Table des matières

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Élection d'un vice-président

M. Jean Bizet :

Nous devons élire un vice-président puisque mon élection à la présidence a entraîné une vacance.

Je vous propose la candidature de Pierre Bernard-Reymond. Il a été le premier membre du gouvernement français à être spécifiquement chargé des questions européennes. C'est le Président Valéry Giscard d'Estaing qui lui a en effet demandé de mettre en place le secrétariat d'État chargé des questions européennes qui n'existait pas jusque-là. Il en a assumé la charge de 1978 à 1981, c'est à dire au cours de la période où l'on a créé le système monétaire européen, où l'on a mis en place le Conseil européen et où l'on a, pour la première fois, élu le Parlement européen au suffrage universel direct. Par la suite, et à trois reprises, il a été élu député européen. C'est donc un connaisseur confirmé de ces questions qui a l'expérience tout à la fois de l'exécutif et du législatif français ainsi que du Parlement européen et du Conseil des ministres européen.

Pierre Bernard-Reymond a été désigné vice-président par acclamation.

Institutions européennes

Les méthodes de travail
de la commission des affaires européennes


Communication de M. Jean Bizet

Je souhaite aujourd'hui avant tout ouvrir un débat qui se poursuivra lors d'une prochaine réunion. Toutes les suggestions seront bienvenues. Hubert Haenel, durant ses dix années de présidence de la délégation puis de la commission des affaires européennes, a animé nos travaux en ayant toujours à l'esprit deux idées qui guideront aussi mon action.

La première consiste à faire participer pleinement aux activités de notre commission tous ses membres, quelle que soit leur appartenance politique. Les débats de politique nationale sont trop souvent dominés par la « politique politicienne ». Mais il peut ne pas en aller de même pour les débats européens. Certes, ceux-ci n'ignorent pas les divergences politiques. Ils ne doivent pas les ignorer. Mais les clivages politiques ne doivent pas dominer l'approche que l'on a des sujets européens. J'invite donc chacun d'entre vous, qu'il appartienne à la majorité ou à un groupe minoritaire, à me faire part de tous ses souhaits de travailler sur un sujet précis pour le compte de notre commission. Sur tous les sujets importants, je souhaite que nous constituions des tandems - ou des groupes de travail - de manière à ce qu'il y ait une approche dépassionnée des questions que nous traitons. Je me rappelle que nous avons réussi à adopter cette attitude sur un des sujets les plus conflictuels qui soient : la directive « Services ». Notre groupe de travail a permis une exploration technique du sujet qui a ensuite permis à chacun d'exposer sa propre approche politique du dossier.

La deuxième idée qui m'animera, dans la continuité du Président Haenel, consistera à éviter que les questions européennes restent concentrées au sein de la commission des affaires européennes. Nous devons parvenir à toucher les autres commissions et l'ensemble des sénateurs. Le débat européen ne doit pas être distinct du débat national. Le Règlement du Sénat prévoit aujourd'hui un dispositif d'adoption des résolutions européennes qui permet une bonne conciliation entre les travaux de notre commission et ceux des autres commissions. Les six commissions permanentes sont obligatoirement saisies des propositions de résolution que nous adoptons, ce qui est nécessaire pour assurer le lien entre les questions européennes et les questions nationales. Mais nous n'avons plus à craindre que nos propositions ne deviennent jamais des résolutions du Sénat du seul fait du manque de temps d'une commission permanente. Le mécanisme qui permet une adoption automatique de nos résolutions au terme du délai d'un mois a déjà fonctionné à la satisfaction de tous.

Pour assurer le lien entre notre commission et les commissions permanentes, et toujours dans la lignée de l'action d'Hubert Haenel, j'ai l'intention de proposer, aussi souvent qu'il est possible, des réunions communes à plusieurs commissions et de multiplier les travaux communs. Notre réunion de la semaine dernière sur le suivi par les parlements nationaux de la politique européenne de défense en est un bon exemple. Je crois aussi que nous devrions, chaque fois que le sujet s'y prête, tenter d'associer la commission permanente compétente à notre commission. Le rapport de Denis Badré sur l'évaluation de l'activité des agences européennes, en octobre dernier, me paraît un bon exemple de ce que nous pouvons faire dans cette voie. Denis Badré a présenté son rapport aux deux commissions lors d'une réunion commune et le rapport a été publié au nom des deux commissions. Dans les cas où cela n'est pas possible, par exemple parce que le rapporteur n'appartient pas à la commission permanente compétente, nous pourrions le charger de présenter nos travaux à cette dernière. De manière générale, il me semble que nous ne faisons pas suffisamment connaître le résultat de nos travaux aux six autres commissions et que nous devons faire un effort en ce sens.

Mais intéresser tous les sénateurs, cela passe aussi par des débats en séance plénière du Sénat. Sous l'impulsion du Président Haenel, et à la faveur de la dernière révision constitutionnelle, nous avons connu de nombreux débats européens en séance plénière durant l'année 2009. Je crois qu'il nous faut poursuivre dans cette voie.

Nous pouvons le faire grâce à la procédure des questions orales européennes avec débat. Je crois aussi que nous ne devons pas hésiter à recourir à la séance plénière pour l'adoption de résolutions du Sénat dès lors qu'il s'agit d'un problème politique important. Le débat européen ne doit pas rester circonscrit aux commissions.

Nous devons également poursuivre les débats en séance publique sur le suivi des positions européennes du Sénat. Nous ne pouvons pas arrêter notre action avec une résolution du Sénat. Nous devons absolument contrôler l'action du Gouvernement et examiner si elle s'inscrit bien dans le sens des positions que nous avons adoptées. Nous devons notamment vérifier que le Gouvernement prend bien en compte les résolutions du Sénat.

Enfin, nous devons réfléchir à la manière de rendre plus attractifs et plus vivants les débats préalables au Conseil européen. Vous savez les conditions regrettables dans lesquelles s'est déroulé le débat préalable au Conseil européen il y a quinze jours. En raison du grand nombre d'amendements sur une proposition de loi, le débat européen n'a pu commencer que vers 23 h 45. Comme plusieurs d'entre vous l'ont signalé - je pense à Pierre Fauchon, à Jacques Blanc, à Michel Billout notamment -, nous devons obtenir que des débats de ce genre soient inscrits à l'ordre du jour du Sénat à des heures normales. Je crois que la Conférence des présidents est à présent acquise à cette idée.

Par ailleurs, je souhaiterais connaître votre sentiment sur les modalités qu'il convient de privilégier pour ces débats. Nous avons expérimenté la dernière fois une nouvelle formule reposant sur des questions et des réponses de manière à rendre le débat plus dynamique et plus interactif. Il me semble en effet que nous devons éviter les longues interventions qui découragent trop souvent l'attention des sénateurs présents et qui ne permettent pas le dialogue. J'ai toutefois entendu les remarques qui ont été formulées à la suite de notre dernière expérience. C'est pourquoi nous pourrions peut-être proposer que le prochain débat se déroule de la manière suivante :

- d'abord, une intervention du ministre. Mais, il me semble qu'il faudrait tenter de limiter cette intervention à un quart d'heure environ ;

- puis, un échange de questions-réponses, chaque question devant être posée en 3 mn et la réponse donnée en 3 mn. Nous avons pu constater la dernière fois que 2 mn 30 étaient un délai un peu bref ;

- enfin, un nombre de questions plus important que la dernière fois en sorte que chaque groupe politique ait un minimum de 2 questions. J'ai bien entendu la remarque de notre collègue Michel Billout qui faisait valoir que la formule utilisée il y a quinze jours ne permettait plus à son groupe de s'exprimer que durant 2 mn 30.

J'aimerais vivement connaître vos réactions à ces propositions.

Au-delà de ces deux idées premières, qui se situent dans la continuité de notre action passée, je crois que nous devons inscrire nos travaux et nos méthodes de travail sous le signe de l'ouverture et de la réactivité.

L'ouverture d'abord. En premier lieu, l'ouverture vers le Parlement européen. Pendant trop longtemps, les rapports des parlements nationaux avec le Parlement européen ont été difficiles. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et chacune des deux parties est intimement convaincue de l'intérêt d'un dialogue plus étroit.

La première rencontre avec les députés européens français en février dernier a été, me semble-t-il, prometteuse. Et la deuxième réunion, la semaine dernière, sur les fonds alternatifs, en a confirmé l'intérêt. En liaison étroite avec Pierre Lequiller, je compte poursuivre ces rencontres de manière régulière. Je vous rappelle que la prochaine réunion de ce genre aura lieu le mercredi 26 mai au Palais du Luxembourg. Elle comportera un premier débat sur le « paquet Télécom », puis un second sur le service européen d'action extérieure. En réponse à la suggestion de Pierre Bernard-Reymond, je souhaite que, une fois ces deux thèmes traités, nous ayons un échange plus libre entre parlementaires nationaux et parlementaires européens sur les questions d'actualité.

Nous devons aussi procéder plus souvent à l'audition de parlementaires européens sur des points précis, en privilégiant les rapporteurs ou les présidents de commissions. C'est ainsi que je vous proposerai d'entendre prochainement Alain Lamassoure, Président de la commission des budgets du Parlement européen. Je serais heureux, là aussi, de recueillir vos suggestions pour d'autres auditions de députés européens.

Mais l'ouverture, cela doit être aussi le souci d'assurer une meilleure diffusion de nos propositions à l'extérieur. Je crois que nous devons d'abord développer notre politique de communication à destination du Parlement européen et des services de la Commission. Je vous propose, à cet effet, que, pour chaque rapport important de la commission des affaires européennes, nous élaborions une synthèse en quatre pages qui serait traduite en langue anglaise et je vous propose que celui d'entre nous qui a présenté le rapport se rende à Bruxelles pour en assurer la publicité dans les milieux européens. C'est par une présentation synthétique, disponible en plusieurs langues, et par une présentation personnelle sur place, que nous pourrons arriver à une meilleure diffusion de nos travaux, de nos idées et de nos positions.

La deuxième caractéristique de notre action et de nos méthodes doit être la réactivité.

Nous le savons tous, notre intervention auprès du Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution, n'est susceptible de porter pleinement ses fruits que si nous agissons vite, c'est-à-dire si nous sommes capables de prendre position sur une proposition nouvelle dans les semaines qui suivent sa publication. Le Règlement du Sénat nous permet à présent d'être assurés que nos propositions ne resteront pas dans une attente indéterminée au sein d'une commission permanente. Mais nous devons veiller à adopter nos propositions de résolution dans les délais les plus courts.

Cette réactivité s'impose plus encore pour le contrôle de la subsidiarité. Le traité de Lisbonne est entré en application depuis le 1er décembre dernier, mais nous n'avons pas encore eu l'occasion de procéder à des examens de subsidiarité en fonction des nouvelles dispositions car la Commission européenne était encore dans une phase de mise en route et n'a produit que très peu de textes nouveaux. Nous allons avoir tout à l'heure la première expérience. Le contrôle de subsidiarité va exiger de nous plus de rapidité et plus de réactivité encore que le contrôle découlant de l'article 88-4 de la Constitution puisque le traité de Lisbonne fixe un délai impératif de huit semaines pour l'adoption des avis motivés qui seront adressés à la Commission européenne. Un accord semble se dessiner pour que notre commission dispose de six semaines pour se prononcer - cela me paraît indispensable - tandis que la commission compétente au fond disposerait de deux semaines pour confirmer (explicitement ou tacitement) ou infirmer notre jugement.

Notre réunion de la semaine dernière sur le suivi parlementaire de la politique européenne de défense est un bon exemple de réactivité. C'est en effet le 24 mars seulement que nous avons appris que plusieurs États participant à l'UEO envisageaient de dénoncer à très court terme le traité instituant l'UEO. Et nous avons réussi, exactement une semaine plus tard, le 31 mars, à adopter une proposition de résolution, après avoir entendu le Secrétaire d'État chargé des affaires européennes. La commission des affaires étrangères a fait preuve de la même réactivité puisqu'elle examine aujourd'hui même notre proposition de résolution. Il y aura donc une position solennelle et définitive du Sénat sur ce sujet moins de trois semaines après que ce sujet s'est inscrit dans l'actualité.

Cela n'a été possible que parce que nous avions commencé de travailler sur ce problème en amont et que nous avions déjà esquissé les principaux éléments de la position du Sénat alors même que la dénonciation du traité de l'UEO n'était encore qu'une hypothèse. Cela montre que, chaque fois que cela est possible, il nous faut tenter d'explorer les sujets en amont, avant qu'ils ne s'imposent à nous. Pour faciliter ce travail en amont et cette réactivité, je vous propose de vous adresser, environ une fois par mois, mais aussi souvent que cela paraîtra utile, une note d'information contenant de brèves synthèses sur les sujets européens qui s'inscrivent dans l'actualité. Ces notes devraient permettre de mieux comprendre certaines annonces qui sont relatées en termes ambigus ou trop allusifs dans la presse française. Elles devraient aussi permettre à chacun d'entre vous, dès qu'il est intéressé par un des sujets évoqués, de pouvoir l'examiner de manière plus approfondie sans tarder.

Enfin, je voudrais vous proposer, de manière plus concrète, que, au-delà des sujets que l'actualité va nous imposer, nous nous consacrions à l'étude de deux grands sujets du moment qui sont, d'une part, la gouvernance économique européenne et, d'autre part, l'avenir de la politique agricole commune. Pour chacun de ces deux thèmes, je crois qu'il serait bon que nous désignions un groupe de travail chargé de débroussailler suffisamment le sujet afin que nous puissions avoir des débats constructifs. J'insiste sur le fait que ces groupes doivent être ouverts et que tous ceux qui veulent y participer sont évidemment les bienvenus.

Enfin, avant de terminer, je crois que nous constatons tous que nos agendas sont surchargés et que nous devons nous efforcer de tenir des réunions qui ne sont pas trop longues. C'est pourquoi je vous proposerai que, chaque fois que cela est possible, le rapporteur adresse le texte complet de sa communication ou de son rapport aux membres de la commission quelques jours avant la réunion, ce qui lui permettra d'effectuer une présentation plus brève et plus synthétique qui sera davantage axée sur les aspects politiques et sur les propositions. C'est ainsi que nos débats pourront être plus vivants encore.

Je mentionne pour terminer deux points qui, je crois, ne feront pas débat entre nous : la nécessité de cultiver nos relations avec les parlements des autres États membres, et l'intérêt de tenir compte des travaux du Conseil de l'Europe, d'autant que certains d'entre nous sont membres de son assemblée.

M. Robert Badinter :

Je prends note de votre prise de position en faveur de l'équité entre les groupes politiques. Mais ne faudrait-il pas qu'elle se traduise dans la présidence des deux groupes de travail que avez annoncés ? Il faut que l'opposition ait sa juste place dans le fonctionnement du Sénat. C'est le meilleur moyen pour que, lorsque l'alternance jouera, la nouvelle majorité ne cède pas à la tentation de faire subir ce qu'elle a elle-même subi trop longtemps !

M. Jean Bizet :

Je comprends tout à fait votre observation. Je crois qu'une bonne solution serait une co-présidence pour ces deux groupes de travail.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Une autre solution possible serait la présidence d'un des deux groupes de travail par l'opposition, mais la formule d'une co-présidence pour les deux est sans doute préférable. Ce sont deux sujets importants.

M. Jean Bizet :

Nous aurons un échange de vues sur nos futures méthodes de travail lors d'une prochaine réunion. Je suis ouvert à toutes les suggestions.

Subsidiarité

Contrôle de subsidiarité : action de l'Union européenne
pour le label du patrimoine européen (texte E 5178)

Communication de M. Jean Bizet

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, nous avons reçu 11 textes au titre du contrôle de subsidiarité. Parmi ces textes, un seul amène à s'interroger au regard de la subsidiarité. Il s'agit de celui qui concerne le label du patrimoine européen que nous avons reçu le 12 mars. Ce texte vise à transformer en une action formelle de l'Union européenne une initiative intergouvernementale de 2006, réunissant aujourd'hui seize États membres plus la Suisse, destinée à attribuer à certains sites particulièrement symboliques du point de vue de l'histoire européenne, le label de patrimoine européen.

En premier lieu, un certain nombre d'États membres, qui ne participe pas à l'initiative intergouvernementale, est assez opposé à sa transformation en action de l'Union européenne, qui impliquera un partage des coûts entre l'ensemble des États membres. Ils n'ont donc accepté cette transformation qu'à la condition que la participation au projet se fasse sur une base volontaire et que le budget dégagé demeure minime. Dès lors, l'intérêt de communautariser cette initiative intergouvernementale paraît bien faible puisqu'on peut grosso modo estimer que seuls les États qui y participaient déjà continueront d'y prendre part et que le budget alloué à ce projet ne devrait pas être sensiblement amélioré, s'il ne se retrouvait pas, au contraire, contraint par cette communautarisation.

En second lieu, on a peine à distinguer la plus-value qu'apporte l'Union européenne en intervenant dans ce dispositif.

D'une part, la Commission européenne propose de créer un jury de douze experts chargé de sélectionner les sites à labelliser sur la base de critères préalablement définis, afin de renforcer l'impartialité du processus de sélection et de favoriser la crédibilité du label. 400 000 euros devraient être alloués au jury pour réaliser sa sélection et 600 000 euros pour la gestion des ressources humaines. Un million d'euros représente fort peu en comparaison du montant total du budget de l'Union européenne. Mais on peut se demander cependant si, à partir du moment où des critères stricts ont été définis, on ne pourrait pas s'en remettre aux États membres, comme c'est le cas aujourd'hui dans le cadre de l'initiative intergouvernementale, pour sélectionner les sites labellisables.

D'autre part, la Commission européenne propose qu'un autre million d'euros soit affecté, au cours des cinq prochaines années, à la mise en place de campagnes de communication, en particulier à destination des jeunes, afin de faire connaître les sites labellisés, et à des actions visant à faciliter la mise en réseau et l'échange de bonnes pratiques entre les sites. La Commission souhaite ainsi se distinguer de l'Unesco ou du Conseil de l'Europe, dont le financement apporté couvre surtout la mise en valeur et l'entretien des sites. Là encore, on peut douter de l'impact que sont susceptibles d'avoir de telles campagnes de communication, d'autant que le budget alloué semble ridiculement faible pour la promotion, au cours des cinq prochaines années, d'au moins 64 sites déjà labellisés !

Malgré les difficultés manifestes que présente cette proposition de décision au regard de la subsidiarité, je souhaiterais avoir votre avis sur l'opportunité de transmettre un avis motivé à la Commission à son sujet. Le Gouvernement français est en effet très favorable à cette initiative. Le ministère français de la culture est à l'origine de la création du label du patrimoine européen sur une base intergouvernementale en 2006 et l'abbaye de Cluny fut le premier site à avoir obtenu le label. Notre Gouvernement accueille donc très favorablement cette proposition.

Je souhaiterais connaître votre sentiment. Je précise que, si l'initiative de la Commission européenne était refusée, cela ne mettrait pas fin à ce qui existe aujourd'hui. Le label resterait simplement le résultat d'une action entre les gouvernements intéressés.

Compte-rendu sommaire du débat

M. Pierre Fauchon :

Je ne suis pas favorable à ce que nous adressions un avis motivé à la Commission européenne sur ce texte qui m'apparaît, au contraire, particulièrement bienvenu. De nombreux sites en France comme dans l'Union européenne sont susceptibles d'obtenir ce label et nous savons tous qu'un label, quel qu'il soit, est toujours bénéfique d'un point de vue économique : augmentation de la fréquentation du site, référencement dans des revues ou des livres d'art, etc. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit d'un label géré par l'Union européenne, parce que celle-ci jouit d'une forte crédibilité auprès du grand public. Je crois donc qu'il nous faut encourager cette initiative.

M. Pierre Bernard-Reymond :

Pour ma part, j'avoue que la valeur ajoutée qu'apporterait la gestion par l'Union européenne de ce label ne m'apparaît pas clairement. Je crains que l'Union européenne ne décide de prendre en charge un label qui ne sera de toute façon jamais aussi visible, aux yeux du public, que le label du patrimoine mondial de l'Unesco.

Prenons un exemple : un site déjà inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco a-t-il un intérêt à demander le label du patrimoine européen ? Et quand bien même il aurait souhaité et obtenu les deux labels, je pense qu'il mettra surtout en avant celui de l'Unesco qui jouit, depuis de nombreuses années déjà, d'une grande notoriété et d'une réputation de fiabilité. Je crains donc que seuls des sites qui n'ont pas été inscrits à la liste de l'Unesco demandent leur labellisation au titre du patrimoine européen, ce qui ne servirait pas la crédibilité du label de l'Union européenne.

M. Robert Del Picchia :

Je partage cet avis. Je ne voudrais pas que l'Union européenne prenne le risque de se discréditer en reprenant à son compte un label qui pourrait apparaître, pour certains, comme un « sous-label Unesco ».

M. Robert Badinter :

Je ne crois pas que l'Union européenne ait pour mission première la promotion de la culture. Autant l'Unesco est l'organe culturel des Nations Unies et a donc un véritable rôle à jouer en la matière, autant l'Union européenne n'a pas été conçue dans l'idée de distribuer des labels culturels, si louable soit l'idée.

M. Hugues Portelli :

Je constate que l'Unesco promeut déjà de moins en moins la culture européenne. Je crains qu'en reprenant à son compte le label du patrimoine européen, l'Union européenne n'encourage encore plus l'Unesco à se détourner de notre continent au profit d'autres zones géographiques, en donnant le sentiment à cette institution que l'Union européenne, autrement dit, une organisation majeure, a repris les choses en main.

A l'issue de ce débat, la commission a adopté l'avis motivé suivant :

Proposition de décision établissant une action de l'Union européenne pour le label du patrimoine européen (COM (2010) 76 final)

*

La commission des affaires européennes du Sénat :

- observe que la communautarisation du label du patrimoine européen, initiative aujourd'hui intergouvernementale, ne devrait se traduire que par la mise en place d'un jury d'experts chargé de la sélection des sites et par le financement de campagnes de communication et d'actions de mise en réseau des sites pour faciliter l'échange de bonnes pratiques ;

- estime, en conséquence, que cette communautarisation n'apporte pas de réelle plus-value par rapport à l'initiative intergouvernementale actuelle et que l'existence même de cette initiative intergouvernementale montre clairement que les États peuvent à eux seuls mener cette action s'ils la jugent utile.

Justice et affaires intérieures

Ouverture de négociations en vue d'un accord sur le transfert
de données entre l'Union européenne et les États-Unis (Swift)
(texte E 5214)

Communication de M. Jean Bizet

Je vous rappelle que nous avions adopté ici-même une proposition de résolution, le 28 octobre dernier, sur le projet d'accord avec les États-Unis sur le transfert des données financières (dit « accord SWIFT »). Devenue résolution du Sénat le 21 novembre, cette résolution affirmait plusieurs priorités dans la perspective de la conclusion du projet d'accord.

Par la suite, le conseil « JAI » du 30 novembre 2009 avait autorisé la présidence du Conseil à signer cet accord qui devait revêtir un caractère intérimaire avant la conclusion d'un accord à plus long terme. C'est ainsi que cet accord intérimaire devait être d'une durée limitée à neuf mois. Mais, le 11 février 2010, le Parlement européen n'a pas approuvé l'accord. Or, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, cette approbation est indispensable. L'accord intérimaire n'est donc pas entré en vigueur.

Pour autant, la situation qui avait motivé la conclusion d'un accord intérimaire demeure. Depuis la fin 2009, avec la nouvelle architecture SWIFT qui a abouti à rapatrier en Europe les données financières auparavant stockées aux États-Unis, plus de 50 % des données sur lesquelles portaient les injonctions du Trésor américain au titre du programme de lutte contre le financement du terrorisme, ne sont plus stockées aux États-Unis.

C'est pourquoi l'ouverture de nouvelles négociations est envisagée. Mais, cette fois-ci, en vue de la conclusion d'un accord à long terme. Toutefois, il est clair qu'un tel accord ne pourra aboutir que s'il répond aux préoccupations exprimées par le Parlement européen, qui rejoignent les nôtres, concernant la protection des données à caractère personnel.

Je voudrais maintenant examiner, au regard de ces préoccupations, la recommandation présentée par la Commission européenne en vue de l'ouverture de négociations.

1. La finalité de la transmission des données

Selon la résolution du Sénat, la lutte contre le terrorisme doit être la finalité exclusive de la transmission de ces données financières.

La recommandation de la Commission européenne prévoit bien que la lutte contre le terrorisme et son financement sera la finalité exclusive de la transmission des données SWIFT. Nous pouvons donc prendre acte de cette garantie qui est essentielle.

En outre, progrès notable, comme nous l'avions souhaité, cette finalité sera appréciée au sens de l'article 1er de la décision-cadre du 13 juin 2002 qui donne la définition européenne du terrorisme alors que le projet d'accord intérimaire renvoyait à la définition américaine.

Nous avions aussi émis des réserves sur une transmission en masse des données « potentiellement intéressantes ». J'observe que la recommandation précise que la demande de transmission devra être strictement adaptée et proportionnée et que « seule une quantité minimale de données nécessaires aux fins de l'accord » pourra être demandée par le Trésor américain.

Je relève par ailleurs que la recommandation prévoit expressément que l'accord devra garantir le respect intégral des droits fondamentaux, tels que consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union européenne, en particulier le droit à la protection de la vie privée en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel. Il devra également garantir le respect intégral des principes de nécessité et de proportionnalité pour ce qui est du droit au respect de la vie privée et familiale.

2. La définition et le rôle des autorités compétentes pour la transmission des données 

Selon la résolution du Sénat, la qualité et les missions qu'aura l'autorité européenne responsable de la transmission des données doivent être définies précisément. Cette autorité doit pouvoir exercer un contrôle effectif sur la conformité des demandes aux conditions posées par le projet d'accord et par l'accord bilatéral sur l'entraide judiciaire.

La recommandation de la Commission européenne prévoit qu'une autorité judiciaire publique devra être désignée au sein de l'Union européenne. Elle sera chargée de recevoir les demandes du Trésor américain. Elle sera aussi chargée de vérifier que la demande, qui devra être motivée, satisfait aux exigences de l'accord. J'ajoute que c'est un système dit « push » qui sera utilisé pour la transmission des données en cause. Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, notamment sur les échanges de données PNR, ce système est plus protecteur puisqu'à la différence du système dit « pull », il prohibe toute intrusion de l'autorité destinataire dans le système d'information.

3. La conservation des données et le partage de l'information

La résolution du Sénat demandait que l'accès aux données soit réservé à des services dûment habilités et pour cette seule finalité et que la communication des données fournies à des tiers soit prohibée.

La recommandation précise que le transfert ultérieur des informations devra être limité aux services répressifs, aux organismes chargés de la sécurité publique et aux organismes chargés de la lutte contre le terrorisme. En outre, ne seront partagées que les données contenues dans des indices spécifiques concernant les suspects identifiés d'actes de terrorisme. Ces informations ne pourront être partagées que pour la fin exclusive de la lutte contre le financement du terrorisme. Ce qui était déjà un acquis de la négociation précédente.

Mais, selon la recommandation, les services concernés pourront être issus d'États tiers. Cela ne va pas sans susciter de fortes interrogations sur la façon dont les garanties que je viens de mentionner pourront être obtenues et leur respect assuré. Je rappelle qu'à la demande de la France, une déclaration du Conseil annexée à l'accord intérimaire précisait que celui-ci « est sans préjudice d'aucune des dispositions de l'accord à long terme, en particulier en ce qui concerne (...) la transmission de données aux États tiers. » Il y a là une question que le Gouvernement pourrait utilement soulever à nouveau au sein du Conseil et sur laquelle nous devrons rester très vigilants.

4. Le délai de conservation des données

Dans sa résolution, le Sénat demandait que le délai de conservation soit proportionné aux finalités de l'accord et que celui-ci détermine un délai raisonnable.

La recommandation prévoit que les données extraites de la base de données ne seront pas conservées pour une durée supérieure à celle nécessaire aux enquêtes et poursuites pour lesquelles elles ont été transmises. Pour les données non extraites, l'accord devra fixer une période maximale de cinq ans et prévoir une évaluation continue et au moins annuelle afin de supprimer le plus rapidement les données qui ne sont pas nécessaires pour la réalisation des objectifs de l'accord.

Pour le PNR européen, le Sénat avait proposé une durée de trois ans, qui pourrait être complétée par un nouveau délai de trois ans pour les données ayant montré un intérêt particulier.

Cette question méritera donc un examen plus approfondi dans le cadre des négociations pour vérifier l'adéquation du délai de cinq ans avec la finalité poursuivie.

5. Le droit des personnes concernées

La résolution du Sénat demandait que des garanties soient établies sur les droits des personnes concernées en particulier pour leur permettre d'exercer un recours administratif ou juridictionnel effectif tant dans un État membre qu'aux États-Unis.

La recommandation de la Commission européenne précise que l'accord devra prévoir le respect du droit à l'information des personnes, de leur droit d'accès, de rectification et, le cas échéant, du droit à la suppression des données. En outre l'exploration (data mining), la manipulation ou l'interconnexion avec d'autres bases de données seront prohibées.

Par ailleurs, l'accord intérimaire précisait que ce droit serait exercé « en application de la législation des États-Unis », laquelle réserve le droit au recours judiciaire aux citoyens et résidents permanents des États-Unis.

Nous avions indiqué que l'on ne pouvait admettre une telle situation dans laquelle les citoyens européens ne disposeraient pas de toutes les voies de recours judiciaire ouverte aux citoyens et résidents permanents des États-Unis.

C'est pourquoi il est très important que la recommandation spécifie que l'accord devra garantir un droit de recours administratif et judiciaire effectif « sur une base non discriminatoire indépendamment de la nationalité » de la personne.

6. La supervision et l'évaluation de l'accord 

La résolution du Sénat insistait sur le rôle des autorités de contrôle de la protection des données pour superviser et évaluer la mise en oeuvre de l'accord.

La recommandation précise que l'accord devra prévoir des garanties et contrôles concernant la protection des données « y compris la vérification du respect de ces garanties et contrôles ». Ces garanties et contrôles devront être au moins équivalents à ceux prévus pour les citoyens américains en vertu du droit national américain. Ils devront refléter les normes du Conseil de l'Europe.

En outre, des réexamens réguliers devront être opérés. L'équipe chargée de ces réexamens sera composée de spécialistes de la lutte contre le terrorisme mais aussi de spécialistes de la protection des données. C'est là une garantie essentielle sur laquelle il faudra être très vigilant. Il est en particulier souhaitable que le « G29 » (le groupe des « CNIL européennes) soit étroitement associé à cette procédure.

7. L'accès des Parlements nationaux aux évaluations

La résolution du Sénat demandait que les parlements nationaux  aient accès aux résultats de la supervision et à l'évaluation qui sera faite de l'accord.

La recommandation prévoit que, dans l'accord, figure l'obligation pour la Commission européenne de présenter des rapports périodiques au Parlement européen sur le fonctionnement de l'accord. Ces rapports permettront notamment de faire un point sur le partage de l'information avec des pays tiers et sur le respect des obligations en matière de données.

Il me paraît indispensable que les parlements nationaux aient eux-mêmes accès à ces rapports périodiques.

8. La dénonciation de l'accord et la suspension du transfert de données

Enfin, la recommandation spécifie que l'Union européenne devra pouvoir mettre fin immédiatement à l'accord ou exiger immédiatement la suspension du transfert des données financières lorsque les obligations ou les garanties de réciprocité ne seront pas respectées. C'est là aussi une précision importante.

*

Pour conclure, je crois que nous pouvons constater que cette recommandation de la Commission européenne permet de prendre en compte bon nombre des préoccupations que le Sénat avait exprimées sur la base du projet d'accord intérimaire. Le rejet de celui-ci par le Parlement européen pèsera nécessairement sur le déroulement des nouvelles négociations. Le Parlement européen sera, en effet, appelé à se prononcer à nouveau sur l'accord ainsi négocié. On voit ainsi la portée des nouvelles dispositions issues du traité de Lisbonne qui confèrent de nouvelles prérogatives au Parlement européen sur les accords internationaux.

Pour autant, notre vigilance doit demeurer intacte. D'une part, certaines questions qui avaient justifié des observations dans la résolution du Sénat demeurent posées. Je pense en particulier à la transmission des données à des pays tiers que nous avions, pour notre part, souhaité exclure. D'autre part, à travers cette recommandation, ce sont les positions européennes qui s'expriment. Reste à voir quelles seront les positions américaines et la disposition des États-Unis à répondre à cette demande de garanties supplémentaires.

C'est pourquoi nous devrons rester attentifs au déroulement de la négociation pour que l'enjeu d'efficacité de la lutte contre le terrorisme que nous partageons se concilie avec un autre enjeu tout aussi essentiel de protection des droits fondamentaux, en particulier des données personnelles.

Ce n'est que sous cette réserve que nous pouvons prendre acte de cette recommandation de la Commission européenne en vue de l'ouverture de nouvelles négociations avec les États-Unis.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert del Picchia :

La question de Swift pose un vrai problème de défense des libertés publiques et notamment de protection des données, au même titre que le dossier du système d'information Schengen II (SIS II) relatif aux données personnelles dans le cadre de Schengen. Les premiers tests du SIS II, qui ont été réalisés au mois de janvier, ne se sont pas avérés satisfaisants. Au mois d'avril, le Conseil devrait prendre une décision pour savoir si l'on poursuit ou non sur la voie de SIS II. Si l'on décide alors d'abandonner SIS II, il faudra en revenir à SIS I, qu'il faudra améliorer et rendre plus performant. Je rappelle que SIS II coûte beaucoup plus cher que SIS I, et que le contrôle des données personnelles dans le cadre de SIS II est très insuffisant.

M. Pierre-Bernard Reymond :

La réciprocité est-elle acquise avec les États-Unis ?

M. Jean Bizet :

C'est un des points figurant dans le mandat de négociation.

M. Robert Badinter :

Les États-Unis sont toujours prêts à aller très loin, tant qu'il n'est pas question de réciprocité. Ce sujet est vraiment très important et il intéresse beaucoup de nos collègues. Il devrait faire l'objet d'un suivi.

M. Jean Bizet :

L'ouverture des négociations passera en Conseil JAI le 22 avril. Une fois que cette étape sera franchie, il nous faudra suivre de près les négociations. Il importe donc que ce dossier soit suivi régulièrement par un membre de notre commission.

Justice et affaires intérieures

Coopération renforcée dans le domaine de la loi
applicable au divorce et à la séparation de corps

Communication de M. Pierre Fauchon

Nous sommes saisis d'une proposition de décision et d'une proposition de règlement, émanant de la Commission européenne, qui tendent respectivement à autoriser et à mettre en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine du divorce et de la séparation de corps.

Nous sommes nombreux ici à avoir souvent souligné que la coopération renforcée était la voie la plus efficace pour faire progresser la construction européenne. Je vous ai moi-même présenté l'an passé un rapport d'information sur ce que j'avais préféré dénommer les « coopérations spécialisées ». Donc, nous ne pouvons a priori accueillir que favorablement cette initiative de la Commission européenne.

Mais avant d'évaluer plus précisément cette proposition, je crois utile de rappeler le contexte dans lequel elle s'inscrit.

1. Quelle est la situation actuelle ?

On recense environ 122 millions de mariages dans l'Union européenne, dont quelque 16 millions, soit 13 %, ont un caractère international. En 2007, 2,4 millions de mariages ont été enregistrés dont près de 300 000 étaient internationaux.

En 2007, 1,04 million de divorces ont été prononcés dont 140 000, soit 13 %, présentaient un caractère d'extranéité. Je précise que les États membres qui enregistraient le plus grand nombre de nouveaux divorces internationaux au sein de l'Union européenne en 2007 étaient l'Allemagne (34 000), la France (20 500) et le Royaume Uni (19 500).

En l'absence de règles communautaires, il existe 26 corpus différents de règles de conflit de lois sur le divorce (le Danemark ne participe à la coopération judiciaire civile). Ce qui est évidemment source d'une très grande complexité. La plupart des États membres déterminent la loi applicable en fonction d'une échelle de critères de rattachement visant à garantir que les procédures sont régies par l'ordre juridique avec lequel le mariage a des liens les plus étroits. D'autres États membres préfèrent appliquer systématiquement leur droit national (« loi du for »).

Les différences de législation, tant en ce qui concerne le droit matériel que les règles de conflit de lois, sont une source d'insécurité juridique. Il est difficile pour les « couples internationaux » de prévoir quelles seront les règles applicables dans leurs procédures matrimoniales. En outre, la majorité des États membres ne laissent pas aux conjoints la liberté de choisir la loi applicable dans de telles procédures. Enfin, la disparité des règles de conflit de lois peut inciter l'un des conjoints à se « précipiter » pour intenter une action et faire ainsi en sorte que la procédure soit soumise à une loi particulière qui protège le mieux ses intérêts.

Or le droit communautaire ne permet pas d'établir des règles communes. Certes, il existe un règlement du 27 novembre 2003 (dit « Bruxelles II bis ») qui établit des règles relatives à la compétence et à la reconnaissance des décisions en matière matrimoniale. Mais ce règlement ne contient pas de règles quant à la loi applicable.

C'est pourquoi la Commission européenne, à la suite d'un livre vert, a présenté en juin 2006 une proposition de règlement qui vise à mettre en place des règles communautaires de conflit de lois en matière de divorce. Cette proposition ouvrait, sous certaines réserves, aux conjoints la liberté de choisir la juridiction compétente et la loi applicable.

Je précise que, relevant du droit de la famille, ce texte n'obéit pas à la codécision et son adoption requiert l'unanimité des États membres. Le traité de Lisbonne n'a pas modifié ces règles issues du traité d'Amsterdam.

2. Pourquoi une coopération renforcée ?

Discutée au sein du Conseil à compter de l'automne 2006, ce texte a constitué une priorité des présidences allemande, portugaise et slovène. Cependant, les discussions sont arrivées à un point de blocage début 2008. Plus précisément, la Suède a considéré qu'il n'était pas possible que ses juridictions appliquent une loi sur le divorce qui soit plus restrictive que ses propres lois en la matière. Elle a donc souhaité pouvoir continuer à appliquer son propre droit matériel à toute demande de divorce portée devant ses juridictions. En dépit des efforts réalisés par les présidences successives, ce blocage n'a pu être surmonté.

On s'est donc trouvé dans cette situation assez paradoxale - et pour tout dire inacceptable - où le consensus dégagé au cours de la négociation n'a pas pu aboutir en raison de l'opposition d'un seul État membre.

En juin 2008, les ministres ont dû constater « l'absence d'unanimité pour faire aboutir le règlement Rome III, et des difficultés insurmontables qui existent rendant impossible l'unanimité, aujourd'hui et dans un avenir proche ».

En juillet et août 2008, neuf États membres (Bulgarie, Grèce, Espagne, Italie, Luxembourg, Hongrie, Autriche, Roumanie et Slovénie) ont fait savoir à la Commission européenne qu'ils étaient disposés à mettre en oeuvre entre eux une coopération renforcée et l'ont invitée à présenter une proposition dans ce sens. Ils ont été rejoints par la France, en janvier 2009, à l'issue de sa présidence de l'Union européenne. La Grèce s'est ensuite retirée.

Après quelques hésitations, la Commission européenne s'est décidée à franchir le pas. Elle répond ainsi à la volonté exprimée par le Conseil, dans le récent programme de Stockholm, que soit poursuivi le processus d'harmonisation des règles de conflit de lois, en particulier en matière de séparation et de divorce.

3. Sur quoi portera cette coopération renforcée?

Je précise que cette coopération renforcée ne portera que sur la loi applicable et non sur la compétence judiciaire comme le faisait la proposition initiale. Elle ne comprend pas les règles de conflit de lois applicables aux conséquences patrimoniales du divorce. Elle ne vise pas non plus le droit matériel en matière de divorce, c'est-à-dire les causes du divorce ou la procédure à appliquer en matière de divorce.

Concrètement, alors que la majorité des règles nationales ne prévoit qu'une seule solution dans une situation donnée, la proposition permet aux conjoints de choisir la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. Cependant, ne pourront être choisies que des lois avec lesquelles les conjoints ont des liens étroits en raison de leur résidence habituelle ou de la dernière résidence habituelle commune si l'un d'eux y réside encore, de la nationalité de l'un des conjoints et de la loi du for. A défaut de choix des époux, la proposition prévoit une échelle de critères de rattachement, dans laquelle la résidence habituelle des conjoints figure en première place.

Je précise également que des précautions sont prises pour faire prévaloir la loi du tribunal saisi pour les situations dans lesquelles la loi applicable ne prévoit le divorce ou ne l'accorde pas à l'un des époux en raison de son sexe. En outre, une exception d'ordre public permettra au tribunal saisi d'écarter des règles de la loi étrangère contraire à son ordre public.

4. Quelle appréciation pouvons-nous porter ?

D'abord, je veux souligner qu'il s'agira d'un véritable progrès pour les personnes concernées. Je rappelle que les neuf États membres qui conduiront cette coopération renforcée représentent 216,3 millions d'habitants, soit près de la moitié (44 %) de la population de l'Union européenne. Dans ces États, les divorces « internationaux » représentent environ 13 % du total, soit le même niveau que dans l'Union européenne prise globalement. On estime à 440 000 environ le nombre de divorces prononcés dans ces pays, dont 53 000 présentent des éléments d'extranéité. Outre l'unification des règles de conflit de lois, la liberté de choix laissée aux conjoints sera aussi une avancée notable par rapport à ce qui se pratique actuellement dans les États membres.

Ensuite, nous devons nous féliciter de voir enfin, dans le cadre des traités, la mise en oeuvre de la seule méthode qui fonctionne pour faire progresser la construction européenne. On l'a bien vu dans le passé dans le domaine monétaire, avec Schengen, plus récemment avec le casier judiciaire ou le traité Prüm. J'en ai fait une analyse détaillée dans le rapport d'information que je vous ai présenté. Sur beaucoup de sujets, il est vain d'attendre que tous les États membres soient d'accord au même moment pour avancer ensemble. C'est pourquoi il faut accepter qu'un groupe d'entre eux montre l'exemple, pour être rejoints ensuite par l'ensemble des autres États.

Ce n'est que comme cela que l'Europe peut progresser. Le divorce en donnera une nouvelle illustration. Avec cette coopération renforcée, la vie de dizaine de milliers d'européens sera facilitée. On peut donc espérer que les autres États membres rejoindront progressivement une démarche qui aura prouvé son efficacité.

Que, pour la première fois, cette procédure trouve à s'appliquer dans le cadre des traités et ce très rapidement après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne me paraît extrêmement encourageant pour l'avenir. Elle ouvre, je l'espère, des perspectives pour que la coopération renforcée soit utilisée chaque fois que nécessaire.

Pour autant, on voit bien que, dans un espace de libre circulation, on ne pourra pas durablement se contenter d'unifier les règles de conflit de lois ou de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. C'est bien vers une véritable harmonisation du droit applicable qu'il faut aller. C'est particulièrement le cas en matière matrimoniale. Un régime unifié devrait être élaboré au niveau communautaire. Il pourrait, à titre optionnel, être choisi par des couples bi-nationaux, ce qui serait une source de simplification majeure. J'observe que l'Allemagne et la France se sont engagées dans cette voie. Le 12conseil des ministres franco-allemand de février dernier a en effet abouti à la signature d'un accord sur un régime matrimonial franco-allemand. D'autres États de l'Union européenne pourraient adopter ultérieurement ce régime matrimonial, par adhésion à cet accord. Ce régime pourrait alors être élargi à d'autres couples binationaux européens.

Je vous propose donc d'approuver cette proposition, tout en mesurant ses limites.

Compte-rendu sommaire du débat

M. Jean Bizet :

Si je résume vos propos, nous pouvons nous réjouir de la mise en oeuvre, pour la première fois, d'une coopération renforcée, mais la substance de cette coopération renforcée est insatisfaisante et il serait souhaitable que nous aboutissions à un statut conjugal européen facultatif.

M. Pierre Fauchon :

Cela serait souhaitable et il faut notamment que l'expérience franco-allemande avance pour servir d'exemple.

Mme Fabienne Keller :

Je salue l'enthousiasme de Pierre Fauchon. Ce sujet sensible relève véritablement de « l'Europe des gens », avec notamment le problème délicat de la garde des enfants. Il me semble donc très important que nous prenions position sur ce texte, de façon offensive et encourageante.

J'évoquais à l'instant avec Roland Ries la célébration, il y a quelques années à Strasbourg, au Conseil de l'Europe, du bicentenaire du Code civil. Il y avait des représentants de presque tous les pays européens. Cela me fait penser que les bases juridiques ne sont peut-être pas si divergentes que cela d'un pays à l'autre. Même si chacun a refaçonné ce code, nous avons un socle commun.

M. Pierre Fauchon :

Vous avez raison. Cela dit, le système anglais est plus spécifique.

Mme Fabienne Keller :

Pour ce qui est de la coopération renforcée examinée, je relève qu'elle porte sur la question du droit qui doit être appliqué. Il faudrait aussi traiter le fond. Il me semble que nous traitons ici d'un sujet susceptible de faire adhérer les citoyens à l'Europe. Car les difficultés juridiques rencontrées sont incompréhensibles pour nos concitoyens, qui aspirent à un système plus simple.

M. Robert del Picchia :

Ce sujet nous préoccupe beaucoup en tant que sénateurs représentant les Français de l'étranger car nous sommes directement concernés et confrontés, presque tous les mois, à quelques cas de divorce difficiles, particulièrement au regard de la garde des enfants. Je regrette à cet égard que des décisions adoptées par les plus hautes instances juridiques, telle que la Cour constitutionnelle allemande, restent parfois non appliquées par les Länder. Je suis donc tout à fait favorable à cette proposition, dont il faudrait enrichir la substance, dans la mesure du possible. En tout cas, il est clair que la coopération renforcée est l'outil adéquat pour avancer.

M. Richard Yung :

Cette question sensible occupe en effet une part importante de notre mandat de sénateur représentant les Français établis hors de France, ainsi que le problème des héritages. Je voudrais me montrer optimiste. Il me semble que ce texte, aussi minimal soit-il, marque une première étape importante, qui doit être soulignée. Car c'est la première fois que l'on aboutit à quelque chose dans ce domaine, après des années de tergiversations au sujet des coopérations renforcées. C'est encourageant et l'on peut espérer que cela marquera le début d'un processus. En outre, je souhaiterais savoir si l'accord franco-allemand dont vous nous avez parlé, lorsqu'il sera mis au point, ne pourrait pas être soumis à d'autres pays de l'Union européenne qui seraient susceptibles de nous rejoindre.

M. Pierre Fauchon :

C'est tout à fait possible, comme l'a montré l'exemple du casier judiciaire européen. A la base, quelques pays qui avaient des systèmes informatisés facilement conciliables - la France, l'Espagne, le Benelux et l'Allemagne - se sont associés pour élaborer un casier judiciaire commun. Ils ont donc créé une coopération de fait, même s'il ne s'agissait pas d'une coopération renforcée telle que définie par les traités. Je constate avec satisfaction que cette coopération regroupe aujourd'hui quinze pays, quatre ou cinq ans après son lancement. Les Anglais sont d'ailleurs intéressés. La conclusion à en tirer est que, lorsqu'une coopération répond à un besoin évident, elle fait des émules.

M. Pierre-Bernard Reymond :

Pourquoi les vingt-six pays qui étaient d'accord avec la proposition initiale de la Commission ne se retrouvent-ils pas dans la coopération renforcée ? Est-ce que cela s'explique parce que le contenu du texte ne leur convient pas, ou bien est-ce une position de principe contre les coopérations renforcées ?

M. Pierre Fauchon :

Je pense en effet qu'il s'agit d'une position de principe, tant les coopérations renforcées et toute idée d'avancer à quelques-uns suscitent de la méfiance. D'ailleurs, si l'on y regarde de près, on constate que la plupart des grands projets ne se font pas à vingt-sept - à part le marché commun et la politique agricole commune - mais dans le cadre d'une coopération à plusieurs. C'est le cas de Schengen, de l'Union monétaire, des opérations militaires ...

M. Robert Badinter :

J'insiste sur la défiance qui existe à l'égard des coopérations renforcées, dont la conséquence désastreuse est la stagnation de l'Europe dans de nombreux domaines. Certes, ce texte peut être qualifié de montagne accouchant d'une souris. Mais il faut souligner le grand progrès que constitue le recours, pour la première fois, à une coopération renforcée. Je me réjouis que la France l'ait rejointe. Je suis convaincu que les coopérations renforcées sont l'avenir du domaine pénal au niveau de l'Union européenne.

Je voudrais également nuancer les propos de Fabienne Keller relatifs au socle juridique commun. Je peux vous garantir que l'Allemagne est loin de considérer le code civil comme le modèle de la culture juridique.

Je conclurai par une remarque sur le casier judiciaire. Il s'agit bien d'un progrès, mais quand la loi française est prête à prendre en compte, pour la détermination de la récidive, les condamnations déjà encourues par le justiciable français à l'étranger, il me semble qu'elle méconnaît la réalité des casiers judiciaires. Ainsi, lorsqu'un Français est jugé en Bulgarie, le casier judiciaire est à jour. En revanche, quand un Bulgare arrive en France, je ne suis pas absolument certain que le tribunal sait s'il est en présence d'un récidiviste bulgare ou pas. Cela entre pourtant dans la détermination de la peine.

M. Jean Bizet :

Pour ma part, je veux saluer le fait que l'on fait sauter un verrou avec la mise en place d'une coopération renforcée. Je précise que si la France n'a rejoint cette coopération que tardivement, c'est parce qu'il n'était pas souhaitable qu'elle le fasse tant qu'elle présidait l'Union européenne. Au-delà de ce premier pas, nous sommes fondés à demander dès maintenant la mise en place d'un statut conjugal européen facultatif.