Protection sociale globale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la protection sociale globale, présentée par M. Rachid Temal et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi a un objectif, combattre la pauvreté, et une ambition, mettre fin à une hypocrisie française.

La Constitution dispose que « la Nation offre à l'individu et sa famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Le programme du Conseil national de la résistance (CNR) prévoyait « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail ».

Notre système de protection sociale s'est développé au fil des années. Pourtant, la pauvreté s'est installée massivement et 9,3 millions de nos concitoyens sont considérés comme pauvres par l'Insee, dont un tiers d'enfants et d'adolescents ; la moitié a moins de 30 ans. Ces quinze dernières années, le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 29 ans a augmenté de plus de 50 %.

Selon le Secours populaire, un enfant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et ne mange pas toujours à sa faim.

Quelque 800 000 personnes handicapées sont en situation de pauvreté. Enfin, d'après la Fondation Abbé Pierre, près de 300 000 personnes sont sans domicile, sans parler des mal-logés.

Depuis le début de la crise sanitaire, près d'un million de personnes supplémentaires sont passées sous le seuil de pauvreté. Elle touche 11 millions de nos concitoyens, soit 17 % de la population de la sixième puissance économique mondiale !

Un phénomène participe à cet enfermement dans la précarité : c'est le non-recours aux droits.

Une enquête de 2018 démontrait que 53 à 67 % des ayants-droit ne recouraient pas à l'aide à la complémentaire santé. Selon le Secours catholique, un tiers des allocataires potentiels du RSA n'en bénéficient pas. La méconnaissance et la difficulté d'accès pèsent pour 70 % du non-recours.

J'en arrive à ce que j'ai nommé l'hypocrisie française face à la pauvreté. Nous créons des droits théoriques sans nous soucier de l'accès réel aux prestataires. Parfois, c'est l'occasion de faire des économies sur les précaires. Enfin, pour reprendre une citation célèbre, nous n'avons pas tout essayé pour lutter contre la pauvreté.

Cette proposition de loi vise à passer d'un droit théorique à un droit réel.

La pauvreté brise des vies, parfois dès la naissance. Je salue le travail des CAF et des caisses de sécurité sociale sur l'accès aux droits. Il ne s'agit nullement de les remplacer mais de les compléter.

La commission des affaires sociales reconnaît le problème du non-recours et considère que la proposition de loi a le mérite d'offrir un mécanisme applicable dans un délai raisonnable. C'est maintenant qu'il faut agir, plutôt que d'attendre un hypothétique revenu universel d'activité.

Deux visions s'affrontent : il y a ceux qui considèrent que les bénéficiaires des prestations sociales doivent être surveillés, et d'autres, comme moi, qui font de la lutte contre la pauvreté une priorité.

Pour certains, bénéficier du RSA imposerait de fournir un effort supplémentaire d'insertion. Depuis quand les droits garantis par la loi sont-ils conditionnés aux « efforts » des citoyens ? A-t-on demandé aux bénéficiaires de la suppression de l'ISF d'en manifester le souhait ?

D'autres craignent que cette proposition de loi n'entraîne un versement automatique des prestations : qu'ils soient rassurés, le mécanisme proposé repose sur une demande initiale de l'ayant-droit.

Pour d'autres enfin, réduire le non-recours aurait un coût. Mais quel modèle de société voulons-nous ? Si des droits existent, ils doivent être appliqués !

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement avait jugé qu'une telle mesure allongerait les délais, que les bénéficiaires en pâtiraient. Ce n'est plus le cas dans cette version, je vous rassure. Ces arguments sont de circonstances et, pour certains idéologiques.

Cette proposition de loi a été adoptée le 12 novembre dernier, par amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Réaffirmons notre vote !

Quel que soit le sort de ce texte, nous continuerons à porter ce combat. Il n'est plus acceptable que certains droits soient seulement théoriques et que seuls les plus précaires aient à justifier de leurs efforts pour bénéficier de leurs droits. Il en va de la vie quotidienne de millions de Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Annie Le Houerou, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Nombre de personnes éligibles aux droits et prestations sociales n'y recourent pas. Les sociologues ont relevé ce phénomène dès 1976 et des dizaines d'ouvrages l'ont abordé depuis. Le non-recours est désormais massif : un tiers des allocataires potentiels du RSA et un quart de ceux éligibles aux allocations familiales ne les perçoivent pas.

L'explication classique veut que si les personnes n'ont pas recours à leurs droits, c'est d'abord par ignorance. Le non-recours pourrait aussi être volontaire, par peur de la stigmatisation. Mais la principale cause réside dans la complexité des démarches qui découragent les demandeurs.

Pour y remédier, les organismes gestionnaires ont été responsabilisés : la lutte contre le non-recours fait désormais partie des missions des caisses de sécurité sociale. Les CAF obtiennent des résultats grâce à leurs « rendez-vous des droits ». Les modalités de repérage des personnes les plus en difficulté sont de plus en plus sophistiquées, notamment grâce aux techniques de data-mining - c'est l'article 82 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Il faut aussi mieux informer les administrés sur leurs droits. Outre les simulateurs en ligne, le portail mesdroitssociaux.gouv.fr informe les assurés ; le portail monparcourshandicap sert de guichet unique numérique. Mais on se heurte à l'illectronisme et à la fracture numérique : selon le Secours catholique, près de 55 % des personnes interrogées disent rencontrer des difficultés avec les démarches en ligne. Parmi ceux que l'association prend en charge, un tiers n'a pas ou peu accès aux outils informatiques.

Souvent, les démarches sont mal conçues : il faut les refondre et les simplifier. Le nombre de prestations devrait aussi être limité.

En juin 2018, le projet de loi sur le revenu universel d'activité devait améliorer le dispositif. Trois ans plus tard, il s'est ensablé.

Dans ce contexte, la proposition de loi de Rachid Temal est astucieuse : elle ne touche ni aux prestations, ni aux conditions d'accès. Sans tout bouleverser, elle propose un mécanisme plus opérationnel.

Elle fait peser sur l'administration et non sur l'assuré la responsabilité de frapper à la bonne porte. Ainsi, pour les prestations relatives à l'autonomie, l'admission au bénéfice de l'AAH, de la PCH, de l'APA ou de la carte mobilité inclusion entraînerait automatiquement l'examen de l'éligibilité aux autres de ces droits et prestations qui ne sont pas incompatibles.

Un même mécanisme est prévu pour les personnes à faible ressources : la prime d'activité et les trois aides au logement.

Des liens sont prévus entre ces deux groupes de prestations et reliés avec le RSA et la complémentaire santé solidaire.

Un organisme saisi se prononcerait alors automatiquement sur toutes les prestations requises, ou transmettrait l'information.

Le principe de quérabilité des aides est respecté, puisqu'il faut une demande originelle pour déclencher l'examen de l'éligibilité à d'autres prestations. Ce mécanisme existe d'ailleurs déjà pour tout bénéficiaire du RSA qui a accès à la complémentaire santé solidaire (C2S).

Cette mesure alourdirait-elle les charges de gestion des organismes délivrant les prestations ? Ce n'est pas certain. En outre, la simplification des démarches éviterait les ruptures de droits en cascade, voire dégagerait des économies.

Quoi qu'il en soit, l'essentiel est d'accorder effectivement à chacun ce qui lui revient de droit.

Cette proposition de loi n'est pas chiffrée. Mais le manque d'étude d'impact concerne surtout nos budgets annuels, qui omettent d'évaluer les économies que nous procure le découragement des plus fragiles. Le Secours catholique appelle cela des « économies honteuses », Rachid Temal a parlé « d'hypocrisie française ».

Le législateur ne peut se payer de mots. À quoi sert de renforcer les aides si les bénéficiaires n'en profitent pas réellement ? Le non-recours peut, à terme, nous coûter bien plus.

Que le Sénat soit cohérent avec ce qu'il avait voté lors du PLFSS, après avis de sagesse de la commission.

Néanmoins, la commission des affaires sociales n'a pas adopté cette proposition de loi, que je soutiens à titre personnel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État, chargée de l'éducation prioritaire .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Bourguignon, en déplacement au Danemark.

Le lien entre l'éducation prioritaire et ce texte n'est pas évident, mais il y a des ponts, comme la précarité alimentaire ou le non-recours aux bourses.

La lutte contre le non-recours aux droits, qui précarise des personnes déjà fragiles, est au coeur de notre pacte social.

Les causes du non-recours sont multiples : ignorance de l'existence de ces prestations ; complexité des démarches administratives ; plus rarement, choix délibéré.

La problématique est complexe et les solutions doivent être adaptées.

Cette proposition de loi, quoique louable, présente des faiblesses techniques et opérationnelles. (M. Rachid Témal s'exclame)

Tout d'abord, le choix des prestations ciblées interroge. II ignore que les MDPH instruisent déjà un dossier unique rassemblant les demandes d'AAH, PCH et CMI.

Par ailleurs, ce texte méconnaît la complexité de notre filet de protection sociale, notamment au regard des liens et incompatibilités entre certaines prestations. Ainsi, l'AAH peut rarement être cumulée avec la prime d'activité.

Les informations disponibles pour une allocation peuvent être insuffisantes pour en obtenir une autre. Il faudrait alors revenir vers les intéressés, au risque d'allonger les délais de traitement.

L'harmonisation des bases ressources requerrait l'autorisation de la CNIL, qui refuse l'utilisation d'une même base de données pour différentes prestations, y compris au sein du même organisme de sécurité sociale.

Un tel dispositif nécessiterait d'allouer des moyens humains et financiers considérables aux organismes concernés, déjà surchargés, pour absorber ces nouvelles charges. (M. Rachid Témal le conteste.)

La proposition de loi poursuit un objectif légitime mais souffre d'insuffisances. Le Gouvernement a agi depuis le début du quinquennat pour que chacun bénéficie des aides et prestations auxquelles il peut prétendre. (M. Rachid Témal feint de s'en féliciter)

Depuis 2018, les campagnes de datamining donnent des résultats encourageants. En 2020, 7 705 allocataires ont ouvert un nouveau droit lié à la prime d'activité grâce au repérage.

Les « rendez-vous des droits » des CAF et des MSA sont utiles pour les plus vulnérables. En 2017, 50 % des bénéficiaires de ces entretiens personnalisés ont obtenu 1,4 prestation de plus. C'est considérable !

Quelque 107 équipes mobiles des CPAM et CAF se rendent dans les structures d'hébergements temporaires, permettant plus de 4 000 nouvelles ouvertures de droits. (M. Rachid Témal estime que de tels résultats sont loin d'être satisfaisants)

Nous avons simplifié les formulaires et diminué le nombre de justificatifs requis. Nous renforçons les échanges de données entre organismes de sécurité sociale.

Des simulateurs sont mis à disposition comme le portail des droits sociaux ou le site « Ma boussole » pour les jeunes. Je vous invite à les consulter.

Nous avons lancé des travaux ambitieux sur le revenu universel d'activité, conformément à l'engagement du Président de la République. (M. Rachid Témal ironise) Un rapport public sera remis d'ici la fin de l'année.

Le défi pour le Gouvernement est grand, mais nous sommes prêts à le relever.

M. Martin Lévrier .  - Le taux de non-recours aux aides sociales reste important : entre 32 et 44 % pour la CMU-C. Entre 7,5 et 8,2 % des allocataires ne recourent pas aux aides à la famille.

Ignorance, complexité des démarches, peur de la stigmatisation, les raisons sont complexes et multiples.

M. Rachid Témal propose un système par îlots - handicap et faibles ressources - avec un examen automatique des droits pour chacun d'entre eux.

Le manquement aux obligations ainsi créé serait constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Ne risquons-nous pas d'aller ainsi vers la déresponsabilisation des allocataires ? (M. Rachid Témal le conteste)

En outre, le dispositif se heurte à des impossibilités matérielles. Le montant de certaines allocations est conditionné aux ressources, à la situation familiale ou au niveau de handicap. On pourrait demander inutilement certaines informations. Les démarches supplémentaires risquent d'allonger les délais d'obtention des prestations.

Le plan local d'accompagnement du non-recours et la plateforme d'intervention départementale pour l'accès aux soins aident les Français à accéder à leurs droits, de même que le site mesdroitssociaux.gouv.fr, ou les maisons France services : 200 millions sont prévus pour leur déploiement d'ici 2022.

N'oublions pas non plus les « rendez-vous des droits » des CAF et des MSA ou les démarches proactives des organismes afin de repérer les non-recours.

Cette proposition de loi se heurte à des impossibilités matérielles et ne prend pas en compte les actions du Gouvernement depuis 2018. C'est pourquoi le groupe RDPI ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Jean-Claude Requier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Lors de la présentation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté en 2018, le Président de la République déclarait qu'« on n'a jamais réglé le problème de la pauvreté en s'assurant que des gens n'aient pas recours à un revenu ».

Nombre de personnes éligibles aux aides sociales n'en bénéficient pas. Outre la peur d'être stigmatisé, les principales raisons sont la méconnaissance des dispositifs et, surtout, la complexité d'accès aux aides.

Les réponses comme les « Rendez-vous des droits » organisés par les CAF ont montré leur efficacité, mais restent insuffisantes.

Environ un tiers des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas, et un quart des personnes éligibles aux allocations familiales.

Avec la pandémie, le nombre de bénéficiaires du Secours populaire a augmenté de 40 %. Dans ce contexte, je remercie le groupe SER pour ce débat : la lutte contre le non-recours est en effet une question de justice sociale.

Certains pourraient penser que le non-recours permet de réaliser des économies. Mais ce sont des économies honteuses, pour reprendre la formule du Secours catholique. Comme l'a souligné Oxfam en 2015, le non-recours aux droits fait surtout obstacle à la réussite de notre politique sociale et augmente à long terme le coût de la lutte contre l'exclusion.

On ne peut que souscrire à l'objectif de lutter contre ce fléau, mais le mécanisme prévu par la proposition de loi interroge. Le revenu universel d'activité (RUA) proposé en septembre 2018 par le Président de la République, qui fusionnerait les prestations et s'accompagnerait d'une simplification des démarches, nous semble préférable ; il améliorera la lisibilité et l'équité des prestations. Le Premier ministre a récemment annoncé la reprise de la concertation sur ce sujet.

Aussi le RDSE ne votera-t-il pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Laurence Cohen .  - Alors que les débats se focalisent trop souvent sur le contrôle des bénéficiaires, cette proposition de loi a le mérite d'évoquer le non-recours aux droits et ses conséquences négatives en matière d'accès aux soins, d'exclusion sociale, d'accès au logement, d'alimentation, de réussite active et d'autonomie.

Il est inconcevable de ne pouvoir bénéficier d'une prestation faute d'avoir déposé un dossier, ou parce que les démarches sont trop complexes, ou que l'on n'a pas connaissance du dispositif.

Le coût du non-recours est supérieur à celui la fraude sociale, et l'automaticité de l'examen d'éligibilité à d'autres prestations lorsqu'une aide est octroyée constituerait un progrès indéniable. Cependant, cela pose la question de la formation des agents, dont le nombre ne cesse de reculer au gré des politiques d'austérité des gouvernements successifs.

Nous craignons aussi que le data mining ne conduise à un fichage et à un contrôle renforcé des bénéficiaires.

Enfin, la proposition de loi entretient la confusion entre la sécurité sociale, fondée sur les cotisations et gérée paritairement, et la protection sociale qui inclut la mutuelle, l'assurance, la prévoyance, les régimes de retraite et de chômage, dont la logique est tout autre.

Déjà en 2018, un amendement du député Olivier Véran prétendait introduire la notion de protection sociale dans la Constitution. Ensuite, un autre député, Thomas Mesnier, déposait une proposition de loi organique pour refonder le financement et la gouvernance de la Sécurité sociale. Enfin, dans cette même logique, la majorité sénatoriale déposait une proposition de loi organique pour refondre l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale en incluant l'assurance chômage et les complémentaires retraites.

Tout cela procède d'une reprise en main par l'État, avec un financement par l'impôt et l'intégration des assureurs privés.

On utilise la sémantique de la protection sociale pour effacer la Sécurité sociale. Pourquoi ne pas remplacer cette notion dans l'intitulé par celle de lutte contre le non-recours ?

Malgré cela, le groupe CRCE ne s'opposera pas à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Olivier Henno .  - Nous sortons à peine de l'une des plus grandes crises sanitaires de notre histoire contemporaine. Nous avons tenu ensemble grâce à la solidarité nationale, à l'engagement de nos soignants et au courage et à la discipline des Français.

L'État-providence est une chance. Mais jusqu'où doit aller la solidarité ? Comment permettre à chacun d'accéder à ses droits ?

Il n'est pas certains que les fondateurs du Conseil national de la résistance aient eu à l'esprit l'accès automatique à la solidarité nationale...

Les causes du non-recours sont multiples : complexité des démarches, ignorance ou méconnaissance des dispositifs, mais aussi non-recours volontaire par refus de la stigmatisation. Il touche davantage les plus précaires, les personnes isolées.

L'automaticité remet en cause le principe de démarche personnelle de l'assuré, signe de son adhésion au système de protection sociale. Depuis quelques années, l'État et les collectivités ont instauré des portails d'information et des simulateurs de droits ; les caisses d'allocations familiales (CAF) ont mis en place des « rendez-vous des droits ». S'il faut faire davantage contre le non-recours, il convient surtout de renforcer l'accompagnement individuel.

Cette proposition de loi, comme celle de Rémi Cardon qui étend le RSA aux 18-25 ans, pose la question sous-jacente du revenu universel d'activité. Les réflexions de Christophe Sirugue et la mission d'information menée par Jean-Marie Vanlerenberghe serviront de base à ce débat, qui devra intégrer toutes les dimensions du sujet : la solidarité, l'évaluation financière, la valeur travail, qui structure notre société.

En attendant, il n'est pas opportun de nous engager dans une démarche aussi complexe.

M. Rachid Temal.  - Toujours plus tard !

M. Olivier Henno.  - La réponse apportée par la proposition de loi est incomplète et insatisfaisante ; le groupe UC ne la votera pas.

M. Édouard Courtial .  - La solidarité nationale est la traduction du principe de fraternité. Il faut s'assurer qu'elle atteigne tous ceux qui en ont besoin.

Depuis 1945, notre pays s'honore de cette solidarité, sans cesse étendue.

Nous observons cependant un fort non-recours. Les dispositifs ne sont pas toujours connus, les démarches sont souvent jugées complexes et certains n'ont pas accès aux outils informatiques. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Comme président du Conseil départemental de l'Oise, je me suis efforcé de garantir l'accessibilité des aides, en rappelant qu'elles sont le fruit du travail des Français. Il faut remplir les promesses que la République a faites à ses enfants les plus fragiles.

La proposition de loi classe les prestations en deux catégories - les aides liées à un handicap et celles liées à de faibles ressources - et prévoit que l'accès à une prestation sociale déclenche automatiquement l'examen d'éligibilité aux autres.

Elle n'est cependant pas satisfaisante. D'abord certaines prestations comme l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et l'allocation de l'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) ne sont pas concernées.

Ensuite, la répartition des responsabilités entre l'organisme qui notifie l'éligibilité et celui qui verse la prestation n'est pas précisée.

Le transfert de données entre les différents organismes nécessiterait d'importants moyens humains et techniques.

Enfin, le problème du non-recours est réel, mais les efforts menés aussi, notamment grâce aux acteurs associatifs que sont le Secours catholique, les Restos du coeur, la Croix-Rouge ou la Fondation Abbé-Pierre qui délivrent des aides. Faut-il placer entièrement la solidarité sous la responsabilité de l'État ? Je ne le crois pas.

Ce texte pose davantage de difficultés qu'il n'offre de solutions : le groupe Les Républicains ne le votera pas.

M. Rachid Temal.  - « C'est bien, mais... »

M. Joël Guerriau .  - Cette proposition de loi automatise l'examen de l'éligibilité à plusieurs prestations pour lutter contre le non-recours. La moitié des personnes éligibles au RSA et à la CMU-C n'en bénéficient pas par ignorance, en raison de la complexité des démarches ou par refus de la stigmatisation.

Nous partageons la volonté de trouver des solutions pragmatiques et pérennes. Ce texte reprend un amendement voté dans le PLFSS 2021 contre l'avis du Gouvernement, qui lui préfère un versement social unique dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté.

La première étape de ce plan est enclenchée, avec la révision des règles de calcul pour une meilleure prise en compte de la situation des bénéficiaires. La deuxième est la simplification des démarches administratives.

L'automaticité de l'examen de l'éligibilité pourrait être envisagée, mais elle appelle des réserves : la responsabilisation et l'accord des bénéficiaires doivent primer.

Le groupe INDEP remercie Rachid Temal pour son initiative, mais ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Je remercie le groupe SER pour cette initiative, alors que la crise et la contre-réforme de l'assurance chômage risquent d'accroître le nombre de bénéficiaires du RSA.

Cette proposition de loi renoue avec la démarche propre au travail social, qui s'attache aux besoins et à la situation globale de la personne, au-delà de la demande initiale des droits.

Le principe de quérabilité n'est pas remis en cause, le conditionnement et le périmètre des droits ne sont pas modifiés.

S'attaquer au non-recours, c'est aller au-delà du constat pour passer à une obligation de moyens afin que les organismes assument leur mission première de protection contre les risques et de réduction des inégalités. L'accès aux droits est de la responsabilité du politique.

Écartons l'argument financier, sauf à dire que l'on table, dès la conception d'une aide, sur une part de non-recours.

La protection sociale, par souci d'économie, se concentre sur un public de plus en plus restreint. Le refus de la stigmatisation conduit ainsi au non-recours, alors que le discours sur l'assistanat sature le débat public.

Le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Michelle Meunier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi vise à rendre concret le fruit de la solidarité nationale.

Loin de relever de l'assistanat, elle acte que certaines situations ouvrent des droits, qu'elles soient liées à la condition du bénéficiaire - perte d'autonomie liée au vieillissement, à la maladie ou au handicap - ou au faible montant de ses revenus, qui appelle une redistribution.

La rapporteure a rappelé les aides concernées et leurs objectifs. Les conquêtes de notre histoire sociale sont précieuses, elles nous obligent à faire du sur-mesure pour ne laisser personne au bord du chemin.

Pourtant, tous ne parviennent pas à s'en sortir, alors que, en même temps, beaucoup de personnes qui pourraient être épaulées par la solidarité nationale n'y ont pas accès faute d'avoir su ou pu faire instruire leurs droits. Cela concerne un cas sur dix pour les aides au logement, un sur trois pour la CMU complémentaire, deux sur trois pour l'aide à la complémentaire santé.

Ce texte répond à une partie du problème : l'instruction insuffisante des dossiers.

Malgré un constat partagé, pour la majorité sénatoriale l'urgence est relative. La solution retenue n'est pas idéale, des organismes de sécurité sociale seraient décriés, on ferait peser une charge injuste sur les collectivités... Pour d'autres, l'instruction automatique éloigne de la valeur travail ; certains entendent veiller à l'équilibre des comptes sociaux ; les derniers évoquent des contreparties...

L'automaticité n'est pas l'alpha et l'oméga de notre approche. Nous refusons les économies faites par le Gouvernement sur le dos des plus précaires. La baisse des APL puis leur contemporanéisation se feraient au détriment des plus précaires, en particulier des jeunes actifs.

Nous prônons un accompagnement humain des plus fragiles. L'instruction automatique libérera du temps pour les personnels - conseillers économiques et sociaux, au plus près des familles, en maraude dans les rues, en veille devant les établissements scolaires et les hôpitaux.

Les sciences sociales mettent en évidence diverses raisons au non-recours. L'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) souligne que certains bénéficiaires redoutent la stigmatisation. Pour ces personnes, faisons en sorte que fraternité ne rime pas avec indignité !

D'après le président de l'Odenore, Philippe Warin, les élus ont compris que le non-recours entraînerait des dépenses supplémentaires à terme. Rien que pour cette raison, il vaut la peine de voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Christian Klinger .  - La sécurité sociale exprime notre conception de l'égalité et de la fraternité à travers l'État-providence.

Le non-recours aux droits sociaux est un phénomène bien réel, complexe et mal connu. Le recours à l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) se situe seulement entre 33 % et 47 % ; il est de 77 % pour la prime d'activité.

Les chiffres sont difficilement exploitables. Les raisons du non-recours sont diverses, mais la complexité des démarches y est pour beaucoup. Les bénéficiaires potentiels manquent de connaissances et de compréhension. Le non-recours touche particulièrement les plus fragiles.

Cette proposition de loi vise à remédier à ce problème via l'examen automatique de l'éligibilité des personnes. Ce mécanisme appelle de nombreuses réserves.

D'abord, le périmètre retenu n'englobe pas toutes les prestations.

Il y a aussi des difficultés concrètes de mise en oeuvre pour les caisses et les organismes de sécurité sociale. Ces derniers mettent déjà en place des mesures pour contrer le non-recours.

Enfin, le texte ne vise que ceux qui ont déjà formulé une demande de prestation, excluant les publics les plus éloignés.

Cette proposition de loi n'est pas une solution satisfaisante. Il faut prendre le problème par le bon bout en engageant une grande démarche de simplification de notre protection sociale.

En 2018, Gérald Darmanin, alors ministre des comptes publics, avait confessé ne pas connaître toutes les aides existantes... Comment le simple citoyen s'y retrouverait-il dans cette tuyauterie si même le plombier en chef s'y perd ?

Il faut une approche globale du problème, en prenant également en compte la fraude sociale, évaluée à 1 milliard d'euros par la Cour des comptes et en augmentation continue... (M. Rachid Temal s'indigne.) En 2017, elle était estimée à 850 millions d'euros. Il y aurait aussi 2,4 millions de bénéficiaires fantômes de l'assurance maladie.

Trop peu est fait pour lutter contre ce phénomène ; les systèmes de contrôle, souligne la Cour des comptes, sont insuffisants.

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE UNIQUE

M. Rachid Temal .  - Le non-recours est un vrai fléau et nous sommes d'accord pour le combattre.

Certains orateurs disent qu'il faudrait intégrer d'autres prestations, d'autres que le mécanisme est trop complexe. Mais pourquoi n'ont-ils pas déposé d'amendements ?

Les pauvres apprécieront la sagesse du Sénat consistant à ne rien faire... J'ai compris : il est urgent d'attendre !

Quant au Gouvernement, dont la ministre a voulu souligner la volonté, son bilan est éloquent : baisse des APL et des allocations chômage.

Votre démarche active, c'est de proposer un rapport en fin d'année... Les bras m'en tombent ! Où est la conviction, où sont les propositions ?

Ce texte n'est pas parfait mais il méritait mieux que l'absence d'amendement et un scrutin public pour sauver la majorité qui - comme l'Allemagne au football, disait Gary Lineker - gagne toujours à la fin...

M. René-Paul Savary .  - Avant de voter une nouvelle loi, il faudrait appliquer ce qui existe. Le décret en Conseil d'État prévu sur les catégories de données utilisées faisant l'objet d'un partage entre organismes et les garanties données aux usagers est toujours en préparation.

La majorité sénatoriale n'a pas à rougir de ses politiques sociales. C'est nous qui avons créé le RSA.

M. Rachid Temal.  - Et nous qui avons créé le RMI !

M. René-Paul Savary.  - L'essentiel à nos yeux, c'est l'équilibre entre les droits et les devoirs. Or l'instruction automatique ne favorise pas la conscience des devoirs.

M. Temal a évoqué le problème des silos. Certes, le croisement des données est intéressant. Cependant, proposer un partage des données numériques laisse en dehors les cas les plus difficiles, ceux qui n'entrent dans les critères d'aucune prestation. Le data mining n'est pas inutile pour repérer le non-recours ; je l'avais pratiqué en tant que président de conseil départemental.

Le texte ne mentionne pas d'avis de la CNIL sur les partages de données ; or l'expérience montre que dans ce domaine, nous nous heurtons souvent à un certain manque d'ouverture d'esprit de la part de cette commission.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le dernier orateur de la discussion générale est revenu sur la fraude sociale, évaluée à un milliard d'euros. Le montant du non-recours, je le rappelle, est de 13 milliards...

Je relève aussi que lorsque la majorité sénatoriale a présenté une proposition de loi contre la fraude sociale, la question des partages de données semblait moins problématique !

Lutter contre le non-recours dans le cadre des droits existants ne signifie pas que ceux-ci seraient parfaits. Simplement, un tiers de ceux qui devraient toucher le RSA n'y ont pas accès. Nous avons une obligation de résultat. C'est pourquoi nous voterons la proposition de loi.

Le Secours catholique, plusieurs fois cité dans la discussion, demande un revenu minimum garanti sans contrepartie. C'est un autre débat, tout aussi nécessaire.

Ne pas déposer d'amendements reflète une absence de volonté de s'attaquer au non-recours.

D'aucuns ont parlé de devoirs pour les bénéficiaires : où sont les devoirs exigés des entreprises en contrepartie des milliards du CICE ? (Mme Michelle Meunier applaudit.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'ensemble de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°130 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 92
Contre 238

Le Sénat n'a pas adopté.

Prochaine séance demain, jeudi 10 juin 2021, à 10 h 30.

La séance est levée à 19 h 20.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 10 juin 2021

Séance publique

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

Présidence : M. Pierre-Laurent, vice-président M. Roger Karoutchi, vice-président

Secrétaires de séance : M. Loïc Hervé - M. Pierre Cuypers

1. Proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine LEVI et plusieurs de ses collègues

2. Proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Mme Anne-Catherine LOISIER

À l'issue de l'espace réservé au groupe UC

M. Roger Karoutchi, vice-président

3. Débat sur le thème : « Revitalisation des centres-villes : quelles stratégies, quels résultats ? »

4. Débat sur le thème : « Quelle portée de l'intervention du Parlement dans l'élaboration du projet de loi de finances ? »