Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Discussion générale

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture .  - Ce projet de loi est l'aboutissement d'un long travail dont l'impulsion a été donnée par le Président de la République lors de son discours à Ouagadougou en novembre 2017. Il avait exprimé la volonté de réunir les conditions d'une restitution d'oeuvres du patrimoine africain dans le cadre du renouvellement du partenariat entre la France et les pays africains.

Il n'est pas question ici de repentance ou de réparation ; c'est l'avenir de ce partenariat qui nous intéresse, qui passe par la refondation du lien culturel entre la France et l'Afrique.

Inédit par son ampleur et sa symbolique, ce projet de loi restituant au Bénin 26 oeuvres appartenant au trésor de Béhanzin et au Sénégal le sabre et le fourreau d'El-Hadj Omar Tall s'inscrit dans le prolongement d'une politique de coopération culturelle déjà engagée et dans un contexte de réflexion sur le rôle des musées.

Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy de 2018 a été l'occasion de passionnants échanges sur l'histoire des collections et la nécessité de mieux en expliquer la provenance au grand public.

Ces objets exceptionnels, témoins d'un passé glorieux et tourmenté, d'une qualité esthétique exceptionnelle, sont devenus des « lieux de mémoire » au sens de Pierre Nora, dépositaires d'une partie de l'identité des peuples sénégalais et béninois.

Le sabre d'El-Hadj Omar Tall et son fourreau renvoient à l'épopée de l'empire toucouleur. Données au Musée de l'Armée il y a plus d'un siècle par le général Archinard, ces pièces sont actuellement exposées à Dakar dans le cadre d'un prêt de longue durée.

Les 26 pièces du trésor des rois d'Abomey, saisies par le général Dodds en 1892, sont les derniers témoins de la grandeur de cette dynastie pluriséculaire et de l'esprit de résistance du roi Béhanzin, qui incendia son palais plutôt que de l'abandonner aux vainqueurs. Conservé depuis 1999 par le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, ce trésor, symbole d'une indépendance perdue, a suscité une grande émotion lors de sa présentation sur le sol béninois en 2006. La République du Bénin en a demandé la restitution en 2016. Le Président de la République s'y est engagé.

Cela n'a rien d'inédit. Parmi les restitutions récentes consenties par la France figurent une statue d'Amon Min volée à l'Égypte, en application du jugement d'un tribunal français, les 21 têtes maories à la Nouvelle-Zélande, par la loi votée en 2010 à l'initiative de Catherine Morin-Desailly, ou encore 32 plaques d'or à la Chine, en application de la convention de l'Unesco de 1970. Le droit français offre une diversité de solutions pour ces restitutions.

En l'absence de recours judiciaire du Bénin et du Sénégal, le législateur peut apporter une réponse aux demandes de ces deux pays sans faire jurisprudence.

Ce texte n'a aucune portée générale ; il ne vaut que pour les objets énumérés. Il n'institue aucun droit général à la restitution.

La voie législative s'impose à nous dans la mesure où la restitution implique de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques. Les députés ont d'ailleurs inscrit dans le texte la référence à ce principe, qui n'est nullement remis en cause, désigné explicitement ces restitutions comme des dérogations.

À l'inverse, créer, comme le propose votre commission, un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'oeuvres d'art extra-occidentales nous éloigne de l'appréciation au cas par cas que privilégie le Gouvernement. J'en proposerai la suppression.

Ce projet de loi n'est en rien une remise en cause du rôle des musées qui ont accueilli ces oeuvres. Au contraire, ils en ont permis la conservation, l'étude approfondie, la présentation au public, en France et à l'étranger. Nous devons leur en être reconnaissants.

Il n'est pas question de remettre en cause le modèle universaliste de nos musées, que nous devons plus que jamais défendre, quand on voit à quelles extrémités monstrueuses les crispations identitaires, le mépris de la culture de l'autre, peuvent conduire. Notre mission est de favoriser, par la circulation des oeuvres, le dialogue des cultures et des perceptions.

La fonction première de la culture est d'exprimer et d'explorer ce que la condition humaine a d'universel. Cette conviction, qui peut paraître de moins en moins partagée, ce projet de loi rappelle que nous n'y renoncerons jamais. C'est au nom de cet idéal que la France n'accepte de restituer des oeuvres que si celles-ci gardent leur vocation patrimoniale, si elles sont conservées et présentées au public.

Le Bénin et le Sénégal s'y sont engagés. Ils visent tous deux une coopération ambitieuse avec la France, qui soutient des projets de développement de musées et des actions de formation. Le patrimoine d'exception ainsi rendu sera accessible au plus grand nombre dans un cadre à la hauteur de sa valeur.

Ce projet de loi n'est pas un acte de repentance mais un acte d'amitié et de confiance envers des pays auxquels nous lient une longue histoire et des projets d'avenir. Béninois et Sénégalais pourront accéder plus directement à leur passé, pour penser le présent et bâtir le futur. C'est, pour la France, un honneur et une fierté de contribuer à ce que notre histoire commune, riche sans jamais avoir été simple, ne cesse de nous nourrir les uns les autres et de nous amener à nous dépasser. (Applaudissements sur les travées des groupes RPDI, SER et CRCE)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Comment ne pas être sensible à la démarche qui anime le Bénin et le Sénégal ? Comment ne pas être favorable à l'objectif de renforcer le dialogue avec l'Afrique ? Le Sénat a été à l'origine des deux lois de restitution françaises, et de la consécration législative des droits culturels.

Les revendications du Bénin et du Sénégal portent sur des objets précis, limités en nombre, d'une portée culturelle, symbolique et spirituelle. Elles s'inscrivent dans un projet muséal et patrimonial. Des garanties de conservation et de présentation au public ont été données. La France renoue avec l'esprit des Lumières, non pour se repentir mais pour se réapproprier une histoire commune qui servira de base à une coopération culturelle renouvelée. Elle ne peut en sortir que grandie.

Le problème concerne non le fondement mais la méthode de ces restitutions. Les collections publiques sont protégées par le principe d'inaliénabilité ; toute exception suppose l'autorisation de la représentation nationale.

Contrairement à la loi de 2010, il s'agit ici d'une initiative gouvernementale et non parlementaire, et d'objets et non de restes humains. La loi de 2010 de restitution des têtes maories avait été précédée d'un symposium international sur la question des restes humains dans les musées, organisé en février 2008 à la demande de la ministre de la Culture d'alors.

Point d'initiative similaire aujourd'hui. Felwine Sarr et Bénédicte Savoy n'ont guère associé les scientifiques à leurs travaux, ce qui a exposé leur rapport à la critique. Les conservateurs des musées concernés ont certes été consultés, mais le Président de la République avait déjà annoncé la restitution ! La décision politique a prévalu, au mépris du principe d'inaliénabilité des collections, pourtant censé empêcher le fait du prince.

Ce projet de loi s'apparente à un projet de ratification. Tout a déjà été décidé : un membre du cabinet de la ministre a balayé mes propositions d'amendement au motif que l'Assemblée nationale avait tranché. J'ignorais que nous étions dans un régime monocaméral ! (MMax Brisson s'indigne.) Les apports du Sénat sur la loi LCAP ou sur Notre-Dame ont pourtant été salués...

Nos amendements apportent des garanties pour l'avenir, car l'enjeu du texte dépasse son objet. Certains attendaient un cadre général, d'autres craignent un effet d'entraînement, car les revendications se font toujours plus nombreuses.

Nous restons profondément attachés au principe d'inaliénabilité, colonne vertébrale de nos musées. Il a été souligné que la France était isolée au sein de l'Unesco sur la question, nous avons un retard à combler le retard. La position défensive de la France lui nuit : elle a trop à perdre à esquiver plus longtemps un débat que le Sénat a lancé depuis vingt ans déjà. C'est le concept même du musée universel qui est désormais menacé.

Le conseil national de réflexion que nous souhaitons créer n'est pas incompatible avec un traitement au cas par cas, mais garantirait qu'un temps soit consacré à l'examen scientifique des demandes, avant toute intervention politique, pour éviter que l'activisme ne prenne le pas sur toute autre considération.

Il protégerait les autorités politiques des pressions, mettrait un frein aux demandes tous azimuts en mettant en balance l'intérêt public attaché à la conservation avec l'intérêt scientifique de la restitution.

Il s'agit aussi de lancer la réflexion sur la gestion éthique des collections et de clarifier la position française en matière de restitution, brouillée par le rapport Sarr-Savoy qu'invoquent les États étrangers.

La commission scientifique nationale des collections aurait pu lancer cette réflexion il y a dix ans si la volonté unanime du législateur avait été fidèlement suivie.

Le Sénat attache beaucoup d'importance à la circulation et à la restitution des oeuvres mais il est soucieux de la rigueur de la démarche. Avec ce conseil national, la réflexion pourra être élargie, notamment vers d'autres continents que l'Afrique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements) « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? », demande Lamartine. Qu'est-ce qui arrache un objet à sa banalité pour en faire une oeuvre d'art ou un bien culturel ? Ce peut être sa dimension esthétique, son origine, son histoire.

L'art africain a contribué à l'élaboration de notre propre culture, qui a en retour repéré et parfois sauvé de la destruction ou du trafic des biens africains, leur conférant ainsi une dimension culturelle.

Le retour de ces oeuvres à la forte charge symbolique participe du rayonnement universel de la France. Le projet de loi concrétise l'engagement pris par le Président de la République à Ouagadougou en novembre 2017, dans le cadre d'une refondation de nos relations avec l'Afrique dont la coopération culturelle est un pilier majeur.

Pour mettre le droit français en conformité avec une politique de restitution réfléchie, il autorise une dérogation limitée au principe d'inaliénabilité des collections publiques.

Il convient d'y adjoindre un conseil national de réflexion sur le sujet. Cette démarche prolonge la restitution de la dépouille de la Vénus hottentote à l'Afrique du Sud en 2003 et des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2010.

Il n'est pas question de vider nos collections ; les restitutions restent limitées, répondent à des demandes précises et sont entourées de garanties de bonne conservation.

Ces retours sont porteurs d'un message fort : tourner la page de la Françafrique et construire un nouvel imaginaire, loin des traumatismes du passé. Prenons conscience des enjeux mémoriels, de la demande légitime des peuples africains de reconnexion avec leur patrimoine.

Ces oeuvres ont une forte charge symbolique, spirituelle et historique. Les 26 oeuvres du trésor royal restituées au Bénin prendront place dans le complexe muséal d'Abomey financé par l'Agence française de développement (AFD). Le sabre d'El-Hadj Omar Tall est déjà une des oeuvres majeures du musée des civilisations noires de Dakar.

Il s'agit d'un acte de confiance à destination de la jeunesse africaine. La France sera au rendez-vous pour aider le continent à se réapproprier son histoire et mettre fin à une forme de captation patrimoniale. Les retours de biens culturels s'insèrent dans une coopération patrimoniale et muséale étendue.

Il faudra trouver un équilibre entre préservation du patrimoine des musées français et circulation renforcée des oeuvres. Les biens culturels n'ont pas de frontière car ils participent du patrimoine commun de l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le 9 Thermidor de l'an VI, sur le champ de Mars, s'ébranle le long convoi des oeuvres spoliées par Napoléon lors de la campagne d'Italie, dont les quatre chevaux de cuivre de la basilique Saint-Marc, fondus dans une île du Dodécanèse, installés à Constantinople, à Venise en 1204, puis au sommet de l'arc de triomphe du Carrousel, rendus à Venise par l'Autriche à la chute de l'Empire ; et 500 tableaux de maîtres dont la moitié sera restituée, l'autre rejoindra les collections du Louvre. Ainsi va la vie des oeuvres qui passent de main en main au gré de la fortune de la guerre et des alliances.

Les circonstances particulières de la conquête de l'Afrique de l'ouest font de la présente restitution une péripétie supplémentaire de notre relation complexe avec notre histoire coloniale. Le choix de ces biens culturels, les conditions de leur transport et de leur présentation posent de nombreuses questions. Il n'a pas été tenu compte de l'expérience de la restitution des têtes maories ni des initiatives de la commission de la culture du Sénat.

Le 25 septembre 2007, à cette tribune, Mme Rama Yade, alors secrétaire d'État...

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas une référence.

M. Pierre Ouzoulias.  - ... déclarait que le Louvre Abu Dhabi était « un formidable vecteur de l'universalité de la culture » et un défi à relever au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations. Les musées français avaient apporté leur expertise et prêté 300 oeuvres. La réussite de cette institution doit aussi beaucoup à la participation des Émirats arabes unis, d'un milliard d'euros. L'humanisme n'a pas de prix !

Le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, le Président Macron rappelait que, pour lui, « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». (M. François Bonhomme s'exclame.) Il appelait à la construction d'un projet commun, dont la culture devait constituer un chapitre essentiel, souhaitant que les restitutions s'organisassent rapidement dans ce cadre.

Ce partenariat aurait dû prendre la forme d'un traité international ; le Conseil d'État a considéré que, dans le cadre de l'article 53 de la Constitution, c'était le vecteur le plus approprié pour organiser le transfert de propriété. Un traité aurait pu préciser les engagements de la France au titre de l'aide au développement et organiser le prêt d'oeuvres symboliques du patrimoine français aux musées africains.

Défendre l'universalité de l'art exige de faciliter la circulation des oeuvres. Aimé Césaire disait : « Ma conception de l'universel est celle d'un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers ». Je regrette vivement que les présentes restitutions n'aient pas porté cette double ambition. (Applaudissements sur de multiples travées.)

Mme Claudine Lepage .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Sénatrice des Français établis hors de France, j'ai souvent pu me rendre en Afrique et évoquer la question de la restitution des biens culturels, notamment avec Marie-Cécile Zinsou.

Ce projet de loi trouve son origine dans la volonté des États africains de retrouver sur leur sol les biens culturels dont ils ont été dépossédés. Cette demande ancienne, appuyée par la société civile, aurait dû être entendue plus tôt.

Le texte ne concerne que des biens culturels issus de prises de guerre : 26 objets béninois saisis en 1892 par le général Dodds et le sabre de El-Hadj Omar Tall, confisqué par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.

L'Afrique est un continent jeune : l'âge médian est de 19 ans. Ces restitutions permettraient à cette jeunesse de retisser le lien avec son histoire et de renforcer son identité. « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », disait Aimé Césaire.

N'oublions pas nos propres enjeux de mémoire. En Afrique, il est souvent question de fierté, de dignité retrouvée. Les retours sous forme de dépôts ou de prêts entre musées ne suffisent pas toujours. En 2006, lors d'une exposition sur le roi Béhanzin à Cotonou qui avait attiré 275 000 visiteurs, nombre de Béninois n'ont pas compris pourquoi les pièces devaient revenir en France...

La restitution de ces objets offre l'occasion de refondre notre partenariat avec l'Afrique. Les inquiétudes sur la présentation et la conservation de ces biens seront levées par le renforcement de la coopération culturelle et muséale, par la formation de conservateurs ou les échanges d'experts.

Il convient aussi de mener un travail de pédagogie auprès de nos compatriotes, sans quoi ces restitutions risquent d'être mal comprises.

Ce projet de loi est un geste fort et symbolique mais de portée limitée sur le plan législatif, qui pose la question de l'après : d'autres États africains ne manqueront pas de réclamer des biens culturels appartenant à leur histoire. Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, soulignait le questionnement, prégnant dans notre siècle, sur la provenance des oeuvres.

Faudra-t-il chaque fois passer par une dérogation au droit commun ? Ne peut-on plutôt indiquer, dans une loi-cadre, que seul des objets acquis par la violence et la contrainte peuvent être restitués ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une pensée amicale pour notre ancien collègue Alain Schmitz qui s'était impliqué sur ces questions. Je salue aussi notre rapporteure, Catherine Morin-Desailly, qui appelle depuis longtemps à fixer une méthode, là où prévaut une approche trop strictement politique. Dommage qu'elle n'ait pas été entendue.

Premier principe : se départir d'une approche morale, variable avec le temps et les peuples. On peut saluer le retour du trésor d'Abomey, mais aussi y voir les symboles de l'oppression de l'ethnie Fon sur leurs esclaves Yorubas après le pillage de Kétou en 1886. Les Yorubas se réjouissent-ils de les voir réinstallés dans le palais de leurs anciens maîtres ? « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »

Deuxième principe : consulter davantage archéologues et historiens, ce qui aurait évité de conférer au sabre d'El-Hadj Omar Tall une aura indue, sa légende ayant été largement forgée par le général Archinard pour glorifier son expédition.

Troisième principe : trouver le juste équilibre entre ce qui est moral aujourd'hui, ce qui était légal hier, et la nécessaire contextualisation historique. La pratique du butin de guerre n'est illégale que depuis la convention de La Haye de 1899. L'empire toucouleur s'y livrait tout autant que les autres.

Oui à la circulation des oeuvres et à l'accessibilité du patrimoine sur sa terre d'origine, mais le processus de restitution ne saurait s'apparenter au fait du prince. Écoutons les conservateurs, pour éviter de porter des atteintes fondamentales aux principes qui sont au coeur de notre politique muséale. En dépit des inexactitudes du rapport Sarr-Savoy, celui-ci sert désormais de base aux revendications de nos interlocuteurs. La décision politique doit être éclairée par des avis étayés, et non être un outil de la diplomatie du soft power ou un gage donné à telle approche mémorielle, voire communautaire.

On ne saurait passer par-dessus bord une tradition multiséculaire dont les principes ont été fixés sous Charles IX par le chancelier Michel de L'Hospital.

Difficile d'élaborer une loi-cadre reposant sur des critères ni trop larges, ni trop rigides. Mais il faut trouver le moyen de concilier inaliénabilité des collections publiques, vision universaliste de nos musées et dialogue des cultures, car nous allons être confrontés à des demandes de plus en plus nombreuses.

Votre projet de loi n'esquisse aucune doctrine en matière de transfert des biens et de leur monstration au public. (Mme la ministre le conteste.)

On se contente d'exécuter une décision présidentielle, non sans provoquer un profond malaise. Malaise sur la démarche plus militante que scientifique de M. Sarr et Mme Savoy, qui n'ont pas jugé utile d'entendre la présidente de la commission de la culture du Sénat. Malaise sur le fait que le sabre ait déjà été remis au Sénégal en grande pompe. Malaise encore avec la mise sous l'éteignoir de la commission scientifique nationale des collections. Malaise enfin quand le Gouvernement nous dit que le caractère inaliénable des collections est préservé. Cette loi d'exception en appellera d'autres !

La loi n'est pas encore votée que cinq pays africains frappent à la porte et demandent le retour de 13 000 objets.

M. François Bonhomme.  - Ça commence !

M. Max Brisson.  - Quid demain des demandes venues d'Asie, d'Amérique latine, d'Océanie ?

M. François Bonhomme.  - Et de Grèce !

M. Max Brisson.  - Le chef de l'État n'a-t-il pas déclaré, à Ouagadougou : « le meilleur hommage que je puisse rendre à ces oeuvres est de tout faire pour qu'elles reviennent » ?

Ce projet de loi sera suivi d'autres, attaquant la cohérence de nos collections et la vision universaliste fondée sur la valeur du génie humain, d'où qu'il vienne.

Le caractère inaliénable de nos collections doit être réaffirmé sauf à mettre en marche un engrenage dont on ne sait où il s'arrêtera. Après tout, le retrait de la collection Dodds, général africain de l'armée française, n'est-il pas le début d'une damnatio memoriae ?

Par l'utilisation du terme de restitution, ne rendons pas la France coupable de détenir ces oeuvres alors que ce sont des artistes français, épris d'art moderne, sensibles au génie humain, qui ont, il y a plus d'un siècle, érigé en oeuvres d'art des produits usuels ou cultuels et en ont fait des pièces de musée, en Europe, mais aussi en Afrique.

Je vous invite à adopter l'amendement que j'ai déposé avec Bruno Retailleau pour modifier l'intitulé. Le terme de restitution laisse entendre que la France aurait une faute à expier. J'aurais aimé que nous restâmes fidèles à la philosophie du président Chirac, artisan inlassable d'une politique culturelle moins ethnocentrée, fondateur du musée du Quai Branly dont la raison d'être est le dialogue des cultures. S'il a offert le sceau du Dey d'Alger au peuple algérien, c'est en le faisant acquérir par la France lors d'une vente aux enchères, et non en le faisant disparaître de nos collections nationales. Il est dommage que la France ne mène pas, dans son sillage, une vraie politique d'échange et de circulation des oeuvres ainsi qu'une solide réflexion sur le sujet.

Le conseil scientifique créé par le texte de la commission est indispensable. Nous voterons ce projet de loi amendé tout en restant extrêmement vigilant. Restons fidèles à votre prestigieux prédécesseur, André Malraux : « l'oeuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient oeuvre d'art parce qu'elle lui échappe ». (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Pierre Decool .  - Le Président de la République a annoncé à l'université de Ouagadougou en 2017 vouloir restituer les oeuvres d'art africain des collections publiques françaises aux pays africains. Le rapport Sarr-Savoy se veut un plaidoyer en ce sens. Il prévoit la restitution d'oeuvres acquises sans consentement de la population.

La France compte 90 000 oeuvres d'art africaines dans ses collections, dont les deux tiers au musée du Quai Branly. Le trésor du Béhanzin est réclamé depuis 2016 par le Bénin et sa restitution a été annoncée le 23 novembre 2018 par le Président de la République. De même, le 17 novembre 2019, Édouard Philippe s'est engagé à restituer le sabre d'El-Hadj Omar Tall au Sénégal, fondateur de l'empire toucouleur et guide spirituel de la plus grande confrérie soufie du pays. Ce sabre avait été confié par le musée des armées au musée de Dakar pour cinq ans.

De nombreux conservateurs dénoncent la partialité du rapport Sarr-Savoy. Les risques liés à de mauvaises conditions de conservation, mais aussi de délabrement, de vol sont réels. Le Bénin n'aurait pas les moyens d'accueillir ses oeuvres, selon l'artiste béninois Romuald Hazoumè, qui dénonçait en 2016 une « culture béninoise de l'abandon ».

Le financement d'une autre structure, le musée de l'épopée des amazones et des rois du Dahomey par un prêt de 12 millions d'euros de l'AFD devrait remédier à ce problème.

Il apparaît légitime de favoriser l'accès au patrimoine culturel pour la jeunesse africaine. Nous soutiendrons ce projet de loi. Des coopérations sont à imaginer. Les musées du monde entier témoignent de l'universalité de l'art, dont le propre est de dépasser les langues, les civilisations, les frontières et de rapprocher les peuples.

M. Thomas Dossus .  - Ce projet de loi est fondé sur un principe de justice : rendre à des pays, le Bénin et le Sénégal, des biens culturels qui font pleinement partie de leur histoire.

Le trésor du roi Béhanzin est important pour le Bénin : c'est le vestige d'une ère d'indépendance et de prospérité. Le sabre d'Omar Tall dit El-Hadj, chef spirituel soufi, érudit musulman, fondateur de l'empire toucouleur, à cheval sur le Sénégal, la Guinée et le Mali dans les années 1850, représente lui aussi l'un des derniers vestiges du pouvoir d'avant l'établissement de l'Afrique occidentale française.

Ce projet de loi fait écho à l'engagement pris par le Président de la République le 28 novembre 2017 devant les étudiants de Ouagadougou.

Le GEST est favorable à ce projet de loi animé par l'humanisme qui doit inspirer notre coopération culturelle ; il faut cependant sortir de la législation au cas par cas, certes liée au principe d'inaliénabilité, auquel nous sommes attachés, mais qui empêche la réflexion globale. C'est pourquoi nous avions déposé un amendement confiant celle-ci au conseil national créé par notre commission, afin d'établir un cadre législatif durable, pour sortir de cette politique d'exception permanente. Même s'il a été déclaré irrecevable, nous ne pouvons nous affranchir d'une telle réflexion.

En effet, plusieurs pays ont formulé des demandes, portant parfois sur des milliers d'objets.

Il ne s'agit pas de repentance mais simplement de justice. Nous ne pouvons faire l'économie d'un cadre pérenne pour sortir de ces lois d'exception qui contournent de manière hypocrite le principe d'inaliénabilité.

En attendant, le GEST votera ce texte qui va dans le bon sens, en appelant à une évolution, pour plus d'efficacité et de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)

M. Abdallah Hassani .  - Ce projet de loi prévoit le retour au Bénin, leur terre d'origine, de 26 objets du trésor du roi Béhanzin conservés au Quai Branly et au Sénégal du sabre et de son fourreau, attribués à El-Hadj Omar Tall, chef toucouleur. Faisant suite à une demande expresse de ces deux États, il ne met pas à mal le principe d'inaliénabilité.

Ces biens sont une goutte d'eau dans l'océan de notre patrimoine. Leur cession témoigne d'une exigence de vérité, d'un souhait commun d'apaiser des conflits de mémoire, d'une confiance en un partenariat plus équilibré. Il faut s'en réjouir.

Plus de la moitié de la population africaine a moins de 25 ans. À Mayotte, la croissance de la démographie est sept fois plus importante que la moyenne nationale et la majorité de la population a moins de 18 ans.

Peu de jeunes Sénégalais ou Béninois ont les moyens de voyager, de venir en France pour voir ces objets. Les restitutions - si l'on maintient ce mot - ou retours, ou transferts, permettront une réappropriation par les populations africaines qui a une forte portée symbolique.

Amenés en France comme objets exotiques, ces biens avaient une fonction spirituelle ; ils étaient témoins d'un passé prospère. Ils participent à un sentiment de fierté, de confiance en soi de populations trop souvent dépouillées de leur histoire.

Le Bénin et le Sénégal se sont engagés à apporter des garanties de leur bonne conservation, dans le cadre d'une coopération repensée. Ces biens devront être exposés à tous. Ils ne seront certes plus en notre possession mais conserveront leur portée universelle car issus du génie humain.

La création d'un conseil proposée par notre commission n'est pas opportune car ce projet de loi est d'exception.

Les demandes de restitution se feront peut-être plus nombreuses mais ce sera à la France d'étudier les demandes au cas par cas en fonction des terres de conflits. Les spécialistes éclaireront les choix du Gouvernement et le législateur décidera, au cas par cas.

Le groupe RDPI votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Mme Sonia de La Provôté .  - Ce projet de loi prévoit la restitution de 27 oeuvres au Bénin et au Sénégal : 26 du trésor du Béhanzin, roi d'Abomey, et le sabre d'El-Hadj Omar Tall rendu au Sénégal, où il est exposé au musée des civilisations noires de Dakar dans le cadre d'une convention de dépôt.

Ce texte est une nouvelle étape au sein d'une réflexion de plus grande ampleur. Les oeuvres culturelles appartiennent au patrimoine de l'humanité.

À la remise du rapport Sarr-Savoy en 2018, le Président de la République a annoncé le retour des oeuvres, pour l'éducation des jeunes béninois et sénégalais mais aussi pour renforcer la coopération avec la France. Le groupe UC est favorable à ces objectifs, néanmoins cela ne doit pas occulter nos réserves de forme et de méthode.

Ces oeuvres ne sont pas des biens volés mais des prises de guerre. Aussi le principe de l'inaliénabilité s'applique. C'est pourquoi le législateur doit poser une exception. Évitons le « fait du prince » même si les raisons sont entendables. Le Parlement ne devrait pas avoir à l'entériner.

Au sujet de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand avait souhaité, il y a plus de dix ans, un débat de fond pour établir « une doctrine définie en parfaite concertation »...

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Très bien !

Mme Sonia de La Provôté.  - Malheureusement, nul gouvernement ne s'en est saisi. Pire, la loi ASAP a supprimé la commission scientifique nationale des collections, créée en 2010.

La France se trouve désormais dans une démarche défensive, soumise à la critique. Nous sommes contraints d'avancer au cas par cas. Les lois d'exception itératives ne sont pas satisfaisantes. C'est pourquoi la rapporteure a prévu la création d'un conseil scientifique qui poussera le monde muséal à approfondir sa réflexion, loin de toute versatilité, et pour contenir le risque de décisions conjoncturelles.

Grâce à ce conseil, une doctrine doit être établie pour contenir le risque de « fait du prince », en fondant des décisions objectives sur une argumentation posée et construite.

Le Conseil conciliera la portée universaliste des musées et les demandes légitimes des États africains.

Ces oeuvres, à la charge morale et symbolique forte, sont le témoin de la complexité de la construction de notre monde et de la place majeure qu'y tient la culture. Le groupe UC votera ce projet de loi tout en se montrant vigilant sur la construction d'une doctrine. Il y va autant de la qualité de nos relations avec un continent d'avenir que de notre éthique artistique, culturelle et scientifique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Roselyne Bachelot, ministre .  - Je félicite tous les intervenants pour la qualité de leur travail, en particulier celui de la rapporteure, mobilisée depuis longtemps sur ce sujet.

Les travaux scientifiques sur ces sujets ont été approfondis et continuent de l'être : journée d'études, séminaires de recherches, renforcement des équipes du Quai Branly, avec des bourses de recherches et un poste dédiés.

Je partage l'avis de certains sur le parti pris du rapport Sarr-Savoy qui peut néanmoins être considéré comme l'un des éléments d'une réflexion, qui n'a pas suffisamment associé les spécialistes des musées et les historiens, en arguant systématiquement que ces oeuvres ou objets seraient volés ou indûment acquis, alors que la réalité des choses est bien plus complexe et mérite d'être jugée au cas par cas.

Il n'y avait nul mépris, ni arrogance, dans l'avis donné par l'un des membres de mon cabinet, à Mme la rapporteure, qui soulignait simplement que l'Assemblée nationale s'était prononcée à l'unanimité ; le débat, bien sûr, se poursuit et continuera en CMP.

Chacun voit ce qu'il veut dans le Conseil national de réflexion proposé par la rapporteure : certains un moyen de limiter les restitutions, d'autres un outil méthodologique pour les faciliter. On voit bien la différence conceptuelle.

Nous manquerions d'une doctrine... Au contraire, la doctrine est claire : les oeuvres détenues par les musées français sont inaliénables et aucune procédure générale ne saurait en organiser la restitution. Battre en brèche cette doctrine serait très dangereux. (MM. Bruno Retailleau et Max Brisson s'exclament.)

M. Fialaire a placé utilement cette démarche dans une perspective d'avenir et de développement, extrêmement féconde. Je ne partage pas les craintes exprimées sur les capacités des peuples africains à assurer la conservation de ces oeuvres. Bien sûr, l'expertise muséale intense des chercheurs et directeurs d'institutions françaises est là, dans un esprit de coopération, mais il faut se garder de tout mépris ou de toute arrogance...

M. François Bonhomme.  - Certes !

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Chacun connaît les grandes qualités scientifiques de Pierre Ouzoulias, archéologue spécialiste de la Gaule romaine. Oui, il faut inscrire la restitution de ces oeuvres dans une perspective plus large : pourquoi pas un retour de ces oeuvres pour une exposition temporaire au Quai Branly, mais aussi une exposition Matisse au Bénin, une exposition Picasso à Dakar ? Une démarche à sens unique serait condamnable.

Madame Lepage, oui, la jeunesse africaine a besoin, ô combien, de fierté et de dignité. Elle a besoin de se reconnaître dans une histoire, qui a été souvent méprisée. Le professeur Joseph Ki-Zerbo déplorait une vision anhistorique de l'Afrique.

À quel moment paie-t-on une oeuvre à sa juste valeur, quand il y a une telle distorsion hiérarchique ? La notion de violence n'est pas pertinente.

Monsieur Brisson, Dieu sait si j'aime m'y référer, mais en l'occurrence, il n'est pas très heureux d'évoquer la mémoire d'André Malraux à propos de restitution d'objets d'art : le pillage du temple d'Angkor et autres sanctuaires cambodgiens n'a pas beaucoup contribué à sa gloire...

M. Max Brisson.  - Il s'en est expliqué par la suite.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Thomas Dossus déplore une loi d'exception. Mais je me refuse à toute procédure qui nous ligoterait ! C'est le but même de ce texte. Un tel dispositif législatif doit être d'exception.

Merci à M. Hassani pour son propos empreint d'une grande humanité.

Madame de La Provôté, je vous le redis, nous avons une doctrine : ce sont des sujets extrêmement délicats, qui ne peuvent qu'être traités au cas par cas, à la lumière d'un travail scientifique, historique, minutieux. La France abordera ses coopérations dans un esprit de générosité et d'ouverture. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

L'amendement n°3 n'est pas défendu.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

L'amendement n°4 n'est pas défendu.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

L'amendement n°5 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Cet article crée un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'oeuvres d'art extra-occidentales.

Nous sommes d'accord sur la nécessité d'un travail scientifique préalable à toute décision de restitution. Cela a été fait dans le cas qui nous occupe. L'expertise scientifique est parfaitement convoquée. Cette commission représenterait un danger majeur. Elle vous mettra inévitablement dans une position dogmatique allant à l'encontre du principe d'inaliénabilité, sur lequel vous avez presque tous exprimé votre accord.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Cet amendement a été introduit par un vote unanime de notre commission. C'est un conseil, pas une commission ou comité, ni une instance formalisée, qui émettrait des avis prescriptifs.

Je n'ai pas eu de nouvelles de la démarche scientifique mise en oeuvre par votre prédécesseur et vous-même. Je rappelle que beaucoup de musées ont une double tutelle. J'ai donc cru comprendre qu'un travail interministériel se dessinait.

Mais nous souhaitons quelque chose de pérenne ! Je ne sais que trop que sans impulsion ni moyens, les volontés s'étiolent. Nous constatons que le ministère n'avance pas sur la question des biens spoliés.

Il faut un conseil pour éclairer, sur la base d'une variété d'expertises et d'approches, les demandes de restitution. Je vous renvoie à l'excellent travail de Michel Van Praët sur la question des têtes maories.

Cet outil vise simplement à conduire un travail de fond en continu. Il y a eu beaucoup de résistances à ce vaste mouvement de restitutions... Regardons les choses en face, en procédant sereinement, au cas par cas.

Nous avons les mêmes objectifs, mais notre méthode est différente. François Mitterrand avait rendu, en échange de la signature d'un contrat pour Alsthom, un manuscrit coréen de la Bibliothèque nationale de France (BnF), à la Corée du Sud, après une visite d'État dans ce pays, au prix d'un véritable tollé. Évitons le fait du prince, dont on taxa ensuite Nicolas Sarkozy, puis à présent Emmanuel Macron ! Le Conseil national de réflexion doit apporter un éclairage utile et pérenne. Avis défavorable.

M. Pierre Ouzoulias.  - Il ne s'agit pas de créer un conseil, mais de le restituer... (Sourires) puisqu'il existait et a été supprimé. Ce conseil est important car il crée les conditions d'un débat contradictoire, transparent et public, et assure l'information du Parlement.

On aurait pu palabrer sur le choix du sabre. Il n'a jamais appartenu à M. El-Hadj Omar Tall. Il a été donné par le général Faidherbe à son fils avant d'être repris par un autre général. Sa lame est française, modèle Montmorency, fabriquée en 1820 en Haute-Alsace. Est-ce vraiment ce qu'aurait choisi le Sénégal ? Rien n'est moins sûr...

Le demandeur n'est pas l'État du Sénégal, mais la famille d'Omar Tall. Le principe, réclamé par le rapport Sarr-Savoy, d'un cadre d'État à État n'a pas été respecté en l'occurrence. Le Sénégal aurait sans doute préféré les 518 ouvrages de la bibliothèque de la confrérie soufie Tijaniyya conservés à la BnF.

M. Max Brisson.  - Deux constances se font face. Celle du Sénat, qui a déploré que la commission des collections muséales n'ait jamais eu les moyens de fonctionner, et celles du ministère, quel que soit le titulaire du poste, qui ne souhaite pas qu'une telle commission fonctionne. Nous sommes là au coeur de nos divergences. Comment mobiliser les expertises sans un cadre, sans un minimum de rigueur ?

Faute d'un cadre partagé, vous n'éviterez pas le fait du prince - tentation constante, a rappelé Catherine Morin-Desailly. Michel de l'Hospital nous observe... Souvenons-nous de l'édit de Moulins !

M. Bruno Retailleau.  - Ce conseil est le seul moyen que nous ayons trouvé d'entraver le fait du prince. Ce texte est une loi de ratification, ou de régularisation de ce qui a été promis, et qui est partiellement réalisé.

Pourquoi vouloir l'inaliénabilité ? Parce que c'est le patrimoine de la Nation !

La loi d'exception ouvre un champ infini de précédents. Où va-t-on s'arrêter ? L'an dernier, le Parlement belge a voté une résolution sur les 200 oeuvres de Rubens, prises de guerre de la période révolutionnaire et napoléonienne ! Y a-t-il des prises acceptables et d'autres non ? Il faut une procédure pour garantir l'inaliénabilité. L'amendement de Catherine Morin-Desailly a recueilli l'unanimité de la commission.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Les personnalités dans le conseil, dit Mme Morin-Desailly, nous éclaireraient scientifiquement sur la provenance et la qualité des oeuvres, d'où sa composition, en grande majorité de personnalités qualifiées. Quant à vous, monsieur Retailleau, vous voulez un conseil pour créer une procédure qui empêcherait le fait du prince...

M. Bruno Retailleau.  - Qui l'encadre !

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Donc, qui l'empêche. Ces deux visions sont parfaitement incompatibles !

M. Max Brisson.  - Que proposez-vous ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - La procédure est là : le caractère inaliénable des collections françaises est rappelé. La procédure dérogatoire - je préfère ce terme à celui d'exception - est parfaitement décrite.

Monsieur Ouzoulias, la discussion scientifique sur la provenance du sabre a eu lieu, de même que sur les circonstances du pillage du palais d'Abomey, auquel le roi Béhanzin avait mis le feu. Cette affaire présente, bien sûr, un aspect diplomatique et de coopération. Il conviendrait que la composition de ce conseil scientifique en tienne compte !

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture.  - Je ne parlerai pas de fait du prince, ce qui peut être blessant, mais de deux logiques qui peuvent se confronter au sein même de l'État : la logique culturelle et patrimoniale d'une part et la logique diplomatique d'autre part.

L'intérêt de ce conseil est de participer à l'élaboration d'une réflexion interministérielle où, aucune des logiques n'étant ignorée, elles peuvent se jauger, s'équilibrer.

Madame la ministre, vous faites remarquer que nous n'avons pas intégré de représentant du ministère des Affaires étrangères au Conseil national de réflexion. Si ce n'est que cela, nous pouvons y remédier.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

I. - Alinéas 3, 4 et 8

Remplacer les mots :

d'oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

de biens culturels extra-européens

II. - Alinéa 6, première phrase

Remplacer les mots :

oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

biens culturels extra-européens

M. Pierre Ouzoulias.  - Cet amendement très simple introduit la mention de « biens culturels » reconnue dans le droit patrimonial et remplace « extra-occidentales » par « extra-européens » car la Nouvelle-Zélande peut être considérée comme un pays occidental.

M. le président.  - Amendement identique n°8, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

M. Thomas Dossus.  - Défendu.

M. le président.  - Sous-amendement n°10 à l'amendement n°8 de M. Dossus, présenté par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission.

I.  -  Après l'alinéa 5

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Alinéa 5, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et ne portent pas sur des restes humains

II.  -  Compléter cet amendement par deux alinéas ainsi rédigés :

et compléter cette phrase par les mots :

, hors restes humains

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Ces amendements vont dans le sens des discussions constructives que nous avons eues. La commission est favorable aux amendements nos2 et 8, de préférence à l'amendement n°6 qui suit. Le sous-amendement exclut expressément du champ de compétences de cette nouvelle instance les restes humains - la réflexion a déjà eu lieu.

Avis favorable aux amendements nos2 et 8 sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par Mme Lepage et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéas 3, 4 et 8

Remplacer les mots :

d'oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

de biens culturels originaires d'un État non membre de l'Union européenne

II.  -  Alinéa 6, première phrase

Remplacer les mots :

oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

biens culturels originaires d'un État non membre de l'Union européenne

Mme Claudine Lepage.  - J'ai bien compris que la dénomination était un peu alourdie par mon amendement. Je me rallierai aux deux amendements précédents.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - « Biens culturels » revêt une acception plus large, actée dans le code du patrimoine. Cela ne pose pas de problème.

En revanche, selon les spécialistes des musées, la formule « extra-occidentale » est préférable à « extra-européen ». Sagesse.

Le sous-amendement n°10 est adopté.

Les amendements identiques nos2 et 8, ainsi sous-amendés, sont adoptés.

L'amendement n°6 n'a plus d'objet.

L'article 3, modifié, est adopté.

INTITULÉ DU PROJET DE LOI

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par MM. Brisson, Retailleau, Bonne et Cuypers, Mmes Bourrat, Berthet, Drexler, Bonfanti-Dossat et M. Mercier, M. Bazin, Mmes Goy-Chavent, Micouleau, Dumas et Deromedi, M. Lefèvre, Mme Chain-Larché, MM. Savin, J.M. Boyer, Mouiller, Duplomb, Vogel et Rapin, Mme de Cidrac, M. Courtial, Mmes Gruny et Eustache-Brinio, MM. Genet, Cardoux et Hugonet, Mme Deroche, M. Calvet, Mme Imbert, M. Piednoir, Mmes Di Folco et L. Darcos, MM. Regnard et Savary, Mme Joseph, M. Karoutchi, Mme Belrhiti, MM. de Legge et Bascher, Mme Lavarde, MM. Sido, Longuet, J.B. Blanc, Milon, Anglars, Belin et Sautarel, Mmes Schalck et Ventalon, MM. C. Vial et Mandelli, Mme Lherbier, MM. B. Fournier et Chevrollier, Mme Lopez et MM. Bonhomme, Laménie, Segouin, Gremillet, Bouchet et Husson.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Projet de loi d'exception portant sur le transfert de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

M. Max Brisson.  - La Haute Assemblée doit rappeler avec force le caractère inaliénable des collections de nos musées. D'où la précision, dans l'intitulé, du caractère exceptionnel du texte.

Le terme de « restitution » pose problème. En latin, restituere signifie « remettre à sa place » « replacer » ou « rendre ». En quittant le Gaffiot pour le Larousse (Sourires) le verbe signifie « rendre quelque chose que l'on possède indûment », ce qui implique une faute à réparer. Ne laissons pas entendre que la France porte la culpabilité d'une faute.

Je sais que la rapporteure a quelques rectifications à proposer, je les accepte. (M. Bruno Retailleau applaudit.)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - En l'absence de cadre pour les restitutions, lesquelles sont une exception en raison de l'inaliénabilité des collections, la démarche est de toute façon d'exception. C'est pourquoi il faut un projet de loi !

Les articles premier et 2 prévoient déjà une sortie dérogatoire des biens considérés. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rappeler le caractère exceptionnel dans ce titre.

Je comprends, malgré l'usage dans les textes de 2002 et 2010 du terme « restitution », le problème qu'il pose. Je voyais dans ce projet de loi une forme de continuité, il est vrai cependant qu'il ne s'agit plus de restes humains.

Le terme « transfert » est un peu technocratique et pas très signifiant pour les populations béninoise et sénégalaise. C'est pourquoi celui de « retour » pourrait mettre tout le monde d'accord.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Les questions de terminologie sont toujours très intéressantes ; on pourrait en débattre à l'infini, cela a un certain charme, surtout nuitamment... (Rires)

Il s'agit d'être clair sur l'objectif du texte sans que celui-ci constitue un acte de repentance, je l'ai souligné dans la discussion générale. Avis défavorable.

M. Max Brisson.  - Je remercie la rapporteure d'avoir compris le sens de mon amendement et la charge morale que porte le terme de restitution.

Il ne s'agit pas d'aborder le passé avec une vision actuelle, mémorielle et moralisatrice.

Vous me demandez de retirer le qualificatif d'exception. Je l'accepte. Le terme « retour » me paraît acceptable pour remplacer « transfert » que vous avez vous-même introduit dans les articles. Je rectifie mon amendement en ce sens.

M. le président.  - Ce sera donc l'amendement n°1 rectifié quater.

M. Pierre Ouzoulias.  - Malheureusement, vous n'avez pas lu l'entrée du Gaffiot jusqu'au bout ! « Restitution » est en effet utilisé par Cicéron pour relater comment le Sénat de la République romaine avait replacé la statue de Minerve, emportée par la tempête, à son emplacement d'origine. Une statue en droit latin n'était pas une marchandise...

L'alors colonel Dodds, en prenant possession du trésor de Béhanzin, écrivait le 18 novembre 1802 : « Rien ne sera changé dans les coutumes et les institutions des pays, dont les moeurs seront respectées. » Il y a manifestement eu manquement à la parole donnée. C'est pourquoi je préfère « restituer ».

Mme Claudine Lepage.  - Je remercie Max Brisson d'avoir rectifié, son amendement, sans quoi nous ne l'aurions pas voté. C'est une loi dérogatoire, non une loi d'exception.

Il ne s'agit pas de regarder l'histoire d'hier avec les yeux d'aujourd'hui mais de faire la loi aujourd'hui, pour demain.

Le terme de retour met tout le monde d'accord.

M. François Bonhomme.  - « Restitution » sous-entend « spoliation ». La ministre a pris des précautions infinies en discussion générale pour expliquer qu'elle ne s'inscrivait pas dans la logique de repentance. Clarifions cet élément, neutralisons cette idéologie.

L'amendement n°1 rectifié quater est adopté.

Explication de vote

M. Pierre Ouzoulias .  - Quand les frontières se ferment il faut que les oeuvres continuent de voyager, et pas seulement chez ceux qui ont les moyens de les accueillir.

Il aurait été utile de dépasser le débat étroitement juridique du transfert de propriété pour considérer la validité morale d'un acte de propriété sur des oeuvres. Que valent les droits du dernier propriétaire ? Pour reprendre l'exemple des chevaux de Saint-Marc, ils témoignent d'abord du génie grec, comme de la capacité de la renaissance constantinienne à fonder un nouvel empire sur les bases d'une Antiquité finissante ; et, finalement, du lien jeté entre l'Orient et l'Occident par la République de Venise...

Les oeuvres dont nous discutons aujourd'hui participent de l'expression du génie humain et la France n'en est que l'ultime dépositaire. Cela lui confère des droits mais aussi des devoirs envers ceux à qui elles ont été arrachées, et ceux qui n'y ont pas accès.

À la demande du groupe CRCE, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°16 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 343
Contre     0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure .  - Je remercie le Sénat : six mois après le vote de la restitution des têtes maories, une cérémonie très émouvante s'était tenue au Quai Branly en présence du ministre de la Culture. Un an plus tard, le groupe d'amitié invité par le gouvernement néo-zélandais avait accompagné sur place le retour des têtes. Cela n'a pas été la fin d'une aventure, mais a renforcé les liens d'amitié et de coopération.

C'est aujourd'hui que tout commence. Nous aurons un travail formidable à mener avec le Sénégal et le Bénin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Roselyne Bachelot, ministre .  - Je me réjouis que ce projet de loi voulu par le Président de la République depuis le discours de Ouagadougou ait été voté à l'unanimité.

Le coeur de ce projet est une volonté politique forte en faveur d'une nouvelle ère de coopération. C'est une grande satisfaction pour moi que ce texte qui a suscité de fortes interrogations recueille un tel assentiment unanime dans les deux assemblées. (Applaudissements sur plusieurs travées à droite ainsi qu'au banc de la commission)

Prochaine séance, jeudi 5 novembre 2020, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication