Améliorer l'économie du livre (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs, à la demande du groupe Les Républicains.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme Laure Darcos, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Le livre de pierre, si solide et si durable, a fait place au livre de papier, plus solide et plus durable encore... Ceci tuera cela... » : chacun connaît la prophétie de Victor Hugo qui voit le livre comme l'élément premier et constitutif de la civilisation moderne.

Quarante ans après la loi Lang, il faut continuer à préserver cette pierre angulaire de notre culture, au nom du principe d'équité.

J'apprécie les valeurs de ce secteur et ses acteurs, qui oeuvrent sans relâche et avec beaucoup d'intelligence pour défendre trois causes essentielles : connaissance, création et diversité des modes d'expression culturelle.

Je me suis appuyée sur les acteurs de la chaîne du livre et de l'édition musicale pour bâtir ce texte, sur lequel le Conseil d'État a été saisi à la demande du président du Sénat. Je salue la rapporteure au fond et la rapporteure pour avis et je remercie la ministre de la Culture dont les services m'ont accompagnée.

La dernière loi sur le livre remonte à 2014 : elle a régulé la vente à distance, en interdisant la décote de 5 % sur le prix éditeur. Sept ans après, cette proposition de loi est marquée du sceau de la transparence, de la confiance et de la projection dans l'avenir.

Le commerce de détail des livres neufs se caractérise par une rentabilité médiocre. Le bénéfice annuel d'une librairie de taille moyenne employant trois salariés s'élève à 1 % de son chiffre d'affaires, soit environ 5 000 euros. Beaucoup de librairies indépendantes sont menacées de disparition, surtout en centre-ville où les loyers sont élevés.

Agir pour plus de transparence, c'est en premier lieu mettre fin à une distorsion de concurrence contraire à l'esprit de la loi du 10 août 1981, à savoir la quasi-gratuité des frais de livraison pratiquée par certaines plateformes de e-commerce.

Il est indispensable d'assurer la transparence des tarifs de livraison. Amazon oblige ses concurrents à s'aligner sur sa livraison à un centime d'euro alors qu'il est déficitaire sur cette activité, mais l'optimisation fiscale lui permet d'imposer ses pratiques commerciales. Je regrette que l'Autorité de la concurrence n'ait rien trouvé à redire à une telle anormalité. Cette distorsion de concurrence empêche les libraires de développer leur propre offre à distance.

On me dit qu'Amazon est le défenseur de la ruralité et des plus modestes. Mais son marché principal se trouve dans les grandes agglomérations, chez les catégories professionnelles favorisées, parfaitement à même de payer des frais de livraison. Ce sont donc bien la préservation de la diversité culturelle, le maintien de l'accès de tous les citoyens à la culture et la vitalité de l'économie locale dans les centres-villes et les centres-bourgs qui sont en jeu.

Le prix du livre neuf étant unique, conformément à la loi Lang, la pratique des soldes doit donc être encadrée.

L'objectif de ce texte est aussi d'instaurer des relations loyales et équilibrées entre les auteurs et les éditeurs. Il convient également de tirer les conséquences de l'accord interprofessionnel signé le 29 juin 2017 qui porte sur la provision pour retours d'exemplaires invendus et sur la compensation des droits issus de l'exploitation de plusieurs livres.

Enfin, les auteurs pourront saisir le médiateur du livre en cas de litige. Curieusement, la loi de 2014 relative à la consommation ne le mentionnait pas. Cette mesure renforcera la confiance.

Il faut se projeter dans l'avenir pour assurer la présence du livre sur tout le territoire. Défendons les librairies indépendantes, un joyau, face à la dictature de l'algorithme et l'uniformisation des contenus ! C'est la diversité culturelle qui est ici en jeu : rien ne remplace le contact avec le libraire qui, par ses conseils, joue un rôle d'éveil et éclaire le choix du lecteur.

Je propose que les collectivités territoriales puissent subventionner les librairies indépendantes, comme cela se fait déjà pour les petites salles de cinéma grâce à la loi Sueur.

Enfin, cette proposition de loi modernise les règles du dépôt légal numérique. Il s'agit de permettre aux grands opérateurs d'accomplir leurs missions : la collecte et la conservation du patrimoine documentaire de la France, pour les générations futures.

Cette proposition de loi sert le dynamisme de nos territoires et l'accessibilité de la culture. Comme répondait Churchill à ceux qui tergiversaient face à l'investissement culturel, ou qui n'y voyaient qu'un débat subalterne : « Alors, pourquoi nous battons-nous ? » Telle est la question que je vous pose aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La proposition de loi est le fruit de l'enthousiasme et du talent de Mme Darcos.

Cette réforme, la première d'ampleur depuis 2014, était très attendue. Auteurs, éditeurs et libraires doivent être entendus et préservés comme partie intégrante de notre exception culturelle. Avec la loi sur le prix unique de 1981, la France s'est dotée d'une législation protectrice, copiée depuis dans de nombreux pays, justifiée par le caractère très singulier du livre dans notre culture.

C'est dans le jardin de Luxembourg, près du Sénat, que Gérard de Nerval célébrait la beauté d'une passante « vive et preste comme un oiseau ». Victor Hugo - qui a siégé ici même - y a fait naître l'amour entre Marius et Cosette dans Les Misérables et William Faulkner y a imaginé la dernière scène de Sanctuaire.

Le caractère singulier du livre, dans notre pays pétri de littérature, justifie une attention particulière de la part des pouvoirs publics. Il est essentiel de protéger et valoriser les acteurs qui font vivre l'écrit. Avec sa réjouissante ironie, Guy Bedos disait que « Le seul prix qui intéresse vraiment un écrivain, c'est le prix du livre ». Hommage à la loi sur le prix unique ? Peut-être.

De fait, l'économie du livre doit être défendue. Le texte de Mme Sylvie Robert, complémentaire de celui-ci et qui sera examiné demain en séance publique, va aussi en ce sens.

Le livre fait mieux que survivre : il se développe, insensible aux modes et au temps qui passe. C'est à la lueur de ces constats que notre collègue Laure Darcos a déposé ce texte dont l'ambition est d'adapter le monde du livre à notre époque.

Il est temps de restaurer une concurrence loyale entre les libraires et les grandes plateformes de vente en ligne, pour encourager nos concitoyens à aller plus souvent dans les librairies, qui servent la diversité culturelle.

Une librairie, c'est la liberté de flâner, d'être surpris, alors que la vente en ligne, c'est la liberté de trouver précisément ce que l'on cherche, et rien d'autre. L'article premier pérennise donc cette distinction, ce qui implique de protéger le réseau de libraires indépendants. L'article 2 ouvre la possibilité aux communes et intercommunalités d'aider financièrement les libraires.

L'article 3 procède à une rénovation du contrat d'édition et transpose l'accord conclu entre auteurs et éditeurs en 2017.

L'article 5 actualise et modernise enfin le dépôt légal : c'est important pour la collecte de nos mémoires, dans la fidélité à l'esprit de François Ier en 1537.

Saisi par le Président du Sénat, le Conseil d'État a émis un avis très positif sur ce texte. Les services du ministère de la Culture nous ont également accompagnés.

Avec Mme Berthet, si nos opinions ont pu diverger, les travaux ont été riches et menés en vue de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires économiques s'est saisie pour avis de l'article premier de la proposition de loi. Nous nous sommes penchés sur la disposition qui prévoit que soit fixé par arrêté ministériel un tarif plancher des frais d'envoi de livres, devant obligatoirement être facturé au client. Nous sommes hostiles à cette disposition et je vais vous expliquer pourquoi.

La vente en ligne représente 20 % du marché du livre aujourd'hui, soit 70 millions d'ouvrages chaque année, ce qui pourrait être un danger pour les librairies indépendantes. Amazon vend 40 millions de livres par an en France. Comment rivaliser avec ces acteurs mondiaux qui facturent les frais d'envoi à 1 centime ?

Après analyse, nous estimons que cette mesure aura d'importants effets de bord : l'augmentation massive du prix du livre risque d'enrichir encore plus les plateformes, sans que les libraires gagnent de clients.

Ceux qui achètent sur internet ne le font pas seulement parce que les frais d'expédition sont quasiment gratuits, mais aussi en raison de la quantité de l'offre et de la rapidité de livraison. Les grands gagnants d'une facturation obligatoire seront les plateformes elles-mêmes ! À 2,50 euros l'envoi, Amazon gagnerait ainsi 100 millions d'euros de plus chaque année sans rien faire ! Nous avons donc rejeté ce chèque en blanc donné involontairement aux grandes plateformes.

La hausse des prix n'est pas non plus un signal opportun en ces temps troublés. Elle pénaliserait particulièrement le monde rural et périurbain, dont les habitants ont plus de difficulté à se rendre en librairie.

Cette mesure bénéficiera-t-elle aux libraires ? Très peu, à notre avis.

Nous rejetons donc ce cadeau fait aux plateformes, dont certaines pratiquent en outre l'optimisation fiscale.

Madame la ministre, comment comptez-vous atteindre l'objectif d'un prix réellement unique du livre, annoncé par le Président de la République, sans faire de cadeau aux plateformes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc des commissions)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture .  - Le livre n'est pas un bien comme les autres. Depuis les années 1980, le soutien de l'État à la filière est passé notamment par l'instauration d'un prix unique pour protéger les acteurs du livre ; et par les aides du Centre national du livre.

La crise sanitaire a remis en lumière la première industrie culturelle française, particulièrement touchée par le confinement. Mais le soutien des pouvoirs publics a été au rendez-vous.

Le ministère de la Culture a déployé de nombreuses aides sectorielles. La soif de lecture de nos concitoyens a limité à 3,3 % la chute des ventes en 2020.

Le soutien au secteur du livre doit être constant. En 2021-2022, 53 millions d'euros du plan de relance iront à la modernisation des librairies et des bibliothèques et au renforcement des achats publics de livres.

Sur le développement de la vente en ligne, l'adaptation de notre arsenal législatif est nécessaire. Le Gouvernement y attache une importance particulière, d'où la demande d'une procédure accélérée.

La proposition de loi de Sylvie Robert, qui sera examinée demain, est complémentaire de celle-ci. Les enjeux sont de fait transpartisans.

La proposition de loi modernise la loi Lang de 1981, un texte structurant, dont nous célébrons le quarantième anniversaire et qui a fait la preuve de son efficacité. Nous nous devons de faire vivre cette loi, alors que de nouvelles pratiques se développent. Mme Darcos a parfaitement décrit les difficultés et les défis que rencontrent les libraires.

La proposition de loi complète et parfait l'encadrement de la vente à distance introduit par le législateur en 2014. Des conditions inéquitables de concurrence perdurent en effet, un opérateur proposant la livraison quasi gratuite, quel que soit le montant d'achat. Étrange générosité, qui ne concerne de surcroît que les livres !

Depuis 1981, le seul geste commercial autorisé est la ristourne de 5 %. La livraison quasi gratuite constitue indubitablement une nouvelle forme de concurrence par les prix qui empêche la loi de 1981 de produire son plein effet. Le Gouvernement soutient donc pleinement ces dispositions utiles et nécessaires.

Il est essentiel de clarifier la distinction entre livre neuf et d'occasion, qui brouille la perception du principe du prix unique du livre neuf. Le Médiateur du livre invite également à encadrer les soldes de livres afin de ne pas fragiliser l'économie des libraires. Les mesures proposées ici sur ce point tout à fait cohérentes avec l'économie générale de la loi sur le prix unique du livre.

Le principe d'équité doit aussi prévaloir dans la relation auteur-éditeur. J'ai présenté en mars dernier un programme de mesures en faveur des auteurs. Dans le prolongement de la concertation interprofessionnelle, j'ai confié une mission de médiation à Pierre Sirinelli pour accompagner les organisations professionnelles dans la révision de l'accord interprofessionnel de 2014, afin de régler les difficultés nées de son application et tenir compte des évolutions. Il faut laisser le temps au dialogue de prospérer.

Toutefois certains sujets consensuels tels que les problématiques liées à la cessation d'activité des entreprises d'édition ne sont pas dans le champ de l'accord et nécessitent une adaptation législative. La proposition de loi y répond. Elle offre également une base législative à l'accord interprofessionnel de 2017 relatif aux provisions pour retour d'invendus. Ces mesures amélioreront l'équilibre et la transparence dans les relations entre auteurs et éditeurs.

Enfin, le texte apporte un complément très attendu au cadre légal du dépôt légal des oeuvres à l'ère du numérique. L'ordonnance royale du 28 décembre 1537 assure la mémoire documentaire de la France et la conservation de la production éditoriale pour les générations à venir. Or la loi du 1er août 2006 qui a permis la collecte automatique des contenus numériques en ligne ne garantit pas l'effectivité du dépôt légal de nombreuses oeuvres numériques, notamment pour les sites non librement accessibles. Cette proposition de loi y remédie.

Elle est importante, et je salue Laure Darcos et la rapporteure Céline Boulay-Espéronnier.

Elle consolide l'attachement de notre pays au secteur du livre. L'examiner quarante ans après la loi Lang est un beau symbole. Le Gouvernement la soutient pleinement et veillera à son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Decool .  - Le livre, vecteur d'idées, objet de transmission et lieu d'évasion, est un objet à part qui occupe dans notre société une place singulière. Il relève, pour les Français, du sacré.

Notre patrie a forgé son identité dans sa littérature. Ses grands auteurs en sont les ambassadeurs, et l'esprit français n'existe pas sans ses belles lettres.

Notre pays a aussi une tradition d'artisanat d'art lié au livre : doreurs, relieurs, imprimeurs, enlumineurs... La France aime passionnément le livre, corps et âme - en tant qu'objet et contenant, en tant que sujet et contenu.

Pour défendre le livre qui nous est si cher, et avec lui notre identité nationale, nous devons aborder le problème de façon globale, alors que les nouvelles technologies bouleversent les équilibres en place.

Ce n'est pas la première crise que traverse le monde du livre, depuis les magnifiques incunables : passage du volumen au codex, du parchemin au papier, invention de l'imprimerie et développement industriel, le livre a dû se transformer, et avec lui ses acteurs.

Je remercie Laure Darcos pour son texte consistant et ambitieux, auquel je souscris totalement.

La concertation préalable avec les acteurs du secteur et la saisine du Conseil d'État sont gages de solidité.

L'obligation faite à un éditeur en cessation d'activité d'adresser un état des comptes à ses auteurs est de bon sens, comme l'est la possibilité pour les auteurs de saisir le médiateur du livre. Ce sont des demandes des auteurs, nous les soutenons sans réserve.

Ce texte manquerait sa cible s'il n'apportait pas de réponse concrète aux problèmes des libraires. La possibilité donnée aux communes et EPCI de les soutenir financièrement est pertinente, tant les librairies participent au maillage culture et social dans nos territoires.

Sur les frais d'envoi, je sais la divergence de fond entre la commission des affaires économiques et celle de la culture. Les deux commissions formulent des hypothèses différentes quant aux comportements d'achat.

Faisant le pari de la proximité, le groupe INDEP soutiendra sans réserve le texte de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

M. Thomas Dossus .  - « La diffusion du livre connaît une mutation commerciale dont les conséquences sont loin d'être neutres sur le plan culturel », déclarait Jack Lang pour défendre la loi instaurant le prix unique du livre - première pierre d'une politique culturelle ambitieuse.

Depuis, le secteur a été bouleversé par l'arrivée des plateformes numériques.

Je salue le travail de Laure Darcos, enrichi par le Conseil d'État. J'en profite pour regretter que le Conseil n'ait pas été pareillement sollicité sur la proposition de loi Sécurité globale...

Deuxième secteur culturel français, avec un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros en 2019, le livre voit toutefois ses ventes baisser de 14 % en volume sur les dix dernières années. La vente en ligne a augmenté de 5,7 % entre 2008 et 2018, alors que les petits libraires ont vu leurs ventes baisser de 2,7 % par an.

Trois géants se partagent le marché, dont Amazon qui représente à lui seul 10 % des ventes. Face à eux, nos 4 000 librairies indépendantes sont victimes de la distorsion de concurrence que représente la livraison gratuite : pour les plateformes, le livre est un produit d'appel, vendu à perte. Pour y remédier, la loi du 8 juillet 2014 a interdit la gratuité des frais de port. Avec cynisme, les plateformes ont offert la livraison à un centime d'euro ou des abonnements annuels à un prix dérisoire.

L'article premier de cette proposition de loi instaure un tarif réglementé sur les livraisons de livres. Ce n'est pas dans les habitudes de la droite sénatoriale, qui avait supprimé le tarif réglementé sur le gaz ou l'électricité. Je me réjouis que vous admettiez enfin que tout ne peut reposer sur l'autorégulation du marché ! J'espère que, lors de l'examen de la loi Climat, vous voterez nos amendements limitant l'installation d'entrepôts logistiques, qui menacent nos commerces de proximité. N'ayez pas peur de la régulation, ni de l'interventionnisme que représentent les subventions aux librairies indépendantes à l'article 2.

Les articles 3, 4 et 5 n'appellent pas de remarques, même s'il y aurait beaucoup à dire sur le rapport entre éditeurs et auteurs.

Le GEST a soutenu les « commerces essentiels » que sont les librairies pendant le deuxième confinement et votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Julien Bargeton .  - Le Petit traité du lecteur, de Shaun Bythell, dresse une typologie des lecteurs. En France, on pourrait dresser une typologie des libraires. Les 3 300 librairies indépendantes ont vu leur part de marché baisser de trois points entre 2006 et 2019 tandis que les plateformes ont vu leurs ventes multipliées par dix en vingt ans, passant de 2,2 % à 22 % du marché. La pandémie a fait reculer leur chiffre d'affaires de 3,3 %, une baisse somme toute modérée.

L'économie du livre a été bouleversée par le numérique. L'Histoire du livre et de l'édition, de Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine, montre combien le secteur a connu de transformations depuis ses origines.

La dernière réforme d'ampleur date de 2011 - il était temps de légiférer. Les grandes plateformes contournent la loi sur l'interdiction de la gratuité des frais de port en livrant pour un centime quand l'envoi coûte en moyenne 6,5 euros !

Nous voterons, sans suspense, cette proposition de loi. Un consensus s'est dessiné autour de la nécessité de protéger les librairies indépendantes et le Président de la République, le 21 mai, a dit souhaiter un prix réellement unique du livre.

Le Gouvernement a enclenché la procédure accélérée sur le texte de Laure Darcos - que je salue, de même que je salue la saisine du Conseil d'État sur ce texte que soutient le Syndicat de la librairie française.

Je me félicite que la commission des affaires économiques ait renoncé à son amendement de suppression sur les frais de livraison - il aurait donné l'impression que les deux hémisphères de la majorité ne communiquent pas...

Mme Sophie Primas.  - Ce n'est pas le cas.

M. Julien Bargeton.  - Je le salue.

Les librairies abritent l'âme de notre pays et la font rayonner - je pense à la librairie Albertine, à New York.

L'installation de librairies a modifié la configuration de certains quartiers, dans le XXe arrondissement par exemple - la librairie Le Comptoir des mots joue un rôle particulièrement actif - ou dans l'Est parisien, avec le réseau Librest. (M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, le confirme du chef.)

Chacun a sa place dans l'économie du livre : le monopole détruit l'âme de nos quartiers, de la culture française incarnée dans la librairie.

Les grandes plateformes utilisent des algorithmes séduisants mais dangereux qui nous installent dans des bulles de facilité. La librairie, au contraire, c'est la promenade, le hasard : qui n'en est pas ressorti un jour avec un livre découvert au détour d'une pile, ou conseillé par le libraire ? Cela m'arrive très souvent. C'est le choc de la rencontre...

« Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux », disait Jules Renard. Merci à Laure Darcos.

M. Bernard Fialaire .  - Fermeture des bibliothèques et des librairies, annulation des salons et résidences d'écriture : la crise a été dure pour le secteur du livre. Un temps jugées « non essentielles », les librairies, déjà fragilisées, doivent appliquer des jauges strictes.

Surtout, les parts de marché d'Amazon ne cessent de croître grâce à son avantage concurrentiel, fragilisant le tissu des librairies indépendantes, coeur battant de l'accès universel aux oeuvres.

Malgré les mesures de soutien, dont la prise en charge des frais d'expédition, le secteur de la librairie et ses 13 000 salariés sont en souffrance. Cette proposition de loi rétablit une forme d'équité, à travers l'interdiction de la gratuité des frais de port.

Si le TGV trop rapide est un mauvais coup porté au livre, selon Bernard Pivot, la livraison trop rapide l'est tout autant. L'encadrement des tarifs postaux instaurera une concurrence plus équitable.

Face à Amazon, nous défendons notre souveraineté nationale et notre exception culturelle. L'économie du livre ne peut être exclusivement soumise aux lois du marché.

Le texte sécurise et modernise la chaîne du livre en réformant le régime des soldes et en autorisant les collectivités à subventionner les librairies indépendantes à hauteur de 30 % de leur chiffre d'affaires, sur le modèle du dispositif de la loi Sueur pour les cinémas.

Le texte améliore les relations entre éditeurs et auteurs - ces derniers pourront par exemple connaître le nombre d'exemplaires des ouvrages vendus.

Enfin, l'article 5 rendra effectif le principe fondateur du dépôt légal à travers une nouvelle procédure pour les oeuvres numériques.

Le RDSE votera cette proposition de loi dont la solidité juridique a été renforcée par le Conseil d'État. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Jérémy Bacchi .  - Dans deux mois, nous fêterons les quarante ans de la loi Lang, qui a fixé le prix unique du livre et l'a sacralisé comme un bien culturel d'exception.

Malheureusement la multiplication des canaux de diffusion entraînée par les mutations technologiques et l'arrivée de nouveaux acteurs n'a pas démocratisé l'accès au livre. Au contraire. On assiste à une cannibalisation de la distribution et à une raréfaction des librairies.

Le déploiement numérique met sous pression les librairies, alors que leur rentabilité est déjà très faible. Les 3 300 librairies et leurs 13 000 salariés sont une part essentielle de l'exception et de la diversité culturelle à la française, rappelle le Conseil d'État.

Même en réseau, les libraires ne peuvent pas s'aligner sur les pratiques d'Amazon, qui livre pour un centime. Cette logique de captation s'amplifiera faute de régulation : certains Français n'auront plus d'autres choix que de commander leurs livres en ligne.

La confusion entretenue entre livres neufs et d'occasion « en état neuf » fait partie d'une stratégie de contournement de la loi. Amazon veut ainsi fixer son prix unique sur Kindle.

Comme il n'y a pas de livres sans auteurs, cette proposition de loi sécurise leur position. La moitié des auteurs gagne moins que le Smic, et ces revenus sont considérés comme revenus du patrimoine et non du travail, ce qui a des conséquences en matière de cotisations sociales.

Cette proposition de loi ne résout pas les problèmes structurels, mais rééquilibre le rapport entre éditeurs et auteurs. Les auteurs perçoivent 7,2 % des droits ; un tiers d'entre eux n'ont pas d'à-valoir. Le chiffre d'affaires avoisine pourtant 4 milliards d'euros.

Un mot sur la réforme du dépôt légal. Les organismes dépositaires ont beaucoup de mal à capter les contenus numériques, avec la multiplication des mesures de blocage et avec l'expansion d'internet. De la conservation, nous sommes passés à l'instantanéité. Là encore, la proposition de loi apporte une réponse intéressante.

Le groupe CRCE la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « Lire, c'est boire et manger. L'esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas » écrit Victor Hugo. Le livre est vital, en témoignent les débats passionnés sur l'ouverture des librairies durant le confinement. Cette période a montré combien les Français étaient attachés aux librairies.

La lecture, socle de toute émancipation, donne accès à la connaissance et stimule l'imaginaire. Aussi sommes-nous attentifs à l'économie du secteur ainsi qu'au rôle de la bibliothèque publique dans la cité. Je salue les initiatives de Laure Darcos et de Sylvie Robert qui nous proposent d'améliorer la législation en la matière.

Nos librairies ont plutôt bien résisté ces dernières années grâce, il faut le dire, à la politique volontariste du ministère de la Culture et des collectivités territoriales. La loi Legendre du 26 mai 2011 relative au livre numérique, d'initiative sénatoriale, a pris en compte l'irruption des plateformes. Mais nous devons être vigilants pour éviter que la loi ne soit contournée, comme le fait Amazon avec la livraison quasi gratuite du seul livre, érigé en produit d'appel...

Il fallait compléter la législation pour corriger les désavantages concurrentiels et rééquilibrer les rapports entre librairies et plateformes.

Internet s'est construit sur l'idée d'une fausse gratuité, encourageant le piratage des oeuvres, notamment musicales et cinématographiques. Si c'est gratuit - c'est bien connu désormais - c'est que c'est vous qui êtes le produit, par les données que vous générez. Vous ne payez plus de frais de port, mais vous vendez vous-même !

Outre le désavantage concurrentiel notoire, la gratuité des frais de port menace nos librairies. Nous défendons l'équité mais aussi un modèle de société. Les lieux de culture dans nos territoires sont des lieux de vie et de partage.

Les outils numériques sont formidables mais ont leurs limites. Nous avons besoin de contacts directs. Aucun algorithme ne remplacera le libraire, le bibliothécaire ou l'animateur de cinéma.

Il ne s'agit pas de déclarer la guerre au commerce en ligne, mais d'en souligner les écueils. L'impact environnemental de ces nouveaux modes de consommation doit être porté à la connaissance du grand public. Je salue à cet égard l'apport du rapport Pointereau-Bonnefoy. Afficher le prix réel des livraisons gratuites serait pédagogique.

L'article 2 autorise les collectivités territoriales à soutenir leurs librairies, reconnaissant leur rôle d'animation, de conseil et d'accès à la culture, essentiel notamment en milieu rural.

La transposition dans la loi de l'accord interprofessionnel du 29 juin 2017 rénove la relation entre auteurs et éditeurs, particulièrement fragilisés ces derniers mois.

Enfin, je soutiens la rénovation du dépôt légal. L'article 5 est le fruit d'un remarquable travail de co-législation entre notre commission et le Conseil d'État.

L'Union centriste votera avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Sylvie Robert .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans la tradition des textes importants pour protéger la filière du livre : la loi Lang, puis les ajustements législatifs de 2011 et 2014, accompagnés de mesures de soutien.

La révolution numérique a bouleversé le secteur et l'économie du livre. La loi du 8 juillet 2014, votée à l'unanimité, visait à contrer les pratiques déloyales des plateformes qui proposaient, outre la remise de 5 %, la gratuité des frais de port.

La main du législateur n'a jamais tremblé pour porter secours à une filière vitale pour notre rayonnement culturel et nos territoires. Dans un contexte toujours tendu et face à l'appétit croissant des plateformes, il nous faut à nouveau nous pencher sur un secteur qui n'a connu aucune réforme structurelle depuis dix ans.

Je salue l'engagement constant et combatif de Laure Darcos. Cette proposition de loi soutient les librairies, améliore la relation entre auteurs et éditeurs et adapte le droit en matière de dépôt légal.

Elle comporte des mesures structurelles pour aider les librairies, si aimées des Français. Souvenez-vous du tollé quand elles ont été considérées comme « non essentielles » !

Amazon représente 10 % du marché du livre en France. Elle profite de son emprise mondiale pour diminuer les prix. À ce coût économique s'ajoute un coût écologique avec l'approvisionnement continu des dépôts par une rotation permanente de transporteurs routiers.

Nos décisions ne doivent pas creuser les inégalités territoriales. Certains craignent que l'article premier n'isole nos territoires ruraux et n'entraîne une inflation du prix du livre. Selon l'étude Kantar de 2019, les habitants des communes de moins de 2 000 habitants n'ont réalisé que 12 % de leurs achats en valeur sur Amazon ; 20 % l'ont été en librairie et dans les espaces culturels Leclerc.

Les ruraux consomment moins sur Amazon que les urbains. Les espaces ruraux ne seront donc pas pénalisés par l'article premier.

Il faut également raison garder sur l'inflation du prix du livre - qui connait une baisse ininterrompue depuis les années 2000. La loi Lang est un excellent amortisseur.

Le vote de l'article premier sera un acte fort. Le Sénat s'honorera à le voter.

L'article 2 ouvre aux collectivités territoriales la possibilité de subventionner les libraires indépendantes - dispositif calqué sur la loi Sueur de 1993 pour les cinémas indépendants. Cela participera de l'attractivité et de la revitalisation de nos centres-bourgs et centres-villes.

Le deuxième axe de cette proposition de loi vise à rééquilibrer la relation entre auteurs et éditeurs. Le rapport Racine souligne que l'auteur n'a parfois pas d'autre choix que d'accepter les termes du contrat, et appelle à plus de transparence. L'article 3 prévoit ainsi la reddition systématique des comptes en cas de cessation d'activité d'une maison d'édition. Cet effort de transparence sur la dynamique économique du livre est un premier pas, qu'il faudra compléter.

Le développement du numérique est allé de pair avec la multiplication des oeuvres numériques, souvent publiées dans des espaces privés et donc difficiles à collecter par le dépôt légal numérique. L'article 5 dote le dépôt légal de nouveaux moyens, afin de sauvegarder pour les générations futures un exemplaire de toute production littéraire ou artistique.

Le livre aura joué un rôle essentiel pendant les confinements, capable de nous transporter, de nous émouvoir, de nous instruire, de nous élever. Sa défense n'est plus à faire. De cette loi, il avait besoin.

Le groupe SER votera sans réserve et avec enthousiasme cette proposition de loi. Je salue le travail législatif de grande qualité de Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains)

Mme Béatrice Gosselin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Laure Darcos pour cette belle initiative. Nos 3 300 librairies indépendantes maillent nos villes et villages, mais rencontrent de grandes difficultés financières, avec une faible marge sur leurs ventes.

Elles font face à une concurrence déloyale d'Amazon, qui profite d'un tarif préférentiel conclu avec La Poste. Elle préfère être déficitaire sur le livre, produit d'appel, pour proposer d'autres produits aux marges beaucoup plus intéressantes. Malgré la loi Lang, les libraires sont victimes de cette concurrence déloyale.

La proposition de loi propose de fixer par arrêté un tarif identique d'acheminement du livre en fonction du poids. Il est important que les consommateurs prennent conscience des émissions de CO2 générées par le transport et y participent financièrement.

L'e-commerce permet-il aux habitants de zones reculées d'avoir accès au livre ? En réalité, ce sont surtout des urbains, plutôt aisés, qui y recourent.

Le peu de clarté des tarifs laisse supposer un livre neuf alors qu'il est en réalité d'occasion. Il faut clarifier cela.

Ce rééquilibrage de la concurrence pourra être complété par la mutualisation et la modernisation du réseau de librairies indépendantes. Le plan de relance de 12 millions d'euros pourrait y contribuer.

L'article 2 qui autorise une subvention des collectivités territoriales est bienvenu.

Si la crise sanitaire a fragilisé les libraires, elle a aussi mis en lumière les difficultés des auteurs. Ils seront associés à la mise en place du book tracking, malheureusement retardé par le confinement. L'article 3 prévoit un suivi de l'état des comptes et du stock de l'éditeur en cas de cessation de l'activité.

Le dépôt légal, créé en 1537, se heurte à des sites inaccessibles, certaines oeuvres étant protégées. L'article 5 rend obligatoire le dépôt de tout document en vue de sa conservation.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. Durant cette crise sans précédent, des échanges, conseils, démarches se faisaient par écran interposé. Le contact humain nous a manqué. Légiférons pour préserver ces lieux d'échange, de conseil et de rencontre que sont les librairies. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Yves Bouloux .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le premier confinement a entraîné une chute du chiffre d'affaires de 90 % pour la librairie indépendante - dont le taux de rentabilité moyen est de 1 %. Les conséquences en ont été lourdes.

Avec la fermeture des librairies en 2020, il y a eu trois fois moins de références d'ouvrages vendus qu'en 2019. Les algorithmes des plateformes et les avis des lecteurs uniformisent nos lectures. Préserver les librairies, c'est préserver notre diversité culturelle.

Sur 20 000 points de vente, il y a environ 4 000 librairies indépendantes, réalisant 40 % des ventes. Fortement concurrencées par les grandes surfaces, elles le sont actuellement par la vente en ligne, qui représentera une vente sur cinq - dont 80 % pour la Fnac et Amazon.

En 1981, la loi Lang a instauré le prix unique. Sur internet, la différence se fait sur la livraison, quasi gratuite.

Pour rétablir une concurrence équilibrée avec les plateformes, l'article premier fixe un tarif plancher de frais d'envoi. La commission des affaires économiques en a proposé la suppression en alertant sur les risques d'effets de bord. La hausse de prix va-t-elle pousser les acheteurs à se rendre en librairie ? Permettre aux librairies indépendantes d'accéder au marché de la vente en ligne ? Ou simplement permettre aux grandes plateformes de récupérer les frais de livraison ? L'efficacité du dispositif dépendra du tarif minimal qui sera fixé, et de la capacité des libraires à se fédérer et à communiquer.

Le site internet des librairies indépendantes référence déjà 20 millions de livres. L'achat militant comme le plan de relance sont engageants.

Le texte impose la distinction entre la vente de livres neufs et d'occasion, et améliore la saisine du médiateur du livre. Ce sont des dispositions qui font consensus ; de même que la possibilité pour les collectivités territoriales de subventionner les librairies indépendantes jusqu'à 30 % de leur chiffre d'affaires : pendant le confinement, le seul moyen pour les collectivités de les soutenir était de suspendre leur loyer.

Cette proposition de loi est une avancée réjouissante pour la cause du livre, et le groupe Les Républicains la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Bascher .  - Tout a été dit. Tout, ou presque... Préserver les librairies indépendantes, nous y sommes tous favorables : elles nous ont amenés à la lecture. Mais qui a cité Gibert Jeune, situé à quelques pas d'ici, et fermé depuis deux mois et demi ? Combien d'entre nous y ont acheté des livres d'occasion ? Pour moi, c'était plutôt des livres de taupin (sourires) mais aussi, quand même, l'Anthologie de la poésie française de Georges Pompidou...

Les étudiants n'achètent plus de livres en librairie : ils préfèrent aller sur internet. C'est vers eux qu'il faudrait se diriger.

Dès la fin du siècle dernier, on commandait sur Amazon les livres qu'on ne trouvait pas en France ; livres en anglais, ou dans d'autres langues. C'est peut-être ce tournant d'internet que nous avons manqué. N'opposons pas les librairies indépendantes à Amazon - que je cite, car il faut nommer le mal... En son temps, le groupe Fnac avait lui aussi été considéré comme une menace, puis un équilibre a été trouvé.

Le vrai enjeu, c'est de trouver de nouveaux lecteurs. C'est là que le bât blesse. Il ne sert à rien de préserver nos librairies si elles deviennent des musées, or nous y voyons, au fil des années, toujours le même public.

Il faut saluer la proposition de Laure Darcos, mais l'article premier ne suffira pas à tout résoudre. Il aurait fallu des accords librairies-Poste, sur le modèle presse-Poste, mais nous nous serions heurtés à l'article 40. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Ce sera donc pour plus tard... (Rires)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

Mme Roselyne Bachelot, ministre .  - Je remercie les orateurs pour la qualité du débat.

C'est grâce à l'action constante de l'État que notre réseau de libraires est resté si dense. Mais il faut désormais passer d'une politique de l'offre à une politique de la demande pour conquérir de nouveaux lecteurs. C'est l'objectif du pass Culture.

Ce texte recueille un large consensus, sauf en son article premier. Je vais donc m'attacher à répondre aux objections.

L'article premier conduira-t-il à un renchérissement du prix du livre ? Non. Il impose la facturation d'un minimum réglementaire en contrepartie de la livraison, dans un marché où un seul acteur est en mesure d'assurer la quasi-gratuité de cette livraison.

Cela va-t-il pénaliser les Français les plus éloignés des librairies ? Il y a 3 300 librairies en France, mais plusieurs milliers de points de vente de livres - rayons livres dans les supermarchés, maisons de la presse, espaces culturels dans les grandes surfaces... Ces Français éloignés des librairies préfèrent acheter là. L'achat de livres en ligne est plutôt le fait d'urbains favorisés.

Ensuite, la mesure serait inefficace, car elle ne changerait rien pour les petites librairies qui ne font pas de vente à distance. La loi Lang n'a pas été conçue pour les petites librairies, elle a été présentée au nom de la diversité - au sein des librairies, mais aussi de la vente en ligne, où un acteur, aujourd'hui, gagne des parts de marché croissantes. Cela ne s'explique pas par ses performances, puisque ses délais de livraison sont les mêmes qu'ailleurs, ni par la richesse de son assortiment, mais bien par la concurrence violente qu'il exerce sur les tarifs de livraison, en proposant une quasi-gratuité. C'est cette concurrence par le prix qu'il faut stopper, comme il y a quarante ans.

D'autres assurent que cette mesure serait une barrière à l'entrée : mais aucun nouvel entrant ne peut exister en pratique sur internet, face à une concurrence si dominante. De plus, un prix de livraison plus élevé peut inciter à retirer sa commande en boutique, ce qui est propice à l'achat d'impulsion.

La mesure nuira-t-elle à la pratique de la lecture ? Son érosion a des causes bien plus profondes. En réalité, entre 2000 et 2020, l'indice général des prix a progressé de 33 % ; celui du livre, de 22 %. Or la pratique de la lecture a baissé durant cette période, alors même que le livre est de moins en moins cher en termes relatifs. Le recul de la lecture tient en partie à la démultiplication des écrans.

L'augmentation de la marge du principal opérateur induite par une facturation obligatoire de la livraison est un argument recevable. Mais la régulation dont nous parlons contrarie directement la stratégie du livre comme produit d'appel - car cet opérateur sacrifie la rentabilité ici et compense ailleurs.

Le lecteur est-il pénalisé ? Cela se discute. La gratuité artificielle permet la concentration, au détriment de la diversité de l'offre éditoriale. Pour maintenir une offre stimulante et diversifiée, il faut rouvrir les canaux de diffusion dans leur variété.

Enfin, quelles sont les intentions du Gouvernement sur la tarification minimum de la livraison ? L'arrêté que je prendrai conjointement avec mon collègue ministre de l'économie aidera les libraires à créer un service de vente en ligne dans des conditions non déficitaires, tout en empêchant les rentes de situation. La marge commerciale est homogène, proportionnelle au nombre de livres vendus. Imposer un tarif élevé pour les commandes importantes ne serait pas approprié. Nous mènerons ce travail en nous appuyant sur les recommandations de l'Arcep. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques .  - Je félicite Laure Darcos pour son engagement ; toutefois, la commission des affaires économiques a émis des réserves sur cet article. Nous ne pensons pas que les prix plancher pour la livraison changeront les comportements des lecteurs, en général aisés - pas plus qu'un enrichissement immédiat d'Amazon ne fera du bien aux libraires.

Monsieur Bargeton, madame Morin-Desailly, ce sont en effet le dynamisme et la singularité des libraires qui les sauveront - avec une réforme fiscale européenne pour rétablir l'égalité entre le commerce physique et le commerce numérique.

Respectant la position de la commission de la culture, notre commission n'a pas déposé d'amendements de suppression.

Deux questions cependant, madame la ministre : avec ce texte, comment tenir la promesse du Président de la République d'un prix réellement unique du livre ?

Comment allez-vous résoudre l'inégalité qui perdurera nécessairement entre les coûts d'expédition d'Amazon et ceux des librairies indépendantes, sans compenser la différence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme L. Darcos.

Alinéa 2, première phrase

Remplacer les mots :

ne peut pas

par les mots :

ne peut en aucun cas, que ce soit directement ou indirectement,

Mme Laure Darcos.  - Cet amendement sécurise le dispositif prévu à l'article premier en évitant les stratégies de contournement.

La loi de 2014 a posé l'interdiction, pour le détaillant, de pratiquer un prix de vente au public différent de celui fixé par l'éditeur ou l'importateur lorsque le livre est expédié directement à l'acheteur.

Or, un puissant acteur économique n'a pas hésité à facturer ce service d'expédition un centime d'euro, au point de provoquer une distorsion de concurrence contraire à l'esprit de la loi du 10 août 1981.

Madame Primas, le tarif plancher contribuera à améliorer la situation des libraires, qui ne paieront plus la livraison 7 à 10 euros. Les 2 à 2,50 euros seront payés par le lecteur et non plus par le libraire.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - La précision est nécessaire pour éviter une réintroduction de la gratuité par des stratagèmes comme les cartes de fidélité. Avis favorable.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Avis favorable.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Je voterai l'amendement. Madame Primas, voilà plus de dix ans que l'on parle de la fiscalité des géants du numérique. J'espère que le règlement européen Digital Markets Act (DMA) établira les conditions d'une concurrence loyale, mais nous ne pouvons plus attendre. Le modèle économique des plateformes est toxique et il y aura toujours des stratégies de contournement. D'où la nécessité d'agir avec détermination et rapidité.

M. Pierre Ouzoulias.  - Madame Berthet, je vais répéter ce que j'ai dit en commission - de manière un peu trop véhémente, ce dont je vous prie de m'excuser.

En ne facturant pas la livraison, Amazon s'attaque au prix unique, avec une stratégie de revente à perte. (Mmes Sophie Primas et Martine Berthet le contestent.) Cette pratique n'est pas légale. Amazon cherchera une parade, n'en doutons pas. Ce qui est visé par ces entreprises, au fond, c'est la possibilité de fixer elles-mêmes les prix du marché en toute liberté. L'enjeu économique est celui-là.

Voyez la demande qui monte, outre-Atlantique, d'une loi anti-monopoles. Il faudra s'attaquer aux Gafam.

L'amendement n°2 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme L. Darcos.

Alinéa 2, dernière phrase

Remplacer les mots :

tarifs offerts par les opérateurs postaux

par les mots :

tarifs proposés par les prestataires de services postaux

Mme Laure Darcos.  - La rédaction se rapproche de la terminologie usitée dans le code des postes et des communications électroniques.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Avis favorable à cet amendement qui répond à une objection du Conseil d'État.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Avis favorable.

L'amendement n°3 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par Mme L. Darcos.

I.  -  Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

4° Les articles 8-1 à 8-7 sont abrogés.

II.  -  Après l'alinéa 7

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  L'article 7-1 de la loi n°2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique est abrogé.

Mme Laure Darcos.  - Les articles 8-1 à 8-7 de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, introduits par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, prévoient une procédure d'assermentation d'agents relevant du ministère de la Culture afin de leur accorder des pouvoirs d'enquête et de constatation des infractions.

Alors qu'il était initialement envisagé par la proposition de loi de transférer la compétence de contrôle à la DGCCRF, cet amendement supprime le dispositif introduit par la loi du 17 mars 2014, compte tenu de l'absence de mise en oeuvre de cette compétence. La DGCCRF n'exerce en effet pas, dans la pratique, cette compétence pour la vente de livres.

La suppression du contrôle des lois relatives au prix du livre par des agents assermentés peut être envisagée sereinement alors que l'institution du médiateur du livre prouve, depuis 2014, sa pleine efficacité.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Cet amendement se combine avec l'amendement n°8. La suppression du contrôle administratif proposée va de pair avec le renforcement du médiateur du livre. J'approuve cette simplification. Avis favorable.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Le médiateur du livre fait l'unanimité. Avis favorable.

L'amendement n°7 rectifié est adopté.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - Madame la ministre, permettez-moi d'y revenir : quel sera le mécanisme de facturation des frais d'expédition ? Le prix plancher sera-t-il aussi un prix plafond ? Les libraires paieront-ils la même chose qu'Amazon ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Comme je l'ai dit, un travail collaboratif sera mené avec l'Arcep. Si vous souhaitez y participer, vous êtes la bienvenue.

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL après l'article premier

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Bacchi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 1er de la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique est ainsi rédigé :

« Art. 1er.  -  La présente loi s'applique au livre numérique lorsqu'il est une oeuvre de l'esprit créée par un ou plusieurs auteurs et qu'il est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et fixé sur support physique ou qu'il est, par son contenu et sa composition, susceptible d'être fixé sur support physique, à l'exception des éléments accessoires propres à l'édition numérique. »

M. Jérémy Bacchi.  - La loi de 2011 a clarifié la place du livre numérique mais il reste des carences, notamment sur le livre audio tout numérique. Ce flou a permis à Hachette d'offrir des livres audio gratuits avec le téléchargement d'Audible, qui appartient à Amazon. La majorité des éditeurs jouent le jeu du prix unique, mais rien ne les y oblige.

Cette rectification législative assimile les livres audio tout numériques aux autres livres.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Les prix de production des livres audio peuvent varier grandement ; c'est un marché naissant qui doit trouver son modèle économique. De plus, la rédaction de l'amendement est beaucoup trop large : elle pourrait toucher les adaptations cinéma tirées de romans. Il manque un renvoi au décret. Enfin, une telle mesure devrait faire l'objet d'une concertation avec les professionnels du secteur. Avis défavorable.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Je partage pleinement cet avis argumenté. En effet, les adaptations cinéma diffusées en format numérique seraient concernées par l'amendement. Les professionnels sont très divisés sur ce sujet.

Cette proposition de loi fait consensus dans la filière. Conservons-en la philosophie. Avis défavorable.

L'amendement n°6 est retiré.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Dossus, Mme de Marco, M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Alinéa 2

Remplacer les mots :

ainsi que leurs groupements

par les mots :

, leurs groupements ainsi que la métropole de Lyon

M. Thomas Dossus.  - Cet amendement précision vise à inclure dans le champ de l'article la Métropole de Lyon, collectivité territoriale à statut particulier exerçant les compétences du département et de la communauté urbaine. La métropole compte 70 libraires indépendants.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Cet amendement semble satisfait par l'article L. 3611-4 du code général des collectivités territoriales, aux termes duquel « la Métropole de Lyon dispose des mêmes droits et est soumise aux mêmes obligations que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ». Le Gouvernement peut-il le confirmer ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - En effet, la crainte exprimée par M. Dossus est sans objet. Avis défavorable.

L'amendement n°5 est retiré.

L'article 2 est adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par Mme L. Darcos.

Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  L'avant-dernier alinéa du I de l'article 144 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les personnes et les organisations mentionnées au premier alinéa du II sont dispensées de l'obligation d'y recourir pour l'introduction d'une action en référé ou en cas d'indisponibilité du médiateur du livre. »

Mme Laure Darcos.  - Il convient de prévoir une exception à la compétence pré-juridictionnelle obligatoire du médiateur du livre sur les litiges relatifs à l'application des lois relatives au prix du livre, en ouvrant la possibilité d'une action en référé sans saisine préalable du médiateur.

Cette exception doit être réservée aux cas urgents nécessitant une intervention rapide qui n'est pas compatible avec la temporalité propre à la conciliation. Cet amendement définit les motifs susceptibles de légitimer l'absence de saisine du médiateur.

M. le président.  - Sous-amendement n°9 à l'amendement n°8 de Mme L. Darcos, présenté par le Gouvernement.

Amendement n° 8, alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Je partage l'intention de Mme Darcos, mais la rédaction mérite d'être précisée. Ce sous-amendement encadre plus strictement les cas de recours en référé en précisant le motif tenant à l'indisponibilité du médiateur du livre.

Avis favorable à l'amendement n°8, sous réserve de l'adoption du sous-amendement.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Le sous-amendement n°9 encadre mieux les relations entre les différents acteurs. Avis favorable.

La médiation peut constituer un frein à l'efficacité, quand l'urgence commande d'agir en référé. Avis favorable à l'amendement n°8.

Le sous-amendement n°9 est adopté.

L'amendement n°8, sous-amendé, est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

L'article 5 est adopté.

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Le Gouvernement souscrit pleinement à cette proposition de loi. Je lève donc le gage.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Avis très favorable.

L'amendement n°4 est adopté.

L'article 6 est supprimé.

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme L. Darcos.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs

Mme Laure Darcos.  - La notion de confiance entre les acteurs me semble particulièrement importante : cela justifie son inclusion dans l'intitulé de ce texte. Au demeurant, le faible nombre d'amendement est un témoignage de cette confiance.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - L'ajout est bienvenu. Avis favorable.

Mme Roselyne Bachelot, ministre.  - Avis très favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure.  - Je veux remercier chacun pour ce débat et cette belle proposition de loi, et adresser mes félicitations à son auteure pour ce succès.

Mme Laure Darcos.  - Vous n'imaginez pas mon émotion. Ce texte me tenait particulièrement à coeur. Merci à chacun.

Le Sénat peut s'enorgueillir de parler du livre en ces temps où se succèdent les textes régaliens. Je serai une sénatrice comblée si vous votez cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Applaudissements sur toutes les travées)

M. le président.  - J'ai rarement présidé une séance aussi unanime... Madame la ministre, revenez quand vous voulez ! (Sourires)

Prochaine séance demain, mercredi 9 juin 2021, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 20.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 9 juin 2021

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : Mmes Martine Filleul et Marie Mercier

1. Questions d'actualité

De 16 h 30 à 20 h 30

Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

2. Proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique (Procédure accélérée) (Texte de la commission, n°653, 2020-2021)

3. Proposition de loi relative à la protection sociale globale (n°430, 2020-2021)