine-Maritime. Je peux attester de la violence du choc et du caractère exemplaire des premières réactions.

L'engagement des salariés de l'usine a été total, sans faille, comme celui du SDIS de Seine-Maritime et des SDIS des six départements voisins. C'est sans doute pourquoi il n'y a eu ni mort, ni blessé, ni habitation endommagée.

Pour autant, l'accident a révélé un certain nombre de faiblesses dans notre système de prévention et de prise en charge des accidents industriels. La prévention est au centre du travail de la commission d'enquête, que je salue. L'incendie de Lubrizol a prouvé que nous devions remettre à plat nos protocoles d'information, en particulier entre la préfecture et les élus. Le plan communal de sauvegarde élaboré par le maire n'est pas articulé avec le plan particulier d'intervention du préfet, les élus locaux ne sont pas associés systématiquement aux exercices de sécurité, trop peu nombreux, et ils ne sont pas destinataires des rapports de contrôles.

Quel rôle pour les communes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Jean-Marc Boyer et Vincent Segouin applaudissent également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Oui, les communes sont au coeur de ce sujet. Elles sont associées aux enquêtes publiques lors des projets d'implantation, mais aussi aux commissions de suivi des sites (CSS) obligatoires pour les sites Seveso seuil haut.

Les collectivités territoriales déclinent les dispositifs réglementaires pour garantir la diffusion de la culture du risque sur leur territoire, via le document départemental sur les risques majeurs.

Malgré ces dispositifs d'information, finalement, la culture du risque n'est pas suffisante. C'est bien pour cela que je lancerai une mission nationale sur ce sujet.

M. Joël Labbé .  - Merci à la commission d'enquête pour la qualité de son travail. L'incendie de Lubrizol a rappelé au grand jour les risques d'un développement mal contrôlé de l'industrie et l'importance de veiller au principe de non-régression. Or depuis 2009, on constate de multiples reculs ainsi qu'une instabilité du droit de l'environnement. Au prétexte de la simplification, ce droit ne cesse de se complexifier au prix d'un affaiblissement des normes et d'une insécurité juridique accrue : régime de l'enregistrement, relèvements de seuil, suppressions de consultations obligatoires, chute du nombre de contrôles. Les sanctions, peu dissuasives, sont en outre rarement appliquées. En cas de manquement grave, la réponse pénale doit être renforcée, avec des amendes proportionnelles au chiffre d'affaires. Le Gouvernement prévoit-il de renforcer les sanctions ? (M. Yvon Collin applaudit.)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il ne faut pas confondre simplification des démarches et niveau de protection. Depuis dix ans, les gouvernements successifs ont simplifié les procédures pour accroître la transparence et la participation du public ; il ne s'agit pas d'abaisser les règles de sécurité applicables aux installations, bien au contraire.

Mon plan d'action de février renforce la transparence sur les accidents et leurs conséquences ainsi que les moyens de contrôles. Il faut s'assurer que les poursuites pénales aient lieu et que les sanctions soient dissuasives. C'est tout le sens du travail engagé avec la garde des sceaux pour revoir le niveau des sanctions et mettre en place de juridictions spécialisées.

M. Joël Labbé.  - La Convention citoyenne pour le climat s'est prononcée pour une sanction forte des atteintes à l'environnement via l'incrimination d'écocide. Il faudrait à tout le moins renforcer le droit pénal environnemental et créer un délit de mise en danger de l'environnement.

Mme Françoise Cartron .  - Sur les 1 312 sites classés Seveso, 157 se situent en Nouvelle Aquitaine, la Gironde comptant pas moins de 35 sites Seveso Plus.

En fin d'année dernière, le président de l'Association des collectivités pour la prévention des risques technologiques majeurs avait attiré notre attention sur le manque d'information des élus locaux. Les Français sont 90 % à se sentir mal informés sur les risques que présentent les installations industrielles et chimiques. Se pose la question de la composition des structures garantissant l'information et la participation du public, ainsi que celle du type de système d'alerte. Comment mieux associer les élus à la réponse opérationnelle ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - De nombreux outils existent : commission de suivi des sites, secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles, document départemental sur les risques majeurs, mais ils sont sans doute trop formels et ne permettent pas de toucher la population.

La mission pluridisciplinaire sur le renforcement de la culture du risque examinera la pertinence des dispositifs existants et proposera un diagnostic partagé avec les parties prenantes, ainsi que des pistes d'approche participatives pour mieux associer les élus.

La France est dotée d'un réseau national d'alerte de 4 500 sirènes, testées le premier mercredi du mois. Les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés par les préfectures et un dispositif pour faire sonner les téléphones portables dans une zone donnée est à l'étude. En application de la directive européenne, le Cell Brodcast devrait être testé assez rapidement. Il faut davantage associer les élus aux exercices menés en application des PPI, l'objectif étant que l'État et les élus travaillent main dans la main.

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2013, date d'un premier accident à Lubrizol, l'État s'était engagé à mettre en place un atelier d'écriture pour indiquer les acteurs compétents et mieux associer les populations. Cela n'a jamais eu lieu et la cacophonie qui a régné en 2019 a participé au discrédit de la parole publique : pas moins de six visites ministérielles en une semaine pour autant de déclarations divergentes ! Que comprend le public lorsqu'on lui dit que la qualité de l'air est satisfaisante alors qu'il ressent irritations, nausées et maux de tête et observe un important panache noir ?

Nous avons besoin de subsidiarité. Pourquoi ne pas davantage écouter les associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air (AASQA) et mieux les intégrer au dispositif ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous avons des progrès à faire en matière d'information dans la gestion de crise, mais aussi dans la prévention et la culture du risque, hors évènement de crise. C'est l'objet de la mission pluridisciplinaire.

Oui, les AASQA sont des partenaires intéressants, elles sont associées. Atmo-Normandie a été sollicitée pour participer à la surveillance de la qualité de l'air ; elle a identifié des substances ne provenant pas de l'incendie. Je comprends que sa décision de suspendre la diffusion de son indice ait pu inquiéter.

Le Gouvernement continue de travailler en lien avec les AASQA en cas d'accident industriel. Nous devons renforcer le réseau des intervenants en situation post-accidentelle.

M. Jean-François Husson.  - Aujourd'hui, les AASQA sont mises à l'écart. (Mme la ministre le conteste.) Elles vous fournissent des informations mais ne sont pas en première ligne dans la communication de l'État. Il est temps de vous ressaisir.

Mme Nelly Tocqueville .  - En 2013 déjà, on constatait un déficit de communication en direction des élus et de la population.

En 2019, les riverains de l'usine Lubrizol sont réveillés par des explosions à 3 heures du matin, bien avant les premières alertes officielles, et sortent dans la rue, s'exposant aux fumées. La maire du Petit-Quevilly, enfin informée, déclenche le système d'alerte à 6h11, mais ce n'est qu'à 7h45 que la préfecture alerte les autres communes impactées. À vouloir éviter la panique, les services de l'État ont créé un vide propice à l'angoisse !

La sous-exploitation des réseaux sociaux n'a pas permis de diffuser des explications ni d'informer sur les conduites à tenir. Contrairement à d'autres préfectures, celle de Seine-Maritime n'a pas passé de convention qui lui aurait permis de détecter, en amont, les activités sur les réseaux sociaux, pour mieux les maîtriser.

L'exemple de la vallée de la chimie montre pourtant que les grands acteurs, publics et privés, peuvent élaborer des stratégies communes de communication de crise.

Le Cell Brodcast sera-t-il mis en place en 2021 ? Pourquoi pas plus tôt ? Faudra-t-il un autre accident grave pour que nous tirions les leçons du 26 septembre ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La communication de crise - qui ne relève pas de mon ministère - mérite certes un retour d'expérience, qui est en cours.

Il faut un meilleur suivi des réseaux sociaux pour identifier les attentes du grand public, prévenir la confusion et les fausses nouvelles. Il faut s'appuyer sur les moyens les plus modernes : le ministère de l'Intérieur généralisera le Cell Brodcast en 2021, comme le prévoit la directive européenne.

Aurait-il fallu déclencher les sirènes plus tôt ? Les études les plus récentes indiquent qu'il aurait été dangereux de pousser les habitants à sortir de chez eux, en pleine nuit, avant que l'incendie n'ait été maîtrisé.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Élue de ce territoire, présente dans les heures et jours suivant l'incendie, je peux témoigner de l'absence regrettable d'informations à destination des élus ; je l'avais évoqué dès le lendemain lors des questions au Gouvernement. Ni les maires des communes limitrophes, ni ceux des 112 communes impactées par le nuage de fumée n'ont été informés.

Est-il normal que ce soient les gendarmes qui informent les élus ? Comment peuvent-ils rassurer leurs administrés, relayer les bonnes consignes ? C'est pourquoi j'ai voulu inscrire dans le marbre l'obligation d'information des élus en cas d'évènement grave, par un amendement adopté dans la loi Engagement et proximité.

Notre commission d'enquête a montré que 62 % des élus manquent d'informations sur les risques industriels, et 78 % des maires sont peu ou pas associés aux exercices de sécurité civile. Comment dès lors cultiver une culture du risque ? Il faut former les élus.

Comment accompagnerez-vous, notamment financièrement, les élus dans l'élaboration des plans communaux de sauvegarde (PCS) ? Je pense surtout aux communes rurales qui ont à gérer les conséquences environnementales et agricoles.

Ferez-vous confiance aux élus locaux pour assurer la diffusion cellulaire ? La maire de Port-Jérôme-Sur-Seine milite de longue date pour que sa commune puisse l'expérimenter ; elle n'a jusqu'ici reçu aucune réponse. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Oui, les élus des communes voisines d'un établissement Seveso doivent être associés en cas de situation de crise. La démarche mérite d'être systématisée, sur un périmètre pertinent et selon la nature de l'installation et des conséquences de l'accident.

Tous les élus concernés par le panache pouvaient légitimement souhaiter être informés. Cela fait partie de notre retour d'expérience.

Les élus reçoivent les documents départementaux sur les risques majeurs mais c'est sans doute trop formel. Nous devons réfléchir à une association plus interactive à la prévention et la gestion des crises, notamment dans le cadre des exercices, pour qu'élus et État travaillent main dans la main à développer la culture du risque. J'ai fait parvenir à tous les élus une boîte à outils sur le sujet.

M. René Danesi .  - L'excellent rapport de la commission d'enquête relève que la gestion de crise est inadaptée à la réalité des risques. Règlementation et contrôles sont insuffisants.

Selon Le Monde du 7 février, les dirigeants de Lubrizol étaient informés des risques depuis 2014 mais n'y ont pas prêté attention car leurs installations étaient conformes à la réglementation en vigueur. Or l'administration n'avait pas connaissance de tous les produits stockés et de leur quantité.

L'instruction du Gouvernement du 31 décembre 2019 recommande de confronter les éléments fournis par les exploitants, comme les études de danger, à la réalité du terrain et le rapport sénatorial préconise des passerelles entre l'administration et les assureurs. Mais cela ressemble à un voeu pieux.

Le Gouvernement envisage-t-il de contraindre les exploitants d'usines Seveso seuil haut, à transmettre à l'administration les rapports complets des assureurs ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - On ne peut pas se satisfaire du délai nécessaire à l'envoi de la liste précise des produits concernés par l'incendie.

Nous devons revoir la réglementation pour demander que soit fournie la liste des produits à rechercher et leurs composés ; cela sera mis en oeuvre au cours de l'été. La mission des inspecteurs des ICPE et celle des assureurs sont complémentaires : l'objectif commun est de prévenir les accidents. La mission d'information de l'Assemblée nationale a recommandé d'imposer aux exploitants d'installation Seveso de mettre à disposition les rapports de visite des experts des assurances. Nous l'avons prévu et consultons les professionnels.

M. René Danesi.  - Merci.

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - Je regrette que la ministre n'ait pas apprécié le ton de notre rapport. Est-ce si désagréable que le Parlement fasse son travail ?

J'ai mené des entretiens avec des élus locaux du Rhône. Les communes concernées par des sites Seveso ont connaissance des risques et développé une expertise en interne. Il faut les reconnaitre à leur juste place.

La commission a insisté sur la nécessité d'une formation permanente des citoyens, ce qui suppose des exercices inopinés, qui perturbent la vie quotidienne des habitants.

Comment les organiser, dans un esprit de concertation ? Seriez-vous favorable à la création d'un fonds dédié pour les organiser ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les communes jouent un rôle clé de prévention des risques et l'État doit les associer aux étapes clé de la vie d'un site industriel. C'est le cas dès l'autorisation d'installation. Après les études d'impact, une enquête publique est organisée et l'avis des collectivités territoriales est demandé. Les élus participent aux commissions de suivi de site et aux secrétariats permanents pour la prévention des pollutions.

Les collectivités territoriales ont des dispositifs réglementaires pour diffuser la culture du risque et élaborent leurs propres documents, le document départemental de prévention des risques majeurs et le document intercommunal. On pourrait également envisager une journée nationale dédiée, sur le modèle japonais, et une sensibilisation adaptée aux enjeux territoriaux.

M. Gilbert-Luc Devinaz.  - Vous n'avez pas répondu sur les exercices grandeur nature. Les élus n'ont souvent pas les éléments des services déconcentrés. En outre, ces exercices ont un coût et l'argent est le nerf de la guerre. Sans argent, rien ne se fera. Or ils sont fondamentaux pour bâtir une culture commune. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'heure où l'on parle de la réindustrialisation stratégique de la France, attention à ce que ce type de catastrophe n'entraîne pas une délocalisation des sites.

La France a des standards élevés de sécurité ; l'État doit en assurer le contrôle. Faisons confiance aux professionnels. Mais plus c'est dangereux, plus il faut contrôler.

Les collectivités territoriales ont de nombreuses responsabilités en matière de risques industriels. Mais les élus locaux n'ont pas toujours les éléments ni les moyens pour répondre aux inquiétudes de la population.

La commission d'enquête préconise une meilleure articulation entre plans particuliers d'intervention et plans communaux de sauvegarde. Il faut faire confiance aux élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je suis convaincue du rôle essentiel des communes dans la prévention des risques. Les élus ont un rôle de premier plan pour rassurer et informer la population.

Le document départemental de prévention des risques majeurs, élaboré par le préfet, est la base sur laquelle les élus s'appuient pour les documents locaux. Les plans communaux de sauvegarde doivent recenser les solutions et les moyens dont disposent les collectivités. État et collectivités territoriales doivent travailler main dans la main. C'est ainsi que nous aurons une meilleure réaction en cas de crise.

M. Guillaume Chevrollier.  - Il est nécessaire de développer une culture du risque pour que les citoyens aient confiance.

Une meilleure articulation entre État et collectivités territoriales est nécessaire pour une réindustrialisation en confiance.

M. Jean-Claude Tissot .  - L'impact de l'incendie sur l'environnement et notamment sur l'eau a été très peu pris en compte.

Le préfet a reconnu que la pollution de la Seine était inévitable, tant par la pollution due à l'incendie lui-même que par les procédés utilisés pour l'éteindre, les eaux d'extinction s'étant écoulées par les sols. Selon la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), le 18 février, il n'y a pas eu de trace de pollution hors de la darse, dans laquelle avaient été recueillies les eaux écoulées lors de l'incendie, mais dans ce bassin, les espèces ont manqué d'oxygénation.

Si une catastrophe intervenait dans l'usine SNF à proximité de la Loire en amont, quelles seraient les conséquences en aval ? L'eau est un patrimoine commun, déjà fragilisé par l'activité humaine. Comment le préserver en cas de catastrophe industrielle ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous nous sommes évidemment préoccupés de l'ensemble des impacts de l'incendie sur l'air, l'eau, les sols et les milieux naturels. J'ai mobilisé l'Office français de la biodiversité et les agences de l'eau pour surveiller la surmortalité piscicole. Plus de mille prélèvements ont été effectués sur les sols.

Ma première préoccupation est d'éviter la survenue de nouveaux incendies. C'est le sens des mesures sur le stockage des produits, l'organisation sur site et le risque d'effet domino. La dangerosité pour la vie aquatique est prise en compte dans le classement Seveso. J'ai demandé que l'on renforce les moyens destinés à la remise en l'état des milieux impactés.

M. Jean-Claude Tissot.  - Comment pourrait-on, posteriori, réparer la perturbation dans un fleuve où l'eau court ? Allez-vous contraindre les industriels à organiser la rétention de l'eau d'extinction dans des darses ou étangs très grands ? La pression foncière le permet-elle ?

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'incendie de Lubrizol a créé un climat de panique dans la ville et au-delà. La commission d'enquête a mis en lumière le manque d'information des Français sur les risques et les réactions à adopter en cas d'accident. Pendant l'incendie et dans les jours suivants, la communication du Gouvernement a été approximative. Le Gouvernement devrait s'exprimer d'une seule voix, la vôtre en l'occurrence. Cette gestion hasardeuse a accentué la défiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics.

L'utilisation de sirènes d'alerte est dépassée à l'heure où l'on peut informer par de nombreux autres moyens. Comment le Gouvernement compte-t-il améliorer la communication en direction de la population et des élus locaux ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Un retour d'expérience interministériel est en cours sur la communication de crise. Il faut clarifier les interlocuteurs, entre échelon central et déconcentré. Nous devons mieux suivre l'activité des réseaux sociaux pour détecter les fausses nouvelles et rétablir les faits.

Une mission inter-inspections rendra ses conclusions dans les prochains jours avec pour objectif de moderniser la doctrine de l'État en matière de communication. Dans le cas d'une crise locale, la communication doit être coordonnée par le préfet de département mais renforcée par une task force nationale, comme cela a été le cas à Rouen. Mais cela doit être davantage anticipé. L'information des élus et des professionnels de santé doit être renforcée pour que les messages parviennent jusqu'aux citoyens.

M. Didier Mandelli.  - Je me réjouis de l'élaboration d'une doctrine pour répondre aux attentes de nos concitoyens qui souhaitent une information claire et transparente. Au-delà du préfet, il est préférable que le Gouvernement s'exprime d'une seule voix.

M. Hervé Maurey, président de la commission d'enquête chargée d'évaluer la gestion des conséquences de l'incendie de l'usine Lubrizol .  - Je me réjouis de ce débat, un mois après la publication de notre rapport. Je remercie les rapporteurs, les ministres et l'ensemble de nos collègues. Nous avons formulé quarante propositions, autour de six axes : culture du risque, prévention, gestion de crise, coordination entre l'État et les collectivités territoriales, indemnisation, principe de précaution. Je me réjouis que le Gouvernement ait retenu certaines propositions dès le mois de février, et notamment que le ministère de la Transition écologique ait annoncé la création de cinquante postes d'inspecteurs - c'est indispensable si l'on veut augmenter le nombre de contrôles.

J'ai noté les annonces concernant la création d'un bureau d'enquête accident, un nombre accru d'exercices, une meilleure information sur les stocks. Vous avez souhaité que les sanctions pénales soient renforcées et mieux appliquées. Nous serons attentifs à l'élaboration des textes d'application et verrons s'il y a lieu de les compléter par une proposition de loi.

Sur les questions sanitaires, nous sommes restés sur notre faim. Mme la secrétaire d'État a jugé inutiles des registres supplémentaires ou un suivi épidémiologique sur une cohorte représentative. Vous avez évoqué l'adaptation des registres existants, mais c'est un peu court. La population est d'abord préoccupée par les conséquences sanitaires à moyen et long termes.

Simplifions davantage les organismes qui interviennent dans ces cas-là. Selon Santé publique France, les données sont très nombreuses, les formats variés, et il est complexe d'en faire la synthèse. Entre le SDIS, l'Atmo, le bureau Veritas, l'ARS, les laboratoires spécialisés, la Dreal, l'Anses, et j'en oublie, il y a de quoi en perdre son latin. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR)

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