REUNION DE LA DELEGATION DU MERCREDI 10 JANVIER 2001


Institutions communautaires

Rapport d'information de M. Hubert Haenel sur la transposition des directives communautaires


Institutions communautaires

Rapport d'information de M. Hubert Haenel
sur la transposition des directives communautaires

Résumé du rapport

Lors des débats qui se sont déroulés au Sénat, puis à l'Assemblée nationale, sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires, le Gouvernement a dû reconnaître que notre pays était devenu un des moins performants en matière d'intégration du droit communautaire au droit interne. Et il a fait valoir les conséquences déplorables de cet état de fait.

Le reproche essentiel que l'on pouvait adresser à ce projet de loi était de ne s'occuper que du passé, mais aucunement de l'avenir. L'habilitation que demandait le Gouvernement visait en effet à permettre d'apurer le passé, mais elle ne s'accompagnait d'aucune mesure pour éviter que la situation qu'il voulait assainir ne se reproduise pas. Plusieurs orateurs, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, l'ont fait remarquer. Aussi le Gouvernement a-t-il été amené, lors de l'examen du projet de loi devant l'Assemblée nationale, à livrer quelques interrogations sur les améliorations à rechercher dans l'avenir.

Mais la plupart des propositions qui furent avancées, surtout de la part du Gouvernement, semblaient reposer sur l'idée que la cause principale du retard des transpositions de directives tenait à l'encombrement chronique de l'ordre du jour des assemblées parlementaires. Et l'on pouvait y voir l'annonce d'une proposition gouvernementale tenant peu ou prou à instaurer un dessaisissement permanent du Parlement pour les transpositions de directives, notamment lorsqu'il fut suggéré d'examiner de près l'exemple italien de transposition des directives.

Il faut dire que les performances italiennes de ces dernières années en matière de transposition sont tout à fait remarquables. Alors que l'Italie était encore plus en retard que la France à la fin de 1997, elle est aujourd'hui très nettement devant, avec un déficit de transposition de 3,2 % alors que notre déficit s'élève à 4,5 %. Nous sommes d'ailleurs passés, dans le dernier tableau d'affichage qui date de novembre 2000, à l'avant-dernière place. Il n'y a plus aujourd'hui que la Grèce qui se trouve derrière nous ! Encore remportons-nous la palme avec le nombre des procédures d'infraction engagées.

On comprend donc que l'exemple italien fasse recette et que l'on évoque avec gourmandise la loi La Pergola, en vertu de laquelle le Parlement italien n'intervient dans la transposition que pour les directives qui ne requièrent que quelques corrections législatives. En revanche, pour les autres directives, il se contente d'autoriser le Gouvernement à procéder par décret législatif ou par décret du Président de la République. La seule limite à la délégation réside dans la " réserve législative absolue " qui ne couvre que quelques matières (liberté individuelle, inviolabilité du domicile, liberté et secret de la correspondance...) dont la Constitution prévoit qu'elles doivent être entièrement régies par la loi.

Autant dire que le Parlement italien se voit réduit à un rôle marginal dans la transposition des directives. Mais il semble que cela paraisse encore trop contraignant aux yeux de l'exécutif italien. En effet, constatant que la " loi communautaire " (c'est-à-dire la " loi-balai " qui permet, une fois par an, les habilitations au Gouvernement) a été souvent adoptée avec retard, le Gouvernement italien a, en novembre dernier, adopté en Conseil des ministres un projet de loi de modification de la loi La Pergola visant à réduire encore le rôle du Parlement lors de la transposition des directives.

On comprendra aisément que l'on ne soit guère tenté de trouver dans l'exemple italien les remèdes à la situation française car il s'agit en fait purement et simplement de dessaisir le Parlement de la transposition des directives communautaires. Au demeurant, est-on sûr d'avoir soigneusement observé l'exemple italien. N'est-il pas surprenant que la loi La Pergola date de mars 1989 et que ce ne soit guère que depuis 1998 que l'Italie ait engagé ce rattrapage ?

En fait, le véritable artisan de la nouvelle situation italienne est Enrico Letta, ministre des Politiques communautaires du premier gouvernement de Massimo D'Alema. Forte personnalité, Enrico Letta, plus jeune ministre du gouvernement, a de fait totalement transformé le ministère des Politiques communautaires qui joue à présent un rôle central dans le dispositif italien, tout à la fois d'impulsion et d'arbitrage. Des décrets ont d'ailleurs consacré, au début de l'année 2000, les compétences de coordination du ministre des Politiques communautaires, au moment où Enrico Letta quittait ce poste pour le ministère de l'Industrie.

L'expérience italienne apporte ainsi une illustration parfaite de la phrase que la Commission plaçait en tête de sa dernière analyse de la transposition des directives relatives au marché intérieur :

" Trois ans après le premier tableau d'affichage, il est devenu clair que les administrations nationales ne peuvent réduire sensiblement leur déficit de transposition de la législation relative au marché intérieur que si une activité administrative intense est associée à un soutien politique aux plus hauts niveaux. "

S'il est bon de regarder l'Italie comme un modèle, c'est plutôt à cet égard que pour la réduction du rôle du Parlement national dans la transposition.

Ce qui frappe à la lecture des débats qui se sont déroulés au Sénat et à l'Assemblée nationale à propos du projet de loi d'habilitation, c'est que le retard français en matière de transposition semblait, dans l'esprit de beaucoup, résulter essentiellement de l'encombrement chronique et irrémédiable de l'ordre du jour des assemblées.

Or, cette analyse néglige deux points importants :

- d'une part, le fait que le problème n'est que rarement d'ordre parlementaire et surtout d'ordre administratif,

- d'autre part, le constat que, lorsqu'il est parlementaire, il découle plutôt d'un embarras politique du Gouvernement que des effets de la surcharge de l'ordre du jour des assemblées.

Il convient en effet d'abord de souligner que deux-tiers des textes pour lesquels il y a un retard de transposition ont un caractère réglementaire. Ce n'est que pour le dernier tiers des 176 directives en retard de transposition que le Parlement est concerné. Ceci est d'ailleurs tout à fait logique puisque l'on estime généralement que 35 à 40 % seulement des directives comportent des dispositions de nature législative. Mais cela montre clairement que la cause principale du retard dans les transpositions est une cause administrative et non une cause parlementaire.

Pourquoi ce dysfonctionnement administratif ? A vrai dire, cela fait plus de dix ans que les réflexions se succèdent à ce sujet. Déjà, à la fin des années 1980, le Gouvernement a saisi le Conseil d'Etat de la question et celui-ci a rendu une analyse des problèmes posés par la transcription en droit interne des directives communautaires. A la suite de ces recommandations, le Gouvernement a pris une circulaire, en janvier 1990, qui définissait la procédure de suivi de la transposition des directives communautaires en droit interne. Cette circulaire a été complétée en 1994 et remplacée en 1998 par une nouvelle circulaire qui définit donc aujourd'hui la doctrine et la règle de conduite de l'administration française.

Que dit cette circulaire ?

Elle pose d'abord, pour la négociation des directives, un principe fondamental selon lequel " il est essentiel de prendre en considération, dès le stade de l'élaboration et de la négociation des projets de directive, les effets sur le droit interne des dispositions envisagées et les contraintes ou difficultés qui pourront en résulter ". A cet effet, elle rappelle :

- " que l'activité normative de la Communauté doit être gouvernée par les principes de subsidiarité et la proportionnalité " ;

qu'il est souhaitable " que les fonctionnaires chargés de suivre la préparation d'un projet de directive soient ceux à qui il reviendra d'assurer la transposition en droit interne de la directive adoptée " ;

qu'il est " nécessaire en particulier de s'assurer, dès le début de la négociation, que les formulations ou définitions envisagées ne risquent pas de soulever des difficultés d'interprétation ou de créer des incohérences au regard des dispositions existantes en droit interne ".

Afin de permettre le respect de ces règles générales, la circulaire prévoit que chaque proposition de directive devra faire l'objet d'une étude d'impact juridique comprenant :

·  la liste des textes de droit interne dont l'élaboration ou la notification seront nécessaires en cas d'adoption de la directive,

·  un avis sur le principe du texte, sous l'angle juridique et celui de la subsidiarité,

·  un tableau comparatif des dispositions communautaires et nationales,

·  si les informations nécessaires sont disponibles, une note de droit comparé.

Et la circulaire ajoute que cette étude d'impact juridique " s'efforcera également d'identifier les difficultés que pourrait soulever la transposition en droit interne des dispositions de cette proposition de directive ". Et de conclure " l'étude d'impact devra être adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de connaître la proposition de directive. Elle permettra d'éclairer la négociation elle-même et facilitera, ultérieurement, la transposition en droit interne ".

Enfin, la même circulaire prévoit que la transposition " préparée, ainsi qu'il a été dit, dès le stade de la négociation, doit être entreprise aussitôt que la directive a été adoptée ". Et elle souligne que " les difficultés de nature juridique et administrative traditionnellement rencontrées dans cet exercice sont principalement dues à des interrogations sur le choix du niveau de texte adéquat dans la hiérarchie des normes internes ainsi qu'à des hésitations ou des désaccords sur le rôle qui incombe à chaque ministère ". Et de préciser que, dans le délai de trois mois, chaque ministère participant à la transposition élaborera " un échéancier d'adoption des textes relevant de ses attributions accompagné, pour chacun de ces textes, d'un avant-projet de rédaction et d'un tableau de concordance permettant d'identifier clairement les dispositions transposées ". Le rédacteur de la circulaire, rompu aux habitudes administratives, a même pris le soin de préciser que l'" on s'attachera à déterminer avec réalisme les délais requis pour l'élaboration des textes " !

Qu'ajouter à cela ? Rien, à l'évidence. Tout est gravé dans le marbre et publié au Journal officiel. Une première fois en 1990, puis, sous une forme améliorée, en 1998. Alors, pourquoi un mécanisme aussi subtil et détaillé aboutit-il à une situation aussi désastreuse au tableau d'affichage des transpositions ? Tout simplement parce que cette circulaire, qui recense toutes les recommandations que l'on pourrait être tenté de faire pour remédier à notre triste situation, est purement et simplement inappliquée !

C'est ainsi que l'on est obligé de constater qu'il n'est guère d'étude d'impact juridique actuellement préparée par l'administration. Et les autres dispositions de la circulaire ne paraissent pas davantage respectées. On peut donner à cet égard quelques exemples illustratifs.

La circulaire explique qu'il faut éviter les désaccords sur le rôle qui incombe à chaque ministère. Or, chacun sait que, s'il y a plus de vingt directives relatives au domaine vétérinaire qui n'ont pas encore été transposées, c'est parce que le ministère de l'Agriculture et le ministère de l'Economie se disputent inlassablement depuis dix ans, revendiquant chacun la responsabilité de la transposition.

La circulaire prévoit la nécessité de s'assurer, dès le début de la négociation, qu'il n'y aura pas d'incohérence avec les dispositions existant en droit interne. Comment alors expliquer que c'est seulement un an après l'adoption de la directive sur la brevetabilité du vivant, que Mme Elisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, a paru découvrir que cette directive est incompatible avec le droit français !

Mais il y a plus fort encore. Dans certains cas, ce sont des directives que la France a elle-même demandées qui posent des problèmes extrêmement complexes d'intégration au droit interne. C'est le cas de l'application aux mutuelles des directives sur l'assurance. Car ce sont les mutuelles elles-mêmes qui ont obtenu que le Gouvernement français les fasse inclure dans le champ d'application de ces directives. Et ce n'est apparemment qu'un an après l'adoption de ces directives que l'on a perçu les difficultés considérables que posait cette inclusion. On peut encore citer le cas de la directive sur la protection des données personnelles. Cette fois c'est la CNIL qui a obtenu que le Gouvernement français convainque la Commission de présenter une directive à ce sujet. Puis, la négociation ayant finalement conduit à des dispositions différentes de celles qui avaient été imaginées initialement, la France a dû affronter des problèmes énormes pour transposer cette directive.

Dans tous ces cas, le retard des transpositions ne résulte en aucun cas de la longueur de la phase parlementaire de transposition, mais d'un grave dysfonctionnement du mécanisme administratif préalable à la phase parlementaire.

De plus, et c'est le second point qu'il paraît important de souligner, lorsque le Parlement effectue avec retard une transposition de directives, ce n'est pas en raison de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées.

En effet, dans la plupart des cas, le retard provient essentiellement du manque de volonté et de courage du Gouvernement qui semble se dérober devant des arbitrages qui ne sont pourtant que la conséquence nécessaire des compromis qu'il a acceptés à Bruxelles.

Qui peut croire que c'est l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées qui a empêché de transposer la directive " Natura 2000 ", alors que chacun sait que ce sont les protestations que suscitait le projet de créer un réseau européen écologique qui ont incité à geler l'application de cette directive ?

Qui peut croire que c'est la durée des débats parlementaires qui a empêché de transposer plus tôt la directive de 1976 sur l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes qui autorise celles-ci à travailler la nuit alors que chacun sait que c'est la peur de mécontenter la CGT et FO qui a fait reculer le Gouvernement ?

Qui peut croire que c'est la charge de travail du Parlement qui retarde la transposition des directives ouvrant le marché de l'électricité ou du gaz à la concurrence ?

Dans chacun de ces cas, il paraît évident que le Gouvernement préférerait ne pas transposer ou, s'il fallait vraiment passer par là, le faire par la voie réglementaire et éviter un débat au Parlement. Mais la démocratie y gagnerait-elle ?

Il n'est pas question ici de ne mettre en cause que le Gouvernement actuel. Il suffira d'ailleurs, pour dissiper tout soupçon à cet égard, de rappeler le cas de la directive " fixant les modalités d'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un Etat membre dont ils n'ont pas la nationalité ". Cette directive fut adoptée le 19 décembre 1994 et la date limite fixée pour sa transposition était le 1er janvier 1996. Or, si le Gouvernement de l'époque a déposé le 2 août 1995 sur le bureau de l'Assemblée nationale le projet de loi organique tendant à transposer cette directive, jamais il n'a voulu l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, en dépit des nombreuses questions écrites ou orales qui lui furent posées en ce sens. Ce n'est qu'après les élections législatives de 1997 que le nouveau Gouvernement, après avoir redéposé au Sénat un projet de loi identique au précédent, l'inscrivit à l'ordre du jour de notre Assemblée.

C'est donc près de trois ans après l'adoption de la directive et plus d'un an et demi après la date limite de transposition que le projet de loi a été examiné en première lecture. Pourquoi ce retard ? Parce que le Gouvernement de 1994 avait, lors des négociations de cette directive à Bruxelles, délibérément ignoré les demandes figurant dans les résolutions adoptées à ce propos par l'Assemblée nationale et le Sénat et qu'il craignait un débat parlementaire difficile au cours duquel sa propre majorité lui aurait demandé des comptes. En septembre 1997, il y avait une nouvelle majorité à l'Assemblée nationale et un nouveau Gouvernement qui n'avait pas à se justifier du comportement de son prédécesseur trois ans plus tôt. L'inscription à l'ordre du jour des assemblées ne posait plus problème.

Alors, quelles propositions peut-on faire pour tenter de remédier à cette situation ?

Pour ce qui est des dysfonctionnements administratifs, il n'est guère possible aujourd'hui de faire de nouvelles propositions sur ce que devrait faire l'administration. Tout se trouve déjà inscrit dans la circulaire de 1998. La seule chose qui importe aujourd'hui, c'est de contraindre l'administration à appliquer cette circulaire.

Puisque le Gouvernement ne semble pas avoir la volonté d'obliger l'administration à appliquer cette circulaire. Il revient au Parlement de contraindre le Gouvernement à le faire. En ce sens, les assemblées doivent exiger du Gouvernement qu'il fournisse aux délégations pour l'Union européenne les études d'impact juridique qui devraient être établies pour tout projet de directives ayant une incidence sur des dispositions législatives de droit interne. Et il devrait en aller de même pour les échéanciers d'adoption des textes de transposition. Cette obligation devrait être inscrite dans la loi qui régit le fonctionnement des délégations. Le Gouvernement aurait alors un bon motif d'exiger de l'administration qu'elle établisse ces documents. Et, s'il ne le faisait pas, l'Assemblée nationale et le Sénat seraient en position d'exiger qu'il le fasse.

Pour la phase parlementaire des transpositions, faut-il, comme le suggère le président de la délégation de l'Assemblée nationale, créer une commission permanente chargée tout à la fois de suivre l'élaboration des directives communautaires, puis leur transposition ? Le sujet mérite à coup sûr réflexion, mais il n'est pas certain qu'une telle modification institutionnelle réglerait véritablement les difficultés de la transposition par le Parlement. En effet, nul n'a songé jusqu'ici à mettre en cause à cet égard les six commissions permanentes. Le véritable problème tient tantôt au dépôt trop tardif des projets de loi, tantôt à leur non-inscription à l'ordre du jour des assemblées pour des raisons politiques.

Faut-il, comme le suggère également M. Alain Barrau, permettre aux délégations de se saisir pour avis des projets de transposition ? On voit mal ce qu'une telle modification apporterait véritablement de nouveau. En effet, d'ores et déjà aujourd'hui, une commission permanente peut consulter la délégation à ce sujet.

Faut-il alors limiter le nombre des textes soumis au Parlement pour transposition et recourir plus fréquemment à une habilitation ? L'adoption, l'année dernière, de deux projets de loi d'adaptation au droit communautaire, l'un relatif aux transports, l'autre à l'agriculture, a montré comment le Parlement pouvait transposer rapidement et de manière rationnelle de nombreuses directives, souvent de nature très technique, sur la base d'un seul vecteur législatif. Au demeurant, il n'est pas certain, comme on l'a vu précédemment, que cela permettrait de réduire le déficit français de transposition, mais il est sûr que cela ne contribuerait pas à la démocratisation de l'Union européenne.

En revanche, il convient d'éviter que le Gouvernement, par crainte de heurter des composantes de sa majorité ou des partenaires économiques ou sociaux, n'empêche l'inscription d'un projet de loi de transposition à l'ordre du jour des assemblées.

A cet effet, la proposition de loi constitutionnelle, déposée par notre collègue Aymeri de Montesquiou, paraît particulièrement judicieuse. Cette proposition tend en effet à instaurer une inscription automatique à l'ordre du jour des assemblées des textes de transposition dès lors qu'est constatée une carence du Gouvernement.

Selon le texte de la proposition d'Aymeri de Montesquiou, tout projet de loi de transposition devrait être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé pour la transposition.

Et, si cette disposition n'était pas respectée, toute proposition de loi ayant le même objet serait inscrite de plein droit à l'ordre du jour prioritaire.

En d'autres termes, si le Gouvernement ne respectait pas l'obligation qui lui est faite, il serait pénalisé en perdant la disposition d'une partie de l'ordre du jour prioritaire. Et le Parlement pourrait ainsi, sans être soumis à l'aval du Gouvernement, passer outre l'inertie gouvernementale.

*

Voilà quelques propositions, simples peut-être, mais réalistes, qui devraient permettre d'éviter que, d'ici quelques années, le Gouvernement du moment ne revienne devant le Parlement solliciter une habilitation à transposer par ordonnances un nouveau flux de directives.

Compte rendu sommaire du débat

M. Aymeri de Montesquiou :

Après cet exposé exhaustif de la situation, je voudrais revenir sur deux points :

- d'une part, je tiens à souligner le caractère apolitique de la proposition de révision constitutionnelle que j'ai déposée sur le bureau du Sénat. En effet, l'ensemble des gouvernements successifs porte la responsabilité des mauvais résultats de la France en matière de transposition des directives européennes ;

- d'autre part, je voudrais insister sur l'ampleur du phénomène. Il existe actuellement un stock de 176 directives communautaires qui sont en attente de transposition, dont 136 pour lesquelles le délai de transposition a été dépassé.

De plus, certaines de ces directives sont très précises et pourraient faire l'objet de mesures de transposition quasiment en l'état. Les raisons de ce retard tiennent donc plus à des considérations d'ordres politique et administratif, que juridique, comme le souligne le rapport que vient de nous présenter notre Président. Or, les conséquences de ce retard sont problématiques. Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que les directives, même lorsqu'elles n'ont pas été transposées, pouvaient être invoquées directement par le citoyen.

Pour combler ce retard, différents moyens ont été mis en oeuvre, comme les projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire ou le recours aux ordonnances. Toutefois, ces moyens n'ont pas fait leurs preuves. De plus, quel que soit le Gouvernement en place, le Parlement est toujours réticent à l'égard des ordonnances qui s'assimilent à un dessaisissement du Parlement par l'exécutif. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé d'ajouter un article 88-5 dans la Constitution, qui contiendrait la disposition suivante :

" Tout projet de loi tendant à transposer les dispositions de nature législative d'une directive adoptée en application des traités visés au présent titre doit être déposé devant le Parlement et inscrit à l'ordre du jour prioritaire six mois au moins avant l'expiration du délai fixé par cette directive pour sa transposition.

A défaut, toute proposition de loi ayant le même objet est inscrite de droit à l'ordre du jour prioritaire ".


Comme vous pouvez le constater, cette révision laisse un délai suffisant au Gouvernement pour déposer un projet de loi, mais donne au Parlement un rôle d'aiguillon en la matière.

Malgré tout, cette proposition présente l'inconvénient de nécessiter une révision de la Constitution. Mais le texte constitutionnel a été révisé à de nombreuses reprises et certaines de ces révisions avaient un caractère plus technique, comme, par exemple, celle sur la date d'ouverture des sessions parlementaires. En outre, certaines révisions de la Constitution ne concernaient pas l'ensemble des citoyens, comme celle relative au statut de la Nouvelle-Calédonie, alors que les directives concernent directement la vie quotidienne de tous les citoyens.

M. Simon Sutour :

Je me réjouis que l'on poursuive ainsi le débat sur la transposition des directives qui a eu lieu récemment au Sénat et à l'Assemblée nationale. Lors de son audition par la commission des lois du Sénat, le ministre délégué chargé des Affaires européennes, avait d'ailleurs souhaité qu'une réflexion soit menée sur cette question. Il considérait, en effet, que le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire était indispensable mais ne constituait pas une solution satisfaisante pour l'avenir.

Néanmoins, je regrette que l'on n'ait pas abordé toujours ce débat avec un caractère suffisamment consensuel. Je rappellerai à cet égard la discussion du projet de loi portant habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances ; ayant moi-même participé aux travaux de la Commission mixte paritaire, qui avait abouti à un accord, j'ai pu constater que certains députés de l'opposition étaient, par la suite, revenus sur leur position.

Je considère donc que, si le rapport du Président et la proposition de M. Aymeri de Montesquiou semblent intéressantes, il convient aussi de prendre en considération les propositions formulées par le président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, M. Alain Barrau. Il me paraît également nécessaire de connaître la position du Gouvernement sur cette question. En effet, je souhaiterais que ce processus se déroule de manière véritablement consensuelle en tenant compte de l'avis de chacune des parties concernées.

M. Yann Gaillard :

Ce débat me laisse très perplexe. De manière quelque peu provocatrice, pourquoi ne pas proposer de rendre les directives directement applicables dans l'ordre interne ? Après tout, si l'on considère qu'elles sont assez précises pour une application immédiate et qu'elles ont été adoptées par un mécanisme démocratique associant le Conseil et le Parlement européen, pourquoi ne pas aller jusque là ?

Tant qu'à organiser la dépossession des Parlements nationaux, autant le faire jusqu'au bout, plutôt que de nous transformer en notaires de notre propre insuffisance.

Mme Marie-Claude Beaudeau :

Ayant été saisie par plusieurs organisations lors de la discussion du projet de loi du Gouvernement à propos de la directive relative à la protection des jeunes au travail, j'ai pu constater la complexité de ce texte et la difficulté de connaître ses implications sur la réglementation en vigueur en France, notamment sur le Code du travail.

Je pourrais dire la même chose, en ce qui concerne la directive concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées au allaitantes au travail. Je suis donc très étonnée de l'absence d'étude d'impact.

Je crois qu'il s'agit d'une affaire sérieuse qui touche à la confiance entre les citoyens et leurs représentants et qu'il est nécessaire de faire des propositions ; à tout le moins convient-il que ces études d'impact soient rendues obligatoires.

M. Claude Estier :

Je rejoins les observations formulées par M. Sutour. Je voudrais simplement ajouter que ce sujet doit être abordé en liaison avec le Gouvernement. En effet, il convient de ne pas se faire trop d'illusions sur la proposition de révision constitutionnelle qui a toute chance de rester lettre morte.

M. Robert Del Picchia :

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Beaudeau sur la nécessité d'une explication claire du contenu des directives, qui sont souvent trop complexes pour les citoyens et parfois même pour les experts.

Je ne partage pas, en revanche, le pessimisme de mon collègue sur la révision constitutionnelle, car il s'agit tout simplement de la création d'un mécanisme d'alerte.

M. Maurice Blin :

Je souhaiterais poser deux questions :

- d'une part, la transposition d'une directive doit-elle faire l'objet d'un débat public ou peut-on imaginer une procédure plus rapide ? En effet, une directive ne tombe pas du ciel. Elle a pu être inspirée par un Etat. Elle bénéficie, de plus, d'un préjugé favorable, puisque le Gouvernement l'a approuvée. Il s'agit donc d'une procédure comparable à celle des projets de loi ;

- d'autre part, je souhaiterais connaître la manière dont les autres Etats membres mettent en oeuvre la transposition des directives européennes.

M. Hubert Haenel :

Je voudrais rappeler, pour répondre à votre première interrogation, que c'est la Commission européenne qui a le monopole de l'initiative pour les directives et que le Gouvernement français peut fort bien non seulement n'être pas l'inspirateur d'une directive, mais être même opposé au texte qui a été adopté.

Par ailleurs, les raisons principales du retard de la France en matière de transposition sont, d'une part, le désintérêt de l'administration, et, d'autre part, des désaccords sur le fond.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je suis parti d'un constat bien connu de chacun et dépourvu de toute arrière pensée politique : le retard chronique de la France en matière de transposition des directives.

A cet égard, je voudrais saluer l'idée provocatrice de M. Yann Gaillard, mais je ne crois pas que l'opinion française soit favorable au fédéralisme.

J'ai donc proposé un système qui évite le recours aux ordonnances, pour les dispositions de nature législative.

M. Hubert Haenel :

Je crois que tout le monde est d'accord sur la nécessité de remédier à ce problème et je pense qu'il est nécessaire de travailler sur cette question avec le Gouvernement.

La proposition de révision constitutionnelle, présentée par M. Aymeri de Montesquiou, a déjà été renvoyée à la commission des lois.

J'ai l'intention de déposer dès demain une proposition de loi visant à modifier l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; je précise qu'il s'agit d'une loi ordinaire et non d'une loi organique.

Il me semble que ces deux textes devraient être instruits par la commission des lois en vue d'une inscription à l'ordre du jour du Sénat dans le cadre d'une séance mensuelle réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée.

A l'issue du débat, la délégation a autorisé la publication du rapport de M. Hubert Haenel (n° 182, 2000-2001).