Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mardi 10 juin 2003
- Communication de M. Denis Badré sur l'avant-projet de budget des Communautés européennes pour l'exercice 2004
- Communication de M. Denis Badré sur l'avant-projet de budget rectificatif n° 4 pour l'exercice 2003
- Communication de M. Hubert Haenel sur une action commune relative à l'opération militaire de l'Union européenne en République démocratique du Congo
- Communication de M. Hubert Haenel sur le texte E 2295 imposant des mesures restrictives à l'égard du Libéria
Budget communautaire
Communication de M. Denis Badré sur l'avant-projet de budget
des
Communautés européennes pour l'exercice
2004
La
Commission a adopté le 30 avril dernier l'avant-projet de budget pour
l'exercice 2004, qui sera le premier budget de l'Europe élargie à
vingt-cinq États membres.
D'ailleurs, le fait que l'élargissement entre en vigueur non pas au
1er janvier, mais le 1er mai seulement, imposera
certaines contorsions à la procédure budgétaire. En effet,
le 1er janvier 2004 entrera en vigueur un budget pour 15
États membres ; ce budget sera ensuite modifié au
début de 2004 par un budget rectificatif qui entrera en vigueur le
1er mai 2004 et qui intègrera les dépenses
liées à l'élargissement. Pour des raisons politiques et
pratiques, ce budget rectificatif, qui modifiera la plupart des lignes
budgétaires, devrait être adopté au moyen d'une
procédure simplifiée, afin d'éviter un réexamen
complet de l'ensemble du budget.
Ainsi, l'avant-projet de budget pour 2004 présente les deux
séries de chiffres, ce qui permet à l'autorité
budgétaire d'examiner les chiffres pour l'UE 25, tout en arrêtant
effectivement le budget pour l'UE 15.
Avec un montant de 100,6 milliards d'euros, le volume des crédits de
paiement proposé par la Commission pour l'Union élargie se
caractérise par une croissance modérée de seulement 3,3 %
par rapport au budget de 2003, qui ne couvre pourtant que les 15 États
membres actuels. Cette augmentation relativement faible s'explique par une
réduction de 2 % des dépenses pour l'UE 15. Les
dépenses prévues pour les 10 nouveaux États membres en
2004 s'élèvent à 5 milliards d'euros. L'avant-projet de
budget est nettement inférieur, de 10,9 milliards d'euros, au plafond
prévu pour l'année 2004 dans les perspectives financières.
Les crédits d'engagement s'élèvent à 112,2
milliards d'euros pour l'Union élargie, dont 11,8 milliards
destinés aux nouveaux États membres. Pour l'UE 15, l'augmentation
sera très limitée, de 0,7 %, pour aboutir à 100,3
milliards d'euros. Le montant global laisse subsister une marge de 3,4
milliards d'euros sous le plafond fixé pour 2004.
En ce qui concerne l'agriculture, les besoins de l'UE 15 se montent
à 45,8 milliards d'euros, dont 4,8 milliards sont destinés au
développement rural (+ 2,2% par rapport à 2003). Les
nouveaux États membres se voient attribuer 2 milliards d'euros,
dont 1,7 milliard pour le développement rural. Au total, le volume des
crédits d'engagement s'accroît de 6,9 % pour l'Union
élargie par rapport à 2003. Les dépenses de marché
en faveur des nouveaux États membres sont relativement peu
élevées du fait que l'impact des aides directes ne sera sensible
qu'en 2005.
En ce qui concerne les actions structurelles, le volume des
crédits d'engagement s'accroît de 20,8 % pour l'Union
élargie par rapport à 2003. Conformément aux
décisions de Copenhague, la somme prévue pour les nouveaux
États membres est de 6,7 milliards d'euros. Les crédits de
paiements consacrés aux fonds structurels s'élèvent pour
l'Union élargie à 30,68 milliards d'euros, soit une diminution de
7,5 % par rapport au budget de 2003. Ce recul significatif s'explique par le
fait qu'en 2003 il a fallu financer la clôture de programmes datant
d'avant 2000. En 2004, les dépenses destinées aux nouveaux
membres consisteront principalement en avances. Les contributions du fonds de
cohésion à l'Espagne, au Portugal, à la Grèce et
à l'Irlande sont inscrites au budget 2004 pour un montant identique
à celui de 2003.
En ce qui concerne les politiques internes, les crédits
d'engagement prévus s'élèvent à 8,63 milliards
d'euros et les crédits de paiement à 7,5 milliards d'euros, soit
une augmentation de 21 %. Un montant de 938 millions d'euros est prévu
pour l'intégration des nouveaux États membres dans les programmes
communautaires : 317 millions d'euros sont consacrés à la
transposition de l'acquis Schengen, 221 millions d'euros sont prévus
pour le renforcement de la structure administrative et 138 millions d'euros
sont alloués à la fermeture des réacteurs
nucléaires d'Ignalina (Lituanie) et de Bohunice (Slovaquie).
L'avant-projet de budget pour 2004 prévoit en outre de nouvelles mesures
en faveur d'un espace européen de sécurité :
santé et protection des consommateurs, sécurité
alimentaire, sécurité des transports et des personnes,
sécurité des transactions financières et des
télécommunications. Cela se traduit par une hausse de 248 % des
crédits consacrés à la justice et aux affaires
intérieures, de 33 % pour l'énergie et les transports, de 24 %
pour la santé et la protections des consommateurs.
En ce qui concerne les actions extérieures, les crédits
sont reconduits à leur niveau de 2003, soit près de 5 milliards
d'euros. Toutefois, l'assistance financière accordée à la
Turquie n'étant plus financée sous cette rubrique, mais
rejoignant celle des aides de préadhésion, le volume de
crédits disponible pour les autres actions est en fait supérieur
de 3,9 % à celui de l'exercice 2003. Les moyens consacrés
à la Méditerranée s'élèvent à 859
millions d'euros, en hausse de 13,2 %, ceux consacrés à l'Europe
de l'Est et à l'Asie centrale s'élèvent à
513 millions d'euros, en hausse de 6,2 %, et ceux consacrés aux
Balkans sont stabilisés au niveau de 610 millions d'euros. Les
crédits consacrés à l'Asie sont en hausse de 8,4 %, pour
atteindre 610 millions d'euros, en raison de l'aide à la reconstruction
de l'Afghanistan.
En ce qui concerne les dépenses administratives, les
crédits prévus s'élèvent à 6,11 millions
d'euros en crédits d'engagement, soit une augmentation de 14 % par
rapport à 2003. Cette augmentation couvre les frais liés à
l'élargissement : accueil de 10 nouveaux commissaires ;
recrutement de 780 nouveaux employés, dont 232 affectés aux
services linguistiques ; frais postaux, de télécommunication
et de voyage. En sens inverse, l'entrée en vigueur de la réforme
du statut des fonctionnaires au 1er janvier 2004 devrait permettre
de réaliser une économie de 20 millions d'euros.
L'avant-projet de budget pour 2004 fait montre d'une modération
inhabituelle. En crédits de paiement, l'avant-projet de budget UE 15
représente 0,99 % du PNB communautaire, soit nettement moins que le
budget 2003, qui en représentait 1,04%. L'avant-projet de budget 2004
pour l'Europe élargie représente lui aussi 0,99 % du PNB
communautaire, ce qui signifie que la hausse des dépenses due à
l'élargissement est parallèle à l'augmentation du PNB
communautaire consécutive à l'intégration de 10 nouveaux
États membres.
La croissance des crédits de paiement est différenciée
selon qu'il s'agit de dépenses obligatoires ou non obligatoires. Pour
l'UE 25, alors que les dépenses obligatoires augmentent de 6,5 %,
les dépenses non obligatoires ne progressent que de 0,8 %. Ce
phénomène est dû à l'écart important entre
l'évolution des dépenses agricoles, qui sont en hausse de 2
milliards d'euros, et celle des dépenses structurelles, qui sont en
baisse de 2,491 milliards d'euros.
Tel qu'il se présente, l'avant-projet de budget pour 2004 donne peu de
prise à la critique. Le premier budget de l'Europe élargie est en
hausse modérée en crédits de paiement, grâce
à des efforts d'économie qui viennent compenser l'accroissement
des dépenses liées à l'adhésion de 10 nouveaux
États membres. À la différence de l'an dernier,
les plafonds des perspectives financières, tels qu'ils ont
été révisés en vue de l'élargissement, sont
parfaitement respectés. Il reste à savoir si cette
modération perdurera au-delà de la première année
de l'élargissement.
Communication de M. Denis Badré sur l'avant-projet
de budget
rectificatif n° 4 pour l'exercice 2003
L'avant-projet de budget rectificatif n°4 (APBR) pour
l'exercice 2003 est un texte technique qui a principalement pour objet :
- de réviser à la baisse les estimations relatives aux
droits de douanes, à l'assiette TVA et à l'assiette PNB, car la
croissance n'est pas au rendez-vous ;
- de budgétiser la correction britannique pour les exercices 1999
et 2002, selon des modalités complexes qui ont pour effet de modifier la
répartition de son financement entre les États membres.
Le montant de la correction britannique est diminué de 13 millions
d'euros pour l'exercice 1999, et augmenté de 455,7 millions d'euros pour
l'exercice 2002. Depuis que l'Allemagne, en même temps que l'Autriche,
les Pays-Bas et la Suède, a obtenu que sa contribution au financement de
la correction britannique soit écrêtée, la France en est
devenue le principal financeur. Elle devrait ainsi fournir 1,683 milliard
d'euros sur un total de 5,475 milliards d'euros, soit presque 31 %.
Au total, les ressources du budget communautaire seraient réduites de
6,7 milliards d'euros par l'APBR n°4. La contribution de la France
serait diminuée de 670 millions d'euros.
Il me semble que nous ne pouvons que prendre acte de ce budget rectificatif.
La délégation en a ainsi décidé.
Marché intérieur
Communication de M. Denis Badré sur la réforme
du
régime du contrôle des concentrations
(E 2176)
Nous
sommes saisis d'un projet de règlement de la Commission modifiant le
régime du contrôle des concentrations. Cette proposition constitue
un des volets essentiels de la réforme de la politique européenne
de la concurrence. Je vais donc, d'abord, rappeler les grands axes de cette
réforme.
I. UNE REFORME INDISPENSABLE DE LA POLITIQUE EUROPEENNE DE LA CONCURRENCE
La réforme de la politique européenne de la concurrence est une
réforme très importante, tant par ses enjeux que par son ampleur.
a) Des enjeux majeurs
La politique de la concurrence figure parmi les plus anciennes des politiques
communautaires, avec la politique agricole commune. C'est une politique sur
laquelle il existe un large consensus, au moins sur le plan des principes.
Cette politique se situe aujourd'hui à la croisée des chemins.
Comme l'ensemble des activités de l'Union européenne, elle est
confrontée à de nouveaux défis, le plus important
étant celui de l'élargissement. Elle doit également
s'adapter au contexte de la mondialisation et définir de nouvelles
formes de coopération avec ses principaux partenaires, au premier rang
desquels figurent les États-Unis. Mais surtout, la politique
européenne de la concurrence connaît une crise profonde. On
se souvient, en effet, des récentes polémiques qui ont suivi
plusieurs veto opposés par la Commission au rapprochement entre les
entreprises françaises Schneider et Legrand ou entre Sidel et Tetra
Laval. On peut également citer l'interdiction de la fusion entre les
sociétés Airtours et First Choice. Or, ces décisions, qui
ont eu des conséquences importantes sur les entreprises
précitées, ont été ensuite annulées par la
Cour de justice de Luxembourg. Et les juges communautaires ont
été extrêmement sévères à
l'égard de la Commission en dénonçant notamment une
violation des droits de la défense et plusieurs « erreurs
manifestes, omissions et contradictions » dans le raisonnement
économique de la Commission.
Une réforme de cette politique est donc indispensable afin notamment de
faire face à l'engorgement des services de la Commission et des
juridictions, de répondre à la longueur excessive des
délais de jugement, à la complexité des règles et
des procédures et à l'absence de véritables
« contre-pouvoirs » dans la procédure. J'ai toujours
insisté sur l'importance d'assurer une véritable
sécurité juridique pour les entreprises car, dans ce domaine,
l'insécurité constitue la principale source de
préoccupation des entreprises.
b) Une réforme de grande ampleur
La refonte du régime des concentrations s'inscrit dans un ensemble de
mesures qui constituent une réforme de grande ampleur.
Ainsi, le Conseil vient d'adopter, le 16 décembre 2002, un nouveau
règlement qui remplacera le célèbre règlement
n° 17 sur l'interdiction des ententes et des abus de position
dominante. Cette réforme très importante, dont je vous avais
présenté les grandes lignes en janvier 2000, à l'occasion
de l'examen du Livre blanc de la Commission, s'articule autour de trois
axes : la suppression du système de notification, la
déconcentration accrue de l'application des règles communautaires
de concurrence et la mise en place d'un réseau d'autorités
publiques appliquant les règles de concurrence.
Les négociations sur ce texte ont été difficiles, mais, en
définitive, le compromis auquel est parvenu le Conseil me paraît
équilibré. Je voudrais, en particulier, saluer la
déconcentration de l'application du droit communautaire de la
concurrence qui constitue une application exemplaire du principe de
subsidiarité. L'existence d'une politique commune n'est nullement
contradictoire avec une application déconcentrée au niveau des
États membres. Comme l'a déclaré le Commissaire Mario
Monti, lors d'une conférence prononcée le 22 novembre 2002,
« il s'agit de prendre acte de la maturité acquise pour
réduire au minimum la bureaucratie pesant jusqu'alors sur les
entreprises tout en garantissant une mise en oeuvre plus efficace encore du
droit de la concurrence ». La suppression du système
d'autorisation préalable, basé sur la notification obligatoire,
procède de cette démarche. La Commission européenne devra
dorénavant centrer son action sur la poursuite des infractions graves,
tout en veillant, naturellement, au maintien de la cohérence d'ensemble
des règles en vigueur dans l'Union. Cette cohérence sera
d'ailleurs grandement renforcée car les autorités nationales
n'appliqueront plus qu'une seule et même norme à l'égard
des accords affectant le commerce entre les États membres. Loin de
représenter une « renationalisation » de la
politique européenne de concurrence, cette révolution donnera
donc naissance à un espace européen homogène offrant aux
entreprises une meilleure sécurité juridique. Cette
déconcentration, qui sera effective en mai 2004, implique cependant une
mise à niveau des moyens nationaux, en particulier dans les pays
candidats à l'adhésion, comme nous l'avions souligné dans
la proposition de résolution que je vous avais présentée.
Parmi les autres réformes engagées, je pourrais citer
également la réforme du régime de la distribution
automobile, sur laquelle s'est penchée récemment la commission
des Affaires économiques du Sénat. La révision du
règlement sur le contrôle des concentrations occupe toutefois une
place particulière.
II. LA REFORME DU REGIME DU CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS
Cette réforme a été précédée par un
Livre vert de la Commission, publié en décembre 2001, dont je
vous avais présenté les grandes lignes l'année
dernière. Dans ma communication, j'avais mis l'accent sur trois
questions fondamentales, que je reprendrai ici.
a) Tout d'abord, le problème de la répartition des
compétences entre l'Union européenne et les États
membres.
La réforme envisagée par la Commission dans son Livre vert me
semblait paradoxale puisqu'elle visait à étendre le champ de la
compétence européenne, et donc les pouvoirs de la Commission,
tout en laissant à celle-ci le pouvoir de décider
elle-même, de manière discrétionnaire, des affaires dont
elle serait saisie. Cette orientation me semblait en totale contradiction avec
le respect du principe de subsidiarité et le mouvement de
déconcentration du droit de la concurrence. Je me félicite donc
que la Commission européenne ait finalement renoncé, du moins en
apparence, à élargir la compétence européenne en
établissant une présomption de compétence dès lors
qu'une opération de concentration doit être notifiée dans
trois États membres au moins. Je dis « en
apparence » car, si la Commission européenne a
abandonné l'idée d'élargir sa compétence par une
modification des seuils de chiffres d'affaires, la réforme qu'elle
propose du mécanisme de renvoi aboutirait, en réalité, au
même résultat. En effet, d'après le projet de
règlement, dès lors qu'une opération aurait fait l'objet
d'une demande de renvoi par au moins trois États, la Commission
disposerait d'une compétence exclusive. De plus, elle disposerait d'un
mécanisme de « renvoi forcé » des affaires,
lui permettant de contrôler une opération même lorsque la
condition des trois États ne serait pas remplie. Le système
proposé par la Commission me semble donc un leurre puisque, en
définitive, il aboutirait, au travers du critère du nombre
d'États, à une extension de l'intervention communautaire ;
or, ce critère avait pourtant été accueilli avec beaucoup
de réserves lors de la publication du Livre vert.
Certes, l'assouplissement des règles de renvoi me paraît aller
dans la bonne direction car il répond aux impératifs de
rapidité et de sécurité juridique pour les entreprises.
C'est pourquoi je suis favorable à l'idée d'une simplification de
ces règles. Mais je voudrais souligner à nouveau la
nécessité de préserver la délimitation des
compétences entre les États membres et la Commission.
L'instauration d'un mécanisme de renvoi à la seule initiative de
la Commission me paraît susceptible de remettre en cause cette
délimitation des compétences. Il faut une règle claire qui
s'impose à tous, y compris à la Commission. Chaque État
membre devrait pouvoir conserver sa compétence, même si d'autres
décident d'un renvoi à la Commission. Cela correspond, en effet,
à un souci de traiter les affaires au cas par cas, selon le principe de
subsidiarité. Les autorités nationales de la concurrence sont, en
effet, souvent mieux placées et mieux outillées pour
évaluer les effets d'une opération de concentration sur le
marché national. Il ne s'agit donc pas de vouloir garder absolument sa
compétence dans toutes les affaires, mais d'attribuer l'examen de ces
affaires de manière optimale, soit à la Commission, soit aux
autorités nationales chargées de la concurrence, sans s'enfermer
dans un système trop rigide.
b) Le second point concerne l'équilibre dans la procédure
entre la Commission, les États membres et les entreprises.
La situation actuelle aboutit à conférer à la Commission
un pouvoir très important, voire exorbitant. Les récents
arrêts de la Cour de justice ont, d'ailleurs, dénoncé le
non-respect des droits de la défense par la Commission. Plus
généralement, les États membres ne jouent qu'un rôle
marginal durant la procédure au sein d'un comité consultatif et
les entreprises déplorent de n'être pas suffisamment
associées. Le seul organe susceptible de jouer le rôle de
contre-pouvoir, le juge communautaire, n'est pas capable en pratique d'exercer
ce rôle en raison de la longueur des délais de jugement. J'avais
donc regretté que le Livre vert de la Commission ne soit pas plus
ambitieux sur cet aspect. La récente déclaration du commissaire
Mario Monti me rend plus optimiste.
Parmi les idées présentées par le commissaire figure, en
particulier, l'institution d'une sorte d'« avocat du
diable », chargé d'apporter un deuxième regard sur une
affaire. Il me semble qu'il s'agit là d'une idée
intéressante mais qu'il conviendrait d'aller au bout de la logique en
confiant ce rôle à un ou plusieurs États rapporteurs, comme
le propose le gouvernement. Cela permettrait, en effet, de mieux valoriser le
rôle des États et d'offrir une réelle contre-expertise. Les
États peuvent, en effet, faire valoir une expertise juridique reconnue
dans ce domaine.
Par ailleurs, l'accélération des délais de jugement
devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice me
paraît être une question fondamentale et je regrette qu'elle ne
soit pas au coeur de cette réforme. Les recours devant les juges
communautaires mettent, en effet, en moyenne deux à trois ans pour
aboutir, ce qui, dans la pratique, aboutit à rendre tout recours
inefficace. La création d'une procédure de
référé spécifique aux opérations de
concentration avait pourtant été évoquée dans
plusieurs contributions au Livre vert de la Commission.
c) Enfin, une dernière question porte sur le critère de
référence utilisé pour évaluer les effets d'une
concentration.
Le Livre vert ouvrait, en effet, un débat sur les mérites
respectifs du test de dominance, utilisé actuellement par la Commission,
et du test de l'examen des réductions substantielles de la concurrence
(test SLC) utilisé aux États-Unis. Ces deux approches sont, en
effet, différentes, voire même opposées. Selon le
dispositif européen, l'examen porte sur le fait de savoir si une
opération de concentration conduit à « la
création ou au renforcement d'une position dominante »,
alors que les autorités américaines de la concurrence
vérifient si une telle opération provoque « un
affaiblissement substantiel de la concurrence ». Je rappellerai,
à cet égard, que le système français combine des
éléments des deux modèles.
Cette question reste très débattue, tant parmi les États
membres que parmi les entreprises. Le test américain
présenterait, selon certains, l'avantage de prendre en compte les gains
d'efficience susceptibles de découler d'une opération de
concentration. La Commission fait cependant valoir que la jurisprudence de la
Cour de Luxembourg permet déjà une interprétation plus
économique de la « dominance ». Toutefois, le projet
envisagé par la Commission est unanimement critiqué, car il
consiste à conserver en apparence le test de dominance tout en
redéfinissant cette notion pour la rapprocher de la notion d'atteinte
substantielle à la concurrence, ce qui ne va dans le sens ni de la
clarté, ni de la sécurité juridique. En effet, une telle
définition de la position dominante dans un texte législatif
risquerait de figer cette notion et d'empêcher toute adaptation
ultérieure aux évolutions du marché. Elle serait
également source de confusion, puisque la notion de
« position dominante » se retrouve dans d'autres volets de
la politique de la concurrence. Il faut donc être cohérent et ne
pas aboutir à donner à la notion de « position
dominante » deux définitions différentes. Plutôt
que cette approche, il me semblerait préférable que la Commission
s'inspire du modèle français qui accorde une place
prépondérante à la notion de position dominante, tout en
permettant une analyse fondée sur la réduction substantielle de
la concurrence.
Sur ces trois points, je partage les orientations du gouvernement. Ces
orientations dépassent d'ailleurs les clivages politiques, car elles
avaient été définies en grande partie par le
précédent ministre de l'Économie, Laurent Fabius, dans sa
contribution au Livre vert de la Commission. Il me paraît toutefois
important, au regard des enjeux soulevés par cette réforme, que
la délégation manifeste son soutien à la position du
gouvernement.
Compte rendu sommaire du débat
M. Marcel Deneux :
Je fais confiance à notre rapporteur et j'approuverai donc les conclusions qu'il nous soumet. Je voudrais toutefois exprimer ma perplexité devant la réforme de la politique de la concurrence qui nous est présentée. Les règles applicables dans le domaine de la concurrence ne sont pas toujours d'une très grande clarté. Les entreprises sont souvent confrontées à une véritable insécurité juridique car elles ne savent pas toujours si la Commission va ou non se saisir d'une opération de concentration. Le rapprochement entre le Crédit agricole et le Crédit lyonnais en offre l'illustration. Or, notre économie a besoin de grands groupes industriels qui soient compétitifs au niveau mondial. Une réforme de la concurrence doit donc en priorité offrir une meilleure sécurité juridique aux entreprises. Il s'agit là d'un vieux débat, mais qui me paraît toujours d'actualité.
M. Denis Badré :
Le
contexte économique international est en constante évolution. La
politique européenne de la concurrence doit s'adapter à ces
évolutions. En particulier, il est indispensable que les
autorités européennes et les autorités américaines
chargées de la concurrence développent un partenariat
étroit. Dans le même temps, les règles nationales de la
concurrence doivent pouvoir s'appliquer lorsqu'une opération
intéresse uniquement le marché national. Comme je l'ai
souligné dans ma communication, le point central me paraît
être la délimitation des compétences, car elle seule peut
offrir aux entreprises une réelle sécurité juridique. Les
entreprises doivent savoir le plus tôt possible quelles règles
vont s'appliquer.
A l'issue de ce débat, la délégation a adopté
à l'unanimité les conclusions suivantes :
Conclusions
La
délégation pour l'Union européenne du Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des
concentrations entre entreprises (E 2176),
Considère que la réforme du régime du contrôle des
concentrations doit se fonder, d'une part, sur une répartition optimale
des compétences entre l'Union européenne et les États
membres qui soit conforme au principe de subsidiarité et, d'autre part,
sur un système de « contre-pouvoirs » garantissant
une procédure simple, rapide et équitable.
Exprime, à cet égard, trois préoccupations :
- En ce qui concerne les mécanismes de renvoi
Partage le souci de simplifier les règles et les procédures, mais
considère que la décision de renvoi d'une affaire vers la
Commission devrait rester de la seule compétence des États ;
- En ce qui concerne la procédure
Souhaite qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la
Commission, les États et les entreprises et suggère d'impliquer
davantage les États membres dans la procédure ;
- En ce qui concerne le critère de référence
utilisé pour évaluer les effets d'une concentration
S'oppose au système proposé par la Commission qui ne
répond pas aux impératifs de clarté et de
sécurité juridique.
Politique étrangère et de sécurité commune
Communication de M. Hubert Haenel sur une action commune relative à
l'opération militaire de l'Union européenne
en
République démocratique du Congo
Mardi
dernier, le ministère des Affaires étrangères m'a fait
parvenir le projet d'action commune qui devait être adopté par le
Conseil de l'Union jeudi à propos de l'opération militaire
européenne en République démocratique du Congo.
Si j'ai souhaité évoquer ce texte devant la
délégation, ce n'est pas parce qu'il paraît
nécessaire d'engager un débat entre nous sur son
bien-fondé. Nous sommes en effet là dans un domaine tout à
fait consensuel puisqu'il s'agit, pour l'Union européenne, de mener une
action militaire reposant sur une force multinationale intérimaire
d'urgence fournie en réponse à une demande du secrétaire
général des Nations unies et en application du mandat
prévu par la résolution adoptée par le Conseil de
sécurité le 30 mai dernier.
Toutefois, cette action est une première puisqu'il s'agit, pour l'Union
européenne, de mener une action militaire sans recourir aux moyens et
capacités de l'OTAN.
Sans doute l'Union a-t-elle déjà pris en charge une
première opération militaire, l'opération
« Concordia » en Macédoine, qui consistait en une
relève de l'OTAN, mais cette première opération s'est
faite en utilisant les moyens et capacités de l'OTAN. De plus, cette
opération se déroulait sur le territoire européen.
Nous avons donc une double novation : c'est une opération militaire
menée par l'Union européenne hors du continent européen et
sans les moyens, et par là même la tutelle, de l'OTAN. Il va de
soi cependant que cette opération doit s'accompagner d'une transparence
totale entre l'Union européenne et l'OTAN.
Les caractéristiques de cette action sont les suivantes :
- selon la résolution du Conseil de sécurité, le
terme de cette action est fixé au 1er septembre 2003
puisqu'il s'agit seulement de mettre en place une force intérimaire
d'urgence en attendant le renforcement de la mission de l'Organisation des
Nations unies en République du Congo (MONUC) ;
- selon les termes mêmes de la résolution du Conseil de
sécurité, la force multinationale doit, à Bunia,
stabiliser les conditions de sécurité et améliorer la
situation humanitaire, assurer la protection de l'aéroport et des
personnes déplacées se trouvant dans les camps et, si la
situation l'exige, assurer la sécurité de la population civile,
du personnel des Nations unies et des organisations humanitaires dans la
ville ;
- la France est désignée comme
« nation-cadre » pour cette opération qui est
baptisée « Artémis » ;
- Javier Solana, le Haut représentant pour la politique
étrangère et de sécurité commune, assurera le
contact avec les Nations unies, les autorités de la République
démocratique du Congo et des pays voisins, ainsi qu'avec les autres
participants au processus de paix ;
- le Comité politique et de sécurité (COPS), qui est
l'organe permanent constitué d'ambassadeurs représentants des
États membres, exercera le contrôle politique et la direction
stratégique de l'opération ; il recevra
régulièrement des rapports du président du Comité
militaire sur la conduite de l'opération. Le COPS fera rapport au
Conseil des ministres des Affaires étrangères ;
- le commandant d'opération, le général Neveux, fera
rapport au Comité militaire de l'Union européenne qui surveillera
l'exécution de l'opération ; l'État-major
d'opération sera situé au Centre de Planification et de Conduite
des Opérations (CPCO) à Paris ; le commandant de la force
sera le général Thonier.
Je souligne que, à la suite de la demande du secrétaire
général des Nations unies, l'Union a réussi à
adopter cette action en un temps record.
On ne connaîtra que demain la liste des États membres qui
contribueront à cette force qui devrait atteindre environ
1 700 hommes, mais il devrait y avoir une majorité des quinze,
avec notamment la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie,
l'Espagne, la Grèce, la Suède. Je note d'ailleurs que, dans
beaucoup de ces pays, la décision de participer à la force de
stabilisation sera soumise à un vote du parlement.
La contribution de la France devrait représenter à peu
près la moitié des forces totales puisqu'elle envisage d'envoyer
entre 700 et 900 personnes et qu'elle devrait fournir, en outre, une
« force aérienne de projection » ainsi qu'un
« appui-chasse ».
Enfin, des pays tiers, non membres de l'Union européenne, devraient se
joindre à cette opération. On évoque le Canada, l'Afrique
du sud, le Sénégal, le Brésil, l'Éthiopie, etc.
C'est demain que devraient être connues plus précisément
les modalités de cette opération, notamment les participants, au
cours d'une « conférence de génération des
forces » qui se tiendra à Paris.
J'ajoute que cette opération ne sera pas dénuée de risques
militaires car la force multinationale devra faire face à des groupes
très bien équipés, notamment en missiles sol-air et en
blindés.
Compte rendu sommaire du débat
M. Pierre Fauchon :
Cette initiative très intéressante, dont vous nous avez exposé les modalités de mise en oeuvre, me paraît être d'une grande force symbolique dans le contexte actuel. Nous nous trouvons donc dans la situation d'être mandatés, mais par qui ?
M. Hubert Haenel :
Le mandat est confié par le Conseil de sécurité sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies.
M. Pierre Fauchon :
S'agit-il de la première expérience de ce genre ?
M. Hubert Haenel :
L'opération « Concordia », lancée en mars dernier en Macédoine, était fondée sur la résolution 1371 du Conseil de sécurité des Nations unies. Toutefois, comme je vous l'indiquais, elle se déroule sur le territoire européen et avec l'appui des moyens de l'OTAN, ce qui lui donne un tout autre contenu. Dans le même ordre d'idée, mais dans un contexte différent, l'Union européenne a pris la relève du groupe international de police des Nations unies en Bosnie-Herzégovine, le 1er janvier 2003, dans le cadre d'une mission de police assurée par les quinze États membres et dix-huit autres pays.
Politique étrangère et de sécurité commune
Communication de M. Hubert Haenel sur le texte E 2295
imposant des mesures
restrictives à l'égard du
Libéria
Le
gouvernement nous a transmis, le 5 juin dernier, le texte E 2295
relatif à une proposition de règlement du Conseil imposant
certaines mesures restrictives à l'égard du Libéria.
Ce texte transcrit en droit communautaire les dispositions des
résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, dont
la résolution 1748 du 6 mai 2003, ainsi que les positions
communes successives de l'Union européenne, dont la dernière a
été adoptée le 19 mai dernier.
L'ensemble de ces mesures vise, d'une part, à interdire les importations
de diamants bruts du Libéria et, d'autre part, à imposer à
ce pays une série de mesures restrictives, comme l'interdiction de la
fourniture d'assistance technique en matière militaire. La
dernière position commune, adoptée le 19 mai dernier, a
prévu d'interdire les importations de bois ronds et de bois d'oeuvre
originaires de ce pays.
Cette proposition doit être adoptée lors du Conseil Affaires
générales du 16 juin prochain au moment où la situation
dans ce pays est particulièrement instable et où le
président Charles Taylor a été inculpé par le
tribunal international pour le Sierra Leone.
Il ne me semble donc pas nécessaire que la délégation
intervienne sur ce texte.
La délégation en a ainsi décidé.