Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

9 novembre 1999


Institutions communautaires

Communication de M. Aymeri de Montesquiou sur la réforme du Conseil de l'Union européenne dans la perspective de la Conférence intergouvernementale

Elargissement

Communication de M. Hubert Haenel sur les nouvelles propositions de la Commission européenne concernant le processus d'élargissement de l'Union européenne


Institutions communautaires

Communication de M. Aymeri de Montesquiou sur la réforme du Conseil de l'Union européenne dans la perspective de la Conférence intergouvernementale

Si la Conférence intergouvernementale d'Amsterdam n'a pas réussi à réformer les institutions de l'Union, elle a du moins établi un lien entre élargissement de l'Union et réforme des institutions. Le Conseil européen de Cologne (3 et 4 juin 1999) a indiqué que la Conférence intergouvernementale qui doit, en 2000, régler ce problème, devait se concentrer sur le " reliquat d'Amsterdam " : nombre de membres de la Commission, pondérations des votes au Conseil, extension du domaine de la majorité qualifiée.

On voit que le Conseil tient une place importante dans ce programme, et cette place est justifiée. Aujourd'hui, à quinze, le Conseil fonctionne difficilement. La perspective de l'adhésion de douze nouveaux pays rend nécessaire une évolution, d'autant que le Conseil reste le pivot des institutions européennes. Il est en effet la seule institution à disposer d'un pouvoir de décision pour les trois " piliers " de l'Union (dans les deuxième et troisième " piliers ", les pouvoirs de la Commission et du Parlement européen sont en effet relativement réduits).

Le rôle du Conseil est donc fondamental sur le plan politique. Or, il me semble que la finalité de l'Union est appelée à devenir de plus en plus politique. A l'origine, la Communauté était un traité de commerce, et c'est d'abord dans le domaine économique que s'est affirmée une identité européenne. Mais nous voyons bien, aujourd'hui, que les échanges sont marqués par un fort mouvement de mondialisation et que, sous l'égide de l'OMC, les barrières commerciales ont tendance à se réduire considérablement. Cela n'ôte nullement son utilité à la construction communautaire, qui permet aux Européens de dégager des positions communes et d'avoir plus de poids dans les négociations. Cependant, dans un tel contexte, l'Europe tirera de moins en moins sa consistance du domaine économique et commercial. Les aspects politiques joueront donc un plus grand rôle pour cimenter l'Union.

Dans cette optique, il est nécessaire que le Conseil -institution politique essentielle de l'Union- préserve et même améliore son efficacité, et qu'il conserve sa capacité de décision au-delà de l'élargissement.

A cet égard, trois principaux problèmes se posent :

- tout d'abord, celui de la pondération des votes, c'est-à-dire du nombre de voix dont dispose chaque Etat membre au sein du Conseil ;

- ensuite, celui de la majorité qualifiée : pour que le Conseil décide plus facilement, il faut manifestement réduire autant que possible le nombre de cas où l'unanimité est nécessaire. Dans le même ordre d'idées, se pose le problème du seuil de la majorité qualifiée : actuellement pour atteindre la majorité qualifiée, il faut 71 % des voix ; abaisser ce seuil permettrait de prendre plus facilement des décisions ;

- enfin, dernier point, le fonctionnement actuel du Conseil fait problème : il est devenu une institution très lourde, dont les travaux sont mal coordonnés. Ce problème nous concerne moins directement, car certaines évolutions pourraient se faire sans modifier les traités, mais c'est un aspect qu'on ne peut néanmoins passer sous silence.

*

Sur la pondération des votes, je rappelle que la situation actuelle est la suivante :

- l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ont chacun 10 voix ;

- l'Espagne a 8 voix ;

- la Belgique, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal ont chacun 5 voix ;

- l'Autriche et la Suède ont chacune 4 voix ;

- le Danemark, l'Irlande et la Finlande ont chacun 3 voix ;

- le Luxembourg a 2 voix.

Le total des voix est de 87. Le seuil de la majorité qualifiée est fixé à 62 voix (soit environ 71 % des voix) ; la minorité de blocage est donc de 26 voix.

La principale raison de revoir la pondération actuelle est le risque de voir, avec l'élargissement, se dégrader la capacité de décision et même la légitimité du Conseil.

Les Etats membres de l'Union sont très inégaux sur le plan démographique et peuvent être répartis en deux groupes :

- le groupe des " grands " Etats, qui comprend un pays d'environ 40 millions d'habitants, l'Espagne, trois pays d'environ 60 millions d'habitants (France, Italie, Grande-Bretagne) et un pays d'à peu près 80 millions d'habitants, l'Allemagne ;

- le groupe des " petits " Etats, au nombre de 10, dont la population va de 400.000 habitants (Luxembourg) à environ 15 millions (Pays-Bas).

Depuis les débuts de la Communauté, il a toujours été admis que cette situation devait conduire à une certaine sur-représentation des " petits " Etats. L'application d'un critère purement démographique aboutirait en effet à une domination des " grands " Etats qui, à eux cinq, rassemblent 294 millions d'habitants, c'est-à-dire les quatre cinquièmes de la population de l'Union à Quinze.

Seulement, à mesure de ses élargissements, l'Union a compté de plus en plus de " petits " Etats membres : la sous-représentation des " grands " Etats est donc allée en s'accentuant. Ainsi, les trois plus grands Etats, qui représentent ensemble plus de 53 % de la population de l'Union, ont moins de 35 % des droits de vote.

Or, l'élargissement à l'Est va nécessairement aggraver ce phénomène : en effet, sur les douze pays candidats, un seul, la Pologne, est un " grand " Etat. Si l'on ne modifie pas les règles actuelles de pondération, l'on obtiendra, à l'issue du processus d'élargissement, une Union de vingt-sept Etats où six " grands " Etats, avec 71 % de la population, auront 42 % des droits de vote, tandis qu'une coalition de douze " petits " Etats pourra constituer une minorité de blocage tout en rassemblant seulement 10,5 % de la population de l'Union.

La sur-représentation accrue des " petits " Etats que va entraîner l'élargissement à l'Est posera également un problème de légitimité de la décision budgétaire. En effet, les futurs adhérents verseront peu au budget communautaire et en recevront beaucoup, tout en disposant ensemble d'un grand nombre de voix si l'on conserve les règles actuelles de pondération. Avec ces règles, les futurs adhérents, qui ont au total 106 millions d'habitants et représentent une faible capacité contributive, auront 45 voix, alors que les quatre plus grands Etats parmi les membres actuels, qui ont ensemble 255 millions d'habitants et assurent 75 % des recettes du budget communautaire, n'auront que 40 voix.

Quelle réforme peut-on envisager ?

On doit souligner, tout d'abord, qu'on ne peut espérer corriger les disparités extrêmes que je viens d'évoquer, seulement les atténuer. La pondération au sein du Conseil est un compromis qui ne peut être modifié qu'à l'unanimité. Les " petits " Etats admettent aujourd'hui que, dans l'optique de l'élargissement, une évolution est inévitable : ils ne sont pas prêts, pour autant, à accepter une modification très sensible de l'équilibre entre " grands " et " petits " Etats. Notre objectif doit être plutôt d'empêcher que l'élargissement ne dégrade encore l'équilibre entre " grands " et " petits " ; l'idéal -mais c'est un idéal sans doute hors d'atteinte- serait de retrouver, et de pérenniser, l'équilibre qui existait dans l'Europe des Douze, car le passage de douze à quinze membre a déjà sensiblement fait pencher la balance au détriment des " grands ".

Une première solution possible serait le système de la " double majorité ".

Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, la présidence néerlandaise avait étudié une telle formule qui consiste à ajouter une condition de majorité démographique pour les décisions du Conseil.

Dans le système envisagé par la présidence néerlandaise, la pondération actuelle était conservée et, dans l'optique de l'élargissement, extrapolée aux nouveaux membres ; le seuil de la majorité qualifiée était conservé à son niveau actuel (71 % des voix) ; une condition démographique était ajoutée, à savoir que les Etats émettant un vote positif regroupent 60 % au moins de la population de l'Union.

Le système de la " double majorité " présente certains avantages : il permet de contourner la difficulté politique d'une repondération des votes ; par ailleurs, il permet, malgré l'élargissement, de conserver toujours le même seuil démographique : quoi qu'il arrive, une mesure ne peut être adoptée qu'avec le soutien de gouvernements représentant ensemble une large majorité de la population de l'Union.

Cependant, un mécanisme de double majorité compliquerait beaucoup le processus de décision, puisqu'il faudrait remplir deux conditions de majorité au lieu d'une. Comme notre but doit être au contraire de faciliter la prise de décision, il y a là un inconvénient très fort.

De ce fait, le système de la double majorité, qui avait beaucoup de partisans en 1997, en a beaucoup moins aujourd'hui, dans la mesure où les problèmes de fonctionnement d'une Europe élargie sont beaucoup plus présents dans les esprits.

Il paraît donc plus judicieux de prévoir une nouvelle pondération des votes.

Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, la présidence néerlandaise avait proposé, en vue d'une éventuelle repondération, une formule qui me paraît demeurer une référence intéressante.

Elle consiste à augmenter le nombre des voix de tous les Etats, l'augmentation étant plus forte pour les Etats les plus peuplés. Le nombre des voix serait multiplié par 2,5 pour l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ; par 2,4 pour les Pays-Bas, et par 2 pour les autres Etats membres, sauf le Luxembourg pour lequel le coefficient multiplicateur serait de 1,5. Ces règles seraient ensuite appliquées aux pays candidats.

Je pense que nous pourrions, à titre indicatif, nous prononcer pour une formule de ce type, qui aurait pour effet de préserver l'équilibre actuel entre " grands " et " petits " Etats au-delà de l'élargissement.

Un problème particulier se pose dans le cas de l'Espagne. Ce pays est assimilé aux " grands " Etats dans le cas de la Commission européenne, puisqu'il nomme deux commissaires, mais au sein du Conseil, il dispose de huit voix, contre dix aux " grands " Etats. Si les " grands " Etats perdent leur second commissaire, comme il en est assez fortement question, l'Espagne décrochera complètement du groupe des " grands " ; pour éviter cela, elle sera amenée à demander d'être intégrée, au Conseil, au groupe des " grands ". Il me semble que cette revendication devrait être examinée dans un esprit constructif, surtout si l'on raisonne en termes d'équilibre Nord/Sud de la Communauté.

*

Comme je l'ai indiqué au début de mon propos, un renforcement de la capacité de décision du Conseil passe également par une réforme du régime de la majorité qualifiée.

Le premier élément possible d'une réforme serait l'abaissement du seuil de la majorité qualifiée. Ce seuil est actuellement de 71 % des voix. Retenir un seuil plus bas (les deux tiers, voire les trois cinquièmes) faciliterait à l'évidence l'obtention d'une majorité.

On doit souligner qu'il y a un lien nécessaire entre l'abaissement du seuil de la majorité qualifiée et une repondération des votes. En effet, avec un seuil plus bas pour la majorité qualifiée, en l'absence de repondération, on pourrait aboutir après l'élargissement à une situation où la majorité qualifiée représenterait une minorité de la population, ce qui serait évidemment inacceptable.

Sous réserve de cette question de la repondération, je vous propose de soutenir une telle réforme, qui rendrait plus difficile la formation de minorités de blocage.

Deuxième aspect possible d'une réforme, l'extension du domaine des décisions prises à la majorité qualifiée.

Quelque quarante-six articles des traités, selon un premier recensement, prévoient encore des décisions à l'unanimité.

Il est clair qu'une plus grande efficacité suppose d'en réduire le nombre.

On peut sans doute juger vain d'entrer dans un vaste débat sur une généralisation de la majorité qualifiée à tous les domaines, puisqu'il n'y a aucune chance qu'il y ait unanimité sur une telle formule.

Mais je crois que nous pourrions soutenir sans irréalisme une large extension du domaine de la majorité qualifiée, je pense en particulier aux matières suivantes relevant du traité sur la Communauté européenne :

- certains aspects de la politique sociale communautaire (une partie de celle-ci relève déjà de la majorité qualifiée),

- l'accès aux professions réglementées,

- les aides d'Etat,

- l'harmonisation de la fiscalité indirecte,

- le rapprochement des législations ayant une " incidence directe " sur le fonctionnement du marché intérieur,

- l'assistance financière exceptionnelle à un Etat membre,

- la politique culturelle,

- la politique industrielle,

- les fonds structurels,

- certains aspects de la politique de l'environnement, à l'exception des choix énergétiques.

En revanche, il me paraît guère possible de décider à la majorité qualifiée dans des domaines touchant au fonctionnement des institutions.

*

J'en viens au fonctionnement du Conseil. Je n'entrerai pas très en détail dans cette problématique, puisqu'elle n'entre pas directement dans le champ de la CIG.

Les problèmes sont au demeurant bien connus :

- trop de questions remontent vers le Conseil européen, affectant le sérieux de ses travaux ;

- le Conseil " Affaires générales ", absorbé par la PESC, n'assure plus la coordination des travaux du Conseil ;

- les formations du Conseil se sont multipliées (il y en avait trois à l'origine : affaires générales, affaires économiques et financières, agriculture ; il y en a une vingtaine aujourd'hui) et il n'existe aucune hiérarchie entre ces différentes formations ; cette multiplication des conseils spécialisés favorise l'inflation législative, en méconnaissance du principe de subsidiarité ;

- la rotation de la présidence tous les six mois nuit à la continuité des travaux du Conseil, et constitue une charge de plus en plus lourde pour l'Etat qui l'assume, à mesure que l'Union s'élargit.

Le débat sur ces difficultés est déjà ancien, et une mesure importante a été prise avec la création du Haut représentant pour la PESC, dont le rôle sera notamment de favoriser la continuité de l'action du Conseil dans le domaine des relations extérieures.

Mais d'autres mesures sont aujourd'hui évoquées, en particulier :

la réduction du nombre des formation du Conseil,

l'octroi au Conseil " Ecofin " d'un pouvoir d'arbitrage chaque fois que le budget communautaire est en jeu,

la nomination par chaque Etat d'un ministre siégeant à Bruxelles, pour constituer une formation du Conseil spécialement chargée de coordonner les travaux du Conseil et d'assurer leur cohérence.

Je pense que nous devrions soutenir ces propositions qui donneraient au Conseil un fonctionnement plus efficace, plus proche de celui d'un Gouvernement.

Il paraît en effet difficilement acceptable que des ministres spécialisés puissent se réunir et prendre certaines décisions sans que la nécessaire disponibilité budgétaire ait été suffisamment examinée par les formations compétentes du Conseil.

De même, si l'on veut que les citoyens comprennent quelque chose aux institutions européennes, il faut éviter que le Conseil " éducation " adopte sans débat une décision concernant la pêche, comme c'est périodiquement le cas, le Conseil étant réputé un et indivisible quelles que soient les formations dans lesquelles il siège.

Il faut donc une coordination effective, qui rende intelligible le processus de décision et qui permette d'identifier les responsabilités. Cette coordination, à mon sens, permettrait également de mieux appliquer le principe de subsidiarité, en contrôlant les initiatives des Conseils spécialisés.

Surtout, donner un rôle de coordination à des ministres spécialement chargés de cela et siégeant à Bruxelles aiderait à rétablir la primauté du politique, alors que la complexité actuelle du fonctionnement et l'éparpillement des responsabilités ne laissent parfois aujourd'hui aux responsables ministériels qu'un rôle assez limité.

Or, l'autorité très forte dont dispose le Conseil européen dans le système institutionnel de l'Union montre bien que, quand le politique est en situation de jouer son rôle, il retrouve toute sa capacité d'impulsion.

*

Je vous propose donc, au total, les trois grandes orientations suivantes :

une repondération des votes doit être la base d'une réforme ;

- elle doit s'accompagner d'un abaissement du seuil de la majorité qualifiée et, surtout, d'une large extension du domaine des décisions à la majorité qualifiée ;

le fonctionnement du Conseil doit être réformé pour le rendre à la fois plus efficace et plus compréhensible ; pour cela, il serait notamment nécessaire de confier une tâche de coordination à des ministres désignés à cet effet et siégeant à Bruxelles.

Compte rendu sommaire du débat consécutif à la communication

M. Hubert Haenel :

Je rappelle quelle sera notre méthode de travail. Lorsque les différentes communications auront été présentées -chacune abordant un des principaux aspects de la CIG- nous aurons un débat de synthèse, qui débouchera sur le rapport de la délégation.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Les propositions du rapporteur sont précises et claires. Elles ne constitueraient pas un bouleversement, mais permettraient d'avancer. Nous devons aborder la CIG avec un souci d'efficacité. On ne peut trop demander aux " petits " Etats : il y a un lien à trouver entre la réforme de la Commission et celle du Conseil pour qu'ils n'aient pas le sentiment que l'on cherche à les marginaliser.

M. Hubert Haenel :

Il est généralement envisagé qu'en contrepartie d'une nouvelle pondération au Conseil, les " grands " Etats pourraient perdre leur second commissaire.

M. Aymeri de Montesquiou :

Dans le domaine de la pondération des votes, un statu quo est impensable. Pour prendre un exemple extrême, l'écart démographique est de 1 à 200 entre le Luxembourg et l'Allemagne, tandis que l'écart en nombres de voix au Conseil est de 1 à 5. La proposition que j'ai avancée ferait passer cet écart de 1 à 8 : il me semble que c'est bien le moins !

M. Robert Badinter :

Il est souhaitable qu'avant l'adoption de notre rapport définitif, nous soyons mieux informés sur les positions des autres Etats membres. Ces questions doivent être abordées avec tact : le Luxembourg est un des membres fondateurs de la Communauté. Essayons de savoir " jusqu'où l'on peut aller trop loin ".

M. Aymeri de Montesquiou :

Nous savons tous que les institutions européennes ont été dessinées pour six Etats. A douze, les Etats étaient serrés aux entournures ; à quinze, le costume commence à craquer : au-delà, il restera un short ! On ne peut faire l'économie d'une réforme. Bien entendu, la négociation doit porter sur les différents aspects de l'équilibre entre Etats membres. J'observe par ailleurs que les Etats qui frappent à la porte ont souvent une attitude ouverte en matière d'institutions.

M. Louis Le Pensec :

Je ne critique pas notre méthode de travail : il est bon d'examiner les différents sujets un par un. Mais tout se tient : la pondération des votes, le nombre des commissaires, et aussi le problème des " coopérations renforcées ". Faciliter le fonctionnement d'une Europe à plusieurs vitesses, avec des groupes d'Etat jouant un rôle moteur, est aussi un aspect de cet approfondissement qui doit précéder l'élargissement.

Je crois cependant que le Gouvernement a raison de ne pas vouloir trop " charger la barque " de la CIG. Les propositions de notre rapporteur, apparemment modestes, représenteraient déjà en réalité un changement conséquent : en particulier, ce qu'il suggère pour l'extension de la majorité qualifiée -à quoi j'aurais tendance à souscrire- représenterait un transfert de souveraineté important. L'idée de prévoir des ministres siégeant à Bruxelles peut être intéressante, mais je m'interroge sur la manière dont cette nouvelle formation du Conseil pourrait jouer son rôle.

M. Aymeri de Montesquiou :

Le problème, me semble-t-il, est que les différentes formations du Conseil sont trop autonomes, permettant parfois une politique du fait accompli. Il faut une remise en ordre, pour plus de cohérence et d'efficacité. Cela suppose qu'il y ait une formation du Conseil capable d'assurer une coordination, et qu'il y ait un contrôle exercé par le Conseil Ecofin sur les engagements pris. Au fond, cela se résume au fait que le Conseil devrait fonctionner davantage comme un Gouvernement, de manière à restaurer la primauté du politique.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Il est vrai que la situation actuelle donne un grand poids aux infrastructures administratives. Par ailleurs, j'ai vécu la complexité des Conseils " Jumbo " (réunissant conjointement plusieurs formations du Conseil) où déjà les ministres d'un même pays doivent s'entendre entre eux, ce qui n'est pas toujours simple. Il faut une coordination, mais je crois qu'elle devrait s'exercer sous l'égide des ministres des Affaires étrangères. Des ministres résidant à Bruxelles devraient être placés sous leur autorité.

M. Louis Le Pensec :

A côté des insuffisances -réelles- que recèle le fonctionnement du Conseil, il faut également observer que les résultats obtenus sont remarquables. C'est une mécanique bien rodée, qui parvient souvent à déjouer les pronostics pessimistes. Le Conseil " Affaires générales " assure malgré tout une certaine vision d'ensemble. Par ailleurs, tout ministre siégeant au Conseil représente tout le Gouvernement et peut l'engager. Il faut donc réfléchir avec beaucoup de soin à une éventuelle réforme.

M. Aymeri de Montesquiou :

Il me semble que des ministres résidant à Bruxelles devraient recevoir une autorité spécifique pour pouvoir jouer leur rôle ; sans doute devraient-ils dépendre directement du Premier ministre. De l'avis général, les ministres des Affaires étrangères, accaparés par d'autres tâches, ne parviennent plus à coordonner les travaux du Conseil. Et comment faire comprendre aux citoyens que le Conseil " Education " puisse prendre, par exemple, des décisions concernant la pêche ou l'agriculture ?

M. Louis Le Pensec :

Certes, mais il s'agit de points " A ", c'est-à-dire de points adoptés sans débat : un accord existe déjà, et l'adoption par telle ou telle formation du Conseil est purement formelle.

Par ailleurs, je voudrais souligner que, du moins dans le cas de la France, la coordination interministérielle est assurée très efficacement par le SGCI, en liaison avec le Cabinet du Premier ministre, qui est en position d'arbitrer.

M. Robert Badinter :

Est-ce qu'au fond ces questions relèvent de la révision des traités ou de l'organisation de chaque Etat membre ? Les traités n'ont pas à entrer dans les structures gouvernementales des pays membres. Je doute au demeurant que certains Etats soient disposés à adopter la formule proposée, qui risque de leur paraître un élément de complexité supplémentaire.

M. Aymeri de Montesquiou :

Même si, effectivement, de telles questions ne relèvent pas des traités, la CIG peut être l'occasion de donner une impulsion. Or, tous les pays font le même constat : les formations du Conseil sont trop nombreuses et mal coordonnées. Une instance de coordination dotée d'une réelle autorité serait également une garantie pour les citoyens, qui auraient le sentiment que la machinerie du Conseil est bien contrôlée par des responsables politiques. Par ailleurs, les modalités pratiques de mise en oeuvre pourraient être adaptées aux particularités des structures gouvernementales de chaque pays.

M. Serge Lagauche :

Le maintien de l'unanimité sur les questions institutionnelles est peut-être inévitable, mais, pour ma part, je ne serais pas opposé à ce que la décision à la majorité qualifiée soit introduite dans ce domaine pour certains aspects au moins. Par ailleurs, devons-nous demander l'unanimité pour ce qui concerne l'énergie nucléaire ? Je n'en suis pas persuadé. Nous risquons d'être isolés sur ce point.

M. Aymeri de Montesquiou :

Sur l'énergie nucléaire, je ne suggère pas de demander la règle de l'unanimité : elle existe déjà. Je défend le statu quo, et il me semble que c'est la prudence. Sommes-nous prêts à envisager que la Communauté nous impose à la majorité qualifiée d'abandonner notre industrie nucléaire ? Je ne le crois pas. Je doute d'ailleurs que les autres Etats membres soient disposés à être éventuellement mis en minorité sur leurs choix énergiques essentiels.


Elargissement

Communication de M. Hubert Haenel sur les nouvelles propositions de la Commission européenne concernant le processus d'élargissement de l'Union européenne

L'Union économique et monétaire étant désormais lancée sur la base suffisamment large de onze pays, l'élargissement apparaît aujourd'hui clairement comme la principale tâche de l'Union européenne pour les prochaines années.

La nouvelle Conférence intergouvernementale (CIG) qui doit se conclure sous présidence française, avant la fin de l'année prochaine, a ainsi pour but de rendre l'Union capable de fonctionner avec un plus grand nombre de membres.

Les perspectives financières de l'Union, pour la période 2000-2006, qui ont été adoptées au printemps dernier, ont été conçues de manière à rendre possible l'accueil de nouveaux membres en fin de période.

Du côté des pays candidats, la perspective de l'adhésion à l'Union est au centre de la vie politique et économique.

Le processus d'élargissement est donc largement entamé. Pourtant, jusqu'à présent, l'Union ne s'est pas véritablement dotée d'une stratégie claire.

·  La décision de principe au sujet de l'élargissement, je le rappelle, a été prise en juin 1993 lors du Conseil européen de Copenhague. Les conclusions adoptées à Copenhague étaient les suivantes :

Le Conseil européen est convenu aujourd'hui que les pays associés de l'Europe centrale et orientale qui le désirent pourront devenir membres de l'Union européenne. L'adhésion aura lieu dès que le pays membre associé sera en mesure de remplir les obligations qui en découlent, en remplissant les conditions économiques et politiques requises.

L'adhésion requiert de la part du pays candidat qu'il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme, le respect des minorités et leur protection, l'existence d'une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union. L'adhésion présuppose la capacité du pays candidat à en assumer les obligations, et notamment de souscrire aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire
 ".

Ce texte posait donc le principe de l'élargissement, tout en subordonnant les adhésions à un certain nombre de critères, les uns politiques, les autres économiques.

Mais la manière d'appliquer ce schéma général restait à définir. En particulier, plusieurs questions se posaient :

- tout d'abord, à quel moment ouvrir les négociations, et avec quels pays ?

- ensuite, quel statut donner à la Turquie, candidate depuis plus de trente ans ?

- enfin, comment conserver à l'Union sa capacité de décision lorsqu'elle aurait vingt ou vingt-cinq membres ?

·  C'est dans la deuxième moitié de l'année 1997 que l'Union a été amenée à apporter une première réponse à ces différentes questions.

Sur le premier point, le Conseil européen de Luxembourg, en décembre 1997, a suivi -avec quelques nuances- les propositions de la Commission européenne, c'est-à-dire qu'il a décidé d'ouvrir les négociations avec certains pays candidats seulement : Pologne, Hongrie, République tchèque, Estonie, Slovénie, et Chypre.

Sur le deuxième point, le statut de la Turquie, l'idée retenue par le Conseil européen, après bien des débats, a été le lancement de la " Conférence européenne ". Cette nouvelle structure devrait rassembler les Etats membres et tous les Etats associés à l'Union ayant une " vocation à l'adhésion ", y compris donc la Turquie. La " Conférence européenne " devrait permettre une coopération étroite dans de nombreux domaines, de manière à favoriser un rapprochement.

Enfin, sur le problème du fonctionnement des institutions d'une Europe élargie, le traité d'Amsterdam -sous forme d'un protocole annexé- a donné une réponse seulement indicative, renvoyant à plus tard une véritable réforme des institutions.

·  La délégation s'est prononcée sur ces trois points en novembre 1997. Je rappelle que nous étions très réservés sur les orientations qui étaient retenues ou allaient l'être :

- la distinction de deux groupes au sein des pays candidats nous avait paru introduire une ligne de partage artificielle entre les pays candidats d'Europe centrale, avec de sérieux inconvénients politiques et psychologiques. En outre, le fait de retenir certains pays seulement s'accordait avec la philosophie du protocole annexé au traité d'Amsterdam pour repousser à plus tard une réforme institutionnelle, car ce protocole suggérait qu'une véritable réforme ne serait entreprise que lorsque l'Union compterait plus de vingt membres.

- par ailleurs, la " Conférence européenne " nous était apparue assez peu crédible, risquant d'apparaître aux yeux des pays " refusés " comme une maigre compensation à l'absence d'ouverture de négociations d'adhésion ;

- enfin le protocole sur les questions institutionnelles annexé au traité d'Amsterdam nous avait semblé clairement insuffisant, car, pour la raison que je viens d'indiquer, il présentait le risque de voir l'Union s'élargir sans véritable réforme de son fonctionnement, compromettant ainsi à terme sa capacité de décision.

·  Avec le recul du temps, on peut observer que nos critiques n'étaient pas sans fondement.

On a pu constater que certains des pays avec lesquels les négociations étaient ouvertes progressaient moins vite que prévu dans les réformes, alors que certains des pays " refusés " évoluaient plus rapidement. La distinction des pays en deux groupes est donc apparue de plus en plus artificielle.

La " Conférence européenne " n'a jamais réellement fonctionné, la Turquie ayant d'ailleurs refusé d'y participer à la suite de certaines déclarations maladroites.

Enfin, tous les Etats membres ont admis que l'élargissement appelait au préalable une réforme sérieuse du fonctionnement de l'Union, puisque le Conseil européen de Cologne (3 et 4 juin dernier) a annoncé le lancement d'une Conférence intergouvernementale (CIG) sur les questions institutionnelles non résolues par le traité d'Amsterdam, avec l'objectif de conclure sous présidence française.

·  On doit ajouter que la stratégie européenne en matière d'élargissement s'est encore compliquée, car, dans le contexte de la fin de la guerre au Kosovo, le Conseil européen a approuvé le Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, qui offre, à terme, une perspective d'adhésion à l'Union européenne à cinq nouveaux pays : la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la nouvelle Yougoslavie (Serbie et Monténégro), la Macédoine et l'Albanie. Or, ces Etats sont fort éloignés des standards européens sur le plan économique et social comme sur le plan politique, juridique et administratif. Seulement, on voit mal au nom de quoi l'on repousserait indéfiniment la perspective d'une adhésion de la Turquie, dès lors que l'on envisage, par exemple, celle de l'Albanie. Ainsi, la question des limites du processus d'élargissement se trouve posée : quelles frontières faut-il souhaiter, à terme, pour l'Europe ?

Finalement, il apparaît bien que, jusqu'à présent, l'Union ne s'est pas dotée d'une stratégie suffisamment claire pour la conduite du processus d'élargissement.

Il est vrai que l'Union a commencé à corriger les insuffisances des décisions prises en 1997, en décidant, comme je viens de le dire, le lancement d'une nouvelle CIG pour combler les lacunes du traité d'Amsterdam.

Mais sur les autres questions, une mise à jour s'imposait. La Commission européenne a eu le mérite de l'entreprendre, et le rapport qu'elle vient de publier propose des évolutions très significatives qui devraient déboucher sur une stratégie plus cohérente.

·  Le premier aspect, le plus important, des nouvelles propositions de la Commission concerne l'ouverture de négociations d'adhésion avec six nouveaux pays : la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Roumanie et la Slovaquie.

Si le Conseil européen approuve cette approche, des négociations seront donc ouvertes avec l'ensemble des dix pays candidats d'Europe centrale et orientale, plus Chypre et Malte, et chaque candidature sera appréciée selon ses mérites propres.

Telle était déjà notre position en 1997 : tous les pays candidats doivent être sur la ligne de départ, et l'évolution de chaque pays doit être appréciée individuellement. Il est clair que les négociations aboutiront beaucoup plus rapidement avec certains pays qu'avec d'autres, mais nous ne devons pas préjuger des évolutions ; surtout, il est nettement plus mobilisateur pour les pays candidats d'entrer dans un processus de négociation, et donc d'avoir une vraie perspective d'adhésion, même lorsqu'ils savent que ce processus sera long. La transition économique est particulièrement difficile dans certains pays, des sacrifices importants sont demandés aux populations ; il est nécessaire, sur le plan politique et psychologique, que ces populations aient le sentiment que ces sacrifices vont finir par porter des fruits.

A dire vrai, il était devenu assez clair que la division des pays candidats en deux groupes, décidée en 1997, était devenue artificielle, et que des négociations devaient s'ouvrir avec la Lettonie, la Lituanie et la Slovaquie. Le problème portait surtout sur la Bulgarie et la Roumanie.

La France ne souhaitait pas que ces deux pays soient les seuls à rester à l'écart des négociations, pour deux raisons : tout d'abord, ces deux pays, surtout la Roumanie, ont des liens culturels importants avec la France ; ensuite, ce sont les deux pays où la transition est la plus difficile ; les laisser durablement à l'écart pouvait désorienter leurs populations.

La France a donc obtenu satisfaction sur ce point, même si le rapport de la Commission n'est pas complètement dépourvu d'ambiguïté. En effet, des conditions particulières sont prévues pour ces deux pays :

- pour la Bulgarie, des dates " acceptables " doivent être fixées pour la fermeture des quatre unités de la centrale nucléaire de Kozloduy, et les progrès dans le processus de réforme économique doivent être "confirmés";

- pour la Roumanie, la réforme des institutions chargées des soins à l'enfance doit être effectivement mise en oeuvre, et, de plus, une nouvelle évaluation de la situation économique est prévue pour vérifier que ce pays prend les " mesures à même de remédier à la situation macro-économique ".

Les conditions posées pour la sûreté nucléaire (Bulgarie) et la gestion des orphelinats (Roumanie) ne sont discutées par personne. En revanche, la mention d'une nouvelle évaluation de la situation économique, dans le cas de la Roumanie, a suscité une certaine inquiétude dans ce pays, qui se voyait menacé d'une marginalisation dans le processus d'élargissement.

La Commission s'est cependant efforcée de dissiper cette inquiétude. Le premier déplacement du nouveau commissaire chargé de l'élargissement, M. Günter Verheugen, a été pour la Roumanie, et il s'est à cette occasion déclaré persuadé que les négociations avec la Roumanie commenceraient " au printemps 2000 ".

Au total, on peut donc estimer que les nouvelles propositions de la Commission vont dans le sens d'une stratégie plus claire, où les douze pays associés candidats seront inclus dans le processus de négociation, avec une évaluation individuelle de leurs progrès.

·  Dans le même sens, la Commission refuse avec juste raison, me semble-t-il, de fixer dès maintenant un objectif pour la date des premières adhésions.

Elle propose, en revanche, que l'Union se fixe à elle-même l'objectif d'être prête en 2002, en tout état de cause, à faire face à un premier élargissement, ce qui suppose que la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions s'achève dans les délais prévus (fin de l'année 2000) et que les ratifications soient terminées à la fin 2001.

·  Le document de la Commission va également dans le sens d'une clarification à l'égard de la Turquie.

L'approche proposée comprend deux volets :

- la Turquie doit être clairement considérée comme un pays candidat, même si manifestement elle ne remplit pas aujourd'hui les conditions politiques à l'ouverture de négociations. Cela signifie que la candidature turque doit être traitée comme toute autre candidature, et que, lorsque la Turquie remplira les conditions nécessaires pour adhérer - les mêmes que pour les autres pays candidats - elle pourra le faire ;

- deuxième volet : la Commission propose une stratégie de rapprochement fondée, d'une part, sur un dialogue politique plus étroit, et, d'autre part, sur un dispositif de pré-adhésion inspiré de celui qui a été appliqué aux pays candidats d'Europe de l'Est.

Cette nouvelle approche - qui a été rendue possible par l'évolution de l'attitude grecque - a été bien accueillie par la Turquie à qui elle donne clairement une perspective d'adhésion à terme.

·  Par ailleurs, la Commission propose de confirmer la vocation à l'adhésion des pays issus de l'ancienne Yougoslavie et de l'Albanie sous réserve du respect de " conditions strictes " : en plus de satisfaire aux critères de Copenhague, il serait demandé à ces pays de reconnaître mutuellement leurs frontières, de régler toutes les questions liées au traitement des minorités nationales et de rechercher l'intégration économique dans un cadre régional, condition préalable à leur intégration dans l'UE.

·  Il est clair que l'approche ouverte retenue vis-à-vis de la Turquie, de l'Albanie et des pays issus de l'éclatement de la Yougoslavie pose le problème des frontières, à long terme, de l'Union européenne. Jusqu'où l'élargissement doit-il aller ? Ne faudrait-il pas fixer, une fois pour toutes, des limites ? Sur ce point, le document de la Commission est pratiquement muet. M. Romano Prodi a seulement souhaité, devant le Parlement européen, qu'un " grand débat " s'engage sur ce sujet, sans indiquer clairement sa position personnelle.

Compte rendu sommaire du débat consécutif à la communication

M. Robert Badinter :

La Turquie frappe à la porte depuis très longtemps...

M. Aymeri de Montesquiou :

depuis 1963 !

M. Robert Badinter :

En même temps, nous savons l'importance de cette question pour nos voisins allemands ; pourra-t-on s'en tenir à ce qui est proposé ?

Pour l'ex-Yougoslavie, la situation est totalement différente selon les Etats qui en sont issus. Entre la Slovénie -qui peut entrer demain dans l'Union- et la Macédoine, il y a un abîme ! De plus, les Etats limitrophes de la Serbie devront régler leurs litiges avec ce pays, ce qui ne sera pas une petite affaire. Enfin, l'Albanie me paraît aujourd'hui extrêmement éloignée des standards européens.

M. Aymeri de Montesquiou :

N'oublions pas qu'en France même, l'écart n'est pas mince entre les Hauts-de-Seine et la Corrèze ! Mais je souhaiterais avoir une précision concernant Chypre. L'attitude plus ouverte proposée à l'égard de la Turquie signifie-t-elle que ce pays a assoupli sa position sur le statut de Chypre ?

M. Hubert Haenel :

Pour l'instant, c'est la position grecque qui a le plus évolué, non pas sur la question chypriote, mais sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la Turquie. A l'occasion du tremblement de terre en Turquie, vous vous en souvenez, elle a cessé de bloquer les financements européens. On peut espérer qu'une dynamique positive va maintenant s'enclencher.

M. Robert Badinter :

J'étais de ceux qui jugeaient que la distinction des pays candidats en deux groupes n'était pas sans fondement. La nouvelle approche me laisse quelque peu sceptique.

M. Emmanuel Hamel :

Est-il raisonnable de poser des conditions à la Roumanie concernant la situation des établissements accueillant des enfants orphelins ou handicapés ? N'est-ce pas par manque de moyens qu'ils ne peuvent mettre ces établissements aux normes européennes ?

M. Hubert Haenel :

Ce n'est pas seulement une question de moyens ! Des problèmes juridiques se posent aussi et surtout.

M. Robert Badinter :

La Roumanie est parfaitement en mesure de trouver des solutions. N'exagérons pas le problème des moyens dans cette affaire.

M. Louis Le Pensec :

Je reviens à la conclusion de la communication. N'y a-t-il pas une sorte d'antinomie entre la notion de limite et celle d'élargissement ? Je crois que la seule solution pour sortir de cette difficulté est d'appliquer des critères d'adhésion suffisamment précis. A défaut, l'Union risque à l'évidence de se diluer.

M. Hubert Haenel :

En effet, il est essentiel que la construction européenne conserve sa consistance. Elle doit être, pour les citoyens, synonyme de sécurité et de stabilité.

M. Louis Le Pensec :

Le partenariat avec les pays du Maghreb évolue-t-il favorablement ?

M. Hubert Haenel :

Les propositions de la Commission réaffirment cette orientation forte, qui a eu jusqu'à présent des résultats positifs surtout dans les cas du Maroc et de la Tunisie.

M. Aymeri de Montesquiou :

Peut-on dire que la Turquie appartient plus à l'Europe que l'Ukraine ? A Kiev, n'est-on pas plus en Europe qu'on ne l'est en Anatolie ? J'ai le sentiment que nous nous engageons dans une direction qui va peu à peu provoquer, comme on l'a dit, une dilution de la Communauté. Un statut de pays associé ne serait-il pas une meilleure formule pour certains Etats ?

M. Hubert Haenel :

Je rappelle que la décision de principe concernant l'élargissement a déjà été prise. L'adhésion éventuelle suppose le respect de critères. On ne peut a priori empêcher certains Etats d'être candidats, ni leur imposer des critères différents.

M. Robert Badinter :

Dans l'absolu, on pourrait bien sûr préférer des formules d'association. Mais on ne peut dire à certains Etats qu'ils sont en quelque sorte des pays européens de deuxième zone : or, c'est ainsi que serait considérée une proposition de simple association. Elle serait vécue comme une exclusion. Comment concilier une telle démarche avec les valeurs européennes ? Mais, d'un point de vue plus réaliste, les problèmes paraissent redoutables. Le coût de l'élargissement risque d'être bien plus élevé qu'on ne le pense.

M. Louis Le Pensec :

Je partage cette inquiétude : en cas d'élargissement rapide, l'" Agenda 2000 " qui vient d'être adopté risque fort de se trouver caduc.

M. Jean-Pierre Fourcade :

J'avoue que les nouvelles propositions de la Commission me laissent perplexe. On a le sentiment d'une accélération, d'une ouverture très large, alors que les solutions pour approfondir et consolider l'Union n'ont toujours pas été trouvées. Certains pays me paraissent très clairement beaucoup plus prêts que d'autres à adhérer. Doit-on feindre que tous sont sur une même ligne ?

M. Hubert Haenel :

J'ai pris note des préoccupations qui se sont exprimées. Elles pourront alimenter le dialogue que nous aurons avec le ministre des Affaires européennes après le Conseil européen d'Helsinki.