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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Lutte contre la maltraitance animale (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2 BIS C

ARTICLE 3

ARTICLE 12

ARTICLE 14

Interventions sur l'ensemble

M. Daniel Salmon

M. Fabien Gay

M. Jean-Paul Prince

M. Éric Gold

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Claude Tissot

M. Bernard Buis

M. Emmanuel Capus

Mme Marie-Christine Chauvin

Confiance dans l'institution judiciaire(Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Rappel au Règlement

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Confiance dans l'institution judiciaire (Conclusions de la CMP - Suite)

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2

ARTICLE 3

ARTICLE 6

ARTICLE 10

ARTICLE 32 B

Interventions sur l'ensemble

Mme Éliane Assassi

Mme Dominique Vérien

Mme Maryse Carrère

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Yves Leconte

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Emmanuel Capus

Mme Nadine Bellurot

M. Guy Benarroche

Missions d'information et commissions d'enquête (Nominations)

Nominations à une éventuelle CMP

Rappel au Règlement

M. Éric Bocquet

Projet de loi de finances pour 2022 (Première partie)

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Question préalable

M. Éric Bocquet

Discussion générale (Suite)

M. Bernard Delcros

M. Jean-Claude Requier

M. Rémi Féraud

M. Didier Rambaud

M. Emmanuel Capus

Mme Christine Lavarde

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Pascal Savoldelli

Mme Sylvie Vermeillet

M. Thierry Cozic

M. Didier Mandelli

Mme Céline Brulin

M. Michel Canévet

M. Vincent Segouin

M. Olivier Dussopt, ministre délégué

ARTICLE 18

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Dominique de Legge, au nom de la commission des affaires européennes en remplacement de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

M. Jean-Claude Requier

M. Patrice Joly

M. Emmanuel Capus

Mme Pascale Gruny

M. Jacques Fernique

M. Éric Bocquet

M. Jean-Michel Arnaud

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes

Accord en CMP

Lutte contre la maltraitance animale (Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2 BIS C

ARTICLE 3

ARTICLE 12

ARTICLE 14

Interventions sur l'ensemble

M. Daniel Salmon

M. Fabien Gay

M. Jean-Paul Prince

M. Éric Gold

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Claude Tissot

M. Bernard Buis

M. Emmanuel Capus

Mme Marie-Christine Chauvin

Confiance dans l'institution judiciaire(Conclusions de la CMP)

Discussion générale

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Rappel au Règlement

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Confiance dans l'institution judiciaire (Conclusions de la CMP - Suite)

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2

ARTICLE 3

ARTICLE 6

ARTICLE 10

ARTICLE 32 B

Interventions sur l'ensemble

Mme Éliane Assassi

Mme Dominique Vérien

Mme Maryse Carrère

Mme Esther Benbassa

M. Jean-Yves Leconte

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Emmanuel Capus

Mme Nadine Bellurot

M. Guy Benarroche

Missions d'information et commissions d'enquête (Nominations)

Nominations à une éventuelle CMP

Rappel au Règlement

M. Éric Bocquet

Projet de loi de finances pour 2022

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Question préalable

M. Éric Bocquet

Discussion générale (Suite)

M. Bernard Delcros

M. Jean-Claude Requier

M. Rémi Féraud

M. Didier Rambaud

M. Emmanuel Capus

Mme Christine Lavarde

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Pascal Savoldelli

Mme Sylvie Vermeillet

M. Thierry Cozic

M. Didier Mandelli

Mme Céline Brulin

M. Michel Canévet

M. Vincent Segouin

M. Olivier Dussopt, ministre délégué

Ordre du jour du vendredi 19 novembre 2021




SÉANCE

du jeudi 18 novembre 2021

24e séance de la session ordinaire 2021-2022

présidence de M. Georges Patient, vice-président

Secrétaires : M. Dominique Théophile, Mme Corinne Imbert.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Lutte contre la maltraitance animale (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.

Discussion générale

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La commission mixte paritaire (CMP) a trouvé un accord sur ce texte. Pour éviter le pire, nous le voterons. Le Sénat n'a pas lâché sur ses lignes rouges.

Le texte est équilibré et évite des effets de bord qui auraient pu être désastreux pour les professionnels.

Préférant l'efficacité aux effets d'annonce, le Sénat a agi selon trois axes : lutter contre l'abandon en encadrant les cessions d'animaux ; faciliter le travail des acteurs de terrain ; refuser le credo « interdire et laisser mourir » en trouvant des solutions pour le bien-être des animaux et l'avenir des professionnels.

Certaines dispositions finales nous laissent cependant un sentiment amer. Je regrette que la proposition du Sénat sur les animaux sauvages dans les cirques itinérants - qui prévoyait l'établissement d'une liste d'interdictions progressives, espèce par espèce - n'ait pas été retenue. Nous avons toutefois obtenu un délai de sept ans qui laisse le temps aux professionnels de s'organiser : c'était la moindre des choses pour les circassiens qui crient leur désespoir. Leur activité est légale, contrôlée et encadrée, mais elle est pourtant régulièrement entravée : il faut un véritable délit d'entrave pour faire cesser cette guérilla. Le Sénat a voté une proposition de loi en ce sens : la balle est désormais dans le camp des députés.

Les voleries ne relèvent pas de l'interdiction prévue, car elles sont non pas itinérantes, mais mobiles.

Les 21 dauphins et 4 orques présents en France pourront rester dans les parcs aquatiques, à certaines conditions. Nous évitons ainsi qu'ils finissent dans des piscines de luxe à l'autre bout du monde ou qu'ils soient euthanasiés.

Pour lutter contre l'abandon des animaux de compagnie, un certificat d'engagement sera signé par l'acquéreur, qui disposera en outre d'un délai de réflexion de sept jours. La cession en ligne sera contrôlée par les plateformes : c'est une avancée historique due au Sénat.

Le Sénat a rétabli la vente de tous les animaux de compagnie en animalerie, à l'exception des chiens et chats. Seuls les refuges pourront proposer leurs animaux en magasin, mais le danger de voir plonger le secteur dans l'illégalité reste entier.

Je me félicite de la reconnaissance législative des associations sans refuge, dont l'existence était menacée à l'issue de l'examen par l'Assemblée nationale : ce sont des acteurs de terrain essentiels.

Je me réjouis également des réponses apportées contre la zoophilie et la zoopornographie ; et de la suppression de l'obligation absurde imposée aux maires de faire stériliser les chats sans compensation financière ou de créer une fourrière dans chaque commune.

Ce texte est in fine équilibré, opérationnel ; il est plus pragmatique et moins idéologique. Je vous invite à l'adopter.

Je me contenterai d'un remerciement, pour conclure, aux professionnels exceptionnels, passionnés et passionnants, que j'ai eu la chance de rencontrer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; M. Jean-Paul Prince applaudit également.)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité .  - Je suis heureuse et même émue de voir aboutir cette évolution majeure pour le respect du règne animal. Nos valeurs sont vivantes, elles évoluent. Avec ce texte qui porte des mesures ambitieuses, nous assumons notre responsabilité morale collective.

En septembre 2020, Barbara Pompili annonçait le souhait du Gouvernement de voir cesser la présence d'animaux sauvages dans les cirques itinérants et les delphinariums et d'interdire les élevages de visons d'Amérique pour leur fourrure. En décembre 2020, Julien Denormandie annonçait la mise en place de certificats de sensibilisation à l'achat ou à l'adoption d'animaux de compagnie. Ces mesures sont désormais inscrites dans la loi. Et le parcours législatif l'a enrichie d'autres décisions courageuses.

Mme la rapporteure, vous avez eu le souci de la nuance et de l'équilibre. Cette CMP conclusive est une belle victoire. Les débats ont été d'excellente tenue et je remercie tous les sénateurs pour leur mobilisation.

Le Gouvernement accompagnera les professionnels dans la perspective de l'interdiction des animaux sauvages dans les cirques itinérants, comme nous le faisons depuis la crise sanitaire. Ainsi, quelque 2,4 millions d'euros ont déjà été versés aux professionnels du cirque pour le nourrissage et le soin.

Je réaffirme ici notre soutien au cirque : je sais l'attachement des circassiens à leurs animaux et combien les évolutions prévues peuvent être douloureuses. La transition doit être la plus sereine possible.

Il faudra accompagner la reconversion des professionnels et trouver des solutions d'accueil garantissant le bien-être des animaux.

Pour les cétacés, le délai est de cinq ans, avec néanmoins quelques dérogations - sanctuaires, centres de soins et programmes scientifiques - sur lesquelles nous serons vigilants. Les refuges et les sanctuaires ont été définis dans le texte : pas d'exploitation à but lucratif ni de contact direct avec le public ou de numéros de dressage.

Je me félicite aussi de la fin des élevages de toutes les espèces non domestiques pour leur fourrure. Il y a un an, lorsque le Gouvernement annonçait son intention de les fermer, il y avait quatre élevages en France, seulement un aujourd'hui. Les trois autres ont été accompagnés dans leur transition. Voilà la preuve de l'efficacité de notre démarche.

Le texte présente des avancées pour les animaux domestiques dans le combat contre la maltraitance, avec un volet de sensibilisation et de prévention des abandons, en responsabilisant les acquéreurs via un certificat d'engagement et de connaissance. Les textes d'application seront rapidement publiés.

La vente en ligne est mieux encadrée, grâce au travail que nous avions engagé avec les vétérinaires dès la fin 2020.

La vente en animalerie des chiens et chats sera interdite en 2024 pour lutter contre les achats impulsifs et limiter les abandons.

Avec ce texte, nous confirmons notre responsabilité individuelle et collective vis-à-vis des animaux.

Une sensibilisation à l'éthique animale sera dispensée dans le cadre du service national universel (SNU) ainsi qu'à l'école primaire, au collège et au lycée dans le cadre de l'enseignement moral et civique. Je m'en félicite, car les enfants peuvent sensibiliser à leur tour leurs parents.

Nous accompagnons aussi le recueil des animaux abandonnés et je salue le rôle des refuges, des associations et des familles d'accueil qui réalisent un travail formidable. Merci aussi aux élus locaux et aux vétérinaires.

La gestion de l'errance animale a également été modernisée. L'expérimentation sur la stérilisation des chats errants nous permettra de mieux lutter contre la surpopulation féline, avec 15 millions d'euros supplémentaires prévus dans le plan de relance.

Les sanctions pour maltraitance sont renforcées. La présence d'animaux - domestiques ou non - sera interdite en discothèque, tout comme celle d'animaux sauvages sur les plateaux de télévision.

Ce texte est marqué par le progrès. Nous sommes en phase avec l'histoire et les attentes des Français. Ce texte est une fierté pour nous tous. (M. Éric Gold applaudit.)

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

En conséquence, le vote sur les amendements et les articles sera réservé.

Nous passons à la présentation des amendements du Gouvernement avant d'en venir aux explications de vote des groupes.

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2 BIS C

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Les amendements du Gouvernement sont rédactionnels ou de précision.

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure.  - Avis favorable à tous les amendements.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  À l'article L. 212-7 du code rural et de la pêche maritime, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « dernier ».

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par une ligne ainsi rédigée :

L. 211-26

Résultant de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement

 

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

ARTICLE 12

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 18

1° Au début

Insérer la référence :

II bis.  -  

2° Remplacer les mots :

l'interdiction prévue au premier alinéa du I

par les mots :

les interdictions prévues aux I et II

II.  -  Alinéa 19

Au début

Insérer la référence :

II ter.  -  

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

ARTICLE 14

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 1

Remplacer les mots :

de l'article 12

par les mots :

des articles 12 et 13

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

M. le président.  - Le vote est réservé.

Interventions sur l'ensemble

M. Daniel Salmon .  - Voici une nouvelle étape dans la lutte contre la maltraitance animale. Je remercie les députés qui sont à l'origine de ce texte, ainsi que les associations, les citoyennes et les citoyens qui oeuvrent dans ce domaine.

Le GEST aurait aimé aller plus loin, mais ce texte comporte des avancées et nous saluons les apports de la commission sur les sanctions ou les associations sans refuge. Le texte, hélas, n'évoque ni la chasse ni la corrida.

Le GEST se félicite de l'interdiction très attendue de la vente des chiens et chats en animalerie à l'horizon 2024, à l'exception des animaux de refuge.

Le certificat d'engagement est utile, tout comme le délai de réflexion de sept jours.

Nous nous félicitons également du renforcement des sanctions et de l'interdiction des animaux dans les cirques itinérants et dans les delphinariums. Restons cependant vigilants sur la sédentarisation des cirques itinérants. L'État doit accompagner les cirques à aller vers des spectacles sans animaux.

Nous nous réjouissons aussi de l'interdiction à effet immédiat des élevages de visons et autres espèces non domestiques destinés à l'industrie de la fourrure.

Nous avons cependant quelques regrets, notamment sur le système de labellisation des sites de vente en ligne : l'interdiction pure et simple de la vente sur les sites non spécialisés aurait été autrement plus efficace. Seuls les professionnels doivent être autorisés à vendre en ligne, sur des sites spécialisés.

Les chats errants sont un problème de santé publique. L'État doit davantage soutenir les collectivités. Nous suivrons avec attention les travaux de l'Observatoire de la protection des animaux de compagnie en ce domaine.

Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment sur les conditions d'élevage industriel. Pour lutter contre la souffrance animale, notre agriculture doit changer de modèle. Nous y reviendrons.

Le GEST votera ce texte encore timide, mais qui acte des progrès majeurs.

M. Fabien Gay .  - Malgré ses imperfections, cette proposition de loi est une avancée dans la lutte contre la maltraitance animale. En la matière, nous partions de loin. C'est pourquoi le CRCE l'avait votée en première lecture.

Le texte de compromis de la CMP comporte des avancées, notamment pour les cirques et les delphinariums. Merci à notre rapporteure d'avoir proposé une solution pour accueillir ces animaux, promis à l'euthanasie par l'Assemblée nationale.

Nous sommes plus mitigés sur les animaleries. Oui, les animaux qui y sont vendus proviennent souvent d'élevages d'Europe de l'Est, sevrés trop tôt et transportés dans de mauvaises conditions.

M. Stéphane Piednoir.  - Caricature !

M. Fabien Gay.  - Les animaux ne sont pas des objets ou des marchandises que l'on pourrait jeter après achat. Et il n'est plus acceptable que des animaux sauvages soient maintenus en captivité pour être exhibés dans un environnement qui n'est pas le leur.

Ce texte doit réellement s'appliquer, notamment s'agissant des delphinariums : attention aux dérogations prévues.

L'accord en CMP nous oblige à une action plus globale en faveur des animaux. Il faut revoir notre modèle d'élevage intensif avec le monde agricole. L'impact des pesticides est également néfaste à la biodiversité.

Nous ne pourrons plus occulter le sujet de la souffrance animale. La recherche effrénée du profit dans nos sociétés capitalistes se fait au détriment de la vie animale. (M. Stéphane Piednoir le conteste.)

Ce mode de production réduit l'animal à une marchandise parmi tant d'autres ; aucune compensation ne pourra jamais remédier à la disparition des espèces.

Il faudra se saisir vraiment de cette question qui préoccupe nos concitoyens et aller plus loin.

Madame la ministre, et chers collègues qui avancez des arguments que j'aimerais entendre plus souvent à la tribune, et moins souvent en échos lancinants derrière un masque, il faudra engager une réflexion sur notre rapport aux autres espèces. Vos interpellations ne me feront pas reculer ; je ne l'ai jamais fait sur un terrain de rugby, je ne le ferai pas davantage ici.

Le groupe CRCE votera cette proposition de loi qui constitue une première étape. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

M. Jean-Paul Prince .  - La CMP est parvenue à un accord le 21 octobre. Le dialogue entre le Sénat et l'Assemblée nationale a été apaisé et les débats fructueux, sur un sujet pourtant si délicat et passionné. Merci à notre rapporteure et à notre présidente. Je me réjouis que de nombreux apports du Sénat aient été conservés.

Les relations entre l'homme et l'animal ont considérablement évolué. Autrefois, nous utilisions leur force dans l'agriculture et les transports ; les énergies fossiles et renouvelables les ont libérés de cette servitude.

Descartes les considérait comme des machines, le code napoléonien comme des choses. La reconnaissance de leur sensibilité est venue progressivement, puis inscrite dans la loi du 10 juillet 1976.

Les animaux sauvages de spectacle souffrent du dressage et de la vie itinérante. Il était nécessaire d'agir, mais de manière ordonnée, en laissant le temps aux professionnels de s'adapter et trouver des hébergements convenables pour leurs animaux. Les délais prévus par le texte sont appropriés et la création d'une commission consultative pour la faune sauvage captive par le Sénat est utile.

L'Assemblée nationale a voté l'interdiction de la vente en animalerie à l'horizon 2024 : c'est discutable, car ces établissements sont déjà strictement réglementés. De plus, il est à craindre que la vente en ligne entre particuliers bénéficie des nouvelles restrictions. L'interdiction de la présentation des animaux en vitrine, introduite par le Sénat, a heureusement été conservée.

Concernant l'interdiction des manèges à poneys, le terme de carrousel, trop générique, risquait de dépasser l'intention du législateur et de toucher de nombreuses activités impliquant des chevaux, comme le Cadre noir de Saumur ou les animations équestres de Chambord et du Puy du Fou. La réécriture de l'article par le Sénat a été conservée.

Dans l'ensemble, ce texte est porteur de progrès. J'espère que son adoption contribuera à l'apaisement dans ce domaine, marqué par des oppositions virulentes et des débordements.

La majorité du groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Éric Gold .  - On oublie trop souvent que, sur de nombreux textes, le travail de concertation entre députés et sénateurs permet d'aboutir à un accord.

Nous renforçons la protection des animaux. Certaines dispositions vont dans le sens de l'Histoire. Les mentalités ont évolué : il est bon que le législateur s'y conforme.

D'ici deux ans, loups ou ours seront interdits dans les spectacles itinérants. D'ici cinq ans, ce sont les cétacés qui seront concernés et d'ici sept ans, les animaux sauvages des cirques itinérants. Ce texte marque en outre la fin des élevages de visons pour la fourrure. Une liste limitative des animaux non domestiques pouvant être détenus comme animaux de compagnie sera établie.

Il fallait en finir avec les 100 000 abandons d'animaux domestiques constatés chaque année, un record européen qui nous fait honte. Un certificat d'engagement et un délai de réflexion de sept jours seront imposés, afin d'éviter les achats compulsifs. Il ne sera plus possible de céder ou donner un animal de compagnie à un mineur sans assentiment préalable de ses représentants légaux.

La vente de chiens et chats en animalerie sera interdite - sauf pour les animaux de refuge - à l'horizon 2024. Les autres animaux ne pourront plus être présentés en vitrine. La vente en ligne d'animaux de compagnie sera mieux encadrée. Le RDSE a d'ailleurs fait adopter un amendement imposant la mention du nombre de portées de la femelle au cours de l'année écoulée.

Les animaux ne sont pas des biens de consommation courante : ce sont des êtres doués de sensibilité. L'arsenal juridique contre la maltraitance animale sera renforcé, avec notamment la levée du secret professionnel des vétérinaires. Les peines pour atteinte sexuelle, abandon, mise à mort, sévices graves ou actes de cruauté seront aggravées, avec une circonstance aggravante si ces actes sont commis devant un mineur.

Le renforcement des dispositions pénales s'accompagnera de mesures de prévention : le stage de prévention remplacera ou complétera les peines d'emprisonnement dans un objectif de lutte contre la récidive. Un module sur l'éthique animale figurera au programme du service national universel et de l'enseignement moral et civique.

Le groupe RDSE votera sans réserve ce texte, fruit d'un travail de concertation transpartisan. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Michelle Meunier et M. Jean-Paul Prince applaudissent également.)

Mme Esther Benbassa .  - Les résultats des travaux du Sénat en première lecture étaient décevants. La CMP a redonné de la consistance au texte, mais mon engagement contre la maltraitance animale m'oblige à signaler ses lacunes.

L'interdiction de l'exploitation d'animaux sauvages dans les spectacles de divertissement est une avancée, mais je regrette le délai excessif laissé aux acteurs concernés. Deux ans, c'est injustifiable : que deviendront les animaux nés dans cet intervalle ?

Je félicite néanmoins les cirques qui ont mis en place des alternatives innovantes comme les hologrammes animaliers : il est possible de divertir sans causer de souffrance.

L'encadrement du commerce des chiens et chats est également une avancée louable : l'offre trop importante facilite les acquisitions non réfléchies, et par conséquent les abandons - il y en a 300 000 par an !

Mais cela ne dissimule pas le bilan décevant de ce quinquennat : où est la vidéosurveillance des abattoirs promise par Emmanuel Macron, l'encadrement du transport, l'amélioration des conditions de vie ?

La faune sauvage est complètement oubliée. Pour des raisons clairement électorales, des avantages exagérés sont accordés aux chasseurs. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - Vive la chasse !

Mme Esther Benbassa.  - Une réforme globale et ambitieuse du droit animal aurait été bienvenue; mais je voterai ce texte.

M. Franck Menonville.  - Oui, vive la chasse !

M. Jean-Claude Tissot .  - La CMP est parvenue à un compromis sur ce texte. Au cours de son examen, nous avons constaté la mobilisation et l'émoi que suscitait cet enjeu. Les débats ont été très animés : c'est la vitalité de notre démocratie.

Les attentes de nos concitoyens et des associations étaient fortes.

Plusieurs dispositions ambitieuses ont été confirmées en CMP : le certificat d'engagement et de connaissance avant toute acquisition, la suppression de la vente des chats et chiens en animalerie, l'encadrement de la vente en ligne, les sanctions renforcées contre la maltraitance et la zoophilie, l'interdiction à terme de l'exhibition d'animaux sauvages dans les cirques itinérants et les delphinariums - dans des délais que la CMP a fixés au bon niveau.

Le texte ignore pourtant certains sujets sensibles, soigneusement évités par la majorité présidentielle à l'approche de l'élection. Il aurait fallu ainsi aborder la question de l'élevage.

Nous avons pu défendre les collectivités territoriales, qui assumeront leur juste part dans la lutte contre la maltraitance, sans qu'il leur soit demandé d'effort financier incohérent, notamment pour la stérilisation des chats errants. Sur ce point, l'expérimentation dans les communes volontaires est une bonne solution.

J'ai voté les conclusions de la CMP, au nom du groupe SER, et je réaffirme notre soutien à ce texte ambitieux. Notre mobilisation pour le bien-être animal se poursuivra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Bernard Buis .  - Nous n'étions pas tous optimistes sur l'issue de la CMP. Mais nous y sommes arrivés ! Ce texte apporte des mesures concrètes qui changeront le quotidien de nos animaux. Le RDPI le votera sans réserve.

Entre l'approche pragmatique du Sénat et l'approche volontariste de l'Assemblée nationale, il paraissait difficile de trouver une issue commune. À force de concertation et de compromis, nous avons su dépasser les logiques partisanes. Les discussions ont abouti - certes tard le soir - à un vote de bon sens et de sagesse.

Un compromis a été trouvé sur les cirques itinérants : une interdiction des animaux sauvages dans un délai de sept ans a été votée, si toutefois une solution d'accueil est trouvée pour ces animaux. Pour les delphinariums, l'échéance est à cinq ans, avec possibilité d'accueil dans des refuges.

L'interdiction de vente en animalerie des chiens et chats en 2024 a été maintenue sur l'insistance de l'Assemblée nationale, mais les ventes d'animaux en refuge seront possibles. Une coopération entre les animaleries et les associations s'engagera afin de favoriser les adoptions.

Sur la stérilisation des chats, une expérimentation de cinq ans sera mise en oeuvre dans le cadre de conventions de gestion. Je salue particulièrement les maires drômois présents en tribune. Je songe à ma commune de Lesches-en-Diois, cinquante habitants, ou à Rochefourchat, qui n'en a qu'un seul.

Je me réjouis de la fin immédiate des élevages de visons.

Au total, les propositions de ce texte amélioreront le bien-être des animaux. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont su faire oeuvre commune pour le bien de nos concitoyens. J'en appelle à cette même coconstruction sur le texte relatif à la régulation du foncier agricole. Notre crédibilité en sortirait grandie. (Mme la  présidente de la commission des affaires économiques sourit.)

M. Emmanuel Capus .  - « Le véritable test moral de l'humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. » Milan Kundera avait raison... Si nous ne nous saisissons pas du sujet de la maltraitance animale, personne ne le fera.

Il faut se féliciter de l'accord trouvé par la CMP, qui s'inscrit dans une tendance de fond. C'est un texte d'équilibre.

Près de la moitié de nos concitoyens possèdent un chat ou un chien. Nous ne croyons pas qu'un animal domestique soit un animal maltraité. Le lien avec l'animal fait partie de l'histoire de l'humanité - pour le chien, cela date de plusieurs dizaines de millénaires ! Il ne faut pas y renoncer, mais mieux protéger les animaux, qui ne sont pas les égaux des humains mais des êtres sensibles. Le certificat d'engagement va dans ce sens ; même s'il peut paraître symbolique, il permet de s'assurer que les fondamentaux sont connus.

La vente en ligne d'animaux de compagnie sera interdite, et c'est heureux : les animaux ne sont pas de simples marchandises.

Les animaux en animalerie ne devront pas être visibles depuis la rue, afin d'éviter les achats impulsifs. Je doute toutefois de la pertinence d'une interdiction générale de la vente de chats et de chiens dans ces commerces : il fallait soit considérer que ces professionnels sont compétents - ce que nous croyons - soit interdire la vente de tous les animaux. Une exception est ménagée pour les animaux de refuge, afin d'éviter l'euthanasie -  un échec - pour les 100 000 animaux abandonnés chaque année.

L'État et les collectivités territoriales se coordonneront mieux, grâce à ce texte, pour traiter le problème des chats errants - particulièrement sensible dans le Nord, comme l'a rappelé Jean-Pierre Decool.

Le montant de l'amende pour l'importation d'espèces protégées est porté de 7 500 à 30 000 euros.

Je salue aussi le renforcement des sanctions contre la maltraitance, en particulier quand les faits sont commis en présence de mineurs. Cependant, la réponse pénale n'est pas la panacée, au vu de l'engorgement de la justice, du fait du manque de magistrats. La sensibilisation et l'éducation sont à privilégier.

Enfin, la CMP a décidé l'arrêt progressif des spectacles animaliers : dans cinq ans pour les delphinariums, dans sept ans pour les cirques.

Ce texte, pragmatique, apporte de nombreuses avancées. Malgré quelques regrets, le groupe Les Indépendants votera ce texte.

Mme Marie-Christine Chauvin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il faut rappeler que la protection des animaux n'est pas une préoccupation nouvelle. Dès 1850, la France a puni les mauvais traitements infligés publiquement.

En 2015, les animaux ont été reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité.

Face à l'attente sociétale importante, le texte issu de l'Assemblée nationale n'était pas une loi structurante. Mais son périmètre réduit a permis à notre rapporteure, malgré des délais restreints, de faire une analyse poussée.

Le Sénat a amplifié des mesures qui vont dans le bon sens, évité les effets de bords et cherché à maintenir une place pour les animaux dans notre société. La tentation est en effet grande, pour certains, de vouloir interdire toute détention d'animaux. La relation entre les hommes et les animaux doit pourtant être préservée.

Le Sénat a préféré des mesures opérationnelles, assorties de critères objectifs, pour améliorer les conditions de vie des animaux, par un statut dédié pour les 3 200 associations sans refuge mais actives et nécessaires. Il a autorisé la vente en animalerie à l'exception des chiens et des chats, car une interdiction sèche aurait favorisé un transfert vers des modalités de vente moins vertueuses. Il a encadré la vente en ligne -  la première animalerie de France !

Le Sénat a également aggravé les sanctions contre les maltraitances, les actes de cruauté, le vol d'animaux domestiques pour alimenter le trafic, la zoopornographie et a créé un délit d'atteinte sexuelle sur animal domestique.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

À la demande de la commission, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°44 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 332
Contre     1

Le Sénat a adopté.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - J'ai entendu l'engagement pour le bien-être animal du Gouvernement, qui voit dans ce texte un mouvement historique ; mais il a fait une erreur de méthode. Il aurait fallu un projet de loi, avec un avis du Conseil d'État et un texte travaillé avec les professionnels et non contre eux - je songe notamment aux circassiens, particulièrement malmenés au début de l'examen. Je regrette les propositions de certains, dogmatiques pour être médiatiques, qui n'ont pas fait avancer le débat.

Jamais je n'avais examiné un texte dans de telles conditions...

Je remercie néanmoins les membres de la commission, les sénateurs et les ministres pour la qualité des échanges.

Les circassiens aiment leurs animaux. Je veux les assurer du soutien total du Sénat. Nous serons attentifs à la façon dont la loi sera mise en oeuvre. (Mmes Anne Chain-Larché, rapporteure, et Marie-Christine Chauvin applaudissent.)

La séance est suspendue quelques instants.

Confiance dans l'institution judiciaire(Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire ; et des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire.

Discussion générale

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Nous voici réunis pour l'ultime examen de ces textes, au terme d'un chemin long et sinueux - plus proche du rallye corse que de la promenade de santé dans ses dernières semaines. (M. le ministre apprécie la comparaison.) Nous avons cependant abouti et nous en félicitons.

Si 53 % des Français ne font pas confiance à l'institution judiciaire, ils croient en ses professionnels.

Notre Agora de la justice comme le dernier colloque organisé par la Cour de cassation l'ont montré : il faudra une réforme de fond.

Je ne suis toujours pas convaincue que ce texte composite suffise à rétablir la confiance, mais il comporte des avancées dans plusieurs domaines comme l'organisation et la discipline des professions judiciaires, la force exécutoire des accords passés avec les avocats, l'enregistrement et la diffusion des audiences, la réforme des remises de peines et du travail pénitentiaire.

L'avertissement pénal probatoire remplace le rappel à la loi. Les cours criminelles départementales ne seront généralisées qu'au 1er janvier 2023, ce qui répond aux préoccupations du Sénat.

Le texte est le fruit d'intenses échanges. Certes, certaines dispositions, comme sur le secret professionnel des avocats, sont encore mal comprises, mais je fais confiance au talent pédagogique de Philippe Bonnecarrère pour l'expliquer. La pratique, je l'espère, lèvera les dernières réticences. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Monsieur le garde des Sceaux, contrairement à vos dires, vos arguments ne se sont pas heurtés à la muraille du Parlement. (M. le ministre conteste cette interprétation.) Preuve en est l'accord en CMP sur votre projet de réforme.

Ce texte porte sur les remises de peines, les cours départementales et l'organisation déontologique des professions juridiques.

La durée des enquêtes préliminaires sera limitée à deux ans, sauf exceptions liées aux enquêtes internationales. Nous vous avons finalement suivis sur le sujet, mais la bonne application de cette réforme dépendra du nombre d'enquêteurs judiciaires ; elle marque le grand retour du juge d'instruction - sur ce point, vous préemptez quelque peu les termes du débat aux états généraux de la justice, entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire...

La profession d'avocat a eu tendance à s'auto-définir, à s'auto-considérer comme bénéficiaire d'un secret professionnel général et illimité. Cela est vrai pour la défense, mais pas, en droit positif, pour le conseil. (M. le ministre approuve.) La solution trouvée sur ce dernier point me semble équilibrée.

Merci de votre attention et de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. André Reichardt applaudit également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Après dix mois de travail, je me réjouis de l?accord trouvé en CMP. On sait depuis La Fontaine que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ; pour ma part, j'aime le bicaméralisme et le second regard qu'il offre. À l'époque où j'étais avocat, c'était celui de la cour d'appel. Mais ne vous enflammez pas : le Sénat n'est pas la cour d'appel de l'Assemblée nationale ! (Sourires)

Ceux qui ont dit que nous nous opposions n'ont pas dit la vérité. Nous sommes tombés d'accord sur le secret professionnel des avocats, qui - Philippe Bonnecarrère a dit vrai - n'est pas absolu s'agissant du conseil, activité commerciale et de service.

Je salue la façon dont nous avons travaillé ensemble pour trouver des solutions.

Bien sûr, un texte ne peut suffire à restaurer la confiance - j'aimerais disposer d'une telle baguette magique ! - mais il y contribuera, notamment par l'enregistrement des audiences qui aidera le public à comprendre comment fonctionne la justice et évitera le « justice bashing ». La justice se fera ainsi mieux connaître, en entrant dans le salon des Français. La publicité est une grande garantie démocratique : dans les dictatures, la justice n'est pas publique.

Il est normal d'enserrer l'enquête préliminaire dans des délais. Elle ne doit pas devenir une enquête éternelle, qui constitue une violation patente des droits de l'homme, en ce qu'elle suspecte un homme pendant deux, trois, quatre ans - parfois plus ! - avec de graves atteintes à la présomption d'innocence. Nous redonnons des lettres de noblesse au jury populaire, qui ne pourra condamner que si une majorité des jurés s'exprime.

J'ai entendu le Sénat sur les cours départementales ; je suis presque convaincu sur la poursuite de l'expérimentation (M. André Reichardt s'en réjouit) car elle a eu lieu pendant la période du Covid. Je n'ai nullement l'intention d'être caporaliste...

Une juridiction nationale sera créée pour les crimes en série. C'est une avancée majeure pour les victimes.

Le rappel à la loi sera supprimé. Vous proposiez un délai de trois ans, je proposais un an ; ce sera finalement deux ans : quelle sagesse ! (Sourires) Il n'impressionnait plus que les honnêtes gens ! La période probatoire sera de deux ans et les violences ne seront pas concernées, non plus que les faits de récidive.

Nous avons encadré l'application des peines dans le sens des droits mais aussi des devoirs. Deux ans de remise de peine automatique, c'était hérétique !

Nous renforçons aussi le travail en prison afin de faciliter la réinsertion. Nous avons réussi à en faire augmenter le taux de 2 %, mais j'espère une hausse massive, car c'est gagnant-gagnant-gagnant pour le détenu, le patron, la société.

La codification des règles pénitentiaires était très attendue, tout comme le développement de la médiation.

Il était anormal qu'un justiciable se plaignant de son huissier, son notaire ou son avocat se voie jugé par ces mêmes gens. Nous avons mis en place l'échevinage en la matière.

Je sais ce que pense le Sénat du secret professionnel des avocats, tant nous avons travaillé - bossé, oserais-je dire - ensemble sur le sujet. Nous avons également réfléchi avec les avocats, qui n'ont pas du tout été exclus. Beaucoup de choses n'ont pas été comprises. Mais personne ne pourra dire que nous avons été les fossoyeurs du secret professionnel. C'est le contraire !

Beaucoup d'avocats nous remercient et comprennent les avancées considérables apportées au secret de la défense comme au secret du conseil, dont nous allons reparler dans quelques instants.

Mme le rapporteur, vous m'avez rappelé à l'humilité : elle ne m'a jamais quitté. Il reste beaucoup de travail pour rétablir la confiance en la justice ; cela ne se fera pas en un texte. Les états généraux évoqueront un grand nombre d'autres voies de modernisation de l'institution judiciaire. Une vision transpartisane des choses est indispensable. Il n'y a pas une justice LREM, LR, ou LFI...

Mme Éliane Assassi.  - Il n'y en a pas ici, des LFI !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je ne vous oublie pas, madame la présidente... (Sourires)

J'ai entendu à de nombreuses reprises que ce texte était un patchwork de mesures. Mais il y a de jolis patchworks. Ce texte est issu des constats divers que j'ai pu dresser au cours de ma longue carrière. J'ai pensé que ces différentes mesures étaient de nature à renforcer, au moins modestement, la confiance des Français dans l'institution judiciaire.

Je suis heureux de présenter aujourd'hui le dernier amendement de fond pour que ce texte entre en vigueur aussi vite que possible. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC, et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Rappel au Règlement

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Mon rappel au règlement est fondé sur l'article 42 de notre Règlement. Je croyais que nous devions examiner ce matin un texte issu de la CMP. Mais j'ai l'impression d'être devant le journal de 20 heures, où le Président de la République, après nous avoir attirés par le passe sanitaire, fait un panégyrique de son action !

Nous sommes enserrés dans des conditions de discussion draconiennes. Notre groupe ne pourra s'exprimer sur les six amendements, dont un extrêmement important, présentés par le Gouvernement, puisque le vote sera bloqué. Nous dirons, dans les explications de vote sur l'ensemble, ce que nous pensons de ce procédé. La procédure parlementaire est traitée avec légèreté par le Gouvernement.

Ce que ne dit pas le garde des Sceaux, c'est qu'il s'agit d'un texte d'Éric Dupond-Moretti pour Éric Dupond-Moretti. En effet, ses dernières dispositions sur la prise illégale d'intérêt, la limitation des pouvoirs du parquet national financier (PNF), l'encadrement de la procédure lorsque des avocats sont sujets d'investigation, servent directement les intérêts du justiciable Éric Dupond-Moretti ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement.

Confiance dans l'institution judiciaire (Conclusions de la CMP - Suite)

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Je demande une suspension de séance pour réunir notre commission, afin qu'elle donne son avis sur les amendements que nous allons examiner.

La séance, suspendue à 12 h 5, reprend à 12 h 25.

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

En conséquence, le vote sur les amendements et les articles sera réservé.

Nous passons à la présentation des amendements du Gouvernement sur le projet de loi ordinaire avant d'en venir aux explications de vote des groupes.

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 7, deuxième phrase

Remplacer les mots :

de demande d'entraide judiciaire

par les mots :

d'entraide judiciaire internationale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est un amendement de précision rédactionnelle. 

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Avis favorable.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 15 à 17

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. 56-1-2.  - Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué prévues à l'article 56-1 et des droits de la personne perquisitionnée prévus à l'article 56-1-1, le secret professionnel du conseil n'est pas opposable aux mesures d'enquête ou d'instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu'au blanchiment de ces délits sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l'avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions. » ;

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Une longue concertation entre le ministère de la Justice, le Barreau dans sa diversité et les parlementaires a présidé au travail sur le secret professionnel des avocats - que ce soit de la défense ou du conseil.

Le juge des libertés et de la détention (JLD) statuera sur la possibilité de perquisitionner. Autrefois, c'était le procureur ou le juge d'instruction qui décidait seul. Le Barreau demandait ce contrôle du JLD depuis longtemps.

Le recours possible contre la décision du JLD en matière de saisie est lui aussi, désormais, une réalité, devant la chambre de l'instruction.

Nous avons renforcé les garanties pour l'avocat : il faudra des raisons plausibles de soupçonner une implication dans des actes délictueux pour lever le secret.

Enfin, les relations entre le client et l'avocat sont couvertes par le secret avant même l'ouverture d'une procédure pénale : c'est une avancée très significative. La jurisprudence de 2014 avait été âprement contestée par les avocats. J'avais moi-même lorsque j'étais avocat participé à une pétition contre cette jurisprudence, qui avait recueilli plus de 10 000 signatures.

Enfin, les documents saisis chez le client seront soumis aux mêmes règles que ceux saisis chez l'avocat et les fadettes seront assimilées aux écoutes.

Le Barreau a souligné ces avancées dès la présentation du texte en conseil des ministres.

L'Assemblée nationale a élargi le champ du secret professionnel au conseil. Il est désormais consacré dans le code de procédure pénale. Mais ce secret ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle et conventionnelle que le secret de la défense. Le Sénat a proposé trois exceptions - terrorisme, fraude fiscale, corruption et blanchiment. Les Français n'accepteraient pas qu'il en soit autrement.

Le 16 novembre, dans sa décision Sargava contre Estonie, la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il n'était pas interdit d'imposer aux avocats des obligations concernant les relations avec leurs clients, notamment dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques. Nous n'avions pas besoin de cet arrêt pour rappeler ce qu'est le secret du conseil. 

Cet amendement rappelle que le bâtonnier sera bien présent lors des perquisitions. Le Sénat n'avait jamais eu l'intention de l'en écarter, pas davantage que le garde des Sceaux ou les députés... Comme nous sommes des gens délicats, nous considérerons que la précision n'est pas superfétatoire. 

J'ai été particulièrement à l'écoute sur le sujet et j'ai toujours cherché la concertation. J'ai écrit la semaine dernière à l'ensemble des bâtonniers. Beaucoup d'avocats m'ont fait part de leur satisfaction vis-à-vis de ce texte. Je prends acte de la position exprimée par le Conseil national des barreaux, mais je veux, en responsabilité, consacrer avec vous ces avancées majeures.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Avis favorable. Nous nous sommes longuement exprimés sur le sujet dans cet hémicycle, et nous faisons nôtres les propos du garde des Sceaux.

Un mot sur la procédure parlementaire : le Gouvernement seul peut, après une commission mixte paritaire, déposer des amendements au texte. En l'espèce, peut-on estimer qu'une atteinte est portée à l'usage parlementaire en adoptant un amendement de fond ?

On ne peut pas faire le bonheur des gens contre leur gré, mais il fallait choisir une solution raisonnable. Celle-ci répond à toutes les préoccupations, consacre une avancée et évite toute difficulté ultérieure. Une suppression de l'article 3 aurait représenté une modification substantielle du texte de la CMP. Ce n'est pas le cas.

Je ne crois pas que nous créions là un précédent dangereux pour le Parlement. 

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 33

Remplacer les mots :

lorsque la culpabilité de la personne à la suite d'aveux obtenus par l'usage de la torture

par les mots :

après des aveux recueillis à la suite de violences exercées par les enquêteurs

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est un amendement de précision sur la disposition introduite par le député François Jolivet, sur l'affaire Mis et Thiennot. Le mot de « torture » est trop restrictif : il a été reconnu que Mis et Thiennot avaient fait l'objet de violences et les deux mots n'ont pas le même sens en droit pénal. Je m'adresse en particulier à Mme Bellurot, dont je connais l'investissement sur ce dossier qui concerne son département de l'Indre.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis favorable.

ARTICLE 10

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 3, première phrase

Après le mot :

taire

insérer les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

II.  -  Alinéa 10

Compléter cet alinéa par les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

III.  -  Alinéa 11

Après le mot :

taire

insérer les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

IV.  -  Alinéa 15

Compléter cet alinéa par les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

V.  -  Alinéa 17

Compléter cet alinéa par les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 8, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

; ce délai est fixé à un an en matière contraventionnelle

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Défendu.

ARTICLE 32 B

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 51

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

I bis.  -  À l'article 344-1 du code des douanes, la seconde occurrence des mots : « Parquet européen » est remplacée par les mots : « procureur européen délégué, soit directement, soit ».

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Défendu.

Interventions sur l'ensemble

Mme Éliane Assassi .  - La commission mixte paritaire a donné lieu à un accord. Les divergences de point de vue étaient assez minces.

Ce texte reste épars, composite. Il traite peu de la justice du quotidien qu'est la justice civile, pourtant la plus importante pour les Français. Il aurait fallu commencer par là pour renouer la confiance.

L'ambition affichée est hélas vouée à l'échec, même si je ne le souhaite pas. La durée moyenne d'obtention d'un jugement au civil à Nanterre est d'un an et demi. C'est un dysfonctionnement. Toutes les chambres sont en souffrance. Or la lenteur est le premier reproche que les Français font à la justice, selon le sondage mené par la commission des lois. Il faudra en débattre aux états généraux de la justice. Comment traduire cette préoccupation ?

Le budget de la justice en projet de loi de finances pour 2022 affiche une augmentation, mais c'est toujours le rattrapage d'un retard durable. La France reste l'un des pays européens qui attribuent le moins de moyens par habitant à sa justice.

Le groupe CRCE dénonce une politique gestionnaire, avec la généralisation, en janvier 2023, des cours criminelles départementales, inspirée par le seul objectif comptable après la suppression des petits tribunaux d'instance. Moins de proximité et de collégialité pour une justice au rabais...

En matière de procédure pénale, ce texte ajoute de la complexité. En parallèle, la réforme des remises de peine nous apparaît dangereuse au regard de la surpopulation carcérale, traitée par la seule augmentation du parc - alors que nos voisins se posent les vraies questions, nous nous contentons de restreindre les remises de peine.

Quant à l'amendement gouvernemental à l'article 3, nous nous félicitons de l'accord obtenu entre la Chancellerie et les avocats mais regrettons les conditions d'examen d'une mesure aussi importante.

Ce texte, malgré quelques avancées sur le travail en détention ou les règles déontologiques des professionnels du droit, appartient à l'ancien monde : celui d'une justice manquant cruellement d'ambition, et instrumentalisée à des fins médiatiques et politiciennes.

Le groupe CRCE maintient son rejet de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La justice est au coeur de notre pacte social. L'intention de ce texte, réformer le lien entre les Français et la justice, est louable au vu du délitement croissant de cette institution. L'opinion tranchée, parfois excessive, des Français peut faire du juge le coupable parfait des maux de notre société. Le Sénat est engagé depuis longtemps pour une réforme en profondeur de la justice.

Il est probable que les mesures diverses et inégales de ce texte ne résorberont pas le fossé, mais ne boudons pas notre plaisir d'avoir obtenu un texte de compromis. Les propositions du Sénat, notamment sur le secret professionnel des avocats, y trouvent toute leur place. Sur la durée des enquêtes préliminaires en revanche, elles n'ont pas été retenues. Limiter la durée des procédures générales était néanmoins nécessaire.

Mais, pour maintenir la cadence des enquêtes, il faut des moyens, à commencer par ceux de la police - faute de quoi les classements sans suite se multiplieront, à moins que les ouvertures d'instruction ne déplacent la pression.

L'expérimentation des cours criminelles départementales ira jusqu'à son terme, en 2023. Je le regrette, car cela incite à la requalification des viols en délits, ce qui constitue une double peine pour les victimes. (M. le garde des Sceaux approuve.)

Quant à la prise illégale d'intérêts, il faudra, pour prouver le délit, que l'indépendance ou l'honnêteté de l'élu aient été directement affectées. Le Sénat a montré sur ce point qu'il était bien la chambre des élus locaux.

Ce texte semble être le prélude d'un futur projet de loi issu des états généraux de la justice, lancés en octobre, alors que nos travaux étaient bien avancés. Il faudra le compléter. Toutefois, le groupe UC le votera.

Mme Maryse Carrère .  - Lors de l'examen du texte en septembre, notre groupe demeurait réservé. Le RDSE avait in fine voté contre, dans sa majorité, ou s'était abstenu.

Le dispositif adopté sur la diffusion des audiences manque de précautions : l'exercice de la justice n'est pas voué à devenir un divertissement. Le bureau du juge ou la salle d'audience ne sont pas des décors de cinéma. Si la diffusion des procès peut être une bonne chose, elle réclame la prudence absolue. Une expérimentation aurait été préférable, mais nos amendements en ce sens n'ont pas été retenus.

Nos débats ont aussi conduit à l'adoption de certains amendements clivants, notamment sur les travaux d'intérêt général (TIG). Je suis donc satisfaite de ne pas les trouver dans les conclusions de la CMP.

Les arbitrages opérés, comme la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023, concourent à dissiper le sentiment d'inefficacité et d'impuissance de la justice, mais il reste beaucoup à faire.

Ce texte ne règle pas tout. L'agencement de son calendrier avec celui des états généraux de la justice est porteur d'interrogations.

Enfin, nous entendons les inquiétudes des avocats, mais restons favorables à l'article 3, d'autant que les discussions, prolongées après la CMP, ont conduit à la présentation tardive de nouveaux amendements. Dans ces conditions, pourquoi se détourner de la procédure ordinaire, qui permet à chacun d'exprimer sereinement ses positions ? Pourquoi l'urgence permanente, sans deuxième lecture ?

La majorité du RDSE est favorable au texte, mais restera pleinement vigilante.

Mme Esther Benbassa .  - Selon un sondage IFOP de 2019, 62 % des Français considèrent que la justice fonctionne mal. Seuls 44 % aborderaient avec confiance une confrontation personnelle avec cette institution. Cela s'explique par une méconnaissance de celle-ci. La justice est jugée trop lente ou laxiste.

Si je me réjouis de l'accord trouvé en CMP, je regrette que le texte ne contienne pas davantage d'éléments sur la justice du quotidien. Il aurait notamment fallu simplifier l'accès au droit, intensifier l'aide aux victimes et moderniser l'organisation interne des juridictions.

Je suis favorable à l'article 3. Le secret professionnel de l'avocat doit être absolu : il est la garantie d'un État de droit juste. Si nous l'affaiblissons, que restera-t-il de notre démocratie ?

Je voterai contre ce texte.

M. Jean-Yves Leconte .  - Le groupe SER partage une grande partie des propos du ministre sur le secret professionnel des avocats mais la méthode est nouvelle et problématique. Nous nous substituons quelque peu à la CMP, car d'ordinaire le Gouvernement ne présente que des amendements très techniques à ce stade. Nous voici dans une sorte de trilogue, où le Gouvernement entre dans la CMP. C'est un précédent dangereux, qui ouvre la porte à une possibilité de faire évoluer les équilibres après la CMP. Cela m'inquiète.

Sénateur des Français de l'étranger, je souhaite souligner que notre justice est garante de l'intérêt général ; c'est un service public par excellence. Le problème de confiance vient de ce que la justice française est l'une des plus mal dotées en Europe -  elle arrive en 24position sur 27. Comment avoir, avec nos délais, une réponse pénale adaptée ? Le contrôle de la détention, l'application des peines se heurtent à un manque de moyens.

Le titre de ce texte apparaît bien ambitieux et quelque peu clinquant au regard de l'ampleur des mesures proposées. Tout a été fait à l'envers dans ce quinquennat : une loi de programmation, puis ce texte, et enfin des états généraux.

Quelque 53 % des Français expriment leur défiance vis-à-vis de la justice. L'enjeu de la confiance réside dans les 2 millions d'affaires civiles jugées chaque année. Les 800 000 affaires pénales sont moins sensibles sous cet aspect. Or le texte ne traite pas des affaires civiles, ou si peu.

Filmer les audiences, pourquoi pas, mais l'on risque de faire du citoyen un téléspectateur de la justice, alors qu'il faudrait commencer par enseigner dès l'école les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes.

L'encadrement des enquêtes préliminaires est utile, comme le contrat d'emploi pour les détenus ou l'avertissement pénal probatoire pour remplacer le rappel à la loi.

Mais le groupe SER votera contre ce texte qui n'est pas à la hauteur des ambitions. Un seul de nos 32 amendements a été voté, et nous déplorons l'inflation du recours aux ordonnances. Les prisons risquent l'engorgement, alors que nous accueillons 1 000 détenus de plus chaque mois.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Jean-Yves Leconte.  - Il est temps, enfin, de réformer la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Il est inacceptable que des dispositions législatives d'application immédiate ne soient pas mises en oeuvre parce que l'on attend des circulaires de la Chancellerie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Ces deux textes sont l'aboutissement de plusieurs mois de travaux et de réflexion.

Nous saluons l'accord trouvé en CMP sur un texte d'avancées, qui agit concrètement sur les ressorts de la défiance envers l'institution judiciaire, un texte de confiance - et de sens - pour notre justice et ses justiciables.

Le sens, c'est d'abord la compréhension par le citoyen du fonctionnement de l'institution, grâce à l'enregistrement et à la diffusion des audiences à des fins pédagogiques, avec des garanties qui ont été confortées par nos rapporteurs.

Le sens de la peine sera mieux compris grâce à l'avertissement probatoire qui remplace le rappel à la loi, au mécanisme de réduction de peine fondé sur l'effort, à la création du contrat d'emploi pénitentiaire et à la lutte contre les sorties sèches. C'est aussi la sécurité de la société qui est en jeu.

Le sens de la justice pour chaque justiciable, ce sont les droits de la défense. Le texte réprime plus sévèrement les violations du secret de l'enquête ou de l'instruction, renforce le contradictoire et limite la durée des enquêtes préliminaires.

Un mot enfin sur le secret de l'avocat. Le texte initial portait sur le secret de la défense ; les députés l'ont élargi au secret du conseil. Le texte de la CMP, et plus encore l'amendement du Gouvernement à l'article 3 portent une avancée majeure pour protéger le secret du conseil dans le code de procédure pénale et en préciser la portée.

Seule dérogation : lorsque la procédure porte sur des faits de fraude fiscale, de financement du terrorisme ou de corruption, ou de blanchiment de ces délits. C'est préférable au statu quo.

Le groupe RDPI votera ces textes avec enthousiasme et conviction.

M. Emmanuel Capus .  - Voilà plusieurs années que se succèdent les textes de programmation et de réforme de la justice. Des états généraux sont en cours jusqu'au début du mois prochain. La justice est malade, en effet : les enquêtes d'opinion montrent que la moitié des Français n'ont pas confiance en elle. Or la justice est au coeur du contrat social.

Elle a d'abord besoin de moyens. Reconnaissons que le Gouvernement a consenti un effort budgétaire inédit, qu'il faudra maintenir l'année prochaine.

Nos concitoyens doivent mieux connaître le fonctionnement de leur justice pour mieux la comprendre. D'où l'intérêt de la diffusion audiovisuelle des procès. Mais la justice exige parfois le secret, qu'il s'agisse des audiences, de l'enquête ou de l'instruction.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est sûr.

M. Emmanuel Capus.  - La violation du secret aboutit trop souvent à livrer une réputation en pâture à la vindicte des médias ou de la rue.

Le secret est aussi celui de l'avocat. Celui-ci n'a jamais été absolu, mais je déplore la brèche introduite dans le secret du conseil, tant sa différence avec le secret de la défense est ténue. On affaiblit l'ensemble des droits de la défense en portant atteinte à l'une de ses composantes.

Si le secret est écarté pour certaines activités, comment le justifier pour les autres ? Qui comprendrait le maintien du secret en matière de stupéfiants, de traite ou pourquoi pas d'écocide, quand il est écarté pour les affaires financières ? Déjà, vous avez ajouté le terrorisme aux exceptions. C'est un engrenage inéluctable lorsque la protection des intérêts financiers de l'État est placée au-dessus des libertés publiques. (M. le garde des Sceaux proteste à mi-voix.)

Que les services d'enquêtes puissent consulter les dossiers des avocats est inquiétant, dans un État démocratique.

D'autres dispositions des projets de loi vont dans le bon sens, comme la suppression des réductions de peine automatiques, l'encadrement du délai des enquêtes préliminaires et le travail en détention.

Les membres du groupe Les Indépendants voteront selon leurs convictions, une majorité s'abstiendra.

Mme Nadine Bellurot .  - Le groupe Les Républicains se réjouit du caractère conclusif de la CMP sur des mesures destinées à redonner confiance dans l'institution judiciaire. Il n'y a cependant pas de baguette magique et, reconnaissons-le avec humilité, la tâche est rude.

Les apports du Sénat ont été largement maintenus ; nous nous en félicitons.

Certaines dispositions ont demandé des échanges plus approfondis, notamment le secret professionnel des avocats. Le Sénat proposait de le limiter pour lutter contre la délinquance économique et financière, pour éviter les stratégies de contournement. Nous sommes parvenus en CMP à une nouvelle rédaction qui distingue bien entre un rôle actif et passif de l'avocat dans la fraude. Le Gouvernement l'a retouchée à la marge, sans revenir sur l'équilibre du texte ; cette version nous agrée.

Nous nous félicitons que les députés aient renoncé à prévoir explicitement la présence de l'avocat au cours des perquisitions, et que la participation des avocats honoraires au jugement des crimes soit limitée aux seules cours criminelles départementales.

Nous nous rallions à la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023, en espérant que le bilan sera aussi encourageant que nous l'assure le garde des Sceaux.

Deux regrets cependant : la suppression de l'article 9 bis A, voté à l'initiative du président Retailleau, qui excluait les peines de travail d'intérêt général en cas de condamnation pour violences ; et la compétence donnée au tribunal judiciaire de Paris, plutôt qu'au tribunal de commerce de Paris, en matière de devoir de vigilance des entreprises.

Je salue la qualité du travail de nos rapporteurs. Une majorité de notre groupe se prononcera en faveur de ce texte.

M. Guy Benarroche .  - Le GEST partage le constat d'une justice incomprise, éloignée des Français, et trop lente pour être efficace. Il serait tentant de la court-circuiter... Ce texte apporte une réponse incomplète à de vrais besoins. Rogner sur les droits de la défense, limiter l'initiative des magistrats enquêteurs, éloigner les justiciables du juge ne peut constituer une solution idoine.

La tenue concomitante des états généraux de la justice et le dépôt tardif des amendements du Gouvernement au texte de la CMP montrent un défaut de concertation.

Vous aurez noté l'audace du ministre de l'Intérieur qui se prévaut d'une baisse des chiffres des cambriolages - largement due aux confinements et aux restrictions liées à la crise sanitaire...

En matière civile, l'accès à un juge ne doit pas être optionnel.

Avec la généralisation des cours criminelles, vous renoncez, sous couvert de simplification, à une justice pénale qui personnalise la peine grâce au jugement par les pairs. C'est un nouveau recul, à l'instar de la correctionnalisation des infractions sexuelles.

Faire plus simple, c'est bien ; faire plus juste, c'est mieux.

Je regrette les lacunes du texte concernant la justice des mineurs et l'exécution des peines : la prison n'est pas toujours la meilleure sanction et elle doit, en tout état de cause, favoriser la réinsertion. Faut-il rappeler les condamnations répétées de la France pour conditions de détention indignes ?

Je comprends le remplacement du rappel à la loi, jugé inefficace, mais cela apporte de l'eau au moulin de ceux qui critiquent le prétendu laxisme de la justice. Il est positif de promouvoir les activités culturelles ou formations universitaires dans le cadre des réductions de peine, mais ces activités ne sont pas accessibles dans beaucoup de prisons.

Oui, le travail en détention mérite d'être développé, mais à condition de respecter le droit du travail.

La possibilité de filmer les audiences est une avancée, mais qui exige d'être encadrée ; je me félicite donc de l'adoption de notre amendement qui permet d'anonymiser les parties.

Cette réforme manque d'une vision globale. Elle tente de répondre à une demande de plus de « fermeté », mais éloigner les citoyens du juge n'améliorera ni la confiance, ni l'efficacité de la justice

C'est pourquoi le GEST votera contre ce texte.

À la demande de la commission des lois, le projet de loi, modifié par les amendements du Gouvernement, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°45 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption 235
Contre   94

Le Sénat a adopté.

Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°46 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 249
Contre   93

Le Sénat a adopté.

La séance est suspendue à 13 h 30.

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

La séance reprend à 15 heures.

Missions d'information et commissions d'enquête (Nominations)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la désignation de membres de deux missions d'information et deux commissions d'enquête.

En application des articles 8 et 8 ter, alinéa 5 du Règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques pour la désignation des membres de la commission d'information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne ? », de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques et de la commission d'enquête créée « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d'évaluer l'impact de cette concentration sur la démocratie » ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

En accord avec le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires, la désignation des membres de la mission d'information sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale écologique du XXIe siècle », aura lieu mardi 23 novembre à 14 h 30, le délai limite pour la remise des listes de candidats étant fixé le même jour à 12 heures.

Nominations à une éventuelle CMP

Mme la présidente.  - Des candidatures pour siéger au sein de l'éventuelle CMP chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2021, et au sein de la CMP chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de sociétaires, ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure.

Rappel au Règlement

M. Éric Bocquet .  - Monsieur le ministre des finances, je viens de lire dans Le Monde de ce jour que vous suggérez, dans votre dernier ouvrage, de « limiter les compétences du Sénat en matière budgétaire à des observations et à une approbation finale et non plus à une lecture complète ». (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, Les Républicains et du GEST)

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement.

Projet de loi de finances pour 2022 (Première partie)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance .  - Laissons aux prochaines séances cette discussion sur l'organisation institutionnelle du pays, qui risque d'être longue et houleuse... Il est inutile de rappeler mes convictions gaullistes en la matière. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains)

M. Bruno Retailleau.  - Cela pourrait néanmoins être utile !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nos résultats économiques sont là. Avec 6,25 % de croissance prévus pour 2021, 4 % pour 2022, et une évaluation encore plus optimiste de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui estime notre croissance sur ces deux années à respectivement 6,8 % et 4,2 %, les investissements des entreprises redémarrent et la consommation est forte ; nous avons donc des perspectives de redressement économique dynamiques, et notre pays, par son dynamisme, tire ses partenaires de la zone euro.

Cela résulte des baisses d'impôts que nous avons décidées, et qui incitent à consommer et à investir, de notre plan de relance et de notre plan d'investissement -  il commence à se déployer.

Il subsiste cependant des risques. D'abord, le retour de la pandémie - et j'appelle chacun à sa responsabilité pour éviter que ne se reproduise ce que nous avons connu l'année dernière. Nous étions alors confrontés à des fermetures massives de commerces, à des difficultés pour les artisans, pour les indépendants. Alors que tous les secteurs d'activité redémarrent, que les restaurants embauchent, que les commerces préparent les fêtes de Noël, ne renouons pas avec les contraintes et les restrictions.

Le deuxième risque est la pénurie de main-d'oeuvre et de composants électroniques et de semi-conducteurs. L'ajustement prendra du temps, en particulier sur les semi-conducteurs indispensables à l'automobile et à l'aéronautique. La seule réponse réside dans des investissements de long terme, et c'est ce que nous faisons avec le plan France 2030. La question des semi-conducteurs m'occupe au quotidien.

Enfin, le troisième risque, dont on parle beaucoup, est l'inflation. Notre analyse est qu'elle est temporaire, tirée par les prix de l'énergie. Cette hausse s'inscrit sur plusieurs mois, en raison d'une demande dynamique en Chine, aux États-Unis et en Europe, alors que la réduction de la consommation des énergies fossiles et que la transition énergétique sont plus l'affaire d'années que de semaines.

Il faut également souligner que le modèle américain n'est pas le modèle européen ; les politiques monétaire et budgétaire obéissent à des logiques différentes. Par conséquent, nul risque de contamination en matière d'inflation. Gardons notre sang-froid.

Voilà ce qui nous a incités à apporter deux réponses spécifiques, qui bénéficient en particulier aux ménages les plus modestes. Nous avons gelé le prix du gaz et plafonné la hausse de tarif de l'électricité à 4 % en janvier alors qu'elle aurait dû être de 15 %.La différence sera prise en charge par l'État.

Il convient aussi de modifier en profondeur le marché européen de l'énergie. Nul ne peut accepter que les prix de production modérés de l'électricité en France, grâce à nos choix énergétiques faits depuis les années 1960, soient conditionnés à l'évolution du prix du gaz. Je me bats donc pour la décorrélation du prix du gaz et de celui de l'électricité produite en France - en somme, pour l'indépendance énergétique française. Ne soyons pas tributaires des choix politiques ou économiques de M. Poutine qui livre 40 % du gaz consommé en Europe.

Notre deuxième réponse est l'indemnité inflation versée à chaque personne ayant un revenu inférieur à 2 000 euros ; et je regrette que vous ayez supprimé dans le PLFR une mesure simple et rapide, qui concerne 38 millions de personnes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.  - Nous l'avons remplacée par une mesure plus juste !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Votre proposition exclut les retraités et les indépendants. La majorité rétablira donc l'indemnité en seconde lecture pour les personnes gagnant moins de 2 000 euros par mois (M. Bruno Retailleau s'en désole.)

J'en viens à l'avenir. Je vois trois priorités pour renouer avec la croissance à long terme.

Le premier défi de ce PLF est la réduction du chômage et des inégalités. Nous commençons à le gagner, mais le plus dur est devant nous : un demi-siècle de chômage de masse a fragilisé notre société. Il convient d'abord de réformer l'assurance chômage : un million d'emplois a été créé en cinq ans. Il est légitime d'augmenter le nombre de mois de cotisations avant d'avoir accès à l'indemnisation, et d'imposer le respect des règles. Comme l'a indiqué le Président de la République, il est juste de suspendre l'indemnisation chômage après plusieurs refus d'offres d'emploi.

Il faut aussi développer l'apprentissage - une bataille en passe d'être gagnée. Nous devenons une grande nation d'apprentis, c'est la meilleure voie d'entrée sur le marché du travail. Toutes les entreprises, même les plus petites, jouent le jeu.

Troisième instrument, la formation - d'autant plus nécessaire que nous faisons face à des changements sans précédent depuis un siècle. L'électrique va supplanter le thermique : l'industrie automobile connaît la révolution industrielle la plus importante depuis un siècle. Il faudra accompagner des dizaines de milliers de salariés. Il y a quatre fois moins de pièces métalliques dans un moteur électrique. Les ouvriers qui travaillent dans le secteur de la fonderie devront pouvoir trouver un emploi dans les futures gigafactories d'électrolyse que nous sommes en train d'ouvrir en Normandie ou à Belfort.

Enfin, il faut engager une réforme des retraites, avec un âge légal de départ à la retraite plus tardif tenant compte de l'allongement de la durée de la vie.

Deuxième défi : devenir la première grande économie décarbonée au monde. Cela suppose des investissements supplémentaires dans le nucléaire, notamment dans les réacteurs de nouvelle génération et dans l'hydrogène vert. Cela demande de la constance.

M. Bruno Retailleau.  - Oui, de la constance !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Ainsi, l'aciérie Ascoval est confrontée à une augmentation des prix des matières premières et de l'électricité. Un amendement voté à l'Assemblée nationale prévoit une compensation financière pour les industries particulièrement concernées par cette augmentation du gaz et de l'électricité, comme Ascoval, qui fonctionne avec un four électrique.

Saarstahl devra s'engager sur une commande minimale de rails, pour qu'Ascoval continue à fonctionner dans de bonnes conditions. Une délocalisation est entièrement exclue.

Enfin, le défi des finances publiques : nous avons rétabli la situation entre 2017 et 2019, puis engagé des dépenses massives pour protéger salariés et entreprises. Il était moins coûteux de procéder à cette dépense plutôt que de laisser se développer une crise économique et sociale de masse. La dette aurait été, dans ce dernier scénario, de 126 % et non de 115 % du PIB. Cela dit, la réduction de la dette est un impératif qui passe par la croissance, par les réformes de l'assurance chômage et des retraites et par un budget pluriannuel. (M. Didier Rambaud applaudit.)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics .  - Dans le contexte macroéconomique que vient de brosser M. le ministre de l'économie, nous proposons un PLF autour de plusieurs priorités.

Premier objectif, tenir les engagements du Président de la République depuis 2017. C'est pourquoi nous revalorisons les crédits des fonctions régaliennes de l'État. L'augmentation de 1,7 milliard d'euros pour la Défense sera maintenue conformément à la loi de programmation militaire, celle de 500 millions pour l'Intérieur également, suite au Beauvau de la sécurité. Nous augmentons, pour la deuxième année consécutive, le budget de la Justice de 8 %. Nous serons ainsi au-delà de la trajectoire définie dans la loi de programmation.

Nous proposons de consacrer des crédits nouveaux à la préparation de l'avenir. Le budget du ministère de l'Éducation nationale augmente de 1,7 milliard d'euros, dont 200 millions consacrés au financement par l'État de la participation obligatoire des employeurs publics à la protection sociale complémentaire. Celui de l'enseignement supérieur augmentera, quant à lui, de 700 millions d'euros pour respecter la loi de programmation sur la recherche mais aussi pour abonder les crédits consacrés à la vie étudiante.

L'enveloppe du ministère des Sports est aussi en croissance.

Le ministère de la Transition écologique disposera de 1,5 milliard de plus fléché vers MaPrimeRénov'.

Les plus fragiles ne sont pas oubliés. Ainsi, nous maintenons 190 000 places d'hébergement d'urgence. La logique de gestion devient annuelle ; 2,7 milliards d'euros sont affectés à ce secteur, contre 1,8 milliard en début de quinquennat.

Les crédits de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ont augmenté de 2,4 milliards d'euros en cinq ans. Mme Cluzel s'est engagée à un abattement pour les bénéficiaires vivant en couple, soit une revalorisation de 110 euros par mois en moyenne.

Nous poursuivons l'effort contre les discriminations, et pour l'égalité entre les femmes et les hommes, avec 1,1 milliard d'euros de crédits interministériels. Le 3919 bénéficie de 51 millions d'euros, contre 28 millions il y a deux ans.

En matière de solidarité internationale, nous augmentons à nouveau les crédits de l'aide publique au développement (APD) ; 0,55 % du revenu national brut y sera consacré, au-delà de l'engagement du Président de la République de la porter à 0,5 %. C'est l'un des budgets qui auront le plus évolué au cours de ce quinquennat.

Un mot sur les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. La dotation globale de fonctionnement (DGF) est reconduite à hauteur de 26,8 milliards d'euros, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) sont reconduites toutes deux à hauteur de 1 milliard. Cette dernière est revalorisée de 350 millions d'euros pour encourager la signature de contrats de relance et de transition écologique (CRTE) avec les intercommunalités.

Nous proposons également une stabilité fiscale dans les relations entre État et collectivités territoriales. La fiscalité locale a beaucoup évolué, notamment avec la suppression de la taxe d'habitation. Nous avons donc décidé de ne pas inscrire dans ce PLF la réforme de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), pourtant très attendue par les opérateurs. Nous préférons laisser se poursuivre la concertation.

Nous prévoyons aussi des crédits supplémentaires pour le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (Fnadt), à hauteur de 35 millions d'euros ; 47 millions d'euros iront au ministère de la Ville, notamment pour financer 200 cités éducatives, qui ont montré tout leur intérêt.

Ces priorités sont traitées en poursuivant l'extinction de la taxe d'habitation et la réduction de l'impôt sur les sociétés. Nous atteindrons ainsi nos objectifs en matière de fiscalité, avec un taux de prélèvements obligatoires à 43,4 %, soit le niveau de 2010. Nous compensons ainsi les deux chocs fiscaux, celui de 2010 pour les ménages, et celui de 2012 pour les entreprises.

Les réformes, pendant ce temps, se poursuivent avec l'avance immédiate du crédit d'impôt pour les services à la personne.

Nous avons choisi de ne pas inscrire de mesures structurelles dans ce PLF, mais nous simplifions partout où nous le pouvons. La croissance nous permettra de faire face à nos engagements financiers : il ne faut donc pas la freiner.

En matière de normalisation, nous arrivons, avec ce PLF, à la fin du « quoi qu'il en coûte » et à l'extinction des mesures d'urgence. Ce sont 70 % du plan de relance qui auront été engagés à la fin 2021. Hors plan de relance et restes à payer pour les mesures d'urgence, les dépenses ordinaires de l'État sont maîtrisées : la hausse des dépenses publiques se monte à 1 % en volume, signe d'une normalisation des finances publiques.

Nous voulons respecter notre engagement de décrue progressif du déficit public, de 9,1 % en 2020 à 8,2 % en 2021 - grâce à une croissance plus importante que prévu - et moins de 5 % en 2022. Là encore, nous revenons à une situation plus soutenable.

La dette sera elle aussi moins élevée que prévu, à 113,5 % du PIB alors que nous craignions d'atteindre 120 %.

J'ai déjà évoqué un niveau de prélèvements obligatoires à 43,4 %.

Ces indicateurs tiennent compte des pertes de recettes liées au bouclier tarifaire en matière énergétique et de la mise en oeuvre de l'indemnité inflation.

Ce budget permet d'accompagner la relance et de tenir les engagements du Président de la République et de la majorité. (M. Didier Rambaud applaudit.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'an passé, le contexte du PLF était celui du reconfinement de la France, en pleine crise épidémique. Cette année, la reprise économique est plus forte que prévu et nous nous préparons à examiner un budget livré en kit. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) l'a déploré. Les principales mesures - France 2030 et le contrat d'engagement jeune - n'y figuraient pas. Elles ont été ajoutées à l'Assemblée nationale.

Il s'agit désormais d'un budget de campagne, avec des mesures hétéroclites : il y en a pour tout le monde, ou presque...

L'exécutif bénéficie d'une croissance dynamique, qui pourrait atteindre 6,8 %. En 2022, le taux de croissance pourrait s'élever à 4,2 %. Cela semble toutefois optimiste, car la croissance de cette année témoigne d'un rattrapage plus que d'une amélioration de nos fondamentaux économiques.

En outre, d'importants aléas pèsent sur la croissance : la consommation pourrait certes être portée par la libération de l'épargne de précaution, mais aussi freinée par l'inflation. Les prévisions du Gouvernement en la matière sont dépassées. Plutôt que les 1,7 % prévus, l'inflation devrait atteindre 2 %. La direction du Trésor et l'Insee alertent d'ailleurs sur les conséquences de la hausse des prix de l'énergie sur la croissance.

Enfin, une reprise épidémique constitue également un risque.

Face à ces divers écueils, le Gouvernement a proposé des mesures au fil de l'eau, en faveur des ménages et des fournisseurs d'électricité. Au regard des finances publiques, cela m'inquiète. Depuis le début de l'épidémie, nous avons donné au Gouvernement les moyens d'agir dans l'urgence. Mais rien n'est fait aujourd'hui en matière de maîtrise des comptes publics, malgré des engagements.

Les dépenses primaires n'ont cessé d'augmenter, de 1,2 % en moyenne, tout au long du quinquennat. L'écart devrait atteindre 65 milliards d'euros en 2022. Le solde public atteindrait ainsi 5 % du PIB en 2022 et la dette 113,5 %.

En 2017, nous avions atteint un tel niveau, avant une autre élection...

Les collectivités territoriales, elles, produisent l'effort demandé s'agissant de leurs dépenses : 1,1 % seulement par an depuis 2019.

La stratégie du Gouvernement m'inquiète. La dépense primaire devrait croître de 0,4 % par an seulement de 2022 à 2027. Ce serait inédit, mais avec quels moyens ? Le Gouvernement ne le précise pas... Le budget de 2022 n'amorce pas le processus. Je crois plutôt à une mesure d'affichage. Il n'y a aucune perspective crédible d'assainissement des comptes publics. Il y a pourtant urgence à transformer la promesse en engagement.

Le déficit pour 2021 a été porté à un niveau inédit à 205 milliards d'euros. Pour 2022, ce sera un peu plus de 155 milliards, dont 12 milliards dus aux mesures ajoutées à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement semble considérer ce niveau comme un régime de croisière, mais les émissions nouvelles s'élèvent à 260 milliards d'euros pour la troisième année. Parallèlement, le remboursement de la dette Covid est limité à 1,9 milliard d'euros en 2022, dans une sorte de tour de passe-passe.

Le PLF n'introduit pas de réforme fiscale d'ampleur. De plus en plus de recettes fiscales sont affectées à des tiers - sécurité sociale et collectivités - pour un montant de 335 milliards d'euros, ce qui dépasse le niveau des recettes fiscales revenant à l'État lui-même. Le surcroît de recettes qui pourraient résulter de la croissance ne profiterait donc que partiellement à l'État, ce qui rend le remboursement de la dette de plus en plus difficile.

Les amendements adoptés par l'Assemblée nationale n'ont rien arrangé à ce niveau de dépenses, avec 11,8 milliards d'euros supplémentaires, soit 4,1 % de plus qu'en PLF initial.

Nous assistons à une véritable dérive des dépenses, dans tous les domaines : 34 milliards d'euros d'autorisation d'engagement pour France 2030, dont 3,5 milliards d'euros dès 2022. Cet amendement augmente les engagements de l'État et instaure une contrainte à la hausse pour les prochaines années.

Enfin, 850 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sont créés dans les ministères, tandis que les apprentis sont sortis du décompte. L'objectif initial d'une réduction de 50 000 emplois publics a été oublié, tandis que la masse salariale continue de croître.

La commission des finances a proposé d'adopter la première partie du PLF, sans entrain et avec peu d'amendements.

Je proposerai une compensation intégrale de la perte de la recette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aux collectivités territoriales, ainsi qu'un renforcement de la lutte contre les arbitrages de dividendes.

Notre commission a formulé de nombreuses critiques sur les dépenses et a proposé le rejet de plusieurs missions et comptes d'affectation spéciaux.

Ce PLF porte la marque de la prochaine campagne présidentielle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - Nous commençons l'examen du PLF 2022, qui succède à plusieurs semaines de travail approfondi en commission. De multiples auditions ont été conduites, ce qui témoigne de l'engagement de nos rapporteurs. Cela est d'autant plus méritoire que le budget a évolué au gré des arbitrages présidentiels ; ainsi en va-t-il des 34 milliards votés à l'Assemblée nationale pour France Relance, décidés un mois et demi après le dépôt du PLF et sans étude d'impact.

Comme dans le Livre de la Jungle, le Gouvernement nous dit « Ayez confiance »... (Sourires) Mais les parlementaires ont le droit de consentir librement et de manière éclairée à la contribution publique et c'est faire peu de cas de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Ce budget est marqué par le retour bienvenu de la croissance : 4 % en 2022, après 6,75 % en 2021. Notre PIB va retrouver son niveau de 2019.

Nous devons rester attentifs, consolider notre croissance sans laisser de côté nos concitoyens les plus modestes, frappés par l'inflation. Cependant, l'indemnité inflation reste ponctuelle.

L'inflation atteint 6,2 % aux États-Unis et 4,1 % en zone euro. Nul ne sait quand interviendra la décélération, ce qui pèse sur le pouvoir d'achat des ménages.

La crise a particulièrement touché notre jeunesse, mais le contrat d'engagement jeune (CEJ), qui remplace la garantie jeune, ne concerne que 400 000 jeunes et entrera en vigueur en mars 2022 : cela est insuffisant et tardif.

En 2022, le déficit s'établira à 5 % du PIB - loin de l'objectif de 3 % - et la dette à 113,5 %. Heureusement que nous n'avons pas voté en 2019 la proposition de loi organique de MM. Woerth et Saint-Martin sur les règles budgétaires car, dès la première année, vous auriez été hors-jeu, monsieur le ministre !

Le FMI appelle la France au désendettement, avec des réformes ambitieuses sur les retraites, l'assurance chômage et la fonction publique. Ces préconisations ne concernent - hélas ! - que les seules dépenses et n'évoquent pas les recettes. Pendant ce temps, la pression fiscale a reculé de 50 milliards d'euros depuis le début du quinquennat, dont la moitié sur les ménages et l'autre sur les entreprises. Ces baisses d'impôt ont été faites à crédit et ont bénéficié en priorité aux ménages les plus aisés. Les entreprises ont vu leurs impôts s'alléger, sans contreparties.

Récemment, France Stratégie, confirmant les analyses que nous avions faites, a dit ne pas pouvoir démontrer que la suppression de l'ISF avait permis une réorientation de l'épargne vers le financement de l'économie. Nous sommes loin du ruissellement promis !

Enfin, malgré les annonces de l'OCDE, tout reste encore à construire en matière d'imposition des multinationales, notamment les entreprises du numérique, même si la première étape va dans le bon sens.

Pour redresser nos finances publiques, il me semble important de mettre fin au « désarmement fiscal » afin de renforcer l'équité entre les citoyens et entre les générations, et de préparer l'avenir en veillant à ne pas sacrifier les dépenses favorables à la croissance économique, au progrès social et environnemental. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°I-559, présentée par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances pour 2022 (n°162, 2021-2022).

M. Éric Bocquet .  - Nous voici arrivés à l'ouverture de l'examen du PLF pour 2022, soit le dernier budget du quinquennat.

La droite sénatoriale a eu des mots durs à l'égard de ce texte : « Le Gouvernement considère le PLF comme un bout de torchon... La réponse est non : ce n'est pas comme cela que l'on gère la France. » Elle ajoutait : « On peut se poser la question de savoir si ça vaut la peine de perdre trois semaines pour corriger les imperfections d'un budget indécent ».

Notre groupe tentera de l'enrichir lors de la discussion générale.

Je souhaite dresser l'état des lieux de notre pays. Notre société reste profondément fracturée. La suppression de l'impôt sur la fortune (ISF) est un échec politique cuisant. Selon France Stratégie, le ruissellement promis n'a pas eu lieu.

En France, plus on est riche, plus on s'enrichit. Il y a bien eu croissance, mais seulement du patrimoine des 500 plus grandes fortunes de France, qui a crû de 30 % - et même de 45 % pour les cinq premières d'entre elles. L'instauration de la flat tax a entraîné une hausse de 60 % des dividendes distribués entre 2017 et 2018, fortement concentrée de surcroît sur les ménages les plus riches, voire les ultrariches.

Mais quid des plébéiens ? De la France des fins de mois difficiles ? Un Français sur cinq a du mal à joindre les deux bouts ; près de 15 % de la population est pauvre ; un tiers puise dans ses économies pour boucler son budget ; la moitié connaît des difficultés de logement ; 4 millions de ménages - soit 6 millions de personnes - n'ont que les minima sociaux pour vivre ; 5 millions font appel à la solidarité alimentaire ; deux personnes sur dix, selon la Fondation Abbé Pierre, rencontrent des difficultés à se chauffer ; les dépenses énergétiques des 20 % de ménages les plus modestes représentent 16 % de leur budget - alors que c'est seulement 4,4 % du budget des 20 % de ménages les plus aisés.

Vous vous targuez d'avoir rendu 24 milliards d'euros aux ménages, mais ce sont les plus aisés qui ont davantage bénéficié de la suppression de la taxe d'habitation. Les retraités sont aussi perdants avec la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) et le gel des pensions.

Vous parlez primes et exonérations, mais la vraie réponse c'est une hausse durable et sensible des salaires et des pensions. Car la première préoccupation des Français, c'est le pouvoir d'achat. Pourtant, vous choisissez ce moment pour votre réforme de l'assurance chômage.

L'inflation inquiète les Français. Ils sont 56 % à penser que leur pouvoir d'achat a diminué au cours du quinquennat. Les classes populaires sont insatisfaites, au contraire des plus riches : l'image du président des riches en devient son sparadrap.

Un impôt juste et équitable, un ISF rénové et renforcé, permettrait pourtant de s'attaquer aux inégalités. Avant sa suppression, l'ISF rapportait 5,2 milliards d'euros... À comparer avec les chiffres de ce budget : 2,7 milliards pour l'agriculture, 3 pour la culture, 1,6 pour la jeunesse, 2,4 pour l'outre-mer et 4,9 pour l'aide publique au développement. Ce budget ne propose aucune mesure fiscale nouvelle alors que les besoins sont immenses.

Qui va payer la dette publique ? Votre gouvernement s'apprête à présenter la facture du « quoi qu'il en coûte » aux Français. Cela a commencé avec l'assurance chômage. Et Emmanuel Macron, président candidat, vient de donner des gages aux libéraux en annonçant la réforme des retraites pour 2022.

Le dogme des réductions drastiques des dépenses publiques est toujours aussi puissant : vous proposez des économies sur la santé, le logement, les aides personnalisées au logement (APL), l'assurance-chômage, etc.

Alors que le scandale des Pandora Papers éclatait, Bruno Le Maire et ses collègues européens acceptaient de retirer les Seychelles de la liste des paradis fiscaux... Que d'ambivalence, alors que les sommes concernées par ces révélations sont vertigineuses !

Votre action s'apparente à du saupoudrage cosmétique. Pourtant, la récente COP26 de Glasgow a montré l'ampleur des moyens financiers à mobiliser !

Ce PLF s'inscrit dans les standards macronistes, avec une baisse des impôts : 5 milliards d'euros pour les plus riches avec la taxe d'habitation et la baisse à 25 % de l'impôt pour les sociétés.

Il convient de rejeter l'ensemble de cette logique budgétaire. Nous ne faisons pas l'école buissonnière : à chacun de s'exprimer sur ce sujet désormais. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - La commission propose de rejeter cette motion. Monsieur Bocquet, un certain nombre de vos observations sont partagées dans ces travées, mais d'autres le sont moins, notamment du côté du groupe Les Républicains.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Éric Bocquet se fait le procureur du quinquennat, j'en serai l'avocat, et j'espère avec plus de finesse et d'honnêteté. (Protestations sur toutes les travées)

Je sais bien que des millions de Français ont du mal à joindre les deux bouts, que le taux de pauvreté reste trop élevé et que nos compatriotes sont inquiets de l'augmentation des prix du gaz et de l'électricité. Cependant, nous avons amélioré les perspectives pour des millions de Français qui ont trouvé un travail. (Mme Laurence Cohen proteste.)

Mme Éliane Assassi. - Les Français ne seraient donc plus inquiets ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous attaquons les inégalités à la racine - par l'éducation et la formation -, tandis que vous voulez tout corriger par l'impôt, alors que les Français ont exprimé un salutaire ras-le-bol fiscal. Si l'impôt faisait le bonheur des gens, nous serions la nation la plus heureuse du monde ! Votre proposition politique a contribué au malheur français depuis des décennies.

Mme Laurence Cohen.  - C'est plutôt votre politique !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous avons pris les problèmes à la racine, en dédoublant les classes des réseaux d'éducation prioritaire (REP), 300 000 enfants sont dans des classes de 12 élèves. Les résultats sont là.

Nous n'avons pas oublié les plus fragiles. L'étude de l'Institut des politiques publiques, que vous avez mentionnée, comporte des oublis. En 2018, nous avons augmenté l'ensemble des minima sociaux. Certes décidée sous le quinquennat précédent, cette réforme que nous avons mise en oeuvre doit être mise au crédit du Président de la République. Nous avons instauré le remboursement à 100 % des soins optiques et dentaires. Nous avons revalorisé les prestations des plus fragiles.

Notre ligne directrice ? Le travail, le travail, le travail. Nous nous battons sans relâche contre le chômage et pour que chacun retrouve un emploi. Alors que la crise aurait dû créer des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, grâce à nos choix, et aux 35 milliards d'euros pour l'activité partielle, nous avons protégé l'emploi et les Français comme aucune autre majorité.

Et ce travail paie ! La prime d'activité, c'est 10 milliards d'euros par an...

Mme Laurence Cohen.  - Augmentez plutôt les salaires !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Suppression des cotisations patronales, défiscalisation des heures supplémentaires et des pourboires, suppression de la taxe à 20 % sur l'intéressement et la participation : certains candidats de la droite en ont rêvé, nous l'avons fait au cours de ce quinquennat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Nous croyons au travail qui paye. Nous avons baissé de 26 milliards d'euros les impôts sur les ménages, en particulier pour les plus modestes s'agissant de l'impôt sur le revenu.

Le résultat ? Nous créons de l'emploi et la croissance est de retour. Face à un horizon qui semble parfois bouché, nous sommes sur la bonne voie, celle du travail, qui permet à chacun de trouver sa place dans la société.

C'est la France qui a été à la tête de la coalition qui a décroché 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (FMI) pour les pays en voie de développement : soyons-en fiers.

Nous avons aussi lutté pour une fiscalité internationale plus juste, avec - enfin ! - un impôt minimum et un impôt sur les géants du numérique.

M. Didier Rambaud.  - Nous ne voterons pas cette motion. Malgré tout, j'apprécie votre clarté et votre courage, Monsieur Bocquet : c'est mieux que de travailler pour rien pendant trois jours, puis de fermer le rideau. Nos citoyens et les collectivités territoriales attendent les mesures de ce PLF. Ne renonçons pas à notre responsabilité de législateur ! (Mme Éliane Assassi proteste.)

M. Emmanuel Capus.  - Depuis quinze jours, les couloirs bruissent d'une probable question préalable du groupe Les Républicains. Mais adopter une question préalable, c'est se priver du débat. Les Indépendants y sont donc hostiles.

Mme Éliane Assassi.  - Nous sommes là pour faire de la politique !

M. Emmanuel Capus.  - La crise a été fortement ressentie. Chacun doit donner son avis sur la question. Il y a quelques jours, sur Public Sénat, Mme Assassi se disait hostile à une question préalable du groupe Les Républicains, et aujourd'hui le groupe CRCE en dépose une... Par principe, Les Indépendants ne voteront pas cette motion.

Mme Laurence Cohen.  - C'est toujours mauvais d'agir par principe !

M. Michel Canévet.  - Le groupe UC souhaite débattre des orientations budgétaires de la France. Tant de citoyens attendent des réponses, sur de nombreux sujets comme la décarbonation... Examinons ce budget et ne votons pas cette motion.

Mme Éliane Assassi.  - Mais vous ne voterez pas les dépenses !

M. Jean-Claude Requier.  - Je serais tenté de voter cette motion... Quitte à finir mardi, pourquoi ne pas arrêter maintenant ? (Rires et applaudissements sur toutes les travées) Cependant, nous voterons contre, par principe. (M. Emmanuel Capus approuve.)

La motion n°I-559 est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°47 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l'adoption    15
Contre31 6

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre, l'examen du budget de la Nation est une étape essentielle de la vie du pays...

Mme Éliane Assassi.  - Il est déjà parti !

Une voix à droite.  - C'était son record ! (Marques d'ironie)

M. Bernard Delcros.  - Ce budget doit ouvrir la voie de la reprise d'après-crise, avec une croissance au service des enjeux environnementaux, de cohésion et de souveraineté.

Avec l'extinction progressive de la mission « Plan d'urgence », on constate une reprise extrêmement dynamique, avec une croissance qui pourrait atteindre 6,8 % en 2021 et 4 % en 2022 et un taux de chômage au plus bas depuis treize ans.

Mais ce soutien de l'État, nécessaire durant la crise, s'est traduit par la dégradation de nos ratios de finances publiques. Nous devons reprendre le contrôle de notre dette publique. Une croissance vertueuse le permettra, ainsi qu'une lutte résolue contre la fraude et l'évasion fiscales. (M. Emmanuel Capus approuve.)

Nous vous ferons des propositions, notamment en supprimant des niches fiscales comme celle du plan d'épargne retraite qui coûte 3 milliards d'euros chaque année au budget de l'État.

Ce budget marque la dernière étape de la trajectoire de baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, passé de 33 % en 2017 à 25 % en 2022. Dans le même temps, la recette de cet impôt a augmenté de 30 %.

La seule mesure nouvelle fiscale de ce projet de loi de finances, le bouclier tarifaire énergie, préservera le pouvoir d'achat des plus modestes.

Les capacités d'investissement des collectivités territoriales doivent être maintenues. Après une baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 25 %, puis sa stabilité sur cinq ans, il faut peut-être envisager une indexation sur l'inflation...

Les collectivités territoriales rurales ne sont pas oubliées par ce budget, avec 190 millions d'euros de péréquation supplémentaire, le doublement de la dotation aux communes pour la protection de la biodiversité et la prorogation jusqu'en 2023 des zones de revitalisation rurale (ZRR).

Notre groupe veut examiner ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Jean-Claude Requier .  - L'examen de ce PLF est déjà le dernier d'un quinquennat riche d'événements imprévus. Je me souviens que la loi de programmation des finances publiques prévoyait, pour 2022, un déficit à 0,3 % du PIB et une dette à 91 % du PIB...

Le quinquennat a été jalonné de réformes économiques et sociales : suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales, compensée pour les collectivités territoriales ; transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) ; création de la flat tax ; réduction du taux de l'impôt sur les sociétés ; transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en une baisse de cotisations pour la modique somme de 20 milliards d'euros ; et enfin, baisse des impôts de production, qui n'est pas sans conséquence sur les finances locales.

La réduction des effectifs de la fonction publique d'État semble avoir fait long feu, mais les réformes se poursuivent lentement : faire évoluer l'administration est un processus long et complexe.

La fiscalité énergétique représente une part importante des débats de la loi de finances, souvent très technique. Nous relayons chaque année des propositions visant notamment à encourager le développement de carburants alternatifs.

Autre point d'achoppement, l'ajournement de la réforme des retraites. La sécurité sociale connaît de nouveau un fort déficit : des efforts seront nécessaires. Mais une telle réforme ne peut être engagée par un simple amendement au PLFSS.

On note une amélioration de la transparence - mises à part les mesures d'urgence des deux dernières années - : moins de décrets d'avance, limitation du PLFR à un exercice de fin de gestion et modernisation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), tardive il est vrai.

Je me dois aussi de rappeler la mise en place, consensuelle, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu.

S'agissant des dépenses, le quinquennat marque un renforcement des budgets régaliens - défense, intérieur, justice -, mais aussi de l'enseignement et de la santé.

Les relations ont parfois pu être rugueuses entre le Gouvernement du nouveau monde et les collectivités territoriales, mais elles se sont améliorées au fil du quinquennat.

Recevabilité financière de l'article 40 et autres règles anti-cavaliers contraignent l'initiative parlementaire.

Nous sommes à nouveau dans un contexte de rebond de la crise épidémique. Toutefois, les dispositifs de soutien issus de plusieurs de nos travées et du Gouvernement ont porté leurs fruits. Le taux de croissance de 6 % sera élevé, mais c'est avant tout un rattrapage.

Je note la hausse de 12 milliards d'euros des dépenses de l'État en 2022, qui atteindraient 495 milliards d'euros. Le déficit budgétaire prévu passerait de 8,2 % du PIB en 2021 à 4,8 % en 2022 et la dette publique de 115,6 % du PIB à 114 %. Les recettes fiscales augmenteraient de 13 milliards d'euros, pour s'établir à 292 milliards d'euros. Il s'agit d'une normalisation progressive de nos finances publiques, même si le recours à la dépense publique reste encore très fort.

Le RDSE formulera des propositions, avec notre traditionnel amendement « Caillaux » sur l'impôt citoyen, mais aussi des amendements de soutien aux maires, aux associations et à l'agriculture, ainsi qu'un amendement sur la taxation des grandes entreprises du numérique.

Rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », je défends une politique de coopération avec les pays du Sud et de rayonnement de la France.

Je note aussi la reprise de la dette ferroviaire à hauteur de 10 milliards d'euros, l'expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) dans certains départements, le soutien aux professionnels indépendants et la réforme du régime de responsabilité des comptables publics.

Alors que les citoyens sont bientôt appelés à voter, je rappelle l'attachement de mon groupe à la plénitude du débat parlementaire, dans le respect des mandats qui nous sont confiés. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Comme l'an dernier, nous entamons l'examen du PLF dans un contexte incertain. Oui, l'économie reprend, mais l'épidémie aussi, avec ses possibles conséquences budgétaires. Comme l'an dernier, sachons donc être prudents avec les prévisions.

C'est aussi le dernier budget du quinquennat, et par conséquent l'occasion de revenir sur son bilan. Il s'est ouvert par la suppression de l'ISF et ne cesse, depuis, de privilégier les plus riches et les entreprises : flat tax, baisse des impôts de production, non-conditionnalité des aides aux entreprises, hausse de la CSG, prolongement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), abandon de la politique du logement et baisse des aides personnelles au logement (APL) - la ministre Emmanuelle Wargon s'est même félicitée de l'économie de 1,1 milliard d'euros ainsi réalisée...

La finalité est toujours la même : les catégories populaires, la classe moyenne et les générations futures paieront la facture, alors que les plus riches et les entreprises sont préservées, pour des raisons idéologiques.

Le Gouvernement ne se remet pas en question : sa politique économique et fiscale reste douce avec les riches et dure avec ceux qui sont en difficulté, comme le montre la réforme de l'assurance chômage, sans même parler de la réforme des retraites. Méfions-nous des contradictions de l'exécutif : double discours ou navigation à vue ?

Le groupe SER n'a jamais cru au ruissellement, inefficace et de nature à renforcer les inégalités : les entreprises n'ont pas investi davantage malgré la suppression de l'ISF et de la flat tax. Les premiers de cordée ne sont pas naturellement partageux avec les premiers de corvée.

Il n'y a pas de politique de redistribution, et la différence entre la droite du Sénat et le Gouvernement relève de l'épaisseur du trait. Bruno Le Maire a bien dit que le Gouvernement avait fait ce dont la droite rêvait...

Certes, certaines mesures vont dans le bon sens, ne soyons pas sectaires. Mais nous sommes en profond désaccord sur les grandes orientations.

Et que dire de la méthode ? Le plan France 2030 et ses 34 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ont été introduits par amendement à l'Assemblée nationale. Ce nouveau plan est d'ailleurs symptomatique de l'insuffisance du plan de relance. Comme l'a dit la députée Christine Pires Beaune, ces nouvelles autorisations d'engagement représentent 7 % du budget total. Et les parlementaires ne sont pas les seuls à s'en offusquer : pour la première fois, le HCFP a refusé d'émettre un avis sur le volet dépenses. Ce n'est ni sérieux, ni respectueux du Parlement.

La période de précampagne n'y est pas pour rien, et personne n'est dupe : il s'agit davantage de saupoudrage et de communication que de réelle volonté de résoudre les problèmes. Le budget à trous de septembre devient électoraliste en novembre.

Pourtant le SER souhaite en débattre complètement, recettes comme dépenses. Si nous n'avons pas voté la question préalable, pourquoi ne discuterions-nous pas ce PLF en entier ? (M. Emmanuel Capus approuve.)

Enfin, sur le pouvoir d'achat, sa hausse est à nuancer. C'est d'ailleurs ce qu'a fait l'Institut des politiques publiques cette semaine, alors que Bruno Le Maire conteste toutes les expertises indépendantes. Les économistes de l'Institut ont simulé l'effet des mesures du quinquennat sur le niveau de vie des ménages. Mais contrairement à la direction générale du Trésor qui travaille sur des déciles, ils ont utilisé des centiles, et le résultat est sans appel : le niveau de vie des Français augmente très légèrement, et baisse pour les 5 % les plus modestes, qui perdent 0,5 % de pouvoir d'achat alors que les plus riches gagnent 3 %.

C'est cela le fil conducteur du Gouvernement : des inégalités qui croissent, sans dynamiser la croissance. Le groupe SER ne peut se reconnaître dans ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Rambaud .  - Ce cinquième PLF est inédit : dernier du quinquennat, il est surtout celui des promesses tenues, de la sortie de la crise et de l'avenir de la France par la relance. Il est également sincère et cohérent. (M. Claude Raynal, président de la commission, rit.)

Il traduit les engagements pris par le Président de la République en 2017 : tout faire pour la compétitivité, tout faire pour le pouvoir d'achat. Les baisses d'impôts, historiques, dépassent les 50 milliards d'euros par an, le niveau de prélèvements obligatoires, à 43,5 %, atteint son niveau le plus bas depuis 2011.

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Et la dette qui va avec !

M. Didier Rambaud.  - Hausse du pouvoir d'achat de 8 % : encore une promesse tenue !

Le PLF pour 2022 achève la grande réforme fiscale du quinquennat : finalisation de la baisse de l'impôt sur les sociétés à 25 % et suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales qui bénéficiera à 100 % des Français en 2022. Depuis 2017, la majorité présidentielle associe la parole aux actes.

Ce budget est aussi prudent : le quoi qu'il en coûte a été efficace et a limité les conséquences de la crise. (M. Claude Raynal, président de la commission, approuve.) L'OCDE confirme que la reprise passera par la mise en oeuvre de France Relance et de France 2030.

Notre économie rebondit : croissance à 6,25 % et taux de chômage à son niveau d'avant-crise. Le pays a connu 2,5 millions d'embauches entre juillet et septembre : une première depuis vingt ans, face à un virus qui a déjoué les pronostics.

L'État a été au rendez-vous, avec des dispositifs ciblés et flexibles : il a engagé 35 milliards d'euros au titre de l'activité partielle ; le fonds de solidarité a bénéficié à deux millions d'entreprises, et à 99 % des TPE-PME ; les prêts garantis par l'État (PGE) ont été octroyés à pas moins de 685 000 entreprises. Au total, 80 milliards d'euros engagés entre  2020 et 2022 auront permis la reprise.

Le déficit public sera divisé par deux en 2022, à 5 %. Mais il ne faut pas arrêter brutalement les dispositifs de soutien et laisser les entreprises face à un mur de dette ! C'est pourquoi la date limite d'octroi des prêts garantis par l'État a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2022.

Ce budget est à la croisée des chemins entre sortie de l'urgence et préparation de l'avenir. Il faut tracer une voie pour les dix ans à venir, avec la transition écologique, soit 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour le ministère de l'environnement. L'indépendance de la France dans les filières d'avenir - hydrogène, aéronautique, biomédicaments - est renforcée avec France 2030.

L'engagement pour les missions régaliennes est tenu : 1,7 milliard d'euros pour l'armée, 1,5 milliard d'euros pour l'Intérieur, et 8 % de plus pour la Justice, pour la deuxième année consécutive ; en particulier, l'aide juridictionnelle a été revalorisée de 30 % depuis 2016.

Relancer la France ne pourra se faire qu'avec les collectivités territoriales, dont les finances ont été préservées par l'État. Toutes les collectivités voient leurs recettes de fonctionnement augmenter : + 2,6 % pour les communes, + 4 % pour les départements, grâce aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), + 2,6 % pour les régions, grâce à la TVA. Je m'étonne, dans ces conditions, que le rapporteur général persiste à défendre la compensation des pertes de recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), alors que le Gouvernement s'est engagé sur une préservation globale des recettes. Que l'on ne vienne pas me parler d'annonces électorales...

Mais les collectivités territoriales ont besoin d'un soutien fort et durable : les dotations de fonctionnement restent stables pour la cinquième année consécutive ; la recentralisation du RSA aidera les départements qui le souhaitent à se concentrer sur l'insertion ; en 2022, le soutien à l'investissement atteint le niveau record de 2,3 milliards d'euros ; une nouvelle péréquation concertée avec les régions va voir le jour. Les concours financiers de l'État progressent de 525 millions d'euros en un an.

Les collectivités territoriales vont mieux qu'en 2017 : leur investissement, leur épargne brute et leur trésorerie s'améliorent.

C'est un budget pour l'avenir des territoires. Le plan de relance prévoit 1,2 milliard d'euros pour l'emploi et pour les infrastructures de transport.

Enfin, la jeunesse doit retrouver sa liberté : le Pass'Sport gagne 100 millions d'euros et le plan sport est financé à hauteur de 200 millions d'euros afin de moderniser 5 000 équipements sportifs de proximité. Mesure phare de ce budget, le contrat d'engagement jeune sera doté de 550 millions d'euros, au bénéfice de 400 000 jeunes. Il ne s'agit pas d'un RSA jeunes : c'est un véritable contrat, avec des droits et des devoirs.

Budget « électoraliste », « insincère », « incohérent » : que n'a-t-on entendu ?

Ce budget n'est pas insincère : certes incomplet lors de sa présentation à l'Assemblée nationale, il méritait d'être enrichi. Le HCFP a reconnu que ce terme était inapproprié.

Ce budget est complet, sincère et cohérent. Ce n'est pas un chéquier pour la campagne. Peut-on à la fois parler de « cagnotte » sur le dos des Français et de dépenses incontrôlées qui « brûlent la caisse » ? Je vous mets au défi de supprimer la revalorisation des bourses, celle de l'aide juridictionnelle, ou les mesures issues du Ségur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et les fermetures de lits d'hôpitaux ?

M. Didier Rambaud.  - Et cette année, Île-de-France Mobilités va bénéficier d'un secours de 800 millions d'euros.

Peut-être nos détracteurs manquent-ils de créativité ?

Ce budget, avec le bouclier tarifaire de 5 milliards d'euros, protège les Français. Pour l'avenir de notre pays, le groupe RDPI soutiendra ce PLF avec détermination.

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Il y a deux méthodes pour analyser le dernier budget d'un quinquennat : on peut le lire à l'aune de celui qui s'ouvre ou de celui qui se termine. Dans le premier cas, c'est une rampe de lancement pour les élections. Rien n'y est sincère, les positions des uns et des autres ont plus à voir avec la tactique qu'avec les finances publiques. Dans l'autre approche, ce budget est un bilan de l'action gouvernementale.

Je crains que nous ne cédions cette année aux sirènes de la première méthode, même si je m'efforcerai de l'éviter.

On dit ce PLF insincère et incomplet. Insincère parce qu'il répondrait à des objectifs électoraux, incomplet parce qu'il a été augmenté de nombreuses mesures au gré des annonces de l'exécutif. C'est un avantage pour le Sénat, par rapport à l'Assemblée nationale : il pourra au moins débattre d'un texte complet...

Quoi qu'il en soit, il y a des incertitudes, nourries par beaucoup de mesures intégrées par amendement. J'espère que nos débats les lèveront : le Parlement - dont le vote du budget est une des principales prérogatives - est en droit de connaître exactement ce qu'il va voter.

Rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi » avec Sophie Taillé-Polian, j'ai travaillé sur le contrat d'engagement jeune. Il renforce la garantie jeune en ciblant les publics les plus éloignés du marché de l'emploi ; il peut aussi simplifier le panel des solutions, donnant davantage de visibilité aux acteurs de terrain. Mais le Sénat reste attaché au rôle des missions locales ; or la lente incubation du dispositif dans les arcanes de Bercy, avant son envoi brutal dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, n'a pas contribué à éclairer le débat. J'espère que nous y remédierons.

Insincérité du budget ? Nos débats devraient lever les doutes sur certaines interrogations légitimes. Ce budget, certes, se place sous le signe d'une grande incertitude qui touche l'Europe et le monde, mais il ne me semble pas insincère. D'une part, la reprise est forte, ce qui valide la stratégie de soutien aux entreprises et aux ménages. Le taux de chômage est au plus bas depuis quinze ans, la croissance supérieure à 6 % - un taux qui rappelle les Trente Glorieuses. Cependant, l'inflation inquiète jusqu'en Allemagne et l'épidémie menace à nouveau.

Cette instabilité chronique fait que les indicateurs conjoncturels ne sont valables que quelques mois, sinon quelques semaines. Il faut désormais combiner tactique et stratégie, urgence du présent et préparation de l'avenir.

Nous n'avons pas dévié du chemin tracé depuis 2018 : la baisse des prélèvements obligatoires reste massive : pour les ménages, avec la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu et la suppression de la taxe d'habitation ; pour les entreprises, avec la reprise de la trajectoire de baisse des impôts de production. Nous évitons ainsi les délocalisations futures. Cela fait dire à certains, à gauche, que c'est un budget de droite...

Pourtant la France, ainsi, valorise mieux le travail, tout en protégeant nos concitoyens en cas de coup dur. Il y a là de quoi rassurer tous les gaullistes sociaux.

M. Roger Karoutchi.  - N'exagérons rien !

M. Emmanuel Capus.  - De plus, ce texte est favorable aux artisans, aux libéraux, à tous ceux qui ont une certaine idée de l'autonomie et du travail. Ils ont tenu bon pendant la crise. Le groupe Les Indépendants a déposé des amendements pour qu'ils ne soient pas les grands oubliés de la reprise. La justice fiscale doit nous amener à mieux rémunérer le travail.

La commission des finances présentera un important amendement pour la compensation des pertes de CVAE pour les collectivités territoriales, qui ne doivent pas être traitées différemment des entreprises et des ménages. Nous le soutiendrons.

Cet amendement, monsieur le rapporteur général, mériterait à lui seul l'adoption de la première partie... (M. le rapporteur général sourit.)

Côté dépenses, ce budget poursuit une ligne claire : renforcer l'État dans ses missions régaliennes, à travers une augmentation des budgets de la police notamment. La commission ne s'y est pas trompée, qui a adopté chacun des budgets de ces missions. Mais il faudra également, sans tarder, remettre de l'ordre dans nos finances publiques. (Mme Sylvie Vermeillet et M. Michel Canévet applaudissent.)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.) Il est temps de faire le bilan du quinquennat.

Le candidat Emmanuel Macron avait mis en avant quatre objectifs en matière de finances publiques : moins un point de prélèvements obligatoires, moins deux points de déficit public, moins trois points de dépenses publiques, moins cinq points de dette publique.

Qu'en est-il ? La baisse affichée de 30 milliards d'euros de dépenses publiques en 2022 n'est due qu'à l'extension des mesures de soutien et à la diminution des crédits de la relance. La hausse des dépenses publiques, hors mesures de soutien et de relance, est continue : 19 milliards d'euros en 2020, 48 milliards en 2021, 32 milliards en 2022. (Marques d'approbation à droite) Toutes les réformes les plus ambitieuses du quinquennat en matière d'économies ont été abandonnées - réforme de retraites ou diminution du nombre de fonctionnaires - et cela avant même la survenance de la crise.

Dépenser n'est pas réformer ! Depuis 2015, la France est la championne des dépenses publiques parmi tous les pays de l'OCDE. Le « quoi qu'il en coûte » demeure, même après la crise. Des chèques en bois sont signés pour toutes les catégories de population, obérant la capacité du prochain président à redresser les comptes publics. Mais personne n'est dupe !

La crise a dégradé nos finances et mis en lumière nos faiblesses : la France demeure le pays le plus fiscalisé des pays développés. Le prolongement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) - au moins - jusqu'en 2033, c'est 136 milliards d'euros de plus sur le prochain quinquennat. Notre déficit public en période de crise est bien supérieur à la moyenne de l'Union européenne : cinq points de plus que l'Allemagne en 2020 et deux points de plus que la moyenne de la zone euro. C'est parce qu'il était déjà au dernier rang, ex aequo avec la Roumanie, quand les deux tiers des 27 pays étaient en excédent, grâce à leurs réformes structurelles. L'âge moyen de départ en retraite en Europe est aujourd'hui de 65 ans.

Notre déficit commercial est sans doute le meilleur indicateur de nos faiblesses : en septembre 2021, l'Allemagne a déjà un excédent cumulé de 146 milliards d'euros. Derrière, très loin derrière la Grèce et la Roumanie, qui ont un déficit de 17 milliards d'euros, la France est à moins 76 milliards d'euros !

Conséquence de ces déséquilibres, notre dette est beaucoup plus élevée. Comme l'a dit le Gouverneur de la Banque de France, notre problème n'est pas la dette Covid : nous sommes entrés dans la crise avec une dette frôlant les 100 % du PIB ; l'Allemagne, elle, était à 60 %.

Ce quinquennat aura été un échec : la France, autrefois moteur de l'Europe avec l'Allemagne, est aujourd'hui un frein au redressement de l'économie européenne. Nous sommes au 22e rang européen pour le chômage et les déficits publics, au 23e pour la dette, au dernier pour le déficit commercial, les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires !

M. Vincent Segouin.  - Mais tout va bien !

Mme Christine Lavarde.  - La transition écologique était présentée en 2017 par Macron comme « le défi du XXIe siècle ». Elle est toujours une priorité - sur le papier.

S'agissant de chaleur renouvelable, nous devrions être à 7 térawattheures selon la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ; nous n'en sommes qu'à 4. S'agissant de la performance énergétique des bâtiments, malgré MaPrimeRénov', l'objectif de réduction de 15 % de la précarité énergétique est loin d'être atteint. Il faut dire que les 49 dispositifs existants dans ce domaine n'aident pas à la lisibilité... Le bonus écologique pour l'acquisition de véhicules lourds propres est inopérant : quatre poids lourds et sept bus ont ainsi été acquis pour 320 000 euros sur un total de 100 millions d'euros crédités.

Le tribunal administratif de Paris a imposé à l'État de réparer ses carences dans la lutte contre le changement climatique. Les objectifs de la stratégie bas carbone sont atteints - à 15 millions de tonnes d'équivalent CO2 près...

Le Conseil d'État ordonne au Gouvernement d'agir pour réduire drastiquement l'utilisation des pesticides dans les sites Natura 2000.

Ce texte ne respecte ni le Parlement, ni les Français, que vous prenez pour des imbéciles, espérant que les chèques et les cadeaux emporteront leur vote ! Cela ne va pas dans le sens de l'émancipation par le travail... Ils savent bien que l'argent magique n'existe pas.

Vous inquiétez les milieux économiques : Geoffroy Roux de Bézieux a ainsi qualifié l'indemnité inflation de dangereuse, car elle pourrait instiller l'idée que l'inflation serait systématiquement compensée.

Le Parlement est méprisé, les réponses aux questionnaires budgétaires défaillantes, particulièrement pour la mission « Justice ». Certaines missions affichent un taux de réponse d'à peine 15 %. Cela nuit à la qualité de notre travail.

Certaines pratiques dérogatoires au principe d'universalité budgétaire sont peu compatibles avec l'autorisation parlementaire. Ainsi, Santé publique France, qui échappe au contrôle parlementaire, a-t-elle été intégrée au programme 204, mais sans le moindre détail sur les fonds de concours qui représentent pourtant plus du triple que les crédits inscrits au budget. Ce PLF, comme celui de 2021, ne remet pas en cause cette architecture.

Le texte présenté au conseil des ministres comptait 20 % d'articles en moins que le PLF de l'année précédente, mais il a grossi de 95 articles à l'Assemblée nationale, avec une vingtaine de niches fiscales créées ou élargies sans chiffrage. Ce sont néanmoins les 148 amendements que le Gouvernement a fait adopter qui posent le plus de problèmes : ils ne sont pas de simples corrections, mais des ajouts importants, sans expertise du Conseil d'État ni évaluation préalable. La défiscalisation des pourboires en est le meilleur exemple.

Ces mesures nouvelles n'ont rien à voir avec la crise ; elles n'ont pour objet que d'honorer les engagements d'un Président de la République non-candidat, mais déjà en campagne. Quelque 11,8 milliards d'euros de dépenses ont été ajoutés à l'Assemblée nationale ; qu'en sera-t-il au Sénat, alors que les annonces se poursuivent ? Certaines promesses, notamment pour les personnes âgées en perte d'autonomie, le développement du ferroviaire, le remboursement des consultations chez le psychologue, l'élargissement du Pass'Sport, n'ont pas de traduction budgétaire ; 80 amendements représentent à eux seuls près de 7 % du budget de l'État et l'amendement portant les crédits de France 2030 est le plus cher de la Ve République. Même le rapporteur général à l'Assemblée nationale a reconnu qu'on pouvait avoir des choses à redire sur la forme...

Pour simplifier, le plan France 2030 a été intégré dans la mission « Investissements d'avenir », mais la Cour des comptes, dans un référé, a fortement critiqué la gouvernance de ce programme, déplorant le trop faible contrôle interne. Seuls 50 % des crédits des différents programmes d'investissements d'avenir (PIA) ont été déboursés à ce jour. Voyez, à cet égard, les analyses du président de l'Observatoire français des conjonctures économiques, Xavier Ragot. Autant dire que les députés ont voté 34 milliards d'euros les yeux fermés...

La ventilation des crédits n'a pas été précisée dans le fameux amendement à 34 milliards d'euros. Il s'agit, lit-on, d'une « première ébauche ». Le Président de la République, lui, n'a pas manqué d'annoncer cette semaine à Béziers 1,9 milliard d'euros supplémentaires pour l'hydrogène...

Il y a aussi tout ce qui ne reçoit pas de réponse dans ce texte. Le ministre de l'économie - qui a dû quitter l'hémicycle - a qualifié la fiscalité verte de défi politique. Les taxes sont responsables de la moitié du prix du plein d'essence, de 30 % du prix final du gaz, de 34 % du prix final de l'électricité - contre 26 % en 2010. Le Gouvernement fait valoir une hausse conjoncturelle des prix de l'énergie, mais tout est aligné pour que les prix continuent à augmenter. Une partie du prix du mégawattheure est, en effet, indexée sur le prix du gaz. La France a besoin de mesures pérennes et structurelles pour conserver son indépendance ; or le soutien au nucléaire et à l'hydrogène relève pour le moment de l'effet d'annonce.

Sur 600 millions d'euros qui devaient être consacrés à la production d'hydrogène décarboné, 534 millions ont été annulés en projet de loi de finances rectificative. Lors des trois premiers trimestres de 2021, 4 millions d'euros de crédits ont été décaissés sur un plan hydrogène de 100 millions. Le plan de relance consacre seulement 200 millions d'euros à la filière nucléaire et France 2030 un milliard d'ici 2030.

Deuxième défi, la fiscalité locale. Les effets de la suppression de la taxe d'habitation constituent une véritable bombe à retardement pour des mécanismes de péréquation déjà obsolètes. Les élus anticipent un tour de vis sur les dotations de l'État face au mur de la dette. Privés de toute visibilité, les collectivités ne disposent plus des conditions de leur libre administration.

La dette passe de 115 à 114 % du PIB par un tour de passe-passe. La chute de 1,6 point résulte uniquement d'opérations de trésorerie : vous avez sur-émis des obligations lors de l'exercice précédent pour présenter ce résultat. La soutenabilité de la dette représente une véritable difficulté. Un mauvais alignement des planètes pourrait conduire notre pays à la catastrophe...

Ni le PLFR examiné hier, ni ce PLF ne suivent la voie du redressement.

Le groupe Les Républicains, refusant la facilité et la démagogie, ne votera pas ce texte, par respect pour les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Bravo !

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Ce PLF arrive dans un contexte que nous espérons tous être de sortie de crise, mais il ne masque pas les besoins sociaux et environnementaux non résolus.

La crise sanitaire, c'est plus de pauvreté et de précarité. D'après une récente étude, elle serait stable, à 15 %, mais l'échantillon exclut les étudiants, les sans domicile fixe, les personnes travaillant dans le secteur informel. La pauvreté réelle a probablement augmenté : 20 % des Français ont froid chez eux l'hiver, autant déclarent sauter certains repas. Les conclusions du rapport du Secours catholique sont alarmantes.

La crise sanitaire a aggravé les inégalités : moins 2 milliards d'épargne pour les 20 % les plus pauvres, plus 25 milliards pour les 10 % les plus riches. Votre politique fiscale n'a fait qu'amplifier cette évolution. Les classes moyennes, elles, sont touchées par le retrait des services publics.

Votre plan de relance est un plan de subventions aux entreprises, sans conditionnalité. Au-delà, leurs taux de marge atteignent un record historique : plus 35 % en 2021.

Cependant, les entreprises n'investissent pas davantage : elles rachètent plutôt leurs actions, 51 milliards d'euros cette année ! Oui, le chômage baisse, mais surtout au profit du travail instable. Les catégories B et C augmentent, elles, de 3,3 % et 9,5 %. C'est donc une vaste supercherie destinée à nourrir le discours de culpabilisation des chômeurs, qui, lui-même, sert à justifier la baisse des dépenses publiques pour financer les baisses d'impôts au profit des entreprises et des plus riches. C'est injuste, c'est brutal, c'est contreproductif. Dire qu'il faut lutter contre l'optimisation de la gestion de leurs droits par les chômeurs est totalement inique : l'optimisation fiscale des riches, elle, ne vous choque pas !

Les mesures environnementales sont insuffisantes pour lutter contre la sécheresse, les canicules ou les inondations. En juillet, le Conseil d'État a fixé un ultimatum au Gouvernement pour qu'il applique l'accord de Paris. Le budget vert est inopérant ; il classe le nucléaire dans les énergies non polluantes, ce qui est un non-sens.

Pendant ce temps, la France perd chaque année 17 milliards d'euros d'impôt sur les sociétés ; la fraude et l'optimisation fiscales ne cessent pas, et vous laissez faire en réduisant les effectifs dans les services de contrôle fiscal.

Emmanuel Macron est décidément le président des riches.

Après avoir supprimé l'ISF, vous aviez promis de revoir votre copie si c'était inefficace ; chacun en convient désormais. Nous vous proposerons donc un nouvel ISF, mieux construit.

Ce PLF ne répond pas aux enjeux sociaux et environnementaux, malgré la féerie de Noël des nouvelles annonces. Ces largesses sont financées par l'austérité de demain : vous avez écrit à la Commission européenne que vous vous engagiez à revenir à l'objectif de 3 % grâce à une réduction des dépenses, par une trajectoire que les plus sectaires de l'austérité budgétaire n'ont jamais réussi à suivre.

L'angoisse climatique se développe chez les jeunes. Il faut une politique ambitieuse dans leur direction. À cet égard, le contrat engagement jeune est insuffisant pour répondre à l'urgence. Il aurait fallu ouvrir le RSA aux moins de 25 ans et offrir des perspectives aux étudiants à la recherche d'un master. Nos jeunes sont broyés par un Parcoursup qui tranche sans égard pour leurs rêves. Votre budget n'est pas fait pour cette jeunesse, qui espérait mieux que les concours d'anecdotes. Ce PLF insulte l'avenir.

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Notre question préalable n'était pas une fermeture au débat mais un appel à un vote de sanction contre un budget discriminant. Nous ferons la démonstration de l'échec du quinquennat. Quels sont les progrès sociaux, quelles sont les réussites ?

La dette a été alourdie de vingt points, les recettes ont reculé de 52 milliards d'euros, les chômeurs sont 17 000 de plus, les plus riches ont touché 3 518 euros de plus, les modestes 35 euros de moins, le solde de la balance commerciale est négatif de 60 milliards d'euros. L'éloge des absents se fait sans flatterie. Une fois de plus, Bruno Le Maire a tort : les indicateurs économiques ne sont pas bons.

Vous creusez le fossé des inégalités et ouvrez la voie à un paradis... fiscal.

Demain, votre bilan sera votre fardeau.

Les salariés sauront que vous les avez privés de leurs droits à travers les accords de branche. La suppression de l'ISF et de l'exit tax n'a eu aucun résultat. Vous avez entrepris un démantèlement de l'habitat social, en contraignant à la vente à la découpe toutes les communes, y compris celles carencées en logement social !

La prime Macron, qui n'a été touchée que par 6,2 millions des salariés, est plus proche de 400 que de 1 000 euros. Encore une fois raté ! Alors vous avez ressorti les vieilles recettes : la défiscalisation des heures supplémentaires. La hausse de la CSG a touché « les petites retraites trop importantes », de votre propre aveu. Le chèque énergie signe l'incapacité de ce Gouvernement.

La loi Pacte, en mai 2019, organise le démantèlement de l'État actionnaire : après la Française des jeux, aux profits colossaux, vous avez ouvert la voie pour Engie ou La Poste, jusqu'à l'heureux échec de la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP). Cela a sûrement sauvé la SNCF et EDF.

La taxe Gafam rapporte bien peu au regard des bénéfices des entreprises concernées.

Votre chemin est jonché de travailleurs pauvres - de Français qui ne constatent aucun progrès social significatif pendant ce quinquennat. Nous partageons leur avis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) Merci de votre présence constante et attentive, monsieur le ministre. L'année 2022 devrait être celle de la sortie de crise. Le choc du Covid a été absorbé par les finances publiques, au prix de la dette. Mais dans un an, la dérogation généralisée au pacte de stabilité prendra fin. Nous atteignons la limite en la matière. Heureusement, la charge de la dette reste faible. La priorité doit désormais être donnée à la vertu, avant la hausse des taux d'intérêt.

L'UC portera une parole de responsabilité budgétaire. Nous défendrons des mesures d'assainissement de nos finances publiques, par des recettes supplémentaires et moins de dépenses.

Nous proposerons une transformation de l'IFI en impôt sur la fortune improductive, incluant le patrimoine luxueux polluant.

Il faut également mobiliser les 267 milliards d'euros d'épargne Covid. Si l'on consommait un cinquième seulement de cette manne, le PIB augmenterait de deux points supplémentaires. Cette épargne peut s'investir aussi bien et même mieux que ne le fait l'État. Cela bénéficie aussi à notre souveraineté.

L'objectif d'exécuter 60 milliards d'euros sur les 100 milliards d'euros du plan France relance doit être tenu.

Mais face à l'inflation et à la pénurie de main-d'oeuvre, ne faut-il pas retarder le lancement de France 2030 ? À force de milliards, nous courons le risque de la surchauffe. Il serait préférable de mieux consommer les crédits d'investissements existants.

Je porterai un amendement pour sécuriser l'avenir de la filière bois, fragilisée par la hausse du prix des matières premières.

Enfin, il faut renforcer la lutte contre la fraude fiscale et sociale en donnant les moyens d'agir aux services concernés.

Le Sénat doit être force de proposition pour améliorer le soutien aux collectivités territoriales. La grande majorité des membres de notre groupe souhaite examiner ce budget dans son intégralité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Mieux vaut un raccommodage qu'un trou. (On apprécie.) Cette maxime illustre bien ce PLF. Cinq années de raccommodage n'auront pas empêché des trous dans ce budget.

Ce quinquennat a connu plusieurs périodes : l'application du programme néolibéral, la crise des gilets jaunes, la pandémie. Seule la première période, celle du libéralisme sauvage, a été choisie ; les deux autres ont été subies : le « maître des horloges » n'a eu aucune maîtrise sur elles...

Les très riches sont les grands gagnants des choix fiscaux du Gouvernement : selon une évaluation de l'Institut des politiques publiques entre 2017 et 2022, les mesures sociales et fiscales ont fait augmenter de 2,8 % le niveau de vie de 1 % des Français qui sont les plus aisés. Dans le même temps, le niveau de vie du 1 % le plus pauvre de la population a baissé de 0,7 %. De toute évidence, la boussole politique du Gouvernement indique comme Nord les premiers de cordée. Même Joe Biden ne croit pas au ruissellement, mais l'important est que le Président de la République y croie pour se conforter dans ses positions.

Dès votre arrivée, vous avez supprimé 5 euros d'APL pour les plus modestes.

France Stratégie n'arrive pas à trouver un lien entre votre politique fiscale et les investissements. Dire le contraire relève au mieux de la naïveté, au pire du mensonge.

Le PLF pour 2022, comme le PLFSS, ne comporte rien en matière de recettes, sauf la poursuite de la baisse de l'impôt sur les sociétés et de la taxe d'habitation. Je m'oppose aux compléments de salaires défiscalisés, que vous proposez par exemple pour la restauration, en défiscalisant les pourboires payés par carte bancaire. En contrepartie, les salaires fixes stagnent, alors qu'ils ouvrent le droit aux prestations chômage et de retraite. Chacun a droit à des salaires garantis.

Seuls 47 milliards d'euros sur les 100 milliards du plan de relance ont été dépensés. Vous financez, sous couvert de verdissement, le tournant technologique de l'industrie. Cela peut s'entendre pour maintenir la production en France. Mais le concept de capitalisme vert relève de l'oxymore : les entreprises veulent maximiser leurs profits, en aucun cas améliorer le bien-être social. Les mesures préconisées par la Convention citoyenne pour le climat ont été oubliées.

Il manque une réflexion sur l'évolution à long terme de l'économie française. Au contraire, le secteur énergétique est abandonné à la concurrence, sous la pression de Bruxelles.

Je crains un effet d'aubaine s'agissant de la prime applicable aux travaux de rénovation.

Vous vous faites les chantres du pouvoir d'achat, à tort. Les Français ne s'y trompent pas : 60 % d'entre eux estiment qu'il a baissé.

Les mesures intégrées à l'Assemblée nationale, comme votre dispendieux amendement à 34 milliards d'euros, traduisent des annonces électoralistes, parfois irréalistes et ridicules. Votre fausse générosité ne masquera pas le bilan de votre quinquennat. Les Français en seront juges dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons tous le sentiment d'être acteurs d'un mauvais scénario.

Bien sûr, nous saluons le retour de la croissance et de la création d'emploi. Mais la défiance demeure, les Français sont lucides. Ils savent qu'il faudra un jour régler l'addition : l'argent magique n'existe pas.

Face à la hausse du prix des matières premières, le chèque inflation ne représente pas grand-chose.

Les promesses de 2017 ne sont pas tenues, en témoigne la diminution de 120 000 postes de fonctionnaires, dont 70 000 dans les collectivités territoriales -  soit dit en passant, quelle ingérence ! Votre bilan rime avec néant.

Les collectivités territoriales ont respecté le contrat de Cahors, alors qu'il s'apparente presque à un chantage à la dotation. Pourquoi l'État ne s'est-il pas imposé le même régime ?

En mars, Jean Arthuis a préconisé une norme de dépense pluriannuelle contrôlée par une instance indépendante. Le Premier ministre a semblé trouver l'idée intéressante. Où en est-il de sa réflexion ?

Les annonces sont quasi quotidiennes, ce qui rend difficile l'examen de ce texte et limite la lisibilité à long terme.

Nous saluons les mesures relatives au transport, au numérique et à la transition écologique, mais à quel prix ?

Nous sommes inquiets quant à la capacité du Gouvernement à inverser une trajectoire financière qui nous conduira à un endettement à 128 % du PIB à dix ans sans réforme majeure, selon Jean Arthuis. L'année 2022 sera déterminante pour la France dans le concert des nations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Céline Brulin .  - Le Gouvernement se félicite d'avoir stabilisé les dotations aux collectivités territoriales depuis 2017. Mais cela ne résiste pas à l'analyse de ce PLF. La défiance entre les élus locaux et le Président de la République n'a jamais été aussi grande. Les conclusions du Congrès des maires n'y feront rien : les élus se sentent méprisés, isolés, abandonnés.

Les communes ont perdu un impôt historique - la taxe d'habitation - et la moitié des impôts de production. Les départements, après les régions, leur dernier pouvoir de taux.

Les compensations sont incompréhensibles pour beaucoup, à l'image du coefficient correcteur. Le lien décisif entre les citoyens et les collectivités territoriales se distend car l'on n'y comprend plus rien. La libre administration est mise à mal par la recentralisation, sans rimer avec la présence de l'État sur les territoires : plus de 500 trésoreries ont été supprimées depuis 2013. L'État est de plus en plus tatillon et technocrate et le recul des services publics se répercute sur les collectivités.

L'efficacité économique n'est pas au rendez-vous. Les plus grandes entreprises bénéficient le plus de la baisse des impôts de production alors qu'elles en ont le moins besoin, avec un gain moyen de 9 millions d'euros, contre 940 euros seulement pour les très petites entreprises (TPE).

Vous poursuivez les fusions de collectivités, malgré le mécontentement que les intercommunalités et les régions XXL suscitent. Vous renforcez la concurrence entre collectivités. La DGF a diminué pour la moitié des communes en 2021. Nous défendons sa revalorisation, en nous basant sur les montants de 2013 ajustés de l'inflation.

Nous proposons que la hausse des dotations de solidarité rurale (DSR) et urbaine (DSU) ne se fasse pas au détriment de celles qui n'en bénéficient pas.

Nous regrettons aussi que les plus petites communes ne profitent pas des appels à projet, n'ayant pas les moyens techniques et juridiques de concourir.

Le soutien aux collectivités est sans commune mesure avec le soutien aux entreprises privées, alors que les collectivités sont en première ligne. La clause de sauvegarde devait apporter 750 millions d'euros à environ 12 000 communes. Seules 3 618 d'entre elles seront concernées et 177 millions d'euros mobilisés.

Les collectivités prennent part à la relance ; elles doivent être soutenues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du RDSE)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce dernier budget du quinquennat doit-il être examiné, y compris son volet dépenses ? Chiche, monsieur Féraud. Monsieur Savoldelli, heureusement que nous n'avons pas voté la motion opposant la question préalable, sinon nous n'aurions pas entendu vos observations - que le groupe UC ne partage pas totalement.

Le prélèvement à la source et le prélèvement forfaitaire unique ont simplifié la vie des ménages. Beaucoup reste à faire. L'IFI doit être aménagé, comme la fiscalité sur les successions.

Concernant les entreprises, nous apprécions la trajectoire fiscale de l'impôt sur les sociétés, comme Bernard Delcros l'a évoqué. Nous demeurons préoccupés par le montant des impôts de production. En outre, les élus locaux doivent conserver une autonomie financière malgré la fin de la taxe d'habitation. La nécessaire baisse des impôts de production ne doit pas pénaliser les collectivités.

Il reste un certain nombre de défis à relever, comme l'orientation de l'épargne vers l'économie. Les ressources thésaurisées doivent permettre d'investir. Nous aurons des propositions. Nous voulons une plus grande lisibilité des programmes d'investissement, et que leur mise en oeuvre se fasse avec les organisations professionnelles.

J'en viens au pouvoir d'achat. La notion de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), introduite par la loi Pacte, inclut la participation des salariés et leur intéressement. À l'heure où 36 % de nos concitoyens ont du mal à boucler leurs fins de mois, des ajustements sont nécessaires.

Au-delà des recettes, une bonne maîtrise des dépenses est essentielle, pour notre santé économique et pour réduire la dette.

Ce PLF affirme une ambition maritime : en tant que breton, je m'en félicite. Préservons l'activité halieutique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE)

M. Vincent Segouin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En décembre 2018, rappelez-vous la gravité de la situation lorsque nous avons voté 10 milliards d'euros en faveur des gilets jaunes... Quelle angoisse !

M. Albéric De Montgolfier.  - Je m'en souviens !

M. Vincent Segouin.  - La dette a augmenté de 600 milliards d'euros depuis ! Et tout n'est pas imputable au Covid, selon vos propres chiffres, monsieur le ministre. Hors crise, la dette a augmenté de 300 milliards d'euros. C'est trente fois l'enveloppe accordée après les gilets jaunes ! Le quoi qu'il en coûte atteint 115 % du PIB.

Je ne vois pas la logique du plan de relance quand il finance une entreprise indienne s'installant sur un marché très concurrentiel, mettant en péril notre industrie. Le tout, sans assurance de résultats. Il fallait juste consommer les budgets.

En 2020, l'Allemagne n'était qu'à 4,7 % de déficit contre 9,1 % pour la France. Au sommet de la crise, elle a une dette de 68,7 % de son PIB contre 115 % pour la France.

Le quoi qu'il en coûte est une facilité de recours à la dette. La France emprunte facilement, selon le Gouvernement. Mais la crise a créé une fracture : aucune étude sérieuse ni concertation avec le Parlement n'a eu lieu pour savoir comment rembourser la dette. Cette gestion est irresponsable.

Le Gouvernement a la dépense facile et met sa gestion calamiteuse sur le dos du Covid. C'est insupportable.

J'avais une question pour M. le ministre de l'économie...

Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains.  - Il est parti !

M. Vincent Segouin.  - Comment peut-il assumer une telle politique alors qu'il avait déclaré en 2017 que, depuis vingt ou trente ans, la France était droguée à la dépense publique ? La France reste la championne de la dépense publique aujourd'hui. Et regardez notre balance commerciale par rapport à l'Allemagne : nous sommes en déficit de 95 milliards d'euros, contre 188 milliards d'excédent pour l'Allemagne.

Vous laissez entendre que la gestion de l'État ne peut se comparer à celle d'un ménage, mais pourquoi l'Allemagne suit-elle cette théorie ?

Les taux sont faibles, dites-vous... Mais c'est parce que les Français ont une épargne importante. La France emprunte avec la garantie de cette épargne. Mais si vous prélevez dessus - vous en avez les outils avec la loi Sapin 2 - la confiance sera perdue, nous le savons, et le mécontentement autrement plus grave qu'au moment des gilets jaunes.

La dette serait remboursée par la croissance. J'ai interrogé le ministre de l'économie et des finances pour savoir s'il prévoyait une croissance supérieure à 1,5 % dès 2024, niveau même pas suffisant pour la rembourser. Je n'ai pas eu de réponse à ma question.

Vous préférerez augmenter les recettes plutôt que réduire les dépenses et réformer un système obèse. Vous avez baissé les impôts ? Avec des taux de dépenses publiques de 57 % et de prélèvements à 43,5 %, nous sommes bien au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro.

Une dette ne doit être contractée que pour investir pour les générations futures. Notre dette est là pour rembourser : elle est toxique. Le Français qui compte tous les jours ne comprend pas que l'argent soit sans valeur. Les dépenses ne sont pas maîtrisées, les services publics se dégradent, la justice est lente, les forces de l'ordre s'épuisent, l'immigration augmente sans contrôle, l'hôpital public est au bord de l'effondrement alors qu'il compte presque autant de personnel administratif que de soignants, le chômage des jeunes ne diminue pas, la balance commerciale se dégrade. Nous en sommes à 45 000 euros de dette publique par tête.

Si les taux augmentent, nous ne pourrons plus rembourser la dette et ses intérêts seront supérieurs au budget de la Défense. Vous allez vers l'abîme. Nous ne cautionnerons pas ce budget ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué .  - Trois points ressortent de ces interventions, deux qui préfigurent nos débats à venir et un troisième qui est un point de méthode.

D'abord, le pouvoir d'achat fait l'objet de différences d'appréciation entre les études et le ressenti. Je suis surpris que nombre d'entre vous semblent privilégier ce dernier. Tenons-nous en aux statistiques fiables de l'Insee, ne menons pas de débats météorologiques.

Ensuite, les engagements sont tenus. Concernant les collectivités territoriales, le Président de la République s'est engagé au maintien de la DGF, tout comme à la compensation de la perte de la taxe d'habitation. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement que je lui ai proposé pour compléter cette compensation, notamment en cas de hausse liée à une injonction de la chambre régionale des comptes.

Notre choix, pour ce PLF, est celui de la stabilité du potentiel fiscal et du panier de ressources. Je ne reviendrai pas ici sur des débats très complexes comme la réforme des critères d'attribution de la DGF.

En matière de méthode, le Sénat ne partage pas les idées du Gouvernement. Je respecte les différences.

Notre trajectoire est celle de la normalisation, madame Lavarde, de la baisse du poids des dépenses publiques et du taux de prélèvements obligatoires. Nous devons revenir aux 3 %, non pas par fétichisme, mais parce que c'est à partir de 3,2 % que l'on inverse la trajectoire du poids de la dette par rapport au PIB, ce qui permettrait de réduire la dette à partir de 2025 ou 2026.

Enfin, sur la méthode : nous courons le risque de l'injonction contradictoire, normale lorsque différentes propositions émanent de groupes différents, mais plus préoccupante quand elle existe au sein d'un même groupe. En discussion générale, certains regrettent une consolidation lente des dépenses publiques puis proposent des dépenses supplémentaires. Le Gouvernement n'est pas exempt de telles injonctions contradictoires, je peux donc me permettre cette remarque. Dans tous les cas, évitons-les, par souci d'efficacité de nos débats.

Je vous remercie tous pour cette discussion générale.

La discussion générale est close.

L'article liminaire est adopté.

La séance est suspendue quelques instants.

ARTICLE 18

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Claude Raynal, président de la commission, applaudit également.) L'article 18 évalue à 26,4 milliards d'euros le montant du prélèvement sur recettes de la France au profit de l'Union européenne, soit une relative stabilité par rapport à 2021. N'y voyons ni plafonnement ni ralentissement : en moyenne, il s'élève à 27,6 milliards pour la période 2021-2027, soit 7,5 milliards de plus que sur la période 2014-2020. Rappelons cependant que la France est le deuxième bénéficiaire de fonds européens derrière la Pologne, avec 15,8 milliards d'euros, soit 11 % des dépenses totales de l'Union, en hausse de 5,4 % par rapport à l'année précédente.

Au-delà des montants, j'identifie trois défis du budget européen. Tout d'abord, à l'ouverture d'un nouveau cadre financier pluriannuel, il faut mobiliser efficacement les fonds européens. Or, l'allongement du délai entre engagement et paiement des dépenses augmente le reste à liquider qui s'élève à 300 milliards d'euros fin 2020. Cet excès témoigne d'une concrétisation difficile des dépenses européennes. La mission d'information du Sénat sur le sujet a rendu ses conclusions voici deux ans : quelles mesures le Gouvernement a-t-il prises ?

Ensuite, la présentation des propositions de la Commission européenne pour de nouvelles ressources propres a été repoussée. Or, il s'agit du remboursement du plan de relance européen. Faute de nouvelles ressources, la France devrait verser 2,5 milliards d'euros supplémentaires chaque année, à partir de 2028 et pour trente ans. Monsieur le ministre, quel est le calendrier de la Commission européenne ? Enfin, celle-ci a présenté en juillet le paquet climat, qui doit alimenter un fonds social pour le climat réduisant la facture énergétique des ménages. Deux objectifs sont donc alloués à des ressources propres qui n'existent pas encore : seront-elles dévoyées ?

Pour finir, le plan de relance européen a permis à la France de bénéficier de 5 milliards d'euros de préfinancements. Je ne reviendrai pas sur la ratification de la décision sur les ressources propres et la transmission des plans de résilience, mais soyons vigilants sur les crédits de reprise, aussi éligibles au titre de la politique de cohésion : il faut pouvoir les aiguiller correctement.

En conclusion, je recommande l'adoption sans modification de l'article 18. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, et du groupe INDEP ; M. Claude Raynal, président de la commission, applaudit également.)

M. Dominique de Legge, au nom de la commission des affaires européennes en remplacement de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci au rapporteur Jean-Marie Mizzon pour la clarté de ses propos. Compte tenu du cadre financier pluriannuel 2021-2027, la contribution française augmentera. Il faut y ajouter le remboursement du plan de relance qui nous incombera dès 2028, sauf si des ressources propres sont trouvées. Cependant, celles-ci soulèvent des interrogations.

Ce problème a été qualifié, à juste titre, d'équation non résolue. La commission des affaires européennes entend s'y intéresser dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. Avez-vous des précisions, monsieur le ministre ?

Mardi dernier, M. Le Drian a évoqué la relance, la puissance et l'appartenance comme piliers de la présidence française de l'Union européenne. Les attentes et les doutes du Sénat sont grands, en raison du calendrier électoral.

La relance a été financée à crédit tant au niveau national qu'européen. La puissance reste à construire et suppose une volonté politique que l'on ne ressent pas chez tous nos partenaires. Enfin, l'appartenance ne peut se résumer à celle d'un club d'endettés. Il faut traduire en actes l'affirmation d'autonomie stratégique en pensant aux citoyens européens, sans quoi ils s'en détourneront : c'est le cas pour le pacte vert, les enjeux migratoires et la défense par exemple.

La commission des affaires européennes veillera à ce que la présidence française de l'Union européenne contribue à la défense des intérêts de la France et à l'écoute des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP)

M. Jean-Claude Requier .  - L'examen de l'article 18 est placé cette année sous le signe de la présidence française de l'Union européenne. Le débat de mardi a été l'occasion pour certains de souligner sa concomitance avec l'élection présidentielle.

La plupart des sujets économiques ou environnementaux appellent une réponse européenne, plus efficace. Rappelons l'interdépendance de la France et de l'Europe, ce que montre la forte reprise économique. La stratégie vaccinale européenne mérite aussi mention : les pays européens sont parmi les mieux vaccinés.

Des efforts restent à poursuivre, par exemple en matière de sécurité internationale : la France est bien seule dans l'opération Barkhane, qui contribue pourtant à la sécurité collective de l'Europe. De même, le paquet asile et immigration piétine, malgré des défis immenses et l'instrumentalisation du désespoir des migrants par le Maroc et la Biélorussie.

Notre pays verse sa quote-part au budget dont les rapporteurs ont rappelé le montant, de 26,4 milliards d'euros, en diminution de 800 millions d'euros par rapport au PLF pour 2021. L'examen purement comptable promu par les pays dits frugaux omet les bénéfices de l'appartenance à l'Union européenne et de la solidarité qui est en son coeur.

Le RDSE partage l'objectif de recherche de ressources propres : taxe numérique, ajustement carbone aux frontières, taxe sur les transactions financières et socle commun de l'impôt sur les sociétés.

Nous comptons sur la présidence française de l'Union européenne pour accélérer ces dossiers. Le RDSE votera l'article 18. (M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur spécial de la commission applaudissent.)

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Chaque année, nous débattons de la contribution de la France au budget de l'Union européenne. C'est aussi l'occasion d'évoquer l'état de l'Union. La crise sanitaire montre qu'elle a su prendre des initiatives, en gelant l'application de la discipline budgétaire - avec les seuils de 3 % du PIB pour le déficit public de 60 % du PIB pour la dette - et en assouplissant les critères d'encadrement des aides d'État, notamment. Les prêts du mécanisme européen de stabilité (MES) et le plan de relance adossé à une capacité commune d'emprunt ont eu un impact fort sur le budget européen tout en limitant la hausse de la contribution française.

Nous n'avons plus le choix : nous devons nous protéger des crises et défendre les plus vulnérables. Il est urgent de redéfinir un cadre budgétaire et monétaire européen durable. Il faut aussi faire face aux besoins de financement du plan de relance, évalués à 15 milliards d'euros par an de 2028 à 2058.

La question des ressources propres est donc de plus en plus prégnante. La Commission européenne a proposé le 14 juillet le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et d'échange de quotas, prolongeant l'esprit de la taxe sur les déchets non recyclés. Mais il faut aussi mettre en oeuvre la taxe sur le numérique et le taux minimum de 15 % sur les bénéfices des entreprises multinationales. Plusieurs économistes, à la suite de Thomas Piketty, plaident plutôt pour un taux de 25 %, qui aurait assuré 25 milliards d'euros de recettes pour la France. Allons-nous demander une augmentation du taux ?

Les Pandora Papers rappellent l'urgence pour les États de coopérer entre eux contre les paradis fiscaux. Chaque année, les gouvernements européens perdent 1 000 milliards d'euros à cause de la fraude et de l'optimisation fiscales, soit l'équivalent du budget européen pour les six années à venir. Ce scandale, qui en suit d'autres, illustre l'importance de règles fiscales communes, afin de lutter contre les inégalités fiscales et sociales. Le pourcent le plus riche des habitants détient de 20 à 25 % de la richesse nationale dans de nombreux pays : pourquoi ne pas taxer leur capital ? On pourrait ainsi rembourser les euro-obligations, constituer un fonds commun de sauvetage et financer la transition écologique, sans freiner la reprise.

Il faut saisir les voies qui s'offrent à nous. Le groupe SER votera l'article 18 tout en appelant à une Europe forte, unie et basée sur l'équité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. le rapporteur spécial applaudit également.)

M. Emmanuel Capus .  - L'an dernier, j'avais évoqué la violence de la crise et les blocages dans la négociation du nouveau cadre financier pluriannuel. La crise est loin d'être terminée et de nouveaux blocages ont apparu.

Le montant de la contribution française dépasse à nouveau les 26 milliards d'euros.

L'Union européenne fait beaucoup pour nos territoires au quotidien, et nous lui demandons toujours plus. Nous en sommes l'un des premiers bénéficiaires, notamment via la politique agricole commune (PAC) qui contribue à la force de notre agriculture et à notre souveraineté alimentaire.

Il en va de même pour le plan de relance européen, lui aussi bloqué par les négociations. Tout d'abord, il faut que chaque territoire en bénéficie.

La question des ressources propres est essentielle. En février, nous avons ratifié la décision européenne sur ce sujet, assortie d'un calendrier. Nous comptons sur le Gouvernement pour faire émerger, à la faveur de la présidence française de l'Union européenne, des solutions pérennes.

En 2028, ce sera la première année du remboursement de notre dette commune et d'un nouveau cadre financier pluriannuel. C'est l'argent de la prochaine génération qui fera face aux nombreux défis.

Alors que notre jeunesse nous exhorte à prendre des décisions pour le climat, il faut nous montrer responsables en matière économique financière. Tout comme l'an dernier, le groupe INDEP votera l'article 18. L'Union européenne n'est pas une option, mais un levier indispensable. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est à peu près stable par rapport à l'an passé. Cette stabilité est bienvenue, après les hausses considérables constatées ces dernières années. Cela dit, cette contribution est notre cinquième poste budgétaire - l'équivalent de 9 % de nos recettes fiscales nettes et de 6 % de nos dépenses nettes.

Le prélèvement sur recettes est donc un geste fort et un engagement politique sans équivoque. En responsabilité, puisqu'il s'agit de satisfaire à une obligation internationale, le groupe Les Républicains votera cet article.

Ce traditionnel débat intervient cependant dans le contexte du plan de relance européen, qui a autorisé pour la première fois un endettement commun. Une condition cependant : que le plan de relance et le pouvoir d'emprunt conféré à la Commission restent une possibilité exceptionnelle. Mais le Gouvernement semble s'éloigner de cette voie. Avant même les premiers décaissements, Bruno Le Maire proposait de créer un système permanent de financement européen, contre un engagement de responsabilité accrue en matière de dépenses publiques. Mais l'exigence de sérieux budgétaire est déjà depuis longtemps au coeur du pacte de stabilité ! De plus, notre PLF risque de ne pas inciter nos partenaires à nous suivre. Monsieur le secrétaire d'État, la France va-t-elle réellement défendre une pérennisation du système d'endettement commun ? Dans l'affirmative, pour quels volumes financiers ?

La question des ressources propres n'est pas réglée, loin de là. La feuille de route de décembre 2020 prévoyait des propositions de la Commission avant juin 2021 pour une entrée en vigueur en janvier 2023. Nous n'avons pas tenu ce calendrier : l'imposition du numérique a été mise en pause, l'ajustement carbone aux frontières figure dans le paquet climatique présenté le 14 juillet mais sans lien avec la décision sur les ressources propres de l'Union européenne.

Ces retards reflètent des divergences politiques entre États membres, soucieux de leur modèle fiscal, de leur compétitivité, du budget de leurs ménages et de leurs relations commerciales avec leurs principaux partenaires. Tout cela nous incite à la prudence.

Les ressources propres sont pourtant censées abonder le budget européen dès 2026, alors que le remboursement du plan de relance pèsera 15 milliards par an entre 2028 et 2058. Concrètement, ce sera une flambée de 2,5 milliards de la contribution française, soit 10 % de plus que la contribution actuelle. Il faudrait, au total, rembourser plus de 70 milliards alors que nous allons percevoir 40 milliards d'euros. C'est un bien mauvais calcul, d'autant que les États frugaux ont réussi à augmenter leur rabais en échange de leur soutien à la relance européenne.

La clause dérogatoire générale qui permet aux États membres de s'extraire des règles budgétaires a été prorogée jusqu'à la fin 2022 ; mais tôt ou tard, il faudra retrouver une trajectoire soutenable, surtout pour les États lourdement endettés comme la France. Il faut penser aux générations futures.

La France, qui s'apprête à présider le conseil de l'Union européenne, doit être exemplaire dans sa gestion des finances publiques. Le pacte de stabilité et de croissance fera l'objet de nombreuses propositions ; il ne faudra pas perdre de vue les fondamentaux, tout en ne freinant pas l'investissement.

Le cadre révisé devra ainsi rester assez strict pour assurer le retour à des niveaux soutenables de dépense et de dette. Il faudra aussi retrouver le chemin de la croissance, condition sine qua non de la transition écologique et énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jacques Fernique .  - Cet article 18 est le constat du montant dû par notre pays au budget de l'Union, mais surtout l'occasion de débattre de la capacité budgétaire de l'Union. Celle-ci a déplafonné le fameux 1 % du PIB et a ouvert la voie aux recettes propres rendant ainsi possible une vraie capacité budgétaire.

Le choix commun de consacrer près du tiers de nos moyens au climat sera déterminant pour tenir l'objectif des moins 55 % d'émissions d'ici à 2030. Mais les chiffres ne suffiront pas pour éviter la déroute climatique : il faut une dynamique planétaire. Glasgow, quel gâchis ! L'Europe y aura étalé ses divisions sur les investissements gaziers, pétroliers et nucléaires. Nous sommes loin de la cohésion européenne des COP précédentes. Il faudra pourtant y revenir pour affronter les défis majeurs : déploiement de la relance sans dénaturer nos orientations en matière de climat, d'énergie, de santé, d'économie durable et résiliente, de justice sociale.

Il faudra aussi réaffirmer notre volonté d'emprunter et d'investir dans les transitions d'avenir, sans rétablir les verrous d'hier. Enfin, nous devrons trouver de nouvelles ressources propres, l'emprunt commun nous y oblige à moins d'augmenter à l'avenir les contributions des États. Or l'accord pour le déploiement des ressources propres ne semble pas avancer. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est reporté, la taxe sur les transactions financières (TTF) est dans le brouillard, la taxation sur le numérique patine après l'accord international sur ce thème. Regardons plutôt du côté de l'évasion fiscale : les Pandora Papers nous ont montré la voie.

Libérons-nous des égoïsmes nationaux et des rabais, rabais que notre président disait archaïques, injustes et illisibles et qui augmentent encore !

Le GEST votera cet article en restant vigilant à l'occasion des prochaines étapes du déploiement du budget européen. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

M. Éric Bocquet .  - Il aura fallu une pandémie mondiale pour estomper les égoïsmes nationaux incarnés par les pays dits frugaux. L'accord faussement historique du plan de relance européen et les cérémonies d'autosatisfaction nous empêchent parfois de prendre la mesure de la crise qui traverse l'Europe. Le débat se mène entre frugaux : Sanna Marin, première ministre finlandaise, a dit ce qu'elle pensait d'un plan de relance renforcé. La contribution française pour 2022 est plus élevée qu'en 2014, à périmètre constant. Les divergences entre États engendrent confusions et renonciations.

Ainsi, une fois arrêtés les 750 milliards du plan Next Generation, on s'aperçoit qu'ils seront composés d'un tiers de crédits et de deux tiers de prêts. La Commission pourra bloquer leur attribution sur la base de nombreux critères.

La France a reçu 5,1 milliards d'euros, mais les crédits arrivent au compte-gouttes : 12 % des 40 milliards du plan de relance ont été versés et, à la page 44 du PLFR, on peut lire que la France renonce à percevoir cette année 4,9 milliards d'euros...

Pouvons-nous toujours tabler sur 40 milliards d'euros ? La question est légitime, au-delà des artifices de communication. Le plan de relance se déroule en France sans ces crédits et sans que cela pose le moindre problème financier.

En 2028, les premiers remboursements devront avoir lieu. Si les États membres rechignent à doter l'Union européenne de ressources propres, la France sera contributrice nette au plan de relance européen à hauteur de 35 milliards d'euros : difficile à expliquer à nos concitoyens...

Notre Président a perdu tous les arbitrages face aux frugaux, à cause d'une marginalisation de la France sur la scène européenne. Nous n'en sortirons pas tant qu'il ne résoudra pas ce paradoxe : parvenir à obtenir des ressources propres européennes, alors qu'il refuse d'en entendre parler en France. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) : Je tiens à saluer notre rapporteur spécial, M. Jean-Marie Mizzon, pour la qualité de son travail. Le budget européen 2022 s'élève à 169,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 2 %, en raison de la montée en puissance des programmes d'investissement en santé et en action extérieure. Nous nous félicitons que les priorités fixées par le cadre financier pluriannuel 2021-2027 soient respectées.

Certains programmes bénéficieront de financements complémentaires significatifs. Je salue ainsi l'augmentation des crédits du programme Erasmus +, très apprécié de nos jeunes concitoyens.

La contribution de la France est stable, grâce notamment à la contribution britannique post-Brexit et à l'accroissement des droits de douane lié au rebond économique de notre pays.

Mais cette contribution risque d'être structurellement en hausse : absorption budgétaire du départ du Royaume-Uni, effets de la taxe plastique, rabais accordés à l'Allemagne, aux Pays-Bas, à la Suède, à l'Autriche et au Danemark. Ces dérogations alimentent la méfiance et la mésentente entre États membres.

L'instauration de nouvelles ressources propres est un impératif absolu. Les négociations doivent reprendre. Les pistes de réformes étudiées par l'OCDE ne sont pas incompatibles avec les nôtres. Il y a eu des avancées, comme la révision du mécanisme européen de stabilité, mais il faut faire davantage.

L'annonce, en juillet dernier, d'une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne d'ici 2030 doit se traduire par l'affectation d'une partie des recettes des nouvelles ressources propres à un fonds social pour le climat. C'est une bonne chose, mais ces ressources propres devront à la fois servir à financer le plan de relance et à alimenter ce fonds. Voilà qui contrevient au principe de réalisme.

La hausse structurelle des restes à liquider est excessive ; elle met en lumière les difficultés de mobilisation des fonds européens au niveau local - l'effet de procédures souvent complexes et fastidieuses.

Tous ces défis devront être relevés lors de la présidence française de l'Union européenne dont nous attendons toujours la feuille de route. Comme le disait Jacques Delors lors de la crise de 2008, « après les pompiers, l'Union européenne attend maintenant les architectes ». Nous espérons que vous redonnerez du souffle, que vous porterez la vision d'une Europe qui protège, qui innove, qui fait rayonner ses libertés et qui tient son rang dans le monde. Nous espérons que les trois petits mois efficaces de la présidence française de l'Union européenne y satisferont.

Le groupe UC votera l'article 18. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes .  - Je suis heureux de vous demander, au nom du Gouvernement, d'autoriser le prélèvement sur recettes de l'État de 26,4 milliards d'euros au profit de l'Union européenne, contribution en légère baisse par rapport à 2021. Depuis l'an dernier, la solidarité budgétaire en Europe n'a pas été un vain mot.

Ainsi, le plan de relance européen est désormais une réalité, adopté par les 27 États membres dont 19 ont vu leur plan approuvé. Plus de 50 milliards d'euros de financements ont déjà été distribués, dont 5,1 milliards d'euros pour la France. Il n'y a aucun renoncement, monsieur Bocquet : les 40 milliards d'euros pour la France sont bien garantis, même si les décaissements prennent plus de temps qu'on ne le souhaiterait.

Une première émission de 12 milliards d'euros de dette verte a déjà eu lieu.

La solidarité a permis une réponse européenne efficace à la crise sanitaire, et un retour au niveau d'activité d'avant-crise.

Concernant les ressources propres, l'accord conclu en juillet 2020 puis examiné par le Parlement européen a permis l'élaboration d'une feuille de route : la Commission doit présenter dans les prochaines semaines la liste des premières ressources propres qui feront l'objet de propositions législatives. Certaines sont d'ordre environnemental : le paquet climatique présenté en juillet comprend des ressources potentielles, mais la Commission a voulu un débat séparé sur la question des ressources propres.

L'extension des ressources dites ETS (emissions trading system) ne relève pas d'une double affectation contradictoire : la Commission souhaite qu'un quart des sommes supplémentaires issues de cette ressource finance un fonds social, et que les trois quarts restants servent à alimenter le budget européen, donc le remboursement du plan de relance. Les débats sur le paquet climat et sur les ressources propres seront l'occasion de placer les curseurs.

Les autres ressources pourront provenir de la transposition européenne de l'accord international relatif aux multinationales. Nous en débattrons lors de la présidence française de l'Union européenne.

D'autres débats prendront du temps, comme celui sur la taxe sur les transactions financières.

J'en viens à la taxation internationale, évoquée par MM. Bocquet et Joly. Le taux minimum aurait pu être plus ambitieux, mais ce compromis à 15 % est essentiel car l'Europe a parlé d'une seule voix. Cet accord va permettre d'avancer. Consolidons-le, ratifions-le au niveau européen, faisons-en pour partie une ressource propre, et poursuivons la discussion internationale.

Le débat sur le pacte de stabilité et de croissance est également essentiel. Les règles sont suspendues jusqu'à la fin de 2022. Nous devrons débattre de la nouvelle nature des règles, puisque la situation économique sera très différente. Critères de dette et d'investissement seront les points discutés, mais il reste que le taux de la dette publique des pays de la zone euro a augmenté de 15 points pour dépasser les 100 %. Le débat dépassera le seul semestre de la présidence française de l'Union européenne, mais nous devrons le lancer.

Concernant la simplification, nous allons articuler le plan de relance et les fonds plus traditionnels afin d'éviter les doubles financements. Un guide a été élaboré par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pour accompagner les collectivités territoriales et éviter les incertitudes.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne commence dans moins de 45 jours. Nous mènerons tous ces débats. J'ai souhaité une préparation transpartisane de cette présidence. Nous y avons associé les représentants de tous les groupes du Sénat et de l'Assemblée nationale. Une nouvelle réunion aura lieu mi-décembre, vous serez là encore associés aux travaux et tenus informés. En tout état de cause, le climat, la régulation du numérique et le social feront partie de nos priorités.

Nous espérons des avancées essentielles, qui seront partagées, je l'espère, par tous. Je vous demande donc l'approbation de cet article 18. (MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent.)

L'amendement n°I-234 rectifié n'est pas défendu.

L'article 18 est adopté.

Accord en CMP

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Prochaine séance demain, vendredi 19 novembre 2021, à 16 heures.

La séance est levée à 19 h 35.

Jeudi 18 novembre 2021

Bas sommaire

Sommaire

Lutte contre la maltraitance animale (Conclusions de la CMP)1

Discussion générale1

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire1

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité1

Discussion du texte élaboré par la CMP2

ARTICLE 2 BIS C2

ARTICLE 32

ARTICLE 122

ARTICLE 142

Interventions sur l'ensemble2

M. Daniel Salmon2

M. Fabien Gay2

M. Jean-Paul Prince2

M. Éric Gold2

Mme Esther Benbassa2

M. Jean-Claude Tissot2

M. Bernard Buis2

M. Emmanuel Capus2

Mme Marie-Christine Chauvin2

Confiance dans l'institution judiciaire(Conclusions de la CMP)2

Discussion générale2

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire2

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire2

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice2

Rappel au Règlement2

Mme Marie-Pierre de La Gontrie2

Confiance dans l'institution judiciaire (Conclusions de la CMP - Suite)2

Discussion du texte élaboré par la CMP2

ARTICLE 22

ARTICLE 32

ARTICLE 62

ARTICLE 102

ARTICLE 32 B2

Interventions sur l'ensemble2

Mme Éliane Assassi2

Mme Dominique Vérien2

Mme Maryse Carrère2

Mme Esther Benbassa2

M. Jean-Yves Leconte2

M. Thani Mohamed Soilihi2

M. Emmanuel Capus2

Mme Nadine Bellurot2

M. Guy Benarroche2

Missions d'information et commissions d'enquête (Nominations)2

Nominations à une éventuelle CMP2

Rappel au Règlement2

M. Éric Bocquet2

Projet de loi de finances pour 20222

Discussion générale2

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance2

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics2

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances2

M. Claude Raynal, président de la commission des finances2

Question préalable2

M. Éric Bocquet2

Discussion générale (Suite)2

M. Bernard Delcros2

M. Jean-Claude Requier2

M. Rémi Féraud2

M. Didier Rambaud2

M. Emmanuel Capus2

Mme Christine Lavarde2

Mme Sophie Taillé-Polian2

M. Pascal Savoldelli2

Mme Sylvie Vermeillet2

M. Thierry Cozic2

M. Didier Mandelli2

Mme Céline Brulin2

M. Michel Canévet2

M. Vincent Segouin2

M. Olivier Dussopt, ministre délégué2

SÉANCE

du jeudi 18 novembre 2021

24e séance de la session ordinaire 2021-2022

présidence de M. Georges Patient, vice-président

Secrétaires : M. Dominique Théophile, Mme Corinne Imbert.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Lutte contre la maltraitance animale (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.

Discussion générale

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La commission mixte paritaire (CMP) a trouvé un accord sur ce texte. Pour éviter le pire, nous le voterons. Le Sénat n'a pas lâché sur ses lignes rouges.

Le texte est équilibré et évite des effets de bord qui auraient pu être désastreux pour les professionnels.

Préférant l'efficacité aux effets d'annonce, le Sénat a agi selon trois axes : lutter contre l'abandon en encadrant les cessions d'animaux ; faciliter le travail des acteurs de terrain ; refuser le credo « interdire et laisser mourir » en trouvant des solutions pour le bien-être des animaux et l'avenir des professionnels.

Certaines dispositions finales nous laissent cependant un sentiment amer. Je regrette que la proposition du Sénat sur les animaux sauvages dans les cirques itinérants - qui prévoyait l'établissement d'une liste d'interdictions progressives, espèce par espèce - n'ait pas été retenue. Nous avons toutefois obtenu un délai de sept ans qui laisse le temps aux professionnels de s'organiser : c'était la moindre des choses pour les circassiens qui crient leur désespoir. Leur activité est légale, contrôlée et encadrée, mais elle est pourtant régulièrement entravée : il faut un véritable délit d'entrave pour faire cesser cette guérilla. Le Sénat a voté une proposition de loi en ce sens : la balle est désormais dans le camp des députés.

Les voleries ne relèvent pas de l'interdiction prévue, car elles sont non pas itinérantes, mais mobiles.

Les 21 dauphins et 4 orques présents en France pourront rester dans les parcs aquatiques, à certaines conditions. Nous évitons ainsi qu'ils finissent dans des piscines de luxe à l'autre bout du monde ou qu'ils soient euthanasiés.

Pour lutter contre l'abandon des animaux de compagnie, un certificat d'engagement sera signé par l'acquéreur, qui disposera en outre d'un délai de réflexion de sept jours. La cession en ligne sera contrôlée par les plateformes : c'est une avancée historique due au Sénat.

Le Sénat a rétabli la vente de tous les animaux de compagnie en animalerie, à l'exception des chiens et chats. Seuls les refuges pourront proposer leurs animaux en magasin, mais le danger de voir plonger le secteur dans l'illégalité reste entier.

Je me félicite de la reconnaissance législative des associations sans refuge, dont l'existence était menacée à l'issue de l'examen par l'Assemblée nationale : ce sont des acteurs de terrain essentiels.

Je me réjouis également des réponses apportées contre la zoophilie et la zoopornographie ; et de la suppression de l'obligation absurde imposée aux maires de faire stériliser les chats sans compensation financière ou de créer une fourrière dans chaque commune.

Ce texte est in fine équilibré, opérationnel ; il est plus pragmatique et moins idéologique. Je vous invite à l'adopter.

Je me contenterai d'un remerciement, pour conclure, aux professionnels exceptionnels, passionnés et passionnants, que j'ai eu la chance de rencontrer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; M. Jean-Paul Prince applaudit également.)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité .  - Je suis heureuse et même émue de voir aboutir cette évolution majeure pour le respect du règne animal. Nos valeurs sont vivantes, elles évoluent. Avec ce texte qui porte des mesures ambitieuses, nous assumons notre responsabilité morale collective.

En septembre 2020, Barbara Pompili annonçait le souhait du Gouvernement de voir cesser la présence d'animaux sauvages dans les cirques itinérants et les delphinariums et d'interdire les élevages de visons d'Amérique pour leur fourrure. En décembre 2020, Julien Denormandie annonçait la mise en place de certificats de sensibilisation à l'achat ou à l'adoption d'animaux de compagnie. Ces mesures sont désormais inscrites dans la loi. Et le parcours législatif l'a enrichie d'autres décisions courageuses.

Mme la rapporteure, vous avez eu le souci de la nuance et de l'équilibre. Cette CMP conclusive est une belle victoire. Les débats ont été d'excellente tenue et je remercie tous les sénateurs pour leur mobilisation.

Le Gouvernement accompagnera les professionnels dans la perspective de l'interdiction des animaux sauvages dans les cirques itinérants, comme nous le faisons depuis la crise sanitaire. Ainsi, quelque 2,4 millions d'euros ont déjà été versés aux professionnels du cirque pour le nourrissage et le soin.

Je réaffirme ici notre soutien au cirque : je sais l'attachement des circassiens à leurs animaux et combien les évolutions prévues peuvent être douloureuses. La transition doit être la plus sereine possible.

Il faudra accompagner la reconversion des professionnels et trouver des solutions d'accueil garantissant le bien-être des animaux.

Pour les cétacés, le délai est de cinq ans, avec néanmoins quelques dérogations - sanctuaires, centres de soins et programmes scientifiques - sur lesquelles nous serons vigilants. Les refuges et les sanctuaires ont été définis dans le texte : pas d'exploitation à but lucratif ni de contact direct avec le public ou de numéros de dressage.

Je me félicite aussi de la fin des élevages de toutes les espèces non domestiques pour leur fourrure. Il y a un an, lorsque le Gouvernement annonçait son intention de les fermer, il y avait quatre élevages en France, seulement un aujourd'hui. Les trois autres ont été accompagnés dans leur transition. Voilà la preuve de l'efficacité de notre démarche.

Le texte présente des avancées pour les animaux domestiques dans le combat contre la maltraitance, avec un volet de sensibilisation et de prévention des abandons, en responsabilisant les acquéreurs via un certificat d'engagement et de connaissance. Les textes d'application seront rapidement publiés.

La vente en ligne est mieux encadrée, grâce au travail que nous avions engagé avec les vétérinaires dès la fin 2020.

La vente en animalerie des chiens et chats sera interdite en 2024 pour lutter contre les achats impulsifs et limiter les abandons.

Avec ce texte, nous confirmons notre responsabilité individuelle et collective vis-à-vis des animaux.

Une sensibilisation à l'éthique animale sera dispensée dans le cadre du service national universel (SNU) ainsi qu'à l'école primaire, au collège et au lycée dans le cadre de l'enseignement moral et civique. Je m'en félicite, car les enfants peuvent sensibiliser à leur tour leurs parents.

Nous accompagnons aussi le recueil des animaux abandonnés et je salue le rôle des refuges, des associations et des familles d'accueil qui réalisent un travail formidable. Merci aussi aux élus locaux et aux vétérinaires.

La gestion de l'errance animale a également été modernisée. L'expérimentation sur la stérilisation des chats errants nous permettra de mieux lutter contre la surpopulation féline, avec 15 millions d'euros supplémentaires prévus dans le plan de relance.

Les sanctions pour maltraitance sont renforcées. La présence d'animaux - domestiques ou non - sera interdite en discothèque, tout comme celle d'animaux sauvages sur les plateaux de télévision.

Ce texte est marqué par le progrès. Nous sommes en phase avec l'histoire et les attentes des Français. Ce texte est une fierté pour nous tous. (M. Éric Gold applaudit.)

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

En conséquence, le vote sur les amendements et les articles sera réservé.

Nous passons à la présentation des amendements du Gouvernement avant d'en venir aux explications de vote des groupes.

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2 BIS C

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Les amendements du Gouvernement sont rédactionnels ou de précision.

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure.  - Avis favorable à tous les amendements.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  À l'article L. 212-7 du code rural et de la pêche maritime, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « dernier ».

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par une ligne ainsi rédigée :

L. 211-26

Résultant de l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l'environnement

 

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

ARTICLE 12

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 18

1° Au début

Insérer la référence :

II bis.  -  

2° Remplacer les mots :

l'interdiction prévue au premier alinéa du I

par les mots :

les interdictions prévues aux I et II

II.  -  Alinéa 19

Au début

Insérer la référence :

II ter.  -  

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

ARTICLE 14

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 1

Remplacer les mots :

de l'article 12

par les mots :

des articles 12 et 13

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.  - Défendu.

M. le président.  - Le vote est réservé.

Interventions sur l'ensemble

M. Daniel Salmon .  - Voici une nouvelle étape dans la lutte contre la maltraitance animale. Je remercie les députés qui sont à l'origine de ce texte, ainsi que les associations, les citoyennes et les citoyens qui oeuvrent dans ce domaine.

Le GEST aurait aimé aller plus loin, mais ce texte comporte des avancées et nous saluons les apports de la commission sur les sanctions ou les associations sans refuge. Le texte, hélas, n'évoque ni la chasse ni la corrida.

Le GEST se félicite de l'interdiction très attendue de la vente des chiens et chats en animalerie à l'horizon 2024, à l'exception des animaux de refuge.

Le certificat d'engagement est utile, tout comme le délai de réflexion de sept jours.

Nous nous félicitons également du renforcement des sanctions et de l'interdiction des animaux dans les cirques itinérants et dans les delphinariums. Restons cependant vigilants sur la sédentarisation des cirques itinérants. L'État doit accompagner les cirques à aller vers des spectacles sans animaux.

Nous nous réjouissons aussi de l'interdiction à effet immédiat des élevages de visons et autres espèces non domestiques destinés à l'industrie de la fourrure.

Nous avons cependant quelques regrets, notamment sur le système de labellisation des sites de vente en ligne : l'interdiction pure et simple de la vente sur les sites non spécialisés aurait été autrement plus efficace. Seuls les professionnels doivent être autorisés à vendre en ligne, sur des sites spécialisés.

Les chats errants sont un problème de santé publique. L'État doit davantage soutenir les collectivités. Nous suivrons avec attention les travaux de l'Observatoire de la protection des animaux de compagnie en ce domaine.

Mais il reste encore beaucoup à faire, notamment sur les conditions d'élevage industriel. Pour lutter contre la souffrance animale, notre agriculture doit changer de modèle. Nous y reviendrons.

Le GEST votera ce texte encore timide, mais qui acte des progrès majeurs.

M. Fabien Gay .  - Malgré ses imperfections, cette proposition de loi est une avancée dans la lutte contre la maltraitance animale. En la matière, nous partions de loin. C'est pourquoi le CRCE l'avait votée en première lecture.

Le texte de compromis de la CMP comporte des avancées, notamment pour les cirques et les delphinariums. Merci à notre rapporteure d'avoir proposé une solution pour accueillir ces animaux, promis à l'euthanasie par l'Assemblée nationale.

Nous sommes plus mitigés sur les animaleries. Oui, les animaux qui y sont vendus proviennent souvent d'élevages d'Europe de l'Est, sevrés trop tôt et transportés dans de mauvaises conditions.

M. Stéphane Piednoir.  - Caricature !

M. Fabien Gay.  - Les animaux ne sont pas des objets ou des marchandises que l'on pourrait jeter après achat. Et il n'est plus acceptable que des animaux sauvages soient maintenus en captivité pour être exhibés dans un environnement qui n'est pas le leur.

Ce texte doit réellement s'appliquer, notamment s'agissant des delphinariums : attention aux dérogations prévues.

L'accord en CMP nous oblige à une action plus globale en faveur des animaux. Il faut revoir notre modèle d'élevage intensif avec le monde agricole. L'impact des pesticides est également néfaste à la biodiversité.

Nous ne pourrons plus occulter le sujet de la souffrance animale. La recherche effrénée du profit dans nos sociétés capitalistes se fait au détriment de la vie animale. (M. Stéphane Piednoir le conteste.)

Ce mode de production réduit l'animal à une marchandise parmi tant d'autres ; aucune compensation ne pourra jamais remédier à la disparition des espèces.

Il faudra se saisir vraiment de cette question qui préoccupe nos concitoyens et aller plus loin.

Madame la ministre, et chers collègues qui avancez des arguments que j'aimerais entendre plus souvent à la tribune, et moins souvent en échos lancinants derrière un masque, il faudra engager une réflexion sur notre rapport aux autres espèces. Vos interpellations ne me feront pas reculer ; je ne l'ai jamais fait sur un terrain de rugby, je ne le ferai pas davantage ici.

Le groupe CRCE votera cette proposition de loi qui constitue une première étape. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

M. Jean-Paul Prince .  - La CMP est parvenue à un accord le 21 octobre. Le dialogue entre le Sénat et l'Assemblée nationale a été apaisé et les débats fructueux, sur un sujet pourtant si délicat et passionné. Merci à notre rapporteure et à notre présidente. Je me réjouis que de nombreux apports du Sénat aient été conservés.

Les relations entre l'homme et l'animal ont considérablement évolué. Autrefois, nous utilisions leur force dans l'agriculture et les transports ; les énergies fossiles et renouvelables les ont libérés de cette servitude.

Descartes les considérait comme des machines, le code napoléonien comme des choses. La reconnaissance de leur sensibilité est venue progressivement, puis inscrite dans la loi du 10 juillet 1976.

Les animaux sauvages de spectacle souffrent du dressage et de la vie itinérante. Il était nécessaire d'agir, mais de manière ordonnée, en laissant le temps aux professionnels de s'adapter et trouver des hébergements convenables pour leurs animaux. Les délais prévus par le texte sont appropriés et la création d'une commission consultative pour la faune sauvage captive par le Sénat est utile.

L'Assemblée nationale a voté l'interdiction de la vente en animalerie à l'horizon 2024 : c'est discutable, car ces établissements sont déjà strictement réglementés. De plus, il est à craindre que la vente en ligne entre particuliers bénéficie des nouvelles restrictions. L'interdiction de la présentation des animaux en vitrine, introduite par le Sénat, a heureusement été conservée.

Concernant l'interdiction des manèges à poneys, le terme de carrousel, trop générique, risquait de dépasser l'intention du législateur et de toucher de nombreuses activités impliquant des chevaux, comme le Cadre noir de Saumur ou les animations équestres de Chambord et du Puy du Fou. La réécriture de l'article par le Sénat a été conservée.

Dans l'ensemble, ce texte est porteur de progrès. J'espère que son adoption contribuera à l'apaisement dans ce domaine, marqué par des oppositions virulentes et des débordements.

La majorité du groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Éric Gold .  - On oublie trop souvent que, sur de nombreux textes, le travail de concertation entre députés et sénateurs permet d'aboutir à un accord.

Nous renforçons la protection des animaux. Certaines dispositions vont dans le sens de l'Histoire. Les mentalités ont évolué : il est bon que le législateur s'y conforme.

D'ici deux ans, loups ou ours seront interdits dans les spectacles itinérants. D'ici cinq ans, ce sont les cétacés qui seront concernés et d'ici sept ans, les animaux sauvages des cirques itinérants. Ce texte marque en outre la fin des élevages de visons pour la fourrure. Une liste limitative des animaux non domestiques pouvant être détenus comme animaux de compagnie sera établie.

Il fallait en finir avec les 100 000 abandons d'animaux domestiques constatés chaque année, un record européen qui nous fait honte. Un certificat d'engagement et un délai de réflexion de sept jours seront imposés, afin d'éviter les achats compulsifs. Il ne sera plus possible de céder ou donner un animal de compagnie à un mineur sans assentiment préalable de ses représentants légaux.

La vente de chiens et chats en animalerie sera interdite - sauf pour les animaux de refuge - à l'horizon 2024. Les autres animaux ne pourront plus être présentés en vitrine. La vente en ligne d'animaux de compagnie sera mieux encadrée. Le RDSE a d'ailleurs fait adopter un amendement imposant la mention du nombre de portées de la femelle au cours de l'année écoulée.

Les animaux ne sont pas des biens de consommation courante : ce sont des êtres doués de sensibilité. L'arsenal juridique contre la maltraitance animale sera renforcé, avec notamment la levée du secret professionnel des vétérinaires. Les peines pour atteinte sexuelle, abandon, mise à mort, sévices graves ou actes de cruauté seront aggravées, avec une circonstance aggravante si ces actes sont commis devant un mineur.

Le renforcement des dispositions pénales s'accompagnera de mesures de prévention : le stage de prévention remplacera ou complétera les peines d'emprisonnement dans un objectif de lutte contre la récidive. Un module sur l'éthique animale figurera au programme du service national universel et de l'enseignement moral et civique.

Le groupe RDSE votera sans réserve ce texte, fruit d'un travail de concertation transpartisan. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Michelle Meunier et M. Jean-Paul Prince applaudissent également.)

Mme Esther Benbassa .  - Les résultats des travaux du Sénat en première lecture étaient décevants. La CMP a redonné de la consistance au texte, mais mon engagement contre la maltraitance animale m'oblige à signaler ses lacunes.

L'interdiction de l'exploitation d'animaux sauvages dans les spectacles de divertissement est une avancée, mais je regrette le délai excessif laissé aux acteurs concernés. Deux ans, c'est injustifiable : que deviendront les animaux nés dans cet intervalle ?

Je félicite néanmoins les cirques qui ont mis en place des alternatives innovantes comme les hologrammes animaliers : il est possible de divertir sans causer de souffrance.

L'encadrement du commerce des chiens et chats est également une avancée louable : l'offre trop importante facilite les acquisitions non réfléchies, et par conséquent les abandons - il y en a 300 000 par an !

Mais cela ne dissimule pas le bilan décevant de ce quinquennat : où est la vidéosurveillance des abattoirs promise par Emmanuel Macron, l'encadrement du transport, l'amélioration des conditions de vie ?

La faune sauvage est complètement oubliée. Pour des raisons clairement électorales, des avantages exagérés sont accordés aux chasseurs. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - Vive la chasse !

Mme Esther Benbassa.  - Une réforme globale et ambitieuse du droit animal aurait été bienvenue; mais je voterai ce texte.

M. Franck Menonville.  - Oui, vive la chasse !

M. Jean-Claude Tissot .  - La CMP est parvenue à un compromis sur ce texte. Au cours de son examen, nous avons constaté la mobilisation et l'émoi que suscitait cet enjeu. Les débats ont été très animés : c'est la vitalité de notre démocratie.

Les attentes de nos concitoyens et des associations étaient fortes.

Plusieurs dispositions ambitieuses ont été confirmées en CMP : le certificat d'engagement et de connaissance avant toute acquisition, la suppression de la vente des chats et chiens en animalerie, l'encadrement de la vente en ligne, les sanctions renforcées contre la maltraitance et la zoophilie, l'interdiction à terme de l'exhibition d'animaux sauvages dans les cirques itinérants et les delphinariums - dans des délais que la CMP a fixés au bon niveau.

Le texte ignore pourtant certains sujets sensibles, soigneusement évités par la majorité présidentielle à l'approche de l'élection. Il aurait fallu ainsi aborder la question de l'élevage.

Nous avons pu défendre les collectivités territoriales, qui assumeront leur juste part dans la lutte contre la maltraitance, sans qu'il leur soit demandé d'effort financier incohérent, notamment pour la stérilisation des chats errants. Sur ce point, l'expérimentation dans les communes volontaires est une bonne solution.

J'ai voté les conclusions de la CMP, au nom du groupe SER, et je réaffirme notre soutien à ce texte ambitieux. Notre mobilisation pour le bien-être animal se poursuivra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Bernard Buis .  - Nous n'étions pas tous optimistes sur l'issue de la CMP. Mais nous y sommes arrivés ! Ce texte apporte des mesures concrètes qui changeront le quotidien de nos animaux. Le RDPI le votera sans réserve.

Entre l'approche pragmatique du Sénat et l'approche volontariste de l'Assemblée nationale, il paraissait difficile de trouver une issue commune. À force de concertation et de compromis, nous avons su dépasser les logiques partisanes. Les discussions ont abouti - certes tard le soir - à un vote de bon sens et de sagesse.

Un compromis a été trouvé sur les cirques itinérants : une interdiction des animaux sauvages dans un délai de sept ans a été votée, si toutefois une solution d'accueil est trouvée pour ces animaux. Pour les delphinariums, l'échéance est à cinq ans, avec possibilité d'accueil dans des refuges.

L'interdiction de vente en animalerie des chiens et chats en 2024 a été maintenue sur l'insistance de l'Assemblée nationale, mais les ventes d'animaux en refuge seront possibles. Une coopération entre les animaleries et les associations s'engagera afin de favoriser les adoptions.

Sur la stérilisation des chats, une expérimentation de cinq ans sera mise en oeuvre dans le cadre de conventions de gestion. Je salue particulièrement les maires drômois présents en tribune. Je songe à ma commune de Lesches-en-Diois, cinquante habitants, ou à Rochefourchat, qui n'en a qu'un seul.

Je me réjouis de la fin immédiate des élevages de visons.

Au total, les propositions de ce texte amélioreront le bien-être des animaux. Le Sénat et l'Assemblée nationale ont su faire oeuvre commune pour le bien de nos concitoyens. J'en appelle à cette même coconstruction sur le texte relatif à la régulation du foncier agricole. Notre crédibilité en sortirait grandie. (Mme la  présidente de la commission des affaires économiques sourit.)

M. Emmanuel Capus .  - « Le véritable test moral de l'humanité, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. » Milan Kundera avait raison... Si nous ne nous saisissons pas du sujet de la maltraitance animale, personne ne le fera.

Il faut se féliciter de l'accord trouvé par la CMP, qui s'inscrit dans une tendance de fond. C'est un texte d'équilibre.

Près de la moitié de nos concitoyens possèdent un chat ou un chien. Nous ne croyons pas qu'un animal domestique soit un animal maltraité. Le lien avec l'animal fait partie de l'histoire de l'humanité - pour le chien, cela date de plusieurs dizaines de millénaires ! Il ne faut pas y renoncer, mais mieux protéger les animaux, qui ne sont pas les égaux des humains mais des êtres sensibles. Le certificat d'engagement va dans ce sens ; même s'il peut paraître symbolique, il permet de s'assurer que les fondamentaux sont connus.

La vente en ligne d'animaux de compagnie sera interdite, et c'est heureux : les animaux ne sont pas de simples marchandises.

Les animaux en animalerie ne devront pas être visibles depuis la rue, afin d'éviter les achats impulsifs. Je doute toutefois de la pertinence d'une interdiction générale de la vente de chats et de chiens dans ces commerces : il fallait soit considérer que ces professionnels sont compétents - ce que nous croyons - soit interdire la vente de tous les animaux. Une exception est ménagée pour les animaux de refuge, afin d'éviter l'euthanasie -  un échec - pour les 100 000 animaux abandonnés chaque année.

L'État et les collectivités territoriales se coordonneront mieux, grâce à ce texte, pour traiter le problème des chats errants - particulièrement sensible dans le Nord, comme l'a rappelé Jean-Pierre Decool.

Le montant de l'amende pour l'importation d'espèces protégées est porté de 7 500 à 30 000 euros.

Je salue aussi le renforcement des sanctions contre la maltraitance, en particulier quand les faits sont commis en présence de mineurs. Cependant, la réponse pénale n'est pas la panacée, au vu de l'engorgement de la justice, du fait du manque de magistrats. La sensibilisation et l'éducation sont à privilégier.

Enfin, la CMP a décidé l'arrêt progressif des spectacles animaliers : dans cinq ans pour les delphinariums, dans sept ans pour les cirques.

Ce texte, pragmatique, apporte de nombreuses avancées. Malgré quelques regrets, le groupe Les Indépendants votera ce texte.

Mme Marie-Christine Chauvin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il faut rappeler que la protection des animaux n'est pas une préoccupation nouvelle. Dès 1850, la France a puni les mauvais traitements infligés publiquement.

En 2015, les animaux ont été reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité.

Face à l'attente sociétale importante, le texte issu de l'Assemblée nationale n'était pas une loi structurante. Mais son périmètre réduit a permis à notre rapporteure, malgré des délais restreints, de faire une analyse poussée.

Le Sénat a amplifié des mesures qui vont dans le bon sens, évité les effets de bords et cherché à maintenir une place pour les animaux dans notre société. La tentation est en effet grande, pour certains, de vouloir interdire toute détention d'animaux. La relation entre les hommes et les animaux doit pourtant être préservée.

Le Sénat a préféré des mesures opérationnelles, assorties de critères objectifs, pour améliorer les conditions de vie des animaux, par un statut dédié pour les 3 200 associations sans refuge mais actives et nécessaires. Il a autorisé la vente en animalerie à l'exception des chiens et des chats, car une interdiction sèche aurait favorisé un transfert vers des modalités de vente moins vertueuses. Il a encadré la vente en ligne -  la première animalerie de France !

Le Sénat a également aggravé les sanctions contre les maltraitances, les actes de cruauté, le vol d'animaux domestiques pour alimenter le trafic, la zoopornographie et a créé un délit d'atteinte sexuelle sur animal domestique.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

À la demande de la commission, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°44 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 332
Contre     1

Le Sénat a adopté.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - J'ai entendu l'engagement pour le bien-être animal du Gouvernement, qui voit dans ce texte un mouvement historique ; mais il a fait une erreur de méthode. Il aurait fallu un projet de loi, avec un avis du Conseil d'État et un texte travaillé avec les professionnels et non contre eux - je songe notamment aux circassiens, particulièrement malmenés au début de l'examen. Je regrette les propositions de certains, dogmatiques pour être médiatiques, qui n'ont pas fait avancer le débat.

Jamais je n'avais examiné un texte dans de telles conditions...

Je remercie néanmoins les membres de la commission, les sénateurs et les ministres pour la qualité des échanges.

Les circassiens aiment leurs animaux. Je veux les assurer du soutien total du Sénat. Nous serons attentifs à la façon dont la loi sera mise en oeuvre. (Mmes Anne Chain-Larché, rapporteure, et Marie-Christine Chauvin applaudissent.)

La séance est suspendue quelques instants.

Confiance dans l'institution judiciaire(Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire ; et des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique pour la confiance dans l'institution judiciaire.

Discussion générale

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Nous voici réunis pour l'ultime examen de ces textes, au terme d'un chemin long et sinueux - plus proche du rallye corse que de la promenade de santé dans ses dernières semaines. (M. le ministre apprécie la comparaison.) Nous avons cependant abouti et nous en félicitons.

Si 53 % des Français ne font pas confiance à l'institution judiciaire, ils croient en ses professionnels.

Notre Agora de la justice comme le dernier colloque organisé par la Cour de cassation l'ont montré : il faudra une réforme de fond.

Je ne suis toujours pas convaincue que ce texte composite suffise à rétablir la confiance, mais il comporte des avancées dans plusieurs domaines comme l'organisation et la discipline des professions judiciaires, la force exécutoire des accords passés avec les avocats, l'enregistrement et la diffusion des audiences, la réforme des remises de peines et du travail pénitentiaire.

L'avertissement pénal probatoire remplace le rappel à la loi. Les cours criminelles départementales ne seront généralisées qu'au 1er janvier 2023, ce qui répond aux préoccupations du Sénat.

Le texte est le fruit d'intenses échanges. Certes, certaines dispositions, comme sur le secret professionnel des avocats, sont encore mal comprises, mais je fais confiance au talent pédagogique de Philippe Bonnecarrère pour l'expliquer. La pratique, je l'espère, lèvera les dernières réticences. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Monsieur le garde des Sceaux, contrairement à vos dires, vos arguments ne se sont pas heurtés à la muraille du Parlement. (M. le ministre conteste cette interprétation.) Preuve en est l'accord en CMP sur votre projet de réforme.

Ce texte porte sur les remises de peines, les cours départementales et l'organisation déontologique des professions juridiques.

La durée des enquêtes préliminaires sera limitée à deux ans, sauf exceptions liées aux enquêtes internationales. Nous vous avons finalement suivis sur le sujet, mais la bonne application de cette réforme dépendra du nombre d'enquêteurs judiciaires ; elle marque le grand retour du juge d'instruction - sur ce point, vous préemptez quelque peu les termes du débat aux états généraux de la justice, entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire...

La profession d'avocat a eu tendance à s'auto-définir, à s'auto-considérer comme bénéficiaire d'un secret professionnel général et illimité. Cela est vrai pour la défense, mais pas, en droit positif, pour le conseil. (M. le ministre approuve.) La solution trouvée sur ce dernier point me semble équilibrée.

Merci de votre attention et de votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. André Reichardt applaudit également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Après dix mois de travail, je me réjouis de l?accord trouvé en CMP. On sait depuis La Fontaine que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute ; pour ma part, j'aime le bicaméralisme et le second regard qu'il offre. À l'époque où j'étais avocat, c'était celui de la cour d'appel. Mais ne vous enflammez pas : le Sénat n'est pas la cour d'appel de l'Assemblée nationale ! (Sourires)

Ceux qui ont dit que nous nous opposions n'ont pas dit la vérité. Nous sommes tombés d'accord sur le secret professionnel des avocats, qui - Philippe Bonnecarrère a dit vrai - n'est pas absolu s'agissant du conseil, activité commerciale et de service.

Je salue la façon dont nous avons travaillé ensemble pour trouver des solutions.

Bien sûr, un texte ne peut suffire à restaurer la confiance - j'aimerais disposer d'une telle baguette magique ! - mais il y contribuera, notamment par l'enregistrement des audiences qui aidera le public à comprendre comment fonctionne la justice et évitera le « justice bashing ». La justice se fera ainsi mieux connaître, en entrant dans le salon des Français. La publicité est une grande garantie démocratique : dans les dictatures, la justice n'est pas publique.

Il est normal d'enserrer l'enquête préliminaire dans des délais. Elle ne doit pas devenir une enquête éternelle, qui constitue une violation patente des droits de l'homme, en ce qu'elle suspecte un homme pendant deux, trois, quatre ans - parfois plus ! - avec de graves atteintes à la présomption d'innocence. Nous redonnons des lettres de noblesse au jury populaire, qui ne pourra condamner que si une majorité des jurés s'exprime.

J'ai entendu le Sénat sur les cours départementales ; je suis presque convaincu sur la poursuite de l'expérimentation (M. André Reichardt s'en réjouit) car elle a eu lieu pendant la période du Covid. Je n'ai nullement l'intention d'être caporaliste...

Une juridiction nationale sera créée pour les crimes en série. C'est une avancée majeure pour les victimes.

Le rappel à la loi sera supprimé. Vous proposiez un délai de trois ans, je proposais un an ; ce sera finalement deux ans : quelle sagesse ! (Sourires) Il n'impressionnait plus que les honnêtes gens ! La période probatoire sera de deux ans et les violences ne seront pas concernées, non plus que les faits de récidive.

Nous avons encadré l'application des peines dans le sens des droits mais aussi des devoirs. Deux ans de remise de peine automatique, c'était hérétique !

Nous renforçons aussi le travail en prison afin de faciliter la réinsertion. Nous avons réussi à en faire augmenter le taux de 2 %, mais j'espère une hausse massive, car c'est gagnant-gagnant-gagnant pour le détenu, le patron, la société.

La codification des règles pénitentiaires était très attendue, tout comme le développement de la médiation.

Il était anormal qu'un justiciable se plaignant de son huissier, son notaire ou son avocat se voie jugé par ces mêmes gens. Nous avons mis en place l'échevinage en la matière.

Je sais ce que pense le Sénat du secret professionnel des avocats, tant nous avons travaillé - bossé, oserais-je dire - ensemble sur le sujet. Nous avons également réfléchi avec les avocats, qui n'ont pas du tout été exclus. Beaucoup de choses n'ont pas été comprises. Mais personne ne pourra dire que nous avons été les fossoyeurs du secret professionnel. C'est le contraire !

Beaucoup d'avocats nous remercient et comprennent les avancées considérables apportées au secret de la défense comme au secret du conseil, dont nous allons reparler dans quelques instants.

Mme le rapporteur, vous m'avez rappelé à l'humilité : elle ne m'a jamais quitté. Il reste beaucoup de travail pour rétablir la confiance en la justice ; cela ne se fera pas en un texte. Les états généraux évoqueront un grand nombre d'autres voies de modernisation de l'institution judiciaire. Une vision transpartisane des choses est indispensable. Il n'y a pas une justice LREM, LR, ou LFI...

Mme Éliane Assassi.  - Il n'y en a pas ici, des LFI !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je ne vous oublie pas, madame la présidente... (Sourires)

J'ai entendu à de nombreuses reprises que ce texte était un patchwork de mesures. Mais il y a de jolis patchworks. Ce texte est issu des constats divers que j'ai pu dresser au cours de ma longue carrière. J'ai pensé que ces différentes mesures étaient de nature à renforcer, au moins modestement, la confiance des Français dans l'institution judiciaire.

Je suis heureux de présenter aujourd'hui le dernier amendement de fond pour que ce texte entre en vigueur aussi vite que possible. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC, et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Rappel au Règlement

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - Mon rappel au règlement est fondé sur l'article 42 de notre Règlement. Je croyais que nous devions examiner ce matin un texte issu de la CMP. Mais j'ai l'impression d'être devant le journal de 20 heures, où le Président de la République, après nous avoir attirés par le passe sanitaire, fait un panégyrique de son action !

Nous sommes enserrés dans des conditions de discussion draconiennes. Notre groupe ne pourra s'exprimer sur les six amendements, dont un extrêmement important, présentés par le Gouvernement, puisque le vote sera bloqué. Nous dirons, dans les explications de vote sur l'ensemble, ce que nous pensons de ce procédé. La procédure parlementaire est traitée avec légèreté par le Gouvernement.

Ce que ne dit pas le garde des Sceaux, c'est qu'il s'agit d'un texte d'Éric Dupond-Moretti pour Éric Dupond-Moretti. En effet, ses dernières dispositions sur la prise illégale d'intérêt, la limitation des pouvoirs du parquet national financier (PNF), l'encadrement de la procédure lorsque des avocats sont sujets d'investigation, servent directement les intérêts du justiciable Éric Dupond-Moretti ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. le président.  - Acte est donné de ce rappel au Règlement.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Je demande une suspension de séance pour réunir notre commission, afin qu'elle donne son avis sur les amendements que nous allons examiner.

La séance, suspendue à 12 h 5, reprend à 12 h 25.

Confiance dans l'institution judiciaire (Conclusions de la CMP - Suite)

M. le président.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12 du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

En conséquence, le vote sur les amendements et les articles sera réservé.

Nous passons à la présentation des amendements du Gouvernement sur le projet de loi ordinaire avant d'en venir aux explications de vote des groupes.

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 7, deuxième phrase

Remplacer les mots :

de demande d'entraide judiciaire

par les mots :

d'entraide judiciaire internationale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est un amendement de précision rédactionnelle. 

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Avis favorable.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 15 à 17

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. 56-1-2.  - Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué prévues à l'article 56-1 et des droits de la personne perquisitionnée prévus à l'article 56-1-1, le secret professionnel du conseil n'est pas opposable aux mesures d'enquête ou d'instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu'au blanchiment de ces délits sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l'avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions. » ;

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Une longue concertation entre le ministère de la Justice, le Barreau dans sa diversité et les parlementaires a présidé au travail sur le secret professionnel des avocats - que ce soit de la défense ou du conseil.

Le juge des libertés et de la détention (JLD) statuera sur la possibilité de perquisitionner. Autrefois, c'était le procureur ou le juge d'instruction qui décidait seul. Le Barreau demandait ce contrôle du JLD depuis longtemps.

Le recours possible contre la décision du JLD en matière de saisie est lui aussi, désormais, une réalité, devant la chambre de l'instruction.

Nous avons renforcé les garanties pour l'avocat : il faudra des raisons plausibles de soupçonner une implication dans des actes délictueux pour lever le secret.

Enfin, les relations entre le client et l'avocat sont couvertes par le secret avant même l'ouverture d'une procédure pénale : c'est une avancée très significative. La jurisprudence de 2014 avait été âprement contestée par les avocats. J'avais moi-même lorsque j'étais avocat participé à une pétition contre cette jurisprudence, qui avait recueilli plus de 10 000 signatures.

Enfin, les documents saisis chez le client seront soumis aux mêmes règles que ceux saisis chez l'avocat et les fadettes seront assimilées aux écoutes.

Le Barreau a souligné ces avancées dès la présentation du texte en conseil des ministres.

L'Assemblée nationale a élargi le champ du secret professionnel au conseil. Il est désormais consacré dans le code de procédure pénale. Mais ce secret ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle et conventionnelle que le secret de la défense. Le Sénat a proposé trois exceptions - terrorisme, fraude fiscale, corruption et blanchiment. Les Français n'accepteraient pas qu'il en soit autrement.

Le 16 novembre, dans sa décision Sargava contre Estonie, la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il n'était pas interdit d'imposer aux avocats des obligations concernant les relations avec leurs clients, notamment dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques. Nous n'avions pas besoin de cet arrêt pour rappeler ce qu'est le secret du conseil. 

Cet amendement rappelle que le bâtonnier sera bien présent lors des perquisitions. Le Sénat n'avait jamais eu l'intention de l'en écarter, pas davantage que le garde des Sceaux ou les députés... Comme nous sommes des gens délicats, nous considérerons que la précision n'est pas superfétatoire. 

J'ai été particulièrement à l'écoute sur le sujet et j'ai toujours cherché la concertation. J'ai écrit la semaine dernière à l'ensemble des bâtonniers. Beaucoup d'avocats m'ont fait part de leur satisfaction vis-à-vis de ce texte. Je prends acte de la position exprimée par le Conseil national des barreaux, mais je veux, en responsabilité, consacrer avec vous ces avancées majeures.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur.  - Avis favorable. Nous nous sommes longuement exprimés sur le sujet dans cet hémicycle, et nous faisons nôtres les propos du garde des Sceaux.

Un mot sur la procédure parlementaire : le Gouvernement seul peut, après une commission mixte paritaire, déposer des amendements au texte. En l'espèce, peut-on estimer qu'une atteinte est portée à l'usage parlementaire en adoptant un amendement de fond ?

On ne peut pas faire le bonheur des gens contre leur gré, mais il fallait choisir une solution raisonnable. Celle-ci répond à toutes les préoccupations, consacre une avancée et évite toute difficulté ultérieure. Une suppression de l'article 3 aurait représenté une modification substantielle du texte de la CMP. Ce n'est pas le cas.

Je ne crois pas que nous créions là un précédent dangereux pour le Parlement. 

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 33

Remplacer les mots :

lorsque la culpabilité de la personne à la suite d'aveux obtenus par l'usage de la torture

par les mots :

après des aveux recueillis à la suite de violences exercées par les enquêteurs

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est un amendement de précision sur la disposition introduite par le député François Jolivet, sur l'affaire Mis et Thiennot. Le mot de « torture » est trop restrictif : il a été reconnu que Mis et Thiennot avaient fait l'objet de violences et les deux mots n'ont pas le même sens en droit pénal. Je m'adresse en particulier à Mme Bellurot, dont je connais l'investissement sur ce dossier qui concerne son département de l'Indre.

Mme Agnès Canayer, rapporteur.  - Avis favorable.

ARTICLE 10

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 3, première phrase

Après le mot :

taire

insérer les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

II.  -  Alinéa 10

Compléter cet alinéa par les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

III.  -  Alinéa 11

Après le mot :

taire

insérer les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

IV.  -  Alinéa 15

Compléter cet alinéa par les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

V.  -  Alinéa 17

Compléter cet alinéa par les mots :

sur les faits qui lui sont reprochés

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 8, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

; ce délai est fixé à un an en matière contraventionnelle

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Défendu.

ARTICLE 32 B

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 51

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

I bis.  -  À l'article 344-1 du code des douanes, la seconde occurrence des mots : « Parquet européen » est remplacée par les mots : « procureur européen délégué, soit directement, soit ».

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Défendu.

Interventions sur l'ensemble

Mme Éliane Assassi .  - La commission mixte paritaire a donné lieu à un accord. Les divergences de point de vue étaient assez minces.

Ce texte reste épars, composite. Il traite peu de la justice du quotidien qu'est la justice civile, pourtant la plus importante pour les Français. Il aurait fallu commencer par là pour renouer la confiance.

L'ambition affichée est hélas vouée à l'échec, même si je ne le souhaite pas. La durée moyenne d'obtention d'un jugement au civil à Nanterre est d'un an et demi. C'est un dysfonctionnement. Toutes les chambres sont en souffrance. Or la lenteur est le premier reproche que les Français font à la justice, selon le sondage mené par la commission des lois. Il faudra en débattre aux états généraux de la justice. Comment traduire cette préoccupation ?

Le budget de la justice en projet de loi de finances pour 2022 affiche une augmentation, mais c'est toujours le rattrapage d'un retard durable. La France reste l'un des pays européens qui attribuent le moins de moyens par habitant à sa justice.

Le groupe CRCE dénonce une politique gestionnaire, avec la généralisation, en janvier 2023, des cours criminelles départementales, inspirée par le seul objectif comptable après la suppression des petits tribunaux d'instance. Moins de proximité et de collégialité pour une justice au rabais...

En matière de procédure pénale, ce texte ajoute de la complexité. En parallèle, la réforme des remises de peine nous apparaît dangereuse au regard de la surpopulation carcérale, traitée par la seule augmentation du parc - alors que nos voisins se posent les vraies questions, nous nous contentons de restreindre les remises de peine.

Quant à l'amendement gouvernemental à l'article 3, nous nous félicitons de l'accord obtenu entre la Chancellerie et les avocats mais regrettons les conditions d'examen d'une mesure aussi importante.

Ce texte, malgré quelques avancées sur le travail en détention ou les règles déontologiques des professionnels du droit, appartient à l'ancien monde : celui d'une justice manquant cruellement d'ambition, et instrumentalisée à des fins médiatiques et politiciennes.

Le groupe CRCE maintient son rejet de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Dominique Vérien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La justice est au coeur de notre pacte social. L'intention de ce texte, réformer le lien entre les Français et la justice, est louable au vu du délitement croissant de cette institution. L'opinion tranchée, parfois excessive, des Français peut faire du juge le coupable parfait des maux de notre société. Le Sénat est engagé depuis longtemps pour une réforme en profondeur de la justice.

Il est probable que les mesures diverses et inégales de ce texte ne résorberont pas le fossé, mais ne boudons pas notre plaisir d'avoir obtenu un texte de compromis. Les propositions du Sénat, notamment sur le secret professionnel des avocats, y trouvent toute leur place. Sur la durée des enquêtes préliminaires en revanche, elles n'ont pas été retenues. Limiter la durée des procédures générales était néanmoins nécessaire.

Mais, pour maintenir la cadence des enquêtes, il faut des moyens, à commencer par ceux de la police - faute de quoi les classements sans suite se multiplieront, à moins que les ouvertures d'instruction ne déplacent la pression.

L'expérimentation des cours criminelles départementales ira jusqu'à son terme, en 2023. Je le regrette, car cela incite à la requalification des viols en délits, ce qui constitue une double peine pour les victimes. (M. le garde des Sceaux approuve.)

Quant à la prise illégale d'intérêts, il faudra, pour prouver le délit, que l'indépendance ou l'honnêteté de l'élu aient été directement affectées. Le Sénat a montré sur ce point qu'il était bien la chambre des élus locaux.

Ce texte semble être le prélude d'un futur projet de loi issu des états généraux de la justice, lancés en octobre, alors que nos travaux étaient bien avancés. Il faudra le compléter. Toutefois, le groupe UC le votera.

Mme Maryse Carrère .  - Lors de l'examen du texte en septembre, notre groupe demeurait réservé. Le RDSE avait in fine voté contre, dans sa majorité, ou s'était abstenu.

Le dispositif adopté sur la diffusion des audiences manque de précautions : l'exercice de la justice n'est pas voué à devenir un divertissement. Le bureau du juge ou la salle d'audience ne sont pas des décors de cinéma. Si la diffusion des procès peut être une bonne chose, elle réclame la prudence absolue. Une expérimentation aurait été préférable, mais nos amendements en ce sens n'ont pas été retenus.

Nos débats ont aussi conduit à l'adoption de certains amendements clivants, notamment sur les travaux d'intérêt général (TIG). Je suis donc satisfaite de ne pas les trouver dans les conclusions de la CMP.

Les arbitrages opérés, comme la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023, concourent à dissiper le sentiment d'inefficacité et d'impuissance de la justice, mais il reste beaucoup à faire.

Ce texte ne règle pas tout. L'agencement de son calendrier avec celui des états généraux de la justice est porteur d'interrogations.

Enfin, nous entendons les inquiétudes des avocats, mais restons favorables à l'article 3, d'autant que les discussions, prolongées après la CMP, ont conduit à la présentation tardive de nouveaux amendements. Dans ces conditions, pourquoi se détourner de la procédure ordinaire, qui permet à chacun d'exprimer sereinement ses positions ? Pourquoi l'urgence permanente, sans deuxième lecture ?

La majorité du RDSE est favorable au texte, mais restera pleinement vigilante.

Mme Esther Benbassa .  - Selon un sondage IFOP de 2019, 62 % des Français considèrent que la justice fonctionne mal. Seuls 44 % aborderaient avec confiance une confrontation personnelle avec cette institution. Cela s'explique par une méconnaissance de celle-ci. La justice est jugée trop lente ou laxiste.

Si je me réjouis de l'accord trouvé en CMP, je regrette que le texte ne contienne pas davantage d'éléments sur la justice du quotidien. Il aurait notamment fallu simplifier l'accès au droit, intensifier l'aide aux victimes et moderniser l'organisation interne des juridictions.

Je suis favorable à l'article 3. Le secret professionnel de l'avocat doit être absolu : il est la garantie d'un État de droit juste. Si nous l'affaiblissons, que restera-t-il de notre démocratie ?

Je voterai contre ce texte.

M. Jean-Yves Leconte .  - Le groupe SER partage une grande partie des propos du ministre sur le secret professionnel des avocats mais la méthode est nouvelle et problématique. Nous nous substituons quelque peu à la CMP, car d'ordinaire le Gouvernement ne présente que des amendements très techniques à ce stade. Nous voici dans une sorte de trilogue, où le Gouvernement entre dans la CMP. C'est un précédent dangereux, qui ouvre la porte à une possibilité de faire évoluer les équilibres après la CMP. Cela m'inquiète.

Sénateur des Français de l'étranger, je souhaite souligner que notre justice est garante de l'intérêt général ; c'est un service public par excellence. Le problème de confiance vient de ce que la justice française est l'une des plus mal dotées en Europe -  elle arrive en 24position sur 27. Comment avoir, avec nos délais, une réponse pénale adaptée ? Le contrôle de la détention, l'application des peines se heurtent à un manque de moyens.

Le titre de ce texte apparaît bien ambitieux et quelque peu clinquant au regard de l'ampleur des mesures proposées. Tout a été fait à l'envers dans ce quinquennat : une loi de programmation, puis ce texte, et enfin des états généraux.

Quelque 53 % des Français expriment leur défiance vis-à-vis de la justice. L'enjeu de la confiance réside dans les 2 millions d'affaires civiles jugées chaque année. Les 800 000 affaires pénales sont moins sensibles sous cet aspect. Or le texte ne traite pas des affaires civiles, ou si peu.

Filmer les audiences, pourquoi pas, mais l'on risque de faire du citoyen un téléspectateur de la justice, alors qu'il faudrait commencer par enseigner dès l'école les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes.

L'encadrement des enquêtes préliminaires est utile, comme le contrat d'emploi pour les détenus ou l'avertissement pénal probatoire pour remplacer le rappel à la loi.

Mais le groupe SER votera contre ce texte qui n'est pas à la hauteur des ambitions. Un seul de nos 32 amendements a été voté, et nous déplorons l'inflation du recours aux ordonnances. Les prisons risquent l'engorgement, alors que nous accueillons 1 000 détenus de plus chaque mois.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Jean-Yves Leconte.  - Il est temps, enfin, de réformer la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Il est inacceptable que des dispositions législatives d'application immédiate ne soient pas mises en oeuvre parce que l'on attend des circulaires de la Chancellerie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Ces deux textes sont l'aboutissement de plusieurs mois de travaux et de réflexion.

Nous saluons l'accord trouvé en CMP sur un texte d'avancées, qui agit concrètement sur les ressorts de la défiance envers l'institution judiciaire, un texte de confiance - et de sens - pour notre justice et ses justiciables.

Le sens, c'est d'abord la compréhension par le citoyen du fonctionnement de l'institution, grâce à l'enregistrement et à la diffusion des audiences à des fins pédagogiques, avec des garanties qui ont été confortées par nos rapporteurs.

Le sens de la peine sera mieux compris grâce à l'avertissement probatoire qui remplace le rappel à la loi, au mécanisme de réduction de peine fondé sur l'effort, à la création du contrat d'emploi pénitentiaire et à la lutte contre les sorties sèches. C'est aussi la sécurité de la société qui est en jeu.

Le sens de la justice pour chaque justiciable, ce sont les droits de la défense. Le texte réprime plus sévèrement les violations du secret de l'enquête ou de l'instruction, renforce le contradictoire et limite la durée des enquêtes préliminaires.

Un mot enfin sur le secret de l'avocat. Le texte initial portait sur le secret de la défense ; les députés l'ont élargi au secret du conseil. Le texte de la CMP, et plus encore l'amendement du Gouvernement à l'article 3 portent une avancée majeure pour protéger le secret du conseil dans le code de procédure pénale et en préciser la portée.

Seule dérogation : lorsque la procédure porte sur des faits de fraude fiscale, de financement du terrorisme ou de corruption, ou de blanchiment de ces délits. C'est préférable au statu quo.

Le groupe RDPI votera ces textes avec enthousiasme et conviction.

M. Emmanuel Capus .  - Voilà plusieurs années que se succèdent les textes de programmation et de réforme de la justice. Des états généraux sont en cours jusqu'au début du mois prochain. La justice est malade, en effet : les enquêtes d'opinion montrent que la moitié des Français n'ont pas confiance en elle. Or la justice est au coeur du contrat social.

Elle a d'abord besoin de moyens. Reconnaissons que le Gouvernement a consenti un effort budgétaire inédit, qu'il faudra maintenir l'année prochaine.

Nos concitoyens doivent mieux connaître le fonctionnement de leur justice pour mieux la comprendre. D'où l'intérêt de la diffusion audiovisuelle des procès. Mais la justice exige parfois le secret, qu'il s'agisse des audiences, de l'enquête ou de l'instruction.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est sûr.

M. Emmanuel Capus.  - La violation du secret aboutit trop souvent à livrer une réputation en pâture à la vindicte des médias ou de la rue.

Le secret est aussi celui de l'avocat. Celui-ci n'a jamais été absolu, mais je déplore la brèche introduite dans le secret du conseil, tant sa différence avec le secret de la défense est ténue. On affaiblit l'ensemble des droits de la défense en portant atteinte à l'une de ses composantes.

Si le secret est écarté pour certaines activités, comment le justifier pour les autres ? Qui comprendrait le maintien du secret en matière de stupéfiants, de traite ou pourquoi pas d'écocide, quand il est écarté pour les affaires financières ? Déjà, vous avez ajouté le terrorisme aux exceptions. C'est un engrenage inéluctable lorsque la protection des intérêts financiers de l'État est placée au-dessus des libertés publiques. (M. le garde des Sceaux proteste à mi-voix.)

Que les services d'enquêtes puissent consulter les dossiers des avocats est inquiétant, dans un État démocratique.

D'autres dispositions des projets de loi vont dans le bon sens, comme la suppression des réductions de peine automatiques, l'encadrement du délai des enquêtes préliminaires et le travail en détention.

Les membres du groupe Les Indépendants voteront selon leurs convictions, une majorité s'abstiendra.

Mme Nadine Bellurot .  - Le groupe Les Républicains se réjouit du caractère conclusif de la CMP sur des mesures destinées à redonner confiance dans l'institution judiciaire. Il n'y a cependant pas de baguette magique et, reconnaissons-le avec humilité, la tâche est rude.

Les apports du Sénat ont été largement maintenus ; nous nous en félicitons.

Certaines dispositions ont demandé des échanges plus approfondis, notamment le secret professionnel des avocats. Le Sénat proposait de le limiter pour lutter contre la délinquance économique et financière, pour éviter les stratégies de contournement. Nous sommes parvenus en CMP à une nouvelle rédaction qui distingue bien entre un rôle actif et passif de l'avocat dans la fraude. Le Gouvernement l'a retouchée à la marge, sans revenir sur l'équilibre du texte ; cette version nous agrée.

Nous nous félicitons que les députés aient renoncé à prévoir explicitement la présence de l'avocat au cours des perquisitions, et que la participation des avocats honoraires au jugement des crimes soit limitée aux seules cours criminelles départementales.

Nous nous rallions à la généralisation des cours criminelles départementales au 1er janvier 2023, en espérant que le bilan sera aussi encourageant que nous l'assure le garde des Sceaux.

Deux regrets cependant : la suppression de l'article 9 bis A, voté à l'initiative du président Retailleau, qui excluait les peines de travail d'intérêt général en cas de condamnation pour violences ; et la compétence donnée au tribunal judiciaire de Paris, plutôt qu'au tribunal de commerce de Paris, en matière de devoir de vigilance des entreprises.

Je salue la qualité du travail de nos rapporteurs. Une majorité de notre groupe se prononcera en faveur de ce texte.

M. Guy Benarroche .  - Le GEST partage le constat d'une justice incomprise, éloignée des Français, et trop lente pour être efficace. Il serait tentant de la court-circuiter... Ce texte apporte une réponse incomplète à de vrais besoins. Rogner sur les droits de la défense, limiter l'initiative des magistrats enquêteurs, éloigner les justiciables du juge ne peut constituer une solution idoine.

La tenue concomitante des états généraux de la justice et le dépôt tardif des amendements du Gouvernement au texte de la CMP montrent un défaut de concertation.

Vous aurez noté l'audace du ministre de l'Intérieur qui se prévaut d'une baisse des chiffres des cambriolages - largement due aux confinements et aux restrictions liées à la crise sanitaire...

En matière civile, l'accès à un juge ne doit pas être optionnel.

Avec la généralisation des cours criminelles, vous renoncez, sous couvert de simplification, à une justice pénale qui personnalise la peine grâce au jugement par les pairs. C'est un nouveau recul, à l'instar de la correctionnalisation des infractions sexuelles.

Faire plus simple, c'est bien ; faire plus juste, c'est mieux.

Je regrette les lacunes du texte concernant la justice des mineurs et l'exécution des peines : la prison n'est pas toujours la meilleure sanction et elle doit, en tout état de cause, favoriser la réinsertion. Faut-il rappeler les condamnations répétées de la France pour conditions de détention indignes ?

Je comprends le remplacement du rappel à la loi, jugé inefficace, mais cela apporte de l'eau au moulin de ceux qui critiquent le prétendu laxisme de la justice. Il est positif de promouvoir les activités culturelles ou formations universitaires dans le cadre des réductions de peine, mais ces activités ne sont pas accessibles dans beaucoup de prisons.

Oui, le travail en détention mérite d'être développé, mais à condition de respecter le droit du travail.

La possibilité de filmer les audiences est une avancée, mais qui exige d'être encadrée ; je me félicite donc de l'adoption de notre amendement qui permet d'anonymiser les parties.

Cette réforme manque d'une vision globale. Elle tente de répondre à une demande de plus de « fermeté », mais éloigner les citoyens du juge n'améliorera ni la confiance, ni l'efficacité de la justice

C'est pourquoi le GEST votera contre ce texte.

À la demande de la commission des lois, le projet de loi, modifié par les amendements du Gouvernement, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°45 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption 235
Contre   94

Le Sénat a adopté.

Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°46 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 249
Contre   93

Le Sénat a adopté.

La séance est suspendue à 13 h 30.

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

La séance reprend à 15 heures.

Missions d'information et commissions d'enquête (Nominations)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la désignation de membres de deux missions d'information et deux commissions d'enquête.

En application des articles 8 et 8 ter, alinéa 5 du Règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques pour la désignation des membres de la commission d'information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne ? », de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques et de la commission d'enquête créée « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d'évaluer l'impact de cette concentration sur la démocratie » ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

En accord avec le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires, la désignation des membres de la mission d'information sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale écologique du XXIe siècle », aura lieu mardi 23 novembre à 14 h 30, le délai limite pour la remise des listes de candidats étant fixé le même jour à 12 heures.

Nominations à une éventuelle CMP

Mme la présidente.  - Des candidatures pour siéger au sein de l'éventuelle CMP chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances rectificative pour 2021, et au sein de la CMP chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de sociétaires, ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure.

Rappel au Règlement

M. Éric Bocquet .  - Monsieur le ministre des finances, je viens de lire dans Le Monde de ce jour que vous suggérez, dans votre dernier ouvrage, de « limiter les compétences du Sénat en matière budgétaire à des observations et à une approbation finale et non plus à une lecture complète ». (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, Les Républicains et du GEST)

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de ce rappel au Règlement.

Projet de loi de finances pour 2022

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, adopté par l'Assemblée nationale.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance .  - Laissons aux prochaines séances cette discussion sur l'organisation institutionnelle du pays, qui risque d'être longue et houleuse... Il est inutile de rappeler mes convictions gaullistes en la matière. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains)

M. Bruno Retailleau.  - Cela pourrait néanmoins être utile !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nos résultats économiques sont là. Avec 6,25 % de croissance prévus pour 2021, 4 % pour 2022, et une évaluation encore plus optimiste de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui estime notre croissance sur ces deux années à respectivement 6,8 % et 4,2 %, les investissements des entreprises redémarrent et la consommation est forte ; nous avons donc des perspectives de redressement économique dynamiques, et notre pays, par son dynamisme, tire ses partenaires de la zone euro.

Cela résulte des baisses d'impôts que nous avons décidées, et qui incitent à consommer et à investir, de notre plan de relance et de notre plan d'investissement -  il commence à se déployer.

Il subsiste cependant des risques. D'abord, le retour de la pandémie - et j'appelle chacun à sa responsabilité pour éviter que ne se reproduise ce que nous avons connu l'année dernière. Nous étions alors confrontés à des fermetures massives de commerces, à des difficultés pour les artisans, pour les indépendants. Alors que tous les secteurs d'activité redémarrent, que les restaurants embauchent, que les commerces préparent les fêtes de Noël, ne renouons pas avec les contraintes et les restrictions.

Le deuxième risque est la pénurie de main-d'oeuvre et de composants électroniques et de semi-conducteurs. L'ajustement prendra du temps, en particulier sur les semi-conducteurs indispensables à l'automobile et à l'aéronautique. La seule réponse réside dans des investissements de long terme, et c'est ce que nous faisons avec le plan France 2030. La question des semi-conducteurs m'occupe au quotidien.

Enfin, le troisième risque, dont on parle beaucoup, est l'inflation. Notre analyse est qu'elle est temporaire, tirée par les prix de l'énergie. Cette hausse s'inscrit sur plusieurs mois, en raison d'une demande dynamique en Chine, aux États-Unis et en Europe, alors que la réduction de la consommation des énergies fossiles et que la transition énergétique sont plus l'affaire d'années que de semaines.

Il faut également souligner que le modèle américain n'est pas le modèle européen ; les politiques monétaire et budgétaire obéissent à des logiques différentes. Par conséquent, nul risque de contamination en matière d'inflation. Gardons notre sang-froid.

Voilà ce qui nous a incités à apporter deux réponses spécifiques, qui bénéficient en particulier aux ménages les plus modestes. Nous avons gelé le prix du gaz et plafonné la hausse de tarif de l'électricité à 4 % en janvier alors qu'elle aurait dû être de 15 %.La différence sera prise en charge par l'État.

Il convient aussi de modifier en profondeur le marché européen de l'énergie. Nul ne peut accepter que les prix de production modérés de l'électricité en France, grâce à nos choix énergétiques faits depuis les années 1960, soient conditionnés à l'évolution du prix du gaz. Je me bats donc pour la décorrélation du prix du gaz et de celui de l'électricité produite en France - en somme, pour l'indépendance énergétique française. Ne soyons pas tributaires des choix politiques ou économiques de M. Poutine qui livre 40 % du gaz consommé en Europe.

Notre deuxième réponse est l'indemnité inflation versée à chaque personne ayant un revenu inférieur à 2 000 euros ; et je regrette que vous ayez supprimé dans le PLFR une mesure simple et rapide, qui concerne 38 millions de personnes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.  - Nous l'avons remplacée par une mesure plus juste !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Votre proposition exclut les retraités et les indépendants. La majorité rétablira donc l'indemnité en seconde lecture pour les personnes gagnant moins de 2 000 euros par mois (M. Bruno Retailleau s'en désole.)

J'en viens à l'avenir. Je vois trois priorités pour renouer avec la croissance à long terme.

Le premier défi de ce PLF est la réduction du chômage et des inégalités. Nous commençons à le gagner, mais le plus dur est devant nous : un demi-siècle de chômage de masse a fragilisé notre société. Il convient d'abord de réformer l'assurance chômage : un million d'emplois a été créé en cinq ans. Il est légitime d'augmenter le nombre de mois de cotisations avant d'avoir accès à l'indemnisation, et d'imposer le respect des règles. Comme l'a indiqué le Président de la République, il est juste de suspendre l'indemnisation chômage après plusieurs refus d'offres d'emploi.

Il faut aussi développer l'apprentissage - une bataille en passe d'être gagnée. Nous devenons une grande nation d'apprentis, c'est la meilleure voie d'entrée sur le marché du travail. Toutes les entreprises, même les plus petites, jouent le jeu.

Troisième instrument, la formation - d'autant plus nécessaire que nous faisons face à des changements sans précédent depuis un siècle. L'électrique va supplanter le thermique : l'industrie automobile connaît la révolution industrielle la plus importante depuis un siècle. Il faudra accompagner des dizaines de milliers de salariés. Il y a quatre fois moins de pièces métalliques dans un moteur électrique. Les ouvriers qui travaillent dans le secteur de la fonderie devront pouvoir trouver un emploi dans les futures gigafactories d'électrolyse que nous sommes en train d'ouvrir en Normandie ou à Belfort.

Enfin, il faut engager une réforme des retraites, avec un âge légal de départ à la retraite plus tardif tenant compte de l'allongement de la durée de la vie.

Deuxième défi : devenir la première grande économie décarbonée au monde. Cela suppose des investissements supplémentaires dans le nucléaire, notamment dans les réacteurs de nouvelle génération et dans l'hydrogène vert. Cela demande de la constance.

M. Bruno Retailleau.  - Oui, de la constance !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Ainsi, l'aciérie Ascoval est confrontée à une augmentation des prix des matières premières et de l'électricité. Un amendement voté à l'Assemblée nationale prévoit une compensation financière pour les industries particulièrement concernées par cette augmentation du gaz et de l'électricité, comme Ascoval, qui fonctionne avec un four électrique.

Saarstahl devra s'engager sur une commande minimale de rails, pour qu'Ascoval continue à fonctionner dans de bonnes conditions. Une délocalisation est entièrement exclue.

Enfin, le défi des finances publiques : nous avons rétabli la situation entre 2017 et 2019, puis engagé des dépenses massives pour protéger salariés et entreprises. Il était moins coûteux de procéder à cette dépense plutôt que de laisser se développer une crise économique et sociale de masse. La dette aurait été, dans ce dernier scénario, de 126 % et non de 115 % du PIB. Cela dit, la réduction de la dette est un impératif qui passe par la croissance, par les réformes de l'assurance chômage et des retraites et par un budget pluriannuel. (M. Didier Rambaud applaudit.)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué, chargé des comptes publics .  - Dans le contexte macroéconomique que vient de brosser M. le ministre de l'économie, nous proposons un PLF autour de plusieurs priorités.

Premier objectif, tenir les engagements du Président de la République depuis 2017. C'est pourquoi nous revalorisons les crédits des fonctions régaliennes de l'État. L'augmentation de 1,7 milliard d'euros pour la Défense sera maintenue conformément à la loi de programmation militaire, celle de 500 millions pour l'Intérieur également, suite au Beauvau de la sécurité. Nous augmentons, pour la deuxième année consécutive, le budget de la Justice de 8 %. Nous serons ainsi au-delà de la trajectoire définie dans la loi de programmation.

Nous proposons de consacrer des crédits nouveaux à la préparation de l'avenir. Le budget du ministère de l'Éducation nationale augmente de 1,7 milliard d'euros, dont 200 millions consacrés au financement par l'État de la participation obligatoire des employeurs publics à la protection sociale complémentaire. Celui de l'enseignement supérieur augmentera, quant à lui, de 700 millions d'euros pour respecter la loi de programmation sur la recherche mais aussi pour abonder les crédits consacrés à la vie étudiante.

L'enveloppe du ministère des Sports est aussi en croissance.

Le ministère de la Transition écologique disposera de 1,5 milliard de plus fléché vers MaPrimeRénov'.

Les plus fragiles ne sont pas oubliés. Ainsi, nous maintenons 190 000 places d'hébergement d'urgence. La logique de gestion devient annuelle ; 2,7 milliards sont affectés à ce secteur, contre 1,8 milliard en début de quinquennat.

Les crédits de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ont augmenté de 2,4 milliards en cinq ans. Mme Cluzel s'est engagée à un abattement pour les bénéficiaires vivant en couple, soit une revalorisation de 110 euros par mois en moyenne.

Nous poursuivons l'effort contre les discriminations, et pour l'égalité entre les femmes et les hommes, avec 1,1 milliard d'euros de crédits interministériels. Le 3919 bénéficie de 51 millions d'euros, contre 28 millions il y a deux ans.

En matière de solidarité internationale, nous augmentons à nouveau les crédits de l'aide publique au développement (APD) ; 0,55 % du revenu national brut y sera consacré, au-delà de l'engagement du Président de la République de la porter à 0,5 %. C'est l'un des budgets qui auront le plus évolué au cours de ce quinquennat.

Un mot sur les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. La dotation globale de fonctionnement (DGF) est reconduite à hauteur de 26,8 milliards d'euros, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) sont reconduites toutes deux à hauteur de 1 milliard. Cette dernière est revalorisée de 350 millions d'euros pour encourager la signature de contrats de relance et de transition écologique (CRTE) avec les intercommunalités.

Nous proposons également une stabilité fiscale dans les relations entre État et collectivités territoriales. La fiscalité locale a beaucoup évolué, notamment avec la suppression de la taxe d'habitation. Nous avons donc décidé de ne pas inscrire dans ce PLF la réforme de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), pourtant très attendue par les opérateurs. Nous préférons laisser se poursuivre la concertation.

Nous prévoyons aussi des crédits supplémentaires pour le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (Fnadt), à hauteur de 35 millions d'euros ; 47 millions d'euros iront au ministère de la Ville, notamment pour financer 200 cités éducatives, qui ont montré tout leur intérêt.

Ces priorités sont traitées en poursuivant l'extinction de la taxe d'habitation et la réduction de l'impôt sur les sociétés. Nous atteindrons ainsi nos objectifs en matière de fiscalité, avec un taux de prélèvements obligatoires à 43,4 %, soit le niveau de 2010. Nous compensons ainsi les deux chocs fiscaux, celui de 2010 pour les ménages, et celui de 2012 pour les entreprises.

Les réformes, pendant ce temps, se poursuivent avec l'avance immédiate du crédit d'impôt pour les services à la personne.

Nous avons choisi de ne pas inscrire de mesures structurelles dans ce PLF, mais nous simplifions partout où nous le pouvons. La croissance nous permettra de faire face à nos engagements financiers : il ne faut donc pas la freiner.

En matière de normalisation, nous arrivons, avec ce PLF, à la fin du « quoi qu'il en coûte » et à l'extinction des mesures d'urgence. 70 % du plan de relance auront été engagés à la fin 2021. Hors dépenses du plan de relance et des restes à payer pour les mesures d'urgence, les dépenses ordinaires de l'État sont maîtrisées : l'évolution des dépenses publiques se monte à 1 % en volume, signe d'une normalisation des finances publiques.

Nous voulons respecter notre engagement de décrue progressif du déficit public, de 9,1 % en 2020 à 8,2 % en 2021 - grâce à une croissance plus importante que prévu - et moins de 5 % en 2022. Là encore, nous revenons à une situation plus soutenable.

La dette sera elle aussi moins élevée que prévu, à 113,5 % du PIB alors que nous craignions d'atteindre 120 %.

J'ai déjà évoqué un niveau de prélèvements obligatoires à 43,4 %.

Ces indicateurs tiennent compte des pertes de recettes liées au bouclier tarifaire en matière énergétique et de la mise en oeuvre de l'indemnité inflation.

Ce budget permet d'accompagner la relance et de tenir les engagements du président de la République et de la majorité. (M. Didier Rambaud applaudit.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'an passé, le contexte du PLF était celui du reconfinement de la France, en pleine crise épidémique. Cette année, la reprise économique est plus forte que prévu et nous nous préparons à examiner un budget livré en kit. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) l'a déploré. Les principales mesures - France 2030 et le contrat d'engagement jeune - n'y figuraient pas. Elles ont été ajoutées à l'Assemblée nationale.

Il s'agit désormais d'un budget de campagne, avec des mesures hétéroclites : il y en a pour tout le monde, ou presque...

L'exécutif bénéficie d'une croissance dynamique, qui pourrait atteindre 6,8 %. En 2022, le taux de croissance pourrait s'élever à 4,2 %. Cela semble toutefois optimiste, car la croissance de cette année témoigne d'un rattrapage plus que d'une amélioration de nos fondamentaux économiques.

En outre, d'importants aléas pèsent sur la croissance : la consommation pourrait certes être portée par la libération de l'épargne de précaution, mais aussi freinée par l'inflation. Les prévisions du Gouvernement en la matière sont dépassées. Plutôt que les 1,7 % prévus, l'inflation devrait atteindre 2 %. La direction du Trésor et l'Insee alertent d'ailleurs sur les conséquences de la hausse des prix de l'énergie sur la croissance.

Enfin, une reprise épidémique constitue également un risque.

Face à ces divers écueils, le Gouvernement a proposé des mesures au fil de l'eau, en faveur des ménages et des fournisseurs d'électricité. Au regard des finances publiques, cela m'inquiète. Depuis le début de l'épidémie, nous avons donné au Gouvernement les moyens d'agir dans l'urgence. Mais rien n'est aujourd'hui fait en matière de maîtrise des comptes publics, malgré des engagements.

Les dépenses primaires n'ont cessé d'augmenter - 1,2 % en moyenne - tout au long du quinquennat. L'écart devrait atteindre 65 milliards d'euros en 2022. Le solde public atteindrait ainsi 5 % du PIB en 2022 et la dette 113,5 %.

En 2017, nous avions atteint un tel niveau, avant une autre élection...

Les collectivités territoriales, elles, produisent l'effort demandé s'agissant de leurs dépenses : 1,1 % seulement par an depuis 2019.

La stratégie du Gouvernement m'inquiète. La dépense primaire devrait croître de 0,4 % par an seulement de 2022 à 2027. Ce serait inédit, mais avec quels moyens ? Le Gouvernement ne le précise pas... Le budget de 2022 n'amorce pas le processus. Je crois plutôt à une mesure d'affichage. Il n'y a aucune perspective crédible d'assainissement des comptes publics. Il y a pourtant urgence à transformer la promesse en engagement.

Le déficit pour 2021 a été porté à un niveau inédit à 205 milliards d'euros. Pour 2022, ce sera un peu plus de 155 milliards, dont 12 milliards dus aux mesures ajoutées à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement semble considérer ce niveau comme un régime de croisière, mais les émissions nouvelles s'élèvent à 260 milliards d'euros pour la troisième année. Parallèlement, le remboursement de la dette Covid est limité à 1,9 milliard d'euros en 2022, dans une sorte de tour de passe-passe.

Le PLF n'introduit pas de réforme fiscale d'ampleur. De plus en plus de recettes fiscales sont affectées à des tiers - sécurité sociale et collectivités - pour un montant de 335 milliards d'euros, ce qui dépasse le niveau des recettes fiscales revenant à l'État lui-même. Le surcroît de recettes qui pourraient résulter de la croissance ne profiterait donc que partiellement à l'État, ce qui rend le remboursement de la dette de plus en plus difficile.

Les amendements adoptés par l'Assemblée nationale n'ont rien arrangé à ce niveau de dépenses, avec 11,8 milliards d'euros supplémentaires, soit 4,1 % de plus qu'en PLF initiale.

Nous assistons à une véritable dérive des dépenses, dans tous les domaines : 34 milliards d'euros d'autorisation d'engagement pour France 2030, dont 3,5 milliards d'euros dès 2022. Cet amendement augmente les engagements de l'État et instaure une contrainte à la hausse pour les prochaines années.

Enfin, 850 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sont créés dans les ministères, tandis que les apprentis sont sortis du décompte. L'objectif initial d'une réduction de 50 000 emplois publics a été oublié, tandis que la masse salariale continue de croître.

La commission des finances a proposé d'adopter la première partie du PLF, sans entrain et avec peu d'amendements.

Je proposerai une compensation intégrale de la perte de la recette de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aux collectivités territoriales, ainsi qu'un renforcement de la lutte contre les arbitrages de dividendes.

Notre commission a formulé de nombreuses critiques sur les dépenses et a proposé le rejet de plusieurs missions et comptes d'affectation spéciaux.

Ce PLF porte la marque de la prochaine campagne présidentielle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - Nous commençons l'examen du PLF 2022, qui succède à plusieurs semaines de travail approfondi en commission. De multiples auditions ont été conduites, ce qui témoigne de l'engagement de nos rapporteurs. Cela est d'autant plus méritoire que le budget a évolué au gré des arbitrages présidentiels ; ainsi en va-t-il des 34 milliards votés à l'Assemblée nationale pour France relance, décidés un mois et demi après le dépôt du PLF et sans étude d'impact.

Comme dans le Livre de la Jungle, le Gouvernement nous dit « Faites-nous confiance »... (Sourires) Mais les parlementaires ont le droit de consentir librement et de manière éclairée à la contribution publique et c'est faire peu de cas de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Ce budget est marqué par le retour bienvenu de la croissance : 4 % en 2022, après 6,75 % en 2021. Notre PIB va retrouver son niveau de 2019.

Nous devons rester attentifs, consolider notre croissance sans laisser de côté nos concitoyens les plus modestes, frappés par l'inflation. Cependant, l'indemnité inflation reste ponctuelle.

L'inflation atteint 6,2 % aux États-Unis et 4,1 % en zone euro. Nul ne sait quand interviendra la décélération, ce qui pèse sur le pouvoir d'achat des ménages.

La crise a particulièrement touché notre jeunesse, mais le contrat d'engagement jeune (CEJ), qui remplace la garantie jeune, ne concerne que 400 000 jeunes et entrera en vigueur en mars 2022 : cela est insuffisant et tardif.

En 2022, le déficit s'établira à 5 % du PIB - loin de l'objectif de 3 % - et la dette à 113,5 %. Heureusement que nous n'avons pas voté en 2019 la proposition de loi organique MM. Woerth et Saint-Martin sur les règles budgétaires car, dès la première année, vous auriez été hors-jeu, monsieur le ministre !

Le FMI appelle la France au désendettement, avec des réformes ambitieuses sur les retraites, l'assurance chômage et la fonction publique. Ces préconisations ne concernent - hélas ! - que les seules dépenses et n'évoquent pas les recettes. Pendant ce temps, la pression fiscale a reculé de 50 milliards d'euros depuis le début du quinquennat, dont la moitié sur les ménages et l'autre sur les entreprises. Ces baisses d'impôt ont été faites à crédit et ont bénéficié en priorité aux ménages les plus aisés. Les entreprises ont vu leurs impôts s'alléger, sans contreparties.

Récemment, France Stratégie, confirmant les analyses que nous avions faites, a dit ne pas pouvoir démontrer que la suppression de l'ISF avait permis une réorientation de l'épargne vers le financement de l'économie. Nous sommes loin du ruissellement promis !

Enfin, malgré les annonces de l'OCDE, tout reste encore à construire en matière d'imposition des multinationales et notamment des entreprises du numérique, même si la première étape va dans le bon sens.

Pour redresser nos finances publiques, il me semble important de mettre fin au « désarmement fiscal » afin de renforcer l'équité entre les citoyens et entre les générations, et de préparer l'avenir en veillant à ne pas sacrifier les dépenses favorables à la croissance économique, au progrès social et environnemental. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°I-559, présentée par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, de finances pour 2022 (n°162, 2021-2022).

M. Éric Bocquet .  - Nous voici arrivés à l'ouverture de l'examen du PLF pour 2022, soit le dernier budget du quinquennat.

La droite sénatoriale a eu des mots durs à l'égard de ce texte : « Le Gouvernement considère le PLF comme un bout de torchon... La réponse est non : ce n'est pas comme cela que l'on gère la France. » Elle ajoutait : « On peut se poser la question de savoir si ça vaut la peine de perdre trois semaines pour corriger les imperfections d'un budget indécent ».

Notre groupe tentera de l'enrichir lors de la discussion générale.

Je souhaite dresser l'état des lieux de notre pays. Notre société reste profondément fracturée. La suppression de l'impôt sur la fortune (ISF) est un échec politique cuisant. Selon France Stratégie, le ruissellement promis n'a pas eu lieu.

En France, plus on est riche, plus on s'enrichit. Il y a bien eu croissance, mais seulement du patrimoine des 500 plus grandes fortunes de France, qui a crû de 30 % - et même de 45 % pour les cinq premières d'entre elles. L'instauration de la flat tax a entraîné une hausse de 60 % des dividendes distribués entre 2017 et 2018, fortement concentrée de surcroît sur les ménages les plus riches, voire les ultrariches.

Mais quid des plébéiens ? De la France des fins de mois difficiles ? Un Français sur cinq a du mal à joindre les deux bouts ; près de 15 % de la population est pauvre ; un tiers puise dans ses économies pour boucler son budget ; la moitié connaît des difficultés de logement ; 4 millions de ménages - soit 6 millions de personnes - n'ont que les minimas sociaux pour vivre ; 5 millions font appel à la solidarité alimentaire ; deux personnes sur dix, selon la Fondation Abbé Pierre, rencontrent des difficultés à se chauffer ; les dépenses énergétiques des 20 % de ménages les plus modestes représentent 16 % de leur budget - alors que c'est seulement 4,4 % du budget des 20 % de ménages les plus aisés.

Vous vous targuez d'avoir rendu 24 milliards d'euros aux ménages, mais ce sont les plus aisés qui ont davantage bénéficié de la suppression de la taxe d'habitation. Les retraités sont aussi perdants avec la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) et le gel des pensions.

Vous parlez primes et exonérations, mais la vraie réponse c'est une hausse durable et sensible des salaires et des pensions. Car la première préoccupation des Français, c'est le pouvoir d'achat. Pourtant, vous choisissez ce moment pour votre réforme de l'assurance chômage.

L'inflation inquiète les Français. Ils sont 56 % à penser que leur pouvoir d'achat a diminué au cours du quinquennat. Les classes populaires sont insatisfaites, au contraire des plus riches : l'image du président des riches en devient son sparadrap.

Un impôt juste et équitable, un ISF rénové et renforcé, permettrait pourtant de s'attaquer aux inégalités. Avant sa suppression, l'ISF rapportait 5,2 milliards d'euros... À comparer avec les chiffres de ce budget : 2,7 milliards pour l'agriculture, 3 pour la culture, 1,6 pour la jeunesse, 2,4 pour l'outre-mer et 4,9 pour l'aide publique au développement. Ce budget ne propose aucune mesure fiscale nouvelle alors que les besoins sont immenses.

Qui va payer la dette publique ? Votre gouvernement s'apprête à présenter la facture du quoi qu'il en coûte aux Français. Cela a commencé avec l'assurance chômage. Et Emmanuel Macron, président candidat, vient de donner des gages aux libéraux en annonçant la réforme des retraites pour 2022.

Le dogme des réductions drastiques des dépenses publiques est toujours aussi puissant : vous proposez des économies sur la santé, le logement, les aides personnalisées au logement (APL), l'assurance-chômage, etc.

Alors que le scandale des Pandora Papers éclatait, Bruno Le Maire et ses collègues européens acceptaient de retirer les Seychelles de la liste des paradis fiscaux... Que d'ambivalence, alors que les sommes concernées par ces révélations sont vertigineuses !

Votre action s'apparente à du saupoudrage cosmétique. Pourtant, la récente COP26 de Glasgow a montré l'ampleur des moyens financiers à mobiliser !

Ce PLF s'inscrit dans les standards macronistes, avec une baisse des impôts : 5 milliards d'euros pour les plus riches avec la taxe d'habitation et la baisse à 25 % de l'impôt pour les sociétés.

Il convient de rejeter l'ensemble de cette logique budgétaire. Nous ne faisons pas l'école buissonnière : à chacun de s'exprimer sur ce sujet désormais. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - La commission propose de rejeter cette motion. Monsieur Bocquet, un certain nombre de vos observations sont partagées dans ces travées, mais d'autres le sont moins, notamment du côté du groupe Les Républicains.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Éric Bocquet se fait le procureur du quinquennat, j'en serai l'avocat, et j'espère avec plus de finesse et d'honnêteté. (Protestations sur toutes les travées)

Je sais bien que des millions de Français ont du mal à joindre les deux bouts, que le taux de pauvreté reste trop élevé et que nos compatriotes sont inquiets de l'augmentation des prix du gaz et de l'électricité. Cependant, nous avons amélioré les perspectives pour des millions de Français qui ont trouvé un travail. (Mme Laurence Cohen proteste.)

Mme Éliane Assassi. - Les Français ne seraient donc plus inquiets ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous attaquons les inégalités à la racine - par l'éducation et la formation -, tandis que vous voulez tout corriger par l'impôt, alors que les Français ont exprimé un salutaire ras-le-bol fiscal. Si l'impôt faisait le bonheur des gens, nous serions la nation la plus heureuse du monde ! Votre proposition politique a contribué au malheur français depuis des décennies.

Mme Laurence Cohen.  - C'est plutôt votre politique !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous avons pris les problèmes à la racine, en dédoublant les classes des réseaux d'éducation prioritaire (REP), 300 000 enfants sont dans des classes de 12 élèves. Les résultats sont là.

Nous n'avons pas oublié les plus fragiles. L'étude de l'Institut des politiques publiques, que vous avez mentionnée, comporte des oublis. En 2018, nous avons augmenté l'ensemble des minimas sociaux. Certes décidée sous le quinquennat précédent, cette réforme que nous avons mise en oeuvre doit être mise au crédit du Président de la République. Nous avons instauré le remboursement à 100 % des soins optiques et dentaires. Nous avons revalorisé les prestations des plus fragiles.

Notre ligne directrice ? Le travail, le travail, le travail. Nous nous battons sans relâche contre le chômage et pour que chacun retrouve un emploi. Alors que la crise aurait dû créer des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, grâce à nos choix, et aux 35 milliards d'euros pour l'activité partielle, nous avons protégé l'emploi et les Français comme aucune autre majorité.

Et ce travail paie ! La prime d'activité, c'est 10 milliards d'euros par an...

Mme Laurence Cohen.  - Augmentez plutôt les salaires !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Suppression des cotisations patronales, défiscalisation des heures supplémentaires et des pourboires, suppression de la taxe à 20 % sur l'intéressement et la participation : certains candidats de la droite en ont rêvé, nous l'avons fait au cours de ce quinquennat. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Nous croyons au travail qui paye. Nous avons baissé de 26 milliards d'euros les impôts sur les ménages, en particulier pour les plus modestes s'agissant de l'impôt sur le revenu.

Le résultat ? Nous créons de l'emploi et la croissance est de retour. Face à un horizon qui semble parfois bouché, nous sommes sur la bonne voie, celle du travail, qui permet à chacun de trouver sa place dans la société.

C'est la France qui a été à la tête de la coalition qui a décroché 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (FMI) pour les pays en voie de développement : soyons-en fiers.

Nous avons aussi lutté pour une fiscalité internationale plus juste, avec - enfin ! - un impôt minimum et un impôt sur les géants du numérique.

M. Didier Rambaud.  - Nous ne voterons pas cette motion. Malgré tout, j'apprécie votre clarté et votre courage, Monsieur Bocquet : c'est mieux que de travailler pour rien pendant trois jours, puis de fermer le rideau. Nos citoyens et les collectivités territoriales attendent les mesures de ce PLF. Ne renonçons pas à notre responsabilité de législateur ! (Mme Éliane Assassi proteste.)

M. Emmanuel Capus.  - Depuis quinze jours, les couloirs bruissent d'une probable question préalable du groupe Les Républicains. Mais adopter une question préalable, c'est se priver du débat. Les Indépendants y sont donc hostiles.

Mme Éliane Assassi.  - Nous sommes là pour faire de la politique !

M. Emmanuel Capus.  - La crise a été fortement ressentie. Chacun doit donner son avis sur la question. Il y a quelques jours, sur Public Sénat, Mme Assassi se disait hostile à une question préalable du groupe Les Républicains, et aujourd'hui le groupe CRCE en dépose une... Par principe, Les Indépendants ne voteront pas cette motion.

Mme Laurence Cohen.  - C'est toujours mauvais d'agir par principe !

M. Michel Canévet.  - Le groupe UC souhaite débattre des orientations budgétaires de la France. Tant de citoyens attendent des réponses, sur de nombreux sujets comme la décarbonation... Examinons ce budget et ne votons pas cette motion.

Mme Éliane Assassi.  - Mais vous ne voterez pas les dépenses !

M. Jean-Claude Requier.  - Je serais tenté de voter cette motion... Quitte à finir mardi, pourquoi ne pas arrêter maintenant ? (Rires et applaudissements sur toutes les travées) Cependant, nous voterons contre, par principe. (M. Emmanuel Capus approuve.)

La motion n°I-559 est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°47 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 331
Pour l'adoption 15
Contre 316

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre, l'examen du budget de la Nation est une étape essentielle de la vie du pays...

Mme Éliane Assassi.  - Il est déjà parti !

Une voix à droite.  - C'était son record. (Marques d'ironie)

M. Bernard Delcros.  - Ce budget doit ouvrir la voie de la reprise d'après-crise, avec une croissance au service des enjeux environnementaux, de cohésion et de souveraineté.

Avec l'extinction progressive de la mission « Plan d'urgence », on constate une reprise extrêmement dynamique, avec une croissance qui pourrait atteindre 6,8 % en 2021 et 4 % en 2022 et un taux de chômage au plus bas depuis treize ans.

Mais ce soutien de l'État, nécessaire durant la crise, s'est traduit par la dégradation de nos ratios de finances publiques. Nous devons reprendre le contrôle de notre dette publique. Une croissance vertueuse le permettra, ainsi qu'une lutte résolue contre la fraude et l'évasion fiscales. (M. Emmanuel Capus approuve.)

M. Bernard Delcros.  - Nous vous ferons des propositions, notamment en supprimant des niches fiscales comme celle du plan d'épargne retraite qui coûte 3 milliards d'euros chaque année au budget de l'État.

Ce budget marque la dernière étape de la trajectoire de baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, passé de 33 % en 2017 à 25 % en 2022. Dans le même temps, la recette de cet impôt a augmenté de 30 %.

La seule mesure nouvelle fiscale de ce projet de loi de finances, le bouclier tarifaire énergie, préservera le pouvoir d'achat des plus modestes.

Les capacités d'investissement des collectivités territoriales doivent être maintenues. Après une baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de 25 %, puis sa stabilité sur cinq ans, il faut peut-être envisager une indexation sur l'inflation...

Les collectivités territoriales rurales ne sont pas oubliées par ce budget, avec 190 millions d'euros de péréquation supplémentaire, le doublement de la dotation aux communes pour la protection de la biodiversité et la prorogation jusqu'en 2023 des zones de revitalisation rurale (ZRR).

Notre groupe veut examiner ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Jean-Claude Requier .  - L'examen de ce PLF est déjà le dernier d'un quinquennat riche d'événements imprévus. Je me souviens que la loi de programmation des finances publiques prévoyait, pour 2022, un déficit à 0,3 % du PIB et une dette à 91 % du PIB...

Le quinquennat a été jalonné de réformes économiques et sociales : suppression progressive de la taxe d'habitation sur les résidences principales, compensée pour les collectivités territoriales ; transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) ; création de la flat tax ; réduction du taux de l'impôt sur les sociétés : transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en une baisse de cotisations pour la modique somme de 20 milliards d'euros ; et enfin, baisse des impôts de production, qui n'est pas sans conséquence sur les finances locales.

La réduction des effectifs de la fonction publique d'État semble avoir fait long feu, mais les réformes se poursuivent lentement : faire évoluer l'administration est un processus long et complexe.

La fiscalité énergétique représente une part importante des débats de la loi de finances, souvent très technique. Nous relayons chaque année des propositions visant notamment à encourager le développement de carburants alternatifs.

Autre point d'achoppement, l'ajournement de la réforme des retraites. La sécurité sociale connaît de nouveau un fort déficit : des efforts seront nécessaires. Mais une telle réforme ne peut être engagée par un simple amendement au PLFSS.

On note une amélioration de la transparence - mises à part les mesures d'urgence des deux dernières années - : moins de décrets d'avance, limitation du PLFR à un exercice de fin de gestion et modernisation de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), tardive il est vrai.

Je me dois aussi de rappeler la mise en place, consensuelle, du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu.

S'agissant des dépenses, le quinquennat marque un renforcement des budgets régaliens - défense, intérieur, justice -, mais aussi de l'enseignement et de la santé.

Les relations ont parfois pu être rugueuses entre le Gouvernement du nouveau monde et les collectivités territoriales, mais elles se sont améliorées au fil du quinquennat.

Recevabilité financière de l'article 40 et autres règles anti-cavaliers contraignent l'initiative parlementaire.

Nous sommes à nouveau dans un contexte de rebond de la crise épidémique. Toutefois, les dispositifs de soutien issus de plusieurs de nos travées et du Gouvernement ont porté leurs fruits. Le taux de croissance de 6 % sera élevé, mais c'est avant tout un rattrapage.

Je note la hausse de 12 milliards d'euros des dépenses de l'État en 2022, qui atteindraient 495 milliards d'euros. Le déficit budgétaire prévu passerait de 8,2 % du PIB en 2021 à 4,8 % en 2022 et la dette publique de 115,6 % du PIB à 114 %. Les recettes fiscales augmenteraient de 13 milliards d'euros, pour s'établir à 292 milliards d'euros. Il s'agit d'une normalisation progressive de nos finances publiques, même si le recours à la dépense publique reste encore très fort.

Le RDSE formulera des propositions, avec notre traditionnel amendement « Caillaux » sur l'impôt citoyen, mais aussi des amendements de soutien aux maires, aux associations et à l'agriculture, ainsi qu'un amendement sur la taxation des grandes entreprises du numérique.

Rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement », je défends une politique de coopération avec les pays du Sud et de rayonnement de la France.

Je note aussi la reprise de la dette ferroviaire à hauteur de 10 milliards d'euros, l'expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) dans certains départements, le soutien aux professionnels indépendants et la réforme du régime de responsabilité des comptables publics.

Alors que les citoyens sont bientôt appelés à voter, je rappelle l'attachement de mon groupe à la plénitude du débat parlementaire, dans le respect des mandats qui nous sont confiés. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Comme l'an dernier, nous entamons l'examen du PLF dans un contexte incertain. Oui, l'économie reprend, mais l'épidémie aussi, avec ses possibles conséquences budgétaires. Comme l'an dernier, sachons donc être prudents avec les prévisions.

C'est aussi le dernier budget du quinquennat, et par conséquent l'occasion de revenir sur son bilan. Il s'est ouvert par la suppression de l'ISF et ne cesse, depuis, de privilégier les plus riches et les entreprises : flat tax, baisse des impôts de production, inconditionnalité des aides aux entreprises, hausse de la CSG, prolongement de la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), abandon de la politique du logement et baisse des aides personnelles au logement (APL) - la ministre Emmanuelle Wargon s'est même félicitée de l'économie de 1,1 milliard d'euros ainsi réalisée...

La finalité est toujours la même : les catégories populaires, la classe moyenne et les générations futures paieront la facture, alors que les plus riches et les entreprises sont préservées, pour des raisons idéologiques.

Le Gouvernement ne se remet pas en question : sa politique économique et fiscale reste douce avec les riches et dure avec ceux qui sont en difficulté, comme le montre la réforme de l'assurance chômage, sans même parler de la réforme des retraites. Méfions-nous des contradictions de l'exécutif : double discours ou navigation à vue ?

Le groupe SER n'a jamais cru au ruissellement, inefficace et de nature à renforcer les inégalités : les entreprises n'ont pas investi davantage malgré la suppression de l'ISF et de la flat tax. Les premiers de cordée ne sont pas naturellement partageux avec les premiers de corvée.

Il n'y a pas de politique de redistribution, et la différence entre la droite du Sénat et le Gouvernement relève de l'épaisseur du trait. Bruno Le Maire a bien dit que le Gouvernement avait fait ce dont la droite rêvait...

Certes, certaines mesures vont dans le bon sens, ne soyons pas sectaires. Mais nous sommes en profond désaccord sur les grandes orientations.

Et que dire de la méthode ? Le plan France 2030 et ses 34 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ont été introduits par amendement à l'Assemblée nationale. Ce nouveau plan est d'ailleurs symptomatique de l'insuffisance du plan de relance. Comme l'a dit la députée Christine Pires Beaune, ces nouvelles autorisations d'engagement représentent 7 % du budget total. Et les parlementaires ne sont pas les seuls à s'en offusquer : pour la première fois, le HCFP a refusé d'émettre un avis sur le volet dépenses. Ce n'est ni sérieux ni respectueux du Parlement.

La période de précampagne n'y est pas pour rien, et personne n'est dupe : il s'agit davantage de saupoudrage et de communication que de réelle volonté de résoudre les problèmes. Le budget à trous de septembre devient électoraliste en novembre.

Pourtant le SER souhaite en débattre complètement, recettes comme dépenses. Si nous n'avons pas voté la question préalable, pourquoi ne discuterions-nous pas ce PLF en entier ? (M. Emmanuel Capus approuve)

M. Rémi Féraud.  - Enfin, sur le pouvoir d'achat, sa hausse est à nuancer. C'est d'ailleurs ce qu'a fait l'Institut des politiques publiques cette semaine, alors que Bruno Le Maire conteste toutes les expertises indépendantes. Les économistes de l'Institut ont simulé l'effet des mesures du quinquennat sur le niveau de vie des ménages. Mais contrairement à la Direction générale du Trésor qui travaille sur des déciles, ils ont utilisé des centiles, et le résultat est sans appel : le niveau de vie des Français augmente très légèrement, et baisse pour les 5 % les plus modestes, qui perdent 0,5 % de pouvoir d'achat alors que les plus riches gagnent 3 %.

C'est cela le fil conducteur du Gouvernement : des inégalités qui croissent, sans dynamiser la croissance. Le groupe SER ne peut se reconnaître dans ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Rambaud .  - Ce cinquième PLF est inédit : dernier du quinquennat, il est surtout celui des promesses tenues, de la sortie de la crise et de l'avenir de la France par la relance. Il est également sincère et cohérent. (M. Claude Raynal, président de la commission, rit.)

Il traduit les engagements pris par le Président de la République en 2017 : tout faire pour la compétitivité, tout faire pour le pouvoir d'achat. Les baisses d'impôts, historiques, dépassent les 50 milliards d'euros par an, le niveau de prélèvements obligatoires, à 43,5 %, atteint son niveau le plus bas depuis 2011.

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Et la dette qui va avec !

M. Didier Rambaud.  - Hausse du pouvoir d'achat de 8 % : encore une promesse tenue !

Le PLF pour 2022 achève la grande réforme fiscale du quinquennat : finalisation de la baisse de l'impôt sur les sociétés à 25 % et la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales qui bénéficiera à 100 % des Français en 2022. Depuis 2017, la majorité présidentielle associe la parole aux actes.

Ce budget est aussi prudent : le quoi qu'il en coûte a été efficace et a limité les conséquences de la crise. (M. Claude Raynal, président de la commission, approuve.) L'OCDE confirme que la reprise passera par la mise en oeuvre de France Relance et de France 2030.

Notre économie rebondit : croissance à 6,25 % et taux de chômage à son niveau d'avant-crise. Le pays a connu 2,5 millions d'embauches entre juillet et septembre : une première depuis vingt ans, face à un virus qui a déjoué les pronostics.

L'État a été au rendez-vous, avec des dispositifs ciblés et flexibles : il a engagé 35 milliards d'euros au titre de l'activité partielle ; le fonds de solidarité a bénéficié à deux millions d'entreprises, des TPE-PME à 99 % ; les prêts garantis par l'État (PGE) ont été octroyés à pas moins de 685 000 entreprises. Au total, 80 milliards d'euros engagés entre  2020 et 2022 auront permis la reprise.

Le déficit public sera divisé par deux en 2022, à 5 %. Mais il ne faut pas arrêter brutalement les dispositifs de soutien et laisser les entreprises face à un mur de dette ! C'est pourquoi la date limite d'octroi des prêts garantis par l'État a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2022.

Ce budget est à la croisée des chemins entre sortie de l'urgence et préparation de l'avenir. Il faut tracer le chemin pour dix ans, avec la transition écologique, avec 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour le ministère de l'environnement. L'indépendance de la France dans les filières d'avenir - hydrogène, aéronautique, biomédicaments - est renforcée avec France 2030.

L'engagement pour les missions régaliennes est tenu : 1,7 milliard d'euros pour l'armée, 1,5 milliard d'euros pour l'Intérieur, et +8 % pour la Justice, pour la deuxième année consécutive ; en particulier, l'aide juridictionnelle a été revalorisée de 30 % depuis 2016.

Relancer la France ne pourra se faire qu'avec les collectivités territoriales, dont les finances ont été préservées par l'État. Toutes les collectivités territoriales voient leurs recettes de fonctionnement augmenter : + 2,6 % pour les communes, + 4 % pour les départements, grâce aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), + 2,6 % pour les régions, grâce à la TVA. Je m'étonne, dans ces conditions, que le rapporteur général persiste à défendre la compensation des pertes de recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), alors que le Gouvernement s'est engagé sur une préservation globale des recettes. Que l'on ne vienne pas me parler d'annonces électorales...

Mais les collectivités territoriales ont besoin d'un soutien fort et durable : les dotations de fonctionnement restent stables pour la cinquième année consécutive ; la recentralisation du RSA aidera les départements qui le souhaitent à se concentrer sur l'insertion ; en 2022, le soutien à l'investissement atteint le niveau record de 2,3 milliards d'euros ; une nouvelle péréquation concertée avec les régions va voir le jour. Les concours financiers de l'État progressent de 525 millions d'euros en un an.

Les collectivités territoriales vont mieux qu'en 2017 : leur investissement, leur épargne brute et leur trésorerie s'améliorent.

C'est un budget pour l'avenir des territoires. Le plan de relance prévoit 1,2 milliard d'euros pour l'emploi ou les infrastructures de transport.

Enfin, la jeunesse doit retrouver sa liberté : le Pass'sport gagne 100 millions d'euros et le plan sport est financé à hauteur de 200 millions d'euros afin de moderniser 5 000 équipements sportifs de proximité. Mesure phare de ce budget, le contrat d'engagement jeune prévu sera doté de 550 millions d'euros, au bénéfice de 400 000 jeunes. Il ne s'agit pas d'un RSA jeunes : c'est un véritable contrat, avec des droits et des devoirs.

Budget « électoraliste », « insincère », « incohérent » : que n'a-t-on entendu ?

Ce budget n'est pas insincère : certes incomplet à sa présentation à l'Assemblée nationale, il méritait d'être complété. Le HCFP a reconnu que ce terme était inapproprié.

Ce budget est complet, sincère et cohérent. Ce n'est pas un chéquier pour la campagne. Peut-on à la fois parler de « cagnotte » sur le dos des Français et de dépenses incontrôlées qui « brûlent la caisse » ? Je vous mets au défi de supprimer la revalorisation des bourses, de l'aide juridictionnelle, ou les mesures issues du Ségur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et les fermetures de lits d'hôpitaux ?

M. Didier Rambaud.  - Et cette année, Île-de-France Mobilités va bénéficier d'un secours de 800 millions d'euros.

Peut-être nos détracteurs manquent-ils de créativité ?

Ce budget, avec le bouclier tarifaire de 5 milliards d'euros, protège les Français. Pour l'avenir de notre pays, le groupe RDPI soutiendra ce PLF avec détermination.

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Il y a deux méthodes pour analyser le dernier budget d'un quinquennat : à l'aune de celui qui s'ouvre ou de celui qui se termine. Dans le premier cas, c'est une rampe de lancement pour les élections. Rien n'y est sincère, les positions des uns et des autres ont plus à voir avec la tactique qu'avec les finances publiques.

Avec la deuxième méthode, ce budget est un bilan de l'action gouvernementale.

Je crains que nous ne cédions cette année aux sirènes de la première méthode, même si je m'efforcerai de l'éviter.

On dit ce PLF insincère et incomplet. Insincère parce qu'il répondrait à des objectifs électoraux, incomplet parce qu'il a été augmenté de nombreuses mesures au gré des annonces de l'exécutif. Cela est un avantage pour le Sénat, par rapport à l'Assemblée nationale : il pourra au moins débattre d'un texte complet...

Quoi qu'il en soit, il y a des incertitudes, nourries par beaucoup de mesures intégrées par amendement. J'espère que nos débats les lèveront : le Parlement - dont le vote du budget est une des principales prérogatives - est en droit de connaître exactement ce qu'il va voter.

Rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi » avec ma collègue Sophie Taillé-Polian, j'ai travaillé sur le contrat d'engagement jeune. Il renforce la garantie jeune en ciblant les publics les plus éloignés du marché de l'emploi ; il peut aussi simplifier le panel des solutions proposées aux jeunes, donnant davantage de visibilité aux acteurs de terrain. Mais le Sénat reste attaché au rôle des missions locales ; or la lente incubation du dispositif dans les arcanes de Bercy, avant son envoi brutal dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, n'a pas contribué à éclairer le débat. J'espère que nous y remédierons.

Insincérité du budget ? Nos débats devraient lever les doutes sur certaines interrogations légitimes. Ce budget, certes, se place sous le signe d'une grande incertitude qui touche l'Europe et le monde, mais il ne me semble pas insincère. D'une part, la reprise est forte, ce qui valide la stratégie de soutien aux entreprises et aux ménages. Le taux de chômage est au plus bas depuis quinze ans, la croissance supérieure à 6 % - un taux qui rappelle les Trente Glorieuses. Cependant, l'inflation inquiète jusqu'en Allemagne et l'épidémie menace à nouveau.

Cette instabilité chronique fait que les indicateurs conjoncturels ne sont valables que quelques mois, sinon quelques semaines. Il faut désormais combiner tactique et stratégie, urgence du présent et préparation de l'avenir.

Nous n'avons pas dévié du chemin tracé depuis 2018 : la baisse des prélèvements obligatoires reste massive, pour les ménages avec la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu et la suppression de la taxe d'habitation ; pour les entreprises avec la reprise de la trajectoire de baisse des impôts de production. Nous évitons ainsi les délocalisations futures. Cela fait dire à certains, à gauche, que c'est un budget de droite...

Pourtant la France valorise mieux le travail, tout en protégeant nos concitoyens en cas de coup dur. Il y a là de quoi rassurer tous les gaullistes sociaux.

M. Roger Karoutchi.  - N'exagérons rien !

M. Emmanuel Capus.  - De plus, ce texte est favorable aux artisans, aux libéraux, à tous ceux qui ont une certaine idée de l'autonomie et du travail. Ils ont tenu bon pendant la crise. Le groupe Les Indépendants a déposé des amendements pour qu'ils ne soient pas les grands oubliés de la reprise. La justice fiscale doit nous amener à mieux rémunérer le travail.

La commission des finances portera un important amendement pour la compensation des pertes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pour les collectivités territoriales, qui ne doivent pas être traitées différemment des entreprises et des ménages. Nous le soutiendrons. Cet amendement, monsieur le rapporteur général, mériterait à lui seul l'adoption de la première partie... (M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances, sourit.)

Côté dépenses, ce budget poursuit une ligne claire : renforcer l'État dans ses missions régaliennes, à travers une augmentation des budgets de la police notamment. La commission ne s'y est pas trompée, qui a adopté chacun des budgets de ces missions. Mais il faudra également, sans tarder, remettre de l'ordre dans nos finances publiques. (Mme Sylvie Vermeillet et M. Michel Canévet applaudissent.)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.) Il est temps de faire le bilan du quinquennat.

Le candidat Emmanuel Macron avait mis en avant quatre objectifs en matière de finances publiques : moins un point de prélèvements obligatoires, moins deux points de déficit public, moins trois points de dépenses publiques, moins cinq points de dette publique.

Qu'en est-il ? La baisse affichée de 30 milliards de dépenses publiques en 2022 n'est due qu'à l'extension des mesures de soutien et à la diminution des crédits de la relance. La hausse des dépenses publiques, hors mesures de soutien et de relance, continue : plus 19 milliards d'euros en 2020, plus 48 milliards en 2021, plus 32 milliards en 2022. (Marques d'approbation à droite) Toutes les réformes les plus ambitieuses du quinquennat en matière d'économies ont été abandonnées - réforme de retraites ou diminution du nombre de fonctionnaires - et cela avant même la survenance de la crise.

Dépenser n'est pas réformer ! Depuis 2015, la France est championne des dépenses publiques de l'OCDE. Le « quoi qu'il en coûte » continue, même après la crise. Des chèques en bois sont signés pour toutes les catégories de population, obérant la capacité du prochain président à redresser les comptes publics. Mais personne n'est dupe !

La crise a dégradé nos finances et mis en lumière nos faiblesses : la France demeure le pays le plus fiscalisé des pays développés. Le prolongement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) - au moins - jusqu'en 2033, c'est 136 milliards d'euros de plus sur le prochain quinquennat. Notre déficit public en période de crise est bien supérieur à la moyenne de nos voisins européens : cinq points de plus que l'Allemagne en 2020 et deux points de plus que la moyenne de la zone euro. C'est parce qu'il était déjà le pire en la matière, avec la Roumanie, des 27 membres de l'Union en 2018, tandis que les deux tiers d'entre eux étaient en excédent, grâce à leurs réformes structurelles - l'âge moyen de départ en retraite en Europe est de 65 ans.

Notre déficit commercial est sans doute le meilleur indicateur de nos faiblesses : en septembre 2021, l'Allemagne a déjà un excédent cumulé de 146 milliards d'euros. Derrière, très loin derrière la Grèce et la Roumanie, qui ont un déficit de 17 milliards d'euros, la France est à moins 76 milliards d'euros !

Conséquence de ces déséquilibres, notre dette est beaucoup plus élevée. Comme l'a dit le Gouverneur de la Banque de France, notre problème n'est pas la dette Covid : nous sommes entrés dans la crise avec une dette à près de 100 % du PIB ; l'Allemagne, elle, était à 60 %.

Ce quinquennat aura été un échec : la France, autrefois moteur de l'Europe avec l'Allemagne, est aujourd'hui un frein au redressement de l'économie européenne. Nous sommes au 22e rang européen pour le chômage et les déficits publics, au 23e pour la dette, au dernier pour le déficit commercial, les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires !

M. Vincent Segouin.  - Mais tout va bien !

Mme Christine Lavarde.  - La transition écologique était présentée en 2017 par Macron comme « le défi du XXIe siècle ». Elle est toujours une priorité - sur le papier.

S'agissant de chaleur renouvelable, nous devrions être à 7 térawattheures selon la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ; nous n'en sommes qu'à 4. S'agissant de la performance énergétique des bâtiments, malgré MaPrimeRénov', l'objectif de réduction de 15 % de la précarité énergétique est loin d'être atteint. Il faut dire que les 49 dispositifs existants dans ce domaine n'aident pas à la lisibilité... Le bonus écologique pour l'acquisition de véhicules lourds propres est inopérant : quatre poids lourds et sept bus ont ainsi été acquis pour 320 000 euros sur un total de 100 millions d'euros crédités.

Le tribunal administratif de Paris a imposé à l'État de réparer ses carences dans la lutte contre le changement climatique. Les objectifs de la stratégie bas carbone sont atteints - à 15 millions de tonnes d'équivalent CO2 près...

Le Conseil d'État ordonne au Gouvernement d'agir pour réduire drastiquement l'utilisation des pesticides dans les sites Natura 2000.

Ce texte ne respecte ni le Parlement, ni les Français, que vous prenez pour des imbéciles, espérant que les chèques et les cadeaux emporteront leur vote ! Cela ne va pas dans le sens de l'émancipation par le travail... Ils savent bien que l'argent magique n'existe pas.

Vous inquiétez les milieux économiques : Geoffroy Roux de Bézieux a ainsi qualifié l'indemnité inflation de dangereuse, car elle pourrait instiller l'idée que l'inflation serait systématiquement compensée.

Le Parlement est méprisé, les réponses aux questionnaires budgétaires ayant été défaillantes, particulièrement pour la mission « Justice ». Certaines missions affichent un taux de réponse d'à peine 15 %. Cela nuit à la qualité de notre travail.

Certaines pratiques dérogatoires au principe d'universalité budgétaire sont peu compatibles avec l'autorisation parlementaire. Ainsi, Santé Publique France, qui échappe au contrôle parlementaire, a-t-elle été intégrée au programme 204, mais sans le moindre détail sur les fonds de concours qui représentent pourtant plus du triple que les crédits inscrits au budget. Ce PLF, comme celui de 2021, ne remet pas en cause cette architecture.

Le texte présenté au conseil des ministres comptait 20 % d'articles en moins que son prédécesseur, mais il a grossi de 95 articles à l'Assemblée nationale, avec une vingtaine de niches fiscales créées ou élargies sans chiffrage. Ce sont néanmoins les 148 amendements que le Gouvernement a fait adopter qui posent le plus de problèmes : ils ne sont pas de simples corrections, mais des ajouts importants sans expertise du Conseil d'État ni évaluation préalable. La défiscalisation des pourboires en est le meilleur exemple.

Ces mesures nouvelles n'ont rien à voir avec la crise ; elles n'ont pour objet que d'honorer les engagements d'un Président de la République non-candidat, mais en campagne. Quelque 11,8 milliards d'euros de dépenses ont été ajoutés à l'Assemblée nationale ; qu'en sera-t-il pour le Sénat, alors que les annonces se poursuivent ? Certaines promesses, notamment aux personnes âgées en perte d'autonomie, le développement du ferroviaire, le remboursement des consultations chez le psychologue, l'élargissement du Pass'Sport n'ont pas de traduction budgétaire ; 80 amendements représentent à eux seuls près de 7 % du budget de l'État et l'amendement portant les crédits de France 2030 est le plus cher de la Ve République. Même le rapporteur général à l'Assemblée nationale a reconnu qu'on pouvait avoir des choses à redire sur la forme...

Pour simplifier, le plan France 2030 a été intégré dans la mission « Investissements d'avenir », mais la Cour des comptes, dans un référé, a fortement critiqué la gouvernance de ce programme, déplorant le trop faible contrôle interne. Seuls 50 % des crédits des différents programmes d'investissements d'avenir (PIA) ont été déboursés à ce jour. Voyez, à cet égard, les analyses du président de l'Observatoire français des conjonctures économiques, Xavier Ragot. Autant dire que les députés ont voté 34 milliards d'euros les yeux fermés...

La ventilation des crédits n'a pas été précisée dans le fameux amendement à 34 milliards. Il s'agit, lit-on, d'une « première ébauche ». Le Président de la République, lui, n'a pas manqué d'annoncer cette semaine à Béziers 1,9 milliard d'euros supplémentaires pour l'hydrogène...

Il y a aussi tout ce qui ne reçoit pas de réponse dans ce texte. Le ministre de l'économie - qui a dû quitter l'hémicycle - a qualifié la fiscalité verte de défi politique. Les taxes sont responsables de la moitié du prix du plein d'essence, de 30 % du prix final du gaz, de 34 % du prix final de l'électricité - contre 26 % en 2010. Le Gouvernement fait valoir une hausse conjoncturelle des prix de l'énergie, mais tout est aligné pour que les prix continuent à augmenter. Une partie du prix du mégawattheure est, en effet, indexée sur le prix du gaz. La France a besoin de mesures pérennes et structurelles pour conserver son indépendance ; or le soutien au nucléaire et à l'hydrogène relève pour le moment de l'effet d'annonce.

Sur 600 millions d'euros qui devaient être consacrés à la production d'hydrogène décarboné, 534 millions ont été annulés en projet de loi de finances rectificative. Lors des trois premiers trimestres de 2021, 4 millions d'euros de crédits ont été décaissés sur un plan hydrogène de 100 millions. Le plan de relance consacre seulement 200 millions d'euros à la filière nucléaire et France 2030 un milliard d'ici 2030.

Deuxième défi, la fiscalité locale. Les effets de la suppression de la taxe d'habitation constituent une véritable bombe à retardement pour des mécanismes de péréquation déjà obsolètes. Les élus anticipent un tour de vis sur les dotations de l'État face au mur de la dette. Privés de toute visibilité, les collectivités ne disposent plus des conditions de leur libre administration.

La dette passe de 115 à 114 % du PIB par un tour de passe-passe. La chute de 1,6 point résulte uniquement d'opérations de trésorerie : vous avez sur-émis des obligations lors de l'exercice précédent pour présenter ce résultat. La soutenabilité de la dette représente une véritable difficulté. Un mauvais alignement des planètes pourrait conduire notre pays à la catastrophe...

Ni le PLFR examiné hier, ni ce PLF ne suivent la voie du redressement.

Le groupe Les Républicains, refusant la facilité et la démagogie, ne votera pas ce texte, par respect pour les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson.  - Bravo !

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Ce PLF arrive dans un contexte que nous espérons tous être un contexte de sortie de crise, mais il ne masque pas les besoins sociaux et environnementaux non résolus.

La crise sanitaire, c'est plus de pauvreté et de précarité. D'après une récente étude, elle serait stable, à 15 %, mais l'échantillon exclut les étudiants, les sans domicile fixe, les personnes travaillant dans le secteur informel. La pauvreté réelle a probablement augmenté : 20 % des Français ont froid chez eux l'hiver, autant déclarent sauter certains repas. Les conclusions du rapport du Secours catholique sont alarmantes.

La crise sanitaire a aggravé les inégalités : moins 2 milliards d'épargne pour les 20 % les plus pauvres, plus 25 milliards pour les 10 % les plus riches. Votre politique fiscale n'a fait qu'amplifier cette évolution. Les classes moyennes, elles, sont touchées par le retrait des services publics.

Votre plan de relance est un plan de subventions aux entreprises, sans conditionnalité. Au-delà, leurs taux de marge atteignent un record historique : plus 35 % en 2021.

Cependant, les entreprises n'investissent pas davantage : elles rachètent plutôt leurs actions : 51 milliards d'euros cette année ! Oui, le chômage baisse, mais surtout au profit du travail instable. Les catégories B et C augmentent, elles, de 3,3 % et 9,5 %. C'est donc une vaste supercherie destinée à nourrir le discours de culpabilisation des chômeurs, qui, lui-même, sert à justifier la baisse des dépenses publiques pour financer les baisses d'impôts pour les entreprises et les plus riches. C'est injuste, c'est brutal, c'est contre-productif. Dire qu'il faut lutter contre l'optimisation de leurs droits par les chômeurs est totalement inique : l'optimisation fiscale des riches, elle, ne vous choque pas !

Les mesures environnementales sont insuffisantes, pour lutter contre la sécheresse, les canicules ou les inondations. En juillet, le Conseil d'État a fixé un ultimatum au Gouvernement pour qu'il applique l'accord de Paris. Le budget vert est inopérant ; il classe le nucléaire dans les énergies non polluantes, ce qui est un non-sens.

Pendant ce temps, la France perd chaque année 17 milliards d'euros d'impôt sur les sociétés ; la fraude et l'optimisation fiscales ne cessent pas, et vous laissez faire en réduisant les effectifs dans les services de contrôle fiscal.

Emmanuel Macron est décidément le président des riches.

Après avoir supprimé l'ISF, vous aviez promis de revoir votre copie si c'était inefficace ; chacun en convient désormais. Nous vous proposerons donc un nouvel ISF, mieux construit.

Ce PLF ne répond pas aux enjeux sociaux et environnementaux, malgré la féerie de Noël des nouvelles annonces qui se succèdent. Ces largesses sont financées par l'austérité de demain : vous avez écrit à la Commission européenne que vous vous engagiez à revenir à l'objectif de 3 % grâce à une réduction des dépenses, par une trajectoire que les plus sectaires de l'austérité budgétaire n'ont jamais réussi à suivre.

L'angoisse climatique se développe chez les jeunes. Il faut une politique ambitieuse dans leur direction. À cet égard, le contrat engagement jeune est insuffisant pour répondre à l'urgence. Il aurait fallu ouvrir le RSA aux moins de 25 ans et offrir des perspectives aux étudiants à la recherche d'un master. Nos jeunes sont broyés par Parcoursup, sans égard pour leurs rêves. Ce budget n'est pas fait pour cette jeunesse, qui espérait mieux que les concours d'anecdotes. Votre budget insulte l'avenir.

M. Pascal Savoldelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Notre question préalable n'était pas une fermeture au débat mais un appel à un vote de sanction contre un budget discriminant. Nous ferons la démonstration de l'échec du quinquennat. Quels sont les progrès sociaux, quelles sont les réussites ?

La dette a été alourdie de vingt points, les recettes ont reculé de 52 milliards d'euros, les chômeurs sont 17 000 de plus, les plus riches ont touché 3 518 euros de plus, les modestes 35 euros de moins, le solde de la balance commerciale est négatif de 60 milliards d'euros. L'éloge des absents se fait sans flatterie : une fois de plus, Bruno Le Maire a tort : les indicateurs économiques ne sont pas bons.

Vous creusez le fossé des inégalités et ouvrez la voie à un paradis... fiscal.

Demain, votre bilan sera votre fardeau.

Les salariés sauront que vous les avez privés de leurs droits à travers les accords de branche. La suppression de l'ISF et de l'exit tax n'a eu aucun résultat. Vous avez entrepris un démantèlement de l'habitat social, en contraignant à la vente à la découpe toutes les communes, y compris les carencées en logement social !

La prime Macron, qui n'a été touchée que par 6,2 millions des salariés, est plus proche de 400 que de 1 000 euros. Encore une fois: raté ! Alors vous avez ressorti les vieilles recettes : la défiscalisation des heures supplémentaires. La hausse de la CSG a touché « les petites retraites trop importantes », de votre propre aveu. Le chèque énergie signe l'incapacité de ce Gouvernement.

La loi Pacte, en mai 2019, organise le démantèlement de l'État actionnaire : après la Française des jeux, aux profits colossaux, vous avez ouvert la voie pour Engie ou La Poste, jusqu'à l'heureux échec de la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP). Cela a sûrement sauvé la SNCF et EDF.

La taxe Gafam rapporte bien peu au regard des bénéfices des entreprises concernées.

Votre chemin est jonché de travailleurs pauvres - de Français qui ne constatent aucun progrès social significatif pendant ce quinquennat. Nous partageons leur avis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) Merci de votre présence constante et attentive, monsieur le ministre. L'année 2022 devrait être celle de la sortie de crise. Le choc du Covid a été absorbé par les finances publiques, au prix de la dette. Mais dans un an, la dérogation généralisée au pacte de stabilité prendra fin. Nous atteignons la limite en la matière. Heureusement, la charge de la dette reste faible. La priorité doit désormais être donnée à la vertu, avant la hausse des taux d'intérêt.

L'UC portera une parole de responsabilité budgétaire. Nous défendrons des mesures d'assainissement de nos finances publiques, par des recettes supplémentaires et moins de dépenses.

Nous proposerons une transformation de l'IFI en impôt sur la fortune improductive, incluant le patrimoine luxueux polluant.

Il faut également mobiliser les 267 milliards d'euros d'épargne Covid. En consommant un cinquième seulement de cette manne, le PIB augmenterait de deux points supplémentaires. Cette épargne peut investir aussi bien et même mieux que l'État. Cela bénéficie aussi à notre souveraineté.

L'objectif d'exécuter 60 milliards d'euros sur les 100 milliards d'euros du plan France relance doit être tenu.

Mais face à l'inflation et à la pénurie de main-d'oeuvre, ne faut-il pas retarder le lancement de France 2030 ? À force de milliards, nous courons le risque de la surchauffe. Il serait préférable de mieux consommer les crédits d'investissements existants.

Je porterai un amendement pour sécuriser l'avenir de la filière bois, fragilisée par la hausse du prix des matières premières.

Enfin, il faut renforcer la lutte contre la fraude fiscale et sociale en donnant les moyens d'agir aux services concernés.

Le Sénat doit être force de proposition pour améliorer le soutien aux collectivités territoriales. La grande majorité des membres de notre groupe souhaite examiner ce budget dans son intégralité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Mieux vaut un raccommodage qu'un trou. Cette maxime illustre bien ce PLF. Après cinq ans au Château, il est bien question de raccommodage ; mais les raccommodages n'empêchent pas, en l'espèce, les trous.

Le quinquennat a connu plusieurs périodes : l'application du programme néolibéral, la crise des gilets jaunes, la pandémie. Seule la première période, celle du libéralisme sauvage, a été choisie ; les deux autres ont été subies : le « maître des horloges » n'a eu aucune maîtrise sur elles...

Les très riches sont les grands gagnants des choix fiscaux du Gouvernement : selon une évaluation de l'Institut des politiques publiques entre 2017 et 2022, les mesures sociales et fiscales ont fait augmenter de 2,8 % le niveau de vie du 1 % des Français les plus aisés. Dans le même temps, le niveau de vie du 1 % les plus pauvres a baissé de 0,7 %. De toute évidence, la boussole politique du Gouvernement indique comme Nord les premiers de cordée. Même Joe Biden ne croit pas au ruissellement, mais l'important est que le Président de la République y croie pour se conforter dans ses positions.

Dès votre arrivée, vous avez supprimé 5 euros d'APL pour les plus modestes.

France Stratégie n'arrive pas à trouver un lien entre votre politique fiscale et les investissements. Dire le contraire relève au mieux de la naïveté, au pire du mensonge.

Le PLF pour 2022, comme le PLFSS, ne comporte rien en matière de recettes, sauf la poursuite de la baisse de l'impôt sur les sociétés et de la taxe d'habitation. Je m'oppose aux compléments de salaires défiscalisés, que vous proposez par exemple pour la restauration, en défiscalisant les pourboires payés par carte bancaire. En contrepartie, les salaires fixes stagnent, alors qu'ils ouvrent le droit aux prestations chômage et de retraite. Chacun a droit à des salaires garantis.

Seuls 47 milliards d'euros sur les 100 milliards d'euros du plan de relance ont été dépensés. Vous financez, sous couvert de verdissement, le tournant technologique de l'industrie. Cela peut s'entendre pour maintenir la production en France. Mais le concept de capitalisme vert relève de l'oxymore : les entreprises veulent maximiser leurs profits, en aucun cas améliorer le bien-être social. Les mesures préconisées par la Convention citoyenne pour le climat ont été oubliées.

Il manque une réflexion sur l'évolution à long terme de l'économie française. Au contraire, le secteur énergétique est abandonné à la concurrence, sous la pression de Bruxelles.

Je crains un effet d'aubaine s'agissant de la prime applicable aux travaux de rénovation.

Vous vous faites les chantres du pouvoir d'achat, à tort. Les Français ne s'y trompent pas : 60 % d'entre eux estiment qu'il a baissé.

Les mesures intégrées à l'Assemblée nationale, comme votre dispendieux amendement à 34 milliards d'euros, traduisent des annonces électoralistes, parfois irréalistes et ridicules. Votre fausse générosité ne masquera pas le bilan de votre quinquennat. Les Français en seront juges dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons tous le sentiment d'être acteurs d'un mauvais scénario.

Bien sûr, nous saluons le retour de la croissance et de la création d'emploi. Mais la défiance demeure, les Français sont lucides. Ils savent qu'il faudra un jour régler l'addition : l'argent magique n'existe pas.

Face à la hausse du prix des matières premières, le chèque inflation ne représente pas grand-chose.

Les promesses de 2017 ne sont pas tenues, comme la diminution de 120 000 postes de fonctionnaires, dont 70 000 dans les collectivités territoriales - en passant, quelle ingérence ! Votre bilan rime avec néant.

Les collectivités territoriales ont respecté le contrat de Cahors, alors que cela s'apparente presque à un chantage à la dotation. Pourquoi l'État ne s'est-il pas imposé le même régime ?

En mars, Jean Arthuis a préconisé une norme de dépense pluriannuelle contrôlée par une instance indépendante. Le Premier ministre a semblé trouver l'idée intéressante. Qu'en est-il de sa réflexion ?

Les annonces sont quasi quotidiennes, ce qui rend difficile l'examen de ce texte et limite la lisibilité à long terme.

Nous saluons les mesures relatives au transport, au numérique et à la transition écologique, mais à quel prix ?

Nous sommes inquiets quant à la capacité du Gouvernement à inverser une trajectoire financière qui nous conduira à un endettement à 128 % du PIB à dix ans sans réforme majeure, selon Jean Arthuis. L'année 2022 sera déterminante pour la France dans le concert des nations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Céline Brulin .  - Le Gouvernement se félicite d'avoir stabilisé les dotations aux collectivités territoriales depuis 2017. Mais cela ne résiste pas à l'analyse de ce PLF. La défiance entre les élus locaux et le Président de la République n'a jamais été aussi grande. Les conclusions du Congrès des maires n'y feront rien : les élus se sentent méprisés, isolés, abandonnés.

Les communes ont perdu un impôt historique - la taxe d'habitation - et la moitié des impôts de production. Les départements, après les régions, leur dernier pouvoir de taux.

Les compensations sont incompréhensibles pour beaucoup, à l'image du coefficient correcteur. Le lien décisif entre les citoyens et les collectivités territoriales se distend car l'on n'y comprend plus rien. La libre administration est mise à mal par la recentralisation, sans rimer avec la présence de l'État sur les territoires : plus de 500 trésoreries ont été supprimées depuis 2013. L'État est de plus en plus tatillon et technocrate et le recul des services publics se répercute sur les collectivités.

L'efficacité économique n'est pas au rendez-vous. Les plus grandes entreprises bénéficient le plus de la baisse des impôts de production alors qu'elles en ont le moins besoin, avec un gain moyen de 9 millions d'euros, contre 940 euros seulement pour les très petites entreprises (TPE).

Vous poursuivez les fusions de collectivités, malgré le mécontentement que les intercommunalités et les régions XXL suscitent. Vous renforcez la concurrence entre collectivités. La DGF a diminué pour la moitié des communes en 2021. Nous défendons sa revalorisation, en nous basant sur les montants de 2013 ajustés de l'inflation.

Nous proposons que la hausse des dotations de solidarité rurale (DSR) et urbaine (DSU) ne se fasse pas au détriment de celles qui n'en bénéficient pas.

Nous regrettons aussi que les plus petites communes ne profitent pas des appels à projet, n'ayant pas les moyens techniques et juridiques de concourir.

Le soutien aux collectivités est sans commune mesure avec le soutien aux entreprises privées, alors que les collectivités sont en première ligne. La clause de sauvegarde devait apporter 750 millions d'euros à environ 12 000 communes. Seules 3 618 d'entre elles seront concernées et 177 millions d'euros mobilisés.

Les collectivités prennent part à la relance ; elles doivent être soutenues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du RDSE)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce dernier budget du quinquennat doit-il être examiné, y compris son volet dépenses ? Chiche, monsieur Féraud. Monsieur Savoldelli, heureusement que nous n'avons pas voté la motion opposant la question préalable, sinon nous n'aurions pas entendu vos observations - que le groupe UC ne partage pas totalement.

Le prélèvement à la source et le prélèvement forfaitaire unique ont simplifié la vie des ménages. Beaucoup reste à faire. L'IFI doit être aménagé, comme la fiscalité sur les successions.

Concernant les entreprises, nous apprécions la trajectoire fiscale de l'impôt sur les sociétés, comme Bernard Delcros l'a évoqué. Nous demeurons préoccupés par le montant des impôts de production. En outre, les élus locaux doivent conserver une autonomie financière malgré la fin de la taxe d'habitation. La nécessaire baisse des impôts de production ne doit pas pénaliser les collectivités.

Il reste un certain nombre de défis à relever, comme l'orientation de l'épargne vers l'économie. Les ressources thésaurisées doivent permettre d'investir. Nous aurons des propositions. Nous voulons une plus grande lisibilité des programmes d'investissement, et que leur mise en oeuvre se fasse avec les organisations professionnelles.

J'en viens au pouvoir d'achat. La notion de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), introduite par la loi Pacte, inclut la participation des salariés et leur intéressement. À l'heure où 36 % de nos concitoyens ont du mal à boucler leurs fins de mois, des ajustements sont nécessaires.

Au-delà des recettes, une bonne maîtrise des dépenses est essentielle, pour notre santé économique et pour réduire la dette.

Ce PLF affirme une ambition maritime : en tant que breton, je m'en félicite. Préservons l'activité halieutique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, et du RDSE)

M. Vincent Segouin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En décembre 2018, rappelez-vous la gravité de la situation lorsque nous avons voté 10 milliards d'euros pour la lutte contre les gilets jaunes... Quelle angoisse !

M. Albéric De Montgolfier.  - Je m'en souviens !

M. Vincent Segouin.  - La dette a augmenté de 600 milliards d'euros depuis ! Et tout n'est pas imputable au Covid, selon vos propres chiffres, monsieur le ministre. Hors crise, la dette a augmenté de 300 milliards d'euros. C'est trente fois l'enveloppe accordée après les gilets jaunes ! Le quoi qu'il en coûte atteint 115 % du PIB.

Je ne vois pas la logique du plan de relance quand il finance une entreprise indienne s'installant sur un marché très concurrentiel, mettant en péril notre industrie. Le tout, sans assurance de résultats. Il fallait juste consommer les budgets.

En 2020, l'Allemagne n'était qu'à 4,7 % de déficit contre 9,1 % pour la France. Au sommet de la crise, elle a une dette de 68,7 % de son PIB contre 115 % pour la France.

Le quoi qu'il en coûte est une facilité de recours à la dette. La France emprunte facilement, selon le Gouvernement. Mais la crise a créé une fracture : aucune étude sérieuse ni concertation avec le Parlement n'a eu lieu pour savoir comment rembourser la dette. Cette gestion est irresponsable.

Le Gouvernement a la dépense facile et met sa gestion calamiteuse sur le dos du Covid. C'est insupportable.

J'avais une question pour M. le ministre de l'économie...

Plusieurs voix sur les travées du groupe Les Républicains.  - Il est parti !

M. Vincent Segouin.  - Comment peut-il assumer une telle politique alors qu'il avait déclaré en 2017 que, depuis vingt ou trente ans, la France était droguée à la dépense publique ? La France est toujours championne de la dépense publique aujourd'hui. Et regardez notre balance commerciale par rapport à l'Allemagne : nous sommes en déficit de 95 milliards d'euros, contre 188 milliards d'excédent pour l'Allemagne.

Vous laissez entendre que la gestion de l'État ne peut se comparer à celle d'un ménage, mais pourquoi l'Allemagne ne suit-elle pas cette théorie ?

Les taux sont faibles, dites-vous... Mais c'est parce que les Français ont une épargne importante. La France emprunte avec la garantie de cette épargne. Mais si vous prélevez dessus - vous en avez les outils avec la loi Sapin 2 - la confiance sera perdue, nous le savons, et le mécontentement autrement plus grave qu'au moment des gilets jaunes.

La dette serait remboursée par la croissance. J'ai interrogé le ministre de l'économie et des finances pour savoir s'il prévoyait une croissance supérieure à 1,5 % dès 2024, niveau même pas suffisant pour la rembourser. Je n'ai pas de réponse à mes questions.

Vous préférerez augmenter les recettes plutôt que réduire les dépenses et réformer un système obèse. Vous avez baissé les impôts ? Avec un taux de dépenses de 57 % et de prélèvements à 43,5 %, nous sommes bien au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro.

Une dette ne doit être contractée que pour investir pour les générations futures. Notre dette est là pour rembourser : elle est toxique. Le Français qui compte tous les jours ne comprend pas que l'argent soit sans valeur. Les dépenses ne sont pas maîtrisées, les services publics se dégradent, la justice est lente, les forces de l'ordre s'épuisent, l'immigration augmente sans contrôle, l'hôpital public est au bord de l'effondrement alors qu'il compte presque autant de personnel administratif que soignants, le chômage des jeunes ne diminue pas, la balance commerciale se dégrade. Nous en sommes à 45 000 euros de dette publique par tête.

Si les taux augmentent, nous ne pourrons plus rembourser la dette et ses intérêts seront supérieurs au budget de la Défense. Vous allez vers l'abîme. Nous ne cautionnerons pas ce budget ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Dussopt, ministre délégué .  - Trois points ressortent de ces interventions, deux qui préfigurent nos débats à venir et un troisième qui est un point de méthode.

D'abord, le pouvoir d'achat fait l'objet de différences d'appréciation entre les études et le ressenti. Je suis surpris que nombre d'entre vous semblent privilégier ce dernier. Tenons-nous en aux statistiques fiables de l'Insee, ne menons pas de débats météorologiques.

Ensuite, les engagements sont tenus. Concernant les collectivités territoriales, le Président de la République s'est engagé au maintien de la DGF, tout comme à la compensation de la perte de la taxe d'habitation. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement que je lui ai proposé pour compléter cette compensation, notamment en cas de hausse liée à une injonction de la chambre régionale des comptes.

Notre choix, pour ce PLF, est celui de la stabilité du potentiel fiscal et du panier de ressources. Je ne reviendrai pas ici sur des débats très complexes comme la réforme des critères d'attribution de la DGF.

En matière de méthode, le Sénat ne partage pas les idées du Gouvernement. Je respecte les différences.

Notre trajectoire est celle de la normalisation, madame Lavarde, de la baisse du poids des dépenses publiques et du taux de prélèvements obligatoires. Nous devons revenir aux 3 %, non pas par fétichisme, mais parce que c'est à partir de 3,2 % que l'on inverse la trajectoire du poids de la dette par rapport au PIB, ce qui permettrait de réduire la dette à partir de 2025 ou 2026.

Enfin, sur la méthode : nous courons le risque de l'injonction contradictoire, normale lorsque différentes propositions émanent de groupes différents, mais plus préoccupante quand elle existe au sein d'un même groupe. En discussion générale, certains regrettent une consolidation lente des dépenses publiques puis proposent des dépenses supplémentaires. Le Gouvernement n'est pas exempt de telles injonctions contradictoires, je peux donc me permettre cette remarque. Dans tous les cas, évitons-les, par souci d'efficacité de nos débats.

Je vous remercie tous pour cette discussion générale.

La discussion générale est close.

Article liminaire adopté.

La séance est suspendue quelques instants.

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Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du vendredi 19 novembre 2021

Séance publique

À 16 heures et le soir

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président, M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : M. Victor Jasmin - M. Jacques Grosperrin

. Projet de loi de finances, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 (n°162, 2021-2022)

=> Examen des articles de la première partie (suite)