Justice de proximité et réponse pénale (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale

M. Alain Marc, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP du 4 mars est rapidement parvenue à un accord sur cette proposition de loi assez technique du député Dimitri Houbron.

Pour l'essentiel, la CMP a retenu la version du Sénat du 18 février, avec quelques améliorations rédactionnelles. Le débat principal portait sur la répartition des compétences entre le juge d'application des peines (JAP) et le directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) pour l'établissement de la liste des travaux d'intérêt général (TIG) proposés dans le département.

L'Assemblée nationale avait prévu que le directeur du SPIP établisse cette liste, mais le JAP pouvait y ajouter des employeurs volontaires. Le Sénat a préféré confier l'ensemble de cette responsabilité au directeur du SPIP, et l'Assemblée nationale s'y est ralliée. La procédure sera plus simple et plus rapide, et le travail des directeurs de SPIP mieux reconnu.

Le texte encourage le recours aux TIG, alternatives aux courtes peines qui facilitent la réinsertion. Les travaux non rémunérés (TNR) proposés dans le cadre d'une composition pénale avec le parquet ou d'une transaction municipale mériteraient eux aussi d'être développés.

À l'initiative du RDPI, le Sénat a souhaité que les biens récupérés par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) soient attribués à des associations d'utilité publique ou des organismes contribuant à la politique du logement. Cet apport qui renforce le tissu associatif a été conservé en CMP ; il complète la contribution citoyenne versée aux associations d'aide aux victimes prévue par le texte.

La CMP a également conservé l'intégration des TNR dans le périmètre de l'expérimentation sur les TIG au bénéfice de l'économie sociale et solidaire, ainsi que l'affiliation des personnes qui effectuent un TNR à la branche accidents du travail-maladies professionnelles.

Le texte donne ainsi de nouveaux outils aux magistrats du parquet pour apporter une réponse rapide et proportionnée aux petites infractions du quotidien, au lieu de renvoyer les affaires à des tribunaux correctionnels très engorgés. Nous savons qu'une sanction rapide est plus efficace pour éviter la récidive.

C'est une étape sur la voie d'une vraie justice de proximité, qui reposera sur des changements organisationnels et des moyens suffisants, notamment dans les territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Depuis mon arrivée au ministère, mon premier objectif est de restaurer la confiance entre les citoyens et la justice - une justice plus proche de citoyens, sur tous les territoires.

La délinquance de basse intensité n'épargne pas plus les petites et moyennes communes que les métropoles. Tags, rodéos urbains, feux de poubelles, insultes, petits trafics peuvent passer inaperçus, mais pourrissent la vie quotidienne de nos concitoyens et nourrissent un sentiment d'impunité et de défiance envers l'institution judiciaire.

Notre réponse repose sur deux axes : renforcer la rapidité de la réponse pénale et accroître la visibilité de l'action judiciaire.

Je me félicite de l'accord trouvé en CMP. Je salue l'esprit de concorde qui a prévalu et l'implication des sénateurs Alain Marc et Thani Mohamed Soilihi.

La justice de proximité repose sur une réponse pénale plus efficace. Ce texte complète l'arsenal des mesures alternatives à l'incarcération, plus rapides et adaptées à l'infraction, à la fois punitives et éducatives. Le procureur pourra ainsi contraindre le délinquant à remettre en état les lieux dégradés, à verser une contribution citoyenne à des associations de victimes, à donner son scooter. « Tu casses, tu répares », « tu salis, tu nettoies », « tu rembourses les victimes » : voilà la logique.

Les postes de TIG sont massivement développés, grâce aux efforts de l'Agence nationale du travail d'intérêt général et à la plateforme numérique TIG 360°. Quelque 20 000 postes sont disponibles et nous espérons atteindre les 30 000. Nous avons besoin de la mobilisation de toutes les collectivités territoriales pour proposer des TIG sur tout le territoire.

J'ai pris deux circulaires, le 1er octobre puis le 15 décembre 2020, pour renforcer l'activité des juridictions de proximité et le développement des audiences foraines et des points justice. Il s'agit d'être au plus proche des territoires.

Nous menons une politique volontariste de coordination de l'action judiciaire. Le nombre de délégués du procureur, qui réalisent un travail remarquable, a doublé, de 1 000 à 2 000. Le décret du 21 septembre 2020 a précisé et élargi leur mission.

Enfin, nous augmentons massivement des recrutements de contractuels pour soulager les juridictions. Ainsi, 13 millions d'euros sont alloués au recrutement de magistrats honoraires ou temporaires.

Les frais de justice augmenteront de 127 millions d'euros pour accroître l'intervention des délégués du procureur et créer de nouvelles unités médico-judiciaires ou d'assistance de proximité aux victimes.

Le milieu associatif de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) bénéficiera de 20 millions d'euros pour renforcer la prise en charge rapide des délits du quotidien.

Cette proposition de loi s'inscrit dans une volonté globale de redonner à nos concitoyens le sens d'une justice rapide, efficace et proche d'eux. C'est pourquoi je vous demande chaleureusement d'adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains)

M. Jean-Claude Requier .  - Au-delà de la peine, le procès a une fonction sociale et naturelle. C'est une cérémonie de reconstitution du lien social, selon le magistrat Denis Salas.

Reste que les impératifs de célérité et d'efficacité imposent de réfléchir à des alternatives aux peines.

Ce texte atteint un bon équilibre. Le procès pénal reste la règle mais les magistrats auront un spectre élargi de solutions face à la délinquance du quotidien. La création d'une contribution citoyenne, le recours plus important au TIG, les amendes forfaitaires sont de bonnes mesures. Espérons que cela diminuera le nombre de contraventions impayées.

Nous nous interrogeons : ce texte atteindra-t-il ses objectifs ?

Il faut être ferme et sans complaisance face la criminalité afin de prévenir toute banalisation. Mais ne perdons pas de vue ses origines : carences du système éducatif, précarité de l'aide sociale à l'enfance, faible prise en charge des primo-délinquants.

Le groupe RDSE votera les conclusions de la CMP.

Mme Cécile Cukierman .  - Ce texte renforce le rôle du parquet. Encore faut-il qu'il ait les moyens d'agir. Or la hausse prévue des effectifs n'y suffira pas.

La question de l'indépendance du parquet reste en suspens. Quinquennat après quinquennat, cette réforme est toujours repoussée.

Le Sénat a fait évoluer les procédures. Il faut mener la réflexion sur la capacité à accueillir des TIG, afin de développer cette alternative qui favorise la réinsertion. Un parcours de peines est souvent plus destructeur que réparateur pour la société.

Nous nous abstiendrons, en regrettant qu'en France, le parquet ne soit toujours pas indépendant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Philippe Bonnecarrère .  - Je remercie le rapporteur pour son travail.

Mme Cukierman a parlé d'indépendance du parquet - nous en débattrons en mai. En écho à ce qui a été dit hier soir, monsieur le garde des Sceaux, il ne nous appartient pas de commenter vos occupations précédentes.

Le groupe UC continue de soutenir ce texte. Nous voterons donc les conclusions de la CMP.

« Proximité » est devenu un mot parapluie. Ce n'est pas un programme. Les mesures proposées sont de bon aloi : TIG, amendes forfaitaires, contribution citoyenne. Nous verrons comment le monde judiciaire se les approprie.

Nous auditionnerons bientôt M. le garde des Sceaux, avec Mme de Montchalin, sur les chantiers numériques. Cette dimension est importante pour accroître l'efficacité de la justice du quotidien et soulager le personnel. Les magistrats sont parfois contraints à des tâches qui ne mettent pas pleinement à contribution leur valeur ajoutée... (M. le garde des Sceaux approuve.)

M. Hussein Bourgi .  - Nous prenons acte du succès de la CMP, qui a été rapide. Il faut dire que l'enjeu du texte est mineur. La grande majorité des apports du Sénat ont été conservés, et je salue la qualité du travail du rapporteur.

Je regrette que la confiance en notre système judiciaire continue de se déliter. La moitié des Français déclaraient en 2019 ne pas lui faire confiance ; 60 % considèrent qu'elle fonctionne mal. La responsabilité de cet échec est partagée entre les différents gouvernements de ces dernières décennies.

Nos juridictions tournent avec onze juges et trois procureurs pour cnt mille habitants en moyenne, contre vingt-deux juges et douze procureurs en moyenne en Europe. Et je ne parle pas du sous-effectif chronique des greffes. Les juridictions sont engorgées, les procédures longues et le stock d'affaires en attente d'audiencement considérable.

Les procédures sont trop longues, complexes, fastidieuses. C'est un parcours du combattant, pour une sanction et une réparation dont la mise en oeuvre est aléatoire. Le sentiment d'impunité se développe chez les délinquants et la défiance chez les victimes.

Je regrette que le texte se concentre sur le contentieux pénal, qui ne représente que 25 % des affaires traitées par nos juridictions. La fluidification des procédures est nécessaire aussi en matière civile et commerciale.

Tout n'est pas négatif : nous approuvons la contribution citoyenne. Nous sommes également favorables au stage de responsabilité parentale, mais nous regrettons que d'autres propositions de stages, contre la haine en ligne ou les atteintes à la nature, aient été rejetées.

La philosophie générale de déjudiciarisation est regrettable. Par cohérence avec nos positions précédentes, nous nous abstiendrons. Nous attendons avec impatience le projet de loi à venir sur la confiance dans le système judiciaire, en espérant être davantage entendus.

Mme Brigitte Lherbier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe Les Républicains se réjouit que la CMP ait été conclusive et que l'ensemble des améliorations du Sénat aient été maintenues.

Nous aurons demain un outil supplémentaire contre les incivilités. L'élargissement des alternatives aux poursuites et le développement du TIG sont des mesures efficaces et utiles à la réinsertion. Pour les avoir pratiqués à Tourcoing, je peux en témoigner.

Le Sénat a inclus le travail non rémunéré dans le champ de l'expérimentation. Ce sera l'occasion d'évaluer dans quelle mesure le secteur de l'économie sociale et solidaire est capable d'accueillir des TIG.

Nous avons modifié le code de la sécurité sociale afin que les personnes qui effectuent un travail non rémunéré dans le cadre d'une transaction avec le maire puissent être indemnisées en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle.

Le procureur pourra proposer au délinquant de se dessaisir d'un bien au profit d'une organisation à but non lucratif. Cette mesure est consensuelle.

Sur la détermination de la liste des TIG, l'Assemblée nationale s'est ralliée à la position du Sénat, plus simple et qui revalorise le rôle du directeur du SPIP. Mais n'oublions pas que la France ne compte que trois procureurs pour cent mille habitants, quand la moyenne européenne est de douze. C'est fort peu...

Ayant dirigé pendant de longues années l'Institut d'études judiciaires de Lille, je sais combien le recrutement de magistrats issus de toutes les régions serait souhaitable pour comprendre la mentalité des justiciables.

Il faut une réponse ferme, forte, juste et rapide de la justice. L'informatisation ne doit être qu'un outil au service d'une réponse de proximité. La répartition du personnel doit aussi être adaptée sur la base d'une analyse statistique.

Le groupe Les Républicains salue le travail du rapporteur et votera les conclusions de la CMP. (Applaudissement sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa .  - La CMP a été conclusive sur ce texte qui s'attelle à une noble tâche : restaurer une justice de proximité contre la délinquance du quotidien.

La simplification du TIG et le développement des alternatives aux poursuites sont des avancées, face au tout carcéral qui est à l'opposé de la justice moderne que nous défendons.

Cependant, je déplore des reculs sur les droits de la personne condamnée : suppression de l'examen médical, relèvement du plafond du travail non rémunéré. Le transfert au SPIP de la détermination des modalités d'exécution du TIG est regrettable.

Nous aurions souhaité que la sensibilisation à la protection de l'environnement soit incluse dans les stages proposés. Les initiatives menées en ce sens en Savoie et en Charente-Maritime sont concluantes.

Malgré une légère hausse de crédits pour 2021, le maigre budget de la justice et le manque de personnel sont au coeur du problème.

Le texte est manifestement privé des outils de sa réussite. Le rendez-vous avec la modernisation de la justice de proximité est reporté. Comme en première lecture, nous nous abstiendrons, comme en première lecture.

Mme Nicole Duranton .  - Félicitations à Alain Marc pour son excellent travail. Le texte issu de la CMP renforce l'efficacité de la réponse aux incivilités et à la délinquance du quotidien, celle qui trouble la vie de nos concitoyens et nourrit le sentiment d'impunité.

Ce texte est la traduction concrète de l'engagement du Premier ministre en faveur de la justice de proximité. La justice de proximité, c'est l'alternative aux poursuites pour les 350 infractions de faible et moyenne intensités, comme le tapage nocturne ou les rodéos motorisés. C'est l'augmentation substantielle du nombre de délégués du procureur. C'est le renforcement des relations avec les partenaires locaux et le maillage du territoire par plus de deux mille « points Justice ».

Cette proposition de loi apporte des ajustements opportuns. Elle complète les mesures alternatives aux poursuites, favorise le recours aux TIG et renforce la procédure de l'amende forfaitaire pour accélérer son recouvrement. Cela désengorgera les prétoires et rendra la réponse pénale plus rapide et plus efficace - et donc la peine plus constructive.

Nous nous réjouissons de l'accord en CMP, d'autant que les apports du Parlement ont été conservés, sur le couple maire-procureur ou l'affiliation à la branche AT-MP des personnes qui effectuent un travail non rémunéré.

Désormais, les biens immobiliers dont l'État est devenu propriétaire dans le cadre d'une procédure pénale pourront être transférés à des associations. La chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction pourra être dessaisie au bénéfice d'une personne morale à but non lucratif, le tout étant entouré de garanties pour ne pas créer d'insécurité juridique.

Le RDPI votera ce texte.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Les manquements aux règles du comportement en société altèrent la tranquillité publique : insultes, tags, petits trafics, autant d'incivilités face auxquelles les Français attendent une réponse pénale rapide et efficace.

Montesquieu a écrit : « Qu'on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, et non pas de la modération des peines ». Je me réjouis de l'accent mis sur l'effectivité des peines plutôt que sur leur sévérité, contre le sentiment d'impunité.

Ce texte apporte une réponse pénale plus claire, plus directe, plus lisible pour le délinquant, plus compréhensible pour le délinquant comme pour la victime. Il offre de nouveaux outils aux procureurs, fluidifie la mise en oeuvre des TIG et accélère le recouvrement des amendes forfaitaires.

Je me réjouis de la réussite de la CMP.

Toutefois, ne nous y trompons pas : ces mesures seront insuffisantes sans moyens afférents.

Depuis trop longtemps, alors que les besoins de la justice augmentent, les moyens stagnent. Heureusement, les crédits de la justice ont augmenté pour 2021. Cet effort devra être poursuivi.

Grâce à Alain Marc, les maires pourront recourir plus aisément au travail non rémunéré, dans le cadre d'une transaction, pour régler des différends sur leur territoire. Cela sera apprécié par les maires de l'Aube.

Le groupe INDEP sera attentif aux crédits de la justice pour 2022. Il votera à l'unanimité ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur le banc de la commission)

La discussion générale est close.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Mme Brigitte Lherbier applaudit.)

La séance est suspendue à 13 h 10.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.