Mesures de sûreté contre les auteurs d'infractions terroristes (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine.

Discussion générale

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Depuis trois ans que je suis ici, chère Catherine, j'ai apprécié beaucoup de travailler avec vous. Vous êtes un modèle pour moi. Merci.

La CMP est parvenue à un accord sur ce texte dont j'ai défendu l'utilité devant vous il y a deux jours : dans les trois années à venir, plus de 150 terroristes sortiront de détention. Il nous appartenait d'agir avec célérité et efficacité. Députés et sénateurs ont travaillé à un objectif commun, c'est pourquoi l'accord en CMP sur les divergences qui subsistaient a été facile à trouver. Son absence aurait été difficilement compréhensible pour nos concitoyens.

Nous avons su concilier efficacité du dispositif et protection des libertés. La constitutionnalité de la mesure de sûreté est garantie par la limitation du périmètre de la mesure de sûreté aux personnes condamnées à plus de cinq ans de prison, comme le souhaitait le Sénat. En revanche, nous avons renoncé à la durée de deux ans pour l'application de la mesure, ayant reçu des garanties sur l'applicabilité de la durée d'un an.

Les garanties procédurales ont été conservées ; le principe de la collégialité est maintenu pour les modifications les plus importantes, mais le juge de l'application des peines (JAP) dispose d'une capacité d'adaptation. La définition de la dangerosité retenue par le Sénat a été maintenue, ainsi que le volet relatif à la réinsertion, avec l'intervention du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) à laquelle j'étais très attachée.

Le suivi des mesures reviendra au JAP antiterroriste plutôt qu'au juge territorialement compétent.

Sur le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), la CMP a rétabli la possibilité d'un cumul avec d'autres mesures comme le pointage électronique, le Sénat craignant une restriction disproportionnée de la liberté d'aller et venir.

L'inscription au fichier des personnes recherchées a elle aussi été maintenue.

Assemblée nationale et Sénat ont fait preuve de responsabilité en adoptant ce texte dans un délai court ; mais il ne se substitue pas à la prise en charge du suivi de la déradicalisation, à laquelle je suis, vous le savez, très attachée.

Je vous invite, chers collègues, à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Non, non et non, je n'ai pas été pris, soudain d'une folie liberticide et je n'ai pas du tout le sentiment de m'être renié.

Je n'aurais pas porté ce texte s'il maintenait en détention les condamnés à l'issue de leur peine.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Moi non plus !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Les condamnés pour terrorisme qui sortent de détention après avoir purgé leur peine doivent se soumettre à certaines obligations prononcées par un magistrat de l'ordre judiciaire, sans quoi ils y retournent. La remise en liberté des condamnés toujours radicalisés est un problème qu'il ne faut pas ignorer, mais qu'il faut traiter pour garantir la sûreté de nos concitoyens, sans remettre en cause le pacte républicain qui repose sur nos libertés fondamentales et inaliénables.

La célérité de la CMP témoigne de l'engagement du législateur et la détermination des rapporteures, Mme la sénatrice Eustache-Brinio et Mme la présidente Braun-Pivet. Qu'elles en soient remerciées.

L'article premier permet au juge judiciaire d'imposer des mesures de sûreté en encadrant le dispositif de garanties indispensables. Le dispositif est réservé aux condamnés pour faits de terrorisme à une peine de plus de cinq ans de privation de libertés, trois ans en cas de récidive. La mesure de sûreté dure un an. Une réévaluation régulière me semble indispensable. Je me félicite que la CMP ait statué en ce sens.

C'est l'autorité judiciaire, et elle seule, qui pourra prononcer les mesures de sûreté. C'est en soi un progrès : le juge statuera à l'issue d'un débat contradictoire ; le condamné sera assisté d'un avocat et pourra faire appel.

Vous avez prévu la possibilité d'une mainlevée à tout moment.

Il sera essentiel d'évaluer les dispositifs de prévention de la récidive terroriste, dont la complexité peut nuire à l'action de l'État. Il est nécessaire de proposer une remise à plat des dispositifs existants afin que l'empilement actuel retrouve une cohérence et une lisibilité d'ensemble.

Ceux-là mêmes qui ne veulent pas admettre l'équilibre auquel vous êtes parvenus sont ceux qui critiqueront, demain, votre effroyable laxisme lorsque par malheur un condamné récidivera. Surtout, on ne les entendra plus lorsque cette loi portera pleinement ses effets, à savoir protéger les Français tout en préservant notre modèle de société, les libertés fondamentales et l'État de droit qui le fondent.

Mesdames et messieurs les sénateurs, j'apporte mon soutien clair aux conclusions de vos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM et sur le banc de la commission)

Mme Colette Mélot .  - Permettez-moi de saluer avant tout Mme la présidente, avec qui j'ai travaillé au sein du groupe interparlementaire d'amitié France-Allemagne qu'elle a animé avec diplomatie et passion.

Le groupe Les Indépendants partage pleinement l'objectif poursuivi par cette proposition de loi. Le terrorisme est une menace qu'il nous faut combattre, mais nous avons quelques réserves sur les moyens prévus pour ce faire. Le plus emblématique est le bracelet électronique, qui n'est pas une géolocalisation. Il ne pourra être mis en oeuvre qu'avec l'accord des intéressés. Le gain de sécurité pour les Français nous paraît trop mineur pour justifier le coût juridique de ces mesures. Avocats et magistrats dénoncent en outre la contradiction des principes juridiques fondamentaux comme celui de non bis in idem ou encore de non-rétroactivité de la loi pénale.

Le Conseil d'État a qualifié ces dispositions de mesures de sûreté et non de peines, en admettant que la frontière est parfois peu nette - étant restrictives et non privatives de liberté, elles peuvent légitimement être rétroactives.

Notre arsenal judiciaire contre le terrorisme, fruit d'un empilement de mesures éparses, est trop complexe. Les dispositifs existants doivent être harmonisés.

Il faut aussi davantage de moyens matériels et humains pour la justice et les services d'enquête.

Enfin, il faudra réfléchir aux moyens de renforcer l'efficacité de la réinsertion des personnes condamnées. La prévention de la récidive est l'un des défis les plus importants de notre politique pénale.

Le groupe Les Indépendants s'abstiendra dans sa majorité sur ce texte.

Mme Nathalie Goulet .  - Je salue le travail de la CMP et les apports du Sénat. Le groupe centriste votera ce texte. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure, s'en réjouit.) Je n'utiliserai pas tout mon temps de parole avec le talent de M. Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous en seriez capable !

Mme Nathalie Goulet.  - Je vous remercie. Il est essentiel d'évaluer nos dispositifs existants, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Le manque d'évaluation dans votre ministère fait partie des « mauvaises habitudes » dont vous avez parlé.

Le Sénat s'est toujours montré solidaire du Gouvernement contre le terrorisme.

Enfin, alors que le Brexit se profile, il faudra se poser la question du mandat d'arrêt européen, et d'Europol. Notre politique de sécurité n'aura de sens qu'au niveau européen et, de ce point de vue, elle est mise en difficulté par le Brexit.

Lors du débat budgétaire, nous serons très attentifs à la mission « Justice », qui conditionne la mise en oeuvre des mesures présentées aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Yves Leconte .  - La lutte contre le terrorisme mérite une clarification complète des responsabilités de chacun - autorité judiciaire et pouvoir exécutif.

En 2014, nous avons créé de nouvelles infractions pour judiciariser des personnes n'étant pas encore passées à l'acte violent ; en 2015, nous avons donné la possibilité légale à nos services de renseignement de détecter les risques sur notre territoire.

Pas de mesures éparses, avez-vous dit, monsieur le ministre, mais en voici une de plus ! De quoi parlons-nous sinon d'une contrainte après la peine, prononcée au moment de la libération. Ce n'est pas une peine, dites-vous aussi, mais j'observe que plusieurs personnes avant-hier, pourtant favorables au texte, ont utilisé le mot de « peine »...

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure.  - Une seule personne !

M. Jean-Yves Leconte.  - J'observe que l'on va contraindre sur la seule foi d'une dangerosité présumée. Monsieur le ministre, c'est en contradiction avec vos positions passées contre une culpabilité par la dangerosité, le code pénal laissant place à un code de la sûreté.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est caricatural.

M. Jean-Yves Leconte.  - D'autres, moins subtils que vous, seront tentés d'aller plus loin dans cette direction.

Nous ne sommes pas sur une ligne de crête : nous n'avons pas à conjuguer deux principes qui peuvent se heurter. On ne peut condamner deux fois et il n'y a pas de peine après la peine. Des mesures plus fortes que celles rendues possibles par ce texte pourront être prononcées par l'autorité administrative. De plus, le suivi sera assuré par le juge de l'application des peines, ce qui entretient la confusion.

Le groupe socialiste et républicain, pour toutes ces raisons, votera contre ce texte. L'efficacité, c'est revenir aux principes de base. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

M. Jean-Marc Gabouty .  - La CMP a abouti à un compromis sur cette proposition originale, qui rassemble sous un régime commun des mesures administratives et judiciaires ; la Haute Assemblée y a apporté des clarifications bienvenues, alors que les mesures législatives intervenues après 2015 avaient complexifié en les diversifiant tous les moyens juridiques de lutte contre le terrorisme.

Les personnes condamnées pour faits de terrorisme à plus de cinq ans de prison seront contraintes à répondre, après leur libération, aux convocations du juge, à recevoir la visite du service pénitentiaire d'insertion et de probation, à l'avertir en cas de changement d'emploi ou de résidence, à exercer une activité professionnelle, à se former et à résider en un même lieu, ou demander l'autorisation du juge pour se rendre à l'étranger, à s'abstenir d'entrer en relation avec certaines personnes ou de paraître en certains lieux, mais aussi - grâce au Sénat -de détenir ou porter une arme.

La commission d'enquête sur la radicalisation a montré combien certains milieux - comme le sport - étaient devenus des milieux de recrutement djihadiste.

Aucune de ces mesures ne s'apparente à une peine après la peine. Les modifications introduites au Sénat ont permis de renforcer l'objectif de réinsertion des détenus.

La réduction à un an permet un encadrement plus strict ; elle est bienvenue. La rétention de sûreté n'a été mobilisée que cinq fois entre 2011 et 2015 : nous serons attentifs à la mise en oeuvre de cette dernière mesure.

Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Arnaud de Belenet .  - Il est particulièrement agréable de constater un miracle d'intelligence collective, grâce aux efforts conjugués de la majorité de l'Assemblée nationale, du Sénat et de la Chancellerie pour protéger les Français dans le respect de l'État de droit.

La droite extrême, par la voix de son représentant, a dénoncé l'inefficacité du dispositif en s'affranchissant allègrement des contraintes de l'État de droit. L'aile gauche de notre hémicycle s'est positionnée en zélateur et gardien du temple constitutionnel.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous n'en avons pas honte !

Mme Éliane Assassi.  - Qu'est-ce que cela signifie ?

M. Arnaud de Belenet.  - Elle a dénoncé des atteintes aux libertés en s'affranchissant de l'efficacité. Peut-être le souci de faire de la politique l'a-t-il emporté sur le souci de bien légiférer ? Peut-être faut-il mettre en oeuvre la volonté de profiter d'un nouveau garde des Sceaux médiatique pour exister ? (Protestations à gauche ; Mme Nathalie Goulet proteste également.)

Le résultat, c'est un dispositif équilibré avec le bracelet électronique subordonné au consentement, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, et au respect du contradictoire ; mais aussi avec le renforcement de la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire.

Voilà un beau texte, responsable, raisonnable, efficace.

Chacun des orateurs précédents a conclu sur le budget de la Chancellerie, dont la trajectoire laisse espérer une augmentation de 25 % - tout à fait inouïe.

Mais au-delà des moyens, un autre défi attend le garde des Sceaux : celui de l'organisation de la Chancellerie.

Merci de ce grand bonheur, à quelques exceptions près, à approuver ce texte partagé par La République en Marche.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les exceptions vous saluent bien !

Mme Éliane Assassi .  - Plutôt que de répondre aux provocations de l'orateur précédent, je veux insister sur les conditions regrettables dans lesquelles nous examinons ce texte. Il y a quelques instants, nous ne disposions même pas du rapport de la CMP.

Le texte final a très peu été modifié. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s'y oppose donc toujours. Le fait même de devoir délibérer en urgence pour pallier une sortie sèche de terroristes condamnés - 31 cette année, 62 l'an prochain - en dit long sur le manque de vision des textes que le Gouvernement nous propose avec des dispositions de circonstance.

La surveillance individuelle existe déjà, or elle reste inappliquée. La philosophie générale du texte n'est pas bonne. Certes, la commission des lois, fidèle à sa réputation de défenderesse des libertés publiques, a posé un jalon de cinq ans minimum de peine pour les condamnés et renforcé le volet de la réinsertion.

Mais, bien ancrée dans la tradition sécuritaire de la droite, elle a porté à deux ans la durée initiale des mesures de sûreté et rendue floue la notion de dangerosité.

Certes, il ne s'agit pas de rétention de sûreté, mais il s'agit bel et bien d'imposer à des condamnés qui ont purgé leur peine, d'autres mesures contraignantes au quotidien comme pour leur signaler qu'on ne leur fait pas confiance. Cela les incitera-t-il à ne pas récidiver ? On peut en douter.

Qu'en est-il des véritables réflexions pour endiguer la radicalisation ? Qu'en est-il de l'analyse des dispositifs déjà mis en place ? Le rapport que nous demandions au Gouvernement sur les quartiers de surveillance et la prise en charge de la radicalisation nous a été refusé, alors qu'il aurait été utile.

Monsieur le ministre, ne vous y trompez pas. Parmi ceux qui soutiennent ce texte, vous trouvez ceux qui continueront demain de penser que notre justice est laxiste.

Vous ne les trouverez jamais sur les travées de mon groupe. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

Mme Jacky Deromedi .  - L'ancien procureur de la République de Paris, François Molins, déclarait au lendemain des attentats de Paris, que le spectre des peines ne correspondait pas à la gravité des faits. C'est encore vrai aujourd'hui.

Dès le 17 décembre 2015, le groupe Les Républicains, à l'initiative des présidents Bas et Retailleau, avait déposé une proposition de loi pour renforcer l'efficacité de la lutte anti-terroriste qui autorisait, en son article 18, le placement sous surveillance de sûreté des personnes condamnées pour terrorisme à leur libération, si elles présentaient une dangerosité particulière et le placement sous surveillance électronique. La décision relevait de la compétence de la juridiction régionale dans la sûreté de rétention. Que de temps perdu !

La quasi-totalité des mesures de ce projet de loi aurait pu être depuis longtemps inscrite dans notre droit. Or d'après le dernier rapport du Centre d'analyse du terrorisme, les taux de récidive des djihadistes sont supérieurs à 50 %. Un islamiste terroriste a toutes les chances de continuer ses activités.

Nous saluons le compromis trouvé en CMP. Merci à Jacqueline Eustache-Brinio pour son travail. Le groupe Les Républicains votera le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Mme la présidente. - En application de l'article 42 alinéa 12 du règlement, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement. Le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Explications de vote

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Je remercie les représentants des groupes ayant apporté leur soutien à cette proposition de loi issue des travaux de la commission des lois sous la houlette de Philippe Daubresse.

Je comprends la position des opposants à ce texte, mais je comprends moins bien celle du groupe socialiste.

Si nous n'adaptions pas cette loi, les mesures disponibles seraient des mesures administratives permises par une loi sur le renseignement adoptée sous un gouvernement socialiste, pourtant très intrusives. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et LaREM)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Toutes ces mesures s'appliquent et nous en sommes fiers !

M. Jean-Yves Leconte .  - Cette loi sur le renseignement a fait ses preuves. Je ne suis pas le seul à réclamer une clarification des dispositions empilées avec des responsabilités diverses - dénoncées par le Conseil d'État dans des mots repris par M. le garde des Sceaux.

Face au terrorisme, l'important, ce sont les moyens et la proportionnalité des mesures, qui n'est pas assurée ici, compte-tenu de la confusion des responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

La séance est suspendue à 12 h 55.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.