Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 5 février 2003



Justice et affaires intérieures

Communications de M. Hubert Haenel et de M. Alex Türk
sur le protocole modifiant la Convention Europol
proposé par le Danemark (E 2064)

M. Hubert Haenel :

Europol ne constitue pas un sujet nouveau pour notre délégation. Nous nous sommes déjà prononcés plusieurs fois sur le budget de cet organisme, sur les accords qu'il a conclus avec des pays tiers, et, plus généralement, sur les problèmes soulevés par son fonctionnement. Tout récemment, notre délégation a pris une position ferme à propos du projet d'accord entre les États-Unis et Europol relatif à l'échange de données à caractère personnel. Nous avons également auditionné, la semaine passée, M. Jean-François Bernicot, membre de la Cour des Comptes européenne, qui a mis l'accent sur l'absence de prise en compte par la direction d'Europol et par les représentants des États membres des observations formulées par le groupe d'audit sur les aspects budgétaire et financier. J'ajouterai que le statut d'Europol fait partie des sujets abordés par la Convention sur l'avenir de l'Europe. D'ailleurs, Europol figure en bonne place dans la contribution franco-allemande sur les questions de justice et de sécurité.

Alors, pourquoi aborder à nouveau ce thème devant la délégation ? La raison est la suivante : nous sommes saisis d'un projet de protocole modifiant la Convention Europol, proposé par l'ancienne présidence danoise. Or, ce projet soulève d'importantes questions, tant sur la procédure que sur le fond. Ce projet aboutirait, en effet, à modifier profondément le fonctionnement d'Europol sur plusieurs points essentiels, comme les règles de traitement, de conservation et de protection des données, ou le contrôle parlementaire sur cet organisme.

Je laisserai à notre collègue Alex Türk le soin de présenter les modifications relatives à la protection des données. L'Autorité de contrôle commune a, en effet, rendu un avis sur cette question, lorsqu'il en assurait encore la présidence, et elle doit se prononcer à nouveau sur le projet modifié, tel qu'il résulte des négociations.

Je m'en tiendrai, dans mon intervention, à faire quelques observations complémentaires.

Sur la procédure,
tout d'abord, je m'interroge sur l'opportunité de procéder à une telle révision de la Convention Europol compte tenu des discussions qui sont menées actuellement au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Est-il concevable que les États membres procèdent à une révision en profondeur du fonctionnement d'Europol, alors même que ce sujet est traité parallèlement par la Convention ? Il est vrai qu'il est plus facile pour des fonctionnaires de se réunir au sein du Conseil pour décider entre eux de l'avenir d'Europol plutôt que de se plier aux règles du débat public au sein de la Convention. Mais ce procédé me paraît pour le moins contestable.

Car ce n'est pas la première fois que les représentants des États membres agissent de la sorte. Déjà nous avions été saisis d'un projet modifiant la Convention Europol qui visait, d'une part, à permettre à Europol d'apporter son appui aux équipes communes d'enquête, et, d'autre part, à supprimer l'exigence de ratification par les États membres pour toute modification de la Convention Europol.

Si le premier point ne soulevait pas de difficultés particulières et a été accepté par les États membres, en revanche, sur le deuxième point, la délégation s'était interrogée sur la compatibilité de cette procédure révisée avec le respect des exigences constitutionnelles et des libertés publiques. Ce second point a -heureusement - été retiré. Mais, d'après les informations que j'ai pu obtenir, la présidence grecque souhaiterait relancer l'idée de modifier la procédure de révision et aurait même l'intention de proposer la transformation de la Convention Europol en règlement communautaire. C'est aussi l'une des raisons qui justifie à mes yeux que nous prenions position aujourd'hui.

La seconde raison tient au fond du projet. À cet égard, le texte initial a considérablement évolué au cours des négociations et les difficultés ne sont plus tout à fait les mêmes au départ et à l'arrivée. Initialement, l'idée de la présidence danoise était de renforcer conjointement l'efficacité et le contrôle démocratique sur Europol.

En ce qui concerne l'efficacité, le texte initial prévoyait d'élargir les compétences d'Europol à toutes les formes de criminalité transnationale, en abandonnant la référence à une liste d'infractions et l'exigence d'avoir des indices concrets relevant une forme organisée de ce type de criminalité. Il prévoyait également de remplacer le système actuel de collaboration indirecte par l'intermédiaire des unités nationales d'Europol, par une collaboration directe entre l'office et les autorités compétentes des États.

Or, sur ces deux points, les négociations entre les États membres ont abouti au résultat inverse de l'objectif recherché. Non seulement le texte conserve finalement la liste d'infractions et le critère lié à la forme organisée de la criminalité, mais il confirme également le rôle prééminent des unités nationales comme « relais de transmission » entre l'office et les autorités nationales. Le texte n'apporte donc aucun changement notable par rapport à la situation actuelle. D'ailleurs, les modifications envisagées par la présidence danoise ne paraissaient pas de nature à accroître l'efficacité d'Europol, bien au contraire. Car, ce qui manque à Europol pour être véritablement efficace, c'est une direction politique et la confiance des autorités nationales. Ce n'est pas son mandat, qui est déjà très large, ou ses prérogatives, qui sont suffisamment importantes.

Enfin, je voudrais évoquer la question du contrôle parlementaire sur Europol. Compte tenu de la nécessité de renforcer ce contrôle dans la perspective de voir Europol mener des activités opérationnelles, la présidence danoise a proposé d'accroître l'information du Parlement européen et de prévoir une procédure d'audition de la présidence et du directeur d'Europol sur toute question liée à cet organe. Cette procédure d'audition était prévue initialement devant une commission mixte composée de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux.

L'idée d'une telle commission mixte avait été proposée par la première Conférence interparlementaire sur Europol, qui s'est tenue à La Haye en juin 2001. Elle a été reprise par la Commission européenne dans sa communication du 26 février 2002 relative à l'exercice d'un contrôle démocratique sur Europol. Elle a été évoquée à nouveau dans les travaux du groupe de travail de la Convention chargé de ces questions. Or, les négociations entre les représentants des États membres ont abouti à supprimer la référence à l'idée d'une commission mixte et à ne maintenir la procédure d'audition  - de « comparution » dit même la version française - qu'au bénéfice du seul Parlement européen.

Je n'ai pu obtenir d'informations de la part du Gouvernement sur les raisons qui expliquent que les parlements nationaux aient été les victimes, une nouvelle fois, du compromis politique entre les représentants des gouvernements. Mais, il s'agit ici de matières sensibles qui touchent aux droits des individus et sur lesquelles les parlements nationaux disposent d'une légitimité particulière et d'une expertise reconnue.

En outre, je rappelle que Europol est un organe intergouvernemental et qu'il dépend du Conseil, c'est-à-dire des représentants des États membres. Comment le Parlement européen pourrait-il, à lui seul, réellement contrôler cet organisme, alors que le Conseil n'a pas de comptes à lui rendre et que chaque gouvernement est responsable devant son propre parlement ? Sous couvert de renforcer le contrôle démocratique sur Europol, on construit donc une « usine à gaz », destinée à fabriquer de la « poudre aux yeux ». Devant une telle situation, qui me paraît inadmissible, il m'a semblé nécessaire que notre délégation réagisse.

J'ai également l'intention d'évoquer cette question avec les représentants des autres parlements au sein de la Convention.

M. Alex Türk :

Ce projet de protocole a été soumis pour avis à l'Autorité de contrôle commune, dont j'ai assuré la présidence pendant deux ans et dont je suis membre. Avant d'aborder les difficultés que soulève ce projet du point de vue de la protection des données, je voudrais faire quelques remarques préalables.

En premier lieu, il me paraît particulièrement choquant de vouloir modifier la Convention instituant Europol alors que l'évolution de cet organisme n'est pas encore achevée. Actuellement, Europol ne remplit pas les missions qui sont les siennes d'après la Convention de 1995. En particulier, l'une de ses deux tâches principales, l'élaboration du système d'information générale n'est pas menée à bien. Le système d'information générale, c'est-à-dire le grand fichier sur la criminalité organisée transnationale, n'est toujours pas opérationnel, alors qu'il est prévu depuis déjà plus de sept ans. Les fichiers d'analyse, quant à eux, qui sont des fichiers vivants permettant aux policiers des États membres d'obtenir des informations sur des types spécifiques de criminalité, restent en nombre limité. Il est donc paradoxal de vouloir modifier la Convention Europol alors que cette Convention n'est toujours pas véritablement appliquée.

En second lieu, je voudrais souligner que j'ai découvert ce projet de manière tout à fait inopinée. En effet, ce sujet a été évoqué au cours d'une réunion qui se tenait à Copenhague pour discuter du projet d'accord entre les États-Unis et Europol relatif à l'échange de données à caractère personnel. Alors qu'il ne figurait pas à l'ordre du jour de cette réunion, ce projet a été avancé par la présidence danoise qui souhaitait traiter conjointement ces deux sujets, qui pourtant relèvent de deux approches différentes.

En troisième lieu, je voudrais faire observer que ce projet survient lors d'une période pendant laquelle les moyens matériels et humains d'Europol se développent considérablement, alors que la présence française au sein de cet organisme n'a jamais été aussi réduite. Nous disposions, en effet, d'un remarquable représentant en la personne de M. Gilles Leclair qui vient d'être appelé à d'autres fonctions, mais celui-ci n'a pas encore été remplacé. Le ministère de l'Intérieur procède actuellement à une réflexion sur l'avenir d'Europol et sur la présence française au sein de cet organisme, mais ce projet de modification de la Convention ne pouvait tomber à un plus mauvais moment pour nous.

En dernier lieu, ce projet est placé sous le sceau de l'ambiguïté. Comme vous l'avez souligné, Europol se caractérise par une absence de contrôle à différents niveaux. Le contrôle politique, qui relève du conseil d'administration, n'est pas performant. Le contrôle juridictionnel est inexistant. Le contrôle financier ne fonctionne pas non plus. Vous avez évoqué la question du contrôle parlementaire. Il reste le contrôle de l'Autorité de contrôle commune qui est limité, d'une part, par son champ de compétence, puisqu'il concerne uniquement la protection des données, et, d'autre part, par son statut, puisque l'Autorité de contrôle commune est financée directement par Europol.

En réalité, ce projet intervient dans un contexte de « communautarisation rampante ». Même si ce terme de « communautaire » ne figure pas explicitement dans ce projet, il en reflète l'esprit. Il s'agit, en effet, d'un débat déjà ancien entre la conception allemande et la conception française sur la nature même d'Europol. Pour l'Allemagne, Europol a vocation à devenir une police fédérale et centralisée européenne, à l'image d'un « FBI européen », alors que, pour la France, Europol doit rester un mécanisme de nature intergouvernemental, spécialisé dans le renseignement et la gestion du système d'information. Cette ambiguïté originelle du statut d'Europol explique la situation actuelle.

J'en viens maintenant au projet de modification de la Convention Europol qui est soumis à votre examen.

La première idée qui sous-tend ce projet est l'extension du mandat d'Europol. Initialement, la présidence danoise souhaitait donner à Europol une compétence générale en matière de lutte contre la criminalité transnationale. Les négociations entre les représentants des États membres ont, toutefois, abouti à une extension plus limitée des objectifs de cet organisme qui concernerait principalement la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue, le trafic des êtres humains, les filières d'immigration clandestine, le trafic de véhicules volés et le trafic de matières radioactives.

Le second objectif du projet est de donner un fondement juridique à une pratique contraire à la Convention et contre laquelle l'Autorité de contrôle commune essaye de lutter depuis de nombreuses années. Cette pratique consiste, pour les autorités nationales, à s'adresser directement à Europol pour traiter des fichiers d'analyse sans recourir à la procédure prévue par la Convention. Cette pratique est désignée dans le jargon européen par le terme de « MSOPES », qui est une abréviation anglaise qui pourrait se traduire par « organisation mutuelle de fichiers d'analyse entre le système central d'Europol et les autorités nationales ». Ce système permet donc de contourner l'obligation d'associer toutes les unités nationales des États membres. Du point de vue de l'Autorité de contrôle commune, l'idée de donner un fondement juridique à cette pratique viciée de la Convention n'est pas satisfaisante.

Le troisième aspect du projet concerne la protection des données. Tout d'abord, le projet aboutirait à allonger la durée de conservation des données traitées par Europol de trois à cinq ans. Le réexamen du maintien des données, que le Danemark souhaitait porter d'un an à trois ans, resterait - heureusement - annuel. Mais cet allongement de la durée de conservation des données n'est accompagné par aucune justification. L'Autorité de contrôle commune n'a jamais pu obtenir de réponse à sa demande de justification de cette mesure. Ensuite, le projet aboutirait à modifier les modalités d'ouverture d'un fichier d'analyse. La procédure actuelle consiste, pour le directeur d'Europol, à soumettre à l'approbation du conseil d'administration une instruction de création d'un fichier d'analyse, à propos de laquelle l'Autorité de contrôle commune est appelée à faire part de ses observations préalables. La procédure envisagée permettrait dorénavant au directeur d'Europol d'ouvrir un fichier d'analyse sans attendre l'accord du conseil d'administration et l'avis de l'Autorité de contrôle commune. On passerait donc d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori. Or, il n'est pas certain que cette procédure permette à l'Autorité de contrôle commune et au conseil d'administration de faire valoir leurs observations de manière efficace, les travaux d'analyse déjà effectués ne paraissant pas pouvoir être modifiés en conséquence. Par ailleurs, le projet aboutirait à diminuer le rôle des unités nationales situées à La Haye ; or, le fait que toutes les informations transitent par l'unité centrale constitue la seule garantie d'une information réciproque de tous les États membres. L'idée d'établir des relations directes entre l'Office et les autorités compétentes au niveau national pose donc des problèmes. À l'inverse, la reconnaissance dans la Convention de la possibilité, prévue par un acte du Conseil, de transmettre des données à des pays tiers, sous réserve de certaines conditions comme l'accord de l'État dont émanent ces données, me semble une bonne chose. De même, la possibilité envisagée pour Europol d'interroger par voie informatisée d'autres systèmes d'informations, comme le système d'information Schengen ou celui d'Eurojust, me paraît être de nature à renforcer l'efficacité du système.

Enfin, concernant le nombre des autorités ayant accès aux données traitées par Europol, le projet soulève une difficulté majeure. Ainsi, d'après ce projet, toutes les « autorités compétentes » des États membres, c'est-à-dire tous les policiers des quinze États membres auront vocation à avoir connaissance des données traitées par Europol, y compris les données à caractère personnel qui concernent non seulement les criminels mais également les victimes elles-mêmes. D'après l'Autorité commune de contrôle, l'accès à ces informations sensibles devrait être réservé exclusivement aux autorités compétentes en matière de lutte contre la criminalité organisée transnationale investies d'une autorité particulière.

L'Autorité de contrôle commune doit rendre, au début du mois de mars 2003, un deuxième avis sur le projet, tel qu'il résulte des négociations. La procédure actuelle aboutit à une situation paradoxale puisque le Parlement français est appelé à se prononcer avant même que l'Autorité de contrôle commune ait rendu son avis définitif censé éclairer la représentation nationale.

Compte rendu sommaire du débat

M. Xavier de Villepin :

Je voudrais faire une observation et vous poser une question.

Vous avez déclaré avoir découvert ce projet. Cela me rappelle que, en 1985, notre collègue Paul Masson avait pris connaissance par hasard dans le Journal Officiel des accords de Schengen. Cela me paraît assez surprenant.

Vous avez évoqué la différence entre la conception française et la conception allemande à propos d'Europol. Laquelle vous paraît la plus pertinente du point de vue de l'efficacité ? Au-delà de ces différences, ce qui importe, en définitive, c'est le surcroît d'efficacité dans la lutte contre la criminalité organisée transnationale.

M. Alex Türk :

Jusqu'à présent, la France a été assez réticente pour transmettre des informations à Europol. Le Directeur d'Europol s'en est même pris publiquement aux autorités françaises dans un article du Figaro paru récemment. Je crois, cependant, que le ministère de l'Intérieur souhaite dorénavant définir une doctrine sur Europol et que, à terme, l'évolution d'Europol semble assez inévitable.

M. Hubert Haenel :

La contribution conjointe des ministres allemand et français des Affaires étrangères à la Convention sur l'avenir de l'Europe prévoit explicitement de transformer Europol en une autorité coercitive européenne. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur a confié à l'Inspection générale de l'administration la mission de lui remettre un rapport sur l'avenir d'Europol. En outre, la France et l'Espagne pourraient faire prochainement une contribution commune sur les questions de sécurité et de justice au sein de la Convention.

Je dois dire que, jusqu'à une date récente, notre délégation a été l'une des seules institutions françaises à se préoccuper véritablement du statut d'Europol. Nous avons constitué un groupe de travail, il y a déjà plus d'un an, pour suivre plus particulièrement ces sujets. Ce groupe a procédé à de nombreuses auditions qui ont mis en lumière les difficultés soulevées par le fonctionnement d'Europol. Ainsi, le directeur d'Europol jouit d'une autonomie excessive, car ni le conseil d'administration ni le conseil des ministres ne sont en mesure de contrôler réellement Europol. Une solution résiderait dans l'institution d'un responsable politique, une sorte de « Haut représentant pour la justice et les affaires intérieures », comme je l'ai proposé à la Convention. Le renforcement des prérogatives de cet organisme doit, en effet, aller de pair avec l'instauration d'un véritable contrôle juridictionnel et politique.

M. Alex Türk :

Je voudrais évoquer également le problème de la présence française au sein des institutions européennes. La France n'a eu pendant longtemps aucune politique en la matière. L'envoi de représentants français à Bruxelles n'était pas suffisamment anticipé en amont, tandis que le retour de ces représentants au sein de l'administration ne permettait pas de profiter de l'expérience acquise et de réellement promouvoir cette mobilité. Or, cette absence de politique en matière de présence française aboutit à amoindrir l'influence de la France au niveau international et européen. Europol offre une criante illustration de cette absence de politique et de la perte d'influence qui en découle. La France souhaitait à tout prix obtenir le poste de directeur de cet office alors que les britanniques se sont contentés de placer des fonctionnaires aux échelons hiérarchiques moins élevés. Or, en définitive, alors que la France est le deuxième contributeur au budget d'Europol, elle n'est plus représentée au sein de la direction et son influence est minime par rapport à celle du Royaume-Uni.

Je voudrais également dire un mot sur les différences culturelles en matière policière entre l'approche anglo-saxonne et l'approche continentale. La première part du général pour aboutir au particulier, alors que la deuxième procède de la démarche inverse.

M. Philippe François :

Quelle approche devrait être privilégiée au niveau européen ?

M. Alex Türk :

Les deux approches sont nécessaires.

M. Xavier de Villepin :

A-t-on suffisamment pris en compte la perspective de l'élargissement dans la réflexion menée actuellement sur Europol ?

M. Hubert Haenel :

Il est vrai que l'élargissement de l'Union aux dix futurs États membres risque de poser des difficultés spécifiques en ce qui concerne Europol. Il est donc urgent de procéder, au sein de la Convention, aux réformes nécessaires permettant d'assurer une réelle efficacité et un contrôle sur cet organisme, notamment en matière de protection des données.

Pour revenir au sujet de la présence française au sein des institutions internationales et européennes, je voudrais indiquer que l'amiral Jacques Lanxade vient de publier un rapport, dans le cadre du Commissariat général du Plan, dans lequel il souligne l'importance de ce sujet.

M. Yann Gaillard :

Il s'agit là d'une constante de l'administration française. Lorsque j'étais moi-même Secrétaire général adjoint du SGCI, il y a plus de trente ans, nous nous préoccupions déjà de cette question.

M. Alex Türk :

Le rapport d'information « Quand les policiers succèdent aux diplomates », dont j'étais le rapporteur au nom de la commission des Lois (n° 523, 1997-1998), contenait plusieurs propositions concrètes à ce sujet.

M. Jacques Oudin :

Il me semble que cette question devrait figurer dans les conclusions de la délégation.

*

À l'issue de ce débat, la délégation a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation du Sénat pour l'Union européenne,

Vu le projet de protocole modifiant la Convention Europol proposé par le Danemark (E 2064),

- S'interroge sur l'opportunité de procéder à une modification aussi importante de la Convention Europol, alors que le statut d'Europol fait actuellement l'objet de travaux au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe et invite le Gouvernement à faire valoir cet argument pour s'opposer à toute initiative qui aurait pour conséquence de transformer la Convention Europol en règlement communautaire ;

- Se déclare préoccupée par les modifications relatives aux règles de traitement, de conservation et d'échange des données au regard du respect des droits fondamentaux et invite, par conséquent, le Gouvernement à prendre en compte l'avis de l'Autorité commune de contrôle sur le projet tel qu'il résulte des négociations ;

- Juge inacceptable que, contrairement au projet initial, les parlements nationaux aient été écartés de la procédure d'audition prévue pour examiner les questions générales liées à Europol et demande au Gouvernement de s'opposer à l'adoption du texte en l'état ;

- Demande au Gouvernement d'élaborer une stratégie de placement des fonctionnaires dans les organismes européens permettant tout à la fois d'assurer une place française dans ces organismes et d'utiliser ensuite dans notre administration l'expérience ainsi acquise.


Politique économique et financière

Communication de M. Yann Gaillard sur la directive concernant les offres publiques d'acquisition (E 2115 rectifié)

La proposition de directive concernant les offres publiques d'acquisition (OPA) est l'aboutissement d'un long processus de discussion, qui a connu de nombreux rebondissements. Les principes généraux de ce texte, au-delà de quelques points perfectibles, méritent d'être approuvés. Mais son adoption définitive demeure loin d'être acquise.

1. Une affaire à rebondissements

La discussion de la directive OPA se présente comme un véritable feuilleton, qui a commencé il y a bientôt quinze ans.

Une première proposition de treizième directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition a été présentée par la Commission en janvier 1989. Il s'agissait d'un texte ambitieux, qui visait à une véritable unification des législations nationales relatives aux OPA. Il comportait des dispositions de mise en oeuvre très détaillées. Les Etats membres ont refusé de se laisser lier par un texte aussi contraignant, et ce premier projet fut abandonné.

Une nouvelle proposition a été présentée par la Commission le 8 février 1996, sous la forme d'une directive-cadre établissant les principes généraux sans tenter de réaliser une harmonisation détaillée. Il s'agissait de coordonner simplement les actions des Etats membres. Ce texte fut encore modifié en 1997, pour tenir compte des amendements du Parlement européen et des souhaits du Comité économique et social. L'adoption, à l'unanimité, d'une position commune par le Conseil le 19 juin 2000 laissait espérer une adoption rapide. Mais le Parlement européen, qui entre-temps avait été renouvelé, a voté en deuxième lecture des amendements contraires à la position commune du Conseil. Après trois mois de négociations intenses, le comité de conciliation entre le Conseil et le Parlement est parvenu à un accord le 6 juin 2001. Le Parlement européen devait toutefois encore se prononcer sur ce texte de compromis. Or, entre temps, l'Allemagne a opéré un brusque revirement, et manifeste désormais son opposition à une disposition de la directive qui interdit à une entreprise faisant l'objet d'une OPA hostile de prendre des mesures de défense sans l'accord de ses actionnaires réunis en assemblée générale.

Ainsi, le 4 juillet 2001, 273 députés européens suivent le rapporteur allemand pour s'opposer au texte de compromis issu de la procédure de conciliation, tandis que 273 votent pour : ce partage des voix vaut rejet, et la proposition de directive est définitivement caduque.
Outre la question soulevée par l'Allemagne, deux autres considérations ont motivé le rejet du texte : d'une part, la protection insuffisante offerte aux employés des sociétés impliquées dans une OPA ; d'autre part, le risque d'un décalage avec les règles applicables aux Etats-Unis.

Sans se décourager, la Commission a créé un groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés, présidé par le professeur Jaap Winter, et l'a chargé de lui présenter des suggestions pour répondre aux problèmes soulevés par le Parlement européen. Ce groupe a rendu en janvier 2002 son rapport, dont la Commission s'est largement inspiré pour élaborer la nouvelle proposition de directive qu'elle a présentée le 2 octobre 2002.

2. Le contenu de la proposition de directive


La proposition de directive définit pour tous les Etats membres les grands principes applicables en matière d'offres publiques d'acquisition. Une bonne part de ses dispositions est reprise du texte précédent.

L'article 4 définit l'autorité de contrôle compétente et le droit applicable : s'il s'agit exclusivement de questions relatives à l'offre publique d'acquisition, ce seront ceux de l'Etat où les titres sont échangés et non pas ceux de l'Etat du siège social.

L'article 5 organise la protection des actionnaires minoritaires : la personne physique ou morale prenant le contrôle d'une société cotée se trouve dans l'obligation de lancer une offre à tous les détenteurs de titres, pour la totalité de leurs titres, et à un prix équitable.

La proposition de directive définit le prix à payer, ce qui est un ajout par rapport au texte précédent. Est considéré comme équitable le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant pendant une période de six à douze mois précédant l'offre. Néanmoins, les Etats membres peuvent autoriser les autorités de contrôle à modifier ce prix, par une décision motivée et rendue publique.

L'article 8 prévoit la publicité de l'offre:les États membres doivent veiller à ce que les informations susceptibles d'influer sur le marché des titres concernés soient rendues publiques selon des modalités permettant de réduire les risques de création de faux marché et d'opérations d'initiés.

L'article 9, relatif aux obligations de l'organe de direction de la société, est l'une des dispositions essentielles de la proposition de directive. Il prévoit que les Etats membres doivent veiller à ce que l'organe de direction de la société visée par l'OPA s'abstienne de prendre des mesures de défense s'il n'a pas reçu l'autorisation préalable de l'assemblée générale des actionnaires. L'organe de direction doit également rendre un avis motivé sur l'offre. Les travailleurs de la société visée doivent être associés à cet avis.

L'article 10 précise que les sociétés cotées doivent publier les informations sur les dispositifs mis en place afin d'entraver une éventuelle OPA. L'assemblée des actionnaires doit se prononcer tous les deux ans sur ces mesures structurelles et ces mécanismes de défense, que l'organe de direction doit justifier. Cette disposition est un ajout apporté au précédent texte, à la demande du Parlement européen.

L'article 11 est une autre disposition essentielle de la proposition de directive. Il prévoit la neutralisation, pendant la durée de l'OPA, des restrictions au transfert de titres et au droit de vote qui pourraient la rendre plus difficile. Ces restrictionssont inopposables à l'offrant pendant la période d'acceptation de l'OPA. Elles cessent de produire leurs effets lorsque, à l'issue d'une OPA, l'offrant détient un nombre de titres qui lui permettrait, en application de la législation nationale, de modifier les statuts de la société. Cet article ne remet pas en cause les droits de vote doubles qui existent en droit français, comme dans plusieurs autres Etats membres, et constituent un élément structurant pour de nombreuses sociétés à capital familial. En effet, le rapport Winter proposait de supprimer les droits de vote multiples, mais la Commission n'a finalement pas retenu cette suggestion dans sa proposition de directive.

L'article 13, qui prévoit l'information et la consultation des représentants des travailleurs, correspond à un souci du Parlement européen.

L'article 14, qui résulte d'un amendement du Parlement européen,organise le « retrait obligatoire » (ou squeeze out) : un actionnaire détenant un certain pourcentage de titres d'une société à la suite d'une OPA peut obliger les actionnaires minoritaires restants à lui céder leurs titres contre une compensation.

L'article 15, qui est la contrepartie du précédent, organise le « rachat obligatoire » (ou sell out) : à la suite d'une OPA, un actionnaire minoritaire peut obliger l'actionnaire majoritaire à lui acheter ses titres.

3. Des points perfectibles

Dans la mesure où le texte est d'harmonisation minimale et prévoit de nombreuses dérogations arrêtées par les autorités nationales, il risque de ne pas atteindre ses objectifs d'égalité entre les entreprises des différents États membres et d'intégration des marchés de capitaux européens. C'est pourquoi on pourrait envisager une harmonisation plus poussée sur certains points, tels que ladéfinition du prix équitable.

De même, la proposition de directive ne définit pas non plus le pourcentage des droits de vote à partir duquel le contrôle de la société peut être considéré comme acquis, cette question étant renvoyée aux États membres. Ce pourcentage varie entre 25 % et 40 % dans les pays où existe un seuil de cette nature. Il est de 33 % en France. La fixation d'un plafond de 50 % pour tous les Etats membres constituerait un progrès.

Il conviendrait enfin de préciser l'article 11 afin de garantir le respect des pactes d'actionnaires lors des assemblées générales réunies avant la fin de l'OPA. Leur neutralisation serait limitée aux assemblées ultérieures, dans l'hypothèse où l'offreur est parvenu à acquérir un nombre d'actions suffisant pour lui permettre de modifier les statuts.

4. Une négociation qui s'annonce difficile

Pour le gouvernement français, ce texte est globalement satisfaisant dans la mesure où il reprend les acquis du précédent projet tout en enrichissant la proposition de plusieurs recommandations tirées du rapport Winter (équilibre entre les mesures de défense et le rôle prééminent de l'assemblée générale, renforcement de la protection des actionnaires minoritaires, information des salariés).

Le droit français et la pratique des entreprises françaises sont déjà, pour l'essentiel, depuis longtemps conformes à la proposition de directive, sans que cela entraîne de vulnérabilité particulière aux OPA.

En revanche, le gouvernement allemand est hostile à cette proposition de directive. Il souhaite permettre aux organes dirigeants de prendre des mesures de défense anti-OPA sans avoir à recueillir l'aval de l'assemblée générale (art. 9) et réintroduire les droits de vote multiples dans la catégorie des mesures suspendues en période d'offre publique (art. 11).

La position allemande est motivée par le traumatisme qu'a représentée l'OPA hostile lancée avec succès en 1999 par Vodaphone sur Mannesman, ainsi que par le cas de Volkswagen, qui se trouve protégé contre les OPA par une golden share détenue par le Land de Basse-Saxe. Plus généralement, la défense contre les OPA est largement déléguée aux organes de direction de la société en droit allemand, alors que la proposition de directive veut donner davantage de pouvoir aux actionnaires.

C'est pour des raisons de tactique de négociation que l'Allemagne s'en prend aux actions à droits de vote multiples, qui existent en France, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas et en Suède. Il ne s'agit pourtant pas d'un dispositif qui vise principalement à dissuader les OPA, mais qui a pour but de récompenser les actionnaires fidèles. D'ailleurs, jusqu'à ce qu'elle les supprime en 1998, l'Allemagne en disposait également.

La Commission reconnaît que les titres à droits de vote multiples s'intègrent dans un système de financement des sociétés, et qu'il n'est pas prouvé qu'ils rendent les OPA impossibles. Néanmoins, elle se réserve de revenir sur ce sujet dans le cadre de la clause de révision prévue par l'article 18, s'il s'avère que ces titres sont utilisés principalement comme mécanismes de défense.

Le refus allemand est partagé par l'Autriche, ainsi que par les Pays-Bas, qui disposent des mesures anti-OPA les plus efficaces dans l'Union européenne.

Pour sa part, le Royaume-Uni soutient la proposition de directive, qui correspond déjà à son droit et à sa pratique. Il souhaite toutefois que son adoption se fasse de manière consensuelle, ce qui semble plutôt difficile en l'état actuel des choses. D'après les dernières informations, il semblerait prêt à rallier les positions allemandes.

Quel peut être le sort de cette proposition de directive ?

Il est possible que l'Allemagne, en dépit de sa vive opposition, soit mise en minorité au Conseil. La véritable inconnue demeure l'accueil qui sera réservé au texte par le Parlement européen. La Commission a veillé à intégrer les modifications qu'il avait apportées au texte précédent. Mais le rapporteur, M. Lehne, n'a pas changé. Étant Allemand, il devrait refléter l'opposition de son pays d'origine.

Quoi qu'il en soit l'adoption de cette proposition de directive apparaît éminemment souhaitable. Elle constitue un élément essentiel du plan d'action pour les services financiers qui doit entrer en vigueur d'ici à 2005. Son échec définitif serait un très mauvais message lancé par l'Union européenne quant au sérieux de sa volonté de réaliser l'intégration de ses marchés financiers.

Compte rendu sommaire du débat

M. Xavier de Villepin :

Il me semble nécessaire que nous prenions position sur ce texte important. La distinction fondamentale me paraît être entre les OPA amicales et les OPA inamicales.

M. Yann Gaillard :

Bien sûr. Les problèmes que j'ai évoqués ne se posent que pour les OPA inamicales.

M. Jacques Oudin :

Pouvons-nous compter sur les parlementaires français au Parlement européen ?

M. Yann Gaillard :

Lors du vote sur le texte précédent, les parlementaires français se sont divisés entre les pour et les contre, et notamment ceux élus sous l'étiquette UDF.

M. Jean Bizet :

J'appuie cette proposition de résolution. L'harmonisation en matière d'OPA s'intègre dans l'environnement plus large des services financiers. Or, des négociations vont s'ouvrir à l'OMC au mois de mars sur les services. Il me paraît souhaitable d'évoquer ce contexte dans notre proposition de résolution.

La délégation a alors conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution n° 167 (2002-2003) ci-dessous :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les offres publiques d'acquisition (n° E 2115 rectifié) ;

Approuve, notamment dans la perspective des négociations à l'OMC, les objectifs de cette directive-cadre, qui vise à harmoniser les réglementations en matière d'offres publiques d'acquisition afin d'assurer une transparence des marchés boursiers européens et d'offrir aux actionnaires minoritaires des garanties comparables dans chacun des États membres ;

Appelle à l'adoption rapide de ce texte, qui n'a que trop tardé ;

Demande toutefois au Gouvernement de s'efforcer, dans la mesure du possible :

- de promouvoir un seuil maximum de 50 % des droits de vote pour le déclenchement d'une procédure d'offre obligatoire au sens de la présente proposition de directive ;

- de réclamer un encadrement des dérogations pouvant être apportées par les autorités de contrôle à la définition du « prix équitable » proposé par l'offrant aux actionnaires minoritaires ;

- de veiller à ce que le respect des pactes d'actionnaires soit garanti jusqu'à la fin de l'offre publique d'acquisition ;

- de s'opposer à ce que soient le cas échéant remis en cause, au cours de la négociation de la proposition de directive, les titres à droits de votes multiples.

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M. Hubert Haenel :

Je voudrais, pour terminer, vous dire quelques mots de deux textes dont nous avons été saisis en vertu de l'article 88-4 et pour lesquels le gouvernement souhaiterait pouvoir lever la réserve parlementaire avant leur adoption par le Conseil prévue demain.

Le premier est une proposition de règlement du Conseil mettant en oeuvre les dispositions tarifaires fixées dans l'accord d'association entre le Chili et la Communauté (E 2194). Elle a pour but de permettre l'application provisoire des préférences tarifaires fixées dans cet accord dans l'attente de son entrée en vigueur. La délégation s'était prononcée en faveur de la conclusion de cet accord le 12 novembre dernier.

Le deuxième texte est une proposition de règlement du Conseil arrêtant des mesures autonomes et transitoires concernant l'importation de certains produits agricoles transformés originaires de Pologne (E 2167). L'accord européen d'association avec la Pologne prévoit l'amélioration des régimes d'échanges applicables aux produits agricoles transformés. Les États membres ont ainsi demandé à la Commission européenne de négocier avec ce pays l'amélioration de l'accès aux marchés pour ces produits. Les parties sont parvenues à un premier accord technique qui prévoit la diminution des droits d'importation des produits contingentés, la mise en place de nouveaux contingents à droits réduits, l'augmentation du montant des contingents tenant compte des courants d'échanges traditionnels ainsi que la réduction de droits d'importation pour une large gamme de produits.

Le texte E 2167 constitue une étape vers l'adhésion de la Pologne en libéralisant progressivement le commerce des produits agricoles transformés. Le gouvernement français est favorable à l'adoption de ce texte qui inclut deux secteurs importants pour nos exportateurs : le chocolat et les spiritueux (à l'exception de la vodka).

Je vous propose que nous abrégions le délai prévu pour l'examen de ces deux textes qui ne font que mettre en application, de manière anticipée, des mesures déjà adoptées, afin de permettre leur adoption par le Conseil.

La délégation en a ainsi décidé.