SÉANCE

du mardi 19 juillet 2022

4e séance de la session extraordinaire 2021-2022

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté.

Éloge funèbre d'Olivier Léonhardt

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la ministre.) C'est avec une profonde tristesse que nous avons appris, le 2 février dernier, la disparition de notre collègue Olivier Léonhardt, sénateur de l'Essonne. Il venait tout juste d'avoir 58 ans. Il nous a quittés à l'issue d'un combat acharné contre la maladie, long de plusieurs années, qu'il a mené avec courage et détermination.

J'étais présent à la belle cérémonie d'hommage organisée le 10 février à Sainte-Geneviève-des-Bois, à laquelle ont assisté de nombreuses personnalités politiques et beaucoup d'habitants de Sainte-Geneviève et de l'Essonne. Au cours d'une intervention particulièrement émouvante, Mme la Présidente Laurence Rossignol y a relaté, de manière personnelle et pudique, trente-cinq années d'amitié indéfectible avec Olivier Léonhardt. Le Président Jean-Claude Requier a évoqué très justement les valeurs humanistes, laïques et républicaines qu'Olivier Léonhardt avait en partage avec le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).

La passion de l'engagement politique a sans cesse guidé la vie d'Olivier Léonhardt. C'était pour lui une manière de servir un idéal au bénéfice de l'intérêt général de ses concitoyens.

Il était né le 29 janvier 1964 à Suresnes, dans une famille juive laïque. Ses grands-parents avaient été victimes du nazisme. Ce drame familial est sans doute la racine très profonde du combat permanent contre le racisme et l'antisémitisme qui fut le sien et qu'il est bon de rappeler à cet instant.

À l'âge de 20 ans, il fut, en 1984, l'un des cofondateurs de SOS Racisme, aux côtés de Malek Boutih, d'Harlem Désir et de Julien Dray.

Olivier Léonhardt s'était également engagé dans la vie militante en participant au Mouvement des Jeunes Socialistes, dès le début des années 1980, à la veille de l'élection de François Mitterrand, lorsqu'il était encore lycéen au lycée Turgot, puis comme étudiant à la faculté de Tolbiac. Des amitiés qui se sont poursuivies bien au-delà de la faculté...

Son engagement militant au sein de la gauche socialiste se poursuivit par la découverte du Parlement lorsqu'en 1991 il suivit à l'Assemblée nationale, comme attaché parlementaire, Julien Dray, devenu député de l'Essonne.

Élu conseiller municipal de Sainte-Geneviève-des-Bois en 1995, Olivier Léonhardt en devint maire adjoint, puis maire en 2001. Il s'investit à fond dans ce qu'il considérait être le plus beau des mandats et fut réélu maire à deux reprises, en 2008 et 2014, preuve d'un réel attachement des Génovéfains à son égard. Il ne renoncera à sa mairie qu'en 2017, après son élection au Sénat, pour se mettre en conformité avec la législation sur le cumul des mandats.

Comme l'a signalé Laurence Rossignol, il s'est révélé et épanoui dans la fonction de maire, avec une « passion pour l'intérêt général », « l'amour de sa ville », et aussi le « dévouement total pour nos concitoyens, dans tous les moments qui ponctuent leur quotidien ». Beaucoup d'entre nous qui ont connu ce rôle de maire savent ce que cela signifie.

En seize ans de mandat, il transforma sa ville, il la façonna à son image faite d'humanisme et de fraternité.

Défenseur acharné de son territoire au sein de la grande couronne de l'Île-de-France, Olivier Léonhardt avait compris que l'intercommunalité pouvait apporter une dimension supplémentaire à l'action publique. Il a bataillé pour empêcher la constitution d'une intercommunalité géante de 800 000 habitants. Il a présidé à partir de 2008 une structure intercommunale de taille plus humaine, la communauté d'agglomération du Val d'Orge, renommée en 2016 « Coeur d'Essonne agglomération ». Il y oeuvra pour le développement d'activités économiques et culturelles - et d'emplois de proximité. Toujours et partout, il appliquait le principe de Jean Jaurès : « Partir du réel pour aller vers l'idéal ».

En septembre 2017, Olivier Léonhardt fit son entrée au Sénat. Il voyait dans le mandat parlementaire une occasion de prolonger ses combats locaux, notamment celui en faveur des départements de la grande couronne. L'élu des Yvelines que je suis n'est pas totalement indifférent à ce sujet...

Olivier Léonhardt adhéra au groupe du RDSE et devint membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qu'il fit bénéficier de sa bonne connaissance des dossiers concernant les transports.

Il s'investit notamment dans les travaux sur le projet de loi d'orientation des mobilités. Le développement des mobilités était en effet l'un de ses chevaux de bataille, avec une attention particulière portée aux problématiques de desserte de proximité et de désenclavement géographique, comme moyen de réduire les inégalités territoriales.

En 2020, il rejoignit la commission des affaires sociales. J'ai le souvenir précis d'un entretien avec lui au sujet de l'égalité d'accès à la santé, qui était pour lui essentielle.

Son état de santé ne lui permettait malheureusement pas toujours de participer autant qu'il l'aurait souhaité aux travaux du Sénat, mais il tenait à venir siéger parmi nous dès qu'il le pouvait.

Son combat en faveur des Kurdes a fait vibrer notre hémicycle. Le 27 mars 2018, il déclarait à l'occasion d'une question d'actualité : « Protéger les Kurdes, c'est défendre nos valeurs, c'est lutter contre le terrorisme, par conséquent c'est aussi nous protéger nous-mêmes ». Ce sujet est encore d'actualité.

Dans la continuité de son action locale, il était aussi resté, encore et toujours, un inlassable défenseur de la laïcité. Lors d'un débat, le 8 janvier 2020, Olivier Léonhardt s'exprimait en ces termes : « La laïcité, ce n'est pas un règlement, ce n'est pas une loi, ce n'est pas un point d'équilibre ni une manière sympathique de vivre ensemble, c'est la protection de tous les individus face à la tentation d'une norme philosophique ou religieuse promulguée hors de la démocratie ».

Représentant le Sénat au sein de l'Observatoire de la laïcité à partir de février 2019, il s'impliqua fortement dans la défense des valeurs républicaines.

Olivier Léonhardt a toujours eu pour ses concitoyens et ses administrés un exceptionnel dévouement. Je songe à l'attention permanente qu'il portait à chacun, mais aussi à la pudeur personnelle et à l'élégance morale de celui qui a toujours préféré une certaine discrétion à l'ostentation.

Il était une référence d'engagement et d'altruisme. Il savait aussi rassembler, fédérer autour de lui des personnalités venues d'horizons divers, au service des actions qu'il entreprenait et des valeurs qu'il défendait - quitte à être parfois clivant...

Nous garderons d'Olivier Léonhardt le souvenir d'un sénateur chaleureux, d'un élu de proximité profondément attaché à l'Essonne et à Sainte-Geneviève-des-Bois, d'un humaniste doté d'une culture étendue et d'une grande curiosité intellectuelle, d'un homme d'une grande droiture.

À ses anciens collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires sociales, à ses amis du groupe du RDSE, j'exprime les sentiments que nous éprouvons.

À ses parents, Nelly et Gilbert, à son épouse, Nathalie, à ses filles, Lucie, Laura et Ariane, à son frère Frédéric, à sa famille, à ses proches, à ses amis, ainsi qu'à toutes celles et tous ceux qui l'ont accompagné tout au long de sa vie et ont partagé ses engagements, je souhaite redire, en ce moment de recueillement, la part que le Sénat prend à leur deuil. Votre peine est aussi la nôtre. Il est resté parmi nous trop peu de temps. Nul au Sénat n'est indifférent au message d'Olivier Léonhardt.

Il est encore parmi nous.

Mme Isabelle Rome, ministre déléguée, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.  - Il y a des discours que l'on prononce avec plus de gravité que d'autres, des hommages qui nous plongent dans les combats que charrie notre histoire contemporaine. Pour Olivier Léonhardt, l'engagement au service des autres était inné et coulait dans ses veines.

Cette volonté de changer la vie des autres s'enracine dès 1980 : encore élève au lycée Turgot, il adhère au Parti socialiste. Il s'arrime quelques années plus tard à un syndicat rocardien et le militant voit le jour. Cette flamme ne s'éteindra jamais ; elle jaillit à la faveur de l'aventure SOS Racisme. Avec ses compagnons de lutte et de route, Harlem Désir et Julien Dray, il défend la liberté, l'égalité, la fraternité. Il se bat pour suturer les plaies d'une société désunie, pour faire d'une France plurielle une République unie. Ses combats contre le racisme, contre l'antisémitisme, contre la xénophobie et les communautarismes furent les combats de sa vie. Il fut un infatigable défenseur de l'universalisme républicain.

Viscéralement attaché à son mandat de maire de Sainte-Geneviève-des-Bois depuis 2001, il y voyait un sacerdoce républicain. Il ne comptait pas ses heures, ne ménageait pas son énergie au service de ses administrés. Seize années durant, son dévouement fut total. Il a embrassé toutes les joies et peines qui font le quotidien des maires de France. Les Génovéfains peuvent en témoigner.

L'action politique n'était pas pour lui de l'égotisme mais un idéal adolescent qu'il n'eut de cesse de rendre concret. Il a ainsi milité pour désenclaver son territoire en améliorant la desserte du RER C, pour le faire revivre à travers le projet d'aménagement de la base 217, ou encore pour promouvoir la laïcité, partout et tout le temps.

Il a défendu aussi les populations kurdes, car selon lui, comme pour Stepan dans Les Justes, « La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la Terre ».

La vision d'Olivier Léonhardt pour le Val d'Orge et pour notre pays se traduisait systématiquement en actes. Il avait fait sienne la maxime de Bergson : « Agir en homme de pensée et penser en homme d'action ».

Olivier Léonhardt a rejoint les bancs du Sénat en 2017. Cela n'a nullement émoussé l'intensité de ses engagements, au contraire. Il s'est notamment investi sur la loi d'orientation des mobilités et sur l'accès à la santé. Changer la vie, encore et toujours.

Il était à la proue du combat pour la défense de l'universalisme. Monsieur le président, vous l'aviez nommé à l'Observatoire de la laïcité.

Ces combats, Olivier Léonhardt les a menés de front avec un autre, plus intime, celui contre la maladie, avec pudeur et dignité.

Humaniste, Olivier Léonhardt n'a cessé de choisir le camp des plus fragiles, des opprimés, des invisibles.

Homme de gauche, il n'a cessé de s'opposer au malheur du monde, car il ne supportait ni l'inégalité, ni l'injustice, ni l'intolérance. Pour reprendre les mots d'Albert Camus dans son discours de Stockholm, il ne cherchait pas à se mettre « au service de ceux qui font l'histoire » mais « au service de ceux qui la subissent ». Et comme pour l'écrivain, « une épée de Damoclès surplombait tout : les êtres humains ne sont jugés que sur leurs actes. »

J'ai une pensée pour sa famille et pour ses amis. Sachez qu'il laisse une trace indélébile et qu'il garde une place toute particulière dans la République. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, observent un moment de recueillement.)

M. le président.  - Conformément à notre tradition, en signe d'hommage à Olivier Léonhardt, nous allons suspendre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue à 14 h 55.

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 15 h 15.