Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 7 juin 2005



Justice et affaires intérieures

La politique européenne d'immigration, à la lumière du Livre vert sur une « approche communautaire de la gestion des migrations économiques » (texte E 2813)

Rapport d'information de M. Robert del Picchia

Résumé du rapport

Nous sommes saisis d'un Livre vert de la Commission européenne sur « une approche communautaire de la gestion des migrations économiques ». Ce texte porte uniquement sur l'immigration économique, mais j'ai pensé qu'il serait utile, à cette occasion, de faire le point sur la politique européenne d'immigration dans son ensemble. Le rapport comporte donc deux parties. La première présente un état des lieux de la politique européenne d'immigration, sur la base des précédents travaux de la délégation. La deuxième partie est consacrée plus spécifiquement à l'immigration économique.

À partir du milieu des années 1970, avec la fin de la période de forte croissance économique, les États européens ont progressivement limité le recours à la main-d'oeuvre étrangère. La France, l'Allemagne et les pays du Benelux ont ainsi mis en oeuvre, dès 1974, le principe de « l'opposabilité de la situation de l'emploi ». Selon ce principe, qui est encore aujourd'hui le principe de base de la politique française en matière d'immigration économique, une autorisation de travail ne peut être accordée à un ressortissant de pays tiers que s'il n'existe pas de travailleur disponible sur le marché du travail local pour occuper cet emploi. En 1994, une résolution du Conseil posait également le principe de la « préférence communautaire ». D'après ce principe, les citoyens européens, ainsi que les étrangers en situation régulière déjà présents sur le territoire, sont prioritaires sur les ressortissants de pays tiers résidant en dehors de l'Union européenne en matière d'accès à l'emploi.

À partir du milieu des années 1990, avec le retour de la croissance économique, plusieurs États membres ont ouvert plus largement leur accès au marché du travail aux ressortissants de pays tiers. Cette ouverture a été particulièrement marquée dans les pays du Sud de l'Europe, comme l'Italie, l'Espagne et le Portugal ou la Grèce, y compris pour les travailleurs peu qualifiés. En outre, plusieurs pays, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni, ont mis en place des dispositifs visant à faciliter l'admission des travailleurs très qualifiés. Ainsi, l'Allemagne a instauré au début de l'année 2000 un système de « carte verte » pour attirer des informaticiens étrangers.

La Commission européenne plaide, depuis déjà plusieurs années, pour une approche commune de la gestion des migrations économiques en Europe. En 2001, elle a ainsi présenté une première proposition de directive sur ce sujet. Toutefois, en raison de fortes divergences entre les États membres, cette initiative n'avait pas pu aboutir. Plus récemment, l'Italie a proposé à ses partenaires la mise en place d'un système de « quotas » au niveau européen. Mais, là encore, cette proposition a suscité de fortes oppositions. Le Président de la République avait rappelé, en juin 2003, que « la position de la France, de l'Allemagne et d'un certain nombre d'autres pays est, a priori, hostile au système même des quotas ».

Malgré les réticences de certains pays, comme l'Allemagne et l'Autriche, qui considèrent que l'Union européenne ne dispose pas de compétence pour légiférer dans ce domaine, la Commission a souhaité relancer le débat avec son Livre vert. Les principales questions posées par ce dernier peuvent se résumer de la manière suivante :

- une intervention de l'Union européenne en matière d'immigration économique est-elle souhaitable ?

- dans quels domaines l'Union européenne pourrait-elle apporter une réelle « valeur ajoutée » ? Faut-il, par exemple, envisager un système de « quotas » au niveau européen ?

- enfin, comment concevoir une politique en matière d'immigration économique qui soit profitable à la fois aux pays d'accueil et aux pays d'origine ?

I - L'UNION EUROPÉENNE DOIT-ELLE ENCOURAGER LE RECOURS À L'IMMIGRATION ÉCONOMIQUE ?

1. L'immigration ne constitue pas le « remède miracle » au vieillissement démographique

Selon les projections démographiques, la population de l'Europe ne devrait croître que faiblement jusqu'en 2025, grâce à l'apport de l'immigration, avant de commencer à décliner. Dans certains pays, la baisse de la population pourrait atteindre 10 % à 15 % à l'horizon 2050. Or, cette baisse générale de la population concernera au premier chef la population en âge de travailler, qui pourrait passer de 67 % aujourd'hui à 56 % en 2050. Alors qu'il y a aujourd'hui un inactif (jeune ou retraité) pour deux actifs, il y aurait, en 2050, trois inactifs pour quatre personnes en âge de travailler.

Dans ce contexte, l'immigration constitue-t-elle la solution au vieillissement démographique ? La Commission européenne semble le penser dans son Livre vert puisqu'elle considère que « bien que l'immigration en soi ne constitue pas une solution au problème du vieillissement de la population, des flux d'immigration plus soutenus pourraient être de plus en plus nécessaires pour couvrir les besoins du marché européen du travail ». Elle se risque même à chiffrer à vingt millions le nombre de travailleurs dont aurait besoin l'Europe entre 2010 et 2030.

En réalité, cette question n'est pas nouvelle. Ce débat a été lancé à la suite de la publication en 2000 d'un rapport de la division des populations des Nations unies. Ce rapport estimait, en effet, que, pour maintenir constant le ratio entre la population en âge de travailler et les plus de 65 ans, l'Europe dans son ensemble aurait besoin de 1,4 milliard d'immigrants entre 1995 et 2050. Compte tenu de l'absurdité de ce chiffre, on voit bien les limites d'un tel raisonnement. De plus, augmenter la population active en recourant à l'immigration aujourd'hui, c'est augmenter la population retraitée de demain, donc devoir à nouveau augmenter la population active d'après demain et ainsi de suite.

L'immigration ne peut à elle seule résoudre le problème du vieillissement démographique. Il convient donc d'explorer d'autres voies, comme celles ouvertes par la stratégie de Lisbonne, visant à faire de l'Union européenne l'économie la plus dynamique et la plus compétitive du monde à l'horizon 2010. Il s'agit notamment, pour reprendre les mots du Conseil européen de mars dernier, de miser sur une politique active de l'emploi, sur l'attrait financier du travail, sur des mesures conciliant vie professionnelle et vie familiale, y compris l'amélioration des structures d'accueil en faveur des enfants.

2. Une approche qui ne tient pas suffisamment compte de la diversité de la situation des États membres

La Commission européenne privilégie une approche globale de l'Union européenne, tant en termes de marché du travail, que d'espace de libre circulation des personnes. Elle utilise ainsi fréquemment l'expression de « marché européen du travail ». Or, cette approche ne tient absolument pas compte des divergences de situation existantes entre les pays de l'Union.

En particulier, la situation de la France au sein de l'Union européenne est singulière à plusieurs égards.

Elle l'est, tout d'abord, du point de vue de la démographie. Avec un indicateur conjoncturel du nombre moyen d'enfants par femme le plus élevé d'Europe après l'Irlande, la fécondité reste significative dans notre pays (cet indicateur est en France de 1,89 enfant par femme en 2002 contre 1,97 en Irlande et 1,31 en Allemagne). Le solde migratoire ne représente que le quart de l'accroissement de la population en France, contre les neuf dixièmes dans l'ensemble des autres États membres. Comme le relève un rapport du Commissariat général du Plan : « Aucune raison d'ordre démographique ne justifie que l'on encourage le développement massif de l'immigration en France dans les décennies à venir [...] la France est le seul grand pays qui pourra maintenir les effectifs de sa population d'âge actif sur le demi-siècle qui vient ».

Au niveau du marché du travail, notre pays connaît un taux de chômage élevé (10 % de la population active), en particulier chez les jeunes et les seniors.

Enfin, la France connaît d'ores et déjà un flux important d'immigration régulière. En 2003, notre pays a accueilli 170 000 étrangers, dont 136 000 ressortissants de pays tiers, principalement au motif du regroupement familial, mais ayant accès à ce titre au marché du travail. Plus de 100 000 étrangers accèdent chaque année en France au marché du travail.

Un système unique et uniforme en matière d'immigration économique ne paraît donc pas souhaitable compte tenu de l'hétérogénéité de la situation des différents États membres, d'autant plus dans une Europe à vingt-cinq.

3. Il est particulièrement difficile d'évaluer à moyen ou à long terme les besoins du marché du travail

Certes, en France, certains secteurs spécifiques d'activité, tels que le bâtiment, les transports, l'hôtellerie ou la restauration sont confrontés aujourd'hui à des difficultés de recrutement. Le nombre d'offres d'emploi non pourvues était évalué à près de 300 000 en 2004 par le ministère du travail. Mais peut-on parler de « pénurie de main d'oeuvre » dans un pays qui compte environ deux millions et demi de chômeurs, soit 10 % de la population active ?

Comme j'ai pu le constater lors de mes différentes auditions, les entreprises elles-mêmes éprouvent des difficultés pour évaluer et anticiper leurs besoins de main d'oeuvre à moyen terme. Ainsi, le secteur agricole rencontre déjà aujourd'hui d'importantes difficultés de recrutement imputables notamment à la forte saisonnalité de ses besoins. Mais, la production agricole est fortement tributaire des modifications éventuelles de la politique agricole commune et des changements de comportement des consommateurs.

II - FAUT-IL RÉELLEMENT PRIVILÉGIER UNE ACTION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE PROCÉDURE D'ADMISSION ?

La Commission européenne évoque à plusieurs reprises, dans son Livre vert, les notions de « carte verte » ou de « quotas ». Elle évoque ainsi la possibilité de mettre en place un « système européen de sélection ». Elle suggère également « une méthode de coordination par laquelle les États membres appliquent des quotas nationaux et informent la Commission de la mise en oeuvre et des résultats de ces politiques ». Elle souligne, enfin, l'intérêt de conclure des accords avec certains pays tiers comprenant une préférence pour l'admission de leurs ressortissants.

Inventés aux États-Unis dans les années 1920, les « quotas » recouvrent des systèmes très différents. Il s'agit de fixer des « plafonds » ou des « niveaux cibles » par année pour l'accueil des immigrants, c'est-à-dire d'attribuer une « quote-part » à un groupe particulier de migrants. On distingue généralement deux systèmes : les « quotas » par nationalité et les « quotas » par catégorie de demandeurs.

En réalité, très peu de pays ont aujourd'hui recours à des « quotas » migratoires par nationalité. Au sein de l'Union, seule l'Italie pratique un tel système dans le cadre d'accords spécifiques avec certains pays tiers. Dans la plupart des pays qui utilisent un système de « quotas », des « plafonds » ou des « niveaux cibles » annuels s'appliquent généralement à des catégories de demandeurs, notamment aux travailleurs en fonction de leurs qualifications. Ainsi, les États-Unis, qui pratiquaient à l'origine un système de « quotas » par nationalité, en fixant des contingents annuels de migrants par pays d'origine pour maintenir la répartition ethnique et religieuse du pays, ont aboli un tel système en 1965. Actuellement, le système américain repose principalement sur des « quotas » par métier ou par qualifications. De la même manière, le Canada a renoncé à son système de « quotas » dans les années 1960 pour adopter une politique de sélection des migrants fondée sur un système à « points ». Selon ce système, les personnes qui souhaitent immigrer en tant que « travailleurs qualifiés » sont sélectionnées en fonction de six critères : les compétences linguistiques, le niveau d'études, l'expérience professionnelle, l'âge, l'existence d'un emploi réservé au Canada et la capacité d'intégration de la personne. Chacun de ces six critères se voit attribuer un certain nombre de points, qui est variable. Le candidat est admissible s'il a obtenu un score de 67 sur 100. Il faut rappeler que l'immigration au Canada permet d'obtenir la nationalité de ce pays au bout de trois ans.

En revanche, la France n'a pas recours à ce type d'instrument. Dans notre pays, les autorisations de travail sont délivrées au cas par cas et de manière déconcentrée dans les départements, s'il n'existe pas de demandeur sur le marché du travail local pour occuper cet emploi.

Un système de « quotas » présente plusieurs avantages :

- ce système favorise le passage d'une « immigration subie » à une « immigration choisie » et contribue à attirer davantage de travailleurs qualifiés ; le Canada accueille ainsi chaque année environ 60 000 travailleurs qualifiés, ce qui représente 70 % du nombre total d'immigrants, alors que, en France, la part de l'immigration de travail en provenance de pays tiers ne représente qu'environ 5 %, contre 63 % pour le regroupement familial et 8 % pour l'asile ;

- il permet également de négocier des accords bilatéraux avec les pays d'origine pour assurer une véritable gestion des flux migratoires ; l'Italie a ainsi conclu avec certains pays tiers, comme la Tunisie ou l'Albanie, des accords qui comportent des « quotas privilégiés » pour les travailleurs originaires de ces pays, en échange de leur collaboration dans le domaine de la lutte contre l'immigration clandestine ; ces accords prévoient ainsi que ces « quotas » peuvent être réduits lorsque le pays en cause n'apporte pas sa pleine coopération ;

- enfin et surtout, un tel système présente l'avantage d'être plus lisible aux yeux de l'opinion et de permettre un véritable débat public sur l'immigration ; au Canada, le gouvernement fédéral soumet chaque année au Parlement un rapport sur l'immigration, qui comporte les résultats et les objectifs chiffrés de sa politique migratoire.

Toutefois, il comporte aussi des inconvénients importants :

- l'expérience des pays qui pratiquent un système de « quotas » montre qu'il n'a pas d'impact significatif sur l'immigration clandestine ; les États-Unis doivent ainsi faire face à un afflux massif d'immigrants clandestins ;

- la mise en oeuvre d'un tel système se caractérise souvent par une lourdeur des procédures ; on constate, par exemple, un important arriéré dans le traitement des dossiers aux États-Unis ;

- la fixation de « quotas » est un exercice périlleux car il est très difficile d'apprécier les besoins de main-d'oeuvre longtemps à l'avance ; dans certains pays, comme l'Italie par exemple, les plafonds sont fixés à un niveau trop bas et perdent donc de leur intérêt, alors que dans d'autres, comme l'Espagne, ils sont fixés à des niveaux trop élevés et ne sont jamais atteints.

Quel que soit le jugement porté sur ce système, il revient, en tout état de cause, à chaque État membre de décider s'il souhaite ou non y recourir. Il ne serait ni souhaitable, ni réaliste, de vouloir mettre en place un système de « quotas » qui serait géré au niveau européen. Le Commissaire européen chargé de ce questions, Franco Frattini, a lui-même déclaré, lors de son audition devant la délégation le 23 mars dernier : « Je crois qu'il revient à chaque État membre de décider s'il souhaite ou non instaurer un tel système de quotas en fonction de ses intérêts nationaux ». En outre, un tel système serait contestable au regard des traités, qui reconnaissent une compétence exclusive aux États membres en matière d'immigration économique. Le traité constitutionnel ne modifie d'ailleurs pas cet aspect.

III - LES DOMAINES OÙ L'UNION EUROPÉENNE POURRAIT APPORTER UNE RÉELLE VALEUR AJOUTÉE

1. Les échanges d'informations sur l'immigration

Comme l'ont souligné la plupart des personnalités que j'ai rencontrées, il existe aujourd'hui un vrai déficit d'informations au niveau européen sur les questions migratoires. L'Union européenne pourrait ainsi utilement contribuer à améliorer les échanges d'informations entre les États membres sur ces sujets.

2. La lutte contre le travail illégal

La lutte contre le travail illégal devrait également être une priorité de l'Union européenne. Le « travail au noir » constitue, en effet, un phénomène de grande ampleur dans l'Union européenne, puisque l'économie parallèle représenterait entre 7 et 16 % du PIB de l'Union. Cette forme d'esclavage moderne est souvent le fait de véritables organisations criminelles qui n'hésitent pas à sacrifier la vie des personnes concernées, comme l'a illustré de manière dramatique la mort par étouffement d'une soixantaine de clandestins chinois à Douvres en 2000. La lutte contre les réseaux qui acheminent ces travailleurs clandestins et les employeurs sans scrupules qui les exploitent nécessite un renforcement de la coopération administrative, policière et judiciaire entre les États membres.

3. Le partenariat avec les pays d'origine

Une gestion efficace des flux migratoires ne peut se concevoir que dans le cadre d'un véritable partenariat avec les pays d'origine. Dans ce cadre, la notion de « co-développement » devrait prendre toute sa place. Une action européenne en matière de co-développement pourrait poursuivre deux objectifs principaux :

- faciliter la canalisation d'une part accrue de l'épargne des migrants vers l'investissement productif dans le pays d'origine. Les fonds envoyés par les migrants dans leur pays d'origine représentent des sommes considérables, supérieures à l'aide publique au développement et qui sont estimés entre 3 et 5 % du PNB du pays d'origine ;

- permettre aux élites des communautés étrangères de faire profiter leur pays d'origine de leurs compétences, de leur savoir-faire et de leurs réseaux de relations. Le « co-développement » permettrait ainsi de répondre à la « fuite des cerveaux ».

*

Enfin, comment ne pas lier un tel débat avec l'impossibilité actuelle, pour les travailleurs salariés issus des pays de l'Europe centrale et orientale qui ont adhéré à l'Union le 1er mai 2004, de profiter de la libre circulation dans douze des quinze anciens membres de l'Union ? Ne serait-il pas paradoxal, en effet, que l'on accorde aux ressortissants de pays tiers ce que l'on refuse d'accorder à des citoyens de l'Union européenne ?

À l'exception du Royaume-Uni, de l'Irlande et de la Suède, tous les anciens États membres, dont la France, ont fait usage de la période transitoire. Cette période transitoire concerne les travailleurs salariés, mais elle ne s'applique, en France, ni aux travailleurs indépendants, ni aux entreprises. En particulier, les entreprises prestataires de services établies dans les nouveaux États membres bénéficient en France de la liberté d'effectuer des prestations de services et ce dans l'ensemble des secteurs d'activités. Le système en vigueur dans notre pays est donc différent de celui de l'Allemagne et de l'Autriche. Comme l'ont souligné plusieurs personnalités que j'ai rencontrées, la France cumule donc les inconvénients des deux systèmes. D'un côté, les entreprises établies dans les nouveaux pays adhérents peuvent détacher des travailleurs pour effectuer une prestation de service sur notre territoire. Alors que, dans le même temps, les entreprises françaises ne peuvent pas embaucher librement des salariés originaires de ces pays, dont pourtant elles auraient besoin pour combler certaines pénuries de main d'oeuvre dans des secteurs spécifiques (notamment pour certains métiers comme les pâtissiers, les maçons ou les infirmières).

Par ailleurs, l'ouverture du marché du travail aux travailleurs issus des nouveaux États membres au Royaume-Uni ne s'est pas traduite par un afflux massif de ressortissants de ces pays. En effet, un an après, ce sont environ 175 000 travailleurs qui ont été enregistrés, dont près de la moitié étaient déjà présents sur le territoire britannique. Il s'agit pour 80 % de célibataires sans enfants, âgés entre 18 et 35 ans. De plus, 96 % des personnes concernées occupent un emploi à temps plein.

Une étude récente d'un Institut économique allemand estime que entre 100 000 et 150 000 ressortissants des nouveaux États membres, principalement des travailleurs qualifiés, ont émigré vers les anciens États membres depuis le 1er mai 2004. L'auteur de cette étude recommande donc d'assouplir les restrictions en Allemagne et dans les autres États membres qui ont fait usage de la période transitoire.

Compte tenu de ces éléments, ne serait-il pas judicieux que la France ne reconduise pas après 2006 la période transitoire et qu'elle ouvre l'accès à son marché du travail à l'ensemble des ressortissants des nouveaux États membres, cette ouverture étant de toute manière inéluctable à terme ?

Un tel signal ne pourrait que contribuer à améliorer l'image de notre pays auprès de nos partenaires européens, surtout après l'échec du referendum français sur le traité constitutionnel.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je rappelle que la délégation a déjà abordé le problème de la période transitoire pour les ressortissants des nouveaux États membres, il y a quatre ans, sur le rapport de notre collègue Paul Masson qui n'est jamais passé pour laxiste ; et les conclusions de ce rapport avaient souligné tous les inconvénients de la mise en place d'une période transitoire.

Mme Alima Boumediene-Thiery :

Une politique de l'immigration est indissociable d'un effort d'aide au développement : or, celle-ci ne cesse de diminuer.

Vous avez évoqué le cas du Canada : les conditions de séjour, de travail et d'installation des immigrés n'y sont pas les mêmes qu'en France, où l'intégration reste difficile, les migrants n'ayant pas certains droits. Au Canada, l'immigrant obtient la nationalité au bout de trois ans de résidence.

Je n'approuve pas la formule des quotas, mais quelle est l'alternative ? L'ouverture des frontières, que je souhaiterais, fait peur - à tort - au plus grand nombre. Des quotas par nationalité, qui sont une forme de discrimination, doivent être très clairement exclus, d'autant que, dans la pratique, lors des régularisations, ils ont été parfois une référence implicite dans notre pays. Les quotas par profession ne doivent pas être exclus par principe : mais n'est-ce pas traiter les pays tiers comme un libre-service de main-d'oeuvre ? Et, lors du retour au pays d'origine, quid des droits sociaux acquis dans le pays de destination ? Et quelle mobilité à l'intérieur de l'Europe ? Quel statut pour les travailleurs indépendants, par exemple les infirmières exerçant en libéral ? Enfin, le problème de la « fuite des cerveaux » ne peut être éludé : est-il juste que nous « aspirions » les meilleurs ?

M. Yann Gaillard :

Des quotas par profession, pourquoi pas ? Cette solution me paraissait intéressante. Mais votre exposé suggère que cette solution s'avère peu efficace. Si tel est le cas, inutile de se lancer dans des complications supplémentaires !

M. Aymeri de Montesquiou :

Comment gérer le problème des ateliers clandestins ? Il semble que la lutte soit peu efficace, ou que les sanctions ne soient pas suffisantes.

M. Robert del Picchia :

La question de la lutte à l'échelon national contre le travail clandestin n'est pas dans l'objet de mon rapport, qui concerne seulement la gestion de l'immigration légale. Il faudrait une étude spécifique.

J'ai effectivement souligné le bilan assez peu convaincant des quotas par profession, sans nier certains aspects positifs. Il y a sans doute un moyen terme possible entre ce système et celui que nous appliquons aujourd'hui, préfecture par préfecture, qui laisse un sentiment d'arbitraire. Les quotas par nationalité ne peuvent être qu'une solution ponctuelle pour régler des problèmes bilatéraux, comme l'a fait l'Italie avec la Tunisie et l'Albanie.

Le problème de la « fuite des cerveaux » doit être abordé dans une approche de co-développement. N'oublions pas que les fonds envoyés par les expatriés vers leur pays d'origine représentent parfois plus de 5 % du PIB de celui-ci !

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À l'issue de ce débat, la délégation a autorisé la publication de ce rapport d'information paru sous le numéro 385 et disponible sur internet à l'adresse suivante :

www.senat.fr/europe/rap.html

Environnement

Changement climatique
(enseignements de la conférence organisée
par l'assemblée de l'OSCE à Tromsö du 11 au 14 mai 2005)

Communication de M. Pierre Fauchon

J'ai participé, à Trömsö (Norvège), ville située au-delà du cercle polaire, les 12 et 13 mai derniers, à la Quatrième Conférence sous-régionale de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE sur « Le Grand Nord : environnement, sécurité et coopération », organisée à l'initiative de la délégation norvégienne auprès de cette assemblée.

Plus de 80 parlementaires représentant 27 pays étaient présents. La délégation française était composée de nos collègues députés Michel Voisin, Roland Hillmeyer et Claude Lefort, et de moi-même. Le ministre des affaires étrangères, le ministre du pétrole et de l'énergie de la Norvège, deux secrétaires d'État étaient également présents, ainsi que des scientifiques norvégiens et russes et des représentants d'organisations non-gouvernementales.

Les principaux thèmes abordés ont concerné : la politique norvégienne dans le Grand Nord ; les rapports entre la science et la politique dans l'Arctique ; les conséquences globales et politiques du changement climatique dans l'Arctique ; les défis nucléaires dans le Nord-ouest de la Russie et les priorités norvégiennes ; les préoccupations de sécurité et le défi nucléaire dans l'Arctique ; le potentiel des ressources pétrolières dans la mer de Barents ; le développement des ressources pétrolières arctiques en Norvège.

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J'ai retenu de cette conférence plusieurs enseignements.

Tout d'abord, le phénomène du réchauffement climatique touche beaucoup plus l'Arctique que le reste de la planète : pour un degré supplémentaire de réchauffement à la hauteur de la France, le réchauffement au pôle serait de l'ordre de 12 degrés d'ici 2080.

Les images satellites qui nous ont été montrées confirment la fonte d'un tiers de la couronne polaire entre 1979 et 2003, laquelle pourrait totalement disparaître dans les prochaines décennies.

Par ailleurs, l'exploitation des hydrocarbures dans le Grand Nord, y compris dans l'Alaska qui est proche, est une menace pour l'ensemble des écosystèmes et des ressources marines, notamment dans la mer de Barents qui est un lieu important de reproduction des poissons de la planète. L'enjeu est de taille puisque 24 % des réserves potentielles mondiales de pétrole se trouvent dans l'Arctique (Norvège et Russie). Déjà, l'Europe dépend très largement de cette région pour son approvisionnement en gaz naturel.

Le réchauffement de la planète, dont les mécanismes ne sont pas encore parfaitement compris des scientifiques, mais qui paraît incontestable, aura des conséquences considérables sur la faune, la flore, et les conditions de vie des populations locales qui sont déjà les victimes, pour des raisons géographiques, des concentrations, dans cette partie du monde, des polluants organiques permanents en provenance des régions industrielles. Les conséquences pour l'humanité tout entière ne sont pas encore parfaitement prévisibles, d'autant qu'elles se feront vraisemblablement sentir sur une très longue durée.

Le président de la délégation norvégienne auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE a décidé de déposer un projet de point supplémentaire à l'occasion de la session annuelle de cette assemblée qui se tiendra à Washington dans les premiers jours de juillet prochain. Ce texte, qui sera vraisemblablement adopté à Washington, résume parfaitement la situation dans une optique politique :

L'Assemblée parlementaire de l'OSCE incite les États membres de l'OSCE :

1. à signer, ratifier et mettre en oeuvre tous les traités et accords internationaux ayant pour objet la réduction des émissions de gaz à effet de serre, y compris le protocole de Kyoto ;

2. à communiquer les résultats du groupe sur l'impact du climat arctique dans le public ainsi que par le moyen de leurs systèmes nationaux d'éducation et scientifique ;

3. à réduire autant que possible la menace potentielle de fragilisation des éco-systèmes par les activités économiques, notamment industrielles et de pêche, dans l'Arctique ;

4. à arrêter la production et l'usage de polluants organiques permanents et autres toxiques persistants, aussi bien à des fins de stockage que d'usage nettoyant, afin de prévenir leur accumulation ultérieure dans l'Arctique ;

5. à intensifier tous les efforts nationaux bilatéraux et multilatéraux pour renforcer la sécurité nucléaire et pour l'élimination de tous les déchets nucléaires subsistant sur et autour de la péninsule de Kola ;

6. à renforcer la coopération scientifique dans l'Arctique dans le cadre de l'année polaire 2007-2008.

Compte tenu de la gravité de cette question, j'ai jugé utile de faire cette brève communication devant la délégation.

Économie, finances et fiscalité

Réforme du pacte de stabilité et de croissance
(textes E 2872 et E 2873)

Communication de M. Denis Badré

I - LE PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE SUR LA SELLETTE ?

Au lendemain du référendum sur la Constitution européenne, le pacte de stabilité et de croissance semble plus fragilisé que jamais. Il a été accusé de tous les maux par les partisans du non, et d'être un carcan qui briderait l'énergie et les initiatives de la France. Ce dispositif est devenu l'image même de la « technocratie bruxelloise », selon l'expression reçue, et des transferts de souveraineté prétendument illégitimes des États membres vers l'Union européenne.

Pourtant, on ne dira jamais assez que ce pacte ne fait que formaliser des règles de bonne gestion des finances publiques qui doivent assurer la force de l'euro et conforter la croissance économique. Cette vérité d'évidence est bien rappelée dans le récent rapport d'information de la commission des Finances (n°277, 2004-2005), fait par son rapporteur général, Philippe Marini, et intitulé « Sans vertu des États, il n'est point de pacte de stabilité ».

En fait, la remise en cause du pacte de stabilité et de croissance remonte à la crise de novembre 2003, quand les deux principales économies de la zone euro, l'Allemagne et la France, se sont retrouvées dans le rouge et que la Commission a voulu leur adresser des mises en demeure. Le Conseil des ministres a alors décidé de suspendre toutes les procédures à l'encontre de ces deux pays. Cette décision contraire à l'esprit du traité, sinon au texte, a déclenché une polémique entre la Commission et le Conseil, qui a été tranchée par un arrêt mi-chèvre mi-chou de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 juillet 2004.

Il n'y a pas vraiment eu d'amélioration depuis. La moitié des États membres de l'Union européenne ont fait ou font l'objet d'une procédure pour déficit excessif ; et tant la France que l'Allemagne peinent à tenir leur promesse de revenir sous la barre des 3% de déficit pour 2005.

Le récent changement de gouvernement en France a fait naître de nouvelles craintes. Le président de la commission des Finances et le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale se sont inquiétés la semaine dernière d'éventuels dérapages budgétaires à venir. Dans un communiqué commun, ils indiquent « qu'après le rejet du projet de Constitution européenne par les Français, il ne saurait être question que notre pays s'exonère de ses engagements internationaux, parmi lesquels figure le pacte de stabilité et de croissance (...) Bruxelles et les critères de Maastricht ne sauraient en aucun cas être invoqués pour nous dispenser des efforts nécessaires et le temps d'une Europe alibi de nos difficultés est révolu. » Mais depuis, le ministre français de l'économie et des finances, Thierry Breton, est déjà allé à Bruxelles rassurer ses partenaires européens sur la fermeté des engagements de la France au regard du pacte de stabilité et de croissance.

II - LA RÉFORME DU PACTE DE STABILITÉ ET DE CROISSANCE

Les débuts quelque peu chaotiques de l'Union économique et monétaire ont rapidement fait apparaître la nécessité d'un « assouplissement » du pacte de stabilité et de croissance.

La Commission européenne a fait des propositions en ce sens le 3 septembre 2004. Je vous en ai rendu compte dans une précédente communication en date du 15 janvier 2005, je ne reviendrai donc pas dessus.

Sur la base des propositions de la Commission, après une longue négociation, le Conseil européen du 22 mars 2005 a entériné l'accord du Conseil Finances du 20 mars, qui « assouplit » le pacte de stabilité et de croissance. Les deux textes qui nous sont soumis aujourd'hui adaptent en conséquence les règlements d'application du pacte de stabilité. Le premier (E 2872) porte sur le volet « préventif » du pacte : la surveillance multilatérale des positions budgétaires. Le second (E 2873) porte sur son volet « correctif » : la procédure concernant les déficits excessifs.

Dès le départ, les États membres se sont interdits de toucher au coeur des dispositions relatives au pacte de stabilité et de croissance, inscrites à l'article 104 du traité instituant la Communauté européenne. La règle d'or demeure un déficit budgétaire inférieur à 3 % et une dette inférieure à 60 %. C'est pourquoi les modifications proposées ne concernent que les règlements d'application.

En ce qui concerne la « gouvernance », l'accord prévoit le principe d'échanges d'informations préalables entre le Conseil, la Commission et les États membres sur leurs intentions à toutes les étapes de la surveillance budgétaire, afin de favoriser des échanges de vues francs et confidentiels. Une fois par an avant l'été, l'Eurogroupe procédera à une évaluation des évolutions budgétaires au niveau national et de leurs conséquences pour l'ensemble de la zone euro. L'association des parlements nationaux devrait être renforcée à tous les stades de la surveillance.

Le volet « préventif » est renforcé sur plusieurs points. L'objectif à moyen terme d'une position budgétaire sera défini de manière différente selon les États, afin de prendre en compte la diversité des situations économiques. Les objectifs à moyen terme des pays de la zone euro se situeraient entre moins de 1 % du PIB, pour les pays à faible dette et à potentiel de croissance élevée, et l'équilibre ou l'excédent budgétaire pour les pays à forte dette et à potentiel de croissance réduit.

L'objectif sera révisé tous les quatre ans, afin de tenir compte de l'évolution de la dette, du potentiel de croissance et de la viabilité budgétaire. En période de conjoncture favorable, c'est-à-dire quand la croissance réelle dépasse la croissance potentielle, les États s'engagent à assainir activement leurs finances publiques. Pour les États de la zone euro, la référence en matière d'ajustement annuel, déduction faite des mesures ponctuelles et provisoires, est de moins 0,5 % du PIB. Afin d'orienter davantage le pacte vers la croissance, les réformes structurelles seront prises en compte au moment de la définition de la trajectoire d'ajustement conduisant à la réalisation de l'objectif de moyen terme ou si un pays souhaite s'en écarter provisoirement.

Le volet « correctif » est assoupli sur les points suivants. Un dépassement temporaire et limité des 3 % peut être admis en cas de taux de croissance négatif ou de baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance très faible par rapport au potentiel de croissance. La définition des « circonstances exceptionnelles et temporaires » est maintenant moins restrictive et plus économique.

Un dépassement temporaire, en restant proche des 3 %, peut aussi être admis après prise en compte du niveau des investissements, des réformes structurelles et des efforts en matière de recherche et développement, et après évaluation de la qualité de la dépense publique : les États membres pourront faire valoir les efforts budgétaires visant à « accroître ou maintenir un niveau élevé de contribution financière destinée à encourager la solidarité internationale et à réaliser les objectifs de la politique européenne, notamment l'unification de l'Europe si elle a un effet négatif sur la croissance et la charge budgétaire d'un État membre ». C'est bien sûr l'Allemagne, et la charge des länder de l'Est, qui est ici visée. Tous ces facteurs pourront être pris en compte tout au long de la procédure de surveillance multilatérale.

Enfin, et c'est l'essentiel, les délais prévus pour prendre une action et des mesures suivies d'effet ainsi que les délais pour corriger le déficit sont allongés. L'enchaînement de la procédure de déficit excessif est également révisé. La mise en oeuvre de la procédure pour déficit public excessif devrait être à l'avenir moins mécanique et systématique.

III - DES TEXTES PROCHAINEMENT ADOPTÉS

Dans la mesure où les deux textes qui nous sont soumis aujourd'hui ne font que mettre en musique l'accord du Conseil du 22 mars 2005, leur adoption ne devrait pas poser de problème.

La révision du volet préventif s'effectue à la majorité qualifiée et nécessite la mise en oeuvre d'une procédure de coopération avec le Parlement européen, moins contraignante que la procédure de codécision. Le volet correctif doit être adopté à l'unanimité, après avis de la Banque centrale européenne et du Parlement européen.

La Commission espère donc que les changements proposés aux deux règlements d'application seront approuvés avant la fin du mois de juin. Je propose que nous suggérions à notre Gouvernement de soutenir leur adoption rapide.

Compte rendu sommaire du débat

M. Roland Ries :

Vous avez dit que le déficit d'un pays de la zone euro est supporté par les autres. J'aimerais avoir des précisions sur ce point.

Je voudrais faire aussi une observation : l'assouplissement du pacte de stabilité qui est proposé peut être la meilleure ou la pire des choses. Si c'est la suppression d'un effet de seuil mécanique, c'est plutôt une bonne chose. Mais il ne faudrait pas qu'à partir de là, on laisse s'ouvrir une brèche.

M. Denis Badré :

Je suis d'accord avec votre observation. Pour répondre à votre question, il est clair qu'un déficit budgétaire est d'abord supporté par les générations futures. En deuxième lieu, ce sont les pays en voie de développement qui en pâtissent, du fait de l'assèchement des ressources des marchés financiers internationaux par les pays riches en situation de déficit budgétaire. Enfin, si l'on n'avait pas l'euro, la France aurait vraisemblablement dû dévaluer. C'est en cela qu'il existe une solidarité entre les douze pays membres de la zone euro.

M. Roland Ries :

En supposant que ces douze pays connaissent tous un déficit supérieur à 3 %, quelle serait l'autorité qui pourrait décider d'une dévaluation de l'euro ?

M. Denis Badré :

Précisément, il n'y a pas d'autorité économique dans la zone euro. C'est un vrai problème.