Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Ouverture de la session ordinaire 2021-2022

Élection de nouveaux sénateurs

Éloge funèbre de Patrick Boré

Communications

Secrétaire du Sénat (Nomination)

Commissions permanentes (Nominations)

Accord en CMP

Lutte contre toutes les formes d'antisémitisme

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution

M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution

Mme Nathalie Goulet

M. Jean-Pierre Corbisez

Mme Esther Benbassa

M. Rachid Temal

Mme Patricia Schillinger

M. Joël Guerriau

M. Roger Karoutchi

M. Guy Benarroche

M. Pierre Ouzoulias

M. Pierre-Antoine Levi

[M. Hussein Bourgi

Mme Sabine Drexler

M. Olivier Paccaud

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté

Reconnaissance du Gouvernement d'unité nationale de Birmanie

Discussion générale

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution

M. André Guiol

M. André Vallini

Mme Nicole Duranton

M. Joël Guerriau

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

M. Guillaume Gontard

Mme Michelle Gréaume

M. Olivier Cigolotti

M. Franck Riester, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité

Pacte européen pour l'asile et les migrations

Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté

M. Stéphane Ravier

M. Jean-Yves Leconte

Mme Patricia Schillinger

M. Pierre-Jean Verzelen

M. François Bonhomme

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Bonnecarrère

M. Henri Cabanel

M. Didier Marie

M. Pascal Allizard

M. Jean-Michel Arnaud

M. Jean-Yves Leconte

Mme Christine Lavarde

M. Alain Cadec

M. Roger Karoutchi

M. Cyril Pellevat

M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains

Situation sanitaire outre-mer

M. Stéphane Artano, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles

Mme Catherine Conconne

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Pierre Médevielle

M. Alain Milon

M. Guillaume Gontard

Mme Éliane Assassi

M. Jean-François Longeot

M. Stéphane Artano

Mme Viviane Artigalas

Mme Annick Petrus

Mme Jocelyne Guidez

Mme Victoire Jasmin

Mme Micheline Jacques

Mme Catherine Deroche

M. Georges Patient, au nom de la délégation aux outre-mer

Ordre du jour du mercredi 6 octobre 2021




SÉANCE

du mardi 5 octobre 2021

1ère séance de la session ordinaire 2021-2022

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Pierre Cuypers.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Ouverture de la session ordinaire 2021-2022

M. le président.  - En application de l'article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2021-2022 est ouverte.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Élection de nouveaux sénateurs

M. le président.  - J'ai reçu de M. le ministre de l'Intérieur une communication de laquelle il résulte qu'à la suite de l'élection complémentaire des sénateurs représentant les Français établis hors de France du dimanche 26 septembre 2021, M. Jean-Pierre Bansard, M. Olivier Cadic, Mme Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, M. Christophe-André Frassa et Mme Mélanie Vogel ont été proclamés élus sénateurs et sénatrices.

Le mandat de nos collègues a débuté vendredi 1er octobre à 0 heure.

Nous les accueillons avec plaisir et leur souhaitons un excellent mandat ! (Applaudissements)

Éloge funèbre de Patrick Boré

M. le président.  - (M. le président, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.) C'est une profonde tristesse qui nous a envahis quand nous avons appris, le 5 juillet dernier, la disparition de notre collègue Patrick Boré, sénateur des Bouches-du-Rhône, qui a mené pendant de longs mois un combat courageux et digne contre la maladie, avec cette même détermination qui l'a accompagné toute sa vie.

J'étais présent, le 8 juillet, à La Ciotat. Ce fut une très émouvante cérémonie d'adieu, à laquelle assistaient beaucoup de personnalités politiques et d'habitants des Bouches-du-Rhône. La ville entière était en deuil. Et c'est aussi dans les rues de cette cité, si chère à son coeur, que les habitants sont venus en masse le long du port lui rendre témoignage de leur affection et de leur reconnaissance, avec émotion et recueillement, et les sirènes des bateaux « pleuraient » à l'unisson des coeurs.

Le service de l'intérêt général, le don de soi et l'amour du prochain guidèrent sans cesse la vie de Patrick Boré.

Né à Toulon le 9 novembre 1956, de parents commerçants, Patrick Boré exerça le métier de pharmacien, après des études à la faculté de médecine de Marseille. Installé à La Ciotat, entre ses clients et lui, c'était un attachement, une empathie, tout particulièrement pour les ouvriers des chantiers navals.

Engagé en politique depuis les années passées sur les bancs de l'université, il porta la flamme du gaullisme à La Ciotat et commença sa carrière politique en 1999, en devenant le suppléant du député des Bouches-du-Rhône Bernard Deflesselles.

Son élection, en mars 2001, à la mairie de La Ciotat est restée un moment privilégié de sa vie publique. Il allait redonner vie à une cité fortement affectée par la fermeture de ses chantiers. Réélu maire à trois reprises, en 2008, 2014 et 2020, il s'est consacré à sa ville pendant plus de dix-neuf ans, il l'a transformée et a mis toute son énergie et sa générosité au service des Ciotadens, tant il est vrai qu'un maire est comme un potier qui donne forme à la terre brute.

Cette ville lui doit - entre bien d'autres réalisations - le renouveau des chantiers navals, devenus désormais l'un des fleurons de l'activité de réparation de yachts de luxe dans le monde, la création du parc du Domaine de la Tour, la rénovation du Port-vieux ou encore le développement des zones d'activité Athélia, consacrées aux industries innovantes, sans oublier une politique de l'habitat permettant aux Ciotadens de vivre et travailler chez eux.

Il permit à La Ciotat de renouer avec sa fierté industrielle, mais aussi culturelle en redonnant vie à l'association « La Ciotat berceau du cinéma », créée pour illustrer la vocation cinématographique de cette ville, liée à la présence des frères Lumière.

Il s'est battu pour La Ciotat avec la fougue du rugbyman qu'il était. Renaud Muselier, son ami depuis leurs études, m'a confié au soir de sa disparition : « Il était profondément gentil et bienveillant, jusqu'au coup d'envoi du match où il se transformait en beau diable. Ce trait de caractère du rugby, il l'avait aussi dans la vie politique : il adorait le combat ».

Je le revois, lors de la visite des chantiers que j'avais effectuée à son invitation, en août 2018. J'ai en mémoire sa fierté et sa passion lorsque nous parcourions les différentes installations et ateliers à la rencontre des entreprises du site. Nous avions souligné le succès de la réindustrialisation du chantier naval sous son impulsion, et insisté sur l'importance du travail collectif dans cette réussite.

Ancré à sa ville, Patrick Boré l'était aussi à son département. Il fut élu conseiller général du canton de la Ciotat en 2004, réélu en 2011 et 2015, et siégea au total plus de seize années au sein de l'assemblée départementale.

Il devint en 2015, aux côtés de la présidente Martine Vassal, premier vice-président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, chargé des relations internationales et européennes ainsi que des interventions humanitaires.

Il fut un élu local apprécié de tous tant au sein de cette assemblée qu'à la métropole d'Aix-Marseille Provence, dont il fut vice-président de 2016 à 2020.

En juin 2019, il s'engagea dans la campagne des élections européennes. Mais notre assemblée l'attirait depuis longtemps. Son arrivée au Sénat, début août 2020, en remplacement de Sophie Joissains, a marqué sa vie.

Il mena la liste « Cap sur l'avenir de nos villes et de nos villages » lors des élections sénatoriales qui suivirent, aux côtés de nos collègues Valérie Boyer, Stéphane Le Rudulier et Brigitte Devésa qui lui a maintenant succédé parmi nous. Il fut comme à son accoutumée un acteur de rassemblement et d'apaisement, J'ai le souvenir d'une réunion et d'un déjeuner de campagne sénatoriale particulièrement chaleureux, à Aix-en-Provence en septembre 2020.

Il sillonna les Bouches-du-Rhône au cours de cette campagne, allant de mairie en mairie. Élu sénateur, il a gardé la passion de sa ville et de son département.

Il déclara dans la presse locale lorsqu'il passa le flambeau de la mairie à Arlette Salvo : « En choisissant le Sénat, je choisis La Ciotat, car je ne quitte pas La Ciotat. Avoir deux parlementaires dans un conseil municipal, je crois que c'est important pour une ville aussi. »

Dès son arrivée, nous avons apprécié cet homme chaleureux. Souvenons-nous de sa silhouette élancée dans notre hémicycle, avec son côté gentil, affable. Ses premières interventions avaient été écoutées avec attention, car il avait une voix forte.

Sa profession de pharmacien l'avait tout naturellement conduit à rejoindre la commission des affaires sociales. Au cours de la crise sanitaire, il eut à coeur d'alerter le Gouvernement, comme beaucoup d'entre nous, sur la nécessité de « territorialiser » les mesures prises. Il avait ainsi appelé à   réfléchir, en collaboration avec les élus locaux, les fédérations et les organisations professionnelles, à des protocoles sanitaires sûrs et réalisables », pour éviter de nouvelles fermetures et permettre notamment aux gérants des restaurants et des bars « d'avoir une véritable visibilité et à leur foyer de sortir de l'angoisse du lendemain ».

Membre du groupe d'amitié France-Arménie, il déposa, en avril 2021, une proposition de résolution par laquelle il invitait le Gouvernement « à exiger de la République d'Azerbaïdjan, sous peine de sanctions, la libération sans délai des prisonniers civils et militaires qu'elle détient toujours et la restitution immédiate des corps des soldats arméniens tués au combat ». Cela parle sans doute aux présidents de groupe qui m'ont accompagné le 24 avril en Arménie...

Puis, en mai 2021, il questionna le Gouvernement sur ce même sujet, déplorant le silence et l'inaction de la France, « pourtant liée à l'Arménie par des liens séculaires d'amitié », « face aux multiples exactions commises par la Turquie et ses alliés, notamment à l'encontre de l'Arménie ».

Il fut aussi membre du groupe France-Saint-Siège ; quoi de plus naturel pour celui qui fit en sorte que soient envoyées au musée du Vatican les reliques de Saint-Césaire d'Arles - ce saint du VIe siècle selon lequel il fallait courir sur ses deux pieds : « l'humilité et la charité ».

Sportif de haut niveau et adepte du rugby, marcheur patenté sur les chemins de Corse, Patrick Boré était un homme réservé qui était à l'écoute de la détresse humaine, comme il l'a prouvé en accueillant de jeunes migrants érythréens. Ses convictions l'ont toujours porté vers l'autre.

Nous garderons de Patrick Boré le souvenir d'un sénateur chaleureux, bienveillant et sincère, d'un élu de proximité profondément attaché aux Bouches-du-Rhône et à sa commune de La Ciotat, et aussi d'un humaniste doté d'une grande empathie, d'une personnalité d'une grande droiture et particulièrement agréable dans ses relations avec autrui.

À ses anciens collègues de la commission des affaires sociales, à ses amis du groupe Les Républicains, j'exprime notre sympathie attristée.

Au-delà des mots - car nous ressentons encore quelques mois après une profonde émotion - je souhaite adresser à sa maman, à son épouse Nadine, que je salue ici, à ses enfants Julien et Alicia, à toute sa famille, ainsi qu'à toutes celles et tous ceux qui l'ont accompagné tout au long de sa vie, notre compassion, mais aussi notre gratitude.

Il était un exemple : j'ai le souvenir de nos dernières conversations téléphoniques à un moment où peut-être l'espérance se faisait plus lointaine... Il continuait à être ce qu'il était : un homme profondément humain. Patrick restera présent dans nos mémoires. Nous ne l'avons pas accueilli assez longtemps ici dans cet hémicycle, mais il est des femmes et des hommes qui parfois marquent au-delà du temps qu'ils ont passé quelque part.

Je vous invite à partager ce moment de recueillement en mémoire en mémoire de Patrick ; puisqu'il avait une certaine vision de l'éternité, nous pouvons nous dire que, peut-être, à cet instant, il est parmi nous.

(Mmes et MM. les Sénateurs observent un moment de recueillement.)

La séance est suspendue à 14 h 45.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 15 h 15.

Communications

Secrétaire du Sénat (Nomination)

M. le président.  - J'informe le Sénat que le groupe RDPI a fait connaître le nom du candidat qu'il propose pour remplacer, en qualité de Secrétaire du Sénat, Mme Patricia Schillinger, qui a démissionné de cette fonction à compter du 1er octobre 2021.

La candidature de M. Dominique Théophile a été publiée et la désignation aura lieu conformément à l'article 2 bis du Règlement.

Commissions permanentes (Nominations)

M. le président.  - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des affaires européennes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Accord en CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Lutte contre toutes les formes d'antisémitisme

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau et Hervé Marseille, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE) Il y a quarante-et-un ans, le 3 octobre 1980, une bombe explosait rue Copernic, faisant des dizaines de blessés et des morts près d'une synagogue - une première depuis la seconde guerre mondiale. Malheureusement, ce ne fut pas la dernière fois : depuis, les actes antisémites se sont multipliés, avec les crimes abominables de Mohammed Merah et les supplices d'Ilan Halimi, de Sarah Halimi, de Mireille Knoll.

Sept Français de confession juive sur dix disent avoir subi un acte antisémite - sept sur dix ! La question de l'antisémitisme se pose à nouveau, mais dans des termes différents. Hier issu de l'extrême droite, il procède aujourd'hui d'un autre écosystème : des territoires perdus de la République, gagnés par l'islamisme, où l'on ne peut plus enseigner la Shoah, où nos compatriotes se voient cracher au visage ces mots terribles : « sale juif ».

Combien d'élèves juifs restent dans les écoles publiques ? Combien de familles ont-elles dû s'exiler, la peur au ventre ?

Avant la guerre, cette idéologie s'affichait dans des journaux antidémocratiques. Aujourd'hui, elle se cache derrière des discours prétendument antiracistes, renversant de manière stupéfiante les valeurs : les coupables seraient des victimes, car appartenant à des groupes dominés.

Non : hier comme aujourd'hui, un antisémite est un antisémite. Il ne faut rien céder. On ne combat bien que ce que l'on nomme bien : tel est l'objet de cette résolution proposant une définition de l'antisémitisme adoptée par la France et d'autres pays au sein de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA).

Cette définition doit être assez large pour prendre en compte l'ensemble de ces nouvelles expressions. La frontière entre antisémitisme et l'antisionisme n'est parfois pas aussi nette que certains le prétendent. Elle doit être assez stricte pour autoriser la critique de la politique d'Israël : on a le droit, en France comme dans toute démocratie, de critiquer la politique de cet État comme celle de tout autre État.

Cette résolution n'est pas pour nos compatriotes de confession juive : elle est pour la France. Car les actes antisémites sont d'abord dirigés contre la République, contre la France, son projet civique et l'essence même de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Le 11 avril, des habitants de Perros-Guirec découvraient la stèle de Simone Veil recouverte de croix gammées. Une fois nettoyée, la stèle fut à nouveau souillée trois jours plus tard, puis encore - en tout à quatre reprises. Les exemples sont multiples dans tous les départements.

L'antisémitisme s'exprime à visage découvert, dans la rue, sur les pancartes de certains antivax, sur les murs des lieux de culte, sur les réseaux sociaux. Les injures, les intimidations, les discriminations se multiplient. On ne peut accepter que des élèves soient contraints de quitter une école en raison de leur religion.

On a cru la France vaccinée dans les années 1970, mais un nouvel antisémitisme protéiforme a vu le jour depuis, prenant prétexte de la situation au Moyen-Orient et d'un prétendu lobby juif auquel seraient associés tous les juifs de France. Pas moins de 687 faits antisémites ont eu lieu en 2019, soit une hausse de 27 % par rapport à 2018, après une hausse de 74 % déjà par rapport à 2017.

Derrière ces chiffres, l'horreur : Mireille Knoll, Sarah Halimi, les victimes de l'Hyper Cacher, de l'école Ozar Hatorah de Toulouse, Ilan Halimi. Cette haine barbare, violente et meurtrière est sans précédent.

Depuis la seconde guerre mondiale, on n'avait jamais assassiné des gens parce que juifs. En 1990, la loi dite Gayssot a condamné la négation des crimes contre l'humanité, témoignant de l'engagement de la France. Depuis, de nombreux plans d'action ont complété cet engagement.

Ce nouvel antisémitisme, qui avance souvent sous le masque de l'antisionisme, doit être caractérisé. C'est l'objet de la définition proposée par l'IHRA, dont la France est membre. Cette définition n'est pas contraignante juridiquement et ne touche pas la liberté de la presse. Mais les forces de l'ordre, les magistrats, les enseignants pourront s'en servir pour mieux appréhender le phénomène.

Il ne s'agit pas d'empêcher toute critique d'Israël. La définition de l'IHRA fait clairement la distinction : « une critique d'Israël similaire à celle portée contre n'importe quel autre pays ne peut être vue comme antisémite ».

De nombreux pays, les municipalités de Paris ou de Nice ou encore le Parlement européen ont adopté cette définition.

Alors que certains cherchent à réhabiliter le pétainisme ou dénient aux enfants assassinés le droit d'être enterrés en terre d'Israël, c'est l'honneur du Sénat que d'adopter cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDSE)

Mme Nathalie Goulet .  - La période est violente et anxiogène. Les actes antimusulmans se multiplient, mais aussi les actes antisémites, et cela nous inquiète.

Mon père s'est échappé du Vél'd'Hiv grâce à un gendarme français qui a eu pitié de ma grand-mère. Penser qu'en France, au XXIe siècle, on puisse tuer des enfants parce que juifs, cela me glace le sang. Penser que certains abrutis utilisent les symboles de la Shoah pour protester contre le passe sanitaire me donne la nausée. Comment expliquer à certains qui osent utiliser l'étoile jaune que cela porte malheur ? Comment expliquer à nos parents qui l'ont portée ces dérapages insupportables ? Que certains laissent penser qu'il y a de bons et de mauvais antisémites - comme le bon et le mauvais cholestérol - me consterne. Ces faussaires de l'histoire en viennent même à affirmer que Vichy aurait protégé les juifs ? Cela m'horrifie !

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet.  - Penser qu'en 2021, en France, terre des Lumières, terre de l'émancipation des juifs, nos synagogues sont gardées jour et nuit, que ma fille a peur d'y emmener ses enfants, me désespère. Je ne vois pas comment inverser la tendance. Mais je remercie le Gouvernement et le ministère de l'Intérieur pour les mesures de sécurité qu'il consacre à la protection des lieux de culte, de tous les lieux de culte. Je remercie les présidents Marseille et Retailleau d'avoir mis cette proposition à l'ordre du jour. Nous vivons avec nos morts et notre histoire tragique. C'est pour éviter qu'elle se reproduise que je voterai avec le groupe centriste cette résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)

M. Jean-Pierre Corbisez .  - « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous », disait Frantz Fanon. La lutte contre l'antisémitisme est un combat permanent. Mireille Knoll, Sarah Halimi, l'Hyper Cacher nous le rappellent. Au sortir de la seconde guerre mondiale, nous aurions pu légitimement penser qu'il était derrière nous, mais l'antisémitisme est encore bien prégnant ; l'augmentation de 27 % des actes de ce type en 2019 en témoigne. Il y a aussi ce que l'on ne relève pas, qui ne fait l'objet d'aucune plainte, sous l'effet de la mithridatisation des esprits : une remarque, une insinuation...

La définition de l'IHRA vise « une certaine perception des juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte ». Cette définition, approuvée en 2019 par l'Assemblée nationale, ne fait pas consensus, y compris chez les intellectuels juifs.

Le RDSE n'a pas de position de principe, mais est attentif aux conséquences sur le droit existant. Celui-ci apporte, avec la loi sur la presse de 1881, la loi Gayssot et la réforme du code pénal en 1992, une réponse pénale suffisante. Cette proposition de résolution n'y ajoutera rien, même si j'en entends l'argument de l'outil éducatif. Le désaccord avec Israël est acceptable, légitime et légal, mais l'amalgame avec l'ensemble d'une population qui n'est d'ailleurs pas seulement juive est inacceptable. C'est pourquoi le groupe RDSE votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains ; MM. Hervé Marseille et Joël Guerriau applaudissent également.)

Mme Esther Benbassa .  - De fait, les préjugés antijuifs perdurent en se renouvelant : juifs riches et assoiffés de pouvoir, responsables de tous les maux, y compris le Covid... Les pancartes de certains antivax et antipasse rappellent les accusations médiévales contre les juifs propagateurs de la peste et empoisonneurs de puits. Notre lutte contre l'antisémitisme ne doit laisser place à aucune ambiguïté. Pourquoi dès lors se focaliser sur la critique d'Israël ?

En 2015, après son offensive meurtrière contre Gaza, M. Netanyahou promeut une idée simple : antisionisme égale antisémitisme. Son principal interlocuteur est l'IRHA, qui adopte en mai 2016 sa définition. Non contraignante sur le plan juridique, elle demeure un outil d'intimidation, comme en témoignent les pressions des lobbies pro-israéliens pour la faire adopter par le plus grand nombre possible de municipalités, de partis, d'États.

Le 16 juillet 2017, à la fin de son discours sur la rafle du Vél'd'Hiv, Emmanuel Macron déclarait : « Nous ne céderons rien à l'antisionisme car c'est la forme réinventée de l'antisémitisme. » Voilà le type de confusions qu'entretiennent les exemples accompagnant la définition de l'IHRA.

Cette proposition de résolution est plus claire que celle de l'Assemblée nationale ; le mot antisionisme n'y apparaît heureusement pas. Je la voterai, même si j'aurais préféré la définition de Jérusalem, élaborée par des universitaires et approuvée par des centaines de spécialistes de l'histoire des juifs et de l'antisémitisme dans le monde, qui établit des critères non ambigus et offre de fait les clés pour interpréter la définition de l'IHRA.

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il est des combats qui doivent rassembler - la lutte contre l'antisémitisme en fait partie. Notre combat, c'est la condamnation des appels à la haine et à l'oubli des souffrances liées à l'antisémitisme.

En 1995, quand Jacques Chirac a reconnu « l'acte irréparable » commis par la France que fut la rafle du Vél'd'Hiv, il a grandi la France ; c'est pourquoi, quand j'entends des responsables politiques courir après un polémiste révisionniste qui justifie Vichy, j'ai mal à ma France.

Qu'il vienne de l'extrême droite, du complotisme ou du totalitarisme islamiste, face à l'antisémitisme, il faut bannir tout accommodement, toute complaisance, toute lâcheté. Appartenant à une famille politique qui a l'antiracisme ancré dans son ADN, je salue, au nom de mon groupe, cette proposition de résolution.

Élu du Val-d'Oise, j'étais cette année, comme tous les ans, à Aincourt où un sanatorium fut transformé en un camp d'internement d'où partirent 1 500 hommes, femmes et enfants pour les camps de Ravensbrück et d'Auschwitz.

Le 30 novembre 2015, Bernard Cazeneuve et moi avons inauguré une stèle à Sarcelles, en hommage à Yohan Cohen, assassiné dans l'Hyper Cacher parce que juif. Toute ma vie, je me souviendrai de la douleur de ses proches.

L'antisémitisme est en progrès notable, avec 687 faits commis en 2019, malgré le plan national contre le racisme et l'antisémitisme. Il faut de la pédagogie, mais aussi une justice implacable.

L'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est un délit. Le groupe SER votera unanimement cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)

Mme Patricia Schillinger .  - Je salue la tenue de ce débat. L'antisémitisme est une attaque contre le vivre-ensemble et le faire-société.

Deux chiffres me heurtent : 80 % des 18-24 ans de confession juive ont été victimes d'un acte antisémite ; la moitié en milieu scolaire, lieu de la découverte des valeurs d'humanisme. Ces actes imposent une condamnation ferme, mais surtout une action rapide et déterminée.

Les réseaux sociaux et forums de discussion sont les lieux privilégiés de propagation de l'antisémitisme.

Mais j'ai vu aussi un antisémitisme à visage découvert lors de manifestations contre le passe sanitaire, avec des comparaisons abjectes.

Le Prix Nobel de la Paix, Elie Wiesel, disait : « être indifférent à la souffrance, c'est rendre l'humain inhumain ».

L'antisémitisme est le problème de notre société tout entière. C'est un combat de tous les instants, qui passe aussi par la responsabilité de chaque citoyen. Cela passe aussi par l'enseignement de la Shoah.

Le RDPI salue le travail de l'IHRA qui, en 2016, adoptait une définition dite de travail, non contraignante, pour mieux circonscrire l'antisémitisme. Assortie d'exemples concrets, cette définition garantit la liberté d'expression et n'empêche pas la critique d'Israël. Le Président de la République l'a endossée, le 20 février 2019, lors du dîner du CRIF.

Cette définition doit être diffusée auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires ; ce sera un instrument utile.

Il ne s'agit pas de modifier le code pénal, mais de préciser et raffermir nos pratiques. Le RDPI votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. Joël Guerriau .  - L'examen de cette résolution coïncide avec une cérémonie internationale de commémoration de l'holocauste de Babi Yar, à Kiev, en présence du président allemand et du président israélien. Quelque 33 000 juifs y furent exécutés par balle les 29 et 30 septembre 1941 - le plus grand massacre de la Shoah ukrainienne.

Nous aurions pu marquer un moment de silence pour ces innocents, assassinés au nom d'une idéologie barbare. Songeons qu'en Ukraine, le bataillon néonazi Azov parade en toute impunité avec un emblème qui rappelle grandement celui de la deuxième division SS Das Reich...

En France, nous déplorons une spirale d'actes antisémites de plus en plus violents. Mireille Knoll, Ilan Halimi, Sarah Halimi, les victimes de l'école Ozar Hatorah ou de l'Hyper Cacher... La liste de ceux qui sont morts parce que juifs s'allonge. À ces crimes s'ajoutent les profanations et dégradations de sépultures et de lieux de culte, les insultes et les agressions physiques.

L'antisémitisme est un poison portant atteinte à la France et à nos valeurs républicaines. Charles Péguy disait qu'il y a pire que d'avoir une âme perverse : c'est d'avoir une âme habituée. L'insupportable ne saurait se banaliser.

L'IHRA, fondée en 1998, regroupe 31 pays dont la France ; elle propose une courte définition, complétée par une série d'exemples ; il est précisé que les critiques d'Israël ne peuvent être qualifiées d'antisémites.

Cette définition non contraignante vise notamment les lieux scolaires et universitaires ; elle sera utile aux forces de l'ordre et aux magistrats.

Adopter cette proposition de résolution, c'est montrer symboliquement notre détermination collective à lutter contre l'antisémitisme, et par là même, contre tous ceux qui, en paroles et en actes, sèment la haine et l'intolérance. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Je voterai cette résolution, comme beaucoup ici. Mais en arriver là est la marque de l'échec de toutes nos politiques publiques depuis vingt ans.

Après la guerre, après la Shoah, l'abomination, on se disait que les esprits ne pourraient même plus imaginer l'antisémitisme ; on l'a cru pendant trente, quarante ans. Mais depuis vingt, trente ans les choses dérapent. D'abord dans les mots, puis dans les actes.

On s'y est presque habitué : telle année, 23 % d'actes antisémites en plus, telle autre, 17 %... On s'en satisferait presque.

Le premier texte fort a été la loi Gayssot, suivie de toute une série de textes, appels, circulaires, décrets qui n'ont rien changé.

Nous faisons face à un antisémitisme protéiforme : celui, traditionnel, des séides de l'extrême droite néonazie ; celui, insupportable, de ceux qui prétendent que Pétain a livré les juifs étrangers à la déportation pour protéger les juifs français, comme s'il y avait une gradation...

En vérité, ce sont l'éducation et les médias, et non le législateur, qui devraient être en première ligne.

Antisémitisme avoué, inavoué, revendiqué, anonyme, sur les réseaux sociaux, dans la rue... Jusqu'où ?

Cette proposition de résolution est en réalité un appel au Gouvernement. Les textes de loi ne suffisent pas : il faut les appliquer, punir sévèrement les réseaux sociaux lorsqu'ils laissent déborder la haine antisémite. Personne ne doit être inquiété pour sa religion dans ce pays.

Le Sénat, c'est 348 sénateurs, chacun avec son approche - mais c'est aussi, comme l'Assemblée nationale, le garant de l'unité de la Nation, de la démocratie, de la République.

Pas de nation sans autorité de l'État, sans unité, sans destin commun. Voter cette résolution, c'est dire oui à la Nation. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et sur plusieurs travées du RDSE et des groupes SER et CRCE)

M. Guy Benarroche .  - Celui qui ne connaît pas son passé est condamné à le revivre. C'est notre rôle de légiférer sur des incriminations pénales, pas de définir des notions contestées. Cette résolution repose sur une définition de l'antisémitisme choisie par l'IHRA qui est loin d'être une référence indiscutable.

L'antisémitisme, c'est ramener quelqu'un à son identité juive. C'est une discrimination, un préjugé, une hostilité, une violence à l'encontre des juifs, bien antérieure à l'État d'Israël et même au sionisme.

Tous, sur nos travées, nous condamnons sans réserve les actes de violence et la haine envers les juifs. L'antisémitisme évolue, dans ses formes, ses justifications inacceptables, toujours empreintes de mauvaise foi. Le révisionnisme d'extrême droite s'exprime par des profanations de cimetières ou de synagogues, par les pancartes abjectes brandies par les complotistes. Tout cela est à combattre.

D'autres aspects appellent plus de nuance.

Rien dans la définition de l'IHRA n'évoque l'antisionisme ; ce sont les exemples publiés dans la déclaration de 2016 qui font le lien entre la critique d'Israël et l'antisémitisme. Le Président de la République a dit vouloir élargir la définition de l'antisémitisme à l'antisionisme. L'IRAH a certes affirmé qu'une critique d'Israël ne peut être assimilée à de l'antisémitisme, mais ce n'est pas si clair.

Les critiques de la politique des gouvernements israéliens ne peuvent être assimilées à l'antisémitisme, au risque d'affaiblir le combat contre celui-ci. Cet amalgame est faux.

Parfois, l'antisionisme est le faux-nez de l'antisémitisme mais ne tombons pas dans le piège. Notre arsenal juridique suffit : la loi sanctionne le fait d'attaquer une personne du fait de son origine, de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Elle fait honneur à la République.

Nous demandons donc le retrait de cette proposition de résolution déséquilibrée ; à défaut, nous nous abstiendrons. Notre groupe déposera très bientôt un texte contre le racisme et les discriminations. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. François Bonhomme.  - On a compris...

M. Pierre Ouzoulias .  - La haine du juif en France, c'est deux mille ans de mesures d'éloignement, de législations d'exclusion, d'accusations criminelles, de persécutions, de pogromes et de génocides. Léon Poliakov a montré qu'elle trouve son origine dans l'Antiquité puis dans le christianisme naissant, l'antijudaïsme participant de la formation d'une certaine identité chrétienne de l'Occident.

Les juifs de Rouen furent massacrés en 1096, avant que d'autres pogroms ne suivent en 1146. L'abbé de Cluny les justifie ainsi : pourquoi une croisade au bout du monde quand il existe parmi nous des infidèles mille fois plus coupables envers le Christ que les mahométans ?

Il y a un antijudaïsme d'État, dont témoignent de nombreux édits royaux, de Childebert et Dagobert à Philippe le Bel et Charles VI. Jusqu'aux mesures de Napoléon Bonaparte contre l'installation des juifs en Alsace, ciblant leurs « pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société. »

L'antisémitisme contemporain s'inscrit dans l'histoire d'un antijudaïsme millénaire, dont l'exposé des motifs de cette résolution ne dit rien. Or comment ne pas reconnaître dans le complotisme actuel des résurgences des thèses médiévales qui faisaient des juifs les responsables de l'épidémie ? C'est notre première réserve.

Notre deuxième objection porte sur la définition proposée par l'IHRA, qui est imprécise, et dont l'utilisation politique partisane a été dénoncée par Kenneth Stern, l'un de ses rédacteurs.

La définition de la Déclaration de Jérusalem, publiée en 2020, est plus pertinente. Elle rappelle que le combat contre l'antisémitisme ne saurait être dissocié de la lutte globale contre toutes les discriminations raciales, ethniques, culturelles, religieuses ou sexuelles.

Nous regrettons enfin qu'il ne soit pas fait référence au révisionnisme actuel et à la tentative de réhabilitation du régime de Vichy.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Pierre Ouzoulias.  - Rappelons-nous les mots du président Chirac dans son discours du Vél'd'Hiv, le 16 juillet 1995 : « la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. Transmettre la mémoire, reconnaître les fautes du passé, ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est lutter contre les forces obscures sans cesse à l'oeuvre ». Cette déclaration nous honore, nous oblige et nous engage.

Engageons ensemble un travail de fond pour éclairer nos concitoyens sur les deux mille ans d'antijudaïsme qui ont abouti à la Shoah, à partir de la Déclaration de Jérusalem. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur plusieurs travées des groupes INDEP et UC)

M. Pierre-Antoine Levi .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Qu'est-ce que la haine ? Aucune définition ne satisfera notre volonté de comprendre, et notre besoin de consolation restera à jamais inassouvi.

Les images qu'elle laisse dans son affreux sillage hantent nos mémoires. Toulouse, 19 mars 2012, huit heures du matin : devant l'école Ozar Hatorah, un garçonnet terrifié, achevé dans la rue à côté du corps de son père et de son frère, abattus par un tueur en scooter. Puis vient le tour d'une fillette de huit ans, tuée à bout portant -  tous coupables d'être juifs. La scène est filmée, car il ne suffit pas de tuer, il faut archiver la tuerie, pour en jouir davantage.

Sainte-Geneviève-des-Bois, 13 février 2006 : un jeune homme de 23 ans est retrouvé à l'agonie aux alentours du RER C. Il s'appelle Ilan Halimi et a été torturé pendant trois semaines -  parce que juif.

Des années ne suffiraient pas à feuilleter, crime après crime, le terrible album de la haine antisémite.

Nous voyons renaître dans notre pays la bête immonde de l'antisémitisme, parfois sous des masques qui feignent l'innocence. La violence haineuse peut aussi tuer par la simple parole.

Face à la multiplication des actes antisémites et leur banalisation, la peur pousse certains à fuir la France.

La France doit tout mettre en oeuvre pour bannir la peur et combattre la haine antisémite.

« Je suis faite pour partager l'amour et non la haine », dit Antigone. Faut-il inscrire l'empathie au programme de l'Éducation nationale ? L'utopie n'est sans doute pas la réponse, mais permettez-moi de rêver à une France où le mot antisémitisme n'aurait plus aucun sens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

[M. Hussein Bourgi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) « Heureux comme un juif en France »... Longtemps cette formule eut cours. Le philosophe Emmanuel Levinas citait son grand-père, évoquant l'affaire Dreyfus et saluant un peuple qui se déchira pour sauver l'honneur d'un petit officier juif : c'est, disait-il, un pays où il faut rapidement aller. Zola, Clemenceau, Anatole France, Jaurès et d'autres furent l'honneur de la France.

N'en déplaise à d'aucuns qui cherchent à minimiser le rôle de Vichy dans la Shoah, notre référence demeure le discours du Président Chirac du 16 juillet 1995. Il nous habite.

Depuis, la France a été le théâtre de plusieurs attentats et crimes antisémites auxquels s'ajoutent les profanations, les violences physiques, les injures gratuites, le révisionnisme.

Toutes les formes d'antisémitisme sont à combattre, d'où qu'elles viennent -  extrême droite ou nébuleuse islamiste.

La lutte contre l'antisémitisme doit mobiliser toutes les forces républicaines et tous les pouvoirs publics, l'Éducation nationale, les forces de l'ordre et la justice.

Nos compatriotes de confession juive sont de plus en plus nombreux à se demander si leurs enfants ont encore leur place dans l'école de la République, s'ils ont encore un avenir en France.

Je veux leur dire : « Vous n'êtes pas seuls ! ». Nous renouvellerons ce serment en votant cette proposition de résolution, en conscience, en responsabilité et en fidélité à notre engagement contre toutes les discriminations qui menacent notre pacte républicain.

Inspirés par les résistants anonymes, par les Justes parmi les Nations, par les héros tombés face au péril islamiste, nous le redisons : « vous n'êtes pas seuls ! »

Héritiers d'une histoire et passeurs d'une mémoire, nous sommes dépositaires d'une promesse que la République fait à ses enfants : nul ne doit être inquiété pour sa religion. Hissons-nous à la hauteur de ce que le général de Gaulle appelait « une certaine idée de la France ». (Applaudissements sur les travées des groupes SER, UC, RDSE et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Sabine Drexler .  - Le racisme et l'antisémitisme ont tué en France, rappelait Édouard Philippe en 2018. Ils s'expriment dans la rue, sur les murs des lieux de culte, sur les réseaux sociaux. Ils se traduisent par des injures, des intimidations, des coups.

Quel est le résultat des politiques publiques qui visent à juguler l'antisémitisme ordinaire ?

En Alsace, région où j'ai grandi et dont je suis l'élue, nous avons un passé commun, unique, dense et riche, avec la communauté juive, depuis un millénaire. Nous en trouvons des traces dans notre dialecte et nos chants, notre littérature, notre cuisine, notre patrimoine bâti.

Mais cette histoire commune n'a pas été un long fleuve tranquille. Les juifs ont parfois été accueillis à bras ouverts, parfois chassés, comme au XIVe siècle, au moment de la Grande peste noire, spoliés, comme en 1848 dans mon propre village du Sundgau, et éradiqués pendant la seconde guerre mondiale.

Mais en Alsace-Moselle, le Concordat de 1801 a développé une culture du dialogue et un savoir-vivre ensemble spécifique. C'est ainsi que nous luttons contre les préjugés séculaires. Dans notre région, les affaires religieuses ne sont pas un tabou.

Pour autant, l'Alsace n'échappe pas à la poussée antisémite. C'est pourquoi la Collectivité européenne d'Alsace a installé des « veilleurs de mémoire » pour lutter contre les profanations de tombes.

La lutte contre les relents antisémites passe par la prévention, l'éducation et la culture. Les professeurs ne doivent pas craindre d'aborder la Shoah, dont certains n'osent même plus prononcer le mot.

Notre défi commun est de lutter contre l'indifférence et la banalisation de ces actes, de nous doter d'outils efficaces pour protéger notre nation et ses valeurs.

Je salue le travail de Bruno Retailleau et Hervé Marseille. J'espère que ce premier pas sera suivi d'autres. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Paccaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2004, le rapport Obin nous apprenait qu'à l'école, le racisme antijuif avait très nettement supplanté le racisme antimaghrébin ; seuls les enfants juifs ne peuvent être scolarisés dans n'importe quel établissement.

L'antisémitisme n'a jamais cessé de diffuser son venin. Lorsqu'une vitrine est souillée de l'inscription « Juden », que le portrait de Simone Veil est scarifié d'une croix gammée, qu'Alain Finkielkraut est lynché verbalement, c'est le fantôme le plus ignoble de l'Histoire qui ressurgit ; le meurtre de Mireille Knoll, les crimes de Mohammed Merah, les profanations de tombes juives sont autant de résurgences insoutenables d'un passé qui nous remplit d'effroi.

Ce fléau habite notre civilisation. La bête immonde est là, tapie dans l'ombre, mâchoire acérée suintant de haine, prête à bondir -  et le ventre toujours fécond. Elle a simplement pris d'autres visages, celui de la folie islamiste ou de l'antisionisme absolu, qui autorise un antisémitisme décomplexé.

L'oubli ne nous menace pas moins. Seul le souvenir engendre la sagesse. L'école est le haut lieu de la transmission des valeurs de la République. Elle doit porter inlassablement le souvenir des crimes antisémites. Le devoir de mémoire et de pédagogie nous oblige.

Les soubresauts de l'affaire Dreyfus perdurent. Souvenons-nous de « J'accuse ! » : les mots d'Émile Zola pourraient être d'aujourd'hui. L'antisémitisme, comme tous les racismes, n'a pas sa place dans la République de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.

« Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux », écrit Victor Hugo. Ne rendons jamais illisibles les pages les plus sombres de notre Histoire, veillons à ce que personne ne puisse les réécrire. Votons cette résolution ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et sur quelques travées du RDSE et des INDEP ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté .  - Amos Oz raconte que son père, alors installé en Europe, avait découvert un matin en face de sa maison l'inscription « Juifs, fuyez au Proche-Orient », et c'est ce qu'il fit. Des décennies plus tard, il revint visiter sa ville natale, et découvrit au même endroit l'inscription : « Juifs, hors du Proche-Orient ».

Que l'on dénonce le cosmopolitisme hors-sol des juifs ou au contraire leur enracinement, c'est la même haine ontologique. Nous devons combattre l'antisémitisme sous toutes ses formes, de toutes nos forces.

La réalité est là. Depuis vingt ans, la haine antisémite connaît une poussée préoccupante dans notre pays : menaces, injures, dégradations, inscriptions, agressions. Internet fournit un exutoire et une caisse de résonance à cet antisémitisme qui tue - les victimes ont été nommées à cette tribune.

Un tiers de nos concitoyens de confession juive se sentent menacés ; beaucoup déménagent, évitent certains quartiers, scolarisent leurs enfants dans des écoles privées.

Cet été, 405 faits antisémites ont été enregistrés en quelques mois ; cela représente 40 % des actes racistes, dirigés contre 1 % de la population. Je pense à la profanation de la stèle en hommage à Simone Veil à Perros-Guirec, aux débordements de certaines manifestations. Avec la pandémie, un antisémitisme latent s'est révélé, le fantasme sinistre du complot juif a reparu. C'est inacceptable.

L'antisémitisme n'a pas sa place en France ; nous le combattons avec la plus extrême fermeté. Depuis l'Antiquité, les juifs ont contribué à façonner le visage et les valeurs de notre pays ; ils ont le droit, comme tous les Français, d'y vivre en paix.

Le Président de la République l'a dit en 2019 : « L'antisémitisme est le signe avant-coureur d'autres haines, quand ce n'est pas celui d'une violence de masse ; il concerne la République tout entière ».

L'antisémitisme a évolué. Il existe à l'extrême droite, mais aussi à l'autre extrémité de l'arc politique, où l'on associe facilement les juifs aux dominants et où l'on en veut à Israël d'exister. Il prend aussi le visage de l'islamisme radical.

L'antisémitisme est devenu multiforme. C'est pourquoi il faut le définir, pour mieux le combattre. La définition du travail de l'IHRA est un instrument utile pour ce faire.

L'Assemblée nationale l'a adoptée en 2019 à l'initiative du groupe LaREM (« Ah ! » sur plusieurs travées) et je me réjouis que le Sénat le fasse à son tour.

Je salue l'initiative de MM. Retailleau et Marseille et vous invite, au nom du Gouvernement, à voter cette résolution. Elle ne modifie pas notre droit mais même sans force contraignante, sera utile dans les tâches de prévention comme de répression.

J'insiste : la liberté de critiquer les politiques des gouvernements israéliens est évidemment préservée ! C'est une chose normale en démocratie. Cela n'a rien à voir avec le fait de dénier à Israël le droit d'exister.

Le Gouvernement est totalement mobilisé dans le combat contre l'antisémitisme. Il a durci le ton et dissout de nombreux groupuscules néonazis et islamistes, traqué les infractions antisémites, renforcé la protection des synagogues, intensifié la lutte contre la haine en ligne, renforcé la formation des policiers, des enseignants et des magistrats.

J'ai personnellement signalé à la justice de nombreux propos et actes antisémites, dont ceux dont a été victime April Benhaïm, candidate à l'élection de Miss France... Pharos fonctionne désormais sept jours sur sept et un observatoire de la haine en ligne a été créé grâce à la loi Avia. Notre soutien aux institutions mémorielles a été renforcé.

Nous continuerons à lutter sans relâche contre le racisme et l'antisémitisme. Un plan à cet effet sera adopté dans les mois qui viennent.

Non, la France ne s'habitue pas à la haine et aux passions mauvaises. Résolue à agir, elle demeure unie autour de ses valeurs républicaines. Je soutiens sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

La proposition de résolution est adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.

Reconnaissance du Gouvernement d'unité nationale de Birmanie

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution portant sur la nécessité de reconnaître le Gouvernement d'unité nationale de Birmanie présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Je remercie le président Cambon de m'avoir confié le suivi de la situation birmane et le président Retailleau d'avoir accepté l'inscription de ce texte sur l'ordre du jour de notre groupe. Je connais l'engagement de Gérard Larcher et de Joëlle Garriaud-Maylam, présidente du groupe d'amitié, sur cette question.

Nos amis birmans, dont certains sont présents en tribunes, voient que leur avenir rassemble en France.

Les élections de novembre 2020 ont été largement remportées par la Ligue nationale pour la démocratie, traduisant une forte adhésion à la transition démocratique entamée depuis 2015.

Mais le violent coup d'État du 1er février 2021, perpétré par une junte la veille de la rentrée du Parlement, a plongé le pays dans la violence et la terreur. Certains élus ont fui, d'autres ont été faits prisonniers.

La population s'est massivement soulevée dans un mouvement de désobéissance civile face à un régime répressif multipliant arrestations arbitraires et actes de torture.

Des élus en exil ont formé un gouvernement d'union nationale, comprenant des représentants de chaque ethnie. Ils ont besoin de notre soutien : il n'y aura pas de transition démocratique sans lui.

Le sommet de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean) du 24 avril a appelé à la fin des violences, au dialogue, à la désignation d'un envoyé spécial, à l'aide humanitaire et au déplacement de cet envoyé spécial sur place - non autorisé à cette heure.

Les ministres des affaires étrangères du G7 ont rappelé que ceux qui violaient les droits de l'homme devaient rendre des comptes.

L'Union européenne a pris trois séries de sanctions, pour le moment insuffisantes. En ciblant les avoirs et les secteurs des pierres précieuses et du bois, ces mesures limitent la capacité de la junte à tirer profit des ressources naturelles du pays. Mais la question des revenus pétroliers n'est pas résolue de manière satisfaisante alors que la population manque cruellement de tout.

Cette pression doit s'accentuer. Sans quoi, la situation dérivera vers une guerre civile et une répression accrue. Le bilan est déjà lourd : depuis février, 1 120 civils auraient été tués ; plus de 6 700 personnes ont été arrêtées, dont des journalistes, des médecins et des artistes. Des enfants ont été enlevés et défigurés, pour terroriser la population. La liste des atrocités commises nous choque profondément. Certaines exactions sont susceptibles de constituer des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité.

Pour ne rien arranger, les ravages de la covid sont terribles. Plus rien n'est fait contre la pandémie depuis février. La plupart des hôpitaux civils sont fermés ; médicaments, vaccins et oxygène ne sont plus distribués ; nombre de soignants, parmi les premiers à avoir résisté, ont été arrêtés.

La population continue de se battre pour son droit à la démocratie, mais le temps profite aux militaires, qui jouent le pourrissement. N'abandonnons pas les Birmans à leur sinistre sort !

Il faut traiter avec la seule autorité légitime - le Gouvernement d'unité nationale - pour réenclencher la transition démocratique. Une reconnaissance claire est nécessaire, pour éviter le pourrissement et la reconnaissance de fait de la junte. Les atrocités doivent cesser dans un pays meurtri, où la sécurité alimentaire est menacée et où la pauvreté gagne du terrain.

Un texte quasi identique a été déposé à l'Assemblée nationale.

Les Européens doivent s'affirmer davantage dans cette région.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du RDPI et du RDSE)

M. André Guiol .  - La Birmanie est passée de l'espoir de novembre 2020 au désespoir de février 2021.

Le coup d'État militaire a plongé le pays dans le chaos. La situation sécuritaire est dramatique. La répression des manifestations pacifiques est terrible et les atteintes aux droits de l'homme se multiplient. Les généraux sont responsables d'un véritable séisme politique et humanitaire.

Quant à l'économie, elle est au point mort. Selon le PNUD (programme des Nations unies pour le développement) et le PAM (programme alimentaire mondial), pauvreté et malnutrition gagnent.

La population fait preuve d'un grand courage et s'engage dans la désobéissance civile pour défendre sa liberté. La communauté internationale doit la soutenir, notamment en adoptant des sanctions. Comment les cibler sans aggraver la situation humanitaire ? Comment éviter que des pays ne normalisent leurs relations avec la junte, notamment au sein de l'Asean ? Que penser de l'abstention de la Chine et de la Russie lors du vote de la résolution à l'ONU le 18 juin ?

Ne baissons pas les bras et soutenons les opposants. Fidèle à ses valeurs, la France ne peut que soutenir un gouvernement issu d'élections libres et intégrant toutes les ethnies du pays.

Nous devons le soutien au peuple birman, dont la détermination à poursuivre son chemin vers la démocratie doit être saluée.

Alors que l'attention internationale se concentre désormais sur l'Afghanistan, n'oublions pas les Birmans ! Eux aussi sont dans la nuit. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. André Vallini .  - Après les élections de novembre 2020, remportées par la Ligue nationale pour la démocratie, l'armée a pris le pouvoir par la force le 1er février 2021.

En six mois, plus de 1 000 civils - dont 75 mineurs - ont été tués, des centaines de personnes ont disparu et plus de 5 400 sont derrière les barreaux. La résistance continue et s'organise. Il faut donc intensifier les efforts de la communauté internationale dans le soutien aux démocrates birmans.

Au niveau des Nations Unies, non seulement la résolution de l'Assemblée générale de fin juin qui appelle les États membres à empêcher l'afflux d'armes n'est pas contraignante, mais la Russie et surtout la Chine ont bloqué toute résolution ferme au Conseil de sécurité. La ligne de front entre autoritarisme et aspirations démocrates passe aujourd'hui par Rangoun. Certes, lors de l'Assemblée générale en cours, la Birmanie a été retirée des discours et l'ambassadeur nommé par Aung San Suu Kyi a conservé son siège. Mais la junte se sait protégée par la Chine et la Russie.

L'expert indépendant onusien Tom Andrews a proposé cinq pistes : arrêter les flux financiers en direction de la junte ; instaurer un embargo sur les armes ; établir la responsabilité de crimes en s'appuyant sur la compétence universelle ; travailler sur l'aide humanitaire ; et ne pas reconnaître la junte comme gouvernement légitime.

La junte ne bougera que si son moteur financier est menacé. Il faut donc des sanctions ciblées, notamment des restrictions concernant les industries extractives.

Certes, la réponse de l'ONU est bridée par la crainte de vétos au Conseil de sécurité, mais ce dernier doit faire le nécessaire pour faire respecter la résolution de juin sur l'afflux d'armes.

Au niveau de l'Union européenne, 20 millions d'euros d'aides humanitaires et des sanctions ont été décidés. Mais, malgré son poids économique, l'Union européenne, nain politique, peine à être influente. Chacun sait qu'elle n'a pas de politique étrangère à proprement parler. Elle a pourtant là l'opportunité de faire entendre sa voix et son approche multilatérale.

Hélas, la réponse de la France se limite à des considérations de principe. Elle est bloquée par la présence de Total dans un conglomérat d'exploitation de gaz qui est source précieuse de liquidités pour la junte. Total a certes annoncé qu'il respecterait les sanctions, mais n'en poursuit pas moins son activité. Tous les paiements de Total au conglomérat doivent être versés sur un compte protégé jusqu'au retour d'un gouvernement légitime.

Malgré les efforts de la communauté internationale, la démocratie a été confisquée ; le peuple birman est en proie à la violence et à la souffrance.

Pour que la France regagne l'estime des peuples, elle doit défendre la liberté et les droits de l'homme partout dans le monde. Le groupe SER votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) En 1962, quatorze ans après son indépendance, la Birmanie connaît un premier coup d'État. La brève respiration ouverte en 2011, avec la victoire du parti d'Aung San Suu Kyi en 2015, s'est traduite par une cohabitation civile-militaire qui, comme l'a rappelé l'ambassadeur Christian Lechervy le 10 février 2021 devant la commission des affaires étrangères, n'a jamais été harmonieuse.

Devant le résultat des élections législatives de novembre, le général de la junte procède à un coup d'État le 1er février 2011. La loi martiale décrétée, la résistance s'organise autour du Gouvernement d'union nationale, avec à sa tête Aung San Suu Kyi et le Président de la République, Win Myint, toujours emprisonnés.

La présente proposition de résolution incite le Gouvernement à obtenir la condamnation vigoureuse du coup d'État, à appeler au retour de la démocratie et de la paix et à reconnaître le Gouvernement d'union nationale.

Or la situation a changé depuis le dépôt de la proposition de résolution. La France, notamment par la voix de Jean-Yves Le Drian, et ses partenaires européens ont réagi rapidement.

Mais le Conseil de sécurité n'est parvenu à prendre aucune décision commune en raison du blocage de la Chine et de la Russie. Le 10 mars, il a toutefois fermement condamné les violences. Puis, le 18 juin, l'Assemblée générale a adopté une résolution condamnant le coup d'État.

L'Union européenne a également décidé des sanctions ciblées.

Mais la résistance s'accroît et le Royaume-Uni a condamné l'appel à une guerre défensive contre la junte, lancé par le Gouvernement d'union nationale. Soutenir ce dernier ne risque-t-il pas de jeter de l'huile sur le feu, voire de cautionner un conflit armé ?

La détresse des populations s'amplifie. Le RDPI réaffirme son soutien à la population birmane : 25 % vivent sous le seuil de pauvreté ; on compte 240.000 personnes dans les camps de réfugiés et 3 millions seraient en situation de détresse absolue.

Nous avons vu les limites du soutien inconditionnel au Gouvernement d'union nationale. Le groupe RDPI s'abstiendra en majorité, tout en laissant chacun de ses membres voter en son âme et conscience.

Monsieur le ministre, est-il prévu d'agir sur la préférence tarifaire en retirant le pays du programme « Tout sauf les armes » ? Où en est la revue de l'aide au développement ? Quelle forme prendra le dialogue avec la communauté internationale, notamment sur l'embargo sur les armes ?

M. Joël Guerriau .  - La courte parenthèse démocratique birmane s'est refermée le 1er février dernier et Aung San Suu Kyi est retournée en résidence surveillée. L'armée a ouvert le feu sur sa propre population ; on dénombre plus de mille morts et plusieurs milliers de personnes sont arbitrairement détenues.

Notre Président de la République a immédiatement condamné ce coup d'État et l'Union européenne s'est insurgée avec la plus grande fermeté.

Le putsch intervient en pleine pandémie : celle-ci a des effets catastrophiques quand l'État est désorganisé. Seuls 40 % des capacités médicales sont encore fonctionnelles alors que la junte construit dix crématoriums.

La prise de pouvoir par la junte est donc une catastrophe sanitaire et économique, alors que la moitié des habitants seraient passés sous le seuil de pauvreté. L'aide humanitaire serait nécessaire, mais rien ne garantit qu'elle bénéficierait au peuple.

L'influence de Pékin est considérable, la Chine ayant beaucoup d'intérêts dans le pays. Les nouvelles routes de la Soie passent par la Birmanie. La Chine veut donc la stabilité, pas la démocratie.

La légitimité de la junte est toutefois contestée, par le Gouvernement d'union nationale et par la guérilla. La Birmanie compte plus de cent minorités, avec bien souvent des milices ethniques.

Nous ne sommes pas démunis face à cette situation. Il faut reconnaître le Gouvernement d'union nationale et nous assurer que les sanctions pénalisent la junte et épargnent la population.

Le groupe INDEP votera en faveur de ce texte : la reconnaissance du Gouvernement d'union nationale est une étape incontournable. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Présidente déléguée du groupe interparlementaire d'amitié Asie du Sud-Est pour la Birmanie depuis 2004, je salue l'initiative et les qualités de persuasion de Pascal Allizard, qui a pu déposer une proposition de résolution alors que cela m'avait été refusé.

Cet exercice de diplomatie parlementaire est difficile, mais indispensable au vu de la situation dramatique. Mes années passées à travailler avec les Birmans, avec les ONG sur place, m'ont convaincue que notre approche doit être globale et inclure tous les acteurs, la priorité étant l'arrêt des exactions.

Avec mon homologue de l'Assemblée nationale Alain David, nous avons publié, en juin dernier, une tribune dans Le Monde appelant à la reconnaissance du Gouvernement d'union nationale et à l'affectation des dividendes versés par Total sur un compte bloqué.

Lors d'une récente question d'actualité au Gouvernement, je vous ai interrogé, monsieur le ministre, mais des questions restent en suspens. L'examen de cette proposition de résolution est autant un appel à la diplomatie qu'un point d'étape sur les démarches déjà menées.

Où en sont les négociations au niveau de l'Union européenne ? Quel est le bilan du troisième train de sanctions, qui semblent insuffisantes et affectent la population civile ? En 2007 déjà, j'interrogeais le ministre des droits de l'homme sur les revenus de la junte : peu a été fait depuis.

La neutralité affichée de l'Asean ne peut justifier l'inaction : comment pouvons-nous agir sur cette organisation, sur les voisins que sont la Chine et l'Inde, voire sur les Nations Unies ?

Comment l'Agence française du développement (AFD) agit-elle dans le pays ? Quel est le bilan des investissements ?

La mobilisation doit être plus large, économique bien sûr, mais aussi humanitaire et culturelle.

Enfin, la remise du Prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi reste pour moi un moment d'immense espoir. Mais je m'inquiète pour elle : avez-vous des informations sur les conditions de sa détention ?

La France doit agir pour éviter à la Birmanie de sombrer dans les ténèbres. Le peuple birman, assoiffé de démocratie, se bat seul et compte sur nous.

Les Nations Unies doivent opérer un embargo total sur les armes, il faut renforcer le dialogue avec les milices ethniques et reconnaître le Gouvernement d'union nationale.

La France a une responsabilité historique et doit rester fidèle à ses valeurs. Nous sommes tous birmans.

M. Guillaume Gontard .  - Cette proposition de résolution transpartisane mérite un soutien unanime du Sénat.

Des millions de personnes ont manifesté, mais le résultat est dramatique : plus de 1 000 morts et 700 000 déplacés internes, alors que le pays est miné par les conflits interethniques et la pandémie.

Les ONG dénoncent des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et des actes de torture et de viol qui pourraient être considérés comme des crimes contre l'humanité.

Le refus d'un siège à l'Assemblée générale de l'ONU opposé au régime le mois dernier est une maigre victoire obtenue après un accord avec la Chine.

Ce régime brutal se maintient au pouvoir par la violence, mais les groupes armés locaux n'ont pas les moyens de la reconquête. Ne nous laissons pas abuser par ce pouvoir tyrannique.

Le 7 septembre dernier, le président du Gouvernement d'union nationale appelait à un soulèvement populaire. Ce gouvernement est l'espoir du retour de la démocratie et sa légitimité politique est indéniable : issu des urnes, il intègre toutes les minorités du pays. C'est une indéniable amélioration par rapport au Gouvernement d'Aung San Suu Kyi qui avait défendu la persécution des Rohingyas.

Mais il a besoin du soutien de la communauté internationale : le soutien informel n'est plus à la hauteur.

Le GEST votera évidemment cette proposition de résolution. La France doit travailler avec ses partenaires européens et demander la libération des prisonniers politiques ainsi que la fin de l'état d'urgence. Il est de notre devoir de soutenir le Gouvernement d'union nationale. En votant ce texte, nous défendons nos valeurs.

Enfin, n'oublions pas les difficultés d'autres pays du monde, notamment africains : la France et l'Union européenne doivent les accompagner dans leur transition démocratique, sans faire le tri en fonction d'intérêts militaires et économiques.

Mme Michelle Gréaume .  - Depuis le 1er février 2021, la Birmanie est dans le chaos. Ce quatrième coup d'État en à peine 65 ans a fait plus de 1 000 victimes civiles et 4 000 prisonniers. Hôpitaux et postes de police ont été vidés par une purge des fonctionnaires : 300 000 travailleurs ont été licenciés dans un pays qui compte déjà 25 millions de pauvres...

Que faire ? D'abord condamner le coup d'État. Cette proposition de résolution le fait, notre groupe la votera.

Le blocage d'une résolution ferme du Conseil de sécurité par la Russie et la Chine est à déplorer. La résolution du 3 février va certes dans le bon sens, mais elle est insuffisante. Il a fallu attendre le 18 juin pour que les Nations Unies condamnent officiellement le coup d'État.

L'Union européenne impose des sanctions économiques, mais elles excluent des secteurs essentiels.

La junte, dans les années 1990 et 2000, a pillé les ressources, alors que dans les années 1930, la Birmanie était le plus grand exportateur de riz au monde et avait les meilleures universités d'Asie du Sud-Est ! Soixante ans de régime militaire ont tout ruiné et deux générations ont été sacrifiées.

Il faut tout mettre en oeuvre pour ne pas soutenir la junte, même indirectement. La résolution votée le 18 juin appelle à mettre fin à l'afflux d'armes : espérons que cela se révèle plus efficace que le précédent appel concernant la Libye...

D'après une enquête du Monde, Total, qui exploite un gisement gazier en Birmanie, serait associé au détournement de centaines de millions d'euros au profit de la junte. Si cela est avéré, c'est un véritable scandale. La décision de Total, prise sous la pression des ONG, de suspendre ses versements aux actionnaires birmans n'est qu'une microréponse à un gigantesque problème.

Enfin, il faut penser à l'avenir. La Birmanie était déjà très divisée, politiquement et ethniquement, malgré un dialogue interethnique ouvert au printemps 2016. Le massacre et la déportation de 700 000 Rohingyas nous le rappellent. La Birmanie paye encore le lourd tribut des stratégies cyniques du temps de l'occupation britannique. Il faut soutenir l'initiative de la Cour pénale internationale (CPI) pour établir les responsabilités dans les exactions de 2017. Mais cela implique un retour du Gouvernement d'union nationale, légitimement élu en novembre 2020 et aujourd'hui condamné à la clandestinité.

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Yves Bouloux applaudit également.) Merci à Pascal Allizard pour son initiative, que nous avons été nombreux à cosigner.

Alors que les Birmans étaient jusque-là divisés, la création de ce gouvernement le 16 avril dernier a suscité un immense espoir, pour la première fois, chacune des principales ethnies étant représentée.

Depuis l'arrestation du Président de la République Win Myint et d'Aung San Suu Kyi, sa conseillère, le 1er février 2021, la junte gouverne par la violence. Les élections du 8 novembre 2021 avaient pourtant été remportées par la Ligue nationale pour la démocratie.

Paris a fermement condamné ce coup d'État et appelé au respect du résultat des élections. L'action du G7, de l'Union européenne et la communauté internationale n'ont pas suffi à rétablir la situation.

En mars et avril, le soulèvement citoyen s'est tari face à une armée qui tirait à balles réelles : plus de 1 000 civils tués, au moins 6 700 arrestations. L'économie est exsangue, les systèmes sanitaires et éducatifs sont de plus en plus défaillants.

Les 54 millions de Birmans font face à des crimes odieux, à la mort, à la destruction. Plus de 6,4 millions sont menacés de famine.

Depuis février 2021, la vaccination a été interrompue ; la gestion sanitaire de l'armée est désastreuse et le virus tue massivement.

Monsieur le ministre, un plan d'action humanitaire est-il envisageable ?

Le président par intérim du Gouvernement d'union nationale appelle à un soulèvement armé contre la junte, ce qui laisse craindre le déclenchement d'une guerre civile. Certes, les militaires n'ont pas le soutien du peuple, mais leurs opposants n'ont pas les moyens de dominer sur le terrain : ils ont besoin d'un soutien international.

Or si l'ambassadeur précédemment nommé a conservé son siège à l'ONU, il n'a pu s'exprimer à l'assemblée générale.

La feuille de route en cinq points de l'Asean n'est pas respectée. La règle du consensus paralyse les prises de position claires au sein de cette organisation.

Il faut envisager d'autres pistes, à commencer par les sanctions économiques, notamment le blocage des avoirs des militaires.

Même si la position de Pékin reste floue, son soutien penche davantage vers le gouvernement militaire, auquel elle achète notamment teck, jade et métaux rares.

On peut également s'interroger sur le positionnement des groupes pétroliers : les sommes versées permettent aux putschistes de rémunérer militaires et policiers. Total s'était engagé à verser en compensation le montant des impôts et des taxes aux organisations humanitaires : les mois passent, mais toujours rien. L'apport financier du secteur des hydrocarbures à un pouvoir illégitime est un problème.

Cette proposition de résolution envoie un signal politique fort de soutien à la Birmanie, mais elle doit aussi encourager notre exécutif et nos partenaires diplomatiques à se mobiliser.

L'espoir subsiste et nous devons l'accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Franck Riester, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité .  - Jean-Yves Le Drian m'a demandé de le représenter, ne pouvant être présent au Sénat.

Votre proposition de résolution est l'expression de notre solidarité avec le peuple birman, face à la dégradation de la situation politique. Le coup d'État est une atteinte à l'État de droit, condamnée par la France avec la plus grande fermeté.

Nous ne reconnaissons, comme nos partenaires européens, aucune légitimité au Gouvernement issu du coup d'État et sommes particulièrement préoccupés par la situation humanitaire.

La situation sanitaire est également préoccupante : la répression contre le personnel médical a affaibli la réponse à la deuxième vague de l'épidémie qui frappe le pays depuis l'été dernier.

Aung San Suu Kyi est détenue depuis le 1er février, sur des charges arbitraires - de corruption notamment. Les audiences de son procès, suspendues en juillet, ont repris en septembre.

La France s'est mobilisée dès le premier jour pour pousser la communauté internationale à prendre une position claire reposant sur le respect et la protection des droits de l'homme.

La résolution de l'assemblée générale de l'ONU du 18 juin appelle tous les États à un embargo sur les armes et identifie la désescalade comme une priorité.

La France a aussi joué un rôle moteur au niveau européen. Deux premiers trains de sanctions visent 21 individus, les deux principaux conglomérats militaires et leurs 34 filiales. Sont aussi ciblées les entreprises publiques dans les secteurs du bois et des pierres précieuses. Aucune piste de sanctions commerciales n'est écartée, y compris la suspension du régime européen « Tout sauf les armes ».

Nous voulons frapper la junte, notamment par la fin des programmes d'aides au gouvernement.

S'agissant de Total, nous prenons acte des décisions de l'entreprise. Notre position est sans ambiguïté : frapper les intérêts économiques des forces de sécurité birmanes tout en préservant la population civile. Le groupe annonçait le 26 mai que «  lors de l'assemblée générale de Moattama Gas Transportation Company Limited du 12 mai dernier, toutes les distributions aux actionnaires de cette société ont été suspendues ». MOGE a donc cessé de percevoir les dividendes mensuels pour le champ gazier de Yadana, exploité depuis 1992.

La majeure partie de l'aide française au développement a été suspendue, car elle ne répondait pas à nos trois principes : pas de nouveaux transferts financiers, pas de nouvel accord, pas de contacts de haut niveau.

Nous cherchons à protéger les populations civiles ; notre aide aux organisations de la société civile sera donc maintenue.

La France reconnaît les États, non les Gouvernements. C'est pourquoi elle ne reconnaît pas le Gouvernement d'union nationale mais elle s'efforce de lui donner une tribune dans les instances multinationales. La ministre des droits des femmes, de la jeunesse et de l'enfant du Gouvernement d'union nationale a ainsi pu s'exprimer en séance publique du Conseil de sécurité, en juillet, pendant la présidence française.

Joseph Borrell, haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères, commentait le 30 avril 2021 les résultats de la réunion de l'ASEM.

La France ne voulant donner aucune légitimité à la junte, elle ne doit pas devenir la voix de la Birmanie à l'assemblée générale de l'ONU.

La France ne reconnaissant que les États et non les gouvernements, je m'en remets à la sagesse du Sénat. (Mme Patricia Schillinger applaudit, ainsi que MMJean-Claude Requier et Joël Guerriau.)

La proposition de résolution est adoptée à l'unanimité.

(Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains ; Mme Michelle Gréaume applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

Pacte européen pour l'asile et les migrations

M. le président - L'ordre du jour appelle le débat sur le pacte européen pour l'asile et les migrations.

Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Louault applaudit également.) En présentant, il y a un an, son pacte européen pour l'asile et la migration, la Commission européenne promettait de tourner la page des carences du système des relations extérieures et des divisions internes qui ont causé l'échec du paquet « Asile », dans une Europe en tragique état de fragilité face aux migrations.

Le changement climatique et l'explosion démographique de l'Afrique vont provoquer un afflux de migrants. Lors de la première crise des réfugiés, les fondations de l'espace Schengen vacillèrent et la question migratoire devint essentielle. Des voisins exploitent nos failles, à commencer par la Turquie qui a reçu de l'Union européenne 6 milliards d'euros depuis 2016 grâce à un chantage migratoire. Le Maroc et la Biélorussie s'essayent désormais à la même méthode.

Rappelons ce principe cardinal : nul ne peut s'installer sur le territoire de l'Union européenne sans y avoir été préalablement autorisé.

La constitution d'un système européen robuste, en mesure de faire respecter ce principe quelles que soient les circonstances, est donc la première des priorités.

Le pacte renforce le cadre de gouvernance, mais cela sera-t-il suffisant ? En l'absence de régime contraignant, tout reposera sur la pression des pairs et sur l'engagement de la Commission à recourir aux procédures d'infraction à l'encontre des États qui ne rempliraient pas leurs obligations légales.

L'Europe ne doit pas seulement surveiller et sanctionner les pays ; elle doit permettre à ses États membres de retrouver des marges de manoeuvre, tant en termes de moyens que de procédures.

La création prochaine de l'Agence européenne pour l'asile après celle, en 2016, d'un véritable corps européen de garde-côtes et garde-frontières sont à saluer.

Je pense également aux nouveaux systèmes de contrôle aux frontières, à l'interconnexion des bases de données numériques ou encore au doublement des fonds dédiés à la gestion des migrations et des frontières.

Les procédures de filtrage à la frontière prévues par le pacte devraient renforcer l'efficacité de l'action des États membres. En recourant plus facilement à la rétention, ils pourront mieux distinguer ceux qui doivent partir de ceux qui ont vocation à rester.

En 2018, seuls 39 % des demandes d'asile recevaient une réponse positive en première instance.

Néanmoins, le nouveau règlement sur la gestion de l'asile et des migrations, proposé en remplacement du décrié règlement de Dublin, appelle à davantage de circonspection.

La proposition a le mérite d'abandonner définitivement l'idée des « quotas » de migrants, qui a contribué à tendre à l'extrême les relations entre États membres.

Le nouveau mécanisme a cependant tout de l'usine à gaz - surtout concernant le parrainage des retours.

Sa crédibilité dépendra de la capacité à assurer les retours. Or les chiffres sont catastrophiques : seuls 29 % de ceux qui ont l'ordre de quitter l'Union européenne la quittent effectivement ; 19 % seulement si l'on exclut les ressortissants des Balkans occidentaux... Le signal délétère envoyé à nos concitoyens, comme aux migrants et aux passeurs, mine tous les efforts entrepris.

Il est consternant que le poste de coordinateur de l'Union européenne pour les retours n'ait toujours pas été pourvu.

Il faut plus de fermeté sur le volet extérieur de la politique de retours, avec une extension aux accords commerciaux et à l'aide au développement, pour s'assurer de la coopération des pays tiers.

Après cinq ans de négociations infructueuses et de psychodrames, nous ne pouvons plus nous permettre d'être inefficaces.

Lors de la précédente présidence française de l'Union européenne en 2008, Nicolas Sarkozy avait réussi à convaincre ses homologues. Espérons qu'il en ira de même lors de la prochaine présidence française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté .  - Je remercie le groupe Les Républicains du Sénat d'avoir provoqué ce débat sur un sujet qui préoccupe nos concitoyens.

Notre politique européenne commune en matière d'asile et d'immigration doit être revue en profondeur pour mieux répondre aux flux migratoires ainsi qu'aux situations de crise, comme celle que nous avons connue en 2015. La France appelle de ses voeux depuis longtemps une réponse ambitieuse.

On ne peut pas avoir un espace intérieur sans frontières - un de nos acquis les plus précieux - et se satisfaire de la disparité de fonctionnement des États membres. Surtout lorsque certains États tiers instrumentalisent les flux avec un cynisme certain  - nous l'avons vu récemment avec la Biélorussie.

Pourtant, l'Europe n'est pas restée sans réagir depuis 2015. Frontex a été doté de moyens considérables. La proposition de la Commission européenne du 23 septembre 2020 sur un nouveau pacte pour les migrations et l'asile est ambitieuse : il embrasse l'ensemble du champ migratoire et opère une refonte globale du droit d'asile.

Trois sujets doivent être distingués. Nous ne pouvons pas laisser les États membres dits « de première entrée » subir seuls les conséquences de la géographie. Il faut plus de solidarité, comme la France l'a fait avec la Grèce ou l'Italie. Ensuite, la disparité actuelle des pratiques n'est pas viable : une harmonisation s'impose. Enfin, les États membres - et notamment ceux qui, comme la France, sont les principaux destinataires des flux secondaires - doivent avoir la garantie que les migrants arrivant en Europe sont dûment enregistrés dans les systèmes d'information européens et que ceux qui sont inéligibles à l'asile puissent être éloignés rapidement. Sinon, ils alimentent pendant des années des flux secondaires à travers l'Europe.

Ce dernier point renvoie à la protection de la frontière extérieure. Pour répondre au terrorisme islamiste qui a frappé notre pays en 2015, nous avons procédé au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures comme le permet le code Schengen. Ce filtrage doit être maintenu pour instaurer à la frontière extérieure de l'Union des obligations de contrôle beaucoup plus strictes.

L'Union européenne a adopté en 2019 le mécanisme de visa-réadmission, afin de restreindre l'accès aux visas pour les pays qui rechignent aux réadmissions. Elle doit mener un dialogue plus exigeant avec les pays d'origine et de transit, incluant la coopération en matière de réadmission, mais aussi la lutte contre les trafics d'êtres humains et les réseaux de passeurs.

Nous sommes à quelques semaines de la présidence française du conseil de l'Union européenne. La France assurera avec détermination la conduite des négociations européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Ravier .  - Ce débat est truqué. À quelques mois de la présidentielle, la droite cherche à nous refaire le coup de Sarkozy en 2007 : montrer les muscles et parler fort contre l'immigration. Mais nous connaissons le truc : on nous avait promis le kärcher, nous avons eu Kouchner ! D'ailleurs, vu le nombre de sénateurs Les Républicains présents, il semble que la droite elle-même n'y croit plus.

Cinq millions de clandestins sont entrés pendant la crise de 2014 déclenchée par votre grande amie Angéla Merkel. C'est la population du Danemark.

Je ne suis pas hostile à l'idée d'un pacte - celui de l'inversion des flux migratoires !

Vidons les prisons, les mosquées, les banlieues de tous les étrangers qui détestent la France, qui agressent, tuent, violent ou pillent ! Certes, il y aura un pic d'émissions de CO2 avec les charters... Mais nous planterons des arbres dans nos banlieues redevenues françaises !

À quand un Haut-Commissariat à la « remigration » ? Il faut rapatrier ces étrangers !

Loin d'être une richesse pour notre pays, l'immigration le ruine ; loin d'être une chance, c'est un fléau pour les Français. Le seul pacte qui vaille, c'est celui du grand rapatriement des étrangers vers leurs pays d'origine !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Je suis embarrassée pour vous répondre : je ne suis pas la porte-parole du groupe Les Républicains, ni de Mme Merkel. (Sourires)

Chacun aura été frappé par l'outrance de vos propos. Le Gouvernement n'entend pas renvoyer l'ensemble des étrangers ni leurs descendants. Nous regardons les personnes pour ce qu'elles font. Nous avons naturalisé 12 000 étrangers car ils ont travaillé en première ligne durant la crise sanitaire et tenu le pays pendant le confinement !

Mme Patricia Schillinger.  - Très bien !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Nous voulons faire respecter les obligations de quitter le territoire, mais nous saluons la richesse de la France, construite également grâce à l'immigration. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Jean-Yves Leconte .  - Trois enseignements depuis 2015 : les évolutions des politiques européennes ont permis de faire face ; une solidarité européenne est nécessaire ; les gesticulations nationales aggravent la situation et ne sont donc pas la solution.

Pourtant, Michel Barnier demande un bouclier constitutionnel contraire au droit européen.

Quant à la Pologne, elle subit la pression d'un État passeur. Cette situation est préoccupante.

À quoi un nouveau pacte servira-t-il si des États membres annoncent d'ores et déjà qu'ils ne le respecteront pas ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Les règles antérieures n'ont pas été efficaces, d'où ce pacte pour partir sur de nouvelles bases.

La libre circulation implique des règles communes. Nous ne pouvons nous satisfaire de la disparité des pratiques actuelles. Il ne s'agit pas d'une réforme du droit européen de l'asile mais de toutes les migrations. Nous continuerons de faire valoir la position de la France.

M. Jean-Yves Leconte.  - Pensez-vous que nos gesticulations à la frontière espagnole nous rendent plus crédibles ?

Mme Patricia Schillinger .  - Plusieurs États membres, dont la France, sont en première ligne dans l'accueil des flux migratoires.

La Commission européenne a présenté il y a un an son pacte pour l'asile et les migrations destiné à renforcer les frontières extérieures, à instaurer un partage plus équitable des responsabilités et à améliorer la coopération avec les pays tiers. Son adoption est au point mort. Chacun préfère se renvoyer la balle. Le Parlement européen lui-même a accueilli froidement ce pacte, en raison du maintien du principe de la responsabilité du pays de première entrée, qui a montré ses limites.

À la tête de l'Union européenne dans moins de trois mois, la France pourra-t-elle débloquer les négociations ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le pacte européen se compose de plusieurs instruments législatifs, donc certains progressent. Certes, des blocages persistent. Les pays de première entrée demandent davantage de garanties en matière de solidarité. La Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie plaident pour plus de flexibilité pour ne pas souscrire à la relocalisation. D'autres, comme la France, ont une position plus nuancée et sont attachés aux quatre volets principaux du pacte : la solidarité, la responsabilité, les procédures frontalières et la dimension externe.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Nous allons connaître des tensions démographiques, géopolitiques et climatiques qui vont accroître les mouvements de populations.

Dans ce contexte, l'Union européenne doit être synonyme de protection, de liberté et de stabilité.

Je ne crois pas à la solidarité ni à la répartition des efforts que prévoit ce pacte. Ils voleront en éclats à la première crise venue. Souvenons-nous de la Syrie... Nous devons cependant travailler à une harmonisation du droit d'asile.

La frontière n'est plus avec l'Allemagne et la Belgique, mais à la porte de l'Estonie, de l'Italie ou de la Grèce. Pour porter une véritable politique d'immigration, il faut s'en donner les moyens, notamment avec Frontex. Nous comptons sur la présidence française pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le renforcement de Frontex est largement entamé. Divers règlements en témoignent, surtout celui du 13 novembre 2019.

Le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes fera passer Frontex de la réactivité à la proactivité.

Le 9 décembre 2020, une nouvelle organisation de Frontex a été actée. Ses moyens humains seront progressivement accrus : de 6 500 personnes en 2022, ils passeront à 8 000 en 2024, puis à 10 000 en 2027.

M. François Bonhomme .  - La réponse aux mouvements migratoires est un enjeu majeur pour l'Union européenne.

La crise syrienne a été le révélateur de notre impuissance. La présentation du pacte européen pour l'asile et les migrations vise à surmonter les blocages.

Il est certes nécessaire d'apporter plus de cohérence et de confiance mutuelle au sein de l'Union. L'irénisme et le déni de réalité à Bruxelles ont nourri un laisser-aller qui a fait beaucoup de tort. Non, ce n'est pas la première fois que l'objectif de renforcer des frontières extérieures est annoncé. Le principe de pays de première entrée n'est pas abrogé mais il arrive en dernière position des critères retenus.

Quel mécanisme proposerez-vous pour que la France ne se retrouve pas confrontée à un nombre disproportionné de demandes d'asile ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - La recherche d'équilibre entre les États membres nous guide. Le Gouvernement est convaincu que ce pacte européen nous redonnera la main sur notre politique migratoire, ce qui nous permettra d'être plus efficaces.

La France devrait recevoir mécaniquement moins de demandes d'asile, et des demandes mieux ciblées, de personnes francophones ou ayant des liens forts avec la France. Je suis sensible aux mots de cohérence et de confiance que vous avez employés.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le pacte européen pour l'asile et les migrations n'est guère novateur : c'est à peine une reprise des hot spots de 2016.

Le programme de relocalisation, déjà modeste, n'a jamais été respecté. La France devait accueillir 10 000 personnes ; elle n'en a reçu que 600, en queue de peloton, aux côtés de l'Autriche et de la Pologne.

En vérité, le nouveau pacte n'est pas destiné à favoriser l'accueil. La directive de 2001 pourrait être activée pour instaurer une vraie solidarité. Pourquoi la France ne l'a-t-elle jamais proposé, ni en février 2020 lorsque la Turquie expulsait des migrants syriens vers la Grèce, ni à Kaboul lorsque des milliers d'Afghans étaient livrés aux Talibans ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - La directive de 2001 est destinée à faire face à un afflux massif de personnes déplacées qui ne peuvent rentrer dans leur pays d'origine. Elles bénéficient alors d'une protection temporaire immédiate.

L'activation de cette protection pour les Afghans n'est pas nécessaire, grâce à la mobilisation exceptionnelle de l'État, des associations et des ONG. Cette mobilisation se poursuit. Je salue notamment l'action de la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (Diair).

L'office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) instruira les demandes d'asile en deux mois. À ce stade, le régime de la protection temporaire n'a donc pas besoin d'être activé pour les Afghans.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il nous faut une politique d'accueil humaniste et respectueuse du droit d'asile. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)

Mme Éliane Assassi .  - Les négociations engagées autour du pacte européen ne nous laissent guère d'espoir. L'égoïsme des uns nourrit la défiance des autres. Ainsi pour l'accueil des Afghans, nous nous sommes livrés à des comptes d'apothicaires...

Des pratiques de refoulement contraires au droit ont eu lieu en Grèce pour repousser les migrants venus de Turquie. Alors que les réfugiés climatiques - 250 millions en 2050 selon l'ONU  - et les crises politiques vont se multiplier, ce pacte n'est pas acceptable. Quelle sera la position de la France ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le pacte ne déroge pas au droit en vigueur : il vise au contraire à renforcer les règles communes, dans la cohérence. Les discussions se poursuivent pour surmonter les divergences entre États membres.

Il faut trouver un juste équilibre entre responsabilité et solidarité. S'agissant de l'Afghanistan, une politique partenariale a été menée, notamment avec l'Allemagne. La majorité des personnes que nous avons rapatriées ont envie de s'intégrer en France.

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Les chances d'adoption de ce pacte au premier semestre 2022 sont quasi nulles. Ne vaudrait-il pas mieux explorer la voie d'une coopération renforcée ?

Le Danemark procède à une externalisation du droit d'asile : qu'en pense le Gouvernement ? Une procédure d'infraction est-elle envisagée au niveau européen ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le Parlement danois a décidé d'externaliser sa politique d'asile, sauf quelques exceptions,  pour les personnes gravement malades, les mineurs non accompagnés ou les demandeurs dont la famille réside légalement au Danemark.

La loi danoise ne précise pas les modalités de mise en oeuvre : à ce stade, il est trop tôt pour faire une analyse juridique de cette mesure, qui n'est qu'une faculté. En outre, ce pays ne participe qu'au dispositif Dublin 3 et à Eurodac.

Le Danemark peut négocier ses propres accords de réadmission avec les pays tiers. Toutefois, les accords qu'il pourrait passer devront respecter les droits fondamentaux des personnes.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Une coopération renforcée serait utile pour avancer sur ces questions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Henri Cabanel .  - La question migratoire est un défi permanent pour l'Union européenne depuis 2015. Nous sommes ouverts aux propositions du pacte européen, mais inquiets des positions de certains pays.

Le travail de Frontex est reconnu mais critiqué, notamment par la Cour des comptes. Son règlement a été modifié à quatre reprises pour faire face aux défis migratoires. Les moyens opérationnels sont-ils suffisants et les personnels convenablement formés ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Le renforcement de Frontex est en cours, je l'ai déjà rappelé. Les moyens humains vont être renforcés, jusqu'à 10 000 agents en 2027. La création d'un corps européen de garde-frontières et de garde-côtes est une avancée majeure. La France veillera à ce que personnels reçoivent une formation adéquate et des évaluations seront conduites régulièrement.

M. Didier Marie .  - La pression migratoire a bien diminué, après la crise de 2015. Laissons donc là les outrances électorales. Obtenir l'asile est un véritable chemin de croix. La solidarité fait défaut en Europe et les logiques nationales l'emportent.

Ce pacte n'est pas satisfaisant. Le filtrage envisagé n'est pas acceptable, non plus que l'absence d'obligations en matière de solidarité. Les zones de filtrage risquent de devenir zones de rétention.

Ce pacte sera-t-il adopté, abandonné, ou scindé par thèmes ?

Ne vaudrait-il pas mieux privilégier les coopérations renforcées, avec une conditionnalité des aides pour ceux qui ne jouent pas collectif ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Nous préparons notre programme de présidence en vue de faire avancer le débat en Europe.

Des discussions sont en cours sous la présidence slovène. La modernisation d'Eurodac sera un premier pas, de même que le règlement Filtrage qui instaure des procédures plus rigoureuses à la frontière extérieure. Il faut sortir de la logique de négociation en paquets et progresser thème par thème, pour plus d'efficacité.

M. Pascal Allizard .  - À quelques mois des élections, le Gouvernement pratique une politique de restriction des visas pour augmenter le nombre de retours. Mais quid des migrants qui veulent gagner le Royaume-Uni ? Les côtes de la Manche et de la Mer du Nord, dont celle du Calvados, subissent une situation qui dure depuis le Brexit et le durcissement des positions du Royaume-Uni, lequel veut désormais refouler des embarcations vers la France.

Comment comptez-vous régler cette question, et, plus largement, mettre à profit la présidence française de l'Union européenne pour avancer sur les enjeux migratoires ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Une douzaine de textes migratoires sont en discussion. Les négociations sont difficiles, mais nous sommes convaincus que nous avons besoin d'instruments plus robustes.

Le renforcement de l'Agence européenne, en particulier, est indispensable. La présidence slovène espère un accord sur Eurodac.

Nous ferons progresser le règlement Filtrage et la négociation sur le règlement Schengen.

M. Jean-Michel Arnaud .  - En dépit du règlement Dublin 3, une partie significative des demandes d'asile ne sont pas traitées par les États, ce qui augmente les mouvements secondaires.

Dans mon département des Hautes-Alpes, plus de 11 000 passages illégaux ont été répertoriés en 2020 entre l'Italie et la vallée de Briançon, par le col de l'Échelle devenu tristement célèbre.

Les moyens de la police aux frontières sont insuffisants pour garantir un accueil digne. Les difficultés se concentrent dans le traitement des demandes et dans l'exécution des obligations de quitter le territoire.

Que sera l'apport du coordinateur européen chargé des retours ?

Que prévoit le pacte européen pour limiter les mouvements secondaires alors que risquent d'arriver 200 000 Afghans ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - La stratégie de l'Union européenne en matière de retour volontaire et de réintégration est un objectif-clé du pacte ; mais les écarts entre les procédures d'asile et de retour, la difficulté d'empêcher la fuite des personnes, les capacités administratives limitées expliquent le faible succès jusqu'à présent des programmes d'aide au retour volontaire. L'agence Frontex et le coordinateur pourront apporter un soutien technique supplémentaire aux États.

Si les flux à l'entrée sont mieux pris en charge, les flux secondaires seront mécaniquement mieux jugulés. Sur le département des Hautes-Alpes, nous sommes passés de 2 200 à 4 400 personnes.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Je m'interroge sur la capacité des États à tenir leurs frontières et à protéger ceux qui en ont vraiment besoin. Le statut de mineur isolé est souvent prétexte à la fraude.

M. Jean-Yves Leconte .  - La réduction amorcée des visas pour les Algériens, Marocains et Tunisiens risque de nuire à notre attractivité s'il s'agit de longs séjours, et revient à punir les populations pour l'action supposée de leurs gouvernements. Pour de courts séjours, il suffira de s'adresser à un autre membre de l'espace Schengen pour obtenir un visa... Sans compter que le code Schengen impose de motiver les refus de visas.

Quels sont exactement les visas ciblés ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - À l'issue d'un long dialogue politique qui n'a pas abouti, nous avons décidé d'une réduction du nombre de visas de moitié pour l'Algérie et le Maroc et de 30 % pour la Tunisie. La coopération de ces pays en matière de réadmissions est insuffisante : seuls 105 Marocains ont été réadmis entre le 1er janvier et le 31 août, contre 908 en 2019 ; 25 Algériens l'ont été, contre 1 677 en 2019 ; 156 Tunisiens, contre 915 en 2019. Et ceci, alors que la pression migratoire en provenance de ces pays est forte et que les personnes concernées sont impliquées dans des troubles à l'ordre public.

Ces mesures sont évidemment réversibles. Le dialogue continue, que chacun prenne ses responsabilités. Nous constatons d'ailleurs des progrès avec la Tunisie.

Plutôt que les étudiants, les voyages d'affaires, les passeports talents et les travailleurs qualifiés, la France visera en priorité les milieux dirigeants.

M. Jean-Yves Leconte.  - Il aurait fallu isoler uniquement les visas diplomatiques et de service. Tout cela n'est guère sérieux !

Le pacte a pour ambition de remplacer les migrations illégales par des migrations légales : votre Gouvernement fait tout le contraire !

Mme Christine Lavarde .  - Il y a six ans, les Européens découvraient l'impréparation des États de l'Union face aux flux migratoires. En cause : la fragmentation des bases de données et leur inégale utilisation. Les difficultés de gestion ne sont pas nouvelles, ayant été identifiées dans un rapport de 2007 préalable à une modification du règlement Eurodac en 2008. La création de nouveaux systèmes d'information a donc été logiquement un chantier prioritaire ; en 2016, la proposition de réforme dite Dublin 4 devait intégrer de nouveaux éléments d'identification dans Eurodac.

Observe-t-on déjà des résultats opérationnels ? Tous les États membres utilisent-ils pleinement les bases de données ? La réforme d'Eurodac a-t-elle une chance d'être adoptée ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - L'interopérabilité fera dialoguer tous les systèmes d'information européens avec notamment ceux de Schengen et Eurodac. On pourra comparer les données biométriques des ressortissants étrangers. Elle devra arriver fin 2023 et apportera des améliorations majeures.

Mme Christine Lavarde.  - Le projet Dublin 4 avait déjà échoué faute d'accord. Ma question portait sur la possibilité d'un accord politique... (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Cadec .  - La Commission européenne propose un nouveau système européen de gouvernance. Au vu des dysfonctionnements dans certains États membres, cela devient indispensable, mais semble insuffisant.

Schengen est avant tout un espace de souveraineté commune et devrait rassembler les États qui assurent cette souveraineté. Il faudrait donc pouvoir sanctionner, voire suspendre les États défaillants.

Le Président de la République a dit vouloir une remise à plat de l'espace Schengen, avec une obligation de responsabilité pour les États participants. La France plaidera-t-elle pour un régime de sanction pour les États qui ne contrôlent pas leurs frontières ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - L'espace Schengen implique le contrôle des frontières extérieures des États. C'est pourquoi ceux-ci sont évalués régulièrement. En cas de défaillance, la Commission européenne peut recommander de déployer des gardes-frontières de Frontex, voire réintroduire un contrôle des frontières intérieures. Enfin, elle pourrait lancer une procédure d'infraction devant la Cour de justice de l'Union européenne.

M. Alain Cadec.  - Beaucoup de conditionnels, madame la ministre ! Vous n'avez pas répondu à ma question : y aura-t-il des sanctions ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Roger Karoutchi .  - Quand je lis les déclarations polonaise, tchèque, slovaque, danoise ou hongroise, je ne me fais guère d'illusions sur l'adoption du pacte. En revanche, je souhaiterais savoir ce que le Gouvernement français entend par politique de droit d'asile équilibrée ? Quelles mesures pouvez-vous prendre au niveau national ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Vaste question. Je suis d'accord avec vous : la migration ne se règle pas avec des déclarations. Mais contrairement à vous, nous croyons à l'adoption de ce pacte.

En France, le Gouvernement a pris l'initiative de la loi Asile et immigration, défendue par Gérard Collomb, dès le début du quinquennat. Nous voulons concilier humanité et fermeté. C'est le sens des instructions données par Gérald Darmanin sur l'exécution des obligations de quitter le territoire français.

Nous voulons réduire à six mois le délai de réponse pour le droit d'asile, en renforçant les moyens humains de l'Ofpra. En cas de réponse négative, il faut reconduire à la frontière. En cas de réponse positive, il faut engager celui qui a obtenu l'asile dans un parcours d'intégration ; nous avons ainsi porté à 600 le nombre d'heures de cours de français.

M. Roger Karoutchi.  - En 2019, le Président de la République avait promis une réforme du droit d'asile qui n'a jamais vu le jour... Le Sénat a adopté des textes en vue d'une association du Parlement pour définir des quotas et déterminer les pays sûrs.

Pour éviter les fantasmes, ayons un débat ouvert au niveau national sur le droit d'asile, sans qu'on nous oppose systématiquement le cadre européen. Nous devons partager une vision de ce que doit être la société française. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Cyril Pellevat .  - Certains éléments du pacte font l'unanimité, comme la nécessité de renforcer la dimension extérieure de la politique migratoire européenne. Il faut agir sur ces aspects.

Durcir la politique des visas à l'égard des pays du Maghreb qui rechignaient à délivrer des laissez-passer consulaires est une décision bienvenue, quoique tardive. Toutefois, les récents propos du Président de la République sur l'Algérie étaient maladroits...

L'Union européenne doit durcir le ton. Si certains accords d'association avec les États tiers sont efficaces, comme avec la Jordanie, d'autres non. Ainsi, les accords avec la Turquie n'ont donné lieu qu'à 2 140 reconduites entre 2016 et 2020 !

Appuyons-nous sur les relations privilégiées de certains États membres avec des États tiers.

La France, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, poursuivra-t-elle une politique plus ferme face aux pays non coopératifs ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Nous avons toujours été fermes sur le sujet. Si nous privilégions le dialogue, des mesures claires sont parfois nécessaires, comme avec le Maghreb.

À l'échelle européenne, nous devons construire des partenariats avec les pays d'origine et de transit autour de l'aide au développement et des voies légales d'immigration. Parallèlement, nous devons mobiliser tous les instruments dissuasifs, comme les restrictions de visas, face aux pays non coopératifs.

M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains .  - Merci pour la qualité de ces échanges.

Le pacte est-il nécessaire et utile ? La réponse serait plutôt « oui », compte tenu de la situation de blocage observée en 2015-2016 et les ruptures de solidarité qu'elle a entraînées entre les États membres.

À cela s'ajoutent de nouveaux phénomènes migratoires, comme le chantage à l'humain auquel se livre la Biélorussie, et que dénonce à juste titre Jean-Yves Leconte. Ainsi s'inaugurent de nouveaux modes de migration forcés, inhumains.

Il y a aussi la question afghane. Les 300 000 soldats de l'armée afghane ont été formés et armés par les États-Unis : vont-ils se soumettre au régime taliban, ou émigrer ? On aura alors à nos frontières des gens entraînés aux techniques militaires.

Un mot également sur la durée des discussions. Il y a un an, le vice-président de la Commission chargé du sujet, M. Schinás, disait souhaiter voir ce pacte adopté d'un bloc durant la présidence française. On en est loin. Philippe Bonnecarrère a développé des idées intéressantes mais hélas trop longues à mettre en place.

Certains États membres sont réticents sur les mécanismes de solidarité aux frontières : je pense au groupe dit de Visegrád.

En tant qu'élu du Pas-de-Calais, je ne peux passer sous silence la zone Manche-Mer du Nord, évoquée par Pascal Allizard. La maire de Calais, Natacha Bouchart, m'a montré ses courriers au ministère restés sans réponse. Pas moins de 1 500 migrants sont sur place, et sont à l'origine de nombreux faits délictueux. On ne peut laisser les collectivités territoriales seules, il faut augmenter les moyens.

En 2020, on a dénombré 8 000 traversées de la Manche ; en 2021, nous en sommes à 26 000 à ce jour ! Et cela, sans que les effectifs de police et de gendarmerie n'évoluent.

J'espère que la présidence française fera avancer ces questions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

La séance est suspendue à 19 h 20.

présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Situation sanitaire outre-mer

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation sanitaire outre-mer, à la demande de la délégation aux outre-mer.

M. Stéphane Artano, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - - Au cours des dernières semaines les outre-mer ont été confrontés à la pire crise sanitaire depuis le début de l'épidémie ; le ministre Lecornu lui-même en convenait le 9 septembre dernier lors du débat sur le projet de loi relatif à la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer. Le rapporteur Philippe Bas, membre de notre délégation, a eu des mots forts : « Aujourd'hui, nous sommes tous ultramarins. Nous avons tous une pensée pour nos compatriotes qui sont dans la souffrance, le deuil, l'angoisse ».

Alors que l'épidémie recule dans l'Hexagone, elle flambe en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane, et nos territoires d'outre-mer continuent de payer un lourd tribut.

C'est pourquoi j'ai saisi le président du Sénat pour que la Conférence des présidents modifie l'objet de ce débat, initialement consacré à la situation du logement en outre-mer. Je remercie mes collègues de l'avoir accepté. Il convenait de prendre la mesure de l'urgence.

Un tel phénomène interpelle toute la représentation nationale. Taux d'incidence, nombre de victimes, priorisation dans les phases aiguës, mobilisation admirable des soignants et de la réserve sanitaire, tout cela nous conduit à nous interroger sur la gestion de la crise et les leçons à en tirer.

Le président du Sénat a souhaité que la mission d'information sénatoriale présidée par Bernard Jomier se saisisse de la situation spécifique des outre-mer. Elle se penchera sur les causes de la dernière vague épidémique afin de dégager des préconisations. Elle a commencé ses auditions la semaine dernière ; il a été convenu que les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer y seraient associés.

Il convient d'adopter une approche territorialisée : certains territoires ultramarins ont été relativement épargnés, d'autres sont très durement frappés.

On ne fera pas l'économie du débat sur la vaccination. Les aspects d'information et de communication devront être abordés.

Le 28 septembre, l'une des personnes auditionnées nous a invités à nous préparer à une possible - et probable - cinquième vague. Hôpitaux saturés, appel à la réserve sanitaire, évacuations sanitaires : la dégradation soudaine dans certains territoires a donné lieu à des images chocs. La réalité de l'offre de soins dans les outre-mer a été éclairée d'une lumière crue.

Notre délégation s'est saisie très tôt des conséquences économiques de l'épidémie dans les outre-mer, formulant une soixantaine de recommandations ; le Conseil économique, social et environnemental et les chambres de commerce et d'industrie d'outre-mer ont eux aussi produit des travaux intéressants. La délégation a identifié des secteurs clés à accompagner - tourisme, secteur aérien, BTP. Nous avons alerté sur la hausse générale des prix des matières premières, du fret, de l'énergie et de nombreux intrants.

Que propose le Gouvernement face à ces légitimes inquiétudes ? La question de l'avenir de nos territoires d'outre-mer est soulevée. La crise a révélé de terribles inégalités dans l'offre de soins, avec un taux d'équipement sanitaire des outre-mer très en dessous de la moyenne nationale. Monsieur le ministre, quels investissements allez-vous annoncer ? Comment allez-vous renforcer la pédagogie autour de la vaccination, alors que les outre-mer atteignent un plateau vaccinal ? Quels moyens pour recruter, former, équiper et rétribuer le personnel ? Comment adapter les évacuations au caractère insulaire, voire archipélagique de ces territoires ?

Je ne doute pas que ce débat sera riche ; nous attendons des réponses précises à nos préoccupations concrètes. (Applaudissements)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État, chargé de l'enfance et des familles .  - Je m'associe à votre pensée pour les victimes dans les outre-mer, les malades, leur famille. Je songe aussi aux professionnels de santé, venus de ces territoires ou de la métropole.

En un an et demi de crise sanitaire, la situation des outre-mer a fortement varié, avec des trajectoires propres à chaque territoire. Ce débat est l'occasion de faire le point à date.

Certains territoires restent touchés par une vague de grande ampleur mettant à rude épreuve les systèmes de soins. Les difficultés tiennent à la contagiosité accrue du variant Delta, à la faible couverture vaccinale, à des facteurs saisonniers ou structurels.

Nous avons adopté des mesures de freinage fortes et précoces. En Guyane, la situation demeure préoccupante : le pic du taux d'incidence semble avoir été atteint, mais reste autour de 13,5 %. Le niveau d'admissions en soins critiques est un record. L'Ouest du territoire est particulièrement touché.

Des mesures de couvre-feu différenciées ont été prises. Depuis hier, les collèges et lycées sont autorisés à accueillir uniquement les classes concernées par le passage d'un diplôme. Des renforts ont été mobilisés, avec l'arrivée de cinquante personnes pour ouvrir de nouveaux lits de réanimation et compenser une partie des arrêts maladie. Des évacuations sanitaires ont été réalisées vers la Guadeloupe et l'Hexagone.

En Nouvelle-Calédonie, où se trouve actuellement Sébastien Lecornu, les indicateurs laissent espérer une amélioration, mais les hôpitaux restent saturés. Là aussi, renforts et évacuations sont de mise et les équipes sanitaires définissent quotidiennement les besoins.

Ailleurs, la situation s'améliore. En Guadeloupe et en Martinique, l'incidence est en forte baisse. Un déconfinement en trois phases a été engagé le 22 septembre en Guadeloupe, mais nous restons vigilants.

À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, de même qu'à La Réunion, on constate un ralentissement de la circulation virale, une diminution des admissions en réanimation et des décès.

En Polynésie française, la tendance est aussi à la baisse, permettant d'envisager une levée progressive du couvre-feu, tout comme à Mayotte. Mais il faut rester vigilant. Communication, pédagogie, sensibilisation doivent se poursuivre auprès des populations et des relais d'opinion et communautaires pour rappeler l'importance des gestes barrières et de la vaccination.

La vaccination, c'est ce qui nous permettra d'améliorer la situation hospitalière. Débutée dès janvier, la campagne vaccinale ne produit pas encore les effets attendus, du fait de réticences très fortes. À Saint-Pierre-et-Miquelon, le niveau de couverture est satisfaisant ; La Réunion et la Polynésie s'en approchent, mais trop de territoires sont en retard. En Martinique en particulier, une levée trop rapide des mesures de freinage laisse craindre une reprise de la circulation du virus, comme en Guadeloupe. La Guyane se distingue par une vaccination très limitée en population générale et chez les soignants.

La lutte contre les fausses informations a fait l'objet d'une mobilisation tardive mais complète ; elle est indispensable à la lutte contre l'épidémie.

En Guyane, la promotion vaccinale est déclinée dans les différentes langues, et relayée par les professionnels de terrain, selon la doctrine du « aller vers ». Mais nous craignons une véritable épidémie de fausses informations et une instrumentalisation des inquiétudes sur le vaccin.

À Mayotte, l'ARS a déployé une information traduite en shimahorais pour promouvoir la vaccination. Il appartient à vous, élus, de déconstruire les propos fantaisistes et alarmistes qui se propagent. Au-delà des différences politiques, nous devons nous retrouver pour garantir la sécurité et la santé de nos compatriotes ultramarins.

Devant s'accommoder de mesures d'ordre public strictes, ils ont fait preuve de résilience et de solidarité. Solidarité aussi dans l'Hexagone, dont des équipes médicales continuent à venir en soutien.

Le Gouvernement a mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires ; les énergies ont été mobilisées, les défis logistiques relevés. À nous de garantir que cela continuera. C'est l'engagement du Ségur de la santé, dont les premiers effets se font sentir avec force en outre-mer. Nous continuerons ce travail partenarial.

À aucun moment, le moindre territoire de la République n'a été abandonné. Les outre-mer paient un lourd tribut à la crise, mais ils peuvent compter sur la solidarité de toute la Nation. Que les équipes du secteur sanitaire et social, dans l'Hexagone et dans les outre-mer, en soient remerciées. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Annick Petrus applaudit également.)

Mme Catherine Conconne .  - J'avais l'embarras du choix, tant il y a de questions à poser. Je vous parlerai d'éducation : des dizaines de milliers d'élèves de ladite outre-mer n'ont pu reprendre le chemin de l'école, alors que le virus est sans gravité pour eux. Or déjà en 2019, les taux d'illettrisme dans nos territoires étaient alarmants : 35 % des jeunes avaient des difficultés de lecture en Martinique, 50 % à Saint-Martin, quand la moyenne nationale est de 11,8 %.

L'enseignement à distance est encore plus problématique dans les outre-mer, tant les inégalités sociales y sont marquées. Tous nos enfants n'ont pas accès à internet ; deux enfants sur trois vivent dans une famille monoparentale.

Oui, il fallait repousser la rentrée aux Antilles, mais le retour à l'école doit être une priorité absolue, avec des mesures ambitieuses de soutien pour rattraper le retard pris. Qu'allez-vous faire pour laisser toutes leurs chances à nos enfants ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La crise sanitaire n'a pas été neutre pour les écoliers, de Martinique comme de métropole. Fermées le 17 mars 2020, les écoles ont rouvert rapidement, en respectant les gestes barrières - c'était le souhait du Président de la République et, je le pense, de tous les Français.

Quel impact à moyen terme sur l'école, quelles conséquences en termes d'apprentissage ? Au niveau national, les retards liés à la crise sont en passe d'être rattrapés, selon les données de l'Éducation nationale. Nous le devons à l'effort remarquable de nos professeurs.

Nous poursuivons les transformations engagées depuis 2017, malgré la pandémie : élévation du niveau général, personnalisation des parcours, mise en oeuvre de l'école inclusive. J'entends vos remarques sur la fracture numérique ; la crise sanitaire a fait avancer des projets à cet égard.

Sachez que 100 % des classes de CP et CE1 en REP ont été dédoublées en Martinique, ainsi que 46 % des classes de grande section. Nous restons particulièrement vigilants.

Mme Catherine Conconne.  - Je regrette votre réponse stéréotypée qui ne reflète en rien la réalité.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Il y a quelques semaines, nous exprimions ici notre soutien et notre solidarité envers les territoires ultramarins, frappés par une vague épidémique sans précédent. Cette catastrophe sanitaire est la résultante de nos vulnérabilités structurelles et d'un faible taux de vaccination, dans des territoires où la méfiance envers l'État est nourrie par la désinformation - mais aussi par une communication des autorités sanitaires parfois trop généraliste.

Un mois après la prolongation de l'état d'urgence sanitaire outre-mer, où en sommes-nous ?

Près de 3 millions de doses de vaccin ont été livrées, 2,3 millions d'injections réalisées. L'aller-vers a été partout renforcé. Des renforts sanitaires humains et matériels ont été envoyés, les mesures de confinement et de couvre-feu ont été allégées.

Cependant, les situations restent très disparates. Comment affronter une prochaine vague avec des systèmes de santé si fragiles ? Que prévoit le Gouvernement pour doter ces territoires d'un système de santé plus résilient et robuste ?

Je salue la ligne claire adoptée par MM. Patient et Rohrfrisch et Mme Conconne contre la désinformation. Le mensonge prend l'ascenseur quand la vérité passe par l'escalier... (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Notre vigilance reste totale face aux risques de résurgence de l'épidémie. La concomitance et l'intensité des vagues épidémiques en outre-mer ont justifié des mesures de freinage, parfois maintenues dans la durée. C'est une stratégie exigeante, difficile, au long cours, mais efficace. Il faut l'expliquer à la population.

La situation sanitaire contrastée et évolutive nous contraint à être vigilants et réactifs. Les équipes sanitaires peuvent compter sur le Gouvernement mais il n'y a pas de recette miracle : il faudra continuer à mobiliser la solidarité nationale et à envoyer des renforts.

À Mayotte, si les indicateurs épidémiologiques sont en baisse, le territoire reste très fragile. Seule 44 % de la population a reçu au moins une dose. La vaccination doit être notre priorité, nous ne cessons de le répéter. Nous ne pouvons nous satisfaire de chiffres aussi bas.

M. Pierre Médevielle .  - L'heure est grave dans la plupart des territoires outre-mer. Les chiffres sont alarmants, du fait notamment de la contagiosité accrue du variant Delta. Les services de réanimation sont saturés, les urgences débordées.

En Nouvelle-Calédonie, seul 32 % de la population dispose d'un schéma vaccinal complet. Les modes de vie communautaires, les nombreuses comorbidités offrent un terrain propice au désastre. Malgré tout, les mesures de vaccination obligatoire au 31 octobre et 31 décembre semblent avoir été acceptées par la population.

La situation sanitaire est grave aussi en Guyane où une large partie de la population est rétive au vaccin ; seuls 25 % des Guyanais sont totalement vaccinés. Résultat, l'épidémie ne faiblit pas et le nombre de décès explose. Est-il normal de voir des soignants anti-vaccins manifester devant l'hôpital ? Nous sommes face à une épidémie de non-vaccinés ! Envisagez-vous de rendre la vaccination obligatoire dans les territoires ultramarins les plus touchés ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le ministre Lecornu est actuellement en Nouvelle-Calédonie, notamment pour faire un point sur le contexte sanitaire extrêmement tendu. Ce territoire précédemment exempt de virus grâce à des mesures de contrôle strictes connaît une diffusion fulgurante du variant Delta. La diminution du taux d'incidence est toutefois un motif d'espoir, même si la situation hospitalière reste très tendue ; 291 professionnels de santé ont été envoyés depuis l'Hexagone, ainsi que plusieurs tonnes de matériel.

Ce territoire étant autonome sur les questions sanitaires, le Parlement a voté une obligation vaccinale dont les modalités de mise en oeuvre restent à préciser afin de s'assurer que l'ensemble de la population y a effectivement accès.

Enfin, la Guyane est en pleine quatrième vague, avec une forte tension hospitalière qui nécessitera peut-être des mesures supplémentaires.

M. Pierre Médevielle.  - Beaucoup d'efforts ont été faits en Nouvelle-Calédonie, où la vaccination semble avoir été bien acceptée par la population. C'est encourageant. Élargissons ce processus.

M. Alain Milon .  - La vaccination en population générale, et non des seules personnes vulnérables, est à ce jour le moyen le plus efficace de freiner, voire d'arrêter l'épidémie. Elle réduit les formes graves et les décès dus à la covid. Les études l'ont montré, la vie réelle aussi : les territoires les plus vaccinés sont ceux où l'épidémie est la moins virulente.

La vaccination est efficace, prise en charge à 100 %. Pourtant, la couverture vaccinale est très hétérogène et les outre-mer sont très en retard : aucun ne dépasse les 35 % de primo-vaccinés. C'est d'autant plus inquiétant au regard de la prévalence des comorbidités en outre-mer, diabète ou obésité, bien plus élevées que dans l'Hexagone. Pire, malgré cette vague meurtrière, on n'observe aucun sursaut vaccinal.

La mission d'information présidée par Bernard Jomier se penche sur les raisons de cette réticence : défiance à l'égard du pouvoir central, susceptibilité aux fake news, traumatisme du chlordécone, influences religieuses... Monsieur le ministre, quelle est votre analyse ? En cas de variant à échappement vaccinal, que faire pour convaincre la population ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - ll est certains territoires d'outre-mer au-dessus de 35 % : à Mayotte, le taux de couverture vaccinale est de 44 %, à La Réunion de 57 %. Nous constatons un décalage, à cet égard, entre les Antilles-Guyane et l'océan indien.

Vous avez parfaitement démontré l'utilité du vaccin, et énuméré certaines causes de la défiance. Il y a des croyances, parfois, un isolement, géographique et social, un rapport distant aux institutions, contre lesquels l'aller-vers peut jouer un rôle crucial.

À La Réunion, l'ARS travaille en lien avec les communes, les centres commerciaux et la Croix rouge ; elle organise des vaccinobus et des opérations éphémères de vaccination dans des maisons de quartier ou des salles des fêtes. À Mayotte, des équipes mobiles vaccinent dans des lieux qui changent chaque semaine. En Guadeloupe, une campagne d'appels téléphoniques est en cours, en priorité pour les plus de 75 ans. En Guyane, une opération de vaccination est organisée au centre spatial de Kourou pour les employés. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, des opérations de vaccination éphémères ont été organisées dans les atolls les plus reculés. Il faut rester ingénieux, souples et inventifs.

M. Guillaume Gontard .  - Quelque 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais : ce n'est pas le taux de vaccination mais le taux de contamination au chlordécone. Pendant deux décennies, la France a autorisé l'usage de ce produit à la toxicité avérée, laissant les cultivateurs de banane s'empoisonner et contaminer les sols et réserves d'eau. Le rôle de l'État dans ce scandale n'est reconnu que du bout des lèvres. Les victimes n'ont jamais été indemnisées, parce que le lien avec le cancer de la prostate n'est toujours pas reconnu, et le quatrième plan chlordécone ignore largement les enjeux.

Si la Guadeloupe et la Martinique ont les plus faibles taux de vaccination, c'est tout sauf un hasard : la confiance envers les autorités sanitaires est largement entamée, pour ne pas dire rompue.

Le sous-investissement chronique dans l'hôpital public est une autre cause du problème. La France va-t-elle enfin reconnaître sa responsabilité dans le scandale du chlordécone et indemniser les victimes en conséquence ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Vous avez raison de rappeler que nous avons la responsabilité collective de rétablir une confiance éprouvée. Oui, le chlordécone est un scandale. Le Président de la République, lors d'un déplacement aux Antilles fin 2018, a rappelé combien le Gouvernement était mobilisé pour que l'État prenne ses responsabilités et avance sur le chemin de la réparation. Le nouveau plan stratégique adopté en février dernier concrétise des promesses anciennes, dont la reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle.

La gestion de la crise Covid, c'est tout le contraire du silence coupable sur le chlordécone : jamais l'État n'a autant alerté, informé, n'a autant accompagné les soignants et les Français.

Rétablir la confiance, c'est tirer les leçons des erreurs passées et éviter de les reproduire.

En l'espèce, toutes les publications scientifiques vont dans le même sens, en faveur de la vaccination. Unissons nos efforts.

Mme Éliane Assassi .  - Depuis deux semaines, il n'y a plus aucun lit disponible dans divers services du centre hospitalier de l'ouest guyanais, notamment en réanimation. Le chef des urgences, le docteur Crépin Kezza, interpellait récemment le Gouvernement sur le sujet. On voit là le décalage avec l'Hexagone. Pourquoi ?

La vague épidémique qui frappe l'outre-mer depuis l'été est un véritable choc.

La Nouvelle-Calédonie, après avoir longtemps été covid-free, accuse plus de 100 morts en un mois pour 280 000 habitants.

La campagne vaccinale renverse ces tendances dramatiques mais cela ne suffit pas. Les personnels épuisés et le manque de soignants résultent de sous-investissements chroniques.

Les déserts médicaux sont dénoncés, mais rien n'est fait.

Comment le Gouvernement compte-t-il agir afin que l'inacceptable ne se reproduise plus ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement apporte des réponses, notamment par le Ségur de la santé. (Mme Éliane Assassi le conteste.) La Guyane était dotée de 20 lits de réanimation, chiffre que nous avons porté à 48, et nous pourrions atteindre 61 si la situation l'exigeait. Le retard accumulé depuis de très nombreuses années est rattrapé par le Ségur, bien au-delà de la seule problématique du Covid.

Ainsi, 53 000 personnels ont déjà été revalorisés en Guadeloupe, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion et en Guyane. Dans ces mêmes territoires, 1,057 milliard d'euros sont prévus pour relancer l'investissement en santé. Derrière ces chiffres, ce sont des actions très concrètes, comme la rénovation de bâtiments en Guadeloupe, ou le renforcement de la filière périnatalité en Guyane, à laquelle je tiens particulièrement.

M. Jean-François Longeot .  - J'associe à ma question Gérard Poadja. Il y a à peine un an, la Nouvelle-Calédonie tenait une deuxième consultation sur son autodétermination. Un troisième référendum devrait avoir lieu le 12 décembre prochain. Dans ce contexte sanitaire inquiétant, des voix, notamment chez les indépendantistes, s'élèvent pour demander le report. (Mme Éliane Assassi le conteste.) Face à une incidence élevée, un taux de vaccination de 42 % et le décès de 160 de nos compatriotes calédoniens, craignez-vous que les conditions ne soient pas réunies pour la tenue du troisième scrutin ? Le dialogue est-il engagé avec les différentes parties ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation fait l'objet d'un suivi attentif de la part du Gouvernement. Le ministre a atterri ce mardi même en Nouvelle-Calédonie. Il posera la question du référendum lors de sa visite. Aux termes de l'accord de Nouméa, c'est à l'État qu'il revient de fixer la date de la consultation. À ce jour, les préparatifs se poursuivent. De nombreux pays ont organisé des scrutins sereinement durant l'épidémie, notamment les États-Unis, l'Allemagne, le Portugal et Israël. Notre rôle est de nous assurer que la campagne et le scrutin puissent se tenir de façon sereine et sincère.

M. Jean-François Longeot.  - Je suis heureux d'entendre votre réponse. Je me réjouis que vous teniez le cap pour que cette consultation ait bien lieu à la date prévue.

M. Stéphane Artano .  - Saint-Pierre-et-Miquelon est le seul territoire ultramarin exclu de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire votée en septembre. Nous avons seulement dénombré 31 cas, tous guéris. Nous affichons un taux de vaccination de 90 % pour la première dose, de 88 % pour la deuxième dose. Ce n'est pas satisfaisant ; c'est exemplaire !

Depuis le 4 octobre, il existe de nouvelles règles de circulation entre l'outre-mer et la métropole. Quand vous passez par Montréal pour aller à Saint-Pierre, vous devez fournir un test PCR, même avec un parcours vaccinal complet. Il s'agirait d'une obligation calquée sur celles qu'impose le Canada ; pourtant celui-ci ne demande pas de test lors d'un transit entre Saint-Pierre et l'Hexagone... Pourquoi ?

Le remboursement des tests PCR prendra fin le 15 octobre. Mais pour Saint-Pierre, ce ne seront pas des tests de confort, mais imposés par le Gouvernement ! Quant aux tests antigéniques, ils ne correspondraient pas aux règles sanitaires canadiennes. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Nous entendons l'incompréhension de nos concitoyens vis-à-vis de règles qui évoluent au fil du temps. Un communiqué de presse a été publié hier par la préfecture de Saint-Pierre sur le sujet. La réglementation française prévoit que les vaccinés en provenance de l'Hexagone n'ont pas à présenter de test PCR lors des vols directs, qui n'existent qu'en été. En revanche, pour ceux qui transitent par le Canada, il faut bien un test PCR d'autant que le Canada n'accepte pas les tests antigéniques.

Les tests PCR resteront gratuits pour les personnes vaccinées. Pour les non-vaccinés en revanche, ils seront à la charge de l'intéressé.

Mme Viviane Artigalas .  - Alors que la France métropolitaine s'inscrit dans le plan de relance, l'outre-mer est toujours en pleine gestion de crise. La persistance des mesures de restriction a entraîné l'arrêt de nombreux secteurs économiques, dont le tourisme, dans des proportions bien supérieures à la métropole. À cela s'ajoutent une hausse du prix du fret et des difficultés d'approvisionnement en matières premières, ce qui remet en cause la viabilité des entreprises et constitue donc une menace pour l'emploi.

Que faire pour adapter les conditions d'éligibilité du fonds de solidarité au contexte ultramarin ? Comment les rendre plus souples ? Les aides seront-elles prolongées jusqu'au 31 décembre 2021 pour les entreprises ultramarines du secteur du tourisme ? Comment allez-vous soutenir l'économie ultramarine en grande difficulté ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Nous partageons votre constat sur l'impact économique de l'épidémie, mais pas forcément votre analyse sur les réponses du Gouvernement. Pour les particuliers, l'activité partielle a permis de soutenir les ménages ; les plus précaires ont fait l'objet d'appuis encore plus ciblés. Pour les entreprises, qui ont subi un choc économique sans précédent, les conséquences ont été contenues grâce aux dispositifs d'aide déployés en leur faveur.

En 2020, le PIB a reculé de 4,2 % à La Réunion, de 3 % aux Antilles, de 6 % en Nouvelle-Calédonie et de 7,6 % en Polynésie française. Nous devons ce résultat à une mobilisation sans précédent du Gouvernement, qui a créé de nouveaux outils et qui a su adapter l'existant.

Outre-mer, les aides représentent un total de 6 milliards d'euros, dont 3,5 milliards de prêts garantis par l'État, 1 milliard d'euros au titre du Fonds de solidarité et 830 millions d'euros de report de charges et 650 millions pour l'activité partielle.

Les propositions des acteurs économiques sont prises en compte et la trajectoire d'extinction du Fonds de solidarité a été suspendue pour les territoires faisant l'objet de confinements ou de couvre-feux.

Mme Viviane Artigalas.  - Oui, le Gouvernement a agi pour les territoires d'outre-mer, mais les dispositifs doivent être davantage adaptés, car la crise va durer. C'est aussi la vaccination qui fera sortir l'économie ultramarine de la crise.

Mme Annick Petrus .  - À Saint-Martin, si le centre hospitalier Louis Constant Fleming a surmonté la crise grâce à la mobilisation admirable de ses équipes médicales, les difficultés demeurent. J'ai fait remonter les plus urgentes : le soutien au laboratoire d'analyses nous satisfait, mais il faut régler la question des évacuations sanitaires. Nous ne bénéficions pas de l'hélicoptère de la sécurité civile de la Guadeloupe et il n'est pas possible de décoller ni d'atterrir de nuit, ce qui entraîne des pertes de chances. Pourquoi ne pas mobiliser le troisième hélicoptère affecté aux îles du Nord ? J'espère que cette solution est à l'étude.

Le passe sanitaire mériterait des ajustements, du fait de la double insularité de Saint-Martin. Nous sommes concurrencés par le côté hollandais, où ce qui est interdit en France ne l'est pas sur l'autre partie de l'île.

Alors que 50 % des soignants ne sont pas vaccinés, le principe d'une obligation vaccinale risque d'aggraver les difficultés. Tiendrez-vous compte de nos spécificités dans l'application de la loi ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'hôpital de Saint-Martin a en effet été confronté à diverses difficultés. Il est membre du groupement hospitalier de territoire (GHT) des îles du Nord. Il fonctionne en partenariat avec un laboratoire et un centre de radiologie privés. Pour les traitements en chimiothérapie, les patients pourront prochainement être traités en ambulatoire sur l'île, sans avoir à se rendre en Guadeloupe.

Le coût des évacuations sanitaires se monte à 2,5 millions d'euros, couverts par le ministère de la Santé. Le décollage et l'atterrissage de nuit étant problématiques pour un hélicoptère, un audit sera conduit par l'ARS et la préfecture sur le sujet.

Le centre hospitalier de Saint-Martin a demandé à bénéficier de 17,5 millions d'euros dans le cadre du Ségur. Les modalités du financement n'ont pas encore été arrêtées.

Enfin, le passe sanitaire suscite des interrogations légitimes, mais nous aurions tort de nous comparer à la partie néerlandaise : l'objectif doit rester de protéger notre population.

Mme Jocelyne Guidez .  - Je salue l'effort de solidarité exceptionnel que constituent les renforts nationaux envoyés outre-mer face à l'épidémie.

Il faut prendre en compte les facteurs socioculturels pour expliquer les difficultés de la vaccination, aux côtés d'une défiance structurelle à l'égard de l'État. La qualité de l'information dispensée est capitale ; il faut prendre en compte, également, les résistantes sociales nourries par une connaissance insuffisante de la situation. Méfiance envers les médias, importance accordée à la médecine traditionnelle - plantes, sirops à base d'herbes - nourrissent cette situation.

Il y a aussi le poids de l'histoire, notamment l'usage du chlordécone qui était interdit dans l'Hexagone depuis les années quatre-vingt-dix mais restait utilisé outre-mer.

Comment surmonter ces résistances, quel peut être le rôle des influenceurs et des personnalités politiques ? Monsieur le ministre, quelle est votre stratégie pour lutter contre les fausses informations autour de la vaccination ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La présidente du conseil départemental de la Creuse, Valérie Simonet, s'est rendue en personne dans ces territoires pour leur apporter son soutien.

J'ai déjà rappelé les chiffres de la vaccination, qui restent insatisfaisants en Guadeloupe notamment. Chaque semaine, un comité de vaccination se réunit. Les actions de communication se succèdent.

En Guyane, l'élargissement de la vaccination aux jeunes dès 18 ans a été beaucoup plus précoce que dans l'Hexagone. L'aller-vers a été mis en oeuvre massivement. Pourtant, le taux de vaccination reste bas. Il faut vaincre les résistances persistantes, en luttant contre les fake news - les déclarations des responsables politiques doivent être sans ambiguïté, ce qui n'a pas toujours été le cas ces derniers temps.

Une approche plus communautaire, des relais d'opinion à mobiliser : voici quelques pistes pour faire prévaloir la confiance et la raison en matière de vaccination.

Mme Victoire Jasmin .  - La quatrième vague meurtrière a révélé les limites des moyens humains et matériels ; la communication maladroite de la directrice générale de l'ARS n'a pas amélioré les choses. Des propos moralisateurs et méprisants dans les médias nationaux ont également compromis la communication institutionnelle, le tout dans un contexte de méfiance.

Malgré la solidarité nationale, la dégradation de la situation épidémique aurait dû être mieux anticipée. Les professionnels venus en renfort ont constaté le manque de respirateurs, d'oxygène, allant jusqu'à parler de maltraitance sanitaire et ils ont dû procéder à un tri sélectif des patients.

Largement sous-dotés, nos établissements font face à des surcoûts de fonctionnement et de maintenance. Au sein du comité de suivi, les médecins de ville n'ont pas été assez pris en compte. Il faut une politique différenciée, y compris en Guadeloupe, qui est elle-même un archipel. L'ARS a témoigné d'une grave méconnaissance de la réalité de nos territoires.

Monsieur le ministre, quelles mesures spécifiques prendrez-vous pour la Guadeloupe ? Que répondrez-vous aux élus de ces territoires qui ne sont pas toujours d'accord avec les mesures prises ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je m'abstiendrai d'une réponse intuitu personae ; je préfère saluer le personnel de santé, celui des administrations centrales et des territoires, dont je constate l'engagement et l'investissement toujours renouvelés, jour et nuit.

Madame Jasmin, vous évoquez des problèmes de communication. Je connais votre soutien au groupement d'intérêt public « Réseaux et actions de santé publique en Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy (GIP-Raspeg), créé en 2014, qui a permis à la Guadeloupe de rapprocher les réseaux de santé de la plateforme territoriale d'appui. Le GIP a évolué, son activité a fait l'objet d'un suivi attentif de l'ARS, son financeur unique, qui, à ce titre, doit veiller au respect du cadre réglementaire.

Un audit conduit en 2019 a montré l'utilité de transformer ce GIP en un dispositif d'appui à la coordination (DAC) - obligation légale depuis cette même année. Un marché public a été ouvert, la démarche a été partagée. Tous les acteurs sont associés aux réflexions, aux décisions avec les différentes autorités de l'État. Je suis favorable au maintien de ce dialogue ouvert, franc et indispensable.

Mme Micheline Jacques .  - Chaque fermeture des frontières met Saint-Barthélemy à l'arrêt. Cela impose une réduction de notre dépendance à l'extérieur en matière d'offre de soins. L'implication de la collectivité a optimisé la gestion de crise : dès le premier confinement, l'île a été massivement équipée en tests PCR rapides, permettant de juguler les contaminations et les mesures de restriction ont été relativement limitées.

Il conviendrait que l'offre de soins soit davantage territorialisée, pour un service plus autonome qui puisse exploiter les possibilités offertes par le statut d'hôpital de proximité.

Le développement de l'offre de soins suppose un développement des évacuations sanitaires, d'autant qu'il n'y a pas de lits de réanimation. Un hélicoptère basé sur l'île les sécuriserait, notamment de nuit. Un rapport est prévu, qui doit dresser un état des lieux précis pour repenser l'offre de soins sur l'île.

Me confirmez-vous que le ministre de la Santé y est lui aussi favorable ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'offre de soins à Saint-Barthélemy se décline ainsi : un hôpital, avec un investissement prévu de 4,5 millions d'euros pour élargir ses activités, un Ehpad, un service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), et un centre privé d'hospitalisation à domicile, mutualisé avec Saint-Martin, soir 40 millions d'euros au total ; une offre libérale suffisante ; un scanner exploité par des radiologues privés.

L'île souhaiterait se doter de sa propre caisse d'assurance maladie, ce qui pose de nombreuses difficultés. Des échanges ont eu lieu sur le principe d'une antenne sur place, mais un travail important de faisabilité doit être mené. Il faut être attentif à éviter un élargissement du fossé entre une clientèle aisée et le reste de la population.

Le coût du logement étant très élevé, l'hôpital a des difficultés à loger ses soignants.

Sur les évacuations sanitaires, je vous invite à vous tourner vers l'ARS.

Mme Catherine Deroche .  - La Cour des comptes estime que le nombre de lits disponibles en soins critiques outre-mer est insuffisant. Comment l'adapter aux besoins spécifiques de ces territoires, où les évacuations sanitaires sont complexes ?

Combien de personnes ont été déployées au titre de la réserve sanitaire pendant la quatrième vague ? Combien le seront prochainement ?

La réticence vaccinale touche aussi les soignants outre-mer. Peut-on évaluer le nombre de professionnels non vaccinés ? Le ministre a dit que la loi sur le passe sanitaire serait appliquée avec souplesse dans ces territoires. Comment convaincre ces soignants ? Certains ont-ils été suspendus ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La couverture vaccinale des professionnels de santé dans les outre-mer est inférieure à ce qu'elle est dans la métropole. Quelque 73 % des libéraux ont reçu une dose en Guadeloupe, contre 96 % en métropole. C'est similaire en Guyane ; en revanche les taux sont bien plus élevés à La Réunion. Le tableau est analogue pour la vaccination en Ehpad, avec des taux analogues à ceux de la population outre-mer, sauf à La Réunion. Il faut poursuivre les efforts de pédagogie.

Depuis le 10 août, 1 053 personnes de la réserve sanitaire ont été envoyées dans les outre-mer ; 2 815 au titre de la solidarité nationale. De nouvelles arrivées sont prévues.

Enfin, nous avons réarmé la Guyane en lits de réanimation. Nous continuerons à le faire, autant que nécessaire.

M. Georges Patient, au nom de la délégation aux outre-mer .  - La situation sanitaire est très préoccupante dans les outre-mer. En Guyane, le taux d'incidence est de plus de 500 cas pour 100 000 habitants et seulement 30 % des plus de 12 ans ont reçu deux doses de vaccin.

À titre personnel, j'ai pris mes responsabilités et appelé sans détour à la vaccination. J'appelle chacun sans réserve à se protéger et à protéger les autres.

La mission commune d'information a orienté ses travaux sur l'évaluation de la gestion de la crise dans les territoires outre-mer, à la demande du président Larcher et après des échanges avec les collègues qui nous alertaient sur la situation inédite dans leurs territoires. J'ai proposé que les sénateurs ultramarins soient associés à ces travaux. Une première audition généraliste s'est tenue la semaine dernière, avec les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Des tables rondes géographiques seront organisées pour apprécier la situation dans chacun des territoires. Je forme le voeu que des recommandations soient formulées.

La solidarité nationale s'est manifestée notamment par les prouesses des évacuations sanitaires.

L'après a aussi été pris en compte, car il faudra reconstruire.

Des moyens exceptionnels ont été déployés pour contrer la quatrième vague : au total, 1 800 soignants ont été envoyés dans nos différents territoires. De nombreuses évacuations ont été réalisées, avec 48 patients évacués dans l'Hexagone chaque semaine dans le cadre de l'opération Hippocampe. Huit patients en réanimation ont été évacués de Polynésie vers l'Hexagone : un avion de ligne a été transformé en service de réanimation. C'est une première !

Mais nos territoires ne pourront pas compter uniquement sur les évacuations sanitaires, aussi utiles soient-elles. Nous devons préparer nos territoires aux futures pandémies.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'ampleur de la crise outre-mer : faible vaccination, comorbidités, éloignement de l'Hexagone, habitat insalubre. Toutes ces explications sont recevables mais on ne pourra pas faire l'économie d'une réflexion sur l'offre de soins outre-mer. Il faudra, nous a-t-on indiqué lors d'une audition, une offre de soin plus étoffée qu'avant la crise sanitaire.

Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) en 2020, trois territoires d'outre-mer sont en tête de la désertification médicale en France : 44 % des Guyanais, 18 % des Martiniquais et Guadeloupéens sont en zone sous-dense, c'est-à-dire qu'ils ont accès à moins de 2,5 consultations par an et par habitant. Il y a pénurie de libéraux ; de plus, la Cour des comptes, en 2014, notait que les évacuations sanitaires sont aussi dues au manque de certaines spécialités dans ces territoires.

Le système de soins ultramarins a des fragilités structurelles. La mission d'information apportera des éléments d'éclairage sur ce point ; j'en félicite le président et les rapporteurs. Nous devons parvenir à une meilleure autonomie et une plus grande résilience sanitaire de nos territoires.

Je suis convaincu que la délégation sénatoriale aux outre-mer apportera sa pierre à l'édifice. Il nous faut tirer les leçons de cette crise et proposer des solutions pérennes. (Applaudissements)

Prochaine séance demain, mercredi 6 octobre 2021 à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 6 octobre 2021

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : Mme Martine Filleul - Mme Jacqueline Eustache-Brinio

1. Questions d'actualité

À 16 h 30 et le soir

Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente, Mme Pascale Gruny, vice-présidente

2. Proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État, présentée par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et François-Noël Buffet (n° 807, 2020?2021)