Déclaration du Gouvernement, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur le projet de programme de stabilité pour 2022-2027

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - En application de l'article 50-1 de la Constitution, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de programme de stabilité pour 2022-2027, qui sera prochainement transmis à la Commission européenne.

Ce programme détaille les prévisions de croissance et la trajectoire de nos finances publiques pour cette période. Il réaffirme aussi le coeur de notre stratégie : le soutien à la croissance et à l'emploi.

En 2017, le Président de la République s'était engagé à sortir la France du chômage de masse. Cinq ans plus tard, notre taux de chômage est de 7,3 %, au plus bas depuis quinze ans. Grâce aux réformes menées, nous avons créé 1,3 million d'emplois : ce sont autant de personnes qui ont retrouvé espoir et dignité. Nous avons aussi porté le nombre d'apprentis à 700 000, une formidable réussite.

Oui, le plein-emploi est à portée de main ! Pour l'atteindre d'ici à 2027, nous allons continuer à lever les freins à l'accès à l'emploi. Les derniers chiffres de l'Urssaf le montrent : la progression des embauches se poursuit, y compris dans l'industrie. C'est une victoire pour l'emploi et pour le financement de notre protection sociale.

Nous entendons accentuer notre effort, autour de trois grandes réformes : France Travail, pour mieux accompagner les demandeurs d'emploi, la montée en puissance de l'apprentissage jusqu'à 1 million d'apprentis à la fin du quinquennat -  nous préférons favoriser l'accès des jeunes à l'emploi plutôt que de leur ouvrir RSA  - et l'assurance chômage, pour que chacun trouve un gain au travail.

À cet égard, le SMIC a augmenté de 8 % en un an : avec la prime d'activité, nous arrivons à 1 568 euros nets. Il faut continuer dans cette voie, et Olivier Dussopt mènera une concertation en ce sens dès la rentrée.

Le programme de stabilité traduit un autre engagement du Président de la République : tenir nos comptes.

La très forte reprise de l'année dernière et l'invasion de l'Ukraine nous ont fait entrer dans une période d'inflation. Nous l'avions anticipée dès l'automne dernier. Aujourd'hui, nous mobilisons 20 milliards d'euros pour soutenir le pouvoir d'achat.

Le bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité a évité deux points d'inflation, selon l'Insee. Bruno Le Maire a rappelé que celle-ci devrait culminer dans les prochaines semaines ou les prochains mois, avant de décroître. Nous tablons sur un taux de 5 % cette année, de 3,2 % l'année prochaine, puis de 2 %.

La croissance s'est établie à 0,5 % au deuxième trimestre, signe du dynamisme de notre économie malgré le contexte d'incertitude. Nous avons déjà acquis 2,5 % de croissance pour 2022, soit notre objectif pour toute l'année.

Il existe un scénario favorable, fondé sur la croissance et l'emploi, la maîtrise de l'inflation et la tenue de nos comptes.

Nos finances publiques entrent en phase de normalisation, après la parenthèse du « quoi qu'il en coûte », au cours de laquelle nous avons mis en place d'indispensables amortisseurs. Nous sommes désormais dans le « combien ça coûte ». (Mme Nadine Bellurot ironise.)

Ce programme est décortiqué par les investisseurs et les analystes, dans un contexte de tension sur le rendement de nos obligations souveraines. La charge de notre dette a bondi de 17 milliards d'euros cette année.

Oui, nous devons intégrer cette contrainte. Tout État doit composer avec cette réalité dès lors qu'il a un besoin structurel de financement. La solution n'est pas d'agiter le mythe du non-remboursement ; elle est dans la tenue de nos comptes, clé de notre capacité d'action et de notre indépendance.

Nous proposons une trajectoire responsable pour ramener le déficit sous le seuil des 3 % du PIB en 2027. Le poids relatif de notre dette décroîtra à partir de 2026.

Nos objectifs sont clairs : protéger les Français de l'inflation, soutenir la croissance et l'emploi, accélérer la transition écologique. Le programme inclut les mesures annoncées par le Président de la République pendant la campagne, comme la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la baisse des impôts de production. Dans les cinq prochaines années, il n'y aura pas de hausse généralisée des prélèvements obligatoires : c'est un principe intangible.

Comment ferons-nous pour mettre en oeuvre nos engagements tout en tenant nos comptes ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances.  - En effet, c'est la question...

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Nous le ferons en maîtrisant la progression de la dépense publique dans toutes ses sphères. Nous prévoyons une hausse annuelle de la dépense publique de 0,6 % en volume, soit la plus faible depuis vingt ans. Il n'y a pas d'agenda caché, pas de coupes claires : nous ne réduisons pas la dépense, mais maîtrisons le rythme de sa progression.

Si les dépenses de l'État baisseront en volume de 0,4 % et celles des collectivités territoriales de 0,5 %, les dépenses des administrations de sécurité sociale pourront augmenter de 0,6 % par an, signe de la priorité absolue que nous accordons à la santé.

Ces chiffres seront détaillés dans le projet de loi de programmation des finances publiques que je vous présenterai en septembre.

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Nous avons hâte !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - En 2023, la croissance devrait être de 1,4 %, puis 1,6 % en 2024. Nous serions à 1,7 % en moyenne sur la période 2024-2027, pour atteindre 1,8 % en fin de période.

Certes, ces chiffres sont soumis à des aléas et les chocs récents doivent nous inviter à la prudence. Mais nos prévisions de croissance sont solides et étayées ; elles correspondent à celles des économistes du Consensus Forecast. L'OFCE anticipe même pour 2027 une croissance de 1,9 %, quand nous prévoyons 1,8 %.

Après s'être creusé en 2020 sous l'effet de la déflagration de la covid, notre déficit s'est amélioré en 2021, à 6,4 % du PIB. Notre dette représente 112,5 % du PIB, un niveau en hausse de quinze points par rapport à 2019 mais en baisse de deux points par rapport à 2020. Notre ratio d'endettement baissera légèrement cette année, à 111,9 %.

Jusqu'ici, nous avons tenu nos objectifs, en réduisant de 2,5 points le déficit. Nous tiendrons la cible de 5 % pour cette année. Le coût des mesures de soutien du pouvoir d'achat est compensé par les économies de charges de service public et les surplus de fiscalité liés au rebond exceptionnel de l'économie. Le déficit devrait revenir sous les 3 % d'ici à 2027, à la faveur d'un ajustement structurel annuel de 0,3 point de PIB à partir de 2024.

Cette maîtrise de nos finances publiques ne fait pas obstacle aux investissements indispensables dans la transition écologique et numérique. En cohérence avec la stratégie des plans France Relance et France 2030, nous favoriserons l'investissement et l'innovation, la cohésion sociale et territoriale, la souveraineté numérique et industrielle.

Ce programme n'est pas un carcan, mais un cadre, porteur d'une ambition. Nous sommes convaincus que des finances publiques maîtrisées sont la condition sine qua non d'une action publique efficace et de notre liberté.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec trois mois de retard, nous débattons du projet de programme de stabilité que le Gouvernement s'apprête à transmettre aux institutions européennes.

Selon les règles européennes, il aurait dû le faire avant la fin du mois d'avril. M. Raynal et moi-même nous sommes inquiétés de savoir quand ce document nous serait présenté. Bientôt, nous a-t-on répondu, avant de nous l'annoncer pour le début du mois de juin, puis après les législatives et ensuite pour début juillet. Nous y voilà enfin.

Pourquoi un tel retard ? D'aucuns avancent que le Gouvernement aurait voulu cacher aux électeurs d'éventuelles décisions impopulaires. Seulement, le programme qui nous est soumis ne témoigne pas d'une réelle ambition en matière de consolidation des finances publiques...

Le scénario macroéconomique retenu paraît pour le moins optimiste. Je me félicite des bonnes nouvelles annoncées par l'Insee pour le deuxième trimestre, mais elles s'expliquent surtout par la diminution de nos importations consécutive à l'inflation et par un tourisme dynamique.

La prévision de croissance pour 2023 me semble optimiste ; le FMI table sur seulement 1 %. Pour la période 2024-2027, le scénario de croissance est très au-dessus de ce qui peut sérieusement être attendu -  l'écart avec la prévision du FMI atteint 45 milliards d'euros !

Cette surévaluation est en partie liée à une estimation trop optimiste de l'évolution du chômage : le Gouvernement prévoit 5,2 % en 2027, le FMI 7,4 %.

Le Gouvernement estime que notre économie évoluera au moins jusqu'en 2023 près d'un point en deçà de son niveau potentiel. C'est surprenant, lorsqu'on considère les difficultés des entreprises à recruter. D'ailleurs, l'OFCE ne partage pas cette hypothèse. Quant à la Commission européenne, elle considère que l'économie évoluera dès 2023 à son niveau potentiel.

La croissance potentielle de 1,35 % prévue par le Gouvernement me semble surestimée, d'autant qu'elle serait soutenue par les réformes des retraites et de l'assurance chômage, dont le contour est loin d'être défini. Cette prévision ne me semble pas raisonnable, d'autant que le resserrement de la politique monétaire devrait ralentir la progression des investissements.

Au total, le scénario macroéconomique présenté repose sur des hypothèses précaires et peu détaillées.

L'ambition en matière de maîtrise des dépenses est faible : à 1 675 milliards d'euros en 2027, les dépenses seront en augmentation, hors mesures de soutien, de plus de 250 milliards d'euros par rapport à cette année. S'agissant de la limitation à 0,6 % en volume, l'effort prévu porte sur la seconde partie du quinquennat, alors que c'est en début de quinquennat que se prennent les mesures volontaires, éventuellement difficiles.

Le déficit se réduirait lentement, ne passant sous les 3 % qu'en 2027. Quant à notre endettement public, il ne refluerait qu'à partir de 2027, revenant au niveau de l'année dernière.

Cette trajectoire est peu documentée. Pour qu'elle soit respectée, il faudrait un recul considérable des dépenses de chômage, à 0,9 % du PIB en 2027. Annoncer un objectif global d'économies reposant sur des perspectives aussi fragiles n'est pas sérieux.

Le Gouvernement se contente du service minimum, retenant des hypothèses macroéconomiques peu crédibles. J'espère qu'il sera plus sérieux dans la préparation du projet de loi de programmation des finances publiques : les objectifs doivent être à la fois plus ambitieux et plus crédibles.

Alors que le financement de notre dette change de régime, nous devons démontrer notre sérieux budgétaire. Par ailleurs, les économies sont aussi des ressources dégagées pour la réduction de notre dette écologique, qui préoccupe particulièrement les jeunes générations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - Nous vivons des temps politiques extraordinaires... Voilà peu, certains étaient diabolisés parce qu'ils appelaient à désobéir aux règles européennes. Aujourd'hui, ce sont les hérauts de la doxa européenne eux-mêmes qui s'affranchissent des règles.

Le programme de stabilité aurait dû être présenté fin avril. Qu'on ne dise pas que le retard s'explique par les élections ! De retard, il n'y a pas eu en 2012 ni en 2017. Or le début du mois d'août n'est pas franchement favorable à un débat parlementaire approfondi.

Selon des indiscrétions concordantes, vous auriez demandé à Bercy de tordre quelque peu les chiffres pour les accorder à votre discours. La raison du retard serait-elle là ? Et que dire des informations transmises à la presse plus de dix jours avant que le Parlement ne les reçoive... Ce procédé est inadmissible !

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) est très réservé sur ce programme. Il faut dire que nous avons l'habitude des prévisions françaises optimistes et peu crédibles. De ce point de vue, la lecture rétrospective du programme de stabilité pour 2018-2022 ne manque pas de sel... La leçon aurait dû servir.

Faisons preuve de plus de prudence et élaborons des scénarios plus étayés. D'autant qu'il y a des aléas très négatifs, bien connus : baisse de la croissance allemande, guerre en Ukraine, difficultés de la Chine.

La non-augmentation des dépenses publiques que vous prévoyez aura un effet récessif. Prévoir une croissance de la dépense publique aussi faible, compte tenu des conditions sociales, n'est pas réaliste. Quant aux modalités de contribution des administrations publiques locales, elles sont nébuleuses.

Les administrations de sécurité sociale seront mises à contribution, mais les seules dispositions concrètes prévues sont les réformes des retraites et de l'assurance chômage. Il est difficile d'affirmer que la première rapportera rapidement des recettes. S'agissant de la seconde, sur quels fondements reposent vos prévisions d'amélioration du marché du travail ?

Vous annoncez une poursuite des baisses d'impôts pour les seules entreprises, au nom d'une politique de l'offre qui fragilisera encore nos finances publiques. Le manque de compétitivité de nos entreprises n'a pas une origine fiscale. Il est plus que jamais nécessaire de consolider nos recettes fiscales pour financer les politiques publiques et l'investissement.

Espérons que le projet de loi de programmation précisera une trajectoire en l'état peu crédible. Votre feuille de route budgétaire ressemble plus à une mise en garde adressée à vos collègues dépensiers qu'à un véritable programme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. Philippe Mouiller, vice-président de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le programme de stabilité aurait dû nous être soumis en avril.

Après l'exercice extraordinaire de 2020, les dépenses de la sécurité sociale -  qui représentent la moitié des dépenses publiques - ont crû fortement en 2021 et la hausse restera significative en 2022. Seul un bond des recettes, grâce à l'évolution de la masse salariale, contient un déficit qui reste très élevé, à 24 milliards d'euros.

J'espère toutefois que l'amélioration de la situation de l'assurance chômage sera durable.

La trajectoire optimiste du projet de programme de stabilité, notamment en ce qui concerne l'accélération de la croissance à partir de 2024, demande à être vérifiée. Les administrations de sécurité sociale retrouveraient selon vous une capacité de financement dès 2022 avec un excédent de 1,3 % de PIB en fin de période. J'en prends acte, mais les projections des dernières lois de financement de la sécurité sociale ne prévoyaient pas d'extinction de la dette avant fin 2033.

Vous ne nous présentez aucun grand choix politique de sortie de crise pour revenir à une trajectoire plus équilibrée. Tout au plus précise-t-on qu'il y aura des réformes structurelles, dont celles des retraites ; dont acte. Nous continuons donc d'attendre la prochaine étape, la loi de programmation des finances publiques. Pouvez-vous préciser le niveau d'économies attendu d'une réforme des retraites ?

Enfin, le cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale changera dès septembre avec l'entrée en vigueur de la loi organique du 14 mars 2022. Même s'il n'a pas repris nos propositions les plus ambitieuses, il nous permettra d'améliorer notre contrôle sur les finances sociales, avec une clause de retour au Parlement en cas de dérapage.

Le Gouvernement devra se départir de l'idée selon laquelle, si la sécurité sociale paie, le Gouvernement peut faire ce qu'il veut, hors de tout contrôle parlementaire. Nous comptons sur vous pour faire évoluer cette culture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce programme de stabilité nous est transmis dans un délai frisant l'irrespect. Mauvais signal en ce début de mandature. Les annonces d'un meilleur dialogue avec le Parlement nous avaient pourtant donné de l'espoir... C'était manifestement un voeu pieux.

Les informations fournies sont insuffisantes : le Gouvernement prévoit de réduire la dette à partir de 2026 et le déficit repasserait sous la barre des 3 % en 2027 : l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) remet en doute ces prévisions. Vous prévoyez une maîtrise de la dépense publique à 0,6 % par an : comment vous y prendrez-vous ?

Le HCFP parle d'une prévision de croissance trop optimiste et de réductions de dépenses non documentées. Contrairement à la Direction générale du Trésor, au FMI, à l'OCDE et à la Banque de France, vous prévoyez une croissance de 1,8 % du PIB en 2027, en supposant qu'elle découlera des réformes des retraites et du marché du travail, de la baisse des impôts, de la poursuite du plan de relance et de France 2030. Mais la réalité sera toute autre : la cure d'austérité que vous faites vivre aux Français et l'insuffisance de revalorisations sociales ne généreront qu'une croissance molle et de l'insécurité pour le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Nous doutons donc de l'atteinte du plein-emploi et de l'accélération de la transition écologique.

Quant aux réductions de dépenses, elles manquent de précision. Une hausse des dépenses en volume financera le Ségur de la santé, le plan hôpital et le plan urgence : où est-elle mentionnée ? Le financement du cinquième risque a, quant à lui, disparu.

Je rappelle que les dépenses des collectivités territoriales représentent 70 % de l'investissement public et servent à financer des services publics : attention à ne pas briser leur action.

Sur le chômage, vous avez l'art d'enjoliver la réalité : la sortie du chômage s'explique aussi par l'alternance ou l'apprentissage, alors que celui des moins de 24 ans reste 3,3 fois supérieur à celui des plus de 50 ans. Quelque 1,9 million de personnes sont exclues des chiffres du chômage, car inactives alors qu'elles voudraient travailler. Beaucoup n'ont d'autre choix que de recourir à des emplois précaires : quel est leur avenir ?

La paupérisation explose : la crise sanitaire a créé 1 million de pauvres, qui représentent 14,6 % de la population. Selon le Secours catholique, 7 millions de Français ont eu recours à l'aide alimentaire en 2021.

À l'autre bout, la petite élite, pour laquelle vous gouvernez, est très satisfaite : 80 milliards d'euros de recettes fiscales pérennes ont été supprimés, vous réduisez les prélèvements obligatoires pour les détenteurs du capital : suppression de l'ISF, exit tax, plafonnement de l'impôt sur les revenus du capital. Au total, 4 milliards d'euros de cadeaux fiscaux annuels. La suppression de la taxe d'habitation aura coûté 17 milliards d'euros aux finances publiques, sans parler de la baisse de 10 milliards d'euros des impôts de production. Il aurait pourtant fallu faire contribuer les plus riches, en particulier ceux qui profitent des crises.

Ainsi rien de neuf dans ce programme de stabilité. Le cap demeure le même : pas de contrepartie aux aides ni de contribution des plus riches. Malgré le Ségur, on ferme des hôpitaux par court-termisme, alors que les crises en cours exigeraient un changement d'envergure. Il faudra les résoudre, protéger les plus vulnérables et résorber les inégalités.

On ne peut plus en même temps faire des cadeaux aux plus riches et soutenir les pauvres avec quelques centimes de moins à la pompe : le ruissellement ne marche pas. Élisabeth Borne a demandé lors de son discours de politique générale d'arrêter de croire que la taxe était la solution de chaque problème. Celle-ci n'est pas non plus dans une baisse d'impôt !

Les recettes fiscales sont nécessaires pour le plan grand âge, pour les hôpitaux, pour l'éducation, pour la recherche et pour la transition écologique. Sauf à tuer nos services publics, il faudra améliorer les conditions de travail et la rémunération des agents.

La dynamique historique est celle de la hausse des dépenses publiques : que faisons-nous ? Il faut rétablir l'ISF, créer une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu, supprimer la flat tax, taxer les GAFA et lutter contre la fraude fiscale, estimée à plus de 100 milliards d'euros.

Au niveau européen, rebâtissons un cadre budgétaire et monétaire durable. La question des ressources propres est prégnante, alors que la Hongrie bloque la taxe de 15 % sur les multinationales : une coopération renforcée entre pays volontaires permettrait de contourner ce veto.

Les Panama Papers, et les 11 300 milliards de dollars situés dans les paradis fiscaux, rappellent l'urgence de la coopération entre États pour mettre fin à ces pratiques dommageables.

Franchissons le pas vers une fiscalité commune, notamment sur les bénéfices des sociétés et sur les transactions financières.

Enfin, revenons sur les règles budgétaires européennes des 60% de dette et des 3 % de déficit, incompatibles avec la nécessité d'investir massivement. Leur suspension pendant la période de pandémie révèle leur inadéquation aux crises. Le projet de programme de stabilité doit servir les mutations nécessaires à la transition climatique et numérique.

Dépassons la seule logique du PIB et révisons notre approche libérale de l'endettement public, condition de la transition.

Pour conclure, de grands chantiers s'offrent à nous, mais ils supposent de réviser l'outil obsolète qu'est le programme de stabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du GEST et du groupe CRCE)

M. Teva Rohfritsch .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Il n'y a pas si longtemps, notre chômage de plus de 10 % -  12 % pour les femmes  - était vécu comme une fatalité. Nous étions résignés, notre industrie était un lointain souvenir. Il n'y a pas si longtemps, il semblait impossible de repasser sous la barre des 3 % de déficit public. Il n'y a pas si longtemps, nous nous pensions impuissants face aux crises.

Et pourtant, le chômage baisse et l'emploi industriel repart, grâce au plan de relance et aux réformes fiscales et réglementaires du Gouvernement. Et pourtant, le déficit était repassé, avant cette crise sans précédent, sous les 3 %, pour la première fois depuis le début des années 2000. Et pourtant, un plan de relance européen inédit a sauvé notre économie du désastre et le pouvoir d'achat des Français.

Mais pouvons-nous sacrifier au présent notre avenir, entends-je à ma droite ? Et à ma gauche, on demande si nous en ferons un jour assez.

Nous proposons un programme ambitieux, avec à la fois un État qui soutient et la normalisation de nos finances publiques pour préserver les générations futures. Même tardif, ce débat sur le projet de programme de stabilité est un moment de clarté. La LPFP sera le moment de nous saisir de ce sujet ; notre groupe sera au rendez-vous.

En attendant, nous continuons d'agir pour l'emploi et pour l'économie, comme hier à travers la hausse du plafond des heures supplémentaires défiscalisées.

La dynamique est lancée pour 2022 : la croissance dépassera les 2,5 % et le déficit se résorbe. Des tensions demeurent, comme celles sur le pouvoir d'achat. La tâche n'est pas facile, mais nous réussirons ; nous le devons aux générations futures. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) On reproche beaucoup au Gouvernement d'avoir tardé à publier son projet de programme de stabilité.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Eh oui !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Là n'est pas l'essentiel. Tout d'abord, le calendrier électoral a percuté la procédure européenne. De plus, la majorité présidentielle est désormais en tenaille entre deux mâchoires populistes, à l'extrême droite et à l'extrême gauche ; soyons prudents.

Surtout, nous connaissions déjà le contenu de ce programme. Deux points ne peuvent être reliés que par une droite : nous connaissions le point de départ et celui d'arrivée, en 2027, est annoncé depuis longtemps par le Gouvernement. Il n'y a qu'une seule trajectoire pour atteindre les 3 % de déficit en 2027.

La dette se décline : elle est publique, européenne, privée et climatique.

La dette publique résume notre gestion actuelle et passée des comptes, et annonce les efforts futurs à fournir. Il faudra bien ramener les dépenses en deçà des recettes pour éviter la banqueroute : c'est du bon sens. Un pays qui ne tient pas ses comptes ne peut mener de politique sociale ou environnementale ambitieuse.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - En effet !

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Le problème n'est pas nouveau, et le rapporteur général rappelle avec raison la comparaison avec l'Allemagne : 40 points de PIB séparent nos taux d'endettement.

La France a funestement sacrifié son industrie sur l'autel des services, laissant filer les emplois qualifiés à l'étranger. Notre balance commerciale est devenue structurellement déficitaire. Avec la pandémie, la dette a explosé : tournons rapidement la page du « quoi qu'il en coûte ».

Or, monsieur le ministre, la trajectoire que vous présentez n'est pas rassurante. Le taux d'endettement public se stabilise à 113 % du PIB -  la réalité ne sera sans doute pas plus favorable.

Mais un autre endettement n'apparaît pas : celui de l'Union européenne, qui s'est endettée pour la première fois de son histoire. C'est une avancée pour la construction européenne, mais le premier président de la Cour des comptes a précisé que les 75 milliards d'euros du plan de relance européen ne sont pas inclus dans notre dette publique.

Quant à la dette privée, elle atteint 150 % du PIB, ce qui est colossal. Nous avons le taux le plus élevé des grands pays européens : nous sommes plus proches de la Grèce que de l'Allemagne. On a encouragé les entreprises à s'endetter, mais ce n'est pas sans risque.

J'évoque, enfin, la dette climatique, qui menace toute la planète. Elle ravage nos forêts et tarit notre eau. Il faudra des investissements massifs dans un contexte contraint. L'immense défi de la transition nous impose de changer non pas de logiciel, mais de système d'exploitation.

Pour engager une stratégie ambitieuse de désendettement, le groupe INDEP propose de mobiliser l'épargne privée -  175 milliards d'euros, à comparer aux 100 milliards du plan de relance  - , qu'on laisse se faire ronger par l'inflation. Nous avions ainsi proposé d'instaurer un livret d'épargne garantie pour financer l'investissement local.

Nous proposons aussi de mieux prendre en compte les externalités, positives et négatives, des décisions économiques. Un triste exemple récent est celui des forêts : leur valeur se résume aujourd'hui à la production de bois. Mais une forêt qui brûle est aussi un atout perdu pour la transition écologique. Je vous proposerai un dispositif pour prendre en compte les externalités positives de la forêt : puits de carbone, filtre à eau, réserve de biodiversité...

Il est urgent de réduire notre dette, dans toutes ses dimensions. Le projet de programme de stabilité va dans le bon sens, j'espère que le rythme sera tenu. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce document stratégique engage la responsabilité du Gouvernement pour le moyen terme. Les propos du rapporteur général ont insisté sur l'optimisme, voire l'arbitraire, des hypothèses retenues. Nous aimerions être aussi optimistes, mais rappelons les incertitudes du HCFP sur les recettes affectées hier soir : on parle de 10 à 15 milliards...

La croissance potentielle, évaluée à 1,35 % à partir de 2022, est un paramètre déterminant pour la trajectoire des finances publiques. Mais l'hypothèse doit être crédible : notre déficit public, notre solde commercial, notre désindustrialisation limitent notre croissance potentielle.

Nouveau défi, la lutte contre le réchauffement climatique est absente de ce document. Pourtant, la marche à franchir est considérable selon Rexecode : plus 10 % pour les entreprises, 20 % pour les ménages.

La croissance potentielle serait en réalité plus proche de 1 %, selon le degré de mise en oeuvre de la réforme des retraites - à cet égard, le doute est permis compte tenu du rétropédalage présidentiel. Nos enfants en subiront les conséquences : le niveau de vie des retraités devrait passer de 102,8 % à 82,5 % de celui des actifs en 2070, selon le Conseil d'orientation des retraites (COR).

Je ne sais pas si je suis stoïcienne, mais il faut distinguer ce qui dépend du Gouvernement et ce qui n'en dépend pas. Or ce Programme de stabilité ne repose que sur ce qui ne dépend pas complètement du Gouvernement... Pourtant, il a pleinement la main sur la maîtrise de la dépense publique !

M. Le Maire cite toujours les mesures en faveur du plein-emploi. Mais l'élargissement de l'apprentissage aux lycées professionnels, même si le taux d'emploi des jeunes s'est considérablement amélioré, ne suffira pas : cette réforme a réduit la productivité de l'économie et représenté un coût important pour les finances publiques. Pour afficher un taux de croissance annuel moyen de la dépense publique inférieur à celui du quinquennat précédent, vous retraitez les charges liées à la création de France Compétences...

La création d'un service public de la petite enfance est une nécessité ; les prestations familiales ont diminué de 3,7 % du fait de la faible natalité. Mais la convention 2018-2022 de la CNAF n'a pas été respectée : 15 000 places ont été ouvertes, au lieu des 30 000 annoncées. D'après le CESE, des places manquent pour 40 % des moins de 3 ans. Les collectivités locales gèlent des berceaux faute de pouvoir recruter, et vous n'apportez qu'un début de réponse. Le CESE plaide pour un droit opposable à la garde du jeune enfant, comme en Allemagne. C'est un objectif ambitieux, avec un coût par place de crèche élevé pour les finances publiques : 15 000 euros en fonctionnement annuel, 34 000 euros en investissement.

Au-delà de quelques exemples précis, votre propos est trop général. Vous plaidez pour un examen systématique de l'impact environnemental des dépenses ; mais les crédits budgétaires et taxes affectées « neutres » ou « non cotées » représentent 92 % des dépenses de l'État... Vous vantez votre plateforme de visualisation, mais les données ne sont que quantitatives. Vous vous engagez à maîtriser les dépenses, mais il ne s'agit que d'une stabilisation du train de vie, sans véritables économies !

Plusieurs lois de programmation sectorielles, comme la loi de programmation militaire, la loi de programmation de la recherche, la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, ainsi que les États généraux de la justice, vont conduire à autant de nouvelles dépenses.

L'OCDE appelle la France à mettre en oeuvre une stratégie ciblée d'assainissement budgétaire : nous n'y sommes pas !

Quel sera l'effort demandé aux collectivités ? M. Béchu nous a annoncé une concertation, mais nous lisons qu'il y aurait une maîtrise en volume des dépenses, soit en réalité une baisse de 0,5 %.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et voilà !

Mme Christine Lavarde.  - Or les dépenses des collectivités territoriales vont mécaniquement augmenter sous l'effet de la revalorisation du point d'indice, de la hausse du SMIC, du glissement vieillesse technicité (GVT) et de la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation : la marge de manoeuvre des collectivités sera bien faible !

Au final, l'effort que vous leur demandez est bien plus lourd que celui des contrats de Cahors. Vous persistez à penser que ce fut efficace, mais ce n'était que la conséquence de la baisse des dotations de l'État entre 2013 et 2017.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Bravo !

Mme Christine Lavarde.  - Les collectivités ne peuvent dépenser un argent qu'elles n'ont pas ! Sauf à augmenter les impôts locaux, ce qui leur sera de plus en plus difficile avec la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE.

Il faut réindustrialiser, mais également laisser de la liberté aux collectivités dans la gestion de leurs recettes !

Notre pays va continuer de diverger des autres de la zone euro. Une étude des projets de programme de stabilité des huit principaux pays de l'Union européenne montre que, en 2025, la France sera l'un des rares pays à ne pas avoir commencé à réduire son endettement lié à la crise sanitaire : l'Italie, l'Espagne prévoient une baisse de leur taux d'endettement de 10 points à l'horizon de 2027. C'est en France que le déficit structurel est le plus important.

Vous pouvez compter sur nous, à l'automne, pour défendre une mesure simple de redressement des comptes publics : la règle d'or ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guy Benarroche .  - En préambule, je note la transmission tardive de ce document, reçu in extremis vendredi dernier, dans un total irrespect du travail du Parlement.

Le manque de sincérité des chiffres proposés apparaît vite. L'effet combiné de ces évaluations en trompe-l'oeil est de surestimer la santé économique du pays et de sous-estimer les difficultés des ménages.

Vous proposez de réduire les dépenses publiques et d'entrer dans une période d'austérité. Ce texte est pétri d'inspiration néo-libérale et de mesures antisociales, avec des réformes comme celles des retraites ou de l'assurance-chômage dont vous espérez des économies... C'est pourtant loin d'être certain.

Faute de taxer les hauts revenus et les profits, vous continuez de faire porter sur les classes moyennes et populaires les conséquences de votre action, provoquant un creusement des inégalités.

Contrairement à ce que vous annoncez, les collectivités territoriales, dont beaucoup sont déjà exsangues, ne seront pas épargnées par cette politique d'austérité. Une baisse de leurs dépenses est prévue, avec la suppression de la moitié restante de la CVAE en 2023. La qualité de nos services publics en pâtira : vous leur portez un coup fatal, alors qu'ils sont le dernier lien avec certains de nos concitoyens.

Cette austérité n'est pas compatible avec l'impératif écologique. Les plus gros programmes de dépenses -  armée, intérieur, justice, aide publique au développement  - éludent le secteur de l'écologie, qui nécessite pourtant des financements publics. Il est dangereux de continuer à vous engluer dans l'inaction climatique !

Votre programmation est climaticide. Vous auriez pourtant pu lancer des réformes fiscales justes, avec un ISF climatique ou une mise à contribution des superprofits des multinationales.

Ce que ne dit pas ce texte est plus important que ce qu'il dit : l'austérité est devant nous, alors que l'urgence écologique est là. Nous ne pouvons cautionner ce programme insincère. Vous vous entêtez dans un programme idéologique délétère et complètement dépassé.

L'absurdité de vos chiffres excessivement optimistes a été relevée. Vous réussirez à grand-peine à revenir sous les 3 %, sans même réussir à diminuer l'endettement. Monsieur le ministre, soyez lucide sur l'incompatibilité structurelle entre les règles budgétaires européennes et les besoins d'investissement immédiat que nous impose la transition écologique. Il faut un principe de soutenabilité écologique, et non seulement budgétaire et comptable.

Nous refusons ce programme de stabilité déjà obsolète et fondé sur un optimisme malhonnête. Vous annoncez des mesures dévastatrices, alors que des enjeux de taille sont devant nous. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pascal Savoldelli .  - Mieux vaut tard que jamais ! La France présente son programme de stabilité tant bien que mal, après tous les autres États membres de l'Union européenne. Si sa présentation n'avait pas été repoussée, le programme économique du candidat Macron aurait pu être clarifié et les électeurs en auraient bénéficié. Ils auraient ainsi constaté le peu d'intérêt d'Emmanuel Macron pour la question sociale.

Le programme de stabilité est déjà dans la boîte aux lettres de l'Union européenne, le débat est donc clos. Nous ne sommes plus à un retard près, mais la démocratie parlementaire saura s'en souvenir.

Ce programme, conçu pour garder le déficit sous la barre des 3 %, est un document annuel dans lequel le Gouvernement prête allégeance à l'Union européenne. La perspective n'est pas réjouissante, tant les dépenses engendrées par la crise sanitaire et la crise économique étaient indispensables, mais jamais financées. La trajectoire définie n'est pas heureuse, et nul ne présume qu'elle sera tenue.

Le Gouvernement s'engage à réduire le déficit public à 3 % d'ici à 2027. L'héritage d'Emmanuel Macron nous conduit à l'impasse, rendant les objectifs économiques, sociaux et écologiques insoutenables.

La stratégie de la baisse de la fiscalité pour réduire les déficits relève du paradoxe, ou plutôt du contresens. Après avoir voulu disqualifier l'impôt, vous supprimez la contribution à l'audiovisuel public -  3,2 milliards de recettes perdues  - et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises -  8 milliards d'euros en moins à partir de 2023  - et baissez les impôts sur la succession -  5 milliards d'euros en moins. Le solde budgétaire, faut-il le rappeler, est la différence entre les recettes et les dépenses. Zéro moins 250 milliards, cela donne 250 milliards de déficit. C'est gravissime !

Dans le contexte de la remontée des taux de la Banque centrale européenne de 50 points de base, le risque est grand pour les finances publiques, d'autant plus que les recettes, 26 milliards d'euros, seront soumises à l'inflation. Les créanciers ne manqueront pas de demander leur dû, et 17 milliards d'euros supplémentaires seront versés aux spéculateurs.

Le Gouvernement présente un plan, mais le HCFP est lui-même sceptique, soulignant que la croissance n'est « pas hors d'atteinte, mais un peu élevée ».

Avec la poursuite des réformes, qu'il s'agisse de l'assurance chômage, des retraites, du RSA ou de l'apprentissage, détaillée à la page 4 du document, vous voulez forcer les individus à travailler, quoi qu'il leur en coûte, à n'importe quelles conditions, n'importe quel niveau de qualification et n'importe quel âge. C'est une insécurité sociale et une faute politique.

Nous combattons toutes ces réformes. Celle de l'assurance chômage s'est abattue sur plusieurs millions de travailleurs. La réalité, c'est que, en 2021, près de 15 millions de contrats de moins d'un mois ont été signés, soit 64 % des embauches. Selon l'Unedic, 1,15 million de demandeurs d'emploi voient leur allocation mensuelle baisser de 17 %. Comptez sur notre mobilisation : il n'y aura pas d'acte II de la réforme.

La réforme des retraites n'a pas encore eu lieu, fort heureusement. Il s'agit d'un dogme. Alors que 35 % des 50-64 ans sont déjà au chômage, les faire travailler plus longtemps réduira les versements de l'assurance vieillesse au détriment de l'assurance chômage.

Les dépenses de retraites vont baisser jusqu'à l'un des plus bas niveaux d'Europe. La réforme des retraites n'a pas vocation à combler le déficit des retraites, mais bien à financer d'autres dépenses sociales.

Avec un RSA conditionné à une quinzaine d'heures de travail, nous allons créer des travailleurs parmi les plus précaires d'Europe. Les allocataires ne se complaisent pas dans la pauvreté. Vos mesures sont désincitatives !

Le HCFP le dit : l'impact de vos réformes paraît nettement surestimé. Toutes les réformes comparables ont demandé du temps pour produire des effets durables. Vous voulez satisfaire Bruxelles et les marchés financiers sur le dos des travailleurs français. C'est aux antipodes de nos valeurs.

Je vous propose d'écouter une autre proposition de la Commission européenne : taxer les superprofits. Mais là, vous opposez une fin de non-recevoir...

Ce n'est pas un programme de stabilité, mais le programme d'un gouvernement des droites.

M. Roger Karoutchi.  - Si c'était vrai...

M. Pascal Savoldelli.  - Nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER et du GEST)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Gouvernement nous présente le programme de stabilité pour 2022-2027 avec trois mois de retard, ce qui est d'autant plus dommageable que nous aurions pu en discuter au moment de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Le Parlement doit l'évaluer et le contrôler, mais ce document essentiel est examiné à la hâte, alors qu'il établit la trajectoire des finances publiques pour tout le quinquennat.

Nous doutons de la fiabilité de vos prévisions. Vous tablez sur un doublement de la croissance, de 1,25 à 2,5 %, alors que la Commission européenne mise sur 1 %.

Ces prévisions, selon vous, résulteraient des réformes engagées -  celles des retraites et de l'assurance-chômage  - , mais nous savons que les effets auront lieu à moyen terme, et leur calendrier n'est d'ailleurs pas fixé.

La pression fiscale ne diminuera pas, contrairement à ce que vous voulez faire croire. Le taux de prélèvements obligatoires resterait stable, suivant votre document. Les baisses concédées correspondent à des rétrocessions partielles de recettes fiscales, non à des baisses structurelles d'imposition.

Il faudrait encore baisser les dépenses publiques, qui s'élèvent à 57,3 % du PIB, sauf à faire peser la dette sur les générations futures. L'État dépense trop et mal, au détriment des services publics et d'infrastructures essentielles, comme le transport. (M. Michel Canévet applaudit.)

Comment endiguerez-vous la dérive ? Nous ne trouvons pas réponse, monsieur le ministre. Une réduction de 8 milliards d'euros par an est attendue à partir de 2024. Mais à quoi cela correspond-il ?

Au Sénat, nous sommes particulièrement vigilants sur les collectivités territoriales. Vous évoquez une baisse de 0,5 % de leurs dépenses de fonctionnement. Or M. Macron annonçait un effort de 10 milliards d'euros sur cinq ans. Le flou règne.

Les contrats de Cahors seront-ils ressuscités ? Le groupe UC a insisté sur ce point au long du PLFR. Il s'est également inquiété de la trajectoire de la dette. (M. Michel Canévet renchérit.) En 2027, nous devrions être le seul pays de la zone euro à enregistrer 3 % de déficit.

Vos hypothèses sont dangereusement optimistes : il n'y a pas d'argent magique, et les générations futures devront payer.

Il est urgent de fixer collectivement un cap de redressement de nos finances publiques, afin d'éviter la ruine de l'État et des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Bernard Fialaire .  - Proposer chaque année un projet de programme de stabilité, tenir ses promesses ou même s'en approcher est-il vain ? La guerre en Ukraine a réduit à néant les espoirs nés de la sortie de la crise sanitaire. Comment faire de la prévision dans ce contexte ?

Le programme de stabilité 2021-2027 prévoyait un rebond de 4 % en 2022 puis de 2,3 % en 2023. Ce sera 2,5 % cette année et 1,4 % l'année prochaine...

Fin 2021, le principal aléa était la situation sanitaire ; aujourd'hui, c'est la crise sévère de l'énergie et des matières premières, avec son corollaire, une inflation à 5 % qui touche durement ménages et entreprises.

Quelles sont les perspectives pour 2022-2027 ? Monsieur le ministre, vous voulez conserver le cap d'un déficit à 3 % en 2027, par un ajustement de 0,3 point de PIB par an à partir de 2024, et contenir la dette à terme. La Cour des comptes en doute, sans remettre en cause votre double axe de soutien à la croissance et de maîtrise de la dépense publique.

Il convient de revenir à une certaine modération, sans gripper la demande. Le RDSE s'est montré constructif, approuvant le bouclier tarifaire, la revalorisation des pensions de retraite et d'invalidité, des prestations sociales, des minima sociaux, des bourses étudiantes et du point d'indice de la fonction publique.

Mais l'enjeu principal est le retour au plein-emploi. Réforme de France Travail, poursuite de celle de l'apprentissage et hausse du SMIC sont les leviers que vous avez choisis. C'est un signal positif, mais je m'interroge sur vos hypothèses. La croissance potentielle ne sera pas forcément la croissance réalisée.

Les membres du RDSE ne sont pas des ayatollahs de l'orthodoxie budgétaire, qui a montré ses limites en 2007-2008, et dont l'Union européenne s'écarte désormais facilement. Certes, la dette doit redevenir soutenable et il y a un enjeu de crédibilité et d'apaisement des tensions sur nos obligations souveraines.

Contenir l'évolution des dépenses à 0,4 % n'est, pour certains, pas un effort, et la dette devrait rester haute en 2027, à 112,5 % du PIB. Mais comment faire, avec l'investissement immense nécessaire dans l'éducation, la santé, la police, sans parler du défi climatique, dont le poids atteindrait plusieurs dizaines de milliards d'euros par an ?

Je n'oublie pas les collectivités territoriales, qui doivent conserver les moyens de leur action et jouer leur rôle d'amortisseur social en temps de crise. Les élus s'alarment des contraintes que représente une augmentation des dépenses de fonctionnement inférieure de 0,5 % à leur tendance naturelle, alors que l'inflation pèse sur l'investissement.

Au regard de l'équilibre à trouver entre soutien à la croissance et maîtrise des finances publiques, la question de la fiscalité est posée. Monsieur le ministre, vous ne voulez pas augmenter les impôts - c'est louable - mais il faudra a minima travailler sur les niches fiscales. Un impôt juste et ciblé est mieux accepté. Si la France apparaît comme le mauvais élève de l'Union européenne en matière de prélèvements obligatoires, rappelons que les États membres se livrent toujours à une concurrence fiscale dont la France ne sort pas gagnante. Les particuliers vont en Belgique pour échapper à l'ISF ; les sociétés, en Irlande pour échapper à notre impôt sur les sociétés. Il faut mieux coordonner les politiques budgétaires, et peut-être élargir la règle de la majorité qualifiée aux décisions fiscales -  voyez le veto hongrois sur la taxation internationale des entreprises.

Les prochains mois seront difficiles pour certains pays, dont l'Italie, et les écarts de taux d'intérêt risquent de déstabiliser l'Union. Le projet de programme de stabilité est une boussole, mais toutes les boussoles n'indiquent pas la même direction. Resserrer les rangs entre États membres est fondamental. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Alain Richard applaudit également.)

Mme Nadine Bellurot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est avec des finances publiques parmi les plus dégradées de la zone euro que nous abordons ce quinquennat : un déficit public deux fois supérieur à celui de 2017 et une dette publique qui a progressé de 17 % en cinq ans. Nous sommes à la cote d'alerte, ce qui confirme notre diagnostic d'il y a quelques mois, que vous contestiez alors.

Il faut être lucide sur les effets de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt : la trajectoire de réduction de la dette, c'est dix ou quinze ans et non cinq ans. Monsieur le ministre, soyez prudent quant aux prévisions qui fondent votre vision stratégique. Le cycle inflationniste, lui non plus, ne s'éteindra pas dans quatre ans.

Il faudra dépenser bien et utilement, d'abord en soutenant l'investissement public local, appui indispensable à notre économie.

Le projet de programme de stabilité manque de cohérence à cet égard, puisque, à l'instar des contrats de Cahors, il encadre encore les dépenses des collectivités territoriales. En valeur, malgré l'encadrement demandé, elles devraient augmenter de 24 milliards d'euros sur le quinquennat. L'effort demandé sur les dépenses de fonctionnement atteint 15 milliards d'euros sur les cinq prochaines années. L'encadrement de l'autofinancement et de l'évolution des recettes réduira l'offre de services à la population. C'est un risque pour le pouvoir d'achat.

L'encadrement des dépenses de fonctionnement est contradictoire dans un contexte de relance. En 2021, les soldes d'exécution des collectivités territoriales étaient proches de zéro ; pourquoi les pénaliser encore, au risque de reproduire les erreurs de 2014 ? La baisse des dotations a coûté 46 milliards d'euros aux collectivités territoriales, sans effet sur le déficit de l'État, qui est reparti à la hausse. (Mme Sophie Primas le confirme.)

Tout ne doit pas reposer sur les collectivités territoriales ; elles ont au contraire besoin d'une revalorisation de leurs recettes pour assurer les services essentiels. Il faut notamment indexer la DGF sur l'inflation, sans quoi elle sera amputée chaque année d'un milliard d'euros.

Il faut reconstruire une relation financière basée sur la confiance entre l'État et les collectivités territoriales. Nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Duffourg .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le projet de programme de stabilité est marqué par les conséquences de la guerre en Ukraine, les tensions inflationnistes, le Ségur de la santé et les mesures d'urgence liées à la crise sanitaire.

Les administrations de la sécurité sociale -  qui représentent la moitié de la dépense publique  - devront participer à la modération budgétaire. Les finances sociales ont supporté la crise sanitaire et des exonérations qui ont grevé son budget. La perspective d'apurement de la dette sociale est définitivement évacuée, sa reprise par la Cades atteignant 136 milliards d'euros en 2020.

En 2022, le HCFP juge imprécises les promesses de réforme du projet de programme de stabilité. La santé est la priorité des Français, or la situation des hôpitaux et des urgences est insupportable. L'accès aux soins est difficile pour nombre de nos concitoyens.

La voie sera étroite pour financer les solutions attendues, et faire plus avec autant.

Le groupe UC a des propositions à cet égard. La Cour des comptes, dans son rapport de certification des comptes de la sécurité sociale, souligne les erreurs commises sur les finances sociales : rien que sur la branche maladie, les Français paieraient 2,7 milliards d'euros de leur poche. L'OCDE estime que 20 % des dépenses de santé ne seraient pas justifiées -  césariennes, imagerie médicale non justifiée, surprescriptions d'antibiotique, etc. Mme Goulet a souligné l'importance de la fraude. La cartographie des risques n'exonère pas de définir les actions correctrices.

Enfin, l'Ondam a permis de juguler la dette sociale, mais l'état des lieux de l'hôpital et de la médecine de ville interroge la pertinence de cet outil propre à la France.

Les établissements publics de santé ne sauraient se voir imposer le principe de rentabilité, antinomique du principe de service public. Le maintien d'un service de proximité ne peut être envisagé uniquement sous l'angle budgétaire.

Monsieur le ministre, vous avez dressé un tableau idyllique de notre situation financière. Or la dette publique représente 111,5 % du PIB, le chômage est à 7,3 %, et la France est championne du monde des prélèvements obligatoires, à 46 % du PIB.

Nous vous donnons rendez-vous à l'automne, en attendant des propositions concrètes pour une trajectoire vertueuse de nos finances sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Frédérique Puissat.  - Bravo.

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Le projet de loi de programmation des finances publiques, monsieur Mouiller, sera présenté en septembre.

Nous transmettons à la Commission européenne le programme de stabilité avec retard ; c'est déjà arrivé, cela arrivera encore. Nous avons choisi de le préparer après les échéances électorales, par respect du choix des Français. Ceux qui nous reprochent de l'avoir fait trop tard nous auraient reproché de le faire avant une échéance démocratique majeure...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Vous pressentiez la majorité relative !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - C'est une preuve de respect de la représentation nationale que d'avoir attendu. (On ironise sur plusieurs travées.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances.  - Que c'est beau !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Il fallait oser !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Nous avons dû tenir compte de la situation internationale : le monde a changé. Si notre projet de programme de stabilité arrive après celui des autres, il est sans doute plus juste, prenant en compte un contexte dégradé depuis avril.

L'exercice de la prévision, toujours difficile, a été rendu encore plus ardu par les aléas de la situation sanitaire et de la guerre en Ukraine. Cependant, nos chiffres, basés sur les travaux de la direction générale du Trésor, sont solides et crédibles. Le HCFP en doute, notamment vis-à-vis des chiffres de croissance que nous présentons. Mais le lendemain de la publication de son avis, l'Insee a confirmé que nous avions atteint les 2,5 % de croissance avant même la fin de l'année.

Quand, en 2017, Emmanuel Macron déclarait viser 7 % de chômage en 2022, beaucoup ont douté; or nous y sommes. (Mme Sophie Primas ironise.) Et cela, grâce au 1,2 million d'emplois créés sous le précédent quinquennat. C'est précisément ce qu'il faut faire pour arriver au plein emploi. Voilà pourquoi nous poursuivrons les réformes ; et puisque plusieurs d'entre vous y appellent, nous comptons sur votre soutien quand nous présenterons la réforme des retraites, de l'assurance chômage, de l'apprentissage, de la formation professionnelle.

Mme Sophie Primas et M. Roger Karoutchi.  - Cela dépendra de la réforme !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - L'activité économique et l'emploi sont au coeur de notre stratégie de maîtrise des comptes. Notre prévision de 1,4 % de croissance pour 2023 est aussi celle de la Commission européenne. M. Joly remet en question la prévision de 1,8 % pour 2027, or l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), proche de la gauche, a présenté une estimation supérieure, à 1,9 %.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - La gauche serait-elle la seule à avoir raison ?

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Nous sommes absolument déterminés à tenir nos comptes. Nous allons maîtriser la dépense.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Enfin !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Certains dénoncent du sang et des larmes, d'autres disent qu'il n'y a rien du tout : j'en déduis que ce que nous prévoyons est équilibré. Je dis au rapporteur général que la dépense publique baissera de 1,3 % en volume en 2023.

Autre certitude, la maîtrise de la dépense ne se fera pas au rabot. Nous faisons des choix politiques : continuer à investir pour la santé d'abord -  seul secteur à voir ses dépenses augmenter en volume. Le budget de l'hôpital public est passé de 79 à 95 milliards d'euros en cinq ans. Le salaire des enseignants sera aussi augmenté de 10 % : le budget de l'éducation nationale est celui qui progressera le plus en 2023.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Cela avait déjà été promis par Édouard Philippe en son temps.

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État.  - Nous poursuivrons la loi de programmation militaire, en passant la marche des 3 milliards d'euros l'an prochain.

Certains ont opposé la tenue de nos comptes à la lutte contre le réchauffement climatique (M. Michel Canévet le confirme) -  une députée a dit : « entre les 3 % et les 3 °C, il faut choisir ». C'est le contraire. La dette nous prive de marges de manoeuvre : une charge de la dette de 17 milliards d'euros, c'est deux fois le budget de la justice.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Nous vous avions prévenus.

M. Vincent Segouin.  - Merci de le reconnaître !

M. Gabriel Attal, ministre délégué.  - Tenir nos comptes, c'est continuer à pouvoir faire des choix politiques au service des Français. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Pierre Louault applaudit également.)

La séance est suspendue quelques instants.

présidence de M. Alain Richard, vice-président