Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, modifié par lettre rectificative, relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Voilà près de quarante ans, Gaston Defferre présentait ici même la première loi de décentralisation. Douze lois ont suivi, procédant toutes de l'idée que, face aux défis auxquels nos sociétés sont confrontées, l'action publique ne peut être menée à distance de nos concitoyens.

La France a fait le choix de tourner la page de sa longue histoire centralisatrice. Michel Rocard disait que cette tradition avait forgé à la fois nos institutions et les mentalités collectives. Il déclarait aussi, dès 1966 : « Le cadre centralisateur se heurte aux réalités territoriales ».

Ces lois, nous en sommes les héritiers. En quarante ans de vie politique, j'en ai été témoin et acteur. Maire, j'ai vu émerger le grand élan de l'intercommunalité ; j'ai vu les départements monter en puissance, les régions devenir des acteurs incontournables, les services déconcentrés de l'État s'éloigner. J'ai aussi vu grandir la vague silencieuse de l'abstention qui nous place devant nos responsabilités. Nous devons donc saisir cette occasion pour redonner du souffle à notre démocratie. Gardons cette exigence à l'esprit.

Ce projet de loi traduit l'engagement du Président de la République de promouvoir une nouvelle donne fondée sur la confiance des territoires, l'efficacité de l'action publique et la stabilité institutionnelle.

Je sais la lassitude des élus face à l'impression, depuis 2010, d'une réforme continue et sans fin qui n'a pas renforcé la légitimité et la lisibilité de l'organisation territoriale.

Je souhaite par conséquent stabiliser la répartition des compétences et simplifier leur exercice. Ayant parcouru vos territoires pendant dix-huit mois, j'ai entendu les attentes fortes des élus locaux, qui veulent pouvoir adapter plus finement leur action aux réalités territoriales.

La crise sanitaire a montré à quel point la souplesse et l'agilité sont des valeurs cardinales de l'action publique. La différenciation, fil rouge de ce texte, redonne toute sa force au principe d'égalité. Celui-ci, quand il se traduit par l'uniformité, n'assure plus l'égalité des chances sur les territoires, soulignait le Président de la République en 2017. Depuis quatre ans, la différenciation est la boussole de notre action au service de la cohésion des territoires.

Une République différenciée n'est pas une République morcelée ; elle valorise les différences sans chercher à les niveler. Elle suppose un État plus agile, réactif, une administration plus efficace qui simplifie ses procédures.

C'est le sens des quatre D qui constituent l'architecture de ce texte. Je remercie les rapporteurs et tous les groupes, qui ont réalisé un travail constructif. Nos débats seront francs, je le sais, mais le projet de loi en sortira enrichi.

Le titre premier affirme le principe de différenciation, pierre angulaire du texte, renforce les possibilités d'extension du pouvoir réglementaire local, élargit la participation citoyenne, augmente l'effectivité des conférences territoriales de l'action publique (CTAP) afin que les collectivités définissent librement le bon niveau d'exercice des compétences. Ce texte n'est pas le lieu de revenir sur le débat entre communes et intercommunalités.

Le titre II donne de nouveaux moyens aux collectivités territoriales pour mener des politiques de transition environnementale, notamment en matière de mobilité. Il donne de la cohérence à la décentralisation de la gestion des routes, entamée il y a dix ans. Les préfets pourront poursuivre, si nécessaire, les concertations locales pour aboutir à une carte finale en 2022. Notre objectif est de renforcer la qualité de service pour nos concitoyens en réduisant le nombre d'interlocuteurs. Ce titre renforce également l'action des collectivités en matière de biodiversité et donne aux maires des marges de manoeuvre sur l'accès aux espaces naturels protégés.

Le titre III donne des outils aux collectivités en matière d'aménagement du territoire et d'habitat. La loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) a des impacts très concrets pour nos concitoyens comme pour les communes, qui veulent concilier l'accueil de nouvelles populations et le respect de l'équilibre des territoires. Nous avons adopté une approche exigeante mais réaliste, qui prend en compte les marges de manoeuvre réelles des communes dans le rattrapage. Nous trouverons, j'en suis sûre, le bon équilibre.

Les outils d'intervention en matière d'urbanisme seront renforcés : c'est une priorité de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). La récupération par les collectivités territoriales des biens sans maître, très attendue, sera accélérée.

Le titre IV vise à renforcer la cohésion sociale et la sécurité sanitaire. Nous réformons la gouvernance des agences régionales de santé (ARS) pour y associer davantage les élus locaux ; je veillerai à ce qu'elle reste équilibrée. Les capacités d'action des collectivités territoriales pour renforcer l'offre de soins seront renforcées.

La possibilité de recentralisation du RSA, soumise à expérimentation, est un enjeu de justice sociale et territoriale.

Le titre V comporte diverses mesures en matière financière et statutaire.

Le titre VI remet l'action de l'État au plus près des territoires, pour un accompagnement sur mesure des projets territoriaux. La création de l'ANCT et la territorialisation du plan de relance procèdent de cette logique. Une disposition facilitera le recours des collectivités territoriales à l'ingénierie du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Le préfet de département sera le délégué territorial de l'Agence de la transition écologique (Ademe) pour unifier la parole de l'État sur le territoire. Enfin, le programme France Services sera conforté.

Les mesures de simplification de l'action publique, très attendues par les élus locaux, sont l'objet du titre VII : partage de données entre administrations, fonctionnement des institutions locales et des établissements publics. Nul doute que vous enrichirez ce titre.

Le titre VIII porte diverses dispositions relatives à l'outre-mer. Issu d'une vaste concertation, il répond à des attentes fortes.

« Quarante ans est un âge terrible. Car c'est l'âge où nous devenons ce que nous sommes », disait Charles Péguy. (MM. Jean-Pierre Sueur et Loïc Hervé applaudissent.) Quarante ans après la première pierre de la décentralisation, ce texte est une occasion de conforter les relations entre la République et les territoires, sans bouleverser notre organisation territoriale.

Nous traçons le chemin bien français d'une unité républicaine qui reconnaît aussi la diversité des territoires comme une richesse inestimable.

Nos modalités d'action sont doubles. D'abord, nous réarmons les territoires grâce aux services dédiés de l'État. Chaque jour, mon ministère dessine un nouvel aménagement du territoire fondé sur la contractualisation avec toutes les collectivités, à travers les programmes Action coeur de ville, Petites villes de demain, Territoires d'industrie, France Services.

La seconde modalité d'action est législative, avec l'amélioration du cadre de l'exercice des compétences territoriales commencée avec la loi Engagement et proximité et poursuivie dans ce texte de confiance, construit avec et pour les élus locaux, qui sera enrichi par votre travail. La différenciation, socle de notre action, est la seule voie d'une décentralisation vivante.

Nous avancerons ensemble, j'en suis certaine. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois .  - Nous voici au rendez-vous d'une promesse présidentielle parfois perdue de vue - et je salue votre ténacité sur ce sujet, madame la ministre. Le Sénat vous regarde avec bienveillance mais aussi exigence. Faisons fi des 4D et passons directement au « E » d'efficacité.

L'heure n'est pas au bouleversement institutionnel, mais à la décentralisation de la confiance et de la responsabilité. C'est la leçon des gilets jaunes, de la crise sanitaire et de l'abstention tragique que nous avons connue aux dernières élections.

S'appuyant sur cinquante propositions formulées par notre assemblée, approuvées par plus de 3 200 élus consultés et leurs instances représentatives, le Sénat a proposé un champ des possibles cohérent, réaliste, pragmatique et consistant.

La différenciation n'est pas une invention redoutable puisqu'elle est déjà présente dans les lois Littoral, Montagne ou encore pour l'outre-mer. Elle doit désormais être affirmée comme un élément constitutif de la loi.

Nous avons réécrit l'article premier, trop anodin à nos yeux, pour permettre la délégation de compétences territoriales au sein des intercommunalités et définir la notion d'intérêt communautaire.

Finissons-en avec un État de circulaires et de règlements sclérosants. Sur la décentralisation, visons juste : ni big bang, ni mesures timides et hasardeuses. Appliquons le principe de subsidiarité avec ambition. La médecine scolaire restera défaillante si elle n'est pas rattachée au département ; idem pour les gestionnaires de lycées et collèges.

L'heure de vérité, ou bien celle de la dérobade ou de la désillusion : c'est ici et maintenant !

M. Max Brisson.  - Très bien !

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Le Sénat ne pourra faire adopter ses propositions sans que le Gouvernement lève le gage lié à l'article 40. Madame la ministre, vous avez tendu un fil, ténu. Le Sénat vous tend la main à son tour, avec une ambition : l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre.

Les collectivités sont de remarquables faiseurs. Appuyez-vous sur elles, sinon la démocratie se fracturera comme les icebergs. Nous avons rendez-vous avec notre devoir d'efficacité, ici et maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP)

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Quarante années nous séparent de la première loi de décentralisation de Gaston Defferre. Cela semble loin. Ce projet de loi est bien loin d'être le nouvel élan de la décentralisation et de la déconcentration annoncé par le Président de la République en juillet 2017.

L'an dernier, le Sénat a émis des propositions, dans une attitude constructive. Nous avons été déçus. Nous essaierons malgré tout d'améliorer ce texte en faisant route commune avec vous - mais il faudra pour cela que le Gouvernement accepte une partie de nos propositions. Derrière un texte éminemment technique, il y a un souhait de proximité et de lisibilité d'une action publique perçue comme trop lointaine.

Nous souhaitions que le préfet de département soit la porte d'entrée de l'action de l'État, que des réponses concrètes soient apportées aux difficultés révélées par la crise sanitaire, en associant le président de la région à la gouvernance des ARS. Nous voulions aussi être entendus sur l'exercice facultatif de la compétence eau.

Comment parler de décentralisation sans parler de moyens ? Le volet financier est le grand absent de ce texte.

Les Français attendent des décisions au plus près de leur quotidien. Nous ne sommes pas là pour déconstruire ce qui existe, mais pour mettre de l'huile dans les rouages. Vous avez devant vous 348 hommes et femmes qui font remonter les problématiques de leur département.

La porte s'est entrebâillée, avant de se refermer avec votre refus d'entendre nos propositions. Il reste un mince filet de lumière... Avançons pour être utiles à nos territoires, et qui vivra verra. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Alain Richard et Daniel Chasseing applaudissent également.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques .  - La commission des affaires économiques a reçu délégation au fond sur trois sujets dont chacun aurait mérité un projet de loi : la révision de la loi SRU, l'évolution des règles d'attribution des logements sociaux et l'extension des compétences des organismes de foncier solidaire (OFS). Nos travaux se sont appuyés sur deux rapports que j'ai présentés avec Valérie Létard.

Sur le premier sujet, nous constatons trois avancées : la prolongation du dispositif SRU sans date butoir ; le rattrapage différencié et contractualisé par le contrat de mixité sociale (CMS) entre le maire et le préfet ; la réforme des exemptions. L'échéance de 2025 était irréaliste pour beaucoup de communes. (MMAndré Reichardt et François Calvet approuvent.) Depuis vingt ans, la moitié des logements construits le sont dans des communes SRU. Mais la rigidité de la loi décourage les maires.

C'est pourquoi la commission des affaires économiques a assoupli le dispositif, renforçant le couple maire-préfet, supprimant les sanctions que la Cour des comptes a jugées inutiles et inefficaces.

M. François Calvet.  - Très bien.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis.  - Appauvrir les communes avec des sanctions financières qui les empêcheront d'atteindre leurs objectifs est un contresens. Nous préférons flécher les pénalités pour carence vers la construction de logements sociaux.

Enfin, nous proposons la mutualisation des objectifs SRU au niveau de l'intercommunalité, dans le cadre de contrats intercommunaux de mixité sociale (CIMS).

Nous avons adopté trois dispositions contre les ghettos, car la loi SRU n'a pas atteint ses objectifs de mixité sociale. Nous voulons favoriser la production des logements les plus sociaux, financés par le prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), en les majorant de 50 % dans le décompte SRU tout en minorant de 25 % les logements les moins sociaux, les PLS, financés par le prêt locatif social.

Nous avons également retenu le principe d'une loi SRU à l'envers : dans une commune comptant plus de 40 % de logements sociaux, il ne devrait plus être possible de construire des logements très sociaux.

La commission s'est opposée à l'habilitation demandée par le Gouvernement pour faire des OFS un outil généraliste d'aménagement pour un large spectre de ménages, sans plafond de revenus. Au contraire, il convenait de conforter cet outil qui permet de dissocier le foncier du bâti pour faciliter l'accession sociale à la propriété. Nous proposons donc d'ancrer les OFS dans le service d'intérêt économique général (SIEG) qui définit le logement social.

Reconnaissant les avancées du texte, la commission s'est voulue constructive et a travaillé à améliorer le texte. Mais des différences de point de vue demeurent... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires sociales a examiné dix articles relatifs à la santé et aux compétences sociales et médico-sociales des collectivités territoriales. Il s'agit de dispositions disparates et de faible portée, allant de la protection de l'enfance au grand âge.

Nous sommes allés plus loin que le projet de loi sur la place des élus locaux dans la gouvernance des ARS. La crise sanitaire a montré la nécessité d'un plus fort ancrage territorial des politiques de santé ; c'est pourquoi nous avons confié la coprésidence du conseil d'administration des ARS au président du conseil régional, aux côtés du préfet de région. Nous avons rééquilibré la représentation des collectivités territoriales et celle de l'État. Les prérogatives de l'instance ont également été étendues, pour correspondre à celles d'un véritable conseil d'administration : le projet régional de santé sera soumis à son approbation.

L'article 32 relatif à la participation des collectivités territoriales au financement des investissements de santé a suscité des craintes d'un désengagement de l'État. Nous l'avons mieux ciblé.

Sur le volet social et médico-social, nous avons supprimé l'article 35 prévoyant l'expérimentation d'une recentralisation de la gestion du RSA. Certes, la mesure répond à une demande du département de Seine-Saint-Denis, asphyxié par les dépenses sociales, mais c'est une question de principe. Nous n'avons reçu aucun élément d'évaluation sur les expérimentations menées depuis 2019 en Guyane, à Mayotte et à La Réunion.

À l'article 36, la commission a conservé la compétence départementale de coordination du développement de l'habitat inclusif ; elle a en revanche supprimé la compétence de coordination d'adaptation des logements au vieillissement de la population, prématurée alors qu'un projet de loi sur le grand âge est annoncé.

Nous avons également supprimé l'article 38 qui organise le transfert de la tutelle des pupilles de l'État au conseil départemental, dont les conditions d'application manquent de précision. Il est préférable d'y revenir dans le cadre du projet de loi sur la protection de l'enfance.

La commission des affaires sociales a cherché à donner une cohérence à ces mesures et à renforcer l'ambition du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. Daniel Gueret, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) L'examen de ce projet de loi, attendu depuis plus de deux ans, suscitait de fortes attentes des territoires.

Je suis, comme mes collègues rapporteurs, déçu par ce texte : bien que touffu, il est très en deçà des promesses du Gouvernement et ne répond pas à l'engagement du Président de la République de rénover la démocratie locale.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a été saisie de plusieurs dispositions relatives aux transports. L'article 9 prévoit la possibilité de transférer les petites gares aux régions, ce qui est une chance pour l'environnement et l'aménagement des territoires ruraux ; notre commission a prévu des garde-fous : ces lignes continueront à remplir des conditions d'interopérabilité et de sécurité avec un socle commun à toutes les régions. L'établissement public de la sécurité ferroviaire le leur transmettra. En outre, le maintien de la qualité doit être assuré. Il doit y avoir un contrat de performance avec les futurs gestionnaires de réseaux.

Autre sujet : la biodiversité. La possibilité du transfert des sites Natura 2000 aux régions prévue à l'article 13 est l'une des seules mesures de décentralisation du texte. Notre commission a renforcé la place des régions, conformément à leur rôle de chef de file en matière de biodiversité : elles seront consultées sur toute création de site.

À l'article 62, nous avons souhaité mieux concilier patrimoine paysager et protection de la biodiversité. En pratique, certains propriétaires seraient empêchés d'abattre des arbres sur leur terrain s'il jouxte un axe de communication. Cela ne concernera plus que les voies publiques, et non les voies privées.

Nous avons adapté certaines normes relatives au loup, cela concerne des communes de montagne.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a enfin renforcé les garanties aux collectivités territoriales pour les transferts volontaires de routes, ou sur la place des collectivités territoriales dans la gouvernance de l'Ademe et des ARS.

Nous avons travaillé dans un esprit constructif, espérant que ce projet de loi ira jusqu'au bout. Conformément au souhait du président Larcher, le Sénat a été au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Didier Marie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après trois changements de titre, voici enfin ce projet de loi annoncé depuis plus de deux ans, à la suite du Grand débat organisé par le Président de la République pour éteindre l'incendie des gilets jaunes.

À l'époque, la question était de savoir s'il y avait trop d'échelons, s'il fallait plus de décentralisation, si l'on devait renforcer certaines compétences - et, si oui, à quel niveau ? Le Président de la République voulait changer le mode d'organisation de notre République et, in fine, réformer la Constitution en ce sens.

Qu'en reste-t-il ? Un texte comportant 83 articles de détail - 158 après son passage en commission - soit un mélange hétéroclite, sans cohérence. Cela ne fait pas une architecture.

Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) a rendu un avis très négatif ; le Conseil d'État a critiqué le caractère limité des mesures et a relevé les nombreuses lacunes.

Le Gouvernement entérine avec ce texte la fin des grandes réformes. Il tente de boucher les trous et, au prétexte de simplification et de pragmatisme, complexifie en multipliant les dérogations.

Rien ou presque sur le grand sujet des relations financières entre l'État et les collectivités territoriales, hormis trois articles anecdotiques au titre V, alors que nous demandons chaque année l'instauration d'un projet de loi de financement des collectivités territoriales.

Après les 65 % d'abstention aux élections départementales et régionales, le texte reste muet sur la démocratie participative, à l'exception du droit de pétition à l'article 4.

Sur la parité, la participation citoyenne, nos amendements ont été jugés contraires à l'article 40 ou repoussés par les rapporteurs.

Le dialogue État-collectivités territoriales fait défaut depuis l'échec de la Conférence des territoires.

Nous avons toutefois tenté d'améliorer ce qui pouvait l'être : assouplissement des délégations de compétences aux collectivités territoriales, coordination des services publics de l'emploi confiée aux régions, possibilité, pour les métropoles, d'être autorités organisatrices de mobilité (AOM)...

Le logement aurait dû faire l'objet d'un texte à part, tant les lacunes sont importantes.

Il y a quelques points positifs, je songe à l'extension à tous les départements frontaliers des compétences récemment attribuées à la collectivité européenne d'Alsace ou à la clarification du droit funéraire chère à Jean-Pierre Sueur. C'est peu.

Il y a beaucoup de regrets : une réécriture de l'article premier à la marge ou un article premier bis limité puisque n'imposant pas au Premier ministre de répondre dans un délai fixé à la demande de différenciation.

L'article 35 sur l'expérimentation de la recentralisation du RSA est malheureusement supprimé.

Je regrette l'absence de dispositions sur la gouvernance hospitalière. Nous serons vigilants sur le titre III et les dérogations prévues à la loi SRU.

Nous regrettons aussi les coups de canif donnés à l'intercommunalité, comme le caractère facultatif du transfert par les communes des compétences eau et assainissement. Le renforcement du pouvoir du préfet sur l'Ademe et sur les agences de l'eau est regrettable.

Le projet de loi fait constamment le grand écart entre des titres ronflants et un contenu pauvre. Alors que la crise a montré le besoin de proximité, ce Gouvernement a fait le choix d'un texte sans souffle qui ne remédie pas à la méfiance des citoyens.

Nous attendions 4D majuscules ; nous n'obtenons qu'un d minuscule, celui de la déception. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Stéphane Ravier .  - Par les lois de réforme des collectivités territoriales (RCT), portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), les gouvernements de droite et de gauche successifs ont créé un grand bazar administratif qui éloigne les citoyens du terrain. Perdus dans ce dédale administratif, les Français ont aussi perdu le chemin des urnes.

Ce texte 4D relève d'un cinquième D, celui de la déception. Paradoxalement, le Gouvernement qui voulait faire de la Nation une start-up refuse de remettre en cause la suradministration de la France, qui rappelle l'enchevêtrement de bailliages, de sénéchaussées, de gouvernements et de généralités de la fin de l'Ancien régime...

Un Marseillais a affaire à huit niveaux d'administration : la mairie de secteur, la mairie centrale, le conseil des territoires, la métropole, le département, la région, l'État et, bien évidemment, l'Europe ! C'est une source de confusion, un frein à la démocratie, un accélérateur de dépenses publiques et de clientélisme.

Les communes sont la cellule de base de notre démocratie. Leurs élus, au contact des réalités et des besoins, souvent bénévoles, se heurtent aux « monstropoles » avides de pouvoir mais incapables d'assumer leurs responsabilités.

Une loi de décentralisation devrait être construite autour du principe de subsidiarité. Mais c'est l'inverse qui se produit : à force d'imposer la rationalisation administrative et l'idéologie du déracinement permanent, on fait table rase et des communes et des départements. La coopération intercommunale pourrait être initiée par les départements au lieu d'être imposées avec les EPCI. On supprimerait ainsi une strate administrative.

Poussons la logique de différenciation jusqu'au bout avec des régions à taille humaine. Le triptyque État-département-commune doit orienter nos travaux.

M. Alain Marc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. François Calvet applaudit également.) Le millefeuille territorial a été suffisamment éprouvé. Les élus ne veulent pas de grand chambardement, mais plus de facilités pour l'action publique. Ils sont au contact des difficultés sur un chemin de crête, voire un chemin de croix, face aux menaces de contentieux. Je viens de recevoir un SMS m'annonçant qu'un maire aveyronnais s'est vu condamner à six mois de prison avec sursis parce qu'un jeune, à l'occasion d'une fête, s'est tué en tombant d'un mur...

D'aucuns se plaignent du manque d'ambition de ce texte. Je rappelle que les lois Engagement et proximité et ASAP ont été votées durant ce quinquennat, alors que les élus étaient déjà confrontés à la crise.

Mais souvenez-vous de l'attestation de déplacement : cela montre tout le génie administratif français...

Épargnons nos collectivités territoriales de l'inflation normative. Votons seulement des dispositions utiles.

La commission des lois a enrichi ce projet de loi dans un délai très restreint. Nous nous félicitons du transfert de compétences à la carte entre commune et EPCI et de la suppression - souhaitée par de très nombreux élus - du transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement. Attention aux dérogations...

Éclaircissons la mangrove normative, et votons des amendements de clarté et simplicité.

Silence vaut acceptation après six mois : confortons ce principe dont les exceptions sont trop nombreuses - et le Parlement n'a aucun contrôle dessus.

Les amendements de Dany Wattebled reprennent des dispositions déjà adoptées par le Sénat dans la loi ASAP.

Nous soutenons l'article 35 sur l'expérimentation de la recentralisation du RSA pour les départements qui le souhaitent.

Ce sont les maires qui connaissent le mieux leurs territoires et les attentes des administrés. L'organisation des collectivités territoriales de grande taille n'est pas toujours efficiente ; la création des grandes régions n'a pas permis les économies escomptées. En misant sur la proximité et en jugulant l'inflation normative, nous ferons mentir Pierre Daninos, qui disait : « De tous les pays du monde, la France est le pays où il est le plus simple d'avoir une vie compliquée et le plus compliqué d'avoir une vie simple. » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDPI)

Mme Françoise Gatel.  - Bravo ! C'est bien vrai !

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je m'étonne du calendrier d'examen de ce texte, après les élections locales et le projet de loi Climat.

Il reste un véhicule législatif a minima.

Le grand soir promis après le tour de France présidentiel, au lendemain de la crise des gilets jaunes, n'est pas au rendez-vous. Outre la reconcentration autour du préfet, la participation citoyenne est oubliée, comme l'administration plus agile réclamée par les gilets jaunes. Entre l'affichage d'une ambition forte et la réalité, l'écart est immense.

Les rapporteurs ont réintroduit des mesures déjà votées comme le transfert de compétences à la carte pour les intercommunalités.

Je salue l'envie d'établir une différenciation effective, mais la faire porter sur les règlements d'urbanisme ou d'aides sociales me semble dangereux : elle ne doit pas se résumer à une permission d'être moins-disant.

Le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) ne saurait devenir une chambre partisane défendant une majorité régionale. Nous y veillerons.

Le texte est trop timide sur la démocratie participative. Limiter le droit de pétition c'est, pour nos institutions, un coup de couteau dans le dos. Certes, il y a des élections mais empêcher une prise de position libre est une faute.

Après le fiasco du projet de loi constitutionnel lundi, et de la loi Climat, les transferts hypothétiques des routes nationales et des petites lignes ferroviaires vers les régions sont flous.

L'Ademe placée à nouveau sous la coupe du préfet : cette mesure laisse perplexe.

On a vu tout récemment pour les éoliennes comment se déployait la théorie du « pas chez moi ». Il en va de même pour le logement social. C'est ce qui explique que l'on compte les casernes militaires dans la catégorie des logements sociaux, et que l'on refuse de pérenniser l'encadrement des loyers.

Nous regrettons l'extrême timidité du Gouvernement et le fait que la majorité sénatoriale ait campé sur sa vision partielle et partiale, sans ouverture.

Madame la rapportrice, « s'il n'y a pas tout, mieux vaut qu'il n'y ait rien », disiez-vous ce matin en commission. Cette non-loi sans vision structurante des collectivités territoriales ne résoudra rien.

Les citoyens continueront à être absents et à ne rien comprendre aux institutions.

Le GEST a déposé 200 amendements et ne votera pas le texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je salue l'engagement de la ministre qui a largement dialogué avec les élus locaux. Ce texte améliore la décentralisation.

Depuis plus de quarante ans et les lois Deferre que j'ai eu l'occasion de voter, le système territorial a été asphyxié - j'ai pu le voir lors de mes deux mandats de président de la région Bourgogne.

Ce texte n'est pas un big bang mais il répond aux attentes exprimées lors du Grand débat : plus de services publics de proximité, plus de prise en compte des particularités locales, un soutien aux élus dans leur mission quotidienne.

Il faut trouver un équilibre entre ce qui existe et ce qui peut être amélioré.

Ce projet de loi marque un tournant dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Il tend vers davantage de contractualisation (M. Éric Kerrouche le conteste), proposant des outils complets pour aider les élus locaux à accomplir leurs missions.

Nous allons débattre de plus de 90 articles visant des sujets variés. Nous devons aborder cet examen avec responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens. Nous souhaitons le rendre plus ambitieux, tout en préservant ses équilibres, et rassurer nos concitoyens en insistant sur le travail remarquable de nos élus locaux.

Le RDPI proposera des évolutions sur la santé et le logement.

Nous espérons des débats bienveillants et constructifs sur ce texte que nous voterons. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Maryse Carrère .  - L'abstention record aux dernières élections doit nous interroger sur notre offre politique. Le tiraillement entre centralisme et fédéralisme est ancien. Depuis 1958, le législateur a certes cherché à atténuer les excès d'un pouvoir trop centralisé. Mais trop de décisions continuent de dépendre de considérations parisiennes ; la pandémie l'a bien montré !

Aussi, l'annonce de ce texte a-t-elle suscité beaucoup d'espoir chez les élus locaux, qui n'attendaient pas un bouleversement, mais une simplification. Finalement, le texte complexe créé de la confusion. Nous comprenons tous l'idée de différenciation - une application différente de la loi selon les circonstances locales. Mais son application dans le texte est très limitée, sans pouvoir réglementaire local réel. Pouvoir fixer le nombre d'élus dans les CCAS, le délai de publication de la liste des terrains qui n'ont pas fait l'objet d'une mise en défens ou encore de la facturation de la redevance d'occupation pour travaux sont des avancées, certes, mais bien maigres.

La portée des dispositions de décentralisation paraît également faible, hormis le transfert des routes nationales. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » ; je crains que ce soit le cas pour l'article 5, jugé sans portée juridique par le Conseil d'État.

Le transfert des routes rappelle la musique des lois NOTRe et Maptam, avec le renforcement du couple EPCI-Région au détriment des communes et des départements. Comptez sur nous pour vous rappeler l'importance du rôle de proximité des départements, notamment dans les territoires ruraux.

Nous proposerons notamment de les associer davantage aux opérations de revitalisation des territoires (ORT) et à la lutte contre l'illectronisme.

Le texte renforce le poids des élus dans la gouvernance des autorités régionales de santé (ARS). Reste à savoir quelle sera son utilité.

Concernant la déconcentration, le texte est aussi décevant, avec seulement 5 articles. Le rôle du préfet doit être réhabilité, comme il le fut pendant la crise.

La partie du texte sur la simplification apparaît des plus confuses. Je regrette que le Gouvernement ne se soit pas donné les moyens de ses ambitions : les collectivités n'ont pas de pouvoir local sans pouvoir fiscal. La décentralisation de la compétence Gemapi, par exemple, est source d'inégalités territoriales.

Le groupe RDSE réserve son vote en attendant de connaître le sort qui sera réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Cécile Cukierman .  - Ce projet de loi s'inscrit dans la fin de ce quinquennat de malaise entre les élus locaux et le Gouvernement.

Souvenons-nous de la suppression des emplois aidés, des contrats de Cahors, du manque d'écoute des élus, notamment pendant les différentes crises. Nul ne souhaite tout bouleverser, mais entre détricoter et tricoter, il y a une marge.

Nous avons hérité d'une situation de grande inégalité entre collectivités territoriales. Un petit nombre sont très compétitives, mais beaucoup ont besoin d'être accompagnées.

Nous fêtons les quarante ans de la décentralisation, qui devait rapprocher le pouvoir des Français. Hélas, depuis dix ans, nous assistons à une rigidification de l'initiative locale, alors que nous aurions besoin de clarification.

La différenciation n'est possible que pour les collectivités territoriales les plus aisées.

L'abstention aux élections locales jette un jour nouveau sur ce texte. Ce n'est pas une fatalité ; elle nous incite à revisiter le pacte républicain pour plus de liberté locale, dans le respect de l'égalité républicaine.

La simplification est possible ; elle passe par la clause de compétence générale, hélas retirée aux régions et aux départements. La possibilité pour les communes de gérer la compétence eau et assainissement est une simplification immédiate.

Vous parlez de la déconcentration, corollaire indispensable de la décentralisation ; car nous avons aussi besoin de l'État pour accompagner, mais aussi de plus de services publics pour conseiller et soutenir les collectivités territoriales et les Français. Ce n'est pas en donnant plus de pouvoir au préfet qu'on y parviendra.

Les missions France Services ne peuvent répondre seules à ce besoin de proximité. Il faut davantage d'agents dans les préfectures et les sous-préfectures, qui ont montré leur dévouement pour enrayer la catastrophe de la distribution de la propagande électorale.

A ces enjeux, ce texte fourre-tout répond avec une logique libérale qui détruit l'équilibre entre la res publica romaine - la chose commune à tous - et la démocratie grecque - soit le pouvoir de décider donné au peuple. La République doit demeurer décentralisée.

Nous resterons malgré tout constructifs pendant l'examen de ce texte pour trouver un équilibre entre les libertés locales et le renforcement de l'État et des services publics, incarnation de la solidarité républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Loïc Hervé applaudit également.) Il faut bien le dire, ce texte est un peu rébarbatif... (Rires) Difficile d'avoir une discussion générale sur un texte qui ne comporte que des mesures particulières, des réglages techniques et des ajustements juridiques.

Je m'adresse à vous, madame la ministre, avec respect pour votre personne et pour votre travail. Nous savons que vous avez été le plus loin possible dans le cadre étroit fixé par le Président de la République et le Premier ministre.

L'état des lieux de la décentralisation est sombre ; cela ne date pas de l'élection de M. Macron, mais ce n'est pas avec ce texte que l'horizon s'éclaircira.

En juillet dernier, le Sénat a envoyé ses propositions au Président de la République et au Premier ministre, comme à vous-même ; les voici ! (M. Philippe Bas brandit le livret qui les compile.) Il y a quarante ans, les Français ont voulu mettre fin au centralisme. Depuis, les administrations n'ont eu cure que de récupérer leurs pouvoirs... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar et M. André Guiol applaudissent également.)

M. Philippe Pemezec.  - En effet, et c'est scandaleux !

M. Philippe Bas.  - ... et ce, malgré la réforme de Jean-Pierre Raffarin en 2003.

Les collectivités territoriales sont tenues la bride courte ; parfois même les maires sont traités comme des subordonnés, auxquels on adresse des instructions. Les ressources propres sont réduites à peau de chagrin. Et pourtant, vous venez nous parler de décentralisation ? Il fallait oser !

Dans la loi Climat, vous réduisez la capacité des maires à planification des constructions dans leur commune ; vous rendez incohérente, dans ce texte, la relation entre emploi et formation ; vous vous défaussez de vos responsabilités en matière d'investissement hospitalier mais refusez de décentraliser la gouvernance des ARS.

Comme vos prédécesseurs, vous faites des départements des guichets appliquant des politiques nationales. Comment voulez-vous que la France avance si vous asséchez les initiatives comme les finances locales ? Le bricolage désastreux de la suppression de la taxe d'habitation remplacée par une augmentation de la taxe foncière sur les propriétés bâties qui encourt les mêmes reproches quant à l'inadéquation de son assiette restera longtemps dans la mémoire des élus.

Les malheureux départements voient leur dépendance accrue envers l'État. Vous avez certes calculé justement leur dotation ; mais qui nous garantit qu'il en sera de même chaque année ?

Quant aux subventions affectées, elles sont toujours bonnes à prendre ; mais elles ne correspondent pas à l'exercice des libertés locales. Les élus veulent financer des projets sur leurs ressources, et non tendre la main à l'État ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Si seulement vous aviez avancé sur le plan de la déconcentration... Les territoires veulent des interlocuteurs qui s'engagent, qui ne doivent pas toujours tout demander à Paris. La multiplication des guichets d'agences est une reconcentration qui ne dit pas son nom.

Pauvres préfets de département, dépouillés de leurs responsabilités, alors qu'il serait si simple de les leur rendre ! Ils sauraient, eux, prendre en compte les différences de situation, tandis que l'administration, lointaine, peut se réfugier derrière les normes pour refuser toute dérogation. (M. Laurent Duplomb renchérit.)

Pourquoi ne vois-je pas trace dans ce texte de notre proposition de faciliter un certain nombre de dérogations sous l'autorité du préfet pour la réalisation de projets d'intérêt général ?

La différenciation, enfin, est réduite à la portion congrue, très loin de l'excellent avis du Conseil d'État en novembre 2017. Pour aller plus loin, il faudrait certes une réforme constitutionnelle... Mais que ne la faites-vous pas, vous qui les aimez tant ? (Rires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Nous espérions trouver dans la simplification un soulagement...

M. Laurent Duplomb.  - Même pas !

M. Philippe Bas.  - Hélas, il n'en est rien. Je crains que ce mot n'ait été utilisé par antiphrase, tant ce projet touffu, protéiforme, complexifie bien plus qu'il ne simplifie.

Le texte ne nous soignera pas du mal français de l'étatisme, malgré le travail des rapporteurs, qui ont eu bien du mérite d'essayer de lui donner une consistance... Si nous y parvenons ensemble, ce sera toujours ça de pris ! Mais il faudra bien davantage pour réparer le mal causé par deux quinquennats d'incompréhension des territoires. (Acclamations sur les travées du groupe Les Républicains ; vifs applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Loïc Hervé .  - Les parlementaires se plaignent parfois de textes de circonstance poussés par une actualité brûlante. Ce texte n'entre pas dans cette catégorie, bien au contraire....

Voilà des mois que nous entendons parler de ce projet de loi et nous y voilà enfin grâce à votre opiniâtreté, Madame la ministre.

Nous ne souhaitions pas un big bang après les nombreux bouleversements que nous avons connus mais, comme le Conseil d'État, nous sommes déçus du résultat. Pourtant, en apparence, tous les ingrédients sont là : un zest de différenciation, un soupçon de décentralisation, une pincée de déconcentration, et pas assez de simplification. Mais une lecture plus attentive des différents items fait apparaître une succession de mesures aux effets trop limités. Cependant, tout n'est pas à jeter, loin s'en faut.

Alors que la grève des isoloirs se fait entendre, il est bon de faciliter les initiatives locales. Mais rien n'est prévu en matière de finances locales ! Il est temps de développer de nouvelles solidarités financières vertueuses. Les maires demandent plus de souplesse et de proximité dans l'action publique.

Je salue nos rapporteurs, gardiens d'une doctrine sénatoriale régulièrement enrichie par la commission des lois et la délégation aux collectivités territoriales. J'espère que les propositions de la majorité sénatoriale seront retenues.

Ainsi, le texte adopté par la commission prévoit de nouveaux transferts de compétences tels que le transfert du service public de l'emploi aux régions ou le renforcement de la compétence solidarité des départements.

En matière financière, je salue la proposition sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) : les subventions doivent être attribuées par le préfet du département et non par celui de la région.

À la suite du rapport d'information de Mmes Estrosi Sassone et Létard, la commission des affaires économiques a effectué un important travail sur le titre III qui traite de la loi SRU. Le groupe UC partage son analyse : il faut sortir de l'infantilisation en supprimant les sanctions, contre-productives, comme le recommande la Cour des comptes. Appauvrir les communes en les sanctionnant financièrement est une erreur. Privilégions plutôt la consignation des pénalités de carence sous le contrôle du préfet pour les réserver au logement social.

Pour les élus siégeant dans des sociétés d'économie mixte (SEM) et des sociétés publiques locales (SPL), la menace d'une condamnation pénale pour prise illégale d'intérêt est sérieuse. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) leur recommande de se déporter. Il faut résoudre cette question pour sécuriser nos élus. La commission a adopté un amendement bienvenu en ce sens, mais nous devrons encore avancer : l'examen du projet de loi relatif à la justice cet automne en sera l'occasion.

Enfin, nous sommes nombreux à trouver que l'interdiction du cumul des mandats va trop loin, notamment l'interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec toute fonction exécutive locale. Un peu de souplesse serait bénéfique à la démocratie parlementaire ! Le président de la République a d'ailleurs convenu de cette difficulté. (Mme la ministre s'interroge.)

Nous sommes donc quelque peu déçus par le texte initial. Heureusement, la commission a ouvert des perspectives plus encourageantes. Espérons que le Gouvernement soutiendra notre texte lorsqu'il arrivera au Palais Bourbon ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Kerrouche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après plus d'un an de concertations et d'atermoiements, ce projet de loi nous est enfin soumis. Le Président de la République a redécouvert l'utilité des maires pendant la crise des gilets jaunes. Mais la désillusion l'emporte. Si ce texte était un animal, ce serait un invertébré... (Sourires)

De fait, il s'agit d'un texte nid-de-poule : il répare les choses de-ci, de-là, mais ne trace aucun itinéraire et n'a pas de souffle. Résultat : un nombre d'articles doublé et de nombreux amendements. De surcroît, nous devons l'examiner dans un délai record, ce qui n'est pas gage de débats sereins.

Pourtant, tant de la part de la majorité sénatoriale que de la nôtre, les propositions pour donner un nouveau souffle décentralisateur ne manquaient pas.

L'État français s'est construit par la centralisation et sur la méfiance à l'égard des territoires, souvent considérés comme immatures. Le titre premier augurait d'une petite révolution - démentie par son contenu. L'exécutif se contente de faire la charité d'une parcelle de libertés en matière de pouvoir réglementaire.

L'article premier bis a été opportunément introduit par les rapporteurs. C'est un changement de doctrine pour la majorité sénatoriale qui s'était opposée à cette évolution proposée par les socialistes lors de l'examen de la loi NOTRe. Nous proposerons d'aller encore plus loin.

Nous nous opposerons à certaines modifications proposées par la majorité, notamment celle, scandaleuse, qui autorise les départements à poser une condition de patrimoine pour bénéficier du RSA.

Nous serons également contre le rétablissement de l'intérêt communautaire sur des compétences qui constituent le coeur de l'intercommunalité. Les amodiations apportées par la loi Engagement et proximité sont largement suffisantes, tout comme la possibilité du transfert de compétences facultatives à la carte.

Nous aurions pu nous retrouver sur les CTAP, mais votre approche est trop instrumentale.

En matière de décentralisation, les compétences transférées sont résiduelles et leurs modalités interrogent. Sur la transition écologique, c'est l'incompréhension : nous sortons à peine du projet de loi Climat, qui n'est même pas promulgué.

Nous défendrons le développement du fret et le transfert aux régions du service public de l'emploi.

En matière de logement, l'exécutif ne répond pas au problème de la cherté du foncier et de la production de logements sociaux, mise en péril depuis 2017.

Nous défendrons aussi l'application de la loi SRU et la lutte contre le non-recours aux prestations sociales.

Il est davantage question de recentralisation par le préfet - voyez les agences de l'eau - que de décentralisation.

En réalité, ce texte complexifie, si possible par ordonnance... Il manque cruellement un D à ce projet de loi : celui de la démocratie locale. Nous avons déposé de multiples amendements pour réparer ce manque, dont la plupart ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40. Il en reste toutefois quelques-uns.

Nous avons tenté de tenir une ligne : celle de l'alternative sociale, écologique, démocratique et féministe dans les territoires.

Nous devons sortir d'une démocratie à éclipses pour instaurer une démocratie continue. Notre vote final dépendra du sort réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Catherine Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a quarante ans, Gaston Defferre disait aux représentants de la Nation : « Partout, la décentralisation est devenue la règle de vie. Partout, sauf en France ». Notre pays a toujours plusieurs trains de retard sur ses voisins. C'est une des raisons majeures de son incapacité à se réformer.

Hélas, ce texte n'est pas une loi de décentralisation !

Même la médecine scolaire, sinistrée, n'est pas transférée aux départements, qui ont pourtant fait leurs preuves en matière de PMI. Vous avez cédé aux corporatismes syndicaux.

Sur le transfert des gestionnaires des collèges et lycées, là aussi vous avez cédé aux syndicats. Nos rapporteurs vous invitent à préciser vos intentions et à mettre un terme à une curieuse incongruité : des fonctionnaires d'État commandent encore à des fonctionnaires territoriaux, comme s'il y avait une hiérarchie de noblesse des fonctions publiques dans ce pays !

Sur la différenciation, les mesures prévues sont très modestes, très loin des attentes d'un territoire comme le mien. J'apprécie le travail de nos rapporteurs sur ce sujet.

Les élus locaux demandent de la stabilité, mais il faut aller plus loin pour donner un nouveau souffle à l'action publique locale. Le Sénat a formulé cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales. Vous n'en avez que très peu tenu compte.

À la suite des élections municipales, le président Larcher a rappelé qu'il y avait un lien entre abstention et absence de décentralisation. Il existe en Europe des pays où la participation électorale est aussi forte à l'échelon local que national : les pays décentralisés.

Les besoins des territoires sont pluriels. Ne pas en tenir compte, c'est alimenter le sentiment d'impuissance et la défiance.

Nous nous enlisons dans un jacobinisme désuet, qui nourrit les conservatismes. Il est temps de rompre avec ce carcan ! Sur ce point, ce quinquennat a échoué. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Richard .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le Gouvernement entend transformer l'action publique locale en poursuivant trois objectifs : adaptation, modernisation et prise en compte de la diversité des territoires.

Personne ne demande de grande transformation de nos structures locales. Parmi les talents parlementaires, il y a celui du commentaire, mais aussi celui de la proposition... Dans la discussion générale, nous avons entendu les commentaires mais, dans quelques minutes, le dialogue sera plus équilibré, car on entendra les propositions des uns et des autres.

Beaucoup d'articles de ce texte se prêtent à amélioration. C'est l'une des dimensions de notre travail, et nous nous y adonnons avec intérêt et parfois avec un certain plaisir -  toutes les perversités sont dans la nature... (Sourires)

Nous allons faire un travail utile, qu'il s'agisse de faciliter la participation des citoyens, de transférer des routes nationales ou des lignes ferroviaires, de préserver la biodiversité.

Ce texte améliore aussi la coopération entre les niveaux de collectivités territoriales, ce qui est une excellente démarche.

Les départements seront opérateurs de plusieurs politiques, notamment les plans locaux de l'habitat (PLH), ce qui sera précieux.

Nous allons sortir rapidement des proclamations critiques, c'est une question de minutes...

Nous parviendrons, concrètement, à améliorer notre législation. Il y aura entre nous des divergences, mais aussi des complémentarités. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En trente ans, l'organisation territoriale de notre République a été modifiée en profondeur. Certains textes étaient nécessaires, d'autres ont complexifié et pénalisé l'action locale.

Les élus veulent de la visibilité institutionnelle et financière, pas de nouveaux bouleversements. Il faut faciliter les initiatives des élus en matière de développement local et leurs tâches au quotidien. Cela passe d'abord par la différenciation. C'est une question de bon sens : les règles doivent s'adapter aux réalités des territoires et non l'inverse. L'uniformisation n'est pas porteuse d'égalité.

La différenciation, avancée majeure, doit irriguer les territoires. Le transfert des routes nationales aux départements volontaires s'inscrit dans cette logique.

Mais il faut aller bien plus loin : ainsi, les secteurs ruraux qui perdent des habitants doivent pouvoir appliquer de manière différenciée les règles de lutte contre l'artificialisation des sols.

La simplification est indispensable : au fil du temps, les procédures et les normes se sont multipliées, créant autant d'obstacles à la bonne marche des territoires. Il est temps de stopper la fuite en avant de la complexification. Simplifions massivement les procédures administratives.

Le désengagement de l'État en zone rurale doit cesser, de même que la concentration des services à l'échelle régionale. L'État doit réinvestir les territoires dans la proximité !

Les petites communes sont souvent démunies pour mener à bien leurs projets, contrairement aux grandes. Il faut ménager plus de souplesse entre les compétences des collectivités pour faciliter la réalisation des projets.

En fonction des situations locales, il faut privilégier le niveau qui assure la plus grande efficacité.

Nous saluons la réforme de la gouvernance des ARS, même s'il faudra aussi renforcer les prérogatives à l'échelle départementale.

La dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) doit conserver sa souplesse, ce qui suppose qu'elle ne soit pas complètement absorbée par les contrats de cohésion territoriale, (Mme la ministre hoche la tête en signe d'assentiment) ce qui pénaliserait les plus petites communes.

Le texte que vous portez, madame la ministre, contient tous les ingrédients pour répondre aux besoins des territoires ; au Sénat d'y apporter maintenant les évolutions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Alain Richard applaudit également.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Très bien !

M. François Calvet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'annoncé par le Premier ministre du transfert des routes nationales aux régions - notamment des nationales 116 et 20 - nous avait réjouis ; la lecture du texte fut une douche froide. Nous ne connaissons toujours pas la liste des routes concernées ni les conditions du transfert de compétences et de personnel. Quid des compensations financières ? Les promesses n'engagent que ceux qui les croient, ceux qui connaissent la RN 116 le savent.

Des conventions État-région sont prévues pour cinq ans. La commission des lois les a étendues à huit ans.

Le texte est très décevant concernant la coopération transfrontalière, qui concerne 2 913 kilomètres de frontières terrestres métropolitaines avec huit voisins. Rien sur la coopération entre les collectivités, avant l'adoption par un amendement de la commission qui a étendu aux collectivités frontalières les prérogatives accordées à la communauté européenne d'Alsace. Nous aurions pu nous appuyer sur le traité de Bayonne de 1995 pour régler la coopération entre les collectivités de France et d'Espagne. Dans les Pyrénées-Orientales, nous avons créé des équipements communs transfrontaliers comme l'hôpital européen de Cerdagne, une station d'épuration des eaux ou un abattoir. Mais nous pourrions aller beaucoup plus loin, notamment en matière de coopération universitaire.

Les avancées sur la loi SRU sont réelles, grâce au rapport de Mmes Estrosi Sassone et Létard. Nombre de communes touristiques voient des résidences secondaires devenir des logements principaux, comme au Canet-en-Roussillon ou à Barcarès. Cela nécessite de la souplesse dans l'application de la loi SRU, afin de mettre fin aux pénalités injustes. J'espère que ces améliorations seront maintenues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Merci à l'ensemble des intervenants.

Monsieur Marie, si le texte est passé de 83 à 158 articles, c'est le fait de l'excellent travail du Sénat.

Ces 158 articles ont été modifiés. Nous maintiendrons 100 articles sans les modifier à nouveau. C'est dire le travail en amont.

Nous souhaitons en rectifier 30 et nous ne sommes pas en accord sur 28 articles. C'est pourquoi nous avons déposé 50 amendements - c'est peu.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Mais c'est lourd !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Cher Philippe Bas, nous avons repris plusieurs des 50 propositions du Sénat dans le texte initial. (M. Philippe Bas brandit le document du Sénat.) D'autres sont encore en discussion. À la fin, la moitié pourrait être intégrée au texte. (M. Alain Richard et Mme Françoise Gatel, rapporteur, approuvent ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE ADDITIONNEL avant le titre premier 

M. le président.  - Amendement n°260 rectifié, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

I.  -  Avant le titre Ier : la différenciation territoriale

Insérer un article ainsi rédigé :

Avant le livre Ier de la troisième partie du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 3111-... ainsi rédigé :

« Art. L. 3111-...  -  La République reconnaît les départements comme division territoriale fondamentale, inhérente à l'organisation administrative et politique française et nécessaire à son bon fonctionnement, notamment par leurs compétences en matière de solidarités et leur soutien aux communes. »

II.  -  En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

Titre préliminaire

Mme Cécile Cukierman.  - Cet amendement consacre le rôle du département comme division administrative française : il faut protéger ce pilier social de la République décentralisée. Malmené, fragilisé, il a pourtant démontré son utilité et son efficacité dans la crise sanitaire que nous venons de traverser.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Cet amendement est une déclaration d'affection au département, que nous partageons, mais n'est guère normatif : retrait ou avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Avis défavorable pour les mêmes raisons. Les départements sont inscrits à l'article 72 de la Constitution et ce Gouvernement n'a pas l'intention de les supprimer.

Mme Cécile Cukierman.  - Je ne mélange pas affect et politique.

M. Jérôme Bascher.  - C'est un tort !

Mme Cécile Cukierman.  - Le Président de la République, lorsqu'il était candidat, laissait entendre un tout autre avenir aux départements. Quand on affaiblit les départements au point d'en faire des coquilles vides, cela se traduit par une désaffection et une abstention croissante. (M. Jérôme Bascher applaudit.)

M. Daniel Chasseing.  - Cet amendement réaffirme le rôle capital du département dans les territoires ruraux, c'est pourquoi je le voterai.

L'amendement n°260 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

M. le président.  - Amendement n°130 rectifié, présenté par MM. Sautarel, Rapin et C. Vial, Mmes Raimond-Pavero et Drexler, M. Mandelli, Mmes Schalck, Belrhiti, Deromedi et Garriaud-Maylam, MM. Burgoa, Courtial, Tabarot, Sido et Gremillet, Mmes Gosselin et Chain-Larché, M. Cuypers, Mmes Imbert et Joseph et MM. Genet, Bouchet et H. Leroy.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au début du titre unique du livre Ier de la première partie du code général des collectivités territoriales, il est ajouté un titre préliminaire ainsi rédigé :

« Titre préliminaire

« Art. L. 100-....  -  Le principe de libre administration confère aux collectivités territoriales la liberté institutionnelle, la liberté fonctionnelle et l'autonomie financière. »

M. Stéphane Sautarel.  - Cet amendement réaffirme le principe de libre administration des collectivités territoriales. Il desserre les contraintes en leur rendant la maîtrise de leurs compétences et en refondant leur autonomie financière. L'enjeu n'est autre que de libérer les énergies locales.

La portée du principe de la libre administration est juridiquement différente de celle de la libre organisation des collectivités territoriales.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Le principe de libre administration des collectivités territoriales est de rang constitutionnel.

Cet amendement n'est pas opérant. Nous avons renforcé le pouvoir réglementaire local, ce qui satisfait cet amendement. Retrait ou avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Même avis. Cet amendement est satisfait par la Constitution.

L'amendement n°130 est retiré.

L'amendement n°891 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°519 rectifié bis, présenté par MM. Michau, Cozic, Jeansannetas, Pla et Vaugrenard.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 5210-1-1 A du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Forment la catégorie des intercommunalités les communautés de communes, les communautés urbaines, les communautés d'agglomération et les métropoles. »

M. Jean-Jacques Michau.  - Cet amendement identifie la catégorie spécifique des EPCI à fiscalité propre et les regroupe sous le terme générique d'intercommunalités, mieux connu des Français.

On pourra ainsi mieux expliquer le fait intercommunal à nos concitoyens.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - La sécurité juridique de cet amendement n'est pas du tout assurée.

Un nom ne suffit pas à créer un sentiment d'appartenance à une intercommunalité. Enfin, les élus doivent communiquer davantage pour des intercommunalités plus heureuses. Retrait ou avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Même avis. Dans le langage commun, on utilise souvent le terme intercommunalité mais il faut un terme juridique pour ces EPCI.

L'amendement n°519 rectifié bis est retiré.

M. le président.  - Amendement n°689 rectifié, présenté par MM. Folliot, Bonnecarrère, Henno, Canévet et Kern, Mme Vermeillet, MM. J.M. Arnaud, Hingray, P. Martin, Le Nay et L. Hervé, Mme Vérien et M. Moga.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 1° du III de l'article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales est abrogé.

M. Philippe Folliot.  - On a obligé des communes et des communautés de communes à fusionner pour respecter les seuils instaurés par la funeste loi NOTRe. Mais un seuil de 15 000 habitants n'a pas la même signification, les mêmes conséquences en région Île-de-France ou dans le Tarn !

Il existe encore des communautés de communes de 4 800 habitants, comme celle du Cordais et du Causse dans le Tarn. Elles devraient se rapprocher d'autres communautés qui ont des périmètres beaucoup plus larges -  32 communes dans la communauté de communes Carmausin-Ségala, 63 dans l'agglomération Gaillac Graulhet. On en vient à créer des monstres, et à éloigner toujours plus les citoyens de ces communautés de communes. Ne nous étonnons pas ensuite de l'abstention !

Donnons de la liberté aux communes en supprimant les seuils.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Cet amendement révèle les conséquences de mesures autoritaires menées à marche forcée.

Le seuil est une notion mortifère. Quel est le sens de le fixer à 5 000 habitants une année et à 20 000 habitants une autre ?

Dans la loi Engagement et proximité, nous avons autorisé les intercommunalités à se diviser et supprimé la clause de révision sexennale prévue dans la loi NOTRe avant un nouveau mouvement intercommunal.

À ce stade, le préfet ne peut pas contraindre une intercommunalité à en rejoindre une autre. Retrait ou avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Sénatrice lors de l'examen de la loi NOTRe, je me suis battue pour les exceptions à 5 000 habitants pour les départements ruraux.

Il est sage, un an après les élections municipales, de laisser la loi inchangée. Même avis.

M. Philippe Folliot.  - Je maintiens cet amendement car les seuils demeurent, tout comme l'obligation de fusionner les intercommunalités.

J'ai présidé une intercommunalité de 3 500 habitants, qui a été obligée de fusionner. Il faut désormais 45 minutes de voiture à un maire pour rejoindre le siège de la communauté de communes ! Donnons plus de libertés aux territoires.

M. Alain Marc.  - La population n'augmente pas partout en France. Que fera le préfet quand une intercommunalité descendra à 4 950 habitants ? On ne l'a pas prévu. Certains départements ont cinq habitants au kilomètre carré. Tout cela est stupide. Je voterai cet amendement.

Mme Cécile Cukierman.  - Les seuils sont très loin de l'esprit de la différenciation. Nous voterons évidemment cet amendement. Nous sommes parfois, au Sénat, plus prompts à la différenciation dans certains cas que dans d'autres.

Le seuil pertinent, c'est celui qui est vécu par les habitants de l'intercommunalité concernée.

On ne peut pas tout anticiper et, quand le seuil ne correspond pas à la réalité du terrain, on en arrive à la situation que décrit notre collègue.

M. Daniel Chasseing.  - Le seuil de 5 000 habitants est satisfaisant. Les petites communes s'y retrouvent. Les élus veulent plus de proximité.

Cet amendement serait utile pour instaurer plus de souplesse. Ne pénalisons pas les intercommunalités de moins de 5 000 habitants.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Cet amendement inaugure bien nos travaux. Il s'agit de redéfinir les libertés locales ; nous aurons, tout au long du texte, à décider où placer le curseur. (M. Philippe Pemezec approuve.) Nous aurons à débattre des libertés locales pour chaque compétence -  je pense à l'eau et l'assainissement, sujet sur lequel le Gouvernement s'oppose au Sénat.

M. Folliot veut recréer de la souplesse et renforcer le pacte intercommunal entre les communes membres qui doivent choisir leur organisation territoriale. Lorsqu'on a imposé le schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI), la cohérence des espaces de vie intercommunale était secondaire par rapport aux questions de seuil... Certaines intercommunalités regroupent plus de soixante communes : les plus petites ne participent plus au projet intercommunal. Or l'intercommunalité est au service de ses membres et non l'inverse ! Laissons cette liberté locale. Je voterai cet amendement.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je suis une rurale, comme vous. Il faut relativiser. La loi de 2010 a rendu obligatoire l'appartenance à une intercommunalité. On peut toujours critiquer les gouvernements précédents, mais les majorités successives ont poursuivi dans cette logique.

On compte quatre intercommunalités de moins de 5000 habitants - personne ne les a embêtées  - et 340 entre 5 000 et 15 000 habitants.

Revenir sur ce chiffre créerait un séisme dans les intercommunalités ; je n'en vois pas l'intérêt.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - J'entends ce malaise. Il y a eu beaucoup d'égarement dans la loi NOTRe.

Changer les seuils, c'est renverser la table. Je vous comprends sur le fond, mais est-ce nécessaire pour régler les situations particulières que vous citez ? Les élus locaux n'étaient pas enthousiasmés par la loi NOTRe, ils ont mis trois ans à s'organiser. Aujourd'hui, l'urgence est de rendre des services aux citoyens. Si l'on recommence à tout démonter, nous allons mettre des collectivités en difficulté. Les associations d'élus ne le demandent pas.

En revanche, il faut régler les situations de blocage, qui existent, à travers le dialogue avec le préfet.

Nous allons introduire des possibilités de délégation et de territorialisation de compétences au sein des intercommunalités - que la ministre n'aime pas - mais c'est aussi une solution.

Avis défavorable : c'est une sagesse de raison.

Mme Céline Brulin.  - En discussion générale, chacun a critiqué un texte insatisfaisant, fourre-tout, mais chacun veut y intégrer les remontées de terrain, pour améliorer certaines situations problématiques. Cet amendement va dans ce sens ; nous le voterons.

Redouter que cela aboutisse à dissoudre toute l'architecture de l'intercommunalité, quel aveu d'échec ! En réalité, il s'agit non pas de révolutionner l'organisation territoriale mais de revenir sur certaines intercommunalités qui sont de pures constructions technocratiques et ne correspondent pas à un bassin de vie.

Verrouiller toutes les modifications possibles avant même l'article premier n'est pas de bon augure pour la suite de nos débats !

M. Michel Canévet.  - Il faut laisser un peu de liberté aux collectivités territoriales. Certains regroupements ont été imposés par les préfets, sans tenir compte des souhaits des élus. Si l'on veut développer la coopération intercommunale, il faut avoir un territoire pertinent. Il est, pour cela, nécessaire de s'affranchir des seuils pour redonner aux élus la capacité de s'organiser et de décider de leur projet.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur.  - Ne nous trompons pas de débat. J'ai regretté les seuils imposés par la loi NOTRe. Mais ce que vote le législateur n'est parfois pas suivi d'effet. La loi offre la possibilité aux intercommunalités de se scinder, de changer de périmètre. Hélas, trop souvent, les préfets le refusent, comme par exemple dans le Morbihan. Si les textes ne sont pas suivis d'effet, il ne faut pas s'étonner que nos collègues déposent ce type d'amendement. (Mme Céline Brulin approuve.)

Faites-nous confiance : nous pointons à chaque fois ces sujets pour les faire remonter, notamment dans le cadre de la commission de suivi des réformes territoriales. Nous en débattrons demain sur l'eau et l'assainissement. Je rejoins l'avis défavorable mais il faut être vigilant.

M. Éric Kerrouche.  - La liberté locale, pour quoi faire ? Les intercommunalités sont des espaces de coopération pour porter un projet de développement local.

Depuis quinze ans, des seuils différents ont été fixés : 5 000 habitants dans la loi RCT, 15 000 dans la loi NOTRe. Pourquoi ? Parce que les intercommunalités étaient trop petites pour mener une quelconque politique publique.

Soit l'intercommunalité est identitaire, soit c'est un territoire pour mutualiser des projets.

Mon département compte trois intercommunalités qui n'atteignent pas les 15 000 habitants, preuve que des dérogations sont possibles. Elles ont en outre la possibilité de se démarier si elles le souhaitent. Sur les 1 251 intercommunalités, trois seulement ont entamé une telle procédure - mais la faculté existe.

L'amendement n°689 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°331, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'autonomie financière des collectivités territoriales est une garantie constitutionnelle pour leur assurer le bénéfice de ressources propres et ainsi leur permettre la mise en oeuvre réelle de leur libre administration.

De plus, la compensation intégrale des transferts de compétences de l'État, vers les collectivités territoriales, ou entre elles, doit être réellement assurée.

Par ailleurs toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales doit être accompagnée de ressources déterminées par la loi.

Mme Céline Brulin.  - Par cet amendement, nous souhaitons consacrer, dès le début de ce texte, l'autonomie financière des collectivités comme garantie pour leur libre administration.

La Constitution prévoit que les recettes fiscales des collectivités territoriales représentent une part déterminante de leurs ressources, et que tout transfert d'une compétence de l'État s'accompagne d'une ressource équivalente. L'expérience montre que certaines compensations sont insuffisantes. Les impôts locaux sont remplacés par des dotations de l'État - à rebours du principe même de l'autonomie financière.

Or la possibilité pour les collectivités territoriales de mener une politique adaptée aux besoins des populations ne peut se résumer à exercer des compétences confiées par l'État, avec les moyens consentis par l'État.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales est garanti par la Constitution.

Il est vrai que le coût des compétences transférées n'est jamais réévalué. Aussi, nous avons repris l'une des cinquante propositions du Sénat pour prévoir une révision régulière de leur coût et de leur compensation.

Votre amendement sera satisfait par cette clause de révision. Retrait ou avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Qu'entend-on par autonomie financière des collectivités territoriales ? Nous en avons souvent débattu avec Charles Guené. La commission des finances du Sénat travaille sur ce sujet. Avis défavorable.

L'amendement n°331 n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°264, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Cécile Cukierman.  - Le débat sur la différenciation et la révision de la clause de compétence générale est intéressant mais il faut avoir les moyens d'assumer ces compétences.

Il y a des réalités variées, liées à l'histoire, à la géographie, à la topographie, aux habitudes, aux modes de déplacement et de travail des territoires. Ce sont des richesses pour faire République ensemble.

Or la différenciation proposée ici ne vise pas à partir de réalités locales, mais à dire qu'une collectivité peut déroger à telle loi ou telle norme, si elle en a les moyens, financiers et en ingénierie !

C'est pourquoi nous demandons la suppression de l'article premier.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - La différenciation, c'est comme la prose de M. Jourdain : elle existe déjà, avec les lois Montagne, Littoral, SRU, dont les dispositions varient en fonction des territoires.

Nous avons vu combien il est nécessaire de prendre en compte la spécificité des territoires. Soyons logiques, on ne peut pas clamer son attachement à la diversité des territoires et vouloir imposer les mêmes obligations à une commune de 4 000 habitants qu'à une commune de 100 000 !

La différenciation n'est pas une vision égalisatrice, selon le Conseil d'État, c'est mettre en oeuvre des moyens adaptés pour une égalité de droit.

Votre amendement dessert l'objectif qui est de rendre des services à tous, jusqu'au dernier kilomètre. Retrait ou avis défavorable.

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Je reconnais la constance de Mme Cukierman, qui avait voté contre le projet de loi organique sur l'expérimentation et le principe de différenciation.

La différenciation et l'expérimentation se font dans le cadre du principe constitutionnel d'égalité. Avis défavorable.

Vous verrez, au cours de l'examen du texte, que je respecte ce principe.

Mme Françoise Gatel, rapporteur.  - Nous aussi !

Mme Cécile Cukierman.  - Je dis ce que je veux, non parce que je fais un caprice mais parce que nous avons une différence d'appréciation, madame la rapporteure. Respectez mon point de vue ! Tout amendement a le droit d'être débattu.

Les lois que vous citez prévoient la prise en compte de réalités différentes, elles ne partent pas a priori du principe de différenciation tel que défini ici.

Je ne dis pas que la différenciation sera la fin de l'égalité républicaine mais qu'elle renforcera les plus grosses collectivités territoriales au détriment des plus petites.

Évitons les postures. Je ne cherche pas à bâtir un avenir politique mais à répondre à des préoccupations et participer à un débat pluraliste.

M. Daniel Chasseing.  - Je suis favorable à une différenciation dans certains territoires ruraux, sinon il y aura une désertification. Il faut des zones de revitalisation rurale et des aides renforcées pour y maintenir la vie.

L'amendement n°264 n'est pas adopté.