Réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple »

Discussion générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale, à la demande du GEST.

Mme Patricia Mirallès, secrétaire d'État chargée des anciens combattants et de la mémoire .  - Dès la fin de la Première Guerre mondiale, les assemblées parlementaires se sont penchées sur la question sensible et complexe des militaires « fusillés pour l'exemple ». Les débats ont toujours transcendé les clivages politiques, car personne n'a le monopole de l'émotion.

Nous parlons de 639 militaires condamnés à mort par la justice militaire d'un pays au bord du gouffre, dans la panique des premiers revers, alors que le consensus social d'alors exigeait de la sévérité. Il y eut parmi eux des tirés au sort, même si cela fut exceptionnellement rare : ceux-là ont été réhabilités.

Nul ne peut contester l'application, dans bien des cas, d'une force injuste de la loi. Les contemporains s'en sont émus, les historiens l'ont confirmé, les plus hautes autorités de la République l'ont reconnu.

C'est Lionel Jospin, en novembre 1998, au chemin des Dames, demandant que ces soldats « fusillés pour l'exemple » réintègrent pleinement notre mémoire collective nationale.

C'est le président Sarkozy, en 2008, évoquant ceux qui n'ont pas résisté à la pression trop forte, à l'horreur trop grande, qui un jour sont restés paralysés au moment de monter à l'assaut ; ces hommes qui étaient allés jusqu'à l'extrême limite de leurs forces ; ces hommes comme nous, qui auraient pu être nos enfants, qui furent les victimes d'une fatalité qui dévora tant d'hommes.

C'est le président Hollande appelant, en 2017, non plus à juger mais à rassembler, évoquant ces soldats qui aimaient leur patrie mais qui n'étaient que des hommes, faillibles, confrontés à la démesure d'une guerre sans limites, et dont le souvenir appartient aujourd'hui à la Nation.

Le travail des historiens fait consensus. Les archives de ces procédures sont accessibles en ligne ; en lisant les jugements parfois sommaires, on comprend que la part laissée à la défense avait été faible, les témoins trop souvent ni recherchés ni entendus.

Il y a aussi un consensus sur la mémoire : la volonté de ces hommes avait été abolie par la violence des combats. On connaît aujourd'hui les syndromes post-traumatiques, les effets psychologiques des bombardements.

Oui, il faut faire mémoire de ces hommes, mais pas dans n'importe quelles conditions. Pourquoi écarter cette proposition de loi en l'état ? Pour maintenir un troisième consensus, sur la méthode. Dans les années 1920 et 1930, les assemblées n'ont pas dévié d'un principe : à une condamnation individuelle ne peut répondre qu'une réhabilitation individuelle, au nom de la séparation des pouvoirs.

En 2016, Jean-Marc Todeschini, à qui la mémoire des fusillés doit tant, écartait une réhabilitation générale, arguant que si la plupart des « fusillés pour l'exemple » ont été condamnés par l'arbitraire d'une justice militaire expéditive, certaines condamnations étaient hélas légitimes. On ne peut répondre à une injustice par une autre injustice, à un arbitraire par un autre arbitraire. Regardons l'histoire en face, mais ne cédons pas à deux tentations dangereuses : la réécrire ou rejuger.

La diversité des situations individuelles appartient non au législateur mais aux historiens. La réhabilitation est du ressort de la justice. Passer outre, c'est déroger au principe essentiel de séparation des pouvoirs. L'inscription sur les monuments aux morts bute sur le fait que ces hommes n'étaient pas tous innocents. Peut-on panser les blessures du passé en braquant une large partie du monde combattant ?

Cette proposition de loi laisse aussi des zones d'ombre sur la procédure. Cela rejaillira sur les maires : devront-ils faire leurs propres recherches ? Le texte ne le dit pas.

Une procédure collective ne répond pas à l'hétérogénéité des cas individuels. Dès lors, soit vous rejetez la proposition de loi pour éviter ses effets généraux, soit vous l'amendez. Ne prenez pas le risque de son adoption en l'état, sous le coup d'une légitime émotion.

M. Rachid Temal.  - Un siècle plus tard...

Mme Patricia Mirallès, secrétaire d'État.  - L'amendement déposé par M. Gattolin répond à ces remarques. Avec le président Patriat, il a recherché un compromis qui satisfait le monde combattant. En l'adoptant, vous voteriez un texte de conciliation et de réconciliation. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

La séance est suspendue à 12 h 55.

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.