Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

9 février 2000


Institutions communautaires

Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen, chargé de la politique régionale et de la Conférence intergouvernementale

Politique agricole et de la pêche

Communication de M. Louis Le Pensec sur le texte E 1353 relatif à la réforme de l'Organisation Commune de Marché de la banane


Institutions communautaires

Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen, chargé de la politique régionale et de la Conférence intergouvernementale

Compte rendu sommaire

M. Michel Barnier :

La Commission a rendu public le 26 janvier un avis formel au titre de l'article 48 du traité sur la réunion d'une conférence des représentants des gouvernements des Etats membres en vue de modifier les traités. Avant d'évoquer l'état d'esprit dans lequel la Commission aborde cette nouvelle Conférence intergouvernementale (CIG), je voudrais faire deux observations préalables.

La première est pour vous remercier du travail fait par votre délégation et vos rapporteurs MM. de Montesquiou, Badinter, Fauchon, Lanier, et de Villepin. Ce rapport a fait une très forte impression dans les institutions européennes, au Parlement européen et au sein du collège des commissaires. Parce que le Sénat a été la première assemblée parmi les quinze parlements nationaux à avoir rendu publique une proposition détaillée sur les sujets en discussion. Parce que sa contribution illustre un changement de ton ; ce rapport n'est pas défensif ni réactif. Il fait preuve d'ouverture et je suis très heureux que ce soit le Sénat français qui ait lancé le premier cette réflexion. En outre, un tableau comparatif entre vos propositions et les nôtres montre qu'elles ne sont pas tellement éloignées les unes des autres.

La Commission va par ailleurs, sur ma proposition et celle de ma collègue Viviane Reding, engager un débat public à propos des institutions européennes et de l'Europe, dans la ligne du dialogue national sur l'Europe que j'avais animé en France lorsque j'étais ministre des Affaires européennes. Ce sera notre part, en tant que commissaires, pour remédier au déficit démocratique en Europe. Mais nous ne devons pas être les seuls. Il y a un besoin urgent de débat et de dialogue public à propos des questions européennes, et d'abord avec les représentants des citoyens que vous êtes. C'est dans cet état d'esprit que je viens devant vous comme je vais le faire avec toutes les autres assemblées parlementaires en Europe. C'est le même état d'esprit que celui qui anime maintenant les relations entre le Parlement européen et les parlements nationaux, à l'initiative de Mme Nicole Fontaine qui viendra ainsi prochainement devant le Sénat.

Cette Conférence intergouvernementale va s'ouvrir le 14 février prochain avec deux niveaux de négociation, comme la précédente CIG : un groupe de représentants des quinze gouvernements, de la Commission et du Parlement européen et un groupe de négociation ministériel, auxquels je participerai personnellement, avec, au-dessus de ces groupes, le Conseil européen auquel participe le Président Prodi et qui se réunira deux fois sous la présidence portugaise et deux fois sous la présidence française. Il est important, au niveau du symbole, que cette négociation, tout au long de l'année 2000, ait lieu avec le relais d'un petit pays récemment entré dans l'Union et d'un grand pays fondateur de l'Union. C'est un gage de succès.

Ayant été le négociateur du dernier traité, je vous ai souvent entretenu de la négociation qui avait été déclenchée à Turin pour la réforme des institutions. Faute de courage politique collectif et parce que les esprits n'étaient pas prêts, toutes les questions ont alors été abordées, comme l'environnement, les transports etc., sauf celle de la réforme des institutions. En 1997, la priorité était la création de l'euro. Maintenant, on ne pourra plus reculer parce que l'euro a été fait et parce que l'élargissement devient imminent. Helsinki a confirmé un grand élargissement pour une Union européenne qui comprendra -un jour sûrement- trente pays. Nous devons donc nous inscrire dans cette vision, qui est celle du Président Prodi et la mienne, d'une grande communauté européenne des Etats et des peuples, communauté politique, économique et humaine.

Dès l'instant où nous acceptons cette vision de l'Europe, la question qui se pose est celle de savoir comment on travaille et comment on décide à trente et non plus à quinze pays. La Commission s'est attachée, sans idéologie, à examiner comment on peut encore décider à trente. Le Conseil est sans doute l'institution la plus concernée par cet élargissement. Le document de la Commission est un document, précis, sérieux, juridiquement construit et illustré par des projets de textes de nouveaux traités. Nous allons encore compléter notre avis au regard de la Charte des droits fondamentaux, qui se négocie dans une autre enceinte, mais qui va peut-être rejoindre l'exercice de la réforme des institutions européennes, de l'identité européenne de défense, enfin de la réorganisation et de la simplification des traités pour lesquelles nous travaillons avec l'Institut universitaire européen de Florence. Dans les prochaines semaines, la Commission complétera également son avis au regard du système juridictionnel européen en fonction du rapport rendu par le groupe de réflexion présidé par un ancien président de la Cour de justice des communautés européennes.

Quelles sont nos principales propositions ?

Nos premières réponses concernent les problèmes posés aux différentes institutions européennes par le nombre d'Etats membres. Nous ne sommes pas allés dans le détail pour le Conseil des ministres, même si c'est cette institution qui est la plus concernée par l'augmentation du nombre de pays. Je rejoins votre idée d'avoir en poste à Bruxelles un ministre permanent, mais ce n'est pas nécessairement à la Commission de dire au Conseil comment il doit fonctionner.

Sur la Commission elle-même, nous avons eu de très longs débats ; nous avons décidé de proposer deux options pour le nombre des commissaires en demandant à chacun d'y réfléchir. La Commission est un collège où tous les membres sont égaux et décident, collégialement, sans délégation de compétences. La Commission est le lieu d'unité et de cohérence de l'Union grâce à ses capacités d'initiative et d'exécution. Dans une Union de trente pays, où les disparités vont être grandes du fait de la variété des systèmes institutionnels et de la différence de niveaux de vie, les forces centrifuges vont être nombreuses. Il importe ainsi de garantir la force du système institutionnel et la fonction de la Commission. La première option, la plus facile, consiste à proposer un commissaire par Etat membre ; mais il faut savoir que la Commission devra alors être réorganisée avec deux niveaux : un président et des vice-présidents ainsi que des membres de second niveau, parfois sans portefeuille ou sans administration en charge. L'idée actuelle du collège trouverait ainsi sa fin. La deuxième hypothèse, la plus difficile, est celle d'une Commission qui resterait stabilisée avec vingt commissaires égaux, avec une rotation, chaque pays étant assuré d'avoir un ressortissant national dans la Commission cinq mandats sur sept (25 ans sur 35).

Concernant le Conseil des ministres, nous avons marqué notre préférence pour le système de repondération des voix le plus simple qui est celui de la double majorité des Etats et de la population pour les décisions prises à la majorité qualifiée. Je fais observer que toutes les décisions prises à la majorité qualifiée l'ont été en représentant en fait cette double majorité. Ce serait ainsi mettre le traité en accord avec la pratique.

Pour le Parlement européen, nous avons laissé l'assemblée européenne décider elle-même de la manière dont elle devrait se redistribuer par quotas nationaux en fonction des élargissements ; nous avons cependant proposé, pour renforcer l'esprit commun européen, qu'une quarantaine de députés européens soient élus sur des listes européennes. Les partis européens pourraient ainsi présenter des listes transversales.

Concernant la Cour des comptes, nous avons marqué notre préférence pour une Cour dont le nombre de membres serait ramené à douze. Pour le Comité économique et social, il serait souhaitable que son mode de désignation le soit sur un mode européen pour, là encore, renforcer l'esprit européen. Nous avons également confirmé le rôle du Comité des Régions.

La Commission propose enfin la création d'un procureur européen pour traiter la question des fraudes communautaires, parce que la coopération judiciaire ne suffit pas pour la protection du budget européen.

Dans une Union élargie, le vote à la majorité qualifiée doit devenir la règle et le vote à l'unanimité l'exception. La Commission a précisé les grands domaines dans lesquels le vote à l'unanimité doit être maintenu : institutions, Constitution, intérêts nationaux, ou sensibilité politique de certains sujets. J'ai noté que la délégation du Sénat va plus loin que la Commission puisqu'elle propose d'adopter le vote à la majorité qualifiée pour le domaine de la fiscalité indirecte, qui est un sujet extrêmement sensible, notamment pour les Britanniques.

De votre point de vue, comme du mien, il reste encore un dernier sujet extrêmement important : celui des coopérations renforcées. M. Xavier de Villepin est très motivé sur ce sujet et je me suis souvent inspiré de ses réflexions. Une des réponses aux questions du fonctionnement de l'Europe élargie est celle qui doit permettre à un groupe significatif de pays (par exemple un tiers), dans le cadre communautaire, d'aller " en avant-garde " comme l'a écrit Jacques Delors. En aucun cas, ce système ne doit conduire à remettre en question l'acquis communautaire. Personne ne revient en arrière sur ce chemin de la construction européenne ; mais ceux qui veulent aller plus loin le peuvent et ceux qui sont restés en arrière pourront les rejoindre.

Ce n'est pas " l'Europe à la carte " où chacun pourrait choisir telle ou telle politique du premier pilier. Ces coopérations peuvent aussi concerner le second pilier dans certaines conditions à définir. Certains pays pourraient certainement sur le troisième pilier vouloir aller plus loin, par exemple en matière de coopération judiciaire. C'est d'ailleurs ce qui a été fait, il y a quinze ans, avec Schengen et les sept pays qui voulaient gérer ensemble, à l'époque, leurs frontières, alors que le traité ne le permettait pas.

M. Xavier de Villepin :

Ma première question porte sur la situation autrichienne. J'approuve entièrement la position de la France et de ses quatorze partenaires. A propos des articles 6 et 7 du traité d'Amsterdam -qui sont assez vagues- je crois qu'un comité de rédaction devrait préciser les conditions de leur mise en oeuvre, notamment pour la surveillance des mesures que pourrait prendre l'Autriche en matière d'immigration.

Ma seconde question m'est inspirée par la position de M. Lamers sur la réforme des institutions. Son idée est que la réforme devrait être plus large que celle qui est envisagée en France. Ce type de proposition m'inquiète car nous risquons de perdre beaucoup de temps dans les négociations et, finalement, nous risquons de reporter l'élargissement.

M. Robert Del Picchia :

Concernant l'Autriche, l'Union européenne intervient pour la première fois sur le plan politique. Quelles sont les possibilités pratiques du traité pour cette intervention ? Ne faut-il pas profiter de l'adaptation des institutions pour définir une sorte de règlement qui permettrait de préciser les conditions de cette intervention politique de l'Union européenne ?

M. Aymeri de Montesquiou :

Il me semble qu'il y a une contradiction dans le fait de demander aux commissaires d'oublier leur Nation d'origine après leur nomination, alors qu'on veut que chaque Nation soit représentée par un commissaire à Bruxelles. J'aimerais savoir si la Commission a fait faire un audit externe pour traiter de ce paradoxe. Concernant les frontières de l'Europe, va-t-on oser dire que certains pays n'appartiennent pas à l'Europe, je pense en particulier, après l'acceptation de la candidature de la Turquie, à l'Ukraine, à la Biélorussie et à la Russie ?

M. Pierre Fauchon :

Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette proposition tout à fait nouvelle de création d'un procureur européen et sur son articulation avec " Eurojust " ? Faut-il comprendre par ailleurs que la Commission a tranché d'une façon assez claire le dilemme entre le rattachement des parquets aux gouvernements ou à des autorités indépendantes des gouvernements comme au Royaume-Uni. C'est un des problèmes actuels de notre pays et j'aimerais savoir si la préférence de la Commission pour le premier système est le résultat d'un choix argumenté.

M. Emmanuel Hamel :

Ce que vous nous annoncez est dramatique, car c'est la programmation de destruction de la France, en tant que personne, en tant que souveraineté et en tant que Nation. La France va être noyée dans un conglomérat de trente Etats, dominé en fait par la Commission européenne et le Conseil des ministres. Car il sera impossible, à trente, d'arriver véritablement à une politique commune sans que les intérêts fondamentaux de certains Etats ne soient dramatiquement blessés et non pris en compte. Comment pouvez-vous imaginer que nous allons accepter le vote à la majorité dans la quasi-totalité des domaines de compétence de l'Union européenne ? Comment pouvez-vous dire : " On ne peut admettre le veto d'un pays " ? Un pays, c'est une âme, c'est une Nation, c'est un être. Pourquoi le détruire ? Vous rendez-vous compte qu'à aller dans ce sens, nous préparons une révolution qui sera nécessaire pour s'opposer à cette mécanique de destruction des patries pour lesquelles, depuis des siècles pour certaines, nos parents se sont battus et ont versé leur sang ?

M. Maurice Blin :

Songeant au montagnard que vous êtes, je rends hommage à l'extraordinaire détermination qu'il vous faut pour, au pied de cette montagne, imaginer les étapes de l'escalade que nous allons tous entreprendre. Ce qui me frappe, en y mêlant une certaine inquiétude, c'est, me semble-t-il, que cette aventure est unique en son genre et qu'elle n'a pas de précédent. Nous avons à inventer, jour après jour, des voies nouvelles pour réunir trente pays et pour trouver le moyen de vivre -pire- de gouverner ensemble. Je suis tout à la fois admiratif et inquiet et je me demande si cette aventure est possible. Je n'en suis pas certain.

Je vous pose une question : les pays qui vont entrer demain dans l'Europe y viennent-ils pour des raisons politiques, c'est-à-dire par sentiment d'appartenir à une même famille, ayant à se prononcer ensemble sur de grands événements qui mettent en cause son identité profonde, ou bien beaucoup ne viennent-ils à nous que pour des raisons que nous pouvons très bien comprendre, mais qui sont d'inspiration essentiellement économique. Certains pays, vous l'avez souligné, n'ont un revenu qui n'est que de 40 % du revenu moyen européen. Si la première hypothèse est la bonne, alors je crois qu'on pourrait tenter de faire une famille européenne. Si la seconde est la bonne, croyez-vous qu'elle ait une moindre chance de réussir ? Nous ne pourrons pas partir du même pas dans cette affaire ; nécessairement, il faudra un noyau de ceux qui constituent déjà une famille ; on arrivera en clair à deux ou trois Europe si on veut faire l'Europe à trente pays.

M. Lucien Lanier :

Concernant la rotation et le roulement des commissaires, je vois mal comment ce système pourrait fonctionner à trente pays. Ce système me paraît séduisant sur le papier, mais la collégialité à trente ne peut fonctionner que dans la mesure où les pouvoirs du président et des vice-présidents sont considérablement augmentés, voire deviennent exorbitants. Concernant l'élargissement, alors qu'il y a peu, le premier élargissement n'était prévu que pour 2005, j'ai l'impression qu'on veut précipiter le mouvement, au moment même où l'attitude vis-à-vis de la Turquie soulève, au sein des pays participant à l'Europe, un certain nombre de questions et d'oppositions, et où la crise autrichienne pose la question de l'acceptation, par l'Europe, en son sein, de pays qui n'ont pas les mêmes conceptions démocratiques que celles qui avaient été à l'origine de la Communauté.

M. Louis Le Pensec :

La réussite des trois questions institutionnelles laissées en suspens à Amsterdam constitue en soi déjà un enjeu très important. Que pensez-vous de la résolution du Parlement européen demandant que la Commission élabore un projet de traité qui servirait de base à la négociation intergouvernementale ?

M. Robert Badinter :

Il est évident que toute modification institutionnelle va passer par la voie de l'unanimité. Or, ces modifications vont tendre à réduire la capacité de nuisance des Autrichiens, ou à mettre en place des mécanismes de sanction plus opérationnels, ou à inscrire, dans une Charte des droits fondamentaux, des possibilités pour la Cour de justice de contrôler, mieux qu'elle ne le fait actuellement, la méconnaissance des principes fondamentaux de l'Union européenne, ou à augmenter le champ de la majorité qualifiée parce que, de ce fait, serait réduit considérablement le pouvoir de nuisance des Autrichiens. Comment allez-vous pouvoir gérer cette situation ? Pourquoi les Autrichiens concourraient-ils à ce qui serait si ouvertement dirigé contre eux ? Pourquoi l'accepteraient-ils et perdraient-ils la force si considérable qui s'attache à la règle de l'unanimité dont j'ai déjà eu l'occasion de dire maintes fois au Sénat que je considérais que c'était le plus grand piège tendu aux grandes nations européennes, et non pas l'inverse, comme s'obstinent à le croire les champions intégristes de la souveraineté ?

M. Michel Barnier :

S'agissant de l'Autriche, il y a des leçons à tirer de la situation actuelle. Tout en étant indépendant, un commissaire n'abandonne pas ses convictions, ses racines et ses idées. Tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à une politique d'exclusion ou à des convictions de racisme ou de xénophobie, est à l'opposé de mes convictions. La réaction des quatorze gouvernements, avec la part qu'y a prise la France -le Président de la République Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin ont joint leurs rôles- était nécessaire. La Commission a rappelé qu'elle était la gardienne des traités et qu'elle remplirait cette mission avec intransigeance et sans complaisance sur la base des articles 6 et 7 du traité.

Les gouvernements sont éphémères et il ne faut pas confondre un gouvernement avec la nation autrichienne et le peuple autrichien. Je ne me résous pas à l'idée que l'on exclue un pays. Je ne crois pas que l'Autriche prenne le risque de l'isolement complet en bloquant les deux processus les plus graves dans lesquels nous sommes engagés pour l'avenir de l'Europe : la réforme des institutions et l'élargissement. Nous avons lu la déclaration de M. Schüssel. Si, dans cette négociation, comme il est probable, nous tirons les leçons de la crise autrichienne en mettant en place des mécanismes qui visent à préserver la communauté de valeurs que nous constituons, alors le moment de vérité arrivera avec l'Autriche quand il s'agira d'appuyer cette déclaration sur des mécanismes concrets. Je ne sais pas si le nouveau chancelier autrichien aura alors la capacité politique de maintenir cette ligne d'action, qui était celle qu'il menait, il y a quelques semaines, en tant que ministre des affaires extérieures du chancelier socialiste Victor Klima. Comme les autres Etats membres, il devrait donc, à ce moment-là, approuver un certain nombre de mécanismes qui sécurisent ou qui préviennent de telles crises.

Je crois que l'intégration de tout ou partie de la Charte des droits fondamentaux dans le traité est une première réponse. Cette Charte porte sur les droits des citoyens et elle leur offrira le moyen de se défendre contre toute forme de discrimination raciale, ethnique, sexuelle, politique. Il est probable que, au terme de la négociation de la Charte, nous aurons un texte juridiquement bien construit et cohérent avec la Convention européenne des droits de l'homme.

Une seconde réponse tient à l'article 13 du traité CE qui porte sur les discriminations raciales, sexuelles, religieuses et qui, actuellement, requiert l'unanimité. Nous avons proposé le 26 janvier que cet article passe à la majorité qualifiée.

Une troisième réponse que j'ai présentée devant le collège des commissaires aujourd'hui même tient au fait que, entre ne rien faire et appliquer l'article 7 du traité sur l'Union européenne, il faut un dispositif intermédiaire de vigilance ou de surveillance qui donnerait une traduction juridique à ce que viennent de faire les gouvernements, c'est-à-dire la mise sous surveillance d'un Etat membre dont le gouvernement émettrait des intentions ou engagerait une politique en contradiction avec la communauté de valeurs inscrite dans les traités.

M. Claude Estier :

Quel est le comportement du commissaire autrichien ?

M. Michel Barnier :

Il est solidaire de la Commission comme le prouve son interview au Figaro de ce matin où il parle lui-même de surveillance. De toute manière, nous ne ferions pas cette réforme seulement pour l'Autriche, mais aussi pour les nouveaux pays candidats.

La position allemande, pour répondre à M. de Villepin, est fixée par le chancelier Schröder et non par les représentants de l'opposition allemande. Celui-ci est d'avis que les trois sujets laissés à Amsterdam sont les trois priorités de la réforme. Mais ceux-ci peuvent être traités avec plus ou moins d'ambition. On peut aboutir au " plus petit réformateur commun " évoqué par Nicolas Baverez. L'Union a besoin de traiter ces trois sujets avec audace et courage. Les chefs d'Etat et de gouvernement devront, au Conseil européen de Nice, avoir une vision du long terme qui l'emporte sur l'addition des intérêts et des prudences nationales. Les onze mois de négociation de la CIG offrent des opportunités pour aller au-delà de ces trois questions institutionnelles. Avec le Parlement européen, nous considérons qu'il est possible, sans retarder la fin de cette négociation, et s'il y a suffisamment de courage politique, de traiter d'autres sujets comme les coopérations renforcées. La France, avec le discours prononcé à Strasbourg par le Président de la République, a montré qu'elle est favorable à ce sujet supplémentaire. La négociation ne porte pas, en définitive, sur des questions techniques -une vingtaine d'articles- mais politiques.

S'agissant de la réforme de la Commission évoquée par M. de Montesquiou, je plaide en faveur d'un collège fort de vingt commissaires. Quant aux frontières -et aux compétences- de l'Europe, je voudrais rappeler que la Turquie a été le premier pays à bénéficier, dès 1963, d'un accord d'association, dans lequel il était déjà indiqué qu'elle avait vocation à faire partie de l'Europe. La question de l'adhésion de la Turquie est à voir dans le long terme.

Concernant le poste du procureur européen, celui-ci a bien été envisagé sur la base du rapport de Mme Delmas-Marty et en lien avec la création d'Eurojust. Les différences juridiques entre les droits nationaux font trop souvent échec aux fraudeurs du budget communautaire, dont les intérêts sont mal protégés. C'est une bonne voie avec une réponse concrète à un problème qui n'est pas traité à l'heure actuelle dans le cadre de la simple coopération judiciaire et policière.

M. Robert Badinter :

C'est en effet un domaine dans lequel la réflexion a beaucoup progressé en faveur d'un procureur, c'est-à-dire, d'un parquet européen.

M. Michel Barnier :

Je connais bien la fibre patriotique d'Emmanuel Hamel. Le droit de veto n'est pas lié à la défense de la patrie. Faute de décision à la majorité dès les années soixante, nous n'aurions pas de politique agricole commune à l'heure actuelle. Nous ne sommes pas dans la construction d'un super-Etat et il ne faut pas vilipender la Commission européenne.

Les commissaires sont des hommes politiques et il faut que les Français s'y habituent. Pascal Lamy et moi-même respectons notre devoir de réserve, mais nous participerons au débat politique dans notre pays. L'idée selon laquelle la Commission est un organisme de fonctionnaires est une idée dépassée. Au sein du collège actuel, nous sommes quatorze anciens ministres. Nous avons besoin d'une Commission forte. A titre d'exemple, quand l'ensemble des riverains de la Côte atlantique appellent à la création d'une législation commune sur la circulation des bateaux, ils demandent autre chose que la simple coopération entre Etats qui n'a pas fonctionné. C'est pourquoi il faut un organe pour proposer et pour surveiller.

Maurice Blin a évoqué l'aventure et le défi unique de l'élargissement. L'Europe continuera à se faire pas à pas. Les pays candidats ne veulent pas seulement entrer dans l'Union européenne pour y faire du commerce ; ils veulent aussi faire avec nous de la politique comme me l'a dit le Président Vaclav Havel. Certains des pays candidats présentent en outre des ressemblances avec les pays qui ont été intégrés dans la Communauté après leur sortie d'un régime de dictature qui les avait laissés dans un état économique déplorable. Nous avons réussi le pari de l'intégration et de la cohésion. En prenant des précautions et en accordant des périodes de transition, en partageant aussi notre richesse, nous réussirons cet élargissement. Nous ne voudrions pas qu'on parle de deux ou trois Europe. Il faut parler d'une seule Communauté européenne, la " grande Communauté ", où il y aura, à partir d'un acquis commun, plusieurs vitesses d'intégration. Je suis assez ouvert à ce que le débat sur les limites de l'Europe soit ouvert. Il n'est pas contradictoire de le mener parallèlement à la réforme des institutions qui est de toute façon nécessaire, quelles que soient la dimension et les futures frontières de l'Union européenne.

Concernant la durée des fonctions des commissaires dans le cadre de nos propositions, celle-ci reste de cinq ans ; la question qui se pose est de savoir si nous aurons des commissaires de plein exercice ou des commissaires de second rang.


Politique agricole et de la pêche

Communication de M. Louis Le Pensec sur le texte E 1353 relatif à la réforme de l'Organisation Commune de Marché de la banane

A la suite d'une nouvelle condamnation par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de certains aspects du régime communautaire de la banane, le Sénat se trouve à nouveau saisi, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de réforme de l'Organisation Commune de Marché (OCM) dans ce secteur.

I - Quelques rappels

a) Les données de base

Le commerce mondial de la banane porte sur un peu plus de 12 millions de tonnes. L'Union européenne (avec 36 % des importations) et les Etats-Unis (avec 34 %) sont les principaux importateurs.

Le commerce international repose essentiellement sur deux groupes de pays producteurs :

les pays d'Amérique latine (plus de 10 millions de tonnes) produisant les " bananes dollars ", ainsi dénommées parce que commercialisées par des firmes multinationales ;

certains pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) liés à l'Union européenne par la convention de Lomé (2,2 millions de tonnes).

Par ailleurs, certains Etats membres de l'Union européenne : France (Martinique, Guadeloupe), Espagne (Iles Canaries), Portugal (Madère), Grèce (Crète) participent au commerce intra-communautaire pour un total de 0,8 million de tonnes.

Trois firmes multinationales américaines dominent le marché bananier mondial. Toutes trois pratiquent l'intégration verticale : elles contrôlent les différents niveaux de la filière, de la production à la distribution.

L'Union européenne apparaît -schématiquement- divisée en deux groupes de pays :

- les pays du nord de l'Europe continentale, non producteurs et importants consommateurs ;

- les pays souhaitant soutenir leurs anciennes colonies ou leurs propres producteurs.

b) La mise en place de l'OCMB

Jusqu'en 1993, le marché communautaire restait segmenté. Selon des modalités différentes, l'Espagne, la France, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni étaient des marchés organisés pour assurer un accès préférentiel à leurs propres productions ou aux productions des pays ACP. L'Allemagne, au contraire, importait des " bananes dollars " sans droit de douane et sans restriction quantitative. Les autres pays membres importaient des " bananes dollars " sans limitation de quantité, mais en les soumettant à une taxe de 20 %.

La volonté d'achever la mise en place du marché unique européen a conduit à l'adoption, en février 1993, de l'Organisation Commune du Marché de la banane (OCMB) malgré une vive opposition de l'Allemagne.

L'OCMB met en place un soutien aux producteurs communautaires -dans la limite d'un quota global de 854 000 tonnes réparti entre régions productrices- sous la forme d'une aide compensatoire calculée en fonction d'une " recette moyenne forfaitaire de référence ".

Pour les échanges, un régime de contingent d'importation est défini pour l'ensemble de la Communauté :

- un contingent de 857 700 tonnes par an à droit nul est ouvert pour les bananes exportées par les fournisseurs ACP traditionnels de la Communauté (" bananes traditionnelles ACP ") ;

- un second contingent de 2 millions de tonnes est ouvert pour les bananes exportées par les pays ACP au-delà de la quantité de 857 700 tonnes (" bananes non traditionnelles ACP ") et pour les " bananes dollars ". Dans le cadre de ce contingent, les " bananes non traditionnelles ACP " bénéficient d'un droit nul, et les " bananes dollars " d'un droit réduit de 100  /tonne. Au-delà de ce contingent, les droits à l'importation sont de 750  /tonne pour les " bananes non traditionnelles ACP " et de 850  /tonne pour les " bananes dollars ".

Pour le fonctionnement du contingent, des licences d'importation sont accordées par la Commission européenne en distinguant différentes catégories d'opérateurs en fonction de références historiques. Dans ce cadre, 30 % des licences d'importation au titre du contingent sont attribuées aux opérateurs ayant commercialisé des bananes communautaires et importé des bananes ACP pendant une période de référence triennale glissante, à proportion des quantités concernées.

c) Les contestations


· Se trouvant ainsi contrainte de payer à un prix plus élevé les bananes qu'elle importait, l'Allemagne a présenté un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes contre l'OCMB. Elle a été déboutée à deux reprises. En revanche, à la suite d'un arrêt de la Cour de Karlsruhe reconnaissant la nécessité de protéger les droits fondamentaux des importateurs lésés par la nouvelle législation communautaire, certains importateurs ont obtenu devant les juridictions allemandes un droit à obtenir des autorisations d'importation supplémentaires.


· Parallèlement aux recours allemands, certains Etats latino-américains (Colombie, Costa-Rica, Guatemala, Nicaragua, Venezuela) ont nourri au sein du GATT une vive contestation du régime d'importation de bananes en Europe.

Un panel constitué pour examiner la conformité de l'OCMB avec les règles du commerce international a finalement condamné (en février 1994) le règlement de février 1993, en considérant comme contraires aux règles du GATT ses dispositions relatives aux droits de douane, au système de préférences pour les pays ACP et aux certificats d'importation.

En mars 1994, pour tenter d'éteindre le contentieux avec les Etats d'Amérique latine, la Commission européenne a proposé un " accord-cadre " par lequel les droits de douane seraient réduits de 100 à 75 écus par tonne et le contingent porté de 2 à 2,2 millions de tonnes pour les bananes des pays tiers.

Après la conclusion des accords de Marrakech, un règlement communautaire a fixé en mars 1995, compte tenu de cet " accord-cadre ", les modalités d'application complémentaires des dispositions du règlement de février 1993 concernant le régime de contingents tarifaires à l'importation de bananes dans la Communauté.

Ces nouvelles dispositions ont eu pour effet d'attribuer plus de 50 % du contingent tarifaire aux quatre pays latino-américains signataires de l'accord-cadre sur les bananes, un peu moins de 50 % du contingent aux pays tiers non signataires du compromis et le reste (90.000 tonnes) aux pays ACP. Accepté par la Colombie, le Costa-Rica, le Nicaragua et le Venezuela, cet accord a été malgré tout contesté par d'autres Etats latino-américains (Guatemala, Honduras, Panama et Equateur) et surtout par les Etats-Unis, qui jusqu'alors n'étaient pas intervenus directement dans la procédure.

Un nouveau panel a donc été constitué en mai 1996 dans le cadre de l'Organisme de règlement des différends (ORD) de la nouvelle Organisation mondiale du commerce ; il a abouti, en avril 1997 puis en septembre 1997 (en appel) à une nouvelle condamnation du régime communautaire de la banane.


· La Communauté a été ainsi conduite à une réforme de l'OCMB, adoptée en juin 1998 contre l'avis de la France. Cette réforme a principalement consisté à augmenter de 353 000 tonnes le second contingent tarifaire (en principe pour tenir compte de l'élargissement de l'Union à l'Autriche, la Finlande et la Suède), à modifier le régime des licences d'importation, et à revaloriser faiblement la " recette forfaitaire de référence " déterminant le montant des aides compensatoires aux producteurs communautaires.


· La réforme de l'OCMB n'a pas désarmé la contestation américaine : en mars 1999, les Etats-Unis ont décidé unilatéralement de mesures de rétorsions commerciales contre la Communauté, pour un montant de 520 millions de dollars ; un mois plus tard, l'OMC leur a donné raison sur le fond, tout en ramenant le montant maximal des sanctions commerciales admissibles à 191 millions de dollars. Le coeur du différend reste le régime d'octroi des licences d'importations, qui est conçu pour avantager les opérateurs se fournissant auprès des pays ACP.


· Dans ce contexte, le Conseil a demandé en mai 1999 à la Commission de préparer une nouvelle proposition de réforme. Le projet de la Commission a été présenté en novembre 1999.

II - La nouvelle proposition de la Commission européenne

a) Les principaux aspects

Cette proposition -soumise aux deux Assemblées en décembre dernier dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution sous le n° E 1353- comprend trois principaux aspects.


· Tout d'abord, elle prévoit le remplacement, à partir du 1er janvier 2006, des contingentements tarifaires par un système uniquement tarifaire (" tariff only "), dans lequel toutefois les pays ACP bénéficieraient de droits réduits.


· A titre transitoire, il est proposé de retoucher le système actuel des contingents. Durant la phase transitoire, s'appliqueraient :

- un contingent tarifaire (correspondant aux engagements consolidés à l'OMC) de 2 200 000 tonnes assujetti à un droit de 75 euros par tonne,

- un contingent autonome de 353 000 tonnes soumis aux mêmes règles, correspondant à l'augmentation décidée en principe pour tenir compte de l'élargissement de l'Union intervenu en 1995,

- un contingent de 850 000 tonnes assujetti à un droit obtenu par mise aux enchères du droit hors contingent (soit aujourd'hui normalement 680 euros par tonne) ; dans le cadre de ce contingent, les bananes ACP bénéficieraient d'une préférence de 275 euros par tonne (sous réserve naturellement que le droit obtenu atteigne au moins ce montant).


· Pour les règles d'attribution des licences durant la période transitoire, la proposition ne tranche pas et renvoie à un règlement autonome de la Commission, à prendre en tenant compte des négociations menées avec les " parties intéressées ".

b) Les inquiétudes


· Depuis 1993, l'efficacité de l'OCMB pour soutenir la production communautaire et protéger les recettes d'exportation des pays ACP a été peu à peu érodée.

En 1994, l'" accord-cadre " conclu avec certains pays latino-américains a entraîné une augmentation de 10 % du volume du contingent tarifaire à droit réduit, et une réduction de 25 % du montant du droit qui lui est applicable.

A partir de 1996, l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède a été invoquée pour justifier une augmentation de 353 000 tonnes du volume de ce contingent. Ce montant paraissait très élevé au regard de la population cumulée de ces trois pays, même en leur supposant un goût particulier pour la banane. Si une augmentation aussi forte du contingent n'a pas entraîné une saturation du marché, c'est seulement parce que ni les importations en provenance des pays ACP et ni la production communautaire n'ont alors atteint les quantités permises par l'OCMB.

La réforme de 1998 a également contribué à détériorer la situation de la production communautaire :

- en faisant disparaître l'incitation à l'achat des bananes communautaires et ACP qui résultait de l'octroi de 30 % des certificats d'importation du contingent tarifaire aux opérateurs commerciaux ayant commercialisé des bananes de ces deux origines durant une période de référence triennale glissante ;

- en favorisant l'accroissement des quantités commercialisées sur le marché communautaire par les pays ACP d'Afrique, désormais habilités à utiliser les possibilités d'importation préférentielle non employées par les pays ACP caribéens.


· La proposition E 1353, intervenant à la suite de cette évolution, paraît devoir compromettre gravement l'avenir de la production communautaire.

Pour la période transitoire, la réforme prévue pour la gestion des contingents favoriserait la pleine utilisation des quantités autorisées pour les sources d'approvisionnement non communautaires. Compte tenu de la perspective d'une remontée des productions communautaires, les quantités mises effectivement en marché pourraient progresser de quelque 10 %, avec un risque de déséquilibre entre l'offre et la demande.

Quant au nouveau système d'attribution des licences, la recherche d'un accord avec les parties plaignantes à l'OMC a toutes les chances d'aboutir à un système défavorable aux opérateurs communautaires traditionnels, qui pourraient ne plus jouer qu'un rôle très limité dans l'approvisionnement du marché communautaire en " bananes-dollars ", donnant lieu à des marges commerciales beaucoup plus élevées.

Le passage, dans ces conditions, à une solution uniquement tarifaire à partir de 2006 pourrait mettre en très grande difficulté la production communautaire. Parallèlement, le marché communautaire de la banane passerait presque entièrement sous le contrôle de quelques grands opérateurs s'assurant l'essentiel de la marge commerciale de la filière, principalement liée à la commercialisation des " bananes-dollars ".

Ainsi, la proposition E 1353 ne paraît conforme ni à l'intérêt des producteurs communautaires, ni même à l'intérêt à long terme des consommateurs européens dans la mesure où elle pourrait favoriser l'émerge d'une situation de marché très peu concurrentielle.


· Deux DOM, la Guadeloupe et la Martinique, sont concernés de manière très directe par le projet de réforme de l'OCMB. La banane représente 42 % de la production agricole finale de la Martinique, et 27 % de celle de la Guadeloupe. Or, dans ces deux départements, l'agriculture occupe quelque 45 % de la population active. Compte tenu de taux de chômage déjà très élevés, supérieurs à 25 %, une crise dans ce secteur aurait de lourdes conséquences économiques et sociales dans ces départements où le PIB par habitant ne dépasse pas la moitié de la moyenne communautaire.

Compte tenu de l'importance de ce texte, je vous soumets une proposition de résolution qui reprend la substance de mes observations.

Compte rendu sommaire du débat
consécutif à la communication

M. Lucien Lanier :

Je souhaiterais connaître votre sentiment sur une affirmation souvent entendue, selon laquelle la protection dont bénéficient nos producteurs de bananes grâce à l'OCMB conduirait à un certain laisser-aller de leur part et expliquerait ainsi l'insuffisante compétitivité de leurs produits.

M. Jean Bizet :

Je souscris pleinement à votre proposition de résolution. Je me demande cependant quels pourront être ses effets dans la mesure où l'Union européenne se doit, en vertu de la décision de l'organisme de règlement des différends de l'OMC, de modifier le régime de l'OCMB.

M. Louis Le Pensec :

Il est exact que certains de nos producteurs de bananes ont pu vivre pendant longtemps dans la conviction d'être protégés de la concurrence internationale. Cela étant, les pouvoirs publics avaient éveillé leur attention sur les assauts des multinationales contre l'OCMB et sur le fait que celle-ci risquait d'être remise en question. Malheureusement, le temps nous a manqué pour préparer nos producteurs à la concurrence internationale et ils risquent de ne pouvoir y faire face car les coûts de production dans les DOM sont encore trop élevés au regard de ce qu'ils sont dans les pays ACP.

Par ailleurs, je crois qu'une résolution montrerait que le Gouvernement français, minoritaire sur cette question au sein de l'Union européenne, dispose du soutien de son Parlement. C'est la moindre des choses pour espérer peser sur le cours des choses, mais je suis bien conscient qu'il faudra pour cela plus qu'une résolution.

*

Sur proposition de M. Louis Le Pensec, la délégation s'est prononcée en faveur du dépôt de la proposition de résolution suivante :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement n° 404/93 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (E 1353),

Considérant que l'organisation commune de marché de la banane est un élément essentiel de la politique agricole dans les régions ultrapériphériques de la Communauté, notamment dans certains départements d'outre-mer français, et qu'elle constitue un aspect important de la politique communautaire de coopération ;

Considérant que le bon fonctionnement de l'organisation commune de marché mise en place par le règlement n° 404/93 a été compromis par la remise en cause progressive des garanties qu'il apportait aux producteurs communautaires et aux producteurs des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) fournisseurs traditionnels du marché communautaire ;

Considérant que la proposition E 1353, en l'état, pourrait mettre gravement en difficulté la production communautaire et menacer son avenir ;

Invite le Gouvernement à s'opposer à l'adoption de ce texte et à demander à la Commission européenne d'élaborer une nouvelle proposition permettant de garantir la pérennité de la production communautaire et de préserver un accès préférentiel au marché communautaire pour les fournisseurs traditionnels ACP.

La proposition de résolution de M. Louis Le Pensec a été publiée sous le numéro 221 (1999-2000).