Peines d'emprisonnement en Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Cette proposition de loi a pour objet l'homologation des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie. Ce territoire dispose d'une autonomie permettant au Congrès et aux assemblées de province, dans les matières de leur compétence, de créer des infractions assorties de peines d'emprisonnement, conformément à la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Les peines d'emprisonnement nécessitent cependant une homologation par le Parlement. Or les délais d'homologation sont parfois longs, faute de vecteur législatif. Il s'agit de rattraper le retard pris depuis plusieurs années.

L'homologation ne peut intervenir que sous deux conditions. La collectivité doit respecter la classification des délits : seules peuvent donc être retenues des peines prévues par la législation nationale, et elles ne peuvent être plus sévères que celles prévues pour les infractions de même nature en métropole. En pratique elles sont le plus souvent identiques.

La proposition de loi respecte bien la classification des délits et la durée des peines.

Elle concerne effectivement des compétences locales, droit social, environnemental, droit de l'urbanisme, des assurances ou du sport, ou ancien code de la santé publique. Quelque quarante-sept infractions sont visées, telles que la fabrication et la vente de médicaments falsifiés, l'exercice illégal de la médecine vétérinaire, ou encore, dans le code de l'environnement de la province Sud, le délit d'obstacle à la mission de contrôle administratif en matière d'environnement.

L'homologation est nécessaire pour assurer une répression équivalente à ce qui existe en métropole. Elle offrira au juge pénal un panel de peines plus étoffé et diversifié, incluant le travail d'intérêt général (TIG), les jours-amende ou les stages de citoyenneté.

Le Gouvernement est favorable, au nom du principe d'égalité, à l'application de sanctions similaires sur l'ensemble du territoire de la République. Au total, quatre-vingt-deux peines pourront être homologuées.

Avis favorable, donc, à la proposition de loi, dont l'adoption est très attendue. Il serait du reste judicieux qu'un texte de ce type soit examiné annuellement.

M. Jacques Bigot, rapporteur de la commission des lois .  - La commission des lois est favorable à un vote conforme afin que ces peines qui n'étaient pas accessibles soient rapidement applicables.

Songez que le harcèlement moral et sexuel avait été inscrit dans le code du travail de Nouvelle-Calédonie mais ne pouvait pas être puni d'emprisonnement.

La proposition de loi de notre collègue député de Nouméa, Philippe Dunoyer, ne présente pas de difficultés au regard du droit général.

Il fallait s'assurer que les peines décidées par les assemblées calédoniennes concernent exclusivement des domaines de compétence propres à la Nouvelle-Calédonie. C'est le cas.

Nous devions aussi vérifier si la rédaction de l'infraction était suffisamment claire pour permettre au juge de prononcer la peine d'emprisonnement. C'est ainsi que la commission des lois de l'Assemblée nationale n'a pas suivi l'auteur sur un article dont la rédaction était trop imprécise.

Les infractions correspondent à ce qui existe dans nos codes. Je regrette que la définition de la pollution soit un peu plus circonscrite que la définition nationale, mais nous n'avons pas à nous prononcer sur le fond du droit, uniquement sur les peines d'emprisonnement.

L'article premier ne pose aucune difficulté. Se sont ajoutés trois articles qui ne concernent que la province Sud, la seule à avoir communiqué des peines à homologuer.

Le sujet est ainsi clos. Il serait néanmoins important que le Parlement homologue ces dispositions non plus au détour d'un amendement ou d'une proposition de loi d'un parlementaire calédonien, mais lors d'un rendez-vous quasi annuel... sous réserve de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République.

La commission des lois propose de suivre le texte de l'Assemblée nationale afin qu'il entre en vigueur. Il est attendu par la Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Yvon Collin applaudit également.)

M. Jérôme Bignon .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC) Collectivité d'outre-mer disposant d'une large autonomie, la Nouvelle-Calédonie peut décider de peines d'emprisonnement, mais le Parlement doit les homologuer. Il le fait le plus souvent au détour d'un amendement ou à l'occasion d'un projet de loi sur l'outre-mer ; les véhicules législatifs sont rares, ce qui allonge les délais. Or, faute d'homologation, le régime de sanctions en Nouvelle-Calédonie est anormalement léger. Aussi, cette proposition de loi est la bienvenue, car elle permet de résorber les retards accumulés.

Les peines d'emprisonnement doivent respecter les dispositions constitutionnelles en matière pénale ; être prises dans un domaine de compétences propre de la Nouvelle-Calédonie ; ne pas dépasser le quantum métropolitain ; et respecter la classification des délits.

Quelque 59 peines doivent être homologuées. Elles respectent toutes les conditions que je viens d'énoncer. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie s'est inspiré des peines en vigueur dans le reste du territoire de la République.

Trois articles ont été ajoutés à l'Assemblée nationale. Plus d'un an s'est écoulé depuis l'examen de la proposition de loi par la commission des lois de l'Assemblée nationale, et six mois depuis l'adoption en séance par les députés le 14 janvier 2020.

Je me félicite que la commission des lois du Sénat ait fait le choix d'un vote conforme. Ce texte ne soulève pas de difficulté et le groupe Les Indépendants le votera.

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi vise l'homologation de peines d'emprisonnement prévues dans la réglementation de Nouvelle-Calédonie. Je salue notre collègue sénateur Gérard Poadja dont nous connaissons l'engagement pour son territoire. Je remercie le député Philippe Dunoyer qui s'est mobilisé pour combler un vide juridique. Les provinces peuvent créer des infractions pénales dans leur domaine de compétences mais les peines d'emprisonnement doivent être homologuées par le Parlement national.

Aujourd'hui, plus de 70 peines figurent dans la proposition de loi - contre une cinquantaine initialement.

La Chancellerie s'est beaucoup impliquée dans cette proposition de loi importante. Celle-ci est très attendue, car certaines peines d'emprisonnement ont été créées en 2014, comme celles sanctionnant le harcèlement sexuel et moral au travail, or les tribunaux de Nouvelle-Calédonie ne peuvent toujours pas les prononcer.

Il s'agit de délits non négligeables, la vente de médicaments falsifiés, l'exercice illégal de la médecine vétérinaire, travaux sans permis de construire ou encore émission de substances polluantes par les entreprises. Il y a urgence à les homologuer, pour le bon fonctionnement de la justice.

J'espère que cette proposition de loi ouvrira la voie à un examen plus régulier des demandes d'homologation par la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française. Les conditions d'homologation ne sont pas satisfaisantes, elles se font par amendement le plus souvent. La proposition de loi est une très bonne initiative, mais il a fallu quatorze mois pour que la procédure législative parvienne à son terme !

Il faut en finir avec les textes de rattrapage. Les parlementaires ultramarins demandent aussi, depuis longtemps, une meilleure prise en considération des sujets qui les concernent. Institutionnalisons un rendez-vous de ce type au Parlement. Nicole Belloubet y était favorable lors de l'examen de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. Monsieur le ministre, vos paroles ont été entendues, nous serons attentifs à leur concrétisation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants ; M. Guillaume Arnell applaudit également.)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi vise l'homologation de peines d'emprisonnement prévues dans la réglementation de Nouvelle-Calédonie, qui dispose d'une large autonomie. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie et les trois assemblées provinciales peuvent créer des infractions pénales. Les peines d'emprisonnement nécessitent une homologation, on l'a dit.

Cette proposition de loi concernait initialement une cinquantaine de peines. L'Assemblée nationale en a ajouté une vingtaine.

Pour une application dans les meilleurs délais, le groupe Les Républicains votera conforme la proposition de loi. Nos territoires ultramarins sont pleinement la France, dans la diversité de leurs paysages et leur culture, sous notre drapeau commun. N'oublions jamais ce que nous leur devons. Si la France est le deuxième espace maritime mondial derrière les États-Unis, c'est grâce à eux.

M. Guillaume Chevrollier.  - C'est vrai !

M. François Bonhomme.  - Leurs espaces naturels d'une grande richesse doivent être protégés. Les récifs coralliens français constituent ainsi 10 % du total mondial. Ils sont notre patrimoine commun et notre avenir !

Ces territoires sont marqués par des difficultés économiques et sociales préoccupantes. Mais des investissements dans l'économie de la mer, une meilleure insertion de leur environnement régional et une meilleure promotion touristique devraient leur permettre de se développer et d'assurer leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC, RDSE et LaREM)

M. Yvon Collin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Cela fait plus de six ans que des personnes coupables d'infractions pénales n'ont pas vu l'ombre d'un pénitencier. Le Congrès et les trois assemblées locales de Nouvelle-Calédonie disposent du droit de légiférer en matière pénale, mais dans le respect de conditions. Les peines privatives de liberté sont soumises à l'homologation du Parlement. Depuis 2014, quelque 70 peines sont en attente, les coupables ne pourront être condamnés qu'aux amendes et peines complémentaires. Cela n'est pas satisfaisant. La procédure d'aujourd'hui est ponctuelle, mais elle devrait intervenir au moins une fois par an, sous une forme simplifiée. On pourrait du reste s'interroger sur des véhicules d'homologation plus souples, prenant le relais du Parlement.

Ce texte nous rappelle aussi que les sujets ultramarins ne sont jamais prioritaires... Et qui est responsable en matière de justice outre-mer : le garde des sceaux ou le ministre de l'outre-mer ?

Je salue la vigilance de la commission des lois, et me réjouis qu'elle ait accepté l'ensemble des peines. Cela permettra au droit calédonien d'avancer dans la bonne direction.

Je m'autorise une parenthèse pour me féliciter du report du référendum d'autodétermination au 4 octobre ; c'est une bonne décision. On a vu en métropole les effets de la crise sanitaire sur la participation électorale...

Je salue aussi l'initiative du Gouvernement et de l'Agence française de développement (AFD), « Outre-mer en commun », pour soutenir les entreprises et collectivités ultramarines alors que l'on attend une baisse du PIB de 5 %. Il y aura notamment un prêt amortissable de 240 millions d'euros accordé par l'AFD à la Nouvelle-Calédonie. Mais ces aides seront peut-être encore insuffisantes. Les jeunes souffrent à 36 % du chômage !

L'outre-mer, ce n'est pas une affaire d'identité mais de coeur, comme l'a souligné le nouveau ministre des territoires d'outre-mer M. Lecornu.

Pour simplifier la procédure d'homologation, je m'en remets à vous, monsieur le garde des sceaux, en qui nous avons entière confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Ce texte est un exemple fort de la diversité et de la richesse des statuts ultramarins. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie peuvent créer des infractions et des peines, mais ces dernières doivent être homologuées par le Parlement.

En l'occurrence, elles concernent bien des champs de compétences du Congrès et des assemblées de province. Et elles respectent la classification des délais. Mon groupe soutiendra cette proposition de loi - reflet des difficultés rencontrées par nos territoires. Des peines d'emprisonnement sont en attente depuis 2014, faute de texte adéquat !

Je soutiens la demande de nos amis calédoniens, qui souhaitent un rendez-vous législatif annuel, ou au moins régulier. Le Gouvernement a prononcé la procédure accélérée. Ce texte a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale et la commission des lois du Sénat a fait le choix d'un vote conforme. Merci au rapporteur pour son travail de qualité.

Au centre pénitentiaire de Nouméa, seul établissement de Nouvelle-Calédonie, les conditions de détention sont régulièrement dénoncées, en particulier la surpopulation chronique, 138,5 % en octobre 2018. Malgré les rapports et les constats, le problème persiste. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC)

Mme Esther Benbassa .  - L'État français a longtemps joué un rôle important dans l'administration des territoires du Pacifique sud. Issue de la colonisation, cette gestion lointaine depuis Paris a tendance à s'estomper. Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a progressé et une large autonomie a été conférée à certains territoires.

La loi statutaire de 1999 autorise ainsi la Nouvelle-Calédonie à légiférer dans certains domaines restreints ; mais lorsque son Congrès crée une infraction pénale assortie d'une peine d'emprisonnement, cette dernière doit être homologuée par le Parlement.

Cela est légitime afin de vérifier que la durée d'emprisonnement n'excède pas celle prévue par le droit français pour une infraction similaire.

Cette proposition de loi vise à faire homologuer 59 peines d'emprisonnement qui portent notamment sur le harcèlement sexuel et moral au travail, droit de la santé, des assurances ou de l'environnement.

Il y a urgence à agir. Certaines peines ont été créées en 2014 : six ans plus tard, les juridictions calédoniennes ne peuvent toujours pas les prononcer !

Une telle insécurité juridique ne peut que fragiliser le statut de la victime et sa confiance dans la justice de notre pays.

Depuis 1999, les homologations sont peu fréquentes et se font par voie d'amendements ou par des propositions de loi déposées par des parlementaires ultramarins, comme s'ils étaient les seuls à être les garants de cette obligation. Mais n'est-ce pas la responsabilité du Gouvernement ? Ne faudrait-il pas un texte annuel ?

Nos territoires d'outre-mer n'ont été que trop délaissés. Crise économique endémique, chômage de masse, conditions sociales dégradées : évitons de leur faire subir de surcroît de tels dysfonctionnements. Sans parler des détenus calédoniens qui endurent des conditions très difficiles au centre carcéral de Nouméa, dont le taux d'occupation est de 135 %.

Le groupe CRCE soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Permettez-moi d'exprimer ma gratitude à l'égard du Sénat, qui me gratifie de dix minutes (Mme Marie-Pierre de la Gontrie s'amuse.) alors que l'excellent rapporteur Jacques Bigot a déjà tout dit ! Habituellement l'écart entre le temps imparti et ce que l'on a à dire est inverse... Seul Robert Badinter parlait deux fois plus que le temps prévu sans qu'aucun président de séance n'osât l'interrompre.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Tentez votre chance !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il y a tant à dire, pourtant, sur la Nouvelle-Calédonie ! En 2014, avec Mmes Joissains et Tasca, nous avions commis un rapport sur la Nouvelle-Calédonie. Certaines de nos recommandations restent d'actualité. Sur la prison de Nouméa, des progrès ont été accomplis mais il reste beaucoup à faire.

On pourrait parler aussi du nickel, dont les produits ne reviennent pas à la population.

On pourrait parler des tensions dans la préparation du prochain référendum.

On pourrait surtout évoquer Michel Rocard qui a permis un accord entre deux personnes - elles ne sont plus là aujourd'hui - qui se sont unies en dépit de tout ce qui les séparait.

Monsieur le garde des Sceaux, je souhaiterais également entendre l'éminent juriste que vous êtes sur l'utilisation des couleurs bleu, blanc, rouge, interdite par le code électoral aux candidats à une élection, mais autorisée par décret à l'une des deux parties en présence dans le référendum calédonien. J'ai reçu des messages sur ce point, notamment de Paul Néaoutyine. Les trois couleurs de la France appartiennent à toute la France, celle de l'hexagone et de l'outre-mer... tant qu'un autre chemin n'a pas été choisi.

J'arrive à la moitié de mes dix minutes.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Pas tout à fait ! Malgré un bel effort !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je n'abuserai pas de mon temps de parole.

Les peines à homologuer doivent respecter les quatre conditions qui ont déjà été présentées. Tel est le cas, Jacques Bigot a examiné chacune des dispositions avec la plus grande attention.

Nous voterons donc ce texte.

Souvent les dispositions relatives à l'outre-mer sont dans le dernier article des projets de loi et sont examinées très vite. Six ans d'attente, ce n'est pas très respectueux de l'outre-mer et de ses habitants. Si ce type de loi revient avec régularité, ce sera une bonne nouvelle. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et LaREM)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux .  - Époque bénie - mais révolue - où le garde des Sceaux pouvait s'exprimer sans être interrompu !

Six ans, c'est insupportable et nous pouvons envisager une révision annuelle. Une procédure simplifiée serait également souhaitable.

L'ouverture d'un centre de détention à Koné en 2021 apportera une réponse à la surpopulation carcérale, qui nous préoccupe tous.

Mme la présidente.  - Rassurez-vous, monsieur le garde des Sceaux, comme ministre vous disposez de tout le temps que vous souhaitez. M. Sueur faisait référence au temps où M. Badinter siégeait ici comme sénateur.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Les articles premier, 2, 3 et 4 sont adoptés.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

Mme la présidente.  - Belle unanimité ! (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.