Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 10 décembre 2003


Elargissement

Entretien avec une délégation de la commission pour l'intégration européenne du Sénat de la République tchèque

Cette délégation était composée de :

- M. Jiri Skalicky, président de la commission pour l'intégration européenne ;

- M. Karel Tejnora, sénateur ;

- M. Vladimir Zelezny, sénateur.

Elle était accompagnée par S.E. M. Pavel Fischer, ambassadeur de la République tchèque en France.

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M. Hubert Haenel :

J'ai déjà eu le plaisir de vous rencontrer, Monsieur le Président, à deux reprises à Prague, à chaque fois à votre invitation. La première fois, en juillet 2001. J'étais alors accompagné par notre collègue Marcel Deneux, qui assure le suivi de la candidature de votre pays à l'Union au titre de la délégation. La deuxième fois, l'année dernière (en mars), pour participer à une conférence sur les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe. J'avais été sensible à l'opportunité que vous m'aviez offerte de pouvoir débattre de la future Constitution européenne avec les jeunes de votre pays.

Votre visite intervient à un moment important. Notre assemblée doit examiner cet après-midi le projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion permettant l'entrée de dix pays, dont la République tchèque, dans l'Union. De plus, à la fin de cette semaine, le Conseil européen se réunira et tentera de clôturer les travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG). Or, jusqu'à présent, les discussions sur le projet de Constitution européenne ne paraissent pas avoir beaucoup progressé, en particulier sur la question de la majorité qualifiée au Conseil et sur la composition de la Commission. Je pense que nous serons tous d'accord pour souhaiter une issue favorable à la CIG dont les discussions n'ont que trop duré à mes yeux.

M. Jiri Skalicky :

Nous apprécions beaucoup l'occasion qui nous a été donnée d'avoir cet entretien quelques heures avant l'examen, au Sénat, du projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion à l'Union de dix pays candidats, dont la République tchèque. Nous espérons que le Sénat, après le vote favorable de l'Assemblée nationale, approuvera ce projet de loi. Le débat sur l'élargissement en France nous intéresse directement et nous sommes disposés à répondre aux craintes qui s'expriment parfois à ce sujet.

Comme vous l'avez souligné, notre rencontre intervient également à quelques jours de la réunion du Conseil européen qui devrait en principe trouver une issue aux discussions sur le projet de traité constitutionnel établissant une Constitution pour l'Europe dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. À ce propos, il ne faut pas dissimuler le fait que, sur certaines questions, nos gouvernements n'ont pas la même position. Mais je crois qu'il est important de discuter de ces points et d'essayer de se comprendre mutuellement. Je suis convaincu, en effet, que la France et la République tchèque pourraient parvenir à trouver un compromis qui soit acceptable pour les deux pays. Je forme d'ailleurs le voeu que notre rencontre d'aujourd'hui puisse contribuer à aplanir les divergences existantes.

Il y a aussi une question qui suscite beaucoup d'interrogations dans notre pays, celle de la ratification de la future Constitution européenne. En République tchèque, nous avons organisé un référendum sur le traité d'adhésion dont le résultat a été positif malgré une assez faible participation. Aujourd'hui, nous avons un débat sur le mode de ratification de la future Constitution européenne. Étant donné qu'un débat similaire a lieu dans votre pays, nous serions très intéressés de connaître votre position sur cette question.

M. Hubert Haenel :

En ce qui concerne la ratification de la future Constitution européenne, la Constitution française offre deux possibilités : le recours à la voie parlementaire ou le recours au référendum. Le choix entre ces deux voies appartient au Président de la République. Pour prendre sa décision, le Président de la République devra prendre en considération plusieurs éléments. D'abord, il faudra tenir compte du résultat de la Conférence intergouvernementale. Il faudra également tenir compte du contexte politique, tant au niveau national qu'au niveau international.

Mon sentiment est que, si le projet élaboré par la Convention est adopté sans modifications substantielles, il sera difficile de ne pas procéder à un référendum, compte tenu de l'importance du sujet. Mais, d'un autre côté, peut-on prendre le risque d'un échec ? Car il faut bien reconnaître que le problème majeur posé par le référendum tient au fait que les électeurs ne répondent pas forcément à la question posée. Surtout si le texte en question porte sur des sujets institutionnels. L'expérience récente du traité de Nice devrait inciter à la prudence, puisqu'il a fallu procéder à deux référendums en Irlande. Or, la future Constitution européenne devra être ratifiée par vingt-cinq pays pour entrer en vigueur. Mais, en tout état de cause, la décision finale appartient au Président de la République.

M. Gérard César :

Quelles sont les perspectives qui se dessinent actuellement pour le calendrier ?

M. Hubert Haenel :

Si la Conférence intergouvernementale parvient à un accord sur le contenu de la future Constitution européenne, la signature du traité constitutionnel devrait intervenir après le 1er mai prochain, date à laquelle les dix pays candidats deviendront membres de l'Union, mais avant les élections européennes du 13 juin prochain, sans doute à Rome. À cet égard, la date du 9 mai serait symboliquement forte. Après la signature du traité, il faudra procéder aux ratifications. Mais, auparavant, une révision de notre Constitution sera nécessaire, quelle que soit la formule retenue pour procéder à la ratification. La ratification pourrait donc intervenir en France en principe au début de l'année 2005. Outre une révision constitutionnelle, notre Parlement devra également certainement modifier le règlement des assemblées, notamment pour mettre en place le système d'alerte précoce nécessaire pour assurer un contrôle de la subsidiarité et prévoir la possibilité pour chacune des Chambres de saisir directement la Cour de justice pour contester une violation de ce principe après l'adoption d'un acte normatif.

Il serait intéressant que vous nous disiez si la future Constitution européenne nécessitera également une révision constitutionnelle en République tchèque.

Que pensez-vous, par ailleurs, de la proposition formulée par le parlementaire européen Alain Lamassoure d'organiser un référendum sur la Constitution européenne le même jour dans tous les pays ?

M. Jiri Skalicky :

Je pense qu'une révision constitutionnelle sera également nécessaire dans notre pays préalablement à la ratification de la future Constitution européenne. Nous attendons cependant le texte final qui sera issu de la Conférence intergouvernementale pour procéder aux analyses nécessaires. Je suis, par ailleurs, membre de la commission du Sénat chargée des questions constitutionnelles. À ce titre, je crois que la difficulté principale portera sur les clauses passerelles. Nous comprenons, en effet, tout l'intérêt et l'utilité de ce mécanisme, mais il nous paraît susceptible de soulever un problème aigu de souveraineté étant donné qu'il pourrait aboutir à élargir les compétences de l'Union sans ratifications nationales.

En ce qui concerne la ratification de la future Constitution européenne, la question se pose d'une manière différente en République tchèque. Le choix entre la voie parlementaire et la voie référendaire appartient, en effet, dans notre pays, non pas au président de la République, mais au Parlement. Dans notre pays, il n'existe pas de tradition du référendum. Le référendum a été pour la première fois utilisé pour la ratification du traité d'adhésion à l'Union. Une autre différence avec la France tient au fait que, en République tchèque, il existe des doutes sérieux sur les chances de succès d'une ratification de la Constitution européenne par la voie parlementaire. Il faudrait, en effet, obtenir une majorité des deux tiers dans les deux Chambres. Or, cela pourrait poser des difficultés à la Chambre basse où le Gouvernement ne dispose que d'une courte majorité, puisqu'elle n'est que d'une seule voix.

Nous avons rencontré récemment Alain Lamassoure, qui nous a semblé toujours aussi convaincu de son idée d'organiser un référendum le même jour dans l'ensemble des pays de l'Union. Je crois cependant que cette idée n'est pas très réaliste. D'abord, parce que certains pays de l'Union ne prévoient pas la possibilité d'organiser un référendum. Ensuite, parce que les règles sont souvent différentes entre les pays de l'Union. Ainsi, dans certains pays, comme la Pologne ou la Slovénie, un référendum requiert une participation supérieure à 50 % des électeurs. Enfin, il faudrait se mettre d'accord sur une date commune aux vingt-cinq pays. Certains ont évoqué l'idée d'organiser ce référendum le même jour que les élections au Parlement européen. Or, pour la République tchèque, cette solution est impossible car le délai serait beaucoup trop court.

M. Vladimir Zelezny :

Curieusement, dans notre pays, le débat sur le traité d'adhésion a aussi porté sur le mode de ratification, car notre Constitution ne prévoyait pas de dispositions sur l'organisation d'un référendum. En définitive, ce référendum a été organisé sur une base ad hoc. Le mode de ratification de la future Constitution européenne pose donc un problème. Certains évoquent, en effet, le précédent du traité d'adhésion, alors que d'autres proposent d'introduire le référendum dans notre Constitution. Cette dernière solution serait cependant susceptible de diviser la classe politique sur un enjeu essentiel.

M. Pierre Fauchon :

Au moment de la bataille de la Montagne blanche, les choses semblaient plus simples qu'aujourd'hui.

M. Jiri Skalicky :

J'ai été intéressé par vos propos sur les adaptations nécessaires à la mise en place du mécanisme de contrôle du principe de la subsidiarité. Je reconnais, en effet, que nous n'avons pas encore mené une réflexion à ce sujet.

Compte tenu de votre longue expérience en matière de contrôle de la politique européenne de votre Gouvernement, pourriez-vous nous préciser les dispositifs que vous envisagez ?

M. Hubert Haenel :

Pendant longtemps, le Parlement français n'a prêté qu'un intérêt limité à la construction européenne et à ses conséquences sur ses propres compétences. La prise de conscience par les assemblées de l'atteinte à leurs prérogatives traditionnelles fut assez tardive. Aujourd'hui, le Parlement français apparaît comme bien armé au sein de l'Union européenne en ce qui concerne le contrôle exercé sur le Gouvernement en matière européenne. L'Assemblée nationale et le Sénat se sont tout d'abord dotés d'organes spécialisés, les « délégations pour l'Union européenne ». Agissant en tant que constituant, le Parlement a ensuite mis en place une procédure originale de contrôle lui permettant de prendre position sur les propositions formulées au niveau de l'Union européenne avant que celles-ci ne soient adoptées par les institutions communautaires. Parmi ces nombreux textes (environ deux cent cinquante par an), la délégation pour l'Union européenne sélectionne ceux qui ont une certaine importance, politique ou économique. Sur ces textes, elle peut, sous sa responsabilité, adopter des conclusions à l'intention du Gouvernement ou, si les enjeux sont plus importants, déposer une proposition de résolution afin que le Sénat puisse en débattre et se prononcer. Ainsi, le Sénat doit débattre demain en séance publique, en présence du Gouvernement, d'une proposition de résolution sur un accord d'entraide judiciaire pénale entre l'Union européenne et l'Islande et la Norvège.

Afin de renforcer encore le rôle des parlements nationaux en matière européenne, une voie d'avenir me paraît être la coopération interparlementaire. A cet égard, je voudrais vous donner un exemple concret qui illustre l'intérêt d'établir des relations étroites entre les commissions compétentes sur les affaires européennes des parlements des États membres. Notre délégation a été saisie d'un projet de protocole modifiant la Convention Europol qui devait être inscrit en point A d'un Conseil Justice et Affaires intérieures, c'est-à-dire être adopté par le Conseil sans débat. Or, nous avions formulé des réserves de fond sur ce projet car nous avions demandé à notre Gouvernement que les parlements nationaux puissent être associés au contrôle politique sur cet organisme. Afin qu'une réelle discussion s'engage sur ce projet au niveau des ministres, nous avons donc alerté d'autres parlements nationaux des États membres de l'Union. Et, à la suite de l'intervention conjuguée de notre délégation et des commissions compétentes des parlements suédois, danois et hollandais, ce projet a été finalement réexaminé. Cet exemple montre que, à plusieurs, nous sommes plus efficaces que seuls.

Le système d'alerte précoce prévu par la Convention pour assurer un contrôle de la subsidiarité devrait nous inciter à développer nos relations afin de créer un véritable réseau entre les parlements nationaux. Les outils informatiques et les contacts réguliers entre nos secrétariats et entre les parlementaires, renforcés d'ailleurs par la Convention, devraient faciliter la création de ce réseau. La création d'un secrétariat permanent de la COSAC, décidée à Rome, en constitue d'ailleurs le premier jalon. Je crois qu'il est donc important, dans cette optique, que nous envisagions les moyens de renforcer encore nos relations après l'adhésion de votre pays à l'Union.