Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 2 juillet 2003



Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture,
de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales,
sur la réforme de la politique agricole commune (*)

M. Hubert Haenel :

Nous voici, avec l'accord intervenu il y a quelques jours à Luxembourg, au terme d'une longue négociation, commencée en juillet dernier, qui vient de déboucher sur une réforme profonde de la politique agricole commune (PAC). En juillet 2002, nous avions entendu Joseph Daul, qui préside la commission de l'agriculture et du développement rural du Parlement européen, qui nous avait prévenus que le débat qui s'engageait sur les propositions de la Commission serait très difficile pour la France. Il y avait, d'un côté, un commissaire très déterminé, appuyé par de nombreux pays, et, de l'autre côté, un groupe de pays susceptibles de former une minorité de blocage. Mais, nous avait dit Joseph Daul, le commissaire Fischler disposait d'atouts en réserve, grâce auxquels il pourrait diviser, le moment venu, le groupe des opposants. Il fallait donc se préparer à un compromis. Au Sénat, nous avons suivi pas à pas cette négociation. Je rappelle les auditions du commissaire Franz Fischler, puis du commissaire Pascal Lamy, à l'automne dernier ; votre audition par la délégation, Monsieur le Ministre, au mois de février ; le débat en séance publique, en mai dernier, autour de la question orale de Gérard César ; au même moment, le rapport d'information de Marcel Deneux et Gérard César. Vous nous avez tenu régulièrement informés de l'évolution des négociations : il y a une quinzaine de jours, vous nous avez reçus une nouvelle fois pour faire le point.

Maintenant, ce compromis est là. Quels en sont les points forts et les points faibles ? Quelle est l'économie d'ensemble de la réforme ? Comment se présente désormais la répartition des tâches entre l'échelon européen et l'échelon national ? Ce sont les premières questions que nous vous posons, en vous remerciant, Monsieur le Ministre, d'être venu rapidement devant nous pour nous apporter des explications sur cette réforme complexe.

M. Hervé Gaymard :

De mon côté, je vous remercie de me donner la possibilité de m'expliquer devant vous ! L'accord de Luxembourg couronne près d'un an de discussions - les négociations avaient commencé exactement le 15 juillet 2002 - qui se sont terminées par un « marathon » de trois semaines. Le climat des négociations finales a été constructif. Il n'y a pas eu d'opposition frontale entre les délégations nationales. Quant à la Commission, elle a finalement accepté de prendre en compte nos demandes fondamentales. Pourquoi un accord aujourd'hui ? Il n'y avait pas de contrainte immédiate de calendrier, mais, pour ma part, j'ai toujours considéré que la bonne date serait celle d'un bon accord.

Il y a un an, la logique était d'avoir une revue technique de mi-parcours en 2002, puis une réforme en 2006. Une nouvelle donne a été créée par la décision du Conseil européen de Bruxelles, à la suite de l'accord franco-allemand du 15 octobre, d'adopter un cadre financier valable jusqu'en 2013. Cette décision ouvrait de nouvelles perspectives et donnait un intérêt à une réforme de long terme. De fait, après l'accord intervenu à Luxembourg il y a quelques jours, ce cadre budgétaire à long terme se double désormais d'un cadre législatif qui donne à l'agriculture un cadre global pour 10 ans - je mets à part les quelques organisations communes de marché (OCM), notamment celle du sucre, qui ne figurent pas dans le « paquet ».

La France avait, dans la négociation, trois « lignes rouges », qui concernaient les prix, la gestion des aides et la date d'application des mesures.

Les prix
, tout d'abord. Pour les céréales, le projet initial prévoyait une baisse des prix de 5 % et la suppression de toutes les majorations mensuelles. Au final, il n'y aura pas de baisse des prix, et les majorations mensuelles seront maintenues, avec une réduction de moitié qui correspond approximativement à la diminution du loyer de l'argent. Pour le lait, je rappelle que l'accord de Berlin de 1999, l'« agenda 2000 », avait prévu une baisse des prix de 15 %, une hausse des quotas de 0,5 % trois années de suite et la fin du régime des quotas pour 2008. Pour la poudre de lait, il n'y aura pas de baisse supplémentaire des prix. Pour le beurre, il y aura une baisse supplémentaire de 10 points du prix d'intervention, qui sera compensée à 82 % par des aides directes. En contrepartie, nous avons obtenu quatre avancées : la prolongation jusqu'en 2014 du régime des quotas ; le décalage dans le temps de l'augmentation des références laitières ; l'augmentation du tonnage accepté à l'intervention (qui passe en moyenne de 20 000 à 50 000 tonnes) ; enfin, la pérennisation de la faculté de gérer les quotas de matière à encourager l'installation des jeunes. Au total, le nouvel accord est une amélioration par rapport à l'accord de Berlin.

La gestion des aides était notre deuxième « ligne rouge ». Nous étions opposés à un découplage total ; nous admettions un découplage partiel à condition que subsiste une gestion des marchés et que le dispositif permette le maintien de la production sur tout le territoire, et n'entraîne pas de désertification. Pour les céréales, le découplage des aides jouera à 75 % ; 25 % du montant restera lié à la production. Pour les productions animales, le couplage subsiste pour la totalité de la prime à la vache allaitante, pour 40 % de la prime à l'abattage, pour 50 % de la prime ovine. Le reste prendra la forme d'une aide unique, ce qui constituera une simplification notable.

Enfin, dernière « ligne rouge », le calendrier : nous avons obtenu une application au plus tard en 2007, ce qui nous laisse un temps suffisant pour choisir le meilleur moment en concertation avec la profession, pour engager la mise en oeuvre des nouvelles règles.

À côté de ces « lignes rouges », nous avions des demandes supplémentaires, pour lesquelles nous avons obtenu satisfaction :

- mise en place d'un fonds de gestion des crises pour les productions dépourvues d'OCM comme le porc et la volaille, dont le principe a été acté ;

- possibilité de subventions supplémentaires pour la mise aux normes en matière de sécurité sanitaire et d'environnement, compte tenu des coûts entraînés par les standards européens, les plus élevés du monde ;

- augmentation des aides communautaires à l'installation et aux investissements des jeunes agriculteurs ;

- exclusion des régions ultra-périphériques du champ d'application des mesures de découplage et de modulation ;

- encouragement aux cultures non-alimentaires.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous avons considéré que nous avions satisfaction sur l'essentiel. Avant de répondre à vos questions, permettez-moi quelques remarques d'ordre général.

Selon certains, cette réforme est l'abomination de la désolation : il n'y aurait plus de gestion des marchés, les acquis de quarante années de politique agricole commune seraient abandonnés. Je rappelle tout de même que l'accord garantit quarante-deux milliards d'euros par an pour l'agriculture des quinze États membres pendant dix ans : est-ce là mettre fin à la PAC ? Une gestion des marchés subsistera et nous veillerons à éviter les distorsions de concurrence. Ainsi, les surfaces bénéficiant d'aides découplées ne pourront être utilisées pour la production de fruits, de légumes, de pommes de terre, cultures qui ne bénéficient pas d'un régime d'aides ; de même, une prime uniforme à l'abattage des veaux empêchera les distorsions de concurrence entre les principaux producteurs (Benelux, Italie, France). Une clause générale de rendez-vous est prévue pour examiner, d'une manière générale, les problèmes éventuels de loyauté de la concurrence.

J'entends aussi que la PAC aurait en réalité un budget pour quinze qu'il faudrait partager à vingt-cinq. Ce n'est pas exact : les plafonds de dépenses décidés à Bruxelles en octobre dernier intègrent les dépenses liées à l'élargissement. Aujourd'hui, les dépenses effectives sont sensiblement inférieures au plafond des dépenses. Nous pouvons sur ce plan envisager les prochaines années avec sérénité. À partir de 2007/2008, il y aura certes des choix budgétaires à faire : mais, dans quel secteur d'activité est-on dispensé de faire un jour ou l'autre des arbitrages ? Je rappelle enfin que nous avons obtenu qu'il n'y ait pas de dégressivité automatique des aides, mais, en remplacement, un mécanisme de discipline financière.

Selon d'autres, il y aurait, dans le nouveau système, trop de flexibilité, trop de choix laissés à l'échelon national. Je parcours beaucoup nos départements. Ce que j'entends souvent, au contraire, ce sont des critiques sur l'excès de réglementation communautaire uniforme. Sur le terrain, on aspire à plus de subsidiarité, même si l'on n'emploie pas ce mot ! La réforme va nous donner des marges de manoeuvre, ce n'est pas un mal. Dans une Europe à vingt-cinq, il faut des marges pour des adaptations nationales. Sur la manière de les utiliser, il y aura, naturellement, une concertation étroite avec la profession. Je pense, en particulier, au calendrier d'application de la réforme et au choix d'une formule pour les aides animales.

Pour conclure, je dirai que, dans cette négociation, qui, c'est vrai, n'a pas été facile, nous sommes parvenus à préserver nos intérêts essentiels. Dans le cas contraire, nous n'aurions pas accepté le résultat !

M. Gérard Larcher :

Merci de cet exposé très argumenté. Nous aurons un effort d'explication à faire. Il y a des interrogations et de fortes inquiétudes, notamment dans le secteur laitier, et une lourde incertitude sur l'avenir des ateliers de taurillons. On ne renationalise pas la PAC, vous l'avez souligné, mais il y aura des choix nationaux à faire, des marges de manoeuvre à utiliser au mieux.

M. Gérard César :

Tout d'abord, existe-t-il des simulations sur les incidences de l'accord, notamment sur le revenu agricole ?

Les syndicats et la conférence des organisations professionnelles agricoles (COPA) sont très critiques. Je ne suis pas sûr que leur attitude se fonde uniquement sur le contenu précis de l'accord ; il y a, avant tout, un refus très net chez les agriculteurs de devenir des jardiniers de l'espace rural. Beaucoup craignent également que le nouveau système, par le jeu des références historiques, n'alimente la spéculation foncière. L'accord comporte des marges de manoeuvre pour les États. N'y a-t-il pas, malgré tout, un risque de renationalisation, avec une politique agricole « à plusieurs vitesses » et des distorsions possibles de concurrence ? Pour la viande bovine et les céréales, l'effort demandé paraît supportable, mais, pour le secteur laitier, déjà en difficulté, une baisse des revenus est à craindre. Il est vrai qu'en donnant une bonne visibilité, l'accord peut favoriser l'installation de jeunes. Mais quels moyens sont prévus pour faciliter ces installations ?

Globalement, j'ai eu le sentiment que la présidence grecque voulait un compromis à tout prix. Pour quelle raison ? Craignait-on la présidence italienne ? J'ai noté que l'accord était « pour solde de tout compte ». Effectivement, on ne peut accepter que les négociations de l'OMC se traduisent par une deuxième facture pour les agriculteurs. Nous voulons une attitude ferme à Cancun.

Enfin, notre dépendance en protéagineux - où nous ne couvrons que le quart de nos besoins - devient de plus en plus inacceptable. Des mesures sont-elles proposées pour cette production ?

M. Daniel Reiner :

En comparant vos déclarations au début de la négociation et le résultat final, je m'étonne que vous vous déclariez « satisfait ». Vous répétiez sans cesse que vous ne vouliez pas de réforme avant 2006. À ceux qui, comme nous, n'excluaient pas a priori une réforme, vous opposiez un refus de principe.

Je crois que, dès votre entrée dans vos fonctions, vous avez donné un mauvais signal en suspendant la modulation, d'autant que maintenant vous acceptez une réforme qui la rend obligatoire. Votre attitude à l'égard des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) était également une erreur.

De plus, vous aviez dit qu'il serait dangereux de réformer avant la fin des négociations de l'OMC : maintenant, vous acceptez de le faire, en assurant que ces négociations ne pourront rien ajouter à la réforme. Or, soyons réalistes : rien ne sera intangible pour l'OMC.

Aujourd'hui, devant votre changement de position, les agriculteurs se sentent floués. Cela rend les choses plus difficiles pour faire accepter la réforme et obtenir un consensus politique. Il aurait fallu être moins péremptoire !

M. Jacques Oudin :

Merci d'avoir informé et associé les parlementaires durant la négociation. Avant l'accord, nous avons été inondés de documents extrêmement alarmistes des organisations agricoles ; aujourd'hui, nous ne recevons plus grand chose, mais le doute et l'inquiétude sont là. Ne pourrait-on faire un diagnostic conjoint pour mieux évaluer les nouvelles règles, séparer le bon grain de l'ivraie et utiliser au mieux les marges de manoeuvre ? Il faut rassurer le monde agricole, d'autant que la réunion de Cancun fait figure de nouvel épouvantail. Et j'ajouterai que ce sont d'abord les zones fragiles qui ont besoin d'être rassurées : les zones de montagne et les zones humides.

M. Paul Girod :

Je constate que, bien qu'opposés en principe au découplage, nous avons fini par accepter un découplage à 75 % ! Comment ces règles vont-elles s'appliquer ? Je constate que, pour notre politique d'aménagement du territoire, nous n'avons pas su bien utiliser les fonds structurels. Je crains des mécomptes analogues dans la gestion des nouvelles aides, avec des procédures de décision et de contrôle nous empêchant de mobiliser les crédits disponibles.

Vous avez évoqué les biocarburants. Dans quelle mesure cette dimension sera-t-elle une amodiation possible au découplage ?

M. Marcel Deneux :

Je voudrais rendre hommage au ministre, qui a eu à conduire une négociation très difficile. Nous avons été associés de bout en bout : nous avons pu mesurer les problèmes.

Je partage les questions de Gérard César. Il n'est pas aisé de répondre à ceux qui évoquent un « détricotage » de la PAC. Je reste persuadé que le découplage est une hérésie économique qui s'éloigne des principes de la PAC. Il est vrai que certains secteurs ne sont qu'égratignés ; il y a aussi certains progrès dans l'accord, par exemple le régime des fourrages séchés, mais je crois que les inquiétudes concernant le secteur laitier et l'élevage des taurillons sont fondées. Il faudra être extrêmement vigilant pour que les négociations de Cancun n'entraînent aucune aggravation.

Qu'on le veuille ou non, on va vers une certaine renationalisation. Mais aurons-nous les moyens d'introduire les correctifs nécessaires à l'échelon national ? Quelle sera notre marge de manoeuvre législative et budgétaire ? Il faudra travailler avec la profession et les interprofessions pour construire des filières fortes, avec des offices dotés des moyens nécessaires.

M. Jean Bizet :

Je félicite également le ministre, qui a dû faire face à un commissaire européen qui avait tendance à camper sur ses positions. Cependant, pour ma région, la Basse-Normandie, la baisse du prix du beurre est un coup dur, même si la prolongation des quotas jusqu'en 2014 et le report des redéploiements sont des éléments positifs à prendre en compte.

Je ne suis pas de ceux qui déplorent l'introduction d'une dose de flexibilité. Soyons réalistes : dans l'Union à vingt-cinq, la PAC ne peut plus être monolithique. Une marge de manoeuvre plus grande à l'échelon national, voire régional, est indispensable : encore faut-il que ces échelons disposent des moyens nécessaires pour faire face à ces responsabilités.

Nous sommes à soixante-cinq jours de la réunion de Cancun. Nos interlocuteurs américains n'ont pas de complexes. Alors qu'ils avaient opté pour le découplage, ils n'ont pas hésité à intervenir vigoureusement pour soutenir les prix, lorsqu'ils ont estimé que ceux-ci étaient tombés trop bas. À Cancun, notre marge de manoeuvre sera faible et j'avoue que je reste inquiet.

M. Hervé Gaymard :

Nous avions réalisé, l'été dernier, en liaison avec la profession, une simulation concernant les céréales. Il en était ressorti que, pour éviter une déprise agricole dans les zones intermédiaires, il fallait que le taux du découplage ne dépasse pas 70 à 75 %. Sur ce point, l'accord reste donc dans les limites acceptables. Je rappelle que, au sein des organisations agricoles, les partisans du découplage total sont plus nombreux qu'on ne le croit !

Pour les aides aux productions animales, nous avons tenu compte du rapport des sénateurs Gérard Bailly et Jean-Paul Emorine sur l'avenir de l'élevage. Il fallait conserver un couplage pour la prime à la vache allaitante, la prime à l'abattage et la prime ovine, si l'on voulait maintenir la production dans certaines zones. Nous l'avons obtenu.

On parle de renationalisation : il n'y a pas de renationalisation budgétaire, comme l'Allemagne le demandait avec insistance depuis des années. Depuis l'accord du 15 octobre 2002, on n'en parle plus. Le budget agricole est consolidé pour dix ans. Ce n'est pas rien ! Il y a, ce qui est différent, des marges de manoeuvre nationales. Elles sont indispensables dans l'Union élargie. Sans un minimum de souplesse, ce sera la paralysie. Nous ne sommes plus dans l'Europe des six, celle des années soixante !

Soyons clairs. L'Europe est une chance pour l'agriculture française. On est libre de penser que l'autarcie serait préférable, mais ce n'est pas mon avis. Or, les avantages que nous tirons de la construction européenne ont nécessairement des contreparties, impliquent des contraintes. Nous ne sommes pas seuls à décider. Dans le système européen, on ne gagne pas en voulant avoir raison tout seul. Et quand on est la première puissance agricole européenne, on a encore moins intérêt à choisir le splendide isolement.

Il est vrai que les productions laitières sont aujourd'hui en difficulté, surtout en plaine, avec une chute des prix difficile à supporter. J'ai trouvé l'accord de Berlin en prenant mes fonctions ; j'estime que l'accord de Luxembourg est meilleur. La baisse du prix du beurre est compensée à 82 %, les quotas sont prolongés jusqu'en 2014 alors que, jusque là, il existait une minorité de blocage pour empêcher leur reconduction. La hausse des références laitières est décalée de deux ans par rapport à ce que proposait la Commission. Nos possibilités d'intervenir dans la gestion des quotas sont pérennisées. Je ne vois pas où serait la régression.

Je suis naturellement favorable au développement des cultures protéagineuses. Pour l'instant, la Commission reste fermée. La France a présenté un mémorandum il y a deux ans : aujourd'hui, nous continuons à insister sur la nécessité de nous donner les moyens d'une hausse de la production européenne.

Quelques explications sur mon action, puisqu'elle a été mise en cause. Où en était-on il y a un an ? Notre position n'avait pas été renforcée par la déclaration d'un de mes prédécesseurs exprimant son scepticisme sur la vocation exportatrice de l'agriculture européenne. L'Autriche et l'Italie se méfiaient de la France. Il fallait sortir de notre isolement, ce qui demandait un effort diplomatique important, car de nombreux pays estimaient que l'élargissement devait entraîner la disparition de la PAC ; et si le choix devait être entre l'élargissement et la PAC, nos partenaires étaient décidés à choisir l'élargissement. L'accord franco-allemand a été décisif pour sortir de ce dilemme. Aujourd'hui, nous avons un cadre valable jusqu'en 2013. Ai-je été péremptoire ? J'ai toujours fait savoir que je serais ferme, mais non fermé. On peut éplucher mes déclarations, on n'y trouvera pas Maurras et la France seule ! À partir du moment où le problème budgétaire avait été réglé, j'ai considéré que nous étions dans une situation nouvelle : nous avions l'occasion d'offrir à nos agriculteurs ce qu'ils demandaient le plus, des perspectives claires pour une longue période. Dans ces conditions, si un accord acceptable était possible avant l'échéance, il n'y avait pas lieu de chercher à le retarder, bien au contraire.

Pour la modulation, j'ai toujours indiqué que j'étais opposé à une modulation facultative, nationale, mais non à une modulation communautaire, obligatoire. Telle que nous la pratiquions, la modulation était inéquitable : c'étaient les exploitations moyennes qui la subissaient le plus. Pour comble, les montants obtenus étaient restés bloqués au sein du FEOGA : ils n'avaient donc pas été utilisés à financer les CTE ! Je signale que, dans le cadre de l'accord de Luxembourg, la France va enfin récupérer ces montants, à savoir 215 millions d'euros. Désormais, nous allons avoir une modulation communautaire, avec la garantie d'un retour pratiquement total.

Pour ce qui est des CTE, j'ai découvert à mon arrivée un dispositif non plafonné, que certains agriculteurs commençaient à considérer comme une sorte de prestation sociale. Le montant moyen par exploitation était de 44 000 euros. Appliqué à nos 500 000 exploitations, ce mécanisme aurait réclamé un quadruplement du budget de l'agriculture ! J'ajouterai que, là également, le résultat n'était pas équitable : c'étaient les départements les plus favorisés qui percevaient le plus. Cela ne fait pas de moi un adversaire de la démarche contractuelle, bien au contraire : le nouveau décret sera publié dans les semaines qui viennent, avec, pour financer le nouveau dispositif, des crédits en forte augmentation.

J'en viens à l'OMC. Il y a, vous le savez, trois volets dans la négociation : les soutiens internes, les subventions à l'exportation, l'accès au marché. Pour les soutiens internes, l'accord de Luxembourg est effectivement « pour solde de tout compte » : on n'y reviendra pas. Les deux autres volets restent ouverts. Nous aurons à faire prendre en compte l'ensemble des soutiens de fait aux exportations pour que la négociation soit équilibrée. Nous devons également faire admettre la nécessité de préférences spécifiques en faveur des pays en développement : nous voulons pouvoir accorder des avantages au Mali sans devoir les accorder à l'Australie. Le Président de la République a également demandé des mesures de régulation pour les matières premières, notamment le café et le cacao. Les négociations de Cancun seront difficiles, mais les commissaires ont déjà un mandat clair qui a été adopté à l'unanimité. Nous aurons à fournir un gros effort d'explication pour sortir d'une image que nous ne méritons pas. L'Europe fait six fois plus que le groupe de Cairns pour s'ouvrir aux importations agricoles : il est paradoxal que ce soit elle qui passe pour protectionniste !

Je reconnais que l'accord de Luxembourg est complexe et touffu. Croyez qu'il est plus facile de commenter que de négocier ! De plus, nos populations agricoles ont subi ces dernières années un véritable choc avec les crises sanitaires : on ne s'étonnera pas qu'elles soient globalement inquiètes. Il faut donc faire un effort d'explication.

Pour ce qui est des zones fragiles, nous avons maintenu les dispositifs qui prennent en compte la dimension territoriale, et le « deuxième pilier » de la politique agricole commune sera utilisé dans le sens d'un rééquilibrage.

La gestion des aides découplées sera conduite en concertation avec la profession. Elles seront calculées sur des références historiques globalement favorables et seront protégées contre la baisse. Une comparaison avec les fonds structurels ne serait pas fondée : il n'y aura pas de perte budgétaire.

Je rappelle que, pour les aides du « deuxième pilier », la France a perdu 31 millions d'euros par an en raison de la sous-consommation de ses crédits. Désormais, l'ensemble de ce budget est utilisé.

Pour les biocarburants, nous disposons désormais d'une bonne directive ; il faut une incitation fiscale plus forte à l'échelon national pour compléter le dispositif. Comment articuler les cultures non-alimentaires avec le découplage sera un des sujets pour la concertation sur la mise en oeuvre de la réforme. D'une manière générale, les incidences de l'accord de Luxembourg seront prises en compte dans la future loi rurale qui abordera les structures et la fiscalité.

En ce qui concerne l'utilité d'une organisation des marchés, les exemples du porc et de la volaille montrent bien les dangers de l'ultra-libéralisme. Il faut effectivement construire une filière, tâche qui devrait aboutir à l'automne. Mais à l'échelon européen, la critique des OCM est une tendance lourde ; on ne pouvait obtenir d'en créer de nouvelles. Nous avons cependant obtenu la possibilité de créer un fonds de gestion des crises alimenté par la modulation.

Dans toute négociation, on a tendance à se focaliser sur certains mots comme le fameux « découplage ». C'est une idée née dans une université allemande, qui est passée aux États-Unis via l'OCDE, avant de revenir en Europe, où elle est devenue le cheval de bataille du commissaire Fischler et du commissaire Lamy. J'ai toujours été opposé au découplage total, tout en considérant en revanche qu'un découplage partiel était acceptable sous certaines conditions, les « lignes rouges » que j'ai évoquées au début de mon propos. Et je voudrais souligner à nouveau que, sur cet aspect de la négociation, il n'y a jamais eu unanimité au sein de la COPA. L'unanimité n'existait que sur le refus de la baisse des prix. En revanche, certains étaient et restent séduits par les avantages du découplage en termes de simplicité et de protection des droits « historiques ».

J'ai entendu des commentaires hyperboliques sur l'accord de Luxembourg. Pour ma part, je n'aime pas l'emphase. Je vois dans cet accord une évolution de plus, et non pas « la fin de la PAC ».

 
Cette réunion, ouverte à l'ensemble des sénateurs, s'est tenue en commun avec la commission des Affaires économiques et du plan.