Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

10 mai 2000


Institutions communautaires

Communication de M. Hubert Haenel sur l'état des travaux de la Conférence intergouvernementale

Entretien avec une délégation de la Grande Commission du Parlement finlandais


Institutions communautaires

Communication de M. Hubert Haenel sur l'état des travaux de la Conférence intergouvernementale

Cette réunion s'est tenue en présence et avec la participation d'une délégation de la Grande Commission du Parlement finlandais, composée de :

- M. Kari Uotila (Union de la Gauche, à gauche du parti social démocrate),

- Mme Riitta Korhonen (Parti conservateur),

- M. Markku Markkula (Parti conservateur),

- Mme Irina Krohn (Les Verts),

- M. Risto Kuisma (Indépendant).


La Conférence intergouvernementale (CIG) est lancée maintenant depuis plus de trois mois. Il m'a semblé que le moment était venu de faire un premier point sur la manière dont les discussions évoluent. Bien entendu, la CIG est loin d'être entrée dans sa phase décisive. Mais sur certains points, les choses commencent à se décanter et les lignes de partage se précisent.

La délégation a pris position dès janvier, avant le lancement officiel de la CIG, de manière à apporter sa contribution en temps utile. Les contacts que j'ai pu avoir, depuis lors, au sujet de la CIG suggèrent que cette méthode était la bonne, car, étant arrivées tôt, nos propositions n'ont pas été noyées au milieu de nombreux autres textes.

J'observe par ailleurs que notre approche de la CIG, donnant priorité aux questions non résolues à Amsterdam, s'est révélée justifiée, car on peut constater que les négociateurs sont amenés à se concentrer sur ces questions difficiles. Nous ne sommes donc pas " en dehors du coup ".

Lorsque la délégation s'est prononcée, nous avons retenu certains objectifs ; je crois qu'il est intéressant, en fonction de la tournure des premières négociations, de voir si nous ne devons pas souligner à nouveau l'importance pour nous de tel ou tel point.

Je vais donc partir des propositions que nous avons faites pour examiner thème par thème où nous en sommes aujourd'hui.

I - Aperçu de l'état des discussions

a) Le Conseil

Je rappelle que, concernant le Conseil, la délégation avait retenu quatre priorités :

- une nouvelle pondération des votes,

- un abaissement du seuil de la majorité qualifiée (actuellement fixé à 71 % des voix),

- un élargissement du champ du vote à la majorité qualifiée à tous les domaines concernant la vie économique et sociale de la Communauté (à l'exception des choix énergétiques),

- enfin, une réforme du fonctionnement du Conseil, pour que ses travaux soient mieux organisés et mieux coordonnés.

La repondération des votes, comme on pouvait s'y attendre, apparaît comme un des points les plus difficiles de la négociation.

Dans les premières discussions, les Etats sont restées divisés en deux groupes, ceux qui sont favorables, comme la France, à une repondération, et ceux qui sont favorables, sous une forme ou sous une autre, à un système de double majorité (il faudrait une majorité en voix, et une majorité en termes démographiques). Toutefois, la repondération recueille aujourd'hui les faveurs d'une majorité d'Etats membres, ce qui est une évolution par rapport aux négociations d'Amsterdam.

En outre, presque tous les " petits " Etats demandent que, quel que soit le système de décision retenu, un texte ne puisse être adopté qu'à la condition d'avoir été approuvé par plus de la moitié des Etats membres.

Or, si on adoptait cette règle, les avantages attendus d'une repondération seraient pratiquement annulés. En effet, dans une Union à 27 membres, les 14 plus petits Etats pourraient bloquer la décision, alors que, tous réunis, ils ont moins d'habitants qu'un seul grand Etat (les 14 plus petits Etats regrouperont un peu moins de 56 millions d'habitants, c'est-à-dire moins de 12 % de la population de l'Union élargie).

Donc, il n'y a pas de progrès sensible sur le thème de la repondération, mais il faut se garder d'en tirer des conclusions hâtives, car les positions prises ont souvent, à ce stade, un caractère tactique, d'autant qu'il y a un lien très net entre le débat sur la repondération des votes et celui sur la composition de la Commission.

L'abaissement du seuil de la majorité qualifiée n'est envisagé que par deux pays et une large majorité s'y oppose. Il ne semble pas, du moins pour l'instant, qu'il y ait une base suffisante pour que cette question fasse l'objet d'un examen plus approfondi par la CIG.

L'élargissement du vote à la majorité qualifiée donne lieu à un débat plus ouvert, dans la mesure où les positions des Etats membres dépendent des thèmes qui sont abordés. Aucun Etat n'apparaît totalement fermé à une évolution.

En revanche, l'idée d'adopter un principe général de vote à la majorité qualifiée, et de ne discuter que des exceptions, n'a pas été retenue. La discussion s'effectue donc par catégorie d'articles. La tendance est favorable pour ce qui concerne le marché intérieur, l'industrie, la culture. En revanche, sur la fiscalité et les règles de base concernant les fonds structurels, certains Etats souhaitent manifestement conserver un pouvoir de blocage.

Notre délégation, je le rappelle, avait adopté une position ouverte sur un passage à la majorité qualifiée en matière économique et sociale au sens large, là où l'unanimité était encore requise, à l'exception des choix énergétiques.

Un élément un peu inattendu est qu'un certain nombre d'Etats souhaite modifier le système mis en place par le traité d'Amsterdam pour le passage à la majorité qualifiée dans le domaine de la libre circulation des personnes, de l'asile et de l'immigration. Le traité d'Amsterdam permet déjà un passage à la majorité qualifiée sur décision unanime du Conseil, au cas par cas, à l'expiration d'une période de cinq ans. Mais plusieurs Etats membres envisagent d'abréger cette période et d'introduire dès l'entrée en vigueur du traité de Nice le vote à la majorité qualifiée pour certaines mesures au moins. La France est très réservée, considérant qu'il n'est pas nécessaire de rouvrir un débat sur ces sujets sensibles, dès lors que le traité d'Amsterdam offre déjà toutes les possibilités d'évolution future.

Enfin, sur la réforme des méthodes de travail du Conseil, les discussions se poursuivent. Un premier pas a été fait avec la décision de ramener les formations du Conseil de vingt-deux à seize. Mais il faudra de toute évidence aller plus loin pour que les travaux du Conseil soient efficacement coordonnés.

b) La Commission

En ce qui concerne la composition de la Commission, deux solutions restent en discussion :

- l'une consistant à plafonner à vingt le nombre des commissaires, en organisant une rotation des pays " représentés " au sein de la Commission ;

- l'autre consistant à prévoir que chaque pays membre " désigne " un commissaire et un seul.

La seconde solution est défendue énergiquement par la plupart des " petits " pays. Mais il est clair que les " grands " pays -qui ne " désigneraient " alors qu'un commissaire au lieu de deux- ne pourraient envisager de s'y rallier que s'ils obtenaient, en contrepartie, des garanties de meilleure représentativité du Conseil.

Pour l'instant, la situation n'a donc nullement évolué.

En revanche, le processus est enclenché pour ce qui concerne la réforme interne de la Commission. Le document présenté par M. Neil Kinnock, vice-président de la Commission, retient deux grandes orientations :

- tout d'abord, une nouvelle gestion du personnel serait mise en place : les moyens en personnel seraient périodiquement redistribués en fonction des priorités retenues, l'avancement s'effectuerait au mérite et non plus à l'ancienneté, toutes les tâches pouvant être confiées à des entreprises privées seraient " externalisées ". En bref, la gestion du personnel s'inspirerait du modèle anglo-saxon ;

- ensuite, le régime du contrôle financier serait entièrement revu. Un contrôle serait mis en place dans chaque direction générale, en liaison avec un service central de contrôle, et la responsabilité des ordonnateurs de dépenses serait renforcée.

Enfin, nous avions formulé le souhait que le président de la Commission reçoive une autorité accrue sur son équipe, afin de renforcer la collégialité de la Commission. Les Etats membres paraissent décidés à aller dans cette direction, puisqu'il est envisagé d'instaurer une forme de responsabilité individuelle des commissaires devant le président de la Commission.

c) Le Parlement européen

En ce qui concerne le Parlement européen, nous avions formulé plusieurs suggestions :

- la première était de mieux définir, de mieux encadrer le rôle du Parlement européen en retirant de son ordre du jour les textes de caractère technique, et en précisant les conditions de la mise en jeu de la responsabilité de la Commission ;

- la deuxième était de mettre au point une formule objective pour la répartition des sièges entre les Etats, de manière à pouvoir respecter le plafond de 700 membres fixé par le traité d'Amsterdam ;

- la troisième était d'étendre le pouvoir de codécision du Parlement européen aux nouvelles matières où serait introduit le vote à la majorité qualifiée.

En revanche, nous étions très réservés sur la demande du Parlement européen d'avoir un droit de veto sur la révision des traités, puisque ces derniers devaient de toute manière être approuvés par les parlements nationaux.

Jusqu'à présent, les débats de la CIG sur le Parlement européen ont été plutôt décevants.

Il y a certes un accord assez général pour étendre à nouveau le pouvoir de codécision du Parlement européen. Mais il n'y a pas eu de débat sur l'introduction d'une distinction entre les textes réellement législatifs et les textes de caractère technique.

Sur les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la Commission, seule a été évoquée une suggestion du Parlement européen, qui proposait d'introduire un mécanisme de type " question de confiance ". Cette proposition n'a eu guère de succès au sein de la CIG. Les Etats membres paraissent également presque tous opposés à l'idée d'une responsabilité individuelle des commissaires devant le Parlement européen.

Les Etats du Benelux, de leur côté, ont proposé d'introduire la possibilité de dissoudre le Parlement européen. Cette proposition a été combattue par le Parlement européen ; plusieurs Etats membres ont également exprimé des réserves.

En ce qui concerne la répartition des sièges entre les Etats membres, la CIG a indiqué qu'elle attendait les propositions que ferait le Parlement européen lui-même. Or, jusqu'à présent, la priorité du Parlement européen a semblé être l'élection d'une partie de ses membres sur des listes présentées à l'échelon de l'Union ; cette proposition est sans doute intéressante, mais on peut se demander si elle est très réaliste dans le contexte actuel, car elle compliquerait encore le problème de la répartition des sièges entre les Etats : avec l'élargissement, le nombre de sièges va déjà forcément diminuer pour les Etats membres actuels ; si une partie des députés européens était élue sur des listes européennes, le nombre de sièges par Etat devrait encore diminuer, ce qui aggraverait le problème, déjà difficile, de la représentation des plus petits Etats.

Au total, au sujet du Parlement européen, on peut considérer que les premiers débats de la CIG n'ont guère été productifs.

d) La Cour de justice

J'en viens à la Cour de justice. Le problème essentiel nous avait semblé être de remédier à l'engorgement de la Cour, notamment en transférant une partie des renvois préjudiciels au Tribunal de première instance. Par ailleurs, nous avions proposé de maintenir la règle d'un membre de la Cour de justice par Etat membre, quitte à scinder la Cour en deux chambres non spécialisées.

Le point positif est que la CIG a décidé de se saisir de la réforme de la Cour de justice ; de plus, les solutions en discussion sont du type de celles que nous avions avancées. Mais la réflexion n'en est encore qu'à ses débuts, un premier rapport sur les diverses solutions possibles devant être présenté à la fin du mois.

e) Les coopérations renforcées

Enfin, dernier thème, nous avions souhaité un assouplissement du dispositif sur les coopérations renforcées, principalement dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (" troisième pilier " de l'Union).

Les coopérations renforcées ont donné lieu à un débat approfondi au sein de la CIG. Les Etats membres semblent partagés en deux groupes à peu près égaux :

- les uns (parmi lesquels on trouve tous les pays fondateurs) sont favorables à un assouplissement, les coopérations renforcées leur paraissant un outil nécessaire pour poursuivre l'intégration européenne dans le contexte d'une Union élargie ;

- les autres estiment au contraire que le dispositif retenu par le traité d'Amsterdam est satisfaisant, car il garantit que les coopérations renforcées ne puissent porter atteinte à la cohésion de l'Union. Ils soulignent également qu'un assouplissement de ce dispositif serait un signal très négatif à l'adresse des pays candidats.

Cependant, l'antagonisme entre les deux groupes ne paraît pas totalement irréductible, notamment en ce qui concerne le troisième pilier, et l'on peut espérer que le nouveau traité apportera certaines améliorations sur ce point.

II - Quelques remarques

Après cette présentation schématique des premiers travaux de la CIG, je voudrais faire très brièvement quelques remarques.

On peut, bien sûr, considérer qu'il n'y a pas beaucoup d'éléments poussant à l'optimisme dans le tableau que j'ai tracé.

Il est clair que, pour l'instant, la CIG en est à la phase d'observation et que la négociation ne s'est pas encore vraiment nouée. Par ailleurs, les questions à traiter sont difficiles. Je ne crois pas pour autant qu'il faille tirer de cet état de fait des conclusions pessimistes.

D'après divers témoignages, lors des négociations d'Amsterdam, on est passé près d'un accord. Or, la volonté politique commune est manifestement plus forte aujourd'hui : si la nouvelle CIG a été lancée, c'est bien parce qu'il y avait un accord sur la nécessité d'une réforme institutionnelle en préalable à l'élargissement. Après Amsterdam, seuls trois pays -la Belgique, l'Italie et la France- avaient adopté une position parfaitement claire à ce sujet, dans une déclaration qui a été jointe au traité. Aujourd'hui, tout le monde admet que, dans quatre ou cinq ans, l'Union aura plusieurs nouveaux membres et que, sans réforme, on se trouvera devant des difficultés.

Il me semble aussi qu'il y a une certaine logique dans la succession des traités. Le traité d'Amsterdam, au départ, était prévu par le traité de Maastricht pour le compléter sur certains points. On a voulu, par la suite, le charger d'ambitions supplémentaires dans l'optique de l'élargissement ; mais finalement, par la force des choses, le traité d'Amsterdam a surtout rempli sa mission initiale de compléter et de rééquilibrer le traité de Maastricht. Je crois que, de même, par une sorte de nécessité, le traité de Nice sera amené à combler les lacunes du traité d'Amsterdam.

Je n'arrive donc pas à imaginer que le Conseil européen de Nice débouche sur un échec.

Encore faut-il que la Conférence reste bien centrée sur les thèmes qu'elle doit traiter ; là-dessus, je crois que nous devons continuer à appuyer l'attitude réaliste du Gouvernement.

Je crois également que, dans ces négociations difficiles, nous devons avoir des priorités bien affirmées. L'extension du vote à la majorité qualifiée et la repondération des votes du Conseil me paraissent être les objectifs principaux à atteindre. Et la " priorité des priorités " me paraît être la repondération des votes, en ce sens que, sans elle, on peut difficilement espérer une plus grande efficacité des institutions. En gardant les règles actuelles, une coalition des Etats les moins peuplés, représentant un peu moins de 12 % de la population de l'Union, pourrait constituer une minorité de blocage dans l'Union élargie, tandis que les Etats les plus peuplés, regroupant 71 % de la population, n'auraient que 42 % des droits de vote. On voit mal comment les plus grands Etats pourraient accepter un recours accru au vote à la majorité qualifiée si le processus de décision devait reposer sur une représentation aussi peu équitable. Les domaines où l'on statue encore à l'unanimité sont, par définition, des domaines " sensibles ", où des intérêts importants sont en jeu. Accepter qu'on y décide à la majorité qualifiée, c'est par définition prendre le risque de faire partie de la minorité. On ne peut demander aux plus grands Etats d'accepter ce risque s'ils ne participent à la décision qu'avec des droits de vote très diminués.

Bien entendu, la distinction entre les Etats plus peuplés et moins peuplés n'est pas l'alpha et l'oméga de la construction européenne. On ne peut résumer l'apport d'un pays au chiffre de sa population. Mais on ne peut pas non plus négliger ce critère. Ce que nous voulons, c'est un équilibre raisonnable entre les Etats les plus peuplés et les moins peuplés, comme il existait dans l'Europe des douze. Or cet équilibre, qui a déjà été un peu altéré lors du passage de douze à quinze membres, disparaîtrait dans une Europe à vingt-sept où les règles actuelles seraient maintenues.

De ce point de vue, on ne peut se satisfaire de la solution de la " double majorité simple " (une majorité des Etats membres, représentant au moins 50 % de la population de l'Union) avancée par la Commission européenne et soutenue par le Parlement européen. Cette solution est apparemment très différente d'un simple maintien de la pondération actuelle, mais en réalité, elle revient exactement au même.

Dans une Europe à vingt-sept Etats membres conservant la pondération actuelle, la majorité qualifiée représenterait au minimum un peu plus de 50 % de la population de l'Union, et la minorité de blocage en représenterait au minimum un peu moins de 12 % : c'est exactement le résultat que l'on obtient avec la " double majorité simple ", qui n'assurerait donc aucun progrès en termes de représentativité du Conseil. On fait valoir que la double majorité simple permettrait aux quatre plus grands Etats de bloquer une décision, parce qu'ils constitueraient ensemble plus de la moitié de la population : mais ils le peuvent déjà aujourd'hui, et le pourraient tout autant, dans une Europe à vingt-sept, avec la pondération actuelle.

Il est clair que, si les grands Etats acceptaient cette formule, ils ne feraient pas une bonne opération : on ne peut pas leur demander de perdre leur second commissaire s'ils ne gagnent rigoureusement rien en termes de pondération des votes.

De plus, il n'est pas sûr que l'Union gagnerait à voir disparaître la notion de majorité qualifiée. La majorité qualifiée garantit la recherche d'un rapprochement des points de vue. Elle conduit le Conseil à tendre vers le consensus, même si l'on ne peut pas toujours l'atteindre. Ainsi, le Conseil garde son poids face à la Commission. Car il faut rappeler que le Conseil doit être unanime pour amender une proposition de la Commission. Si le Conseil adoptait désormais les propositions de la Commission à la majorité simple, l'écart deviendrait considérable entre les conditions requises pour adopter conforme un texte, et les conditions requises pour adopter un amendement. Faute de l'obligation de rechercher un large accord, le Conseil deviendrait en pratique une chambre capable seulement de dire oui ou non.

Or, un affaiblissement du rôle du Conseil ne serait pas sans conséquences sur l'équilibre institutionnel de l'Union. Les Etats membres auraient tendance à faire le siège de la Commission, car ils sauraient que leurs chances de faire modifier une proposition lors de son examen par le Conseil seraient faibles : ils voudraient donc obtenir le maximum de garanties avant qu'elle ne soit présentée par la Commission. Avec une Commission composée, comme on peut le prévoir, d'un commissaire par Etat membre, chaque commissaire tendrait à devenir, par la force des choses, l'interlocuteur privilégié du gouvernement de son pays ; au lieu d'être un collège indépendant, chargé de dégager l'intérêt général, la Commission risquerait alors de devenir une sorte de COREPER de niveau supérieur. Finalement, on aurait toutes les chances de voir s'affaiblir l'esprit communautaire.

Je crois donc -et ce sera ma conclusion- que nous devons réaffirmer nos orientations en faveur d'une véritable repondération des votes, allant de pair avec une application très générale du vote à la majorité dans les compétences communautaires à caractère économique et social.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je vous propose que nous ayons d'abord un échange de vues entre les membres de la délégation sur ma communication. Puis que nos amis finlandais expriment leurs réactions tout à la fois au contenu de cette communication et au débat qui se sera engagé à ce propos. Enfin, nous pourrons aborder avec eux les autres points importants de la présidence française de l'Union.

M. Aymeri de Montesquiou :

Il est toujours difficile de se dépouiller de ses pulsions patriotiques sur les sujets institutionnels. Prenons le problème autrement : la question d'une Union plus démocratique est souvent mise en avant, et se traduit d'ailleurs par l'extension progressive des pouvoirs du Parlement européen. Or une citoyenneté démocratique suppose que les poids démographiques respectifs soient suffisamment pris en compte dans les décisions. On ne peut mettre l'Allemagne et Malte sur le même pied. J'approuve les critiques de notre président sur le système de la double majorité simple, dans la mesure où il n'est pas souhaitable que le pouvoir de blocage puisse reposer sur une base démographique aussi étroite.

M. Maurice Blin :

Nous avons bien des liens avec la Finlande, pays que je ne peux évoquer sans que s'y associe une admiration pour le courage dont il a fait preuve dans un passé pas si lointain.

Je crois que nous devons nous demander si une Europe à vingt-cinq peut être réellement autre chose qu'un grand marché. Or le projet européen est autre : il est d'affirmer une réalité politique et culturelle. Cela suppose, à la base de l'Europe politique, un lien de confiance entre les Etats, petits et grands. Bien sûr, le Parlement européen a un rôle important à jouer. Mais les " petits " Etats disposent d'un capital de culture et de sagesse qui doit être spécifiquement pris en compte. En même temps, la légitimité du Conseil suppose que les réalités démographiques soient suffisamment prises en compte. Ce que nous devons viser, c'est un équilibre entre ces préoccupations.

M. Lucien Lanier :

J'approuve l'accent mis sur l'extension du domaine du vote à la majorité qualifiée et sur la nécessaire repondération des votes. Il s'agit là de questions essentielles si, refusant le psittacisme, nous voulons éviter d'aller vers une Europe de moins en moins unie et de moins en moins gouvernée.

Je souhaiterais parallèlement un Parlement recentré vers les questions politiques et une Commission exécutant des décisions du Conseil sans tomber sous la dépendance du Parlement européen.

M. Jean Bizet :

J'approuve également la priorité accordée aux thèmes de la repondération et du vote à la majorité qualifiée. Cela me paraît déboucher sur un Conseil plus légitime et plus efficace, et donc sur un meilleur équilibre entre les institutions. La prééminence du Conseil doit être restaurée : il ne faut plus revoir des épisodes comme les accords de Blair House, conclus par une Commission qui s'était affranchie du contrôle du Conseil.

M. Paul Masson :

Je crois aussi que le Conseil doit conserver, voire retrouver son poids face à la Commission.

Mais je voudrais faire une remarque d'un autre ordre. Tout d'abord, pardon de le rappeler, nous avons une Constitution. Et toute délégation supplémentaire de souveraineté impose de la réviser. Pour une telle révision, c'est le peuple, directement ou indirectement, qui doit décider. Or, l'opinion publique est mal informée. Et ce que ressentent surtout nos compatriotes en ce moment à propos de l'Europe, c'est la dégradation rapide de ce qu'elle a produit de plus palpable, l'euro. Ne serait-il pas temps d'expliquer les choses comme elles sont, notamment l'exigence de politiques économiques réellement concordantes ?

*

Le débat s'est ensuite poursuivi avec la délégation de la Grande Commission du Parlement finlandais.


Institutions communautaires

Entretien avec une délégation de la Grande Commission du Parlement finlandais

M. Kari Uotila :

Je voudrais présenter brièvement la Grande Commission du Parlement finlandais. Cette Commission dispose d'un mandat général du Parlement finlandais pour tout ce qui concerne l'Union européenne, à l'exception de la politique étrangère et de sécurité commune. L'adaptation du droit national à la législation européenne est l'affaire d'une délégation spéciale.

Toutes les propositions de la Commission européenne ainsi que les autres documents émanant des institutions européennes sont examinés par la Grande Commission, qui demande le cas échéant un avis aux commissions spécialisées. Elle donne, sur ces textes, des conseils au Gouvernement qui agit en conséquence. La Grande Commission donne ses avis à l'Exécutif en prévision des réunions du Conseil et du Conseil européen. Chaque semaine, le vendredi, elle entend les ministres concernés et prend position sous forme de directives d'action. Les ministres doivent ensuite rendre compte de leur action. La composition de la Grande Commission assure la représentation de toutes les tendances politiques. Nous avons par ailleurs le souci de nous informer directement ; ainsi, nous nous rendons toujours dans le pays qui va prendre la présidence de l'Union.

Finalement, en écoutant les propos échangés, j'ai eu la surprise de constater que, bien que nos pays soient extrêmement différents, nous avons beaucoup de préoccupations communes.

Sur la repondération des votes, nous avons une position ouverte. Cette formule nous paraît préférable à la double majorité, moins claire et plus compliquée à mettre en oeuvre. D'ailleurs nous souhaitons -car tous les " petits " Etats n'ont pas le même poids- qu'il y ait une différenciation plus fine qu'aujourd'hui.

Nous sommes également favorables à un élargissement du domaine du vote à la majorité qualifiée, tout en étant réservés sur ce qui concerne les domaines fiscal et social. Notre système de protection sociale est très étendu, ce qui implique un haut niveau de taxation.

Sur la composition de la Commission, nous souhaitons qu'il y ait un commissaire par Etat membre, et nous sommes hostiles à une Commission " à deux étages " où le président et des vice-présidents exerceraient la réalité du pouvoir. Il ne doit pas y avoir deux catégories de pays membres.

Nous approuvons le plafond de 700 membres pour le Parlement européen, tout en jugeant indispensable une représentation minimum de chaque pays, le Parlement européen étant bien sûr particulièrement important pour les citoyens. C'est pourquoi nous sommes opposés à des listes européennes transnationales, qui en pratique reviendraient à diminuer la représentation des petits pays : en effet, en tête de ces listes figureraient forcément des personnalités des grands pays.

D'une manière générale, nous ne souhaitons pas réformer plus que nécessaire. La Conférence intergouvernementale doit se concentrer sur les questions non résolues à Amsterdam. Il s'agit en effet d'adapter les institutions dans la mesure où l'élargissement le rend nécessaire.

Enfin, nous souhaitons nous informer sur la présidence française. Il m'a semblé qu'une priorité était accordée à l'agenda social, et je ne peux qu'y être sensible.

Mme Riitta Korhonen :

Je souhaiterais avoir des précisions sur l'action envisagée par la présidence française dans les domaines de la société de l'information et de l'énergie, ainsi que sur la question de l'euro.

Mme Irina Krohn :

J'ai participé à la première délégation occidentale reçue à Kaboul. J'ai constaté que le Conseil de sécurité ne pouvait travailler efficacement en raison de l'absence d'embargo sur les armes. Que propose la France à ce sujet ?

M. Aymeri de Montesquiou :

Pour ce qui est de l'Union européenne, il y a d'ores et déjà interruption des communications aériennes et embargo sur les armes.

M. Hubert Haenel :

En ce qui concerne la présidence française, je voudrais tout d'abord en rappeler les limites. En pratique, elle va durer quatre mois : on ne pourra tout faire. Quels sont les dossiers prioritaires ? J'en citerai trois. Tout d'abord la CIG, dont le succès est une condition de l'élargissement. Ensuite, la Charte des droits fondamentaux, à laquelle j'attache personnellement beaucoup d'importance. Enfin, l'Europe de la défense, qui doit prendre maintenant une tournure plus opérationnelle.

Mais je crois qu'il est encore trop tôt pour annoncer l'agenda définitif de la présidence française. L'Assemblée nationale a eu un débat le 9 mai ; un débat aura lieu au Sénat le 31 mai. C'est à l'issue de ces discussions que l'Exécutif -Gouvernement et Président- délivreront un message officiel.

Je voudrais souligner que les discussions sur la Charte des droits fondamentaux sont révélatrices des clivages qui traversent aujourd'hui l'Union. Pour arriver à un consensus, l'Europe devra faire un important travail sur elle-même. Si cet effort est couronné de succès, il sera un élément important de l'identité européenne et constituera une référence pour les pays candidats. En effet, il ne faudrait pas que certains candidats ne considèrent l'Europe que comme un marché et un droit d'accès aux fonds structurels. Cela n'est pas le plus important dans la construction européenne, qui est d'abord l'affirmation d'une identité collective. L'élargissement de l'Union ne doit pas se faire au détriment de cette ambition.

Parmi les dossiers qui seront abordés durant la présidence française, vous avez évoqué celui de l'agenda social, aussi ne reviendrai-je pas sur ce point.

Il sera aussi question de sécurité alimentaire et de sécurité des transports, compte tenu de nos préoccupations concernant l'ESB, l'alimentation animale et la sécurité du transport maritime à la suite du naufrage de l'Erika.

Enfin, je ne veux pas oublier le domaine de la justice, pour lequel nous devons parvenir à définir des approches voisines. Nous avons construit Europol, le Sommet de Tampere a inventé Eurojust. Il nous faut désormais savoir comment l'on déclinera ce concept et ce que nous souhaitons mettre sous cette étiquette. Je ne peux pas ne pas évoquer l'affaire Rezala, cet homme suspecté de l'assassinat de trois Françaises, actuellement incarcéré au Portugal et qui pourrait être prochainement libéré. Comment un citoyen français, ou finlandais d'ailleurs j'en suis sûr, pourrait-il comprendre notre incapacité à régler ensemble ce genre de problème ? Ce type de situation cause un tort considérable à l'image de l'Europe dans l'esprit de nos concitoyens.

Je n'ai fait que recenser quelques problèmes de plus ou moins grande actualité ; la liste que j'ai tenté de dresser est loin d'être exhaustive. Nous attendons que notre président de la République s'exprime pour savoir exactement ce que sera la présidence française mais, si vous m'autorisez cette expression familière, nous avons du pain sur la planche.

M. Aymeri de Montesquiou :

Si vous me le permettez, Monsieur le Président, j'aimerais revenir sur deux points évoqués par nos amis finlandais : l'euro et l'énergie.

Je considère qu'il existe un lien tangible entre le cours de l'euro et l'issue de la CIG. Aux Etats-Unis, le dollar s'appuie sur un pouvoir politique fort ; en Europe, la Banque centrale européenne ne s'appuie pas sur un pouvoir encore réellement affirmé. Si, sous présidence française, nous ne parvenons pas à faire évoluer les institutions européennes, cet échec aura un effet mécanique sur le cours de l'euro, j'en suis intimement persuadé.

Concernant l'énergie, j'observe que la Finlande a toujours fait montre d'une grande indépendance en matière nucléaire. Quelle est l'attitude de vos voisins en la matière ? La Suède, qui y a renoncé, fait aujourd'hui marche arrière ; le Danemark, qui proclame son hostilité à l'énergie nucléaire est, et de loin, le plus gros pollueur européen ; l'Allemagne, qui y a également renoncé, semble avoir bien du mal à gérer sa nouvelle position.

Votre pays sait que le nucléaire est la seule véritable alternative à l'effet de serre. En France, quelques écologistes estiment aussi que, parmi les sources d'énergie, c'est le nucléaire qui est en définitive le moins polluant. Je serais heureux d'avoir, sur ce point, l'opinion de notre collègue finlandaise issue du parti écologiste.

Mme Irina Krohn :

En Finlande, la question de l'énergie nucléaire est également d'actualité. Si notre pays se déclarait favorable au nucléaire, il en résulterait un remaniement ministériel car les écologistes actuellement membres du Gouvernement y sont résolument hostiles.

Mme Riitta Korhonen :

Je compléterai la réponse de ma collègue en ajoutant que, dans le gouvernement précédent, soutenu par la même coalition, notre parti s'était également opposé à la production d'énergie nucléaire.

Permettez-moi d'aborder maintenant la question de l'euro : nous sommes aujourd'hui onze partenaires au sein de la zone euro, pensez-vous que l'élargissement de l'Union à de nouveaux pays rendra plus difficile encore la gestion de la monnaie unique ?

M. Aymeri de Montesquiou :

Concernant l'euro, il est évident que l'existence d'une monnaie unique est un atout considérable pour les industriels. La Grande-Bretagne considère de plus en plus qu'il est inéluctable pour elle d'entrer dans la zone euro ; M. Tony Blair le sait, en dépit des résistances locales sensibles dans son pays.

En revanche, je crois que les pays candidats ne sont pas encore prêts à entrer dans la zone euro. Ce sera là une étape ultérieure de leur processus d'intégration à l'Union.

M. Kari Uotila :

Je voudrais ajouter quelques mots concernant la Charte des droits fondamentaux. Nous avons longtemps pensé qu'il était suffisant pour l'Union d'adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, mais notre réflexion a évolué et nous sommes aujourd'hui prêts à discuter d'un nouveau texte. La véritable question est pour nous de savoir si la Charte fera seulement l'objet d'une proclamation ou si elle aura valeur contraignante.

Nous avons une grande chance : M. Gunnar Jansson, qui est membre du Praesidium, est notre correspondant permanent finlandais et nous tient informés de l'évolution des discussions. Nous espérons vivement que ce dossier progresse sous présidence française.

L'autre sujet que j'aimerais aborder maintenant est celui de la défense européenne. De récents sondages effectués en Finlande ont montré l'existence d'une majorité hostile à l'organisation d'une défense propre à l'Union européenne, mais une même majorité s'est déclarée favorable au développement du processus de gestion civile des crises. Cette opinion est partagée par le Parlement finlandais et l'on vient de publier un communiqué commun Suède-Finlande allant également en ce sens.

Ma dernière observation concerne le projet d'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Il s'agit plutôt d'un souhait : nous souhaiterions bénéficier de votre appui pour une implantation de cette agence à Helsinki.

M. Hubert Haenel :

Cette suggestion montre votre accord pour la création de cette agence, ce dont je me réjouis. Ce n'est pas en France, à ma connaissance, que vous trouverez d'objection à une implantation à Helsinki. Mais il n'est jamais facile d'obtenir un consensus pour ce genre de décision !

M. Kari Uotila :

Au nom de mes collègues, je vous remercie de cet entretien. Nos approches sont parfois différentes, mais nous devons construire l'Europe en évitant d'y reproduire les défauts de l'ONU, où " petits " et " grands " Etats n'ont pu se mettre d'accord sur les questions de financement. Nous devons au contraire faire vivre ensemble en Europe des Etats de taille différente, dans un équilibre entre les soucis des uns et des autres.

M. Hubert Haenel :

Vous avez pu constater que nous partagions cette idée d'un juste équilibre et d'une synthèse entre les légitimes préoccupations en présence.