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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Confinement et commerce (I)

Mme Laurence Harribey

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques

Confinement et commerce (II)

M. Christian Bilhac

M. Cédric O, secrétaire d'État

Confinement et commerce (III)

M. Daniel Salmon

M. Cédric O, secrétaire d'État

Confinement et commerce (IV)

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Jean Castex, Premier ministre

Lutte contre le terrorisme

Mme Dominique Estrosi Sassone

M. Jean Castex, Premier ministre

Confinement et commerce (V)

Mme Françoise Férat

M. Cédric O, secrétaire d'État

Confinement et commerce (VI)

M. Éric Bocquet

M. Cédric O, secrétaire d'État

Sous-préfets à la relance

Mme Nicole Duranton

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Gestion de la crise sanitaire (I)

Mme Catherine Deroche

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles

Contrats courts et crise sanitaire

Mme Monique Lubin

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargé des retraites et de la santé au travail

Gestion de la crise sanitaire (II)

M. Laurent Duplomb

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles

Menace sur Action Logement

Mme Valérie Létard

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité

Confinement et commerce (VII)

M. Vincent Segouin

M. Cédric O, secrétaire d'État

Situation dans le Caucase

M. Rémi Féraud

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Souveraineté de l'industrie de défense

M. Pascal Allizard

M. Cédric O, secrétaire d'État

Collectes de sang insuffisantes

Mme Élisabeth Doineau

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles

Modification de l'ordre du jour

CMP (Nominations)

Mise au point au sujet d'un vote

Convention internationale (Procédure simplifiée)

Accord France- Inde Trafic illicite de stupéfiants

Discussion générale

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Joël Guerriau

M. Guillaume Gontard

M. Richard Yung

M. Jean-Claude Requier

M. Pierre Laurent

M. Olivier Cadic

M. Rachid Temal

Mme Vivette Lopez

M. Clément Beaune, secrétaire d'État

Discussion de l'article unique

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

M. Guillaume Gontard

Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Sophie Primas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

M. Joël Labbé

M. Frédéric Marchand

M. Henri Cabanel

M. Fabien Gay

M. Pierre Louault

M. Jean-Claude Tissot

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Laurent Duplomb

Mme Angèle Préville

Vote sur le texte élaboré par la CMP

M. Daniel Salmon

M. François Bonhomme

Mme Sophie Primas, rapporteur

M. Julien Denormandie, ministre

Inclusion dans l'emploi par l'activité économique (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargée de l'insertion

M. Xavier Iacovelli

M. Jean-Claude Requier

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Élisabeth Doineau

Mme Monique Lubin

Mme Colette Mélot

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Philippe Mouiller

Vote sur le texte élaboré par la CMP

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée

Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication

M. Bernard Fialaire

M. Pierre Ouzoulias

Mme Claudine Lepage

M. Max Brisson

M. Jean-Pierre Decool

M. Thomas Dossus

M. Abdallah Hassani

Mme Sonia de La Provôté

Mme Roselyne Bachelot, ministre

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

ARTICLE 3

INTITULÉ DU PROJET DE LOI

Explication de vote

M. Pierre Ouzoulias

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure

Mme Roselyne Bachelot, ministre

Annexes

Ordre du jour du jeudi 5 novembre 2020

Analyse des scrutins

Nomination des membres d'une CMP




SÉANCE

du mercredi 4 novembre 2020

16e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, celui des uns et des autres, celui du temps de parole et des gestes barrières.

Confinement et commerce (I)

Mme Laurence Harribey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Oui, la situation sanitaire est grave ; oui, il faut freiner la circulation du virus ; oui, nous devons être responsables, comme nous l'avons été en votant la déclaration du Gouvernement.

Encore faut-il que les décisions soient justes et équitables. Mais comment justifier la fermeture de petits commerces qui appliquent les règles sanitaires au motif qu'ils ne seraient pas essentiels ? Un fer à repasser acheté en grande surface serait-il plus essentiel qu'un livre acheté en librairie ? Monter dans un bus bondé serait-il plus sûr qu'une balade en forêt à plus d'un kilomètre de chez soi ? Où est la logique, pour quelle efficacité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques .  - (« Oh ! » sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; murmures de protestations sur diverses travées à gauche et à droite) Veuillez excuser MM. Le Maire et Griset, qui sont en réunion, en ce moment même avec l'ensemble des organisations syndicales, ainsi qu'avec les fédérations des commerçants. (Même mouvement)

Dans cette crise sanitaire, dès lors que le fameux « R », soit le taux de reproduction du virus, dépasse 1,6, notre objectif était de le diviser par deux...

Mme Laurence Harribey.  - Ce n'est pas ma question !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - ...J'y réponds !

M. David Assouline.  - Non !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Il s'agit donc de diviser par deux les interactions sociales des Français. D'où le confinement, décision difficile, d'autant qu'elle conserve l'ouverture des écoles et la possibilité limitée de travailler, dès lors qu'il ne peut y avoir de télétravail...

M. David Assouline.  - Quelle en est la logique ?

Mme Laurence Harribey.  - Telle est la question !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Dans ce cadre, il était indispensable de limiter les déplacements, notamment dans les commerces. Les laisser tous ouverts reviendrait à ne fermer que les bars et les restaurants. D'où la difficulté et la responsabilité inhérentes à une telle décision...

M. David Assouline.  - Quelle logique ?

Mme Laurence Harribey.  - Le fait que ce soit vous qui nous répondiez et votre réponse, illustrent votre respect du Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur plusieurs travées au centre et à droite)

Pourquoi ne pas changer votre logique, en pensant d'abord mesures sanitaires et non commerces « essentiels » ? Il faudrait faire contribuer ceux qui tirent parti de la crise et que les GAFA abondent un fonds de soutien au commerce de proximité. (« Très bien ! » à droite) Faites-donc confiance aux élus locaux ! (Applaudissements sur les mêmes travées) Modifions la gouvernance de la crise en nous appuyant sur le Parlement, au lieu de lui faire la leçon comme le Premier ministre l'a fait hier à l'Assemblée nationale. (Bravos et applaudissements nourris sur les travées des groupes SER, CRCE, Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC) Si la responsabilité est partagée, la décision doit l'être aussi. (Même mouvement)

Confinement et commerce (II)

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) La deuxième vague frappe notre pays de plein fouet. Les indicateurs sont dans le rouge. Le nombre de personnes infectées dépasse celui de mars.

Le Gouvernement a donc décidé par un décret du 29 octobre de fermer tous les commerces « non essentiels », dont nombre de petits commerces, selon des critères bien flous. D'où une incompréhension doublée d'un sentiment d'injustice, alors que ces commerces ont pris toutes les mesures sanitaires nécessaires. On redoute un coup de grâce pour l'économie locale ; les mastodontes du commerce en ligne et de la grande distribution, eux, restent ouverts alors qu'il y a plus de promiscuité dans un hypermarché que dans une petite librairie.

Dans la commune de Péret, 1 000 habitants, dont j'ai longtemps été maire, le seul salon de coiffure peut recevoir un seul client à la fois, en appliquant des règles sanitaires strictes. L'Association des maires de France demande un réexamen de ces mesures.

Pour calmer la grogne, vous avez annoncé un fonds de 100 millions d'euros pour accompagner la digitalisation, et mettre en place un service de « clic et collecte ».

Avec mon groupe, le RDSE, nous vous demandons d'autoriser l'ouverture des petits commerces de proximité par dérogation accordée par le préfet, à la demande des maires, ce qui remettra au coeur du dispositif le couple maire-préfet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - (« Ah ! » « Oh ! » à droite) La Constitution dont nous nous réclamons tous dispose que n'importe quel ministre du Gouvernement...

Voix à droite. - C'est vous ! (Sourires sur les mêmes travées)

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - ...est habilité à représenter tout le Gouvernement et à répondre à sa place...

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Très bien !

(On proteste, sur quelques travées des groupes SER et Les Républicains, en appelant d'autres ministres ou le Premier ministre à prendre la parole.)

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Soulignons l'engagement exceptionnel de ce Gouvernement pour soutenir les petits commerces. (On le conteste vigoureusement à droite.) Un commerce qui a fait moins de 10 000 euros de chiffre d'affaires en novembre 2019 verra celui-ci intégralement compensé. (Nouvelles marques de protestation sur les mêmes travées)

M. François Patriat.  - Très bien !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - En outre, le « clic et collecte » n'est pas décompté, donc il peut même réaliser un chiffre d'affaires supérieur en novembre 2020 à ce qu'il était en 2019 (On en doute à droite.)....Cela conduit d'ailleurs certains petits commerces à préférer la fermeture à une réouverture trop contrainte par les règles sanitaires, qui imposeraient par exemple un seul client à la fois par salon de coiffure...

MM. Jean-Raymond Hugonet et Rémy Pointereau.  - Allons ! C'est faux !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - C'est un engagement très fort de l'État pour le fonds de solidarité : 15 milliards d'euros par mois, plus les cotisations sociales, les prêts garantis prolongés jusqu'au 30 juin 2021... (Interruptions à droite) la situation est compliquée, mais l'État est aux côtés des petits commerces. (Bravos et applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Très bien !

Confinement et commerce (III)

M. Daniel Salmon .  - Le confinement est devenu indispensable pour la sécurité sanitaire, mais les petits commerces vivent une inégalité de traitement dramatique et insoutenable avec les géants du numérique en ligne et les grandes et moyennes surfaces. Les commerçants ferment, tandis qu'Amazon ouvre des entrepôts partout sur le territoire : ce modèle économique n'est pas durable, détruisant des dizaines de milliers d'emplois, dévitalisant nos centres-villes, bétonnant les terres agricoles, avec un bilan carbone catastrophique.

J'en appelle à la responsabilité de tous et notamment des collègues de droite, qui pleurent la disparition du petit commerce mais en parallèle autorisent l'implantation des grandes surfaces ou de vingt nouveaux entrepôts d'Amazon (Exclamations à droite)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Très bien !

M. Daniel Salmon.  - ... un peu partout en France, comme à Belin-Béliet, en Gironde où le géant chinois Alibaba va implanter un centre logistique de 71 000 mètres carrés, en plein parc naturel régional. Et je pourrais évoquer les conditions sanitaires des salariés de la vente en ligne !

Pour un modèle économique juste et résilient, à quand un gel de l'implantation des entreprises de vente en ligne, comme le demande la Convention citoyenne, un moratoire sur leur ouverture, et une contribution exceptionnelle d'Amazon et des grandes surfaces en faveur des commerçants et artisans obligés de fermer ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - Votre question me permet de remettre en perspective ce que représente Amazon. Oui, il faut accompagner les petits commerces, mais la psychose française sur Amazon n'a aucun sens. En effet, le e-commerce, c'est 10 % du commerce en France ; Amazon, c'est 20 % du e-commerce. Il n'y a pas un pays européen où Amazon est plus bas qu'en France. Si les Français augmentaient leurs achats de e-commerce à 60 %, cela viendrait dans les poches d'entrepreneurs et de salariés français, comme C-discount chez la sénatrice Harribey, avec 2000 emplois ! (Interruptions sur les travées du groupe SER ; M. Jean-Claude Tissot proteste.)

Avec le confinement, le clic et collecte, ce sont plus d'emplois en France, plus d'entrepôts en France, et plus de salariés en France ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe SER ; M. Fabien Gay proteste également.)

MM. Éric Bocquet et M. Pascal Savoldelli.  - Et moins d'impôts en France !

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - La Banque des territoires donne des fonds à chaque mairie pour numériser davantage les petits commerces locaux. Quelque 72 % des petits commerces allemands sont numérisés, contre 30 % en France. Il faut doubler le nombre de TPE-PME numérisées, comme en Italie ! En outre, 60 % de l'e-commerce est capté par des entreprises françaises. Numérisons le petit commerce dans la durée, sinon il connaîtra des difficultés ! (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Confinement et commerce (IV)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Il n'y a pas d'élus responsables et d'élus irresponsables. Gouverner, en ce moment, n'est pas évident ; la santé publique, la santé des Français doit être au-dessus de tout.

Le reconfinement est partiel : écoles, collèges, lycées, certains commerces, les grands groupes, les GAFA continuent à fonctionner ; d'autres ferment, d'où des incompréhensions, légitimes.

Mon conseil : sortez de cette notion de produits de première nécessité, car tous pourront peu ou prou faire valoir des arguments ; conservez comme seule boussole la sécurité sanitaire ! Certains commerces pourront ainsi rester ouverts, d'autres fonctionner à la marge, d'autres encore livrer. Soyez au rendez-vous pour apporter aux commerçants et indépendants la visibilité, le soutien, la confiance et l'accompagnement que nous leur devons ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - (Marques de satisfaction et applaudissements sur plusieurs travées des groupes INDEP, RDSE, Les Républicains ; exclamations sur les travées du groupe SER) J'ai souhaité intervenir pour bien préciser à nouveau la stratégie du Gouvernement. Mesdames et messieurs les sénateurs, écoutons-nous ! Hier soir, avec M. Véran, (Exclamations à droite) je me suis rendu à l'hôpital du Sud Francilien. Ce que j'ai vu et entendu des soignants témoigne d'une situation sanitaire grave, dont la prise en compte est le préalable à toute décision et tout débat. Hier, plus de 430 personnes sont mortes en France de la covid-19. Toutes les tranches d'âge sont touchées : j'ai vu hier deux personnes de 27 ans et de 33 ans en état très grave ! Personne n'est à l'abri. Dans tous les pays, en navigation à vue, des mesures de freinage très lourdes, des reconfinements sont décidés.

La deuxième vague est là, elle est arrivée beaucoup plus vite et fort qu'on ne le pensait. (Murmures à droite)

D'où la décision d'un reconfinement, pour faire en sorte que chacun reste chez soi le plus possible, pour éviter les flux et interactions propices à la propagation de l'épidémie.

Oui, il s'agit d'un confinement adapté. (Exclamations à droite) Lors du premier confinement, on pouvait déjà aller travailler, prendre les transports en commun, mais nous avions fermé les établissements scolaires avec des conséquences très préjudiciables pour les enfants, démontrées par des études scientifiques. Nous avons écouté la Société française de pédiatrie qui nous a demandé de ne pas reconfiner les enfants.

Troisième dérogation : sortir pour se procurer des produits de première nécessité, pour manger. Il y avait déjà inégalité lors du premier confinement : les grandes surfaces restaient ouvertes et elles pouvaient vendre tout produit. Alors, c'est un crève-coeur pour les petits commerces !

Doit-on agir pour accompagner et indemniser ceux qui doivent fermer ? Évidemment, oui !

Y a-t-il un seul pays européen qui soutient mieux son économie ? (« Non ! » sur les travées du groupe RDPI) Ce matin, le Conseil des ministres a adopté le projet de loi de finances rectificative 4 qui comprendra toutes ces mesures de soutien et j'espère que vous le voterez. Nous recevons tous les commerces, nous préparons avec eux l'échéance du 12 novembre, mais cet engagement ne pourra être tenu que si la situation sanitaire s'améliore. Ce n'est pas une décision contre les commerces, mais pour la santé des Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et INDEP)

Lutte contre le terrorisme

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Dites à mes enfants que je les aime » : ce sont les derniers mots de Simone, assassinée avec Nadine et Vincent, en la basilique Notre-Dame de Nice, par un immigré tunisien islamiste radical.

La France doit déclarer la guerre à l'islamisme politique qui veut détruire nos valeurs, nos libertés, notre civilisation. S'en donne-t-elle les moyens ?

L'immigration n'est pas la cause première du terrorisme mais les trois derniers attentats montrent qu'elle en est une des conditions. Il est temps de stopper le désordre migratoire !

M. Philippe Pemezec.  - Oui !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Chaque année, 300 000 personnes sont venues de pays musulmans, s'installent légalement en France, auxquelles s'ajoutent 150 000 demandeurs d'asile.

M. Roger Karoutchi.  - Oui.

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Êtes-vous prêts à revoir les conditions d'obtention du droit d'asile, à réduire le regroupement familial que votre Gouvernement a étendu aux mineurs étrangers isolés...

M. Philippe Pemezec.  - Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - ... et à remettre à plat le droit des étrangers pour avoir vraiment les moyens d'expulser ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - Je choisis de vous répondre...

M. David Assouline.  - Vous ne répondez qu'à la droite !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - ... compte tenu de la gravité du sujet de et de votre terre d'élection où je me rends ce samedi.

J'ai d'abord, comme vous tous, une pensée pour les trois victimes odieusement, lâchement, assassinées à Nice, qui font hélas suite à de trop nombreuses victimes.

C'est l'ennemi qui nous a déclaré la guerre, je me permets de rectifier. Il faut clairement l'identifier, car c'est la première condition pour gagner et nous gagnerons cette guerre : ce ne sont pas tous les étrangers ni tous les musulmans, mais les tenants de l'islamisme radical qui ont des relais en France, y compris parmi les citoyens français. Nous devons les traquer.

Il faut modifier la loi, dit-on. Je ne ferai pas l'injure au Sénat de lister toutes les lois votées en la matière ; par toutes les majorités. Il faut appliquer effectivement les lois existantes et c'est ce que nous faisons.

Bien sûr le corpus législatif mérite d'être adapté. Ce doit être le cas par exemple pour le suivi des réseaux sociaux dont se servent les ennemis de la République ; pour renforcer les moyens de renseignement aussi. Bien avant l'odieux attentat de Conflans-Sainte-Honorine, le Président de la République avait annoncé un projet de loi très ambitieux pour renforcer nos outils de lutte...

M. Philippe Pemezec.  - Des actes !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Encore aujourd'hui, nous avons dissous une association, comme tous les mercredis...

M. Philippe Pemezec.  - Très bien !

M. Jean Castex, Premier ministre.  - Nous débusquerons ces lâches, qui se cachent derrière de fausses associations introduites dans des mosquées, où sévissent des imams radicaux qui ne prêchent pas la religion, mais la haine. Un par un, nous les traquerons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Vous ne m'avez pas répondu sur l'immigration massive qui fragilise notre pays. Il faut la réguler. Nous voulons tous défendre la France et c'est aussi comme cela que nous relèverons le défi de l'intégration et referons communauté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Confinement et commerce (V)

Mme Françoise Férat .  - Encore une question sur la fermeture des petits commerces. Les mesures sanitaires sont primordiales, mais la fermeture des petits commerces est difficilement compréhensible. Beaucoup sont à bout de souffle malgré les aides et ne survivront pas. Vous creusez la dette et c'est un drame humain. Quelque 13 millions de Français ne sont pas connectés à internet ; le clic et collecte n'est en aucun cas un substitut. Aucun cluster n'a été relevé dans les librairies, les auto-écoles, chez les coiffeurs, d'autant que les commerçants ont investi pour la sécurité sanitaire et se sont adaptés aux gestes barrières. Nous assistons aujourd'hui à un débat absurde sur les produits essentiels. La pâte à tartiner est essentielle, mais pas les livres ! À côté, les sites de vente en ligne sont ouverts 24 heures sur 24. Vous enrichissez les GAFA, pendant que meurent les commerces de centre-ville !

Lors de l'examen des projets de loi instaurant l'état d'urgence sanitaire, le Sénat avait voté à l'unanimité la possibilité pour le préfet d'autoriser l'ouverture des commerces de détail - via la limitation du nombre de clients, la prise de rendez-vous... Et si vous faisiez confiance aux territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - (« Oh ! » à droite) Je me concentrerai sur les mesures d'aide, encore insuffisamment connues, ayant déjà répondu sur les autres points. Grâce au fonds de solidarité, toutes les entreprises de moins de 50 salariés ayant fermé administrativement bénéficieront d'une aide mensuelle allant jusqu'à 10 000 euros ; de même que les entreprises de moins de 50 salariés des secteurs de l'hôtellerie-restauration ou de l'événementiel ayant subi une baisse de leur chiffre d'affaires de plus de 50 %. D'autres pourront recevoir jusqu'à 1 500 euros. Je le répète, le clic et collecte ne rentre pas dans le calcul du chiffre d'affaires.

Les exonérations de cotisations sociales s'appliquent pour toutes les entreprises ayant fermé et celles de certains secteurs ayant subi une perte de chiffre d'affaires de plus de 50 %. Le prêt garanti par l'État peut être contracté jusqu'au 30 juin 2021, au lieu du 31 décembre 2020 précédemment.

L'État pourra accorder des prêts directs si l'entreprise demeure sans solution de crédit. Un crédit d'impôt de 30 % est également accordé à tout bailleur renonçant à percevoir un mois de loyer pendant le confinement.

Confinement et commerce (VI)

M. Éric Bocquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) La pandémie n'a pas les mêmes conséquences économiques pour les multinationales du numérique et les petits commerces de proximité. Prenons le cas du géant Amazon... (Exclamations) Les records de valorisation s'enchaînent à Wall Street. La valeur d'Amazon en Bourse a augmenté de 73,6 % depuis le 1er janvier 2020 pour atteindre 1 650 milliards de dollars, soit le PIB de la Russie, excusez du peu !

La fermeture des commerces de proximité va aggraver la concurrence déloyale.

Mais le scandale, c'est que les trois quarts des bénéfices d'Amazon ne sont pas imposés ; grâce à des montages fiscaux savants et illégaux accordés par nos amis du Luxembourg...

Les rentes d'Amazon ont augmenté de 26 % au premier trimestre. Nous proposons une taxe exceptionnelle sur les bénéfices d'Amazon pour aider les commerces touchés, notamment les librairies indépendantes.

Écoutons Victor Hugo : « La lumière est dans le livre ; ouvrez le livre tout grand ; laissez-le rayonner ; laissez-le faire ! » (Bravos et applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - (Murmures) Nous nous rejoignons sur la nécessité d'une juste taxation des entreprises du numérique. La France est leader en Europe sur le sujet ; elle a été à l'initiative des discussions au sein de l'OCDE ; les négociations internationales n'ayant pas abouti, elle a introduit sa propre taxe sur les services numériques, qui sera bien recouvrée en 2020, je vous le confirme. L'Union européenne va se saisir de la question, prenant le relais de l'OCDE, afin de faire en sorte que ces entreprises paient la juste taxation qu'elles doivent à la solidarité nationale.

M. François Patriat.  - Très bien !

Sous-préfets à la relance

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI) Le 13 octobre, vous annonciez, madame la ministre de la Transformation de l'État, avec le ministre de l'Intérieur, le recrutement de trente « sous-préfets à la relance » dans le cadre du plan de relance national.

Neuf sous-préfets iront prendre leur poste en région, dix-huit dans les départements, trois en outre-mer. Leur entrée en fonction débute en ce mois de novembre pour qu'ils soient opérationnels début janvier. Je salue cette initiative de pilotage des dispositifs créés par l'État. L'objectif est de faire remonter tous les blocages administratifs, les complications de procédures, rencontrés dans les territoires.

La politique de relance se divise en trois grands volets : 30 milliards d'euros pour la transition écologique, 34 milliards pour la compétitivité et la souveraineté économique et 36 milliards pour la cohésion sociale et territoriale, soit 100 milliards d'euros pour deux ans.

Il s'agit de reconstituer le tissu économique, de renforcer le rôle de l'État dans les territoires, d'accompagner les élus et acteurs. Loin d'une conception jacobine de l'État, ce dispositif place les collectivités territoriales au coeur de la relance. Il faut en effet réaffirmer le rôle de l'État, acteur de proximité.

Comment les départements ont-ils été choisis, selon quels indicateurs ? Quels seront les critères de réussite ? Où en est leur déploiement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques .  - Merci pour cette question (« Allô ! » à droite) Effectivement, il n'y a pas de relance sans simplification et tout doit partir du terrain, là où vivent les Français. Chaque jour, les sous-préfets rencontrent les acteurs locaux, élus, chefs d'entreprise. Le Premier ministre a souhaité qu'il y ait un chef de projet, un sous-préfet à la relance dans chaque territoire. À l'heure du second confinement, nous n'avons pas le droit à l'erreur et l'État a besoin de renforts.

Ces sous-préfets seront des interlocuteurs de confiance, partout dans le pays, là où les préfets de région et de département les ont demandés pour soutenir les territoires. Ces trente sous-préfets issus de l'appel - nous avons reçu deux cents candidatures de très bon niveau, de fonctionnaires de l'État, territoriaux mais aussi de salariés du secteur privé - s'ajouteront aux sous-préfets déjà en place qui seront affectés à la relance. Ils seront déployés et opérationnels en janvier. Aucun territoire ne sera oublié.

Notre priorité est que les milliards d'euros que vous votez deviennent réalité dans le dernier kilomètre, au plus près du terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Gestion de la crise sanitaire (I)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adressait à Olivier Véran, sur les déprogrammations chirurgicales. Lors du premier confinement, le déclenchement du plan blanc national a occasionné des pertes de chance en raison de retards de diagnostic ou de non prise en charge - notamment cancers et maladies cardiovasculaires.

Quelle est la stratégie du ministère, qui décide du caractère non urgent des interventions ? Quelle est la place des équipes médicales dans les décisions ? Quel est le nombre de lits opérationnels dans les hôpitaux publics et privés ? Patients et médecins sont très inquiets. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Je vous prie d'excuser Olivier Véran, qui est devant la commission d'enquête sur la gestion de la crise du covid de l'Assemblée nationale. (Murmures sur diverses travées) Dès le 28 octobre, dans un courrier, Olivier Véran a défini cette stratégie pour laquelle vous me demandez des précisions. La déprogrammation de certains soins et notamment d'interventions chirurgicales non urgentes est un des leviers mobilisés pour la continuité de la prise en charge en réanimation, pour les patients covid et non covid.

Les premiers paliers de déprogrammation ont été enclenchés dans les territoires, de même que le plan blanc pour libérer des lits. Dans les régions en tension, toutes les activités chirurgicales doivent être déprogrammées.

Hospitalisation à domicile, sorties précoces et télésuivi doivent être privilégiés. L'analyse bénéfices-risques des déprogrammations est décidée collégialement. Patients du cancer, en attente de greffes, souffrant de maladies chroniques ou en santé mentale doivent être soignés dans les meilleures conditions possibles. Tels sont les principes qui guident les déprogrammations.

Mme Catherine Deroche.  - Vous avez présenté la stratégie mais pas la place des agences régionales de santé ni celle des équipes médicales. Les associations de patients sont inquiètes. Il y a eu un espoir après les retours d'expérience de la première vague.

Certes, l'épidémie repart - et je ne la minimise pas - mais beaucoup d'interventions pour les cancers, mais aussi des traitements de la fertilité ou des examens diagnostics, ne seront pas réalisés, avec des conséquences non négligeables (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Contrats courts et crise sanitaire

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Des milliers de Français vont être plongés dans la pauvreté dans les prochaines semaines. L'État fait des efforts mais il reste ceux que j'appelle les invisibles : extras, CDD d'usage, cuisiniers, guides conférenciers, maîtres d'hôtel, cuisiniers, serveurs, hôtesses, livreurs, agents d'entretien et de sécurité.

Il s'agit de près de 1,2 million de salariés, qui étaient déjà menacés par la réforme de l'assurance chômage. Celle - ci a vu son entrée en vigueur reportée mais certains saisonniers n'ont pas pu recharger leurs droits à chômage à cause du premier confinement. D'autres, ne pouvant pas travailler n'auront aucun droit à recharger.

Plus d'un million de personnes appelle au secours, mais personne ne les entend.

Allez-vous consentir à une année blanche, comme pour les intermittents du spectacle ? Allez-vous enfin renoncer à votre réforme de l'assurance chômage ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargé des retraites et de la santé au travail .  - Merci d'avoir reconnu l'engagement du Gouvernement dans la protection des plus vulnérables et des plus modestes de notre société face à la crise sanitaire actuelle.

Oui, la crise a un impact sur eux, en particulier dans les hôtels, cafés-restaurants et le commerce, où 25 % de nos jeunes trouvent un premier emploi.

Il y a 367 000 chômeurs de catégorie A de plus depuis le début de la crise, même si la reprise du troisième trimestre a permis d'en réduire un peu le nombre.

Quelques rappels cependant : le Gouvernement a engagé plus de 8 milliards d'euros pour lutter contre la pauvreté, et plus d'1,8 milliard d'euros supplémentaires le 24 octobre pour de nouvelles mesures.

Concernant la réforme de l'assurance chômage, une concertation, menée par la ministre du travail, est en cours et elle porte notamment sur la couverture de ces salariés, à la situation desquels le Gouvernement est très attentif.

Mme Monique Lubin.  - Personne ne s'intéresse à ceux que j'ai nommés. Nous attendons une réponse concrète et non globale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Gestion de la crise sanitaire (II)

M. Laurent Duplomb .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Quoi qu'il en coûte », vous avez basé la stratégie de cette crise sur le seul critère : éviter la saturation des hôpitaux.

En mars 2020, nous avions 5 000 lits de réanimation dits standards - 7 800 au plus fort de la première vague. Mais votre seul paramètre de gestion de cette épidémie reste l'engorgement des hôpitaux. Pourquoi les enseignements de la première vague ne vous ont-ils pas servi ? Pourquoi pas plus de lits de réanimation ouverts depuis le premier confinement ?

Cet été, le ministre de la Santé, entendu par le Sénat, annonçait 12 000 lits opérationnels en cas de deuxième vague. Quelle n'a pas été ma surprise, et sûrement celle des Français, de vous entendre annoncer, il y a quelques jours, une augmentation, mais à seulement 5 800 lits ! Mais monsieur le Premier ministre, où sont les 6 200 lits manquants pour arriver aux 12 000 lits ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Votre question est l'occasion de clarifier certains points que vous ignorez, ou feignez d'ignorer, et de faire le point sur la situation des services de réanimation dont je salue l'engagement.

Hier, 3 878 de nos citoyens, patients Covid, étaient pris en charge en réanimation, soit 76,5 % de nos capacités initiales de 5 100 lits. C'est au même niveau que la dernière semaine de mars.

Nous travaillons sur la déprogrammation, comme nous l'avons évoqué à l'occasion de la question de Mme Deroche, mais aussi à la mobilisation d'autres lits. Dès l'été, nous avons passé le nombre de lits à 5 800. La semaine dernière, nous en étions à 6 400 et en fin de semaine, nous en serons à 7 700. Le prochain palier sera à 10 500 lits. Nous procéderons aussi à des transferts à d'autres régions ou dans d'autres pays, même si ce sera difficile.

Le matériel ne suffit pas. Il faut aussi des hommes (On le confirme de façon ironique sur les travées du groupe Les Républicains.) : nous avons formé 7 000 professionnels supplémentaires, dont je salue l'engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Laurent Duplomb.  - La vérité, c'est que vous avez échoué, en vous réfugiant derrière une administration engluée dans ses certitudes technocratiques. Où sont les 10 000 respirateurs commandés dont la moitié est inopérante ? Où sont les 7 000 soignants en plus annoncés ? Pourquoi n'avoir pas travaillé sur le lien entre hôpital public et clinique privée ?

Si vous aviez mieux géré l'après première vague, nous aurions évité un deuxième confinement, voire un troisième ou un quatrième ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Menace sur Action Logement

Mme Valérie Létard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre pays vit des heures graves : attentats, pandémie, crise économique et sociale. La pauvreté monte et de plus en plus de Français basculent dans la précarité. Après la perte du travail, c'est la perte du logement qui inquiète. Nos compatriotes ont besoin d'être rassurés et protégés.

Le 1 % logement, devenu Action Logement, fait partie de l'héritage de la Résistance et de l'après-guerre : garantir et sanctuariser chaque année des moyens financiers pour le logement, gérer de façon paritaire ces crédits, mener des actions complémentaires à celles de l'État dans un esprit de responsabilité sociale.

Ce modèle n'est pas celui du passé, mais un modèle d'union nationale, pour aujourd'hui.

Quelles sont les intentions du Gouvernement pour le logement et en particulier à l'égard d'Action Logement, pilier de notre modèle social ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité .  - Action Logement est un acteur essentiel, principal financeur de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), contributeur de 40 % de la production annuelle de logements sociaux. Le partenariat État-Action Logement est essentiel, comme l'a montré la récente extension de l'aide aux impayés de loyers pour les salariés modestes. Le Gouvernement ne veut pas déstabiliser cet organisme. Pour autant, il faut en moderniser le fonctionnement et la gouvernance - sans revenir sur sa gestion paritaire. La réforme de 2016 n'a pas été menée à son terme. Il faut clarifier les rôles entre Action Logement et l'État.

La concertation a débuté ; les partenaires sociaux seront reçus demain par Élisabeth Borne, Emmanuelle Wargon et Olivier Dussopt. Elle devrait aboutir au printemps 2021. Il s'agit de définir une trajectoire quinquennale ambitieuse. Si la trésorerie d'Action Logement est structurellement bénéficiaire, c'est l'utilisation optimale de la participation de l'employeur à l'effort de construction qui est recherchée afin qu'elle bénéficie à la politique du logement.

Le Gouvernement déposera un amendement au projet de loi de finances dans les prochains jours pour assurer la pérennité d'Action Logement. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Mme Valérie Létard.  - Action Logement est le quasi-unique financeur du logement en France. Il ne s'agit pas d'une petite affaire !

Il est l'heure de la relance, du bâtiment de la construction, de la rénovation. Il est l'heure d'être au rendez-vous de la mobilité des salariés, d'être là pour accompagner les impayés de loyers qui pourraient menacer plus d'un million de Français !

Il faut permettre à Action Logement d'être efficace plutôt que de prévoir une nouvelle réforme qui va gripper la machine ! Nous comptons sur vous, monsieur le Premier ministre, pour ne pas passer en force mais pour privilégier une coopération entre les acteurs du logement, les élus locaux, le Parlement et l'État. Il faut gagner ce combat plutôt que de tenter de récupérer de l'argent pour le verser dans le pot commun ! (« Bravo ! » et applaudissements nourris sur toutes les travées)

Confinement et commerce (VII)

M. Vincent Segouin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette question n'est pas la mienne : elle est celle de centaines d'élus locaux, indépendants et commerçants que j'ai eus au téléphone ces derniers jours. Tous sont dans une situation désespérée, comme ce restaurateur de 62 ans qui a dû réinjecter l'épargne de toute une vie dans son entreprise et n'a plus rien ; son entreprise sera en liquidation car il ne pourra rembourser ses engagements. Il a dû être interné par le maire de sa commune à la suite d'une grande détresse psychologique.

On ne peut opposer les morts du covid aux morts économiques. Vous imposez ce confinement à des commerçants qui n'ont fait que respecter les mesures sanitaires ; aucune preuve n'a été faite que des clusters se forment dans ces commerces. Qu'allez-vous faire pour que nos entreprises reprennent leur activité au plus vite ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - J'ai détaillé les aides mises à disposition par le Gouvernement tout à l'heure. Il y a bien un primat, assumé, du sanitaire même si nous devons continuer à produire et à vivre.

Les décisions prises conduisent à de terribles effets de périmètres pour ceux qui, par exemple, vendent de la nourriture et de l'habillement. D'où la fermeture de certains rayons des grandes surfaces.

Faut-il rouvrir par capillarité et par le bas, ce qui aura pour conséquence d'augmenter le nombre de personnes dans les commerces et dans les rues ? La réalité sanitaire doit être prise en compte : un Français est contaminé toutes les deux secondes et un autre meurt toutes les quatre minutes. Il faut trouver un équilibre entre la réalité sanitaire et le soutien au petit commerce ; nous sommes sur une ligne de crête.

M. Vincent Segouin.  - Vos mesures ne sont ni à la hauteur des attentes, ni de la situation. Vous promettez 10 000 euros par entreprise, mais peu percevront réellement cette somme. Vous ne faites que reporter les charges sociales alors qu'il faudrait une exonération totale. Quant à la dette que vous créez, c'est de l'impôt au carré, comme le disait le Président de la République.

Plus je vous écoute, plus je suis désespéré par votre manque de cohérence. On laisse ouvertes les grandes surfaces et on ferme les petits commerces, on ferme les restaurants mais on autorise les restaurants d'entreprises à fonctionner, on laisse entrer des étrangers sans contrôle et en même temps on enferme les Français chez eux ! Les Français demandent de l'écoute et de la concertation. Vous n'avez plus la confiance du Sénat, ni des maires sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains tandis qu'on s'exclame sur les bancs du groupe RDPI.)

Situation dans le Caucase

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Alors que le terrorisme djihadiste frappe à nouveau notre pays et l'Europe, le président Erdogan multiplie les menaces contre la France, comme il l'a fait pour l'Autriche. Sa politique impérialiste se déploie sur de nombreux fronts - Méditerranée, Libye, Syrie, Irak, Caucase, et notamment dans le Haut-Karabakh où il soutient l'offensive de l'Azerbaïdjan. Nous soutenons la position de fermeté du Président de la République, non contre le peuple turc, mais contre un pouvoir autoritaire qui menace la stabilité de la région et la sécurité de l'Europe, alors même qu'il est membre de l'OTAN.

Les actes doivent être à la hauteur des paroles. La France va-t-elle demander des sanctions financières ? La Turquie perçoit-elle encore des aides de pré-adhésion alors que son adhésion à l'Union européenne est au point mort ? Le boycott des produits français se fait en violation de l'union douanière entre l'Europe et la Turquie. Êtes-vous prêt à demander sa suspension ?

Allez-vous saisir le Conseil de sécurité des Nations Unies sur les exactions de la Turquie contre les Kurdes de Syrie ? La France ne vend-elle plus de matériel militaire à la Turquie ?

Après la nécessaire dissolution des Loups gris, allez-vous agir contre l'influence turque sur notre territoire national ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Vos questions sont légitimes et pertinentes. Avec Ankara, la liste de nos désaccords est longue. Nous attendons que la Turquie fasse cesser sa politique agressive en Libye, au Haut-Karabakh et ses ingérences en Méditerranée orientale qui sont autant de ferments de déstabilisation.

Ces dernières semaines, un palier inadmissible a été franchi entre pays alliés. Insultes, calomnies, campagne de haine : la Turquie est passée aux menaces. Nous attendons que le président turc mette un terme immédiat à ces comportements.

Les réactions unanimes en Europe à la dissolution des Loups gris montrent que ce n'est pas une affaire franco-turque, mais une attaque contre nos valeurs européennes et l'État de droit.

Rendez-vous a été pris au Conseil européen d'octobre : si la Turquie ne modifie pas sa posture avant le conseil de décembre, nous prendrons les mesures nécessaires. Vous m'avez soumis une liste de mesures. Toutes les options sont sur la table. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Rémi Féraud.  - Nous avions alerté au moment de l'invasion dans le nord de la Syrie : nous craignions de nous montrer faibles face aux entreprises du président Erdogan. Nous serons vigilants sur la fermeté dans les mots et dans les actes de votre Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe RDPI)

Souveraineté de l'industrie de défense

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les désordres géopolitiques mondiaux et la crise sanitaire ont remis d'actualité la notion de souveraineté, nationale voire européenne. Les industries de défense française continuent de produire dans notre pays, vivier de compétences et d'emplois dans les territoires et fer de lance de l'innovation. Cette excellence permet à nos armées de disposer de la meilleure technologie pour conserver la supériorité sur le terrain. Ces entreprises contribuent à notre commerce extérieur et nous permettent de rivaliser à l'export avec les pays à bas coûts.

Cependant, le confinement va laisser des traces. Les entreprises françaises de technologie suscitent des convoitises et certaines d'entre elles sont passées sous contrôle étranger.

L'entreprise Photonis, qui dispose d'une technologie de pointe sur la vision nocturne, malgré l'intervention de l'État, devrait être rachetée par un groupe américain.

Comment comptez-vous mieux protéger ces entreprises tout en leur permettant de financer leur développement ? Le Gouvernement fera-t-il aboutir une solution de rachat français pour Photonis ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cédric O, secrétaire d'État .  - Teledyne veut racheter Photonis et a soumis une demande d'autorisation au titre des contrôles d'investissements étrangers en France. Photonis fournit l'industrie de la défense française et dispose de technologies de pointe sur la vision nocturne.

Dans le cadre de la procédure de contrôle des investissements étrangers en France, le Gouvernement a posé certaines conditions à cet éventuel investissement. Il faut protéger nos entreprises stratégiques et nos technologies, mais il faut aussi aider ces entreprises à assurer leur développement pour rester en pointe sur leur secteur. À la suite de nos échanges avec cette entreprise, Teledyne a décidé de retirer son offre de rachat.

Si Teledyne présentait une nouvelle offre, l'État l'examinerait à la lumière de ces mêmes conditions.

M. Pascal Allizard.  - Malgré ces éléments, Photonis sera racheté par ce groupe américain qui, en outre, a joué des exigences françaises pour revoir son prix d'acquisition à la baisse. C'est en tout cas la communication tonique de Teledyne.

Plus que de la communication, ou du coup par coup, nous attendons des actes forts pour notre souveraineté. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Collectes de sang insuffisantes

Mme Élisabeth Doineau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je partage cette question avec mon collègue Claude Kern. Le risque de pénurie de sang est lié aux difficultés de collecte et au manque de personnel de l'Établissement français du sang (EFS). Nous avons besoin de 10 000 dons par jour pour satisfaire aux soins d'un million de malades chaque année. Or, la crise sanitaire ralentit la collecte : moins d'étudiants, parmi les plus généreux, moins de salariés dans les entreprises. Les professionnels de l'EFS sont eux aussi touchés par le virus. Enfin, les déprogrammations puis les reprogrammations d'opérations augmentent les besoins.

L'EFS a lancé une alerte. Pourquoi avoir exclu du Ségur les professionnels de l'EFS, soit 1 000 médecins, 1 500 à 2 000 infirmiers et techniciens ? Eux aussi sont au front, plus encore depuis la crise sanitaire. Allez-vous revaloriser leurs statuts et leurs salaires ? Comment allez-vous satisfaire les besoins en poches de sang ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Les opérations indispensables comme celles nécessitant des transfusions sanguines doivent avoir lieu. Le reconfinement a suscité des inquiétudes sur le volume de dons, dont 80 % proviennent de la collecte mobile dans les campus universitaires ou dans les entreprises.

Depuis mars, les collectes ont baissé. Pour compenser ces difficultés, l'EFS a élargi ses plages horaires, mais fin septembre, nous sommes tombés à un minimum de stock que nous n'avions plus connu depuis dix ans. L'appel aux dons a été fortement relayé.

Au 3 novembre, il y a 113 000 unités de concentrés de globules rouges, soit un stock de 18 jours ; les besoins sont en recul de 11 % ; les stocks de plaquettes sont à un niveau satisfaisant.

Je conclus par un appel aux sénateurs et aux Français : prendre une heure pour donner son sang, c'est sauver trois vies.

M. le président.  - Nous nous associons à cet appel. La prochaine séance de questions d'actualité au Gouvernement aura lieu jeudi 12 novembre 2020 à 15 heures.

La séance est suspendue à 16 h 20.

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 30.

Modification de l'ordre du jour

Mme la présidente.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande que l'examen, en nouvelle lecture, du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire se poursuive jeudi 5 novembre, le soir.

Nous pourrions fixer le début de la discussion générale sur ce texte, demain à 19 heures. La commission se réunirait pour examiner les amendements de séance durant la suspension de séance et nous entamerions l'examen des articles à la reprise du soir. Enfin, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé à l'ouverture de la discussion générale.

Il en est ainsi décidé.

Par ailleurs, par courrier en date du mardi 3 novembre, M. Claude Malhuret, président du groupe INDEP, demande l'inscription à l'ordre du jour de l'espace réservé à son groupe du jeudi 19 novembre de deux débats intitulés « La forêt française face aux défis climatiques, économiques et sociétaux » et « Les contenus haineux sur internet : en ligne ou hors ligne la loi doit être la même ».

Acte est donné de cette demande.

CMP (Nominations)

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur ont été affichées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Frédérique Puissat.  - Lors du scrutin public n°8, Mme Annick Petrus souhaitait voter contre.

Mme la présidente.  - Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera au Journal officiel et dans l'analyse politique du scrutin.

Convention internationale (Procédure simplifiée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar et de l'accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine.

Pour ce projet de loi, la Conférence des Présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.

Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi. La commission des affaires étrangères est favorable à son adoption.

Le projet de loi est adopté.

Accord France- Inde Trafic illicite de stupéfiants

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes.

Discussion générale

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes .  - La crise sanitaire et sécuritaire que nous traversons a démontré l'importance de répondre au problème mondial de la drogue. La pandémie a mis en lumière la résilience des trafiquants mais aussi la vulnérabilité des usagers.

La fin de la crise sanitaire ne résoudra pas nos difficultés car les stocks de drogue surnuméraires seront écoulés à des publics toujours plus fragilisés.

Le phénomène est mondial et exige une action coordonnée à l'échelle internationale. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres pour agir en amont et en aval.

Face à ce défi, l'Inde est un partenaire incontournable. C'est une alliée majeure, liée à la France par un partenariat stratégique depuis 1998.

Le présent accord, signé par le Président de la République le 10 mars 2018 à New Delhi, vise à associer l'Inde à notre approche équilibrée, entre lutte contre les trafics et nécessaires politiques de prévention, dans le respect des droits de l'Homme.

L'Inde est aussi un acteur stratégique du fait de sa situation géographique. Située à l'interface de plusieurs zones majeures de production d'opiacés, l'Inde est un pays de transit vers le monde entier. Le trafic de stupéfiants est la principale source de financement des réseaux terroristes islamistes, notamment en Afghanistan.

L'Inde est aussi devenue un lieu de production de stupéfiants et de précurseurs chimiques, parfois détournés de leur usage légal et exportés vers des marchés étrangers, entraînant des difficultés sanitaires majeures.

Enfin, la consommation croissante de drogues en Inde a un impact sur la santé publique comme sur le développement des réseaux criminels.

Cet accord, premier engagement juridiquement contraignant conclu avec l'Inde en matière de coopération policière, respecte notre approche équilibrée. Il renforcera notre action conjointe pour lutter contre la consommation et le trafic et permettra une meilleure prise en compte des enjeux sanitaires et sociaux dans nos échanges.

Le but est de réduire la production de stupéfiants, notamment de précurseurs chimiques, ainsi que leur trafic, mais aussi d'agir sur la demande en promouvant la prévention, via des actions d'éducation et de sensibilisation.

La coopération opérationnelle et technique sera renforcée, avec des échanges d'informations, de bonnes pratiques et d'expériences.

Les articles 6 et 7 de l'accord prévoient toutes les garanties nécessaires à la protection des données personnelles. Les échanges ne seront possibles que dans le strict respect de la législation nationale de chaque pays.

Nous sommes aussi vigilants sur les procédures pouvant aboutir à la peine de mort, à laquelle la France est opposée en tous lieux et toutes circonstances, conformément à nos engagements internationaux.

Les restrictions imposées par la Cour suprême indienne rendent le recours à la peine capitale exceptionnelle pour les affaires liées aux trafics de drogue, mais elle reste théoriquement possible.

La France a insisté, aux articles 2 paragraphe 3 et 5 paragraphe 3 de l'accord, sur une référence explicite à nos engagements internationaux qui permettra aux services opérationnels français de ne pas répondre à une demande de coopération susceptible de mener à la peine de mort.

L'Inde a déjà ratifié l'accord. Je veux insister sur la nécessité de renforcer la coopération internationale pour lutter contre des menaces qui ne connaissent pas de frontières, qu'il s'agisse de la covid-19 ou du terrorisme. Nous devons faire de même contre le trafic de drogues.

Je vous invite à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur le banc de la commission)

M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - La France a avec l'Inde une relation bilatérale ancienne qui s'est enrichie par la multiplication de rencontres de haut niveau. Un partenariat stratégique global a été conclu en 1998 ; il s'est notamment traduit en 2016 par un contrat d'acquisition de 36 avions Rafale et une coopération intense dans les domaines de la sécurité, du nucléaire civil et de l'énergie. Un dialogue stratégique se tient au plus haut niveau deux fois par an.

L'Inde participe activement aux travaux de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, ainsi qu'à l'Initiative du Pacte de Paris créée en 2003 pour lutter contre le trafic d'opiacés en provenance d'Afghanistan.

L'Inde est un acteur régional majeur dans la lutte contre les trafics, étant un pays de consommation, de transit et de production. Géographiquement, elle est proche à la fois du Triangle d'or et du Croissant d'or. Elle est aussi sur la route Sud, par laquelle circulent 10 % des opiacés à destination de l'Europe.

Enfin, l'Inde, deuxième producteur mondial de médicaments génériques, connaît de nombreux détournements de médicaments, comme l'éphédrine ou le tramadol, consommés comme drogue - sans parler des contrefaçons.

Cet accord sectoriel sera mis en oeuvre en parfaite cohérence avec les conventions bilatérales d'entraide judiciaire pénale du 25 janvier 1988 et d'extradition du 24 janvier 2003. Cette dernière permet déjà expressément à la France de refuser une extradition faute de garantie que la peine de mort - en vigueur en Inde mais proscrite par notre Constitution - ne sera pas prononcée. Même en l'absence de clause expresse, l'ordre public et les engagements internationaux de la France s'y opposent.

La protection des données personnelles est garantie, leur communication se faisant dans le strict respect du droit national. En tout état de cause, il ne s'agira pas d'échanger des informations liées à une enquête ou un dossier spécifique.

Cet accord nous semble être un instrument utile dans la lutte contre le trafic de drogue. Sa ratification est attendue. C'est pourquoi votre commission a adopté ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Joël Guerriau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La seule consommation de drogues a causé la mort de 585 000 personnes en 2017 selon un rapport des Nations unies de 2019.

Le trafic de drogue est néfaste pour l'ensemble de la société car il finance d'autres activités criminelles, à commencer par le terrorisme. Parce qu'il ne connaît pas de frontières et qu'il finance des actions de déstabilisation des États, ces derniers ont intérêt à unir leurs moyens.

L'Inde, par sa situation géographique, au carrefour de nombreux trafics, est un acteur incontournable de la lutte antidrogue.

Je suis de ceux qui ont alerté sur le risque lié à la question de la peine de mort. L'article 66-1 de la Constitution dispose que nul ne peut être condamné à la peine de mort. Faut-il coopérer avec des pays qui pratiquent encore la peine capitale ? Si nous nous y refusions, nous fermerions la porte à 55 pays qui nous aident à lutter contre le terrorisme et à nous prémunir d'attentats.

Il ne nous appartient pas de dire à l'Inde, État souverain, ce qu'elle doit faire.

Les engagements de notre pays nous obligent à renoncer aux coopérations pouvant conduire à la peine de mort - c'est ce qui est prévu dans l'accord, qui ne vise que la coopération policière mais ni la coopération judiciaire ni l'extradition. Il n'est donc pas question que la France participe directement à la condamnation à mort d'un individu.

Compte tenu des réponses qui ont été apportées pour lever notre inquiétude, le groupe des Indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI)

M. Guillaume Gontard .  - Ce projet d'accord vise à lutter contre la consommation et le trafic de stupéfiants en favorisant l'échange d'informations entre la France et l'Inde. L'objectif peut se comprendre, même si des accords multilatéraux existent en la matière.

Mon groupe a toutefois demandé le retour à la procédure normale car l'absence de référence à la peine de mort dans un accord avec un pays qui applique encore la peine capitale en matière de trafic de stupéfiants nous inquiète. J'entends l'argument du rapporteur, mais l'arrêt FIDAN du Conseil d'État du 27 février 1987 n'affirme pas que la mention n'est exigée que dans le cas d'une convention d'extradition.

Politiquement, la France doit pouvoir exiger de l'Inde, comme elle l'a fait des États-Unis dans le cadre de la Convention du 23 avril 1996, la garantie que la remise de renseignement ne conduira pas à une condamnation à mort.

Il est curieux que l'étude d'impact ne fasse pas référence aux engagements internationaux de la France, comme la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Un examen au cas par cas, pour chacune des informations transmises, visant à s'assurer que la peine de mort ne sera pas prononcée, est illusoire. Cela revient à se voiler la face.

L'argumentaire du rapporteur invoquant le faible nombre de condamnations à mort pour trafic de stupéfiant en Inde n'est pas recevable. L'abolition est un principe qui ne souffre aucune exception. Il faut inscrire noir sur blanc que la peine de mort ne peut être décidée sur la base d'informations transmises par la France. Faute de quoi mon groupe ne pourra voter ce projet de loi.

M. Richard Yung .  - Le groupe RDPI votera ce texte des deux mains car il s'agit de lutter contre le trafic de drogues. L'Inde est un carrefour du trafic de drogues dures -  opium, cocaïne, héroïne. On ne parle pas ici d'un petit joint !

En outre, l'industrie pharmaceutique indienne est championne des contrefaçons, exportées vers l'Europe et les États-Unis.

Le renforcement de la coopération technique est donc nécessaire, via les échanges d'informations, d'expertises et la formation d'agents spécialisés.

On sait aussi que ces trafics - par exemple celui du Tramadol - financent le terrorisme, en Afrique et ailleurs.

Ce texte permettra aussi de lutter contre la contrefaçon des médicaments : il faudrait, à cet égard, encourager l'Inde à ratifier la convention Médicrime, premier instrument international juridiquement contraignant en la matière.

La loi indienne prévoit la peine de mort pour trafic de stupéfiants. Espérons que le moratoire de 2012 continuera à s'appliquer jusqu'à l'abolition définitive de la peine de mort en Inde.

L'articulation de l'accord avec, d'une part, les engagements internationaux de la France et, d'autre part, les conventions d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale interdira toute coopération susceptible d'aboutir à une exécution capitale. Les garde-fous sont là, notre groupe votera donc ce texte.

M. Jean-Claude Requier .  - Cet accord est le fruit d'une négociation débutée en 2013. Il participe à la coopération entre l'Inde et la France. Je salue le travail de notre ancien collègue Yvon Collin, qui présida le groupe d'amitié France-Inde jusqu'en septembre dernier.

La consommation de drogue augmente partout ; cela suppose de lutter contre les réseaux internationaux du trafic de drogue. Or l'Inde constitue, de par sa situation géographique, un point de passage entre le Croissant d'or et le Triangle d'or, et joue un rôle actif dans la lutte internationale contre les drogues. Son action doit viser les stupéfiants traditionnels comme les médicaments détournés, d'autant que le trafic est souvent associé à d'autres formes de criminalité, à commencer par le financement du terrorisme.

Le 17 septembre 2019, à Marseille, le Gouvernement présentait un plan national de lutte contre les stupéfiants avec notamment pour objectif de développer les coopérations internationales.

Cet accord permettra de mieux comprendre les réseaux de trafiquants. Nous devons favoriser les échanges juridiques, d'informations, d'expertises, faciliter les formations. Il faudra aussi agir avec la mise à disposition d'équipements et de ressources humaines.

La protection des données personnelles est assurée, c'était un point essentiel. Le groupe RDSE votera bien sûr ce texte.

M. Pierre Laurent .  - Ne perdons pas de vue les conditions concrètes de la coopération proposée avec un régime hindouiste raciste et extrémiste, qui foule au pied les droits fondamentaux des citoyens musulmans et chrétiens.

La France intensifie ses relations avec l'Inde en passant sous silence la nature détestable de ce régime.

Le trafic de stupéfiants est un fléau mondial. L'Inde en est une plaque tournante, par laquelle transitent 10 % des opiacés en direction de l'Europe. Elle est aussi le premier producteur mondial des médicaments génériques dont un sur dix est falsifié - la moitié lorsqu'ils sont achetés sur internet - et au coeur du trafic d'éphédrine et de tramadol.

Les liens entre ces trafics et les réseaux criminels de toute nature, y compris terroristes, sont documentés. Les Européens dépensent 24 milliards d'euros par an en drogues et stupéfiants, selon le rapport 2019 de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.

Si la coordination internationale est indispensable, la coopération avec l'Inde interroge, au moment où le régime de Modi foule au pied l'État de droit, où les milices hindouistes perpètrent des massacres. Dans ces conditions, peut-on fermer les yeux sur le possible recours par ce régime à la peine de mort ?

Notre vote contre en commission alertait sur ces enjeux. Le Gouvernement s'est voulu rassurant, indiquant que si l'accord ne contient pas de clause de non-application de la peine de mort, il instaure néanmoins des garde-fous. Mais ces garanties nous semblent très fragiles. Mon groupe optera pour une abstention vigilante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Olivier Cadic .  - Cet accord s'inscrit dans notre relation bilatérale avec l'Inde qui est devenue un axe stratégique. La France soutient ainsi la candidature de l'Inde comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, et y a exporté 36 Rafale et six EPR.

L'Inde est un pays allié et ami, comme l'a montré le chaleureux communiqué de son ambassade à l'occasion de l'assassinat de Samuel Paty - qui contraste avec le silence pesant de l'ambassade de Chine.

L'Inde est un acteur régional majeur de la lutte contre le trafic de stupéfiants et de faux médicaments, en raison de son positionnement géographique à proximité du Triangle d'or et du Croissant d'or et sur la route Sud du trafic d'héroïne.

L'Inde est le second producteur mondial de médicaments génériques, dont la contrefaçon ou le détournement par des organisations criminelles cause des centaines de milliers de morts, notamment en Afrique.

Cet accord est nécessaire pour combattre les fléaux de la drogue et du terrorisme.

Le GEST reproche le manque de garde-fous sur l'éventualité de l'application de la peine de mort. Certes, il n'y a pas de clause expresse, mais celle-ci figure dans notre accord d'extradition ; le ministre et le rapporteur l'ont rappelé.

Là où la Chine exécute un million de personnes chaque année, la Cour suprême de l'Inde a décidé que la peine capitale ne pouvait être qu'exceptionnelle. Il n'y a eu que 26 exécutions capitales depuis 1991, et aucune en lien avec le trafic de drogue. En outre, un moratoire a été décidé ente 2015 et 2020.

Le groupe UC votera ce texte, susceptible de sauver des vies.

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Notre relation avec l'Inde est l'un des piliers majeurs de notre stratégie dans la zone indopacifique. L'Inde est demandeuse d'un partenariat durable.

Dans le cadre de notre rapport d'information, nous avions souligné que l'Inde était un lieu de passage stratégique. La France souhaite rester une puissance d'équilibre dans la zone indopacifique. Un partenariat a été engagé sous le précédent quinquennat en matière de défense et d'environnement, et l'Inde est signataire de l'accord de Paris.

L'accord prévoit des actions de prévention et de sensibilisation, et la mise en place d'actions sanitaires sociales en direction des usagers.

Nous attachons une importance particulière à la protection des données dans le cadre du RGPD, l'Inde n'ayant pas, à ce jour, de législation en la matière.

La législation indienne prévoit encore, du moins théoriquement, la peine de mort. La partie française peut refuser d'accéder à une demande d'information au nom de ses engagements internationaux, mais rien n'oblige la partie indienne à ne pas recourir à la peine de mort. Nous attendions que les choses soient explicites et comptons sur la France pour réaffirmer l'engagement abolitionniste qui est le sien depuis François Mitterrand.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain s'abstiendra. Non par fébrilité quand il s'agit de lutter contre les trafics et le financement du terrorisme, mais pour réaffirmer, politiquement, notre opposition formelle à la peine de mort, tout en vous permettant de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Vivette Lopez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le partenariat stratégique entre la France et l'Inde touche plusieurs domaines. Cet accord est cohérent avec le pacte de Paris de 2003 lancé par la France et la Russie pour lutter contre le trafic d'opiacés en provenance d'Afghanistan.

On sait que le trafic de stupéfiants finance les groupes terroristes islamistes. L'Inde comme la France fait face aux attentats. Elle combat le séparatisme au Nord-Est et la rébellion naxalite au centre. Les attentats de 2016 au Bangladesh, de 2019 au Sri Lanka, la situation aux Maldives témoignent de la radicalisation croissante dans la région.

La porosité entre trafic de drogues, criminalité internationale et terrorisme doit être prise en compte. Signalons que la France et l'Inde ont signé la convention de Palerme de 2003.

Proche du Triangle d'or et du Croissant d'or, le sous-continent indien est une des principales routes de l'héroïne.

En Inde, l'usage du cannabis récréatif est interdit depuis 1985, mais certaines régions, comme le Madhya Pradesh, produisent massivement du chanvre dont le taux de THC est très élevé...

L'Inde est le deuxième producteur mondial de médicaments génériques. Lutter contre le trafic et la contrefaçon dont ils font l'objet est un enjeu majeur. Ce trafic serait vingt fois plus lucratif que celui de l'héroïne. En 2013, en Chine, il représentait 73 milliards de dollars. Pour 10 000 dollars investis, la contrefaçon de médicament en rapporte 200 à 450 000, blanchis puis réinjectés dans l'économie. Les trafiquants réussissent à pénétrer les circuits légaux via le reconditionnement du médicament.

Alors que les États sont très en retard pour leur législation, l'accord va dans le bon sens pour endiguer ces pratiques, lourdes de conséquences. En 2013, plus de 122 000 enfants africains sont morts de contrefaçons médicamenteuses.

Les nouveaux produits de synthèse (NPS) font des ravages chez les jeunes, en France comme dans le monde entier. Des vies sont brisées à la suite de la prise de MDMA et de méthamphétamines, dont le potentiel addictif est exponentiel.

Soyons rigoureux sur la législation indienne de 1985 sur les stupéfiants. L'article 31 prévoit la possibilité de condamner à mort en cas de récidive. Mais depuis 2014, la législation a évolué et cette peine n'est plus automatique. Les sollicitations de la Ligue des droits de l'homme sont légitimes. J'espère que ce débat permettra d'y répondre, monsieur le ministre. Il a fallu cinq ans pour rédiger cet accord ; cela montre que la France n'a pas bradé ses exigences en la matière.

La convention bilatérale de 2003 sur l'extradition est suffisamment stricte sur la peine de mort. L'article 8 précise que si le risque de peine de mort existe, l'extradition ne peut être accordée qu'en cas d'assurance suffisante que la peine ne sera pas exécutée.

Cet accord est une bonne nouvelle. Le groupe Les Républicains votera en faveur de cet accord et restera mobilisé sur la lutte contre les stupéfiants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État .  - Monsieur le président Gontard, c'est une bonne chose qu'il y ait un débat sur ce point, et je comprends vos inquiétudes. Cet accord ne facilite en aucun cas l'application de la peine de mort en Inde.

Le protocole n°6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) - dont nous fêtons le quarantième anniversaire cette année - est respecté. Fallait-il mentionner explicitement ces engagements ? On peut en débattre, mais il n'y a pas de doute sur le fond. Cela vaut aussi pour le respect du RGPD. Fallait-il que l'étude d'impact le mentionne spécifiquement ? (M. Clément Beaune la brandit.) Effectivement, elle ne mentionne que le cadre bilatéral des relations diplomatiques entre la France et l'Inde ; la prochaine fois, nous intégrerons la question de la peine de mort.

C'est un accord de coopération policière, technique. Il ne permet pas des enquêtes ni des coopérations judiciaires. Dans ce dernier domaine, c'est la convention d'entraide judiciaire qui s'applique, laquelle mentionne le respect de nos engagements internationaux sur la non-application de la peine de mort.

Il n'y a aucune ambigüité. Cet accord améliore sensiblement la coopération contre les stupéfiants ; il est utile et ne fragilise en rien les combats de la France pour la défense des libertés fondamentales.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères .  - La plupart des accords internationaux sont adoptés par la procédure simplifiée en commission, mais il était important que ce débat eût lieu.

C'est une application originale de l'article 47 de notre Règlement, qui permet un débat en séance publique sur un accord international important. Or cet accord renforce la lutte contre les trafics de stupéfiants ; il nous lie avec un grand pays directement concerné et menacé ; l'utilisation de la peine de mort de ce pays méritait des clarifications utiles. Je me réjouis de sa ratification.

M. Guillaume Gontard .  - Il est heureux que ce débat ait lieu.

À l'initiative de Jacques Chirac, l'opposition à la peine de mort a été inscrite dans notre loi fondamentale.

La France a adopté le deuxième protocole facultatif du pacte international relatif aux droits civils et politiques sur la peine de mort, qui donne compétence au Comité des droits de l'homme de l'ONU pour examiner un accord comme celui-ci. Il y va donc de la crédibilité de la France.

Problème encore plus grave dans le droit indien : l'application d'une présomption de culpabilité en matière de stupéfiants. Or la présomption d'innocence est à l'article 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 6 alinéa 2 de la CEDH, qui interdit que l'on conclue des accords contraires à ses principes.

Considérant le faible intérêt strict de cet accord et l'atteinte aux droits fondamentaux, considérant aussi vos réponses embarrassées, monsieur le ministre, le GEST votera contre ce texte.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

Discussion générale

Mme Sophie Primas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Je suis heureuse de vous proposer le texte issu de la CMP du 29 octobre, qui, après des débats animés, a été adopté à une large majorité grâce au travail de compromis avec le rapporteur de l'Assemblée nationale et à la volonté du ministre de faire aboutir le texte « quoi qu'il en coûte » médiatiquement (sourires). Il y avait urgence.

Le texte est très clair : l'usage des néonicotinoïdes demeure interdit en France. La filière betteravière bénéficie seule d'une dérogation jusqu'au 1er juillet 2023 pour ses semences.

Les équilibres du texte ont été préservés grâce au plan national de recherche et d'innovation, au plan de prévention de la filière, et au conseil de surveillance dont le rôle a même été consolidé : le texte précise que les acteurs concernés y siègeront avec le ministre de la Santé et que les parlementaires seront nommés par les présidents des assemblées et non plus par les commissions permanentes, en garantissant la représentation de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (Opecst), mais aussi des oppositions. La procédure sur l'arrêté de dérogation a été simplifiée.

La CMP a supprimé l'article 3 prévoyant l'obligation de produire une étude d'impact sur les alternatives avant toute interdiction d'un produit phytosanitaire.

La CMP a adopté à l'unanimité un amendement essentiel rappelant au ministre de l'Agriculture qu'il dispose, en cas de danger sanitaire, du pouvoir de suspendre les importations de denrées ne respectant pas les normes européennes. C'est un signal fort, notamment pour les instances européennes.

La CMP a conservé le renforcement de l'article 44 de la loi EGalim.

Le travail ne s'arrête pas là : les textes réglementaires doivent être rapidement publiés, les betteraviers et les industriels attendent un plan d'aide pour être en mesure de semer l'année prochaine.

D'autres filières orphelines sont inquiètes. Le conseil de surveillance pourra étudier les avancées de la recherche sur les autres filières, comme la noisette, sans toutefois leur accorder de dérogation.

Nous avons insisté sur la nécessité d'adopter une stratégie de recherche pour toutes les filières en impasse technique et attendons des actes concrets.

Ce texte est équilibré et apporte une réponse pragmatique, tout en posant la question plus globale de la stratégie française sur les produits importés. Je vous invite donc à l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Pierre Louault et Frédéric Marchand applaudissent également.)

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Je veux d'abord rappeler notre engagement résolu pour la transition agro-écologique et une agriculture moins dépendante des intrants. Mais la betterave sucrière et ses 46 000 emplois sont dans une impasse.

Il ne s'agit pas d'opposer économie et écologie, mais de se demander : acceptons-nous la disparition de cette filière ou non ? Souhaitons-nous ne plus consommer que du sucre importé ?

La faute à ce puceron vert dont nous avons tant parlé. Cette crainte est réelle, de très nombreuses parcelles ont été touchées, parfois plus que ce que nous le craignions.

Nous sommes tous favorables à la transition agro-écologique. Les premiers à l'être sont les agriculteurs eux-mêmes. Mais cette transition est confrontée au temps. Comment s'assurer qu'elle pourra se faire avec une filière d'excellence française plutôt que d'importer de pays souvent moins-disants écologiquement ?

Ce texte n'est pas un texte de renoncement, mais un texte volontaire.

Ce projet de loi réintroduit, comme de nombreux États membres, les néonicotinoïdes dans la filière betteravière en vertu de l'article 53 du règlement européen, jusqu'en septembre 2023. Il s'insère dans un plan global avec 7 millions d'euros supplémentaires dans les programmes de recherche publique et privée pour des alternatives en conditions réelles ; il comprend un plan d'action et de prévention de la filière. Ce suivi des engagements est l'un des rôles dévolus au conseil de surveillance, dont sont membres des parlementaires.

Nous avons beaucoup échangé sur le fait que la mention de la « betterave sucrière » non seulement dans le titre du projet de loi mais aussi dans le corps du texte puisse induire une rupture du principe d'égalité. Nous avons des arguments solides pour justifier la différence de traitement au profit de cette filière : l'impact des semences enrobées est plus limité sur les pollinisateurs que dans d'autres filières ; l'impact économique de l'interdiction des néonicotinoïdes est particulièrement grave pour la betterave sucrière, dépendante de l'outil de production que sont les sucreries.

Le risque, c'est que les pertes de rendement induisent une baisse des surfaces plantées et de la mise à l'arrêt des sucreries.

(M. Jean-Claude Tissot proteste.) Dans ce cas, il suffirait d'une à deux saisons pour que toute la filière soit mise à plat. Nous devrions alors importer du sucre de l'étranger.

Vous avez adopté trois amendements concernant la composition du Conseil de surveillance, le délai dans lequel il doit rendre un avis et l'entrée en vigueur de la loi au 15 décembre. La CMP a battu tous les records de durée pour être conclusive in fine. Je remercie la présidente Sophie Primas. Elle a su concilier les positions pour clarifier la mise en oeuvre. (M. Laurent Duplomb renchérit.)

Je souscris pleinement aux précisions apportées par la CMP sur la composition du Conseil de surveillance et prends acte du rappel de la faculté du ministre de l'Agriculture et de la Consommation de prendre des mesures conservatoires pour suspendre l'importation de produits non conformes à nos normes.

C'est un texte difficile, extrêmement important, qui en appelle à la souveraineté agricole et agroalimentaire de la France, but principal de mon ministère, dans la période actuelle. Il n'y a jamais eu à travers l'histoire un pays fort sans une agriculture forte.

M. Daniel Gueret.  - Bravo !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Je veux pour finir rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui se lèvent tôt, qui se couchent tard, grâce à qui le pays a tenu durant le premier confinement, et tiendra durant ce deuxième confinement pour faire vivre toute la chaîne agroalimentaire. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains)

M. Joël Labbé .  - La grandeur de la démocratie réside dans le débat contradictoire. Aussi réaffirmons-nous notre opposition à ce texte qui réautorise un véritable poison sur plus de 400 000 hectares. Quatre ans après la loi Biodiversité, ni l'État ni la filière n'ont pris leurs responsabilités pour trouver des alternatives aux néonicotinoïdes, à la différence de l'Italie, par exemple.

La France aurait aussi pu s'opposer à la possibilité de dérogations pour les États membres de l'Union européenne. La Commission européenne elle-même a déclaré que ces dérogations étaient problématiques.

À cause d'une erreur de vote, nos amendements n'ont pas pu être examinés, notamment celui maintenant a minima une interdiction sur les zones Natura 2000, les parcs naturels et les réserves naturelles.

Cela s'ajoute à une longue liste de renoncements. Mardi 3 novembre, pour les deux ans de la loi EGalim, dont le bilan est bien amer, trente syndicats et associations faisaient un constat d'échec. Sur le revenu des agriculteurs, la réduction des importations et la sortie des pesticides, nous ne sommes pas à la hauteur.

La PAC est elle aussi décevante, sans garantie d'articulation avec le pacte vert européen. L'agriculture biologique manque cruellement de moyens, notamment en matière de recherche. Or le temps presse : une Europe entièrement agro-écologique nous permettrait pourtant de nourrir 530 millions d'Européens en 2050, selon un rapport de 2018.

Certains agriculteurs croient encore à ce modèle d'industrialisation de l'agriculture, et c'est leur droit. Mais de plus en plus d'agriculteurs n'y croient plus du tout ! Dernière précision sur mon intervention de la semaine dernière : ma conclusion faisait référence à une chanson de Georges Brassens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)

M. Frédéric Marchand .  - Notre CMP a trouvé jeudi dernier un accord sur ce texte. Nous nous en félicitons. Il fallait agir sans tarder pour sauver la filière. Notre choix, le 27 octobre, d'autoriser cette dérogation avait pour but de préserver notre souveraineté alimentaire, premier impératif, et d'assurer la transition écologique, second impératif.

Non, ce texte ne réintroduit pas une autorisation des néonicotinoïdes, puisque 92 % des usages préalables resteront interdits. Non, il n'est pas une porte ouverte à de nouvelles dérogations. La dérogation sera circonscrite à la betterave sucrière jusqu'en 2023, seulement pour l'enrobage.

Des propos récents minimisent l'impact de la jaunisse sur la betterave, alors que la préservation de champions nationaux est essentielle. (M. Laurent Duplomb renchérit.) Les pertes atteignent 70 % à 80 %. Certes, la situation n'est pas homogène selon le territoire.

L'introduction à l'initiative de Mme Primas d'une possibilité de suspendre les importations de denrées ne respectant pas nos normes est dans le droit fil de la loi EGalim.

Les agriculteurs n'utilisent pas les pesticides pour le plaisir (M. Laurent Duplomb le confirme.), mais pour protéger leurs cultures !

L'article 4 de cette loi doit devenir incontournable pour toutes les filières. Il faut harmoniser les normes de production au niveau européen. C'est pour préserver notre souveraineté alimentaire et pour accompagner la transition écologique pour nos agriculteurs que le groupe RDPI votera ce texte dans sa majorité.

M. Henri Cabanel .  - Je regrette la méthode : revenir sur une loi est incompréhensible. Cela n'arriverait pas si nous bénéficions de véritables études d'impact. (M. Laurent Duplomb le concède.)

Il y a un décalage avec les attentes de la société qui veut une agriculture plus verte. Je regrette que la filière n'ait pas changé de paradigme depuis 2006.

Nous aurions pu coconstruire des propositions pour protéger notre filière autrement que par des dérogations qui ne font que conforter la même stratégie. Celles-ci nous rendent-elles plus compétitifs dans un contexte mondial très concurrentiel ? Elles lancent la filière contre le mur. Je regrette le choix de la France de tout traiter préventivement, alors que l'Allemagne, elle, a fait le choix de la lutte ciblée par pulvérisation. Une attaque sanitaire, c'est comme un incendie : si vous l'attaquez aux premières fumées, vous le maîtriser, mais si vous attendez qu'il prenne de l'ampleur, ce sera une véritable catastrophe écologique.

Cerisiers, noisetiers, vignes restent sans réelle alternative. La seule solution, c'est de produire autrement alors que notre production sera toujours moins intensive que celle de nos concurrents.

Inscrivons-nous dans l'avenir, monsieur le ministre : il faut demander à la filière un vrai plan stratégique pour aller au-delà des dérogations et éviter tout néonicotinoïde. Nous sommes prêts à y travailler à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER)

M. Fabien Gay .  - Une majorité du Parlement vient de réautoriser les néonicotinoïdes pour trois ans pour la filière betteravière. Nous y restons opposés.

Personne, pourtant, pas même vous, monsieur le ministre, n'a remis en cause leur toxicité. Nous remettons donc en circulation un produit que nous savons toxique pour les abeilles - à la grande inquiétude de nos 54 000 apiculteurs - toxique aussi pour nos sols et pour les humains.

C'est une violation du principe de non-régression qui revient sur un conquis environnemental, mais aussi un retour sur la parole publique et politique. Comment comprendre que Barbara Pompili, cheville ouvrière de la loi de 2016 lorsqu'elle était députée, participe à un gouvernement qui présente ce texte ? Elle aurait dû l'assumer ici avec vous, monsieur le ministre. (Mme Cathy Apourceau-Poly le confirme.)

Serons-nous capables en trois ans de trouver l'alternative que nous n'avons pas su trouver en quatre ans depuis 2016 ? Quels moyens y seront consacrés ? Vous parlez de 50 millions d'euros pour les haies dans le plan de relance ; ce n'est pas suffisant.

Il y a aussi un problème constitutionnel. La présidente Assassi l'a posé en première lecture. Les noisettes, les noix, le maïs, les lentilles...

M. Laurent Duplomb.  - ...vertes du Puy !

M. Fabien Gay.  - Comment justifierez-vous un refus à leur égard, monsieur le ministre ? Certes, la libéralisation du marché n'est pas de votre fait, mais c'est la véritable source du problème : la fin des quotas sucriers en 2017 a fait baisser les prix et les revenus des agriculteurs.

M. Laurent Duplomb.  - Cela n'a rien à voir !

M. Fabien Gay.  - Le groupe CRCE votera contre ce texte et continuera à proposer des solutions pour une agriculture qui maintienne le revenu agricole et respecte l'environnement et les humains. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST)

M. Pierre Louault .  - Nous avons trouvé en CMP un accord de sagesse. Comment conserver une production menacée par un virus, dans un contexte de concurrence exacerbée ?

La solution trouvée est bonne. Le conseil de surveillance représente tous les intervenants. Des garanties limitent la durée de la dérogation et restreignent cette dernière à la betterave sucrière. La France ne peut se passer d'une agriculture qui sache faire face à la concurrence internationale. Nous ne pouvons ignorer le marché européen et les accords commerciaux signés par l'Union européenne.

Un amendement dans la loi de 2016 a supprimé les néonicotinoïdes sans étude sur la possibilité de méthodes ou produits de substitution. C'est l'origine de nos difficultés.

Nous avons réussi à conforter l'article 44 de la loi EGalim en interdisant l'importation de produits utilisant des données interdites en Europe. La graine de sésame en est un exemple scandaleux. Elle contient des produits à la concentration mille fois plus grande qu'en Europe !

M. Laurent Duplomb.  - Elle était bio !

M. Pierre Louault.  - On ne peut pas laisser entrer n'importe quoi sur le marché ; sinon, l'agriculture française est condamnée à mourir. (M. Laurent Duplomb le confirme.)

Ainsi, on importe 40 % du poulet consommé en France, alors qu'à l'étranger il est élevé dans des conditions qui sont interdites en France.

Allons de l'avant. Toute l'agriculture est concernée, y compris l'agriculture bio, qui utilise deux insecticides dont l'un, certes sans rémanence, détruit tout. (On le conteste à gauche.) Le cuivre et le soufre sont utilisés en quantité industrielle. Il n'y a pas un maraîcher bio qui n'utilise pas les sacs plastiques et les filets de protection.

M. Laurent Duplomb.  - Ils ont les mêmes problèmes que les autres !

M. Pierre Louault.  - Ne nous butons pas sur des doctrines dépassées et travaillons ensemble.

Autour d'une zone Natura 2000 de 10 000 hectares, j'ai eu l'occasion de mettre tous les acteurs autour de la table. Cela a permis notamment de protéger de manière exemplaire les voies d'eau, en trouvant une solution bonne pour les agriculteurs et bonne pour les habitants.

Nous ne ferons pas avancer le schmilblick en racontant des choses fausses. (Protestations à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Claude Tissot .  - Cher monsieur Louault, nous ne sommes pas d'accord mais je ne pense pas dire des choses fausses.

Il faut mesurer l'étendue de la brèche que ce texte ouvre. C'est un précédent redoutable. Quel message envoyons-nous aux nombreuses filières qui se sont engagées dans la recherche d'alternatives ?

Avec ce texte, nous tournons le dos à la loi pour la biodiversité, à la Charte de l'environnement également, selon laquelle les choix du présent ne doivent pas compromettre l'avenir.

Chaque année, 300 000 ruches sont anéanties. Quelque 85 % des insectes et un tiers des oiseaux des champs ont disparu depuis l'introduction des néonicotinoïdes.

La réponse à la crise de la filière n'est pas la réintroduction des néonicotinoïdes pour la saison prochaine, mais un plan de soutien de 100 millions d'euros. Et les licenciements dans la filière ont commencé alors que les néonicotinoïdes étaient toujours autorisés...

Une réponse à la hauteur aurait accompagné la filière dans une montée en gamme. Ce projet de loi ne répond donc pas aux besoins de la filière. La préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les intérêts fondamentaux de la Nation, dit notre Constitution...

Le groupe socialiste, écologiste et républicain, à une exception, votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Je suis élu de l'Aisne, premier département producteur de betteraves sucrières en France. J'aggrave mon cas : mon père est agriculteur et betteravier de surcroît !

M. Laurent Duplomb.  - Ce n'est pas un défaut !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Il y a deux ans, le tracteur sortait une fois pour semer. Cette année, il est sorti quatre fois : une fois pour semer, trois fois pour traiter avec des pesticides et des insecticides. Je ne sais pas quel est le bilan en matière de biodiversité, mais le bilan carbone est certainement négatif.

La profession agricole connaît la nocivité des résidus, mais il n'y a pas d'autre option sur la table. Il y a aussi une dimension économique. La production s'effondre. Derrière ces agriculteurs, il y a toute une filière économique. On va importer du sucre de pays utilisant les néonicotinoïdes. Cela n'a pas de sens.

La solution transitoire est responsable, juste et équilibrée.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - L'article 4, qui permettrait de fixer des conditions de suspension des importations, met un pied dans la porte.

Il ne faut pas la refermer, car c'est plein de bon sens, et c'est le sujet majeur pour que l'agriculture réussisse dans ce pays. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Laurent Duplomb .  - Bien entendu, notre groupe votera ce texte, comme il a voté le projet de loi du Gouvernement.

Dans « bien entendu », il y a « entendu ». C'est important, monsieur le ministre, car depuis de nombreuses années, l'agriculture n'a pas été entendue, confrontée à des oppositions que les agriculteurs ne pouvaient pas comprendre.

Comment expliquer à un agriculteur qui travaille dur, 80 heures par semaine, que ce qu'il a fait ne convient pas ?

Cela crée un sentiment d'incompréhension, d'injustice et de mauvais traitement qui va au-delà de ce que l'on refuse aux animaux pour leur bien-être ! (Exclamations et rires sur les travées du groupe GEST)

C'est l'agri-bashing ! On a poussé une idée dans une loi et maintenant on doit revenir dessus. Pourquoi ? Parce qu'on a constaté la réalité sur le terrain. Merci, monsieur le ministre, de vous êtes déplacé, comme la présidente de la commission !

Ceux qui ne connaissent pas le terrain, qui ne passent pas leur vie dans les champs, ne peuvent pas comprendre à quel point il est insupportable pour les agriculteurs d'entendre certaines choses.

Nous semons toutes les années sans jamais être sûrs de récolter parce que des événements extérieurs s'imposent à nous, comme le climat. Mais se voir refuser l'utilisation d'un produit et regarder ses concurrents l'utiliser puis nous concurrencer sur nos propres marchés, c'est insupportable !

MM. Pierre Cuypers, Jean-Raymond Hugonet et Rémy Pointereau  - Très bien !

M. Laurent Duplomb.  - La seule alternative serait de revenir à la pioche ?

M. Jean-Claude Tissot.  - Il ne s'agit pas de cela !

M. Laurent Duplomb.  - C'est pourtant ce qu'a bien montré un rapport transpartisan de l'Assemblée nationale : sans glyphosate, on est dans une impasse totale !

Pour le charbon, la réalité c'est le binage à la main. Pourquoi, dans cette enceinte, entre gens de bon sens, s'affronter sur des idéologies plutôt qu'être pragmatique ?

Qui peut dire que la filière betterave peut survivre sans néonicotinoïdes ? (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER)

M. François Bonhomme.  - Et la noisette ?

M. Laurent Duplomb.  - Revenons à un débat posé, raisonné et raisonnable. Qu'on arrête les procès d'intention ! Les agriculteurs n'utilisent pas de néonicotinoïdes par plaisir.

À force de critiquer notre propre agriculture, on envoie le message à ceux qui rêveraient d'avoir une agriculture comme la nôtre et de pouvoir manger nos produits que nous sommes à tel point des enfants gâtés que nous renvoyons l'image que ces derniers sont les plus dégueulasses du monde ! (Bravos et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; protestations sur les travées des groupes GEST et SER) C'est vrai pour toutes les filières : la pomme, la cerise...

M. François Bonhomme.  - La noisette ! (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER)

M. Laurent Duplomb.  - Oui, la cerise n'est plus française, parce qu'on a supprimé tous les moyens de lutter. On mange des cerises turques qui sont bourrées de tout ce qu'on interdit chez nous. (Marques d'approbation à droite)

M. François Bonhomme.  - Idem pour la noisette turque !

M. Laurent Duplomb.  - Les agriculteurs savent évoluer. Donnez-en leur le temps et les moyens. Faut-il rester dogmatiquement fixé à quatre ans ? (Mouvements) Peut-être que dans trois ans, on aura trouvé un moyen d'utiliser les produits à des quantités infimes, très précises...(On en doute sur les travées du GEST.) Peut-être que ceux qui en doutent aujourd'hui auront eux-mêmes évolué ! (Même mouvement)

M. Jean-Claude Tissot.  - Nous sommes en désaccord, c'est tout ! (M. Guillaume Gontard le confirme.)

M. Laurent Duplomb.  - Beaucoup d'entre vous voudraient la suppression totale des néonicotinoïdes. Nous, nous voulons les conserver quand il y en a besoin, à la quantité la plus précise et la plus basse possible. Entendez le cri d'alarme de ceux sur qui on tape alors qu'ils font vivre la France !

À force de les critiquer, on découragera ceux qui devront prendre leur suite. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir permis d'avoir ces débats fondamentaux que nous devons porter avec la plus grande objectivité.

Rien n'est pire qu'une politique qui cède à la tentation du populisme !

Relevons le débat,

Donnons à chacun les éléments pour cesser les décisions à l'emporte-pièce. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Angèle Préville .  - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST) « C'est une triste chose de constater que la nature parle et que le genre humain n'écoute pas » : Victor Hugo ! Ce projet de loi est une défaite magistrale, environnementale et sanitaire. Laissons opérer les artisans minuscules de la biodiversité que la nature nous offre dans les écosystèmes... (MM. François Bonhomme et Rémy Pointereau protestent.)

C'est avec regret, monsieur le ministre, que je repense à votre souhait d'une écologie de l'action et du réel. Une telle écologie ne proposerait pas de revenir en arrière. Elle écouterait la nature, les véritables besoins des agriculteurs, la communauté scientifique.

Or celle-ci est unanime : la nocivité des néonicotinoïdes est établie, avérée. Une récente étude du CNRS a montré qu'ils se retrouvent hors des parcelles traitées à des taux très élevés dans les vers de terre et donc chez leurs prédateurs, les oiseaux.

Les sols, sous les assauts des néonicotinoïdes, ne sont plus vivants. Nos concitoyens sont de plus en plus préoccupés de leur santé et les scientifiques s'inquiètent de ne pas être écoutés.

Nous n'avons pas le monopole de l'écologie, vous n'avez pas celui de la clairvoyance ! Vous faites le choix d'une solution court-termiste. Nous n'entérinerons pas cette réintroduction d'un poison dans nos sols, menace pour la chaîne du vivant.

Jean-Marie Pelt et Gilles-Éric Séralini l'ont écrit : « nous sommes en train d'ôter les briques, les unes après les autres en ignorant les conséquences de ce démontage à l'aveuglette, qui brisent un à un les liens unissant la chaine des êtres vivants ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST)

La discussion générale est close.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

M. Daniel Salmon .  - Je ne reviens pas sur les risques constitutionnels de ce texte. Les conséquences de cette régression environnementale seront lourdes et avérées. Les abeilles meurent, je suis apiculteur amateur, je le sais ! La défense de la biodiversité et de la santé des agriculteurs, des consommateurs, ne fait pas le poids contre quelques tonnes de betteraves à l'hectare ! C'est une reculade lourde de sens et de conséquences. La boîte à dérogations est ouverte.

Monsieur le ministre, vous enverrez vos drones polliniser les cerisiers...

Votre responsabilité devrait être de vous attaquer aux racines du problème.

Monsieur le ministre, vos intentions environnementales sont à la dérive. C'est soit le statu quo, soit la régression. Or des solutions existent ! Le monde que vous proposez est un monde désenchanté, un monde sans le vivant. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)

M. François Bonhomme .  - La noisette est une filière d'avenir sur le plan nutritionnel, (Sourires sur les travées du groupe GEST) alors que nos collègues Verts ici mettent en cause le sucre. Elle compte 45 000 salariés. On en importe 25 000 tonnes notamment d'Italie et de Turquie où des produits phytosanitaires sont autorisés alors qu'ils sont interdits en France depuis le 1er juillet...

M. Laurent Duplomb.  - Bien sûr !

M. François Bonhomme.  - Que va-t-il se passer pour la noisette ? Quelque 3 500 producteurs vont être impactés de plein fouet. Je prends date : on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas !

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

Mme Sophie Primas, rapporteur .  - Je remercie l'ensemble des collègues mobilisés sur ce texte - avec nos convictions, parfois différentes, que nous exprimons dans le cadre du débat démocratique - ainsi que le ministre pour son écoute constante au cours de la coconstruction de ce texte.

Si tout en allait toujours ainsi entre le Gouvernement et le Parlement, ce serait un bonheur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Julien Denormandie, ministre .  - Je m'associe aux remerciements de la présidente-rapporteur. C'est le propre de la démocratie de ne pas être d'accord sur tout, mais aussi de mener des débats de fond, comme nous l'avons fait, de qualité, dans le respect mutuel - à l'image de la Haute Assemblée.

Je veux m'adresser à tous les agriculteurs et agricultrices de France, qui font partie du ciment de la République, en dépit de toutes les difficultés. Pas un seul agriculteur ne s'est posé la question de ne pas retourner cultiver, au début du confinement...

M. Laurent Duplomb.  - Exactement !

M. Julien Denormandie, ministre.  - Les agriculteurs et agricultrices sont les entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple français. (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite) Ils assument des risques, qu'ils essaient de minimiser. Le vivant, c'est ce qu'il y a de plus compliqué. Les agriculteurs et agricultrices sont pétris de convictions, notamment celle de la transition agro-écologique, mais jamais de certitudes. Cela est si précieux, au temps de l'émotion et de l'opinion qui se répand sur les réseaux sociaux.

Qu'ils soient vraiment honorés dans cette Haute Assemblée cet après-midi ! (Applaudissements au centre et à droite)

Le projet de loi, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la CMP, est mis aux voix par scrutin public :

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°15 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 313
Pour l'adoption 183
Contre 130

Le Sénat a définitivement adopté.

(Bravos et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Inclusion dans l'emploi par l'activité économique (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au renforcement de l'inclusion dans l'emploi par l'activité économique et à l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».

Discussion générale

Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Le 28 octobre, la CMP est parvenue à un texte commun. Cet accord est le fruit d'échanges nourris avec l'auteur de la proposition de loi et rapporteur de l'Assemblée nationale, Marie-Christine Verdier-Jouclas, et le Gouvernement.

Malgré l'effet de loupe médiatique sur le dispositif territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), la proposition de loi comporte d'autres mesures tout aussi importantes, comme le titre I sur le pacte d'ambition économique et le titre III portant diverses mesures d'ordre social.

Le Sénat a renforcé le cadre du dispositif TZCLD. Il a notamment permis d'éviter que les départements soient obligés de financer ce dispositif, pour un montant de surcroît inconnu, mais défini par décret. Notre compromis permet de faire de l'accord du président du conseil départemental un prérequis pour qu'un territoire rejoigne le dispositif. Il reviendra à chaque département d'apprécier si cela est cohérent avec sa politique d'insertion. Des territoires supplémentaires pourront également être intégrés par dérogation, au-delà des 60 initialement prévus.

S'agissant de l'insertion par l'activité économique (IAE), le Sénat a amélioré les dispositifs pour répondre aux attentes des acteurs du terrain, notamment sur les contrats des salariés seniors rencontrant des difficultés particulières, avec l'autorisation de renouveler de vingt-quatre mois les CDD des plus de 57 ans en les incluant dans un « CDI inclusion seniors ». 

Le Sénat a également permis, à l'article 2 ter, au préfet d'apporter des dérogations pour les associations intermédiaires. Le Sénat a renforcé, à l'article 3 bis, les garanties sur les contrats passerelles, ce qui rassure les acteurs.

La commission des affaires sociales avait introduit en outre, à l'article 3 ter A, un dispositif de « temps cumulé », de transition progressive entre un contrat d'insertion et un CDI ou un CDD à temps partiel. Il a également été retenu par la CMP.

Avec l'important effort financier consenti en faveur de l'IAE dans le plan de relance et la « stratégie pauvreté », ces mesures devraient soutenir les initiatives de terrain et ouvrir le champ des possibles dans ce secteur.

Le Sénat s'était opposé au « bonus-malus » et avait supprimé l'article 7 pour tenir compte de la réforme actuelle de l'assurance chômage. Le compromis trouvé me semble raisonnable, même si je reste persuadé que ce n'est pas la solution appropriée pour lutter contre les abus du recours aux contrats courts.

À l'article 9 quinquies, le Gouvernement avait introduit une disposition qui encourage le dialogue social au sein des entreprises de l'IAE. La CMP a trouvé une solution tout à fait satisfaisante : la nouvelle rédaction prévoit une commission d'insertion au sein du Conseil social et économique 5CSE, ce qui est moins lourd pour les entreprises et répond aux attentes des partenaires sociaux.

J'avais demandé où en était le décret d'application de la loi sur le don des chèques-vacances au personnel soignant adoptée en urgence l'été dernier...

M. Michel Savin.  - Eh oui !

Mme Frédérique Puissat, rapporteur.  - Nous avons donc travaillé en vain ! J'espère qu'il n'en ira pas de même pour ce texte... (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargée de l'insertion .  - Permettez-moi d'exprimer la solidarité du Gouvernement dans cette nouvelle phase de confinement. Nous devons redoubler d'attention pour les plus fragiles, les jeunes, les demandeurs d'emplois de longue durée, les personnes les plus éloignées de l'emploi...

Dans ce contexte, cette proposition de loi trouve plus que jamais son utilité.

Un travail constructif a été mené par tous les parlementaires de tous les groupes. Je salue le travail remarquable de Mme la rapporteure qui a tant enrichi ce texte. Je vous souhaite un très bel anniversaire ! (Exclamations et marques de félicitations à droite)

Le texte de la CMP a repris l'ensemble des apports du Sénat. Il respecte l'esprit des fondateurs des TZCLD.

Ce texte est adapté aux circonstances et son adoption sera bénéfique à tous les territoires. Cette loi est un très bel objet en faveur de ceux de l'emploi pour tous et de l'égalité des chances.

Les structures de l'IAE vont, en vertu du titre I, voir leurs règles de recrutement simplifiées, avec la suppression de l'agrément préalable délivré par Pôle emploi.

L'expérimentation TZCLD, grâce au titre II, sera étendue et se déploiera dans soixante territoires. Je salue la persévérance de Laurent Grandguillaume, président de l'association « Territoires zéro chômeur », de Michel de Virville et Patrick Valentin, vice-présidents, et de Louis Gallois, président du Fonds d'expérimentation territorial contre le chômage de longue durée.

La CMP a su apporter des avancées majeures. Tout salarié d'une structure de l'IAE de plus de 57 ans pourra se voir proposer un CDI. Ce nouveau contrat coexistera avec les CDD insertion, qu'il est possible de renouveler par dérogation à partir de 50 ans, selon la volonté du Sénat. Vous avez su également vous accorder sur l'encadrement de l'expérimentation du « contrat passerelle ». Je salue le travail d'écoute de Frédérique Puissat qui a introduit un dispositif de « temps cumulé » pour laisser le libre choix des outils aux acteurs.

La CMP a rétabli le caractère obligatoire de la participation des départements, mais en prévoyant sa fixation par décret et son plafonnement. Nous travaillerons avec l'Association des départements de France (ADF) à la meilleure rédaction possible. En outre, l'accord du département devra être requis pour qu'un territoire se porte candidat. Cette avancée doit être saluée. Nul ne pourra imposer au département, chef de file de l'insertion sur son territoire, de participer à une expérience qui ne serait pas cohérente avec sa propre politique d'insertion.

Une augmentation dérogatoire du nombre de territoires est d'ores et déjà prévue, au-delà des 60 initialement prévues, si nécessaire : Mme Borne s'y est fermement engagée à l'Assemblée.

La mise en place d'un dialogue social pour les salariés des structures de l'IAE est une avancée majeure, avec la création d'une section au sein du CSE de la structure. Il s'agira d'une expérimentation pour trois ans.

Ce texte prouve la volonté du Gouvernement d'agir pour l'emploi de tous. Dans le cadre de France relance, 35 000 places sont prévues dans l'IAE pour les jeunes. Quelque 30 000 places supplémentaires devraient en outre être ouvertes, conformément aux mesures de prévention de la pauvreté annoncées par le Premier ministre le 24 octobre dernier.

Nous nous attachons à mettre en place les textes d'application nécessaires.

La relance de notre économie doit être la plus inclusive possible. Je vous demande le soutien le plus large possible à ce texte.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales  - . Très bien !

M. Xavier Iacovelli .  - L'inclusion n'est pas l'affaire des exclus, mais l'affaire de tous, pour redonner à ceux qui sont devenus invisibles une place à part entière dans la société. Ces mots du président du Conseil de l'inclusion dans l'emploi reflètent parfaitement l'esprit de cette proposition et de l'accord trouvé en CMP.

Alors que 4,2 millions de personnes sont éloignées de l'emploi, dont 2,7 millions depuis plus d'un an, ce texte apporte une solution concrète, ambitieuse et innovante, inscrite dans la logique du plan France Relance et de la volonté du Président de la République d'intégrer 140 000 personnes supplémentaires dans les parcours d'insertion et les entreprises adaptées. Elle complète le dispositif de 300 millions d'euros en faveur des structures d'insertion annoncé par la ministre Brigitte Klinkert.

Nous saluons le compromis trouvé qui maintient la philosophie du texte.

Il faut faire preuve d'innovation et associer tous les acteurs pour lutter contre le chômage de longue durée : entreprises, associations, collectivités territoriales. Ce texte concrétise des avancées notables, notamment pour les seniors.

Les dispositions existantes doivent être confortées pour les chômeurs de longue durée, les bénéficiaires de minimas sociaux, les parents isolés, les personnes en situation de handicap.

La clause de revoyure constitue aussi une avancée notable.

Nous saluons le travail des rapporteurs dans la recherche d'un compromis ambitieux. Nous espérons que l'expérimentation pourra être généralisée, à long terme.

M. Jean-Claude Requier .  - La crise sanitaire s'accompagne d'une crise économique et sociale qui a fait basculer un million de personnes supplémentaires dans la pauvreté, en plus des 9,3 millions de personnes sous ce seuil. Quelque 8 millions de personnes demandaient l'aide alimentaire en septembre dernier, contre 5,5 millions l'année dernière.

Le RDSE est convaincu que ce texte apportera des outils nécessaires pour aider les personnes les plus éloignées du monde du travail à retrouver un emploi.

Nous saluons le compromis trouvé, et notamment le dispositif de « temps cumulé », le développement du dialogue social dans les structures de l'IAE et l'augmentation dérogatoire par décret du nombre de territoires dans l'expérimentation « zéro chômeur de longue durée ».

Ce dispositif a un coût, mais il permettra de rendre à ces personnes, cassées par des années de chômage et de fractures de vie, leur confiance en elles et leur dignité. Cette expérimentation repose sur l'implication de chacun et les compétences de tous. Les dix premiers territoires ont joué le rôle de laboratoires. Les territoires qui postulent pour la deuxième phase seront préparés, grâce à leur expérience.

Nous devons utiliser des méthodes novatrices. Si certains qualifient d'utopie cette expérimentation, je leur rappelle ces mots du président Édouard Herriot - lyonnais et radical : « Une utopie est une réalité en puissance ».

Le RDSE apportera, dans cet esprit, son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Je remercie Laurence Cohen qui m'a remplacée lors de la première lecture, alors que j'étais bloquée chez moi par la covid-19.

Sur un territoire comme le mien, touché par la désindustrialisation, les acteurs de l'IAE sont demandeurs de telles initiatives pour le retour à l'emploi. Une expérimentation a lieu dans la commune de Frévent, dans le Pas-de-Calais, et je me réjouis de l'extension à cinquante territoires de plus.

Notre groupe s'est abstenu en première lecture, le Gouvernement et la droite ayant dénaturé les dispositions sur l'IAE : renforcement du contrôle de Pôle emploi sur les chômeurs avec le carnet de bord, transfert de la responsabilité de la formation professionnelle aux salariés sommés d'utiliser leur compte personnel de formation avant toute prise en charge financière, dérogation aux vingt-quatre mois maximum de renouvellement pour les CDD des seniors. Le contrat passerelle est un cache-misère, alors que vous avez supprimé les départs en retraite anticipés et instauré des décotes pour les carrières incomplètes. Vous allez affaiblir les plus fragiles, comme si 800 000 chômeurs de plus n'allaient pas rejoindre les deux millions de personnes éloignées de l'emploi avant la crise sanitaire.

Les initiatives locales redonnent de l'espérance mais elles ne sauraient remplacer une politique publique de l'emploi au niveau national, qui permette à tous d'évoluer sans passer par la case chômage. Chacun devrait pouvoir alterner travail salarié et formation rémunérée, grâce à une baisse du temps de travail et aux gains de compétitivité induits par les nouvelles technologies.

Le groupe CRCE maintiendra son abstention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Patrice Joly applaudit également.)

Mme Élisabeth Doineau .  - Enfin une occasion de se réjouir : chaque victoire est appréciée, dans ces temps difficiles. J'ai participé à la CMP. Il est heureux que le Parlement se soit entendu sur une version partagée - et j'en félicite la rapporteure Frédérique Puissat. C'est un grand pas, au bénéfice de ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi.

L'expérimentation territoires zéro chômeur de longue durée autorise un travail sur mesure, tout en posant les jalons d'une refondation de la politique de l'emploi.

La possibilité d'augmenter par décret le nombre de territoires est une avancée, alors que la jauge de soixante était vécue comme injuste par les cent vingt candidats.

Le montant de la participation financière des départements pourra être fixé par décret, mais le président du conseil départemental devra donner son accord. Je me contenterai de ce compromis.

La loi du 1er décembre 2008 sur le RSA et les politiques d'insertion rappelait déjà le rôle de chef de file du département, qui pouvait signer un pacte territorial d'insertion, coconstruit avec de nombreux acteurs. L'outil a fait ses preuves. Il n'était pas utile d'imposer des obligations supplémentaires aux collectivités. C'est à nous de faire confiance aux territoires ; je me félicite que le Parlement ait su faire respecter cet équilibre.

Le Sénat a apporté des améliorations susceptibles de répondre aux interrogations des acteurs de terrain : au sein du titre I, il a assoupli les mesures pour les plus de 57 ans, en leur permettant de cumuler contrat de travail de droit commun et d'insertion.

Le cadre expérimental du contrat passerelle a été précisé pour répondre aux oppositions du réseau de l'IAE ; le temps cumulé facilitera la transition du contrat d'insertion vers le CDI ou le CDD à temps partiel.

Le Sénat a également renforcé le dialogue social au sein des structures d'IAE. Une section spéciale est créée au sein du CSE, elle remplace une commission ad hoc.

Le Sénat avait supprimé l'article 7 relatif au bonus-malus sur les contributions d'assurance chômage sur les contrats courts. La CMP l'a réintroduit, mais sans pénaliser les entreprises les plus vertueuses.

Cette proposition de loi est une bouffée d'espoir face aux conséquences de la crise économique et sanitaire. Le groupe UC votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi qu'au banc de la commission)

Mme Monique Lubin .  - Je me réjouis de ce débat très intéressant, qui a mis en lumière des dispositifs encore méconnus, alors qu'ils évitent de sombrer à certains de nos concitoyens.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain s'est abstenu en première lecture, mais des avancées notables sont intervenues en CMP, grâce aux négociations avec le Gouvernement.

Je salue le travail de la rapporteure et la confiance renouvelée aux acteurs de l'IAE, la clause de revoyure, le financement par les départements.

Le groupe socialiste, écologiste et républicain votera le texte issu de la CMP. Les points de blocage les plus importants ont été levés.

Nous sommes satisfaits que le concours financier des départements soit garanti. Nous regrettons cependant l'absence de moyens alloués aux comités locaux pour l'emploi, ils sont la pierre angulaire de cette dynamique territoriale.

Si nous saluons la prise en compte des externalités positives, nous regrettons que l'évaluation se focalise sur les coûts, au lieu de privilégier la comparaison avec le chômage de longue durée.

Nous avons plus que jamais besoin des initiatives innovantes de l'économie sociale et solidaire (ESS). Nous craignons cependant que le Gouvernement avance d'un pas pour reculer ensuite de deux. L'année dernière, à l'initiative de Joël Bigot et du groupe socialiste, un fonds spécifique pour l'ESS a été introduit dans la loi contre le gaspillage et pour l'économie circulaire. Or vous projetez de ne plus le réserver à l'économie circulaire mais d'en réserver 50 % à la sphère marchande, alors que l'ESS, très intensive en emplois, a besoin de financements ambitieux.

Je noterai aussi avec malice que les contrats aidés ont retrouvé les bonnes grâces du Gouvernement, après le désamour de 2017. Mais l'heure n'est pas à la malice et nous voterons ce texte, en saluant les avancées et en appelant le Gouvernement à demeurer cohérent dans ses politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Colette Mélot .  - Alors que la crise fait basculer de nombreux Français dans la précarité, il est urgent de promouvoir des solutions d'inclusion dans l'emploi, pour une dignité et une autonomie retrouvées.

Cette proposition de loi est intéressante, elle enrichit les dispositifs existants. Nous nous félicitons de la prolongation de l'expérimentation.

La contribution financière des départements était un point de désaccord entre les deux assemblées. Le compromis trouvé, prévoyant l'accord préalable du président du conseil départemental et l'augmentation du nombre de territoires concernés, est une bonne chose. Une centaine de territoires volontaires sont prêts pour le second volet.

Le titre I sur l'IAE reprend les contributions du Sénat, comme le dispositif de temps cumulé, qui sécurise les transitions. C'est l'esprit de la proposition de loi Malhuret en faveur d'une expérimentation pour les allocataires du RSA : ceux-ci pourraient travailler dans une entreprise quinze heures hebdomadaires, pendant un an, sans perte de l'allocation.

Le 24 octobre, l'acte II du plan contre la pauvreté a été annoncé par le Premier ministre ; plus de 15 % des Français étaient déjà sous le seuil de pauvreté en 2018, et ce chiffre a augmenté d'un million de personnes.

Cette loi sera un très bon outil. Je salue tous les efforts réalisés, notamment par notre rapporteur. Le groupe INDEP votera naturellement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et au banc de la commission)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Nous nous réjouissons que la CMP ait trouvé un accord sur la proposition de loi, attendue depuis longtemps.

Ce dispositif novateur, ambitieux et dynamique a reçu tout notre soutien en première lecture, car il facilite le retour à l'emploi via des CDI et non des contrats précaires. Nous avions regretté la modification de certaines dispositions par le Sénat, mais saluons le compromis de la CMP sur la participation financière des départements, la suppression du copilotage des préfets sur les comités locaux, la suppression de la tutelle de Pôle emploi sur le choix des personnes recrutées et celle de la Direccte sur les choix d'activité.

Ce dispositif rassemble des dynamiques de territoires, lesquels doivent rester à la manoeuvre. En somme, ce projet fait confiance à l'intelligence territoriale. Le respect des spécificités de la Corse, la possibilité d'augmenter le nombre de territoires concernés sont une belle victoire. La clause de revoyure permettra de déployer davantage le dispositif.

Nous devons rester vigilants sur les moyens du fonds d'expérimentation - dont les crédits sont légers au regard du nombre de nouveaux candidats.

Nous nous interrogeons aussi sur les contrats passerelles : nous voulions leur suppression, car ils ne remplissent pas l'objectif de sécurisation des parcours.

Malgré cela, nous nous félicitons de l'accord trouvé en CMP et de la mobilisation des parlementaires autour de cette expérimentation. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue le travail de Frédérique Puissat, qui a su trouver une position équilibrée...

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - Oui !

M. Philippe Mouiller.  - Elle convient au groupe Les Républicains.

L'expérimentation TZCLD est menée avec succès dans les Deux-Sèvres. La commune de Mauléon fait partie des trois sur dix territoires qui ont rempli les objectifs de l'expérimentation.

Après cinq années de mise en oeuvre et avant une extension, il fallait faire un bilan : le Sénat s'y est employé, examinant le nombre d'emplois créés et le coût pour les pouvoirs publics. Mais l'essentiel n'est pas là ; cette expérimentation a permis une mobilisation collective sur des territoires sinistrés, et des personnes exclues ont retrouvé une place dans la société.

Le Sénat a souhaité la prolongation du dispositif, avec des aménagements concernant le suivi des personnes embauchées, les économies sur les prestations sociales, l'évaluation par le comité scientifique.

Je me réjouis de la possibilité d'augmenter par décret en Conseil d'État le nombre de territoires membres de l'expérimentation. De nombreux candidats sont en attente.

En 2016, j'avais fait préciser que le dispositif serait principalement financé par l'État et que les collectivités territoriales ne participeraient que sur la base du volontariat, car elles subissaient déjà la hausse des dépenses sociales et la baisse des dotations.

La CMP a retenu le principe selon lequel le département a le choix : s'il accepte une candidature, il s'engage financièrement.

Je salue l'écoute de notre rapporteur et ses propositions.

M. Michel Savin.  - Très bien !

M. Philippe Mouiller.  - Le contexte actuel est particulier : le secteur de l'IAE est très affecté par la crise sanitaire. Les assouplissements liés aux nouveaux contrats sont bienvenus. Le Sénat a encadré le contrat passerelle ou le CDI inclusion seniors et a instauré un temps cumulé favorisant le rapprochement entre l'IAE et le secteur marchand. Le groupe Les Républicains soutiendra cette proposition de loi ainsi amendée.

En matière de chômage longue durée, beaucoup reste à faire, quand 2,6 millions de chômeurs se sont inscrits à Pôle emploi depuis plus d'un an. Il est urgent de soutenir les PME, les artisans, les commerçants, importants pourvoyeurs d'emplois. Si nous regrettons l'absence de réforme d'ampleur, nous approuvons toute initiative qui rassemble les énergies des territoires : notre groupe Les Républicains soutient ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, sur plusieurs travées du groupe UC ainsi qu'au banc de la commission)

La discussion générale est close.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement : aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement ; le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble.

Conformément à l'article 42, alinéa 12, du Règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et SER)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales .  - Je remercie tout particulièrement Frédérique Puissat, qui a travaillé - un peu seule - cet été sur le texte. Merci aussi à la ministre pour son regard bienveillant sur les transactions et concessions de part et d'autre. (Sourires)

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée .  - Je remercie le Sénat d'avoir à une large majorité adopté ce texte important, signe d'espoir et réponse concrète pour les personnes éloignées de l'emploi, les plus fragiles. (Applaudissements au banc de la commission)

La séance est suspendue à 20 h 05.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

Restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Discussion générale

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture .  - Ce projet de loi est l'aboutissement d'un long travail dont l'impulsion a été donnée par le Président de la République lors de son discours à Ouagadougou en novembre 2017. Il avait exprimé la volonté de réunir les conditions d'une restitution d'oeuvres du patrimoine africain dans le cadre du renouvellement du partenariat entre la France et les pays africains.

Il n'est pas question ici de repentance ou de réparation ; c'est l'avenir de ce partenariat qui nous intéresse, qui passe par la refondation du lien culturel entre la France et l'Afrique.

Inédit par son ampleur et sa symbolique, ce projet de loi restituant au Bénin 26 oeuvres appartenant au trésor de Béhanzin et au Sénégal le sabre et le fourreau d'El-Hadj Omar Tall s'inscrit dans le prolongement d'une politique de coopération culturelle déjà engagée et dans un contexte de réflexion sur le rôle des musées.

Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy de 2018 a été l'occasion de passionnants échanges sur l'histoire des collections et la nécessité de mieux en expliquer la provenance au grand public.

Ces objets exceptionnels, témoins d'un passé glorieux et tourmenté, d'une qualité esthétique exceptionnelle, sont devenus des « lieux de mémoire » au sens de Pierre Nora, dépositaires d'une partie de l'identité des peuples sénégalais et béninois.

Le sabre d'El-Hadj Omar Tall et son fourreau renvoient à l'épopée de l'empire toucouleur. Données au Musée de l'Armée il y a plus d'un siècle par le général Archinard, ces pièces sont actuellement exposées à Dakar dans le cadre d'un prêt de longue durée.

Les 26 pièces du trésor des rois d'Abomey, saisies par le général Dodds en 1892, sont les derniers témoins de la grandeur de cette dynastie pluriséculaire et de l'esprit de résistance du roi Béhanzin, qui incendia son palais plutôt que de l'abandonner aux vainqueurs. Conservé depuis 1999 par le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, ce trésor, symbole d'une indépendance perdue, a suscité une grande émotion lors de sa présentation sur le sol béninois en 2006. La République du Bénin en a demandé la restitution en 2016. Le Président de la République s'y est engagé.

Cela n'a rien d'inédit. Parmi les restitutions récentes consenties par la France figurent une statue d'Amon Min volée à l'Égypte, en application du jugement d'un tribunal français, les 21 têtes maories à la Nouvelle-Zélande, par la loi votée en 2010 à l'initiative de Catherine Morin-Desailly, ou encore 32 plaques d'or à la Chine, en application de la convention de l'Unesco de 1970. Le droit français offre une diversité de solutions pour ces restitutions.

En l'absence de recours judiciaire du Bénin et du Sénégal, le législateur peut apporter une réponse aux demandes de ces deux pays sans faire jurisprudence.

Ce texte n'a aucune portée générale ; il ne vaut que pour les objets énumérés. Il n'institue aucun droit général à la restitution.

La voie législative s'impose à nous dans la mesure où la restitution implique de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques. Les députés ont d'ailleurs inscrit dans le texte la référence à ce principe, qui n'est nullement remis en cause, désigné explicitement ces restitutions comme des dérogations.

À l'inverse, créer, comme le propose votre commission, un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'oeuvres d'art extra-occidentales nous éloigne de l'appréciation au cas par cas que privilégie le Gouvernement. J'en proposerai la suppression.

Ce projet de loi n'est en rien une remise en cause du rôle des musées qui ont accueilli ces oeuvres. Au contraire, ils en ont permis la conservation, l'étude approfondie, la présentation au public, en France et à l'étranger. Nous devons leur en être reconnaissants.

Il n'est pas question de remettre en cause le modèle universaliste de nos musées, que nous devons plus que jamais défendre, quand on voit à quelles extrémités monstrueuses les crispations identitaires, le mépris de la culture de l'autre, peuvent conduire. Notre mission est de favoriser, par la circulation des oeuvres, le dialogue des cultures et des perceptions.

La fonction première de la culture est d'exprimer et d'explorer ce que la condition humaine a d'universel. Cette conviction, qui peut paraître de moins en moins partagée, ce projet de loi rappelle que nous n'y renoncerons jamais. C'est au nom de cet idéal que la France n'accepte de restituer des oeuvres que si celles-ci gardent leur vocation patrimoniale, si elles sont conservées et présentées au public.

Le Bénin et le Sénégal s'y sont engagés. Ils visent tous deux une coopération ambitieuse avec la France, qui soutient des projets de développement de musées et des actions de formation. Le patrimoine d'exception ainsi rendu sera accessible au plus grand nombre dans un cadre à la hauteur de sa valeur.

Ce projet de loi n'est pas un acte de repentance mais un acte d'amitié et de confiance envers des pays auxquels nous lient une longue histoire et des projets d'avenir. Béninois et Sénégalais pourront accéder plus directement à leur passé, pour penser le présent et bâtir le futur. C'est, pour la France, un honneur et une fierté de contribuer à ce que notre histoire commune, riche sans jamais avoir été simple, ne cesse de nous nourrir les uns les autres et de nous amener à nous dépasser. (Applaudissements sur les travées des groupes RPDI, SER et CRCE)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Comment ne pas être sensible à la démarche qui anime le Bénin et le Sénégal ? Comment ne pas être favorable à l'objectif de renforcer le dialogue avec l'Afrique ? Le Sénat a été à l'origine des deux lois de restitution françaises, et de la consécration législative des droits culturels.

Les revendications du Bénin et du Sénégal portent sur des objets précis, limités en nombre, d'une portée culturelle, symbolique et spirituelle. Elles s'inscrivent dans un projet muséal et patrimonial. Des garanties de conservation et de présentation au public ont été données. La France renoue avec l'esprit des Lumières, non pour se repentir mais pour se réapproprier une histoire commune qui servira de base à une coopération culturelle renouvelée. Elle ne peut en sortir que grandie.

Le problème concerne non le fondement mais la méthode de ces restitutions. Les collections publiques sont protégées par le principe d'inaliénabilité ; toute exception suppose l'autorisation de la représentation nationale.

Contrairement à la loi de 2010, il s'agit ici d'une initiative gouvernementale et non parlementaire, et d'objets et non de restes humains. La loi de 2010 de restitution des têtes maories avait été précédée d'un symposium international sur la question des restes humains dans les musées, organisé en février 2008 à la demande de la ministre de la Culture d'alors.

Point d'initiative similaire aujourd'hui. Felwine Sarr et Bénédicte Savoy n'ont guère associé les scientifiques à leurs travaux, ce qui a exposé leur rapport à la critique. Les conservateurs des musées concernés ont certes été consultés, mais le Président de la République avait déjà annoncé la restitution ! La décision politique a prévalu, au mépris du principe d'inaliénabilité des collections, pourtant censé empêcher le fait du prince.

Ce projet de loi s'apparente à un projet de ratification. Tout a déjà été décidé : un membre du cabinet de la ministre a balayé mes propositions d'amendement au motif que l'Assemblée nationale avait tranché. J'ignorais que nous étions dans un régime monocaméral ! (MMax Brisson s'indigne.) Les apports du Sénat sur la loi LCAP ou sur Notre-Dame ont pourtant été salués...

Nos amendements apportent des garanties pour l'avenir, car l'enjeu du texte dépasse son objet. Certains attendaient un cadre général, d'autres craignent un effet d'entraînement, car les revendications se font toujours plus nombreuses.

Nous restons profondément attachés au principe d'inaliénabilité, colonne vertébrale de nos musées. Il a été souligné que la France était isolée au sein de l'Unesco sur la question, nous avons un retard à combler le retard. La position défensive de la France lui nuit : elle a trop à perdre à esquiver plus longtemps un débat que le Sénat a lancé depuis vingt ans déjà. C'est le concept même du musée universel qui est désormais menacé.

Le conseil national de réflexion que nous souhaitons créer n'est pas incompatible avec un traitement au cas par cas, mais garantirait qu'un temps soit consacré à l'examen scientifique des demandes, avant toute intervention politique, pour éviter que l'activisme ne prenne le pas sur toute autre considération.

Il protégerait les autorités politiques des pressions, mettrait un frein aux demandes tous azimuts en mettant en balance l'intérêt public attaché à la conservation avec l'intérêt scientifique de la restitution.

Il s'agit aussi de lancer la réflexion sur la gestion éthique des collections et de clarifier la position française en matière de restitution, brouillée par le rapport Sarr-Savoy qu'invoquent les États étrangers.

La commission scientifique nationale des collections aurait pu lancer cette réflexion il y a dix ans si la volonté unanime du législateur avait été fidèlement suivie.

Le Sénat attache beaucoup d'importance à la circulation et à la restitution des oeuvres mais il est soucieux de la rigueur de la démarche. Avec ce conseil national, la réflexion pourra être élargie, notamment vers d'autres continents que l'Afrique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements) « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? », demande Lamartine. Qu'est-ce qui arrache un objet à sa banalité pour en faire une oeuvre d'art ou un bien culturel ? Ce peut être sa dimension esthétique, son origine, son histoire.

L'art africain a contribué à l'élaboration de notre propre culture, qui a en retour repéré et parfois sauvé de la destruction ou du trafic des biens africains, leur conférant ainsi une dimension culturelle.

Le retour de ces oeuvres à la forte charge symbolique participe du rayonnement universel de la France. Le projet de loi concrétise l'engagement pris par le Président de la République à Ouagadougou en novembre 2017, dans le cadre d'une refondation de nos relations avec l'Afrique dont la coopération culturelle est un pilier majeur.

Pour mettre le droit français en conformité avec une politique de restitution réfléchie, il autorise une dérogation limitée au principe d'inaliénabilité des collections publiques.

Il convient d'y adjoindre un conseil national de réflexion sur le sujet. Cette démarche prolonge la restitution de la dépouille de la Vénus hottentote à l'Afrique du Sud en 2003 et des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2010.

Il n'est pas question de vider nos collections ; les restitutions restent limitées, répondent à des demandes précises et sont entourées de garanties de bonne conservation.

Ces retours sont porteurs d'un message fort : tourner la page de la Françafrique et construire un nouvel imaginaire, loin des traumatismes du passé. Prenons conscience des enjeux mémoriels, de la demande légitime des peuples africains de reconnexion avec leur patrimoine.

Ces oeuvres ont une forte charge symbolique, spirituelle et historique. Les 26 oeuvres du trésor royal restituées au Bénin prendront place dans le complexe muséal d'Abomey financé par l'Agence française de développement (AFD). Le sabre d'El-Hadj Omar Tall est déjà une des oeuvres majeures du musée des civilisations noires de Dakar.

Il s'agit d'un acte de confiance à destination de la jeunesse africaine. La France sera au rendez-vous pour aider le continent à se réapproprier son histoire et mettre fin à une forme de captation patrimoniale. Les retours de biens culturels s'insèrent dans une coopération patrimoniale et muséale étendue.

Il faudra trouver un équilibre entre préservation du patrimoine des musées français et circulation renforcée des oeuvres. Les biens culturels n'ont pas de frontière car ils participent du patrimoine commun de l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le 9 Thermidor de l'an VI, sur le champ de Mars, s'ébranle le long convoi des oeuvres spoliées par Napoléon lors de la campagne d'Italie, dont les quatre chevaux de cuivre de la basilique Saint-Marc, fondus dans une île du Dodécanèse, installés à Constantinople, à Venise en 1204, puis au sommet de l'arc de triomphe du Carrousel, rendus à Venise par l'Autriche à la chute de l'Empire ; et 500 tableaux de maîtres dont la moitié sera restituée, l'autre rejoindra les collections du Louvre. Ainsi va la vie des oeuvres qui passent de main en main au gré de la fortune de la guerre et des alliances.

Les circonstances particulières de la conquête de l'Afrique de l'ouest font de la présente restitution une péripétie supplémentaire de notre relation complexe avec notre histoire coloniale. Le choix de ces biens culturels, les conditions de leur transport et de leur présentation posent de nombreuses questions. Il n'a pas été tenu compte de l'expérience de la restitution des têtes maories ni des initiatives de la commission de la culture du Sénat.

Le 25 septembre 2007, à cette tribune, Mme Rama Yade, alors secrétaire d'État...

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas une référence.

M. Pierre Ouzoulias.  - ... déclarait que le Louvre Abu Dhabi était « un formidable vecteur de l'universalité de la culture » et un défi à relever au nom de la diversité culturelle et du rapprochement des civilisations. Les musées français avaient apporté leur expertise et prêté 300 oeuvres. La réussite de cette institution doit aussi beaucoup à la participation des Émirats arabes unis, d'un milliard d'euros. L'humanisme n'a pas de prix !

Le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, le Président Macron rappelait que, pour lui, « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ». (M. François Bonhomme s'exclame.) Il appelait à la construction d'un projet commun, dont la culture devait constituer un chapitre essentiel, souhaitant que les restitutions s'organisassent rapidement dans ce cadre.

Ce partenariat aurait dû prendre la forme d'un traité international ; le Conseil d'État a considéré que, dans le cadre de l'article 53 de la Constitution, c'était le vecteur le plus approprié pour organiser le transfert de propriété. Un traité aurait pu préciser les engagements de la France au titre de l'aide au développement et organiser le prêt d'oeuvres symboliques du patrimoine français aux musées africains.

Défendre l'universalité de l'art exige de faciliter la circulation des oeuvres. Aimé Césaire disait : « Ma conception de l'universel est celle d'un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers ». Je regrette vivement que les présentes restitutions n'aient pas porté cette double ambition. (Applaudissements sur de multiples travées.)

Mme Claudine Lepage .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Sénatrice des Français établis hors de France, j'ai souvent pu me rendre en Afrique et évoquer la question de la restitution des biens culturels, notamment avec Marie-Cécile Zinsou.

Ce projet de loi trouve son origine dans la volonté des États africains de retrouver sur leur sol les biens culturels dont ils ont été dépossédés. Cette demande ancienne, appuyée par la société civile, aurait dû être entendue plus tôt.

Le texte ne concerne que des biens culturels issus de prises de guerre : 26 objets béninois saisis en 1892 par le général Dodds et le sabre de El-Hadj Omar Tall, confisqué par le général Archinard après la prise de Bandiagara en 1893.

L'Afrique est un continent jeune : l'âge médian est de 19 ans. Ces restitutions permettraient à cette jeunesse de retisser le lien avec son histoire et de renforcer son identité. « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », disait Aimé Césaire.

N'oublions pas nos propres enjeux de mémoire. En Afrique, il est souvent question de fierté, de dignité retrouvée. Les retours sous forme de dépôts ou de prêts entre musées ne suffisent pas toujours. En 2006, lors d'une exposition sur le roi Béhanzin à Cotonou qui avait attiré 275 000 visiteurs, nombre de Béninois n'ont pas compris pourquoi les pièces devaient revenir en France...

La restitution de ces objets offre l'occasion de refondre notre partenariat avec l'Afrique. Les inquiétudes sur la présentation et la conservation de ces biens seront levées par le renforcement de la coopération culturelle et muséale, par la formation de conservateurs ou les échanges d'experts.

Il convient aussi de mener un travail de pédagogie auprès de nos compatriotes, sans quoi ces restitutions risquent d'être mal comprises.

Ce projet de loi est un geste fort et symbolique mais de portée limitée sur le plan législatif, qui pose la question de l'après : d'autres États africains ne manqueront pas de réclamer des biens culturels appartenant à leur histoire. Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, soulignait le questionnement, prégnant dans notre siècle, sur la provenance des oeuvres.

Faudra-t-il chaque fois passer par une dérogation au droit commun ? Ne peut-on plutôt indiquer, dans une loi-cadre, que seul des objets acquis par la violence et la contrainte peuvent être restitués ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une pensée amicale pour notre ancien collègue Alain Schmitz qui s'était impliqué sur ces questions. Je salue aussi notre rapporteure, Catherine Morin-Desailly, qui appelle depuis longtemps à fixer une méthode, là où prévaut une approche trop strictement politique. Dommage qu'elle n'ait pas été entendue.

Premier principe : se départir d'une approche morale, variable avec le temps et les peuples. On peut saluer le retour du trésor d'Abomey, mais aussi y voir les symboles de l'oppression de l'ethnie Fon sur leurs esclaves Yorubas après le pillage de Kétou en 1886. Les Yorubas se réjouissent-ils de les voir réinstallés dans le palais de leurs anciens maîtres ? « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »

Deuxième principe : consulter davantage archéologues et historiens, ce qui aurait évité de conférer au sabre d'El-Hadj Omar Tall une aura indue, sa légende ayant été largement forgée par le général Archinard pour glorifier son expédition.

Troisième principe : trouver le juste équilibre entre ce qui est moral aujourd'hui, ce qui était légal hier, et la nécessaire contextualisation historique. La pratique du butin de guerre n'est illégale que depuis la convention de La Haye de 1899. L'empire toucouleur s'y livrait tout autant que les autres.

Oui à la circulation des oeuvres et à l'accessibilité du patrimoine sur sa terre d'origine, mais le processus de restitution ne saurait s'apparenter au fait du prince. Écoutons les conservateurs, pour éviter de porter des atteintes fondamentales aux principes qui sont au coeur de notre politique muséale. En dépit des inexactitudes du rapport Sarr-Savoy, celui-ci sert désormais de base aux revendications de nos interlocuteurs. La décision politique doit être éclairée par des avis étayés, et non être un outil de la diplomatie du soft power ou un gage donné à telle approche mémorielle, voire communautaire.

On ne saurait passer par-dessus bord une tradition multiséculaire dont les principes ont été fixés sous Charles IX par le chancelier Michel de L'Hospital.

Difficile d'élaborer une loi-cadre reposant sur des critères ni trop larges, ni trop rigides. Mais il faut trouver le moyen de concilier inaliénabilité des collections publiques, vision universaliste de nos musées et dialogue des cultures, car nous allons être confrontés à des demandes de plus en plus nombreuses.

Votre projet de loi n'esquisse aucune doctrine en matière de transfert des biens et de leur monstration au public. (Mme la ministre le conteste.)

On se contente d'exécuter une décision présidentielle, non sans provoquer un profond malaise. Malaise sur la démarche plus militante que scientifique de M. Sarr et Mme Savoy, qui n'ont pas jugé utile d'entendre la présidente de la commission de la culture du Sénat. Malaise sur le fait que le sabre ait déjà été remis au Sénégal en grande pompe. Malaise encore avec la mise sous l'éteignoir de la commission scientifique nationale des collections. Malaise enfin quand le Gouvernement nous dit que le caractère inaliénable des collections est préservé. Cette loi d'exception en appellera d'autres !

La loi n'est pas encore votée que cinq pays africains frappent à la porte et demandent le retour de 13 000 objets.

M. François Bonhomme.  - Ça commence !

M. Max Brisson.  - Quid demain des demandes venues d'Asie, d'Amérique latine, d'Océanie ?

M. François Bonhomme.  - Et de Grèce !

M. Max Brisson.  - Le chef de l'État n'a-t-il pas déclaré, à Ouagadougou : « le meilleur hommage que je puisse rendre à ces oeuvres est de tout faire pour qu'elles reviennent » ?

Ce projet de loi sera suivi d'autres, attaquant la cohérence de nos collections et la vision universaliste fondée sur la valeur du génie humain, d'où qu'il vienne.

Le caractère inaliénable de nos collections doit être réaffirmé sauf à mettre en marche un engrenage dont on ne sait où il s'arrêtera. Après tout, le retrait de la collection Dodds, général africain de l'armée française, n'est-il pas le début d'une damnatio memoriae ?

Par l'utilisation du terme de restitution, ne rendons pas la France coupable de détenir ces oeuvres alors que ce sont des artistes français, épris d'art moderne, sensibles au génie humain, qui ont, il y a plus d'un siècle, érigé en oeuvres d'art des produits usuels ou cultuels et en ont fait des pièces de musée, en Europe, mais aussi en Afrique.

Je vous invite à adopter l'amendement que j'ai déposé avec Bruno Retailleau pour modifier l'intitulé. Le terme de restitution laisse entendre que la France aurait une faute à expier. J'aurais aimé que nous restâmes fidèles à la philosophie du président Chirac, artisan inlassable d'une politique culturelle moins ethnocentrée, fondateur du musée du Quai Branly dont la raison d'être est le dialogue des cultures. S'il a offert le sceau du Dey d'Alger au peuple algérien, c'est en le faisant acquérir par la France lors d'une vente aux enchères, et non en le faisant disparaître de nos collections nationales. Il est dommage que la France ne mène pas, dans son sillage, une vraie politique d'échange et de circulation des oeuvres ainsi qu'une solide réflexion sur le sujet.

Le conseil scientifique créé par le texte de la commission est indispensable. Nous voterons ce projet de loi amendé tout en restant extrêmement vigilant. Restons fidèles à votre prestigieux prédécesseur, André Malraux : « l'oeuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient oeuvre d'art parce qu'elle lui échappe ». (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Pierre Decool .  - Le Président de la République a annoncé à l'université de Ouagadougou en 2017 vouloir restituer les oeuvres d'art africain des collections publiques françaises aux pays africains. Le rapport Sarr-Savoy se veut un plaidoyer en ce sens. Il prévoit la restitution d'oeuvres acquises sans consentement de la population.

La France compte 90 000 oeuvres d'art africaines dans ses collections, dont les deux tiers au musée du Quai Branly. Le trésor du Béhanzin est réclamé depuis 2016 par le Bénin et sa restitution a été annoncée le 23 novembre 2018 par le Président de la République. De même, le 17 novembre 2019, Édouard Philippe s'est engagé à restituer le sabre d'El-Hadj Omar Tall au Sénégal, fondateur de l'empire toucouleur et guide spirituel de la plus grande confrérie soufie du pays. Ce sabre avait été confié par le musée des armées au musée de Dakar pour cinq ans.

De nombreux conservateurs dénoncent la partialité du rapport Sarr-Savoy. Les risques liés à de mauvaises conditions de conservation, mais aussi de délabrement, de vol sont réels. Le Bénin n'aurait pas les moyens d'accueillir ses oeuvres, selon l'artiste béninois Romuald Hazoumè, qui dénonçait en 2016 une « culture béninoise de l'abandon ».

Le financement d'une autre structure, le musée de l'épopée des amazones et des rois du Dahomey par un prêt de 12 millions d'euros de l'AFD devrait remédier à ce problème.

Il apparaît légitime de favoriser l'accès au patrimoine culturel pour la jeunesse africaine. Nous soutiendrons ce projet de loi. Des coopérations sont à imaginer. Les musées du monde entier témoignent de l'universalité de l'art, dont le propre est de dépasser les langues, les civilisations, les frontières et de rapprocher les peuples.

M. Thomas Dossus .  - Ce projet de loi est fondé sur un principe de justice : rendre à des pays, le Bénin et le Sénégal, des biens culturels qui font pleinement partie de leur histoire.

Le trésor du roi Béhanzin est important pour le Bénin : c'est le vestige d'une ère d'indépendance et de prospérité. Le sabre d'Omar Tall dit El-Hadj, chef spirituel soufi, érudit musulman, fondateur de l'empire toucouleur, à cheval sur le Sénégal, la Guinée et le Mali dans les années 1850, représente lui aussi l'un des derniers vestiges du pouvoir d'avant l'établissement de l'Afrique occidentale française.

Ce projet de loi fait écho à l'engagement pris par le Président de la République le 28 novembre 2017 devant les étudiants de Ouagadougou.

Le GEST est favorable à ce projet de loi animé par l'humanisme qui doit inspirer notre coopération culturelle ; il faut cependant sortir de la législation au cas par cas, certes liée au principe d'inaliénabilité, auquel nous sommes attachés, mais qui empêche la réflexion globale. C'est pourquoi nous avions déposé un amendement confiant celle-ci au conseil national créé par notre commission, afin d'établir un cadre législatif durable, pour sortir de cette politique d'exception permanente. Même s'il a été déclaré irrecevable, nous ne pouvons nous affranchir d'une telle réflexion.

En effet, plusieurs pays ont formulé des demandes, portant parfois sur des milliers d'objets.

Il ne s'agit pas de repentance mais simplement de justice. Nous ne pouvons faire l'économie d'un cadre pérenne pour sortir de ces lois d'exception qui contournent de manière hypocrite le principe d'inaliénabilité.

En attendant, le GEST votera ce texte qui va dans le bon sens, en appelant à une évolution, pour plus d'efficacité et de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST)

M. Abdallah Hassani .  - Ce projet de loi prévoit le retour au Bénin, leur terre d'origine, de 26 objets du trésor du roi Béhanzin conservés au Quai Branly et au Sénégal du sabre et de son fourreau, attribués à El-Hadj Omar Tall, chef toucouleur. Faisant suite à une demande expresse de ces deux États, il ne met pas à mal le principe d'inaliénabilité.

Ces biens sont une goutte d'eau dans l'océan de notre patrimoine. Leur cession témoigne d'une exigence de vérité, d'un souhait commun d'apaiser des conflits de mémoire, d'une confiance en un partenariat plus équilibré. Il faut s'en réjouir.

Plus de la moitié de la population africaine a moins de 25 ans. À Mayotte, la croissance de la démographie est sept fois plus importante que la moyenne nationale et la majorité de la population a moins de 18 ans.

Peu de jeunes Sénégalais ou Béninois ont les moyens de voyager, de venir en France pour voir ces objets. Les restitutions - si l'on maintient ce mot - ou retours, ou transferts, permettront une réappropriation par les populations africaines qui a une forte portée symbolique.

Amenés en France comme objets exotiques, ces biens avaient une fonction spirituelle ; ils étaient témoins d'un passé prospère. Ils participent à un sentiment de fierté, de confiance en soi de populations trop souvent dépouillées de leur histoire.

Le Bénin et le Sénégal se sont engagés à apporter des garanties de leur bonne conservation, dans le cadre d'une coopération repensée. Ces biens devront être exposés à tous. Ils ne seront certes plus en notre possession mais conserveront leur portée universelle car issus du génie humain.

La création d'un conseil proposée par notre commission n'est pas opportune car ce projet de loi est d'exception.

Les demandes de restitution se feront peut-être plus nombreuses mais ce sera à la France d'étudier les demandes au cas par cas en fonction des terres de conflits. Les spécialistes éclaireront les choix du Gouvernement et le législateur décidera, au cas par cas.

Le groupe RDPI votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Mme Sonia de La Provôté .  - Ce projet de loi prévoit la restitution de 27 oeuvres au Bénin et au Sénégal : 26 du trésor du Béhanzin, roi d'Abomey, et le sabre d'El-Hadj Omar Tall rendu au Sénégal, où il est exposé au musée des civilisations noires de Dakar dans le cadre d'une convention de dépôt.

Ce texte est une nouvelle étape au sein d'une réflexion de plus grande ampleur. Les oeuvres culturelles appartiennent au patrimoine de l'humanité.

À la remise du rapport Sarr-Savoy en 2018, le Président de la République a annoncé le retour des oeuvres, pour l'éducation des jeunes béninois et sénégalais mais aussi pour renforcer la coopération avec la France. Le groupe UC est favorable à ces objectifs, néanmoins cela ne doit pas occulter nos réserves de forme et de méthode.

Ces oeuvres ne sont pas des biens volés mais des prises de guerre. Aussi le principe de l'inaliénabilité s'applique. C'est pourquoi le législateur doit poser une exception. Évitons le « fait du prince » même si les raisons sont entendables. Le Parlement ne devrait pas avoir à l'entériner.

Au sujet de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand avait souhaité, il y a plus de dix ans, un débat de fond pour établir « une doctrine définie en parfaite concertation »...

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Très bien !

Mme Sonia de La Provôté.  - Malheureusement, nul gouvernement ne s'en est saisi. Pire, la loi ASAP a supprimé la commission scientifique nationale des collections, créée en 2010.

La France se trouve désormais dans une démarche défensive, soumise à la critique. Nous sommes contraints d'avancer au cas par cas. Les lois d'exception itératives ne sont pas satisfaisantes. C'est pourquoi la rapporteure a prévu la création d'un conseil scientifique qui poussera le monde muséal à approfondir sa réflexion, loin de toute versatilité, et pour contenir le risque de décisions conjoncturelles.

Grâce à ce conseil, une doctrine doit être établie pour contenir le risque de « fait du prince », en fondant des décisions objectives sur une argumentation posée et construite.

Le Conseil conciliera la portée universaliste des musées et les demandes légitimes des États africains.

Ces oeuvres, à la charge morale et symbolique forte, sont le témoin de la complexité de la construction de notre monde et de la place majeure qu'y tient la culture. Le groupe UC votera ce projet de loi tout en se montrant vigilant sur la construction d'une doctrine. Il y va autant de la qualité de nos relations avec un continent d'avenir que de notre éthique artistique, culturelle et scientifique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Roselyne Bachelot, ministre .  - Je félicite tous les intervenants pour la qualité de leur travail, en particulier celui de la rapporteure, mobilisée depuis longtemps sur ce sujet.

Les travaux scientifiques sur ces sujets ont été approfondis et continuent de l'être : journée d'études, séminaires de recherches, renforcement des équipes du Quai Branly, avec des bourses de recherches et un poste dédiés.

Je partage l'avis de certains sur le parti pris du rapport Sarr-Savoy qui peut néanmoins être considéré comme l'un des éléments d'une réflexion, qui n'a pas suffisamment associé les spécialistes des musées et les historiens, en arguant systématiquement que ces oeuvres ou objets seraient volés ou indûment acquis, alors que la réalité des choses est bien plus complexe et mérite d'être jugée au cas par cas.

Il n'y avait nul mépris, ni arrogance, dans l'avis donné par l'un des membres de mon cabinet, à Mme la rapporteure, qui soulignait simplement que l'Assemblée nationale s'était prononcée à l'unanimité ; le débat, bien sûr, se poursuit et continuera en CMP.

Chacun voit ce qu'il veut dans le Conseil national de réflexion proposé par la rapporteure : certains un moyen de limiter les restitutions, d'autres un outil méthodologique pour les faciliter. On voit bien la différence conceptuelle.

Nous manquerions d'une doctrine... Au contraire, la doctrine est claire : les oeuvres détenues par les musées français sont inaliénables et aucune procédure générale ne saurait en organiser la restitution. Battre en brèche cette doctrine serait très dangereux. (MM. Bruno Retailleau et Max Brisson s'exclament.)

M. Fialaire a placé utilement cette démarche dans une perspective d'avenir et de développement, extrêmement féconde. Je ne partage pas les craintes exprimées sur les capacités des peuples africains à assurer la conservation de ces oeuvres. Bien sûr, l'expertise muséale intense des chercheurs et directeurs d'institutions françaises est là, dans un esprit de coopération, mais il faut se garder de tout mépris ou de toute arrogance...

M. François Bonhomme.  - Certes !

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Chacun connaît les grandes qualités scientifiques de Pierre Ouzoulias, archéologue spécialiste de la Gaule romaine. Oui, il faut inscrire la restitution de ces oeuvres dans une perspective plus large : pourquoi pas un retour de ces oeuvres pour une exposition temporaire au Quai Branly, mais aussi une exposition Matisse au Bénin, une exposition Picasso à Dakar ? Une démarche à sens unique serait condamnable.

Madame Lepage, oui, la jeunesse africaine a besoin, ô combien, de fierté et de dignité. Elle a besoin de se reconnaître dans une histoire, qui a été souvent méprisée. Le professeur Joseph Ki-Zerbo déplorait une vision anhistorique de l'Afrique.

À quel moment paie-t-on une oeuvre à sa juste valeur, quand il y a une telle distorsion hiérarchique ? La notion de violence n'est pas pertinente.

Monsieur Brisson, Dieu sait si j'aime m'y référer, mais en l'occurrence, il n'est pas très heureux d'évoquer la mémoire d'André Malraux à propos de restitution d'objets d'art : le pillage du temple d'Angkor et autres sanctuaires cambodgiens n'a pas beaucoup contribué à sa gloire...

M. Max Brisson.  - Il s'en est expliqué par la suite.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Thomas Dossus déplore une loi d'exception. Mais je me refuse à toute procédure qui nous ligoterait ! C'est le but même de ce texte. Un tel dispositif législatif doit être d'exception.

Merci à M. Hassani pour son propos empreint d'une grande humanité.

Madame de La Provôté, je vous le redis, nous avons une doctrine : ce sont des sujets extrêmement délicats, qui ne peuvent qu'être traités au cas par cas, à la lumière d'un travail scientifique, historique, minutieux. La France abordera ses coopérations dans un esprit de générosité et d'ouverture. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

L'amendement n°3 n'est pas défendu.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

L'amendement n°4 n'est pas défendu.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

L'amendement n°5 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Cet article crée un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'oeuvres d'art extra-occidentales.

Nous sommes d'accord sur la nécessité d'un travail scientifique préalable à toute décision de restitution. Cela a été fait dans le cas qui nous occupe. L'expertise scientifique est parfaitement convoquée. Cette commission représenterait un danger majeur. Elle vous mettra inévitablement dans une position dogmatique allant à l'encontre du principe d'inaliénabilité, sur lequel vous avez presque tous exprimé votre accord.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Cet amendement a été introduit par un vote unanime de notre commission. C'est un conseil, pas une commission ou comité, ni une instance formalisée, qui émettrait des avis prescriptifs.

Je n'ai pas eu de nouvelles de la démarche scientifique mise en oeuvre par votre prédécesseur et vous-même. Je rappelle que beaucoup de musées ont une double tutelle. J'ai donc cru comprendre qu'un travail interministériel se dessinait.

Mais nous souhaitons quelque chose de pérenne ! Je ne sais que trop que sans impulsion ni moyens, les volontés s'étiolent. Nous constatons que le ministère n'avance pas sur la question des biens spoliés.

Il faut un conseil pour éclairer, sur la base d'une variété d'expertises et d'approches, les demandes de restitution. Je vous renvoie à l'excellent travail de Michel Van Praët sur la question des têtes maories.

Cet outil vise simplement à conduire un travail de fond en continu. Il y a eu beaucoup de résistances à ce vaste mouvement de restitutions... Regardons les choses en face, en procédant sereinement, au cas par cas.

Nous avons les mêmes objectifs, mais notre méthode est différente. François Mitterrand avait rendu, en échange de la signature d'un contrat pour Alsthom, un manuscrit coréen de la Bibliothèque nationale de France (BnF), à la Corée du Sud, après une visite d'État dans ce pays, au prix d'un véritable tollé. Évitons le fait du prince, dont on taxa ensuite Nicolas Sarkozy, puis à présent Emmanuel Macron ! Le Conseil national de réflexion doit apporter un éclairage utile et pérenne. Avis défavorable.

M. Pierre Ouzoulias.  - Il ne s'agit pas de créer un conseil, mais de le restituer... (Sourires) puisqu'il existait et a été supprimé. Ce conseil est important car il crée les conditions d'un débat contradictoire, transparent et public, et assure l'information du Parlement.

On aurait pu palabrer sur le choix du sabre. Il n'a jamais appartenu à M. El-Hadj Omar Tall. Il a été donné par le général Faidherbe à son fils avant d'être repris par un autre général. Sa lame est française, modèle Montmorency, fabriquée en 1820 en Haute-Alsace. Est-ce vraiment ce qu'aurait choisi le Sénégal ? Rien n'est moins sûr...

Le demandeur n'est pas l'État du Sénégal, mais la famille d'Omar Tall. Le principe, réclamé par le rapport Sarr-Savoy, d'un cadre d'État à État n'a pas été respecté en l'occurrence. Le Sénégal aurait sans doute préféré les 518 ouvrages de la bibliothèque de la confrérie soufie Tijaniyya conservés à la BnF.

M. Max Brisson.  - Deux constances se font face. Celle du Sénat, qui a déploré que la commission des collections muséales n'ait jamais eu les moyens de fonctionner, et celles du ministère, quel que soit le titulaire du poste, qui ne souhaite pas qu'une telle commission fonctionne. Nous sommes là au coeur de nos divergences. Comment mobiliser les expertises sans un cadre, sans un minimum de rigueur ?

Faute d'un cadre partagé, vous n'éviterez pas le fait du prince - tentation constante, a rappelé Catherine Morin-Desailly. Michel de l'Hospital nous observe... Souvenons-nous de l'édit de Moulins !

M. Bruno Retailleau.  - Ce conseil est le seul moyen que nous ayons trouvé d'entraver le fait du prince. Ce texte est une loi de ratification, ou de régularisation de ce qui a été promis, et qui est partiellement réalisé.

Pourquoi vouloir l'inaliénabilité ? Parce que c'est le patrimoine de la Nation !

La loi d'exception ouvre un champ infini de précédents. Où va-t-on s'arrêter ? L'an dernier, le Parlement belge a voté une résolution sur les 200 oeuvres de Rubens, prises de guerre de la période révolutionnaire et napoléonienne ! Y a-t-il des prises acceptables et d'autres non ? Il faut une procédure pour garantir l'inaliénabilité. L'amendement de Catherine Morin-Desailly a recueilli l'unanimité de la commission.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Les personnalités dans le conseil, dit Mme Morin-Desailly, nous éclaireraient scientifiquement sur la provenance et la qualité des oeuvres, d'où sa composition, en grande majorité de personnalités qualifiées. Quant à vous, monsieur Retailleau, vous voulez un conseil pour créer une procédure qui empêcherait le fait du prince...

M. Bruno Retailleau.  - Qui l'encadre !

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Donc, qui l'empêche. Ces deux visions sont parfaitement incompatibles !

M. Max Brisson.  - Que proposez-vous ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - La procédure est là : le caractère inaliénable des collections françaises est rappelé. La procédure dérogatoire - je préfère ce terme à celui d'exception - est parfaitement décrite.

Monsieur Ouzoulias, la discussion scientifique sur la provenance du sabre a eu lieu, de même que sur les circonstances du pillage du palais d'Abomey, auquel le roi Béhanzin avait mis le feu. Cette affaire présente, bien sûr, un aspect diplomatique et de coopération. Il conviendrait que la composition de ce conseil scientifique en tienne compte !

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture.  - Je ne parlerai pas de fait du prince, ce qui peut être blessant, mais de deux logiques qui peuvent se confronter au sein même de l'État : la logique culturelle et patrimoniale d'une part et la logique diplomatique d'autre part.

L'intérêt de ce conseil est de participer à l'élaboration d'une réflexion interministérielle où, aucune des logiques n'étant ignorée, elles peuvent se jauger, s'équilibrer.

Madame la ministre, vous faites remarquer que nous n'avons pas intégré de représentant du ministère des Affaires étrangères au Conseil national de réflexion. Si ce n'est que cela, nous pouvons y remédier.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

I. - Alinéas 3, 4 et 8

Remplacer les mots :

d'oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

de biens culturels extra-européens

II. - Alinéa 6, première phrase

Remplacer les mots :

oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

biens culturels extra-européens

M. Pierre Ouzoulias.  - Cet amendement très simple introduit la mention de « biens culturels » reconnue dans le droit patrimonial et remplace « extra-occidentales » par « extra-européens » car la Nouvelle-Zélande peut être considérée comme un pays occidental.

M. le président.  - Amendement identique n°8, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

M. Thomas Dossus.  - Défendu.

M. le président.  - Sous-amendement n°10 à l'amendement n°8 de M. Dossus, présenté par Mme Morin-Desailly, au nom de la commission.

I.  -  Après l'alinéa 5

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Alinéa 5, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et ne portent pas sur des restes humains

II.  -  Compléter cet amendement par deux alinéas ainsi rédigés :

et compléter cette phrase par les mots :

, hors restes humains

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - Ces amendements vont dans le sens des discussions constructives que nous avons eues. La commission est favorable aux amendements nos2 et 8, de préférence à l'amendement n°6 qui suit. Le sous-amendement exclut expressément du champ de compétences de cette nouvelle instance les restes humains - la réflexion a déjà eu lieu.

Avis favorable aux amendements nos2 et 8 sous réserve de l'adoption de mon sous-amendement.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par Mme Lepage et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéas 3, 4 et 8

Remplacer les mots :

d'oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

de biens culturels originaires d'un État non membre de l'Union européenne

II.  -  Alinéa 6, première phrase

Remplacer les mots :

oeuvres d'art extra-occidentales

par les mots : 

biens culturels originaires d'un État non membre de l'Union européenne

Mme Claudine Lepage.  - J'ai bien compris que la dénomination était un peu alourdie par mon amendement. Je me rallierai aux deux amendements précédents.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - « Biens culturels » revêt une acception plus large, actée dans le code du patrimoine. Cela ne pose pas de problème.

En revanche, selon les spécialistes des musées, la formule « extra-occidentale » est préférable à « extra-européen ». Sagesse.

Le sous-amendement n°10 est adopté.

Les amendements identiques nos2 et 8, ainsi sous-amendés, sont adoptés.

L'amendement n°6 n'a plus d'objet.

L'article 3, modifié, est adopté.

INTITULÉ DU PROJET DE LOI

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par MM. Brisson, Retailleau, Bonne et Cuypers, Mmes Bourrat, Berthet, Drexler, Bonfanti-Dossat et M. Mercier, M. Bazin, Mmes Goy-Chavent, Micouleau, Dumas et Deromedi, M. Lefèvre, Mme Chain-Larché, MM. Savin, J.M. Boyer, Mouiller, Duplomb, Vogel et Rapin, Mme de Cidrac, M. Courtial, Mmes Gruny et Eustache-Brinio, MM. Genet, Cardoux et Hugonet, Mme Deroche, M. Calvet, Mme Imbert, M. Piednoir, Mmes Di Folco et L. Darcos, MM. Regnard et Savary, Mme Joseph, M. Karoutchi, Mme Belrhiti, MM. de Legge et Bascher, Mme Lavarde, MM. Sido, Longuet, J.B. Blanc, Milon, Anglars, Belin et Sautarel, Mmes Schalck et Ventalon, MM. C. Vial et Mandelli, Mme Lherbier, MM. B. Fournier et Chevrollier, Mme Lopez et MM. Bonhomme, Laménie, Segouin, Gremillet, Bouchet et Husson.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Projet de loi d'exception portant sur le transfert de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

M. Max Brisson.  - La Haute Assemblée doit rappeler avec force le caractère inaliénable des collections de nos musées. D'où la précision, dans l'intitulé, du caractère exceptionnel du texte.

Le terme de « restitution » pose problème. En latin, restituere signifie « remettre à sa place » « replacer » ou « rendre ». En quittant le Gaffiot pour le Larousse (Sourires) le verbe signifie « rendre quelque chose que l'on possède indûment », ce qui implique une faute à réparer. Ne laissons pas entendre que la France porte la culpabilité d'une faute.

Je sais que la rapporteure a quelques rectifications à proposer, je les accepte. (M. Bruno Retailleau applaudit.)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure.  - En l'absence de cadre pour les restitutions, lesquelles sont une exception en raison de l'inaliénabilité des collections, la démarche est de toute façon d'exception. C'est pourquoi il faut un projet de loi !

Les articles premier et 2 prévoient déjà une sortie dérogatoire des biens considérés. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rappeler le caractère exceptionnel dans ce titre.

Je comprends, malgré l'usage dans les textes de 2002 et 2010 du terme « restitution », le problème qu'il pose. Je voyais dans ce projet de loi une forme de continuité, il est vrai cependant qu'il ne s'agit plus de restes humains.

Le terme « transfert » est un peu technocratique et pas très signifiant pour les populations béninoise et sénégalaise. C'est pourquoi celui de « retour » pourrait mettre tout le monde d'accord.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Les questions de terminologie sont toujours très intéressantes ; on pourrait en débattre à l'infini, cela a un certain charme, surtout nuitamment... (Rires)

Il s'agit d'être clair sur l'objectif du texte sans que celui-ci constitue un acte de repentance, je l'ai souligné dans la discussion générale. Avis défavorable.

M. Max Brisson.  - Je remercie la rapporteure d'avoir compris le sens de mon amendement et la charge morale que porte le terme de restitution.

Il ne s'agit pas d'aborder le passé avec une vision actuelle, mémorielle et moralisatrice.

Vous me demandez de retirer le qualificatif d'exception. Je l'accepte. Le terme « retour » me paraît acceptable pour remplacer « transfert » que vous avez vous-même introduit dans les articles. Je rectifie mon amendement en ce sens.

M. le président.  - Ce sera donc l'amendement n°1 rectifié quater.

M. Pierre Ouzoulias.  - Malheureusement, vous n'avez pas lu l'entrée du Gaffiot jusqu'au bout ! « Restitution » est en effet utilisé par Cicéron pour relater comment le Sénat de la République romaine avait replacé la statue de Minerve, emportée par la tempête, à son emplacement d'origine. Une statue en droit latin n'était pas une marchandise...

L'alors colonel Dodds, en prenant possession du trésor de Béhanzin, écrivait le 18 novembre 1802 : « Rien ne sera changé dans les coutumes et les institutions des pays, dont les moeurs seront respectées. » Il y a manifestement eu manquement à la parole donnée. C'est pourquoi je préfère « restituer ».

Mme Claudine Lepage.  - Je remercie Max Brisson d'avoir rectifié, son amendement, sans quoi nous ne l'aurions pas voté. C'est une loi dérogatoire, non une loi d'exception.

Il ne s'agit pas de regarder l'histoire d'hier avec les yeux d'aujourd'hui mais de faire la loi aujourd'hui, pour demain.

Le terme de retour met tout le monde d'accord.

M. François Bonhomme.  - « Restitution » sous-entend « spoliation ». La ministre a pris des précautions infinies en discussion générale pour expliquer qu'elle ne s'inscrivait pas dans la logique de repentance. Clarifions cet élément, neutralisons cette idéologie.

L'amendement n°1 rectifié quater est adopté.

Explication de vote

M. Pierre Ouzoulias .  - Quand les frontières se ferment il faut que les oeuvres continuent de voyager, et pas seulement chez ceux qui ont les moyens de les accueillir.

Il aurait été utile de dépasser le débat étroitement juridique du transfert de propriété pour considérer la validité morale d'un acte de propriété sur des oeuvres. Que valent les droits du dernier propriétaire ? Pour reprendre l'exemple des chevaux de Saint-Marc, ils témoignent d'abord du génie grec, comme de la capacité de la renaissance constantinienne à fonder un nouvel empire sur les bases d'une Antiquité finissante ; et, finalement, du lien jeté entre l'Orient et l'Occident par la République de Venise...

Les oeuvres dont nous discutons aujourd'hui participent de l'expression du génie humain et la France n'en est que l'ultime dépositaire. Cela lui confère des droits mais aussi des devoirs envers ceux à qui elles ont été arrachées, et ceux qui n'y ont pas accès.

À la demande du groupe CRCE, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°16 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 343
Contre     0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements)

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure .  - Je remercie le Sénat : six mois après le vote de la restitution des têtes maories, une cérémonie très émouvante s'était tenue au Quai Branly en présence du ministre de la Culture. Un an plus tard, le groupe d'amitié invité par le gouvernement néo-zélandais avait accompagné sur place le retour des têtes. Cela n'a pas été la fin d'une aventure, mais a renforcé les liens d'amitié et de coopération.

C'est aujourd'hui que tout commence. Nous aurons un travail formidable à mener avec le Sénégal et le Bénin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe SER)

Mme Roselyne Bachelot, ministre .  - Je me réjouis que ce projet de loi voulu par le Président de la République depuis le discours de Ouagadougou ait été voté à l'unanimité.

Le coeur de ce projet est une volonté politique forte en faveur d'une nouvelle ère de coopération. C'est une grande satisfaction pour moi que ce texte qui a suscité de fortes interrogations recueille un tel assentiment unanime dans les deux assemblées. (Applaudissements sur plusieurs travées à droite ainsi qu'au banc de la commission)

Prochaine séance, jeudi 5 novembre 2020, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 5 novembre 2020

Séance publique

À 9 h 30

Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président

Secrétaires : Mmes Martine Filleul et Jacqueline Eustache-Brinio

1. 42 questions orales

À 19 heures

Présidence : M. Pierre Laurent, vice-président

2. Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (procédure accélérée) (A.N., n° 3495) (Discussion générale)

Le soir

Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

3. Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (procédure accélérée) (A.N., n° 3495) (Discussion des articles)

Analyse des scrutins

Scrutin n°15 sur l'ensemble du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 341

Suffrages exprimés : 313

Pour : 183

Contre : 130

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (148)

Pour : 121

Contre : 14 - M. Jean-Claude Anglars, Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. François Calvet, Mathieu Darnaud, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jacques Grosperrin, Mmes Viviane Malet, Brigitte Micouleau, Sylviane Noël, M. Cyril Pellevat, Mme Annick Petrus, MM. Stéphane Sautarel, Jean Sol, Mme Anne Ventalon

Abstentions : 11 - M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Sabine Drexler, MM. Alain Houpert, Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Didier Mandelli, Mme Marie Mercier, MM. Alain Milon, Cédric Perrin, Mme Isabelle Raimond-Pavero, M. Cédric Vial

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, président du Sénat, Mme Christine Lavarde

Groupe SER (65)

Pour : 1 - M. Jean-Pierre Sueur

Contre : 64

Groupe UC (54)

Pour : 35

Contre : 7 - M. Jean-Michel Arnaud, Mme Annick Billon, M. Bernard Delcros, Mme Nassimah Dindar, M. Loïc Hervé, Mme Annick Jacquemet, M. Jean-François Longeot

Abstentions : 11 - MM. François Bonneau, Philippe Bonnecarrère, Mmes Nathalie Goulet, Jocelyne Guidez, MM. Olivier Henno, Jean Hingray, Claude Kern, Mme Sonia de La Provôté, M. Jacques Le Nay, Mmes Catherine Morin-Desailly, Denise Saint-Pé

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Valérie Létard, présidente de séance

Groupe RDPI (23)

Pour : 17

Contre : 1 - M. Xavier Iacovelli

Abstentions : 4 - MM. André Gattolin, Abdallah Hassani, Ludovic Haye, Dominique Théophile

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Teva Rohfritsch

Groupe CRCE (15)

Contre : 15

Groupe du RDSE (15)

Contre : 15

Groupe INDEP (13)

Pour : 9

Contre : 2 - MM. Joël Guerriau, Jean-Louis Lagourgue

Abstentions : 2 - MM. Alain Marc, Dany Wattebled

Groupe GEST (12)

Contre : 12

Sénateurs non inscrits (3)

N'ont pas pris part au vote : 3 - Mme Christine Herzog, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier

Scrutin n°16 sur l'ensemble du projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

Résultat du scrutin

Nombre de votants : 343

Suffrages exprimés : 343

Pour : 343

Contre :      0

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (148)

Pour : 147

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe SER (65)

Pour : 65

Groupe UC (54)

Pour : 54

Groupe RDPI (23)

Pour : 23

Groupe CRCE (15)

Pour : 14

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Pierre Laurent, président de séance

Groupe du RDSE (15)

Pour : 15

Groupe Les Indépendants (13)

Pour : 13

Groupe GEST (12)

Pour : 12

Sénateurs non inscrits (3)

N'ont pas pris part au vote : 3 - Mme Christine Herzog, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier

Nomination des membres d'une CMP

Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur sont :

Titulaires : M. Laurent Lafon, Mme Laure Darcos, M. Stéphane Piednoir, M. Jean-François Rapin, Mme Marie-Pierre Monier, Mme Sylvie Robert, M. Julien Bargeton

Suppléants : M. Max Brisson, M. Olivier Paccaud, M. Jean-Raymond Hugonet, M. Jean Hingray, Mme Claudine Lepage, M. Bernard Fialaire, M. Pierre Ouzoulias