Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 14 janvier 2004


Politique étrangère et de défense

Audition de M. Armand De Decker,
Président de l'Assemblée de l'UEO (*)

M. Hubert Haenel :

Je suis particulièrement heureux d'accueillir Armand De Decker pour cette séance, qui réunit la Commission des Affaires Étrangères et de la Défense, la Délégation pour l'Union Européenne, ainsi que les sénateurs membres de l'Assemblée de l'UEO.

Armand De Decker a montré depuis longtemps un goût prononcé pour les questions de défense. C'est en 1982 qu'il a siégé pour la première fois à l'Assemblée de l'UEO, dont il a été membre jusqu'en 1999. Il est alors devenu Président du Sénat de Belgique. Et c'est dans ses fonctions de Président du Sénat belge qu'il a pris l'initiative, en 2001, à l'occasion de la présidence belge de l'Union Européenne, d'organiser deux conférences interparlementaires sur la dimension parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense. Enfin, en décembre dernier, Armand De Decker a été porté à la présidence de l'Assemblée de l'UEO.

Vous comprendrez donc aisément pourquoi il nous a paru nécessaire d'inviter aujourd'hui Armand De Decker pour qu'il évoque devant nous la défense européenne. Je m'arrête là et je lui donne immédiatement la parole.

M. Armand De Decker :

Le dossier de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) m'apparaît aujourd'hui comme le dossier principal de la construction européenne, une fois réalisés le marché unique et l'union monétaire. L'Union européenne se trouve désormais face à elle-même : la conquête d'une dimension politique passe obligatoirement par la disposition de capacités militaires, même si cet enjeu n'est pas toujours explicitement pris en compte par les Quinze, en raison de la présence, parmi eux, d'États « neutres ». La question est désormais posée : l'Union européenne veut-elle être une puissance globale ? Elle est déjà une puissance économique, une puissance monétaire, mais elle doit encore devenir une puissance globale.

Cette évolution s'enracine dans une longue histoire. En 1949, est signé le traité fondant le Conseil de l'Europe, avec les compétences les plus larges, comme une affirmation des principes du monde libre face au bloc soviétique. Cependant, le projet de Communauté européenne de défense (CED), quoique préparé par la France, est rejeté par le Parlement français en 1954. De ce traumatisme est né le traité de Bruxelles modifié traitant de sécurité et de défense, compétences « détachées » du traité du Conseil de l'Europe. L'Organisation de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) permettait également d'associer la République fédérale allemande et l'Italie à une politique commune ; mais était consacré du même coup l'abandon de la dimension politico-militaire de l'Europe, cette dimension étant attribuée à l'Alliance atlantique, dont le traité fondateur avait été signé en 1949.

En 1984, eut lieu une tentative de « revitalisation » de l'UEO, motivée par le regain de tension dû au déploiement de missiles Cruise et Pershing. L'accord du Président Giscard d'Estaing et du Chancelier Schmidt sur ce déploiement était intervenu en décembre 1979 pour répondre au déploiement des missiles soviétiques SS 20 qui ne pouvaient atteindre que l'Europe. Il faut rappeler que cette décision n'était pas alors imposée par les États-Unis d'Amérique.

Des événements sont venus bouleverser encore le paysage stratégique européen : en novembre 1989, la chute du mur de Berlin, et, en janvier 1990, la première guerre du Golfe. Cette crise mit en lumière l'incapacité européenne de projeter des forces à trois ou quatre milles kilomètres, les défenses européennes étant encore focalisées sur la menace soviétique. Puis l'implosion de la Yougoslavie fut l'occasion d'une prise de conscience plus cruelle encore : l'Europe, avec 1 500 000 soldats et des budgets militaires totalisant 150 milliards de dollars, était incapable de régler une crise qui se produisait au coeur de l'Europe, dans une région frontalière de la Grèce et de l'Italie. Hans Dietrich Gentscher avait bien défini la situation, lors d'une réunion de l'assemblée de l'UEO à Bonn, en déclarant : « Les États-Unis nous demandent de régler cette crise », mais l'Europe en était incapable.La suite est connue, avec trois ans de quasi-impuissance et même d'humiliation de nos soldats sur place, jusqu'à ce que les gouvernements français et britannique décident d'intervenir à Sarajevo, avant que les États-Unis n'interviennent eux-mêmes avec l'OTAN.

Ce drame au coeur de l'Europe a déterminé les gouvernements à donner un début d'existence à l'Europe de la défense en transférant les organes opérationnels de l'UEO - État-major, centre satellitaire, cellule de renseignements - à l'Union européenne, l'UEO ne gardant que son Assemblée et l'engagement de défense mutuelle formulé à l'article V du Traité. Certes, une volonté politique s'est fait jour en Europe, mais une réflexion de fond demeure nécessaire sur la notion de « souveraineté ». Si cette dernière ne peut être exercée qu'ensemble, la réflexion à ce sujet doit être menée également en commun. La situation actuelle peut se résumer en quelques chiffres : l'addition des budgets nationaux de défense représente quelque 160 milliards d'euros tandis que le budget militaire des États-Unis se monte à 400 milliards de dollars ; les experts estiment même que les capacités européennes atteignent seulement 15 % des capacités militaires américaines. Beaucoup de préoccupations nationales se développent en dehors de toute concertation sur des objectifs communs. Il n'existe pas de concertation à Quinze, pas même de Conseil de défense régulier ; or cette réflexion commune est indispensable pour réduire les déperditions de budgets additionnées et d'actions démultipliées en pure perte.

Une réflexion interparlementaire est nécessaire pour favoriser cette concertation. Il s'agit d'un enjeu majeur. L'échec de la « première lecture » du projet de Constitution pour l'Union européenne en souligne l'urgence. On peut espérer que les blocages provenant de Pologne et d'Espagne soient très momentanés et tiennent, pour les premiers, au régime de la politique agricole commune dans l'Europe à 25, et, pour les seconds, à la répartition des fonds structurels dans ce même espace élargi.

On a parlé de l'échec du Conseil européen de Bruxelles ; pourtant, il a permis des progrès, notamment avec l'institution prévue d'une Agence européenne de l'armement. Mais, pour ma part, je célèbrerai cette création quand elle aura véritablement commencé à fonctionner sans faire doublon avec les organisations qui l'ont précédée, le Groupement Armement de l'Europe Occidentale (GAEO), ou l'OCCAR.

Aussi longtemps que la Constitution de l'Union européenne ne sera pas adoptée, la seule base légale pour l'autonomie de l'Europe en matière de sécurité et de défense restera l'article V du traité de Bruxelles modifié. Or, comme 2004 marque le cinquantième anniversaire de ce traité, des États membres pourraient demander à quitter l'UEO et entamer en quelque sorte son « détricotage ». Il s'agirait d'une démarche extrêmement dangereuse si la Constitution européenne ne comportait pas de dispositions équivalentes à l'article V. Les questions de vocabulaire peuvent avoir dans cette affaire une grande importance, notamment pour s'adapter à un contexte géopolitique totalement changé : en 1949, au moment de la signature du traité de l'Atlantique Nord, l'Europe subissait la guerre froide et pouvait redouter une « agression armée ». Cette locution pourrait aujourd'hui faire place à la mention d'une assistance mutuelle, qui pourrait être ainsi formulée : « les États membres se doivent mutuellement aide et assistance dans tous les domaines et avec tous les moyens dont ils disposent ».

Il reste à nous convaincre nous-mêmes que l'exercice est possible. Un signe encourageant peut être trouvé dans l'acceptation par les Britanniques eux-mêmes du mot de « Constitution ». Mais, jusqu'à l'entrée en vigueur du futur traité constitutionnel, c'est le traité de Nice qui régira ces matières, avec une particularité désastreuse : l'interdiction de toute coopération renforcée dans le domaine militaire. Puisqu'il n'y avait pas alors d'accord sur ces coopérations, mieux eût valu le silence que cette prohibition. Il est donc indispensable de conserver le traité de l'UEO, et en particulier son article V et la coopération renforcée militaire qu'il instaure, jusqu'à l'adoption de la future Constitution de l'Europe.

L'appartenance à l'Union européenne et à l'OTAN est une condition pour l'adhésion plénière à l'UEO. Actuellement, 10 États de l'Union européenne sur 15 en sont membres, mais, après l'élargissement de l'Union européenne à 25 États, 19 d'entre eux rempliront cette condition. D'où le caractère particulièrement préoccupant de la tentation allemande de quitter l'UEO sans concertation et avant toute relève par l'Union européenne de la clause de solidarité mutuelle de l'article V.

Enfin, je voudrais aborder la question du contrôle démocratique. Il y aurait un paradoxe à avoir maintenu un contrôle parlementaire satisfaisant, avec l'Assemblée de l'UEO, pendant toute la durée de la guerre froide, alors même qu'il n'y a eu que peu d'opérations, et à affaiblir ce contrôle parlementaire, alors même que des opérations sont en cours et que cette politique est appelée à se développer. Après la seconde guerre mondiale, toutes les organisations internationales ont été dotées d'une dimension parlementaire. Maintenant que « les affaires deviennent sérieuses », il serait incompréhensible de se dispenser de contrôle parlementaire à l'échelon européen, et de s'en remettre au Parlement européen qui n'a ni la légitimité ni la compétence nécessaires. Il serait souhaitable, par exemple, que les parlements nationaux puissent participer à des réunions au niveau européen pour entendre le futur Ministre des Affaires étrangères de l'Union. Ce sont les parlements nationaux qui votent les budgets de défense, qui décident de l'envoi de troupes ; et même qui vont porter des messages de réconfort aux familles qui ont perdu un soldat. Il est donc légitime de prévoir une forme de contrôle qui associe les parlements nationaux.

J'ai soutenu le projet de « Congrès des peuples de l'Europe » du Président Giscard d'Estaing, Congrès qui se serait réuni une fois par an pour débattre de l'« état de l'Union ». Cette formation aurait pu comporter des commissions spécialisées, par exemple pour les questions de justice et d'affaires intérieures ou pour les affaires étrangères et la défense. Mais force est de constater que cette proposition a rencontré des résistances considérables de la part du Parlement européen et des gouvernements des États membres.

Dès lors, la question reste posée : comment organiser ce contrôle ? Comment convaincre le Parlement européen et les gouvernements de sa nécessité ? Je suis favorable à une Assemblée ad hoc avec le label de l'Union européenne qui reprendrait l'expérience de l'Assemblée de l'UEO. Elle serait chargée de la PESC et de la PESD. Plusieurs hypothèses sont possible : soit elle se composerait de délégations des seuls parlements nationaux, soit elle accueillerait également une délégation de la commission des affaires étrangères et de défense du Parlement européen. Mais le Parlement européen ne peut prétendre exercer seul cette compétence pour laquelle il n'a ni la légitimité ni les capacités.

A l'issue d'une très récente rencontre avec le Premier ministre de Belgique, je crois pouvoir dire que celui-ci a acquis la conviction qu'il faudrait instituer un organe démocratique représentatif des parlements nationaux pour le contrôle de la politique européenne de sécurité et de défense. Comme ce sont les parlements nationaux qui devront ratifier le traité constitutionnel de l'Union européenne, je crois que nous disposons d'un espace de négociation pour faire passer l'exigence d'un contrôle démocratique.

M. Hubert Haenel :

Une prise de conscience de l'impuissance de l'Europe a eu lieu lors de l'éclatement de la crise yougoslave, sentiment qui se manifestait par l'interrogation récurrente : mais que fait l'Europe, où est l'Europe ? Depuis, on peut considérer qu'un certain progrès a eu lieu avec les interventions au Kosovo et en Macédoine.

J'avais, moi aussi, apporté mon soutien à l'institution d'un « Congrès des peuples de l'Europe » qui se réunirait une ou deux fois par an pour débattre de l'état de l'Union, examiner à la fois le bilan de l'année écoulée et les projets pour l'année à venir. Je souscris volontiers à la formule proposée par le Président De Decker d'organisation de la PESD, y compris dans sa dimension parlementaire.

M. André Dulait :

Je m'interroge sur la position réelle de la Grande-Bretagne à l'égard de la défense européenne. J'observe en effet une succession d'avancées et de retraits, comme nous avons pu le constater récemment à propos de l'État-major européen.

M. Armand De Decker :

Il faut distinguer, entre la position de Tony Blair lui-même, dont le voeu d'un rôle de la Grande-Bretagne plus important au sein de l'Union européenne me paraît sincère, et celle des membres de son « establishment politico-militaire », beaucoup plus eurosceptiques. En particulier les parlementaires britanniques veulent conserver leur contrôle sur la politique militaire ; tout au plus accepteraient-ils un contrôle interparlementaire de type UEO. Ce sont les réticences de la classe politique qui expliquent la réaction britannique face aux propositions formulées par la France, l'Allemagne, le Luxembourg et la Belgique en faveur d'un État-major européen et de coopérations renforcées.

Il s'agit d'ailleurs là, à certains égards, d'un faux problème puisque l'État-major est d'ores et déjà transféré de l'UEO à l'Union européenne. Il lui manque seulement une mission expresse. Je regrette que la localisation à Tervuren ait focalisé ce refus, alors que les locaux proposés étaient vastes et agréables ! Pour le moment, les Anglais accepteraient une localisation rue de la Loi. Tant que Tony Blair restera Premier ministre, des progrès demeureront possibles, car le Premier ministre perçoit une chance pour l'Angleterre d'avoir le leadership dans ce domaine important qu'est la défense. Or, quand une participation est décidée par les Britanniques, elle est conduite avec pragmatisme et loyauté. Quant aux Conservateurs, ils devront trancher un jour entre leur penchant à l'euroscepticisme et l'évolution inéluctable de la construction européenne.

M. Xavier de Villepin :

Je partage pleinement les convictions du Président De Decker. A propos de l'attitude de la Grande-Bretagne, je crois qu'il serait nécessaire de clarifier les relations entre l'Union européenne et l'OTAN. Face à la menace commune du terrorisme, une telle clarification permettrait de lever certaines réticences de la Grande-Bretagne. Cela conduit à s'interroger sur le renforcement du rôle de l'OTAN en Afghanistan et, éventuellement, sur sa présence en Irak.

M. Armand De Decker :

La question des liens entre l'OTAN et l'Union européenne reste délicate. L'un des avantages que les Britanniques voient dans le traité de l'UEO, c'est qu'il mentionne expressément le lien institutionnel avec le traité de l'Atlantique-Nord. D'ailleurs, lors de la signature de ce traité, le 23 octobre 1954, le Chef du département d'État de l'époque, Foster Dulles, était présent. Le siège de l'OTAN était alors à Paris avec des stationnements à Fontainebleau. À cette époque, les États-Unis soutenaient le développement d'une défense européenne. Ils soutenaient le projet de Communauté européenne de défense (CED), y compris la création d'une armée européenne intégrée pour faire face à la menace soviétique. Évidemment, le contexte a beaucoup changé puisque certains craignent que l'Union européenne, qui est déjà une puissance économique comparable aux USA, et une puissance commerciale qui leur est supérieure, ne devienne une puissance politique.

J'ai la conviction qu'il y aura finalement une phrase dans le traité constitutionnel de l'Union sur les liens avec l'OTAN à côté de l'article prévoyant une assistance mutuelle. Ces liens entre l'Union européenne et l'OTAN sont d'ailleurs en pleine évolution. Il y a seulement quatre ou cinq ans, à Bruxelles, lors d'une rencontre de l'assemblée de l'UEO avec le Conseil de l'OTAN, une question sur ces liens suscitait encore une sorte de stupeur, alors qu'aujourd'hui l'Union européenne et l'OTAN ont des contacts hebdomadaires et des rencontres plus solennelles tous les mois. L'OTAN reste indispensable pour la protection du territoire européen et pour mener des opérations lointaines.

J'ai récemment rencontré Donald Rumsfeld, qui a exprimé une appréciation négative sur la nécessité de créer un État-major européen. Je lui ai indiqué que cet État-major existerait de toute façon, de même que les USA maintenaient un État-major national et conservaient tous les instruments d'une politique nationale de défense.

Avec toutes les précautions oratoires souhaitables, je voudrais exprimer ma conviction personnelle que beaucoup de choses pourraient se trouver décrispées si la France réintégrait le commandement militaire de l'OTAN. Cette démarche mettrait fin à des suspicions injustifiées, puisque la France a apporté une contribution importante à plusieurs opérations récentes de l'Alliance.

M. Pierre Biarnès :

Les États de l'Union européenne, y compris la France, sont-ils vraiment d'accord pour des abandons de souveraineté dans le domaine de la défense ? En fait, la véritable question ne consiste pas à se demander qui aura la prééminence dans l'Alliance ; tout le monde sait que ce seront les États-Unis.

Donc le général de Gaulle avait raison lorsqu'il exprimait, dans sa lettre explicative, le refus de tout automatisme qui engagerait la France sans qu'elle puisse exercer un droit de veto. Il souhaitait simplement que toute participation puisse faire l'objet d'une discussion au cas par cas. Une réintégration du commandement militaire signifierait sans doute qu'il faudrait accepter toutes les décisions américaines. Or, dans certains cas, nous avons raison de nous abstenir, comme le montre l'enlisement actuel en Afghanistan, qu'un historien a qualifié de non État, ou encore en Irak, État tout aussi artificiel. Nous n'avons pas vocation à jouer les valets d'armes.

Je suis convaincu que la Grande-Bretagne se joindra à l'Union européenne dans ce domaine essentiel qu'est la défense, comme le premier signal en a été donné, avant même Saint-Malo, au sommet de Chartres entre John Major et François Mitterrand. La Grande-Bretagne a sans doute l'ambition de prendre la tête de l'Europe de la défense. Quant à l'Europe de l'armement, elle est le socle même de toute politique de défense commune. Seule une Europe de l'armement peut assurer à l'Union européenne la maîtrise de son destin. A cet égard, l'OCCAR est un acquis important.

M. Daniel Goulet :

Je regrette le peu d'intérêt suscité par l'UEO, qui provient à mon avis de la superposition d'institutions traitant des mêmes sujets, comme on le voit par exemple pour la crise du Proche-Orient. Ne pourrait-on améliorer la coordination entre le Conseil de l'Europe et l'UEO, voire l'Union européenne ?

M. Robert Del Picchia :

Quelles sont les chances de la reprise, par le traité constitutionnel de l'Union européenne, de la substance de l'article V du traité de l'UEO ? Par ailleurs, les « missions de Petersberg » ne devraient-elles pas recevoir une nouvelle formulation ?

Quant au contrôle parlementaire, je crois possible une évolution de la position du Parlement européen, en me fondant sur l'exemple du partenariat euroméditerranéen. À l'issue de négociations longues et difficiles entre parlements nationaux et Parlement européen sur la composition de l'Assemblée Parlementaire Euroméditerranéenne, nous avons réussi à convaincre le Parlement européen de revenir sur ses demandes initiales et d'accorder une place plus large aux parlementaires nationaux.

M. Armand De Decker :

La formulation aujourd'hui retenue pour les « missions de Petersberg » couvre en fait toutes les missions militaires, y compris l'emploi de la force dans le cadre de « gestion de crise », de maintien et même de rétablissement de la paix, sauf pour la défense du territoire européen. Cependant, une réflexion est en cours, notamment de la part de Javier Solana dans le cadre de ses fonctions à l'Union européenne.

Pour la mise en place de la dimension parlementaire, je suis confiant dans la possibilité d'un dialogue constructif avec le Parlement européen.

À propos de la coordination entre les diverses institutions, je voudrais confirmer l'existence de contacts réguliers entre ces institutions. Au demeurant, les sujets en cause peuvent être repris par les différentes institutions sous des angles différents. Le Conseil de l'Europe joue un grand rôle pour diffuser nos valeurs communes. Il a contribué à la formation des responsables des Etats d'Europe centrale et orientale, membres de l'Europe des 45. Quant à l'UEO, son inclusion dans l'Union européenne implique nécessairement la coordination souhaitée.

La coopération industrielle en matière d'armement est extrêmement importante. Les entreprises EADS et Bristish Aerospace sont d'ailleurs déjà très largement « européanisées » et ce caractère explique en partie leur succès. C'est à travers l'industrie qu'on peut espérer faire bouger les réticences nationalistes des administrations nationales. Pour ma part, je souhaite que l'article du Traité européen qui exclut les armements de la libre concurrence soit révisé en sorte que cette exception se limite aux armes stratégiques.

Je suis persuadé que, aujourd'hui, le général de Gaulle serait le premier des Européens. Il voulait une France indépendante et c'est pour cela qu'il a refusé la Communauté européenne de défense qui, d'ailleurs, ne comprenait pas la Grande-Bretagne. Mais c'était dans un contexte complètement différent. Aujourd'hui, il souhaiterait la même indépendance pour l'Europe. Si la France rejoignait le commandement militaire intégré de l'OTAN, serait-elle pour autant condamnée au suivisme ? Je ne le crois pas. Lors de la deuxième guerre du Golfe, comme la France, avec d'autres, faisait un préalable de l'assentiment de l'ONU, les Américains ont choisi de tourner la difficulté et de saisir le comité des plans militaires de l'OTAN, ce qui excluait la participation des Français aux débats. Pourtant, et notamment à partir de propositions belges, les Américains ont tenu compte de certaines opinions européennes, notamment à l'égard des problèmes soulevés par la participation turque. Cette expérience démontre qu'il serait possible d'avoir de vrais débats avec les Américains pour peu que les Européens se concertent au préalable et dégagent une position commune. Il ne faut pas sous-estimer le véritable désastre qu'a été la division des Européens à l'égard de la guerre en Irak. Tony Blair et José Maria Aznar ont affronté à cette occasion d'immenses difficultés dans leur propre pays, y compris avec les parlementaires de leurs majorités. Finalement, tout le monde y a perdu, eux comme nous. Une concertation est indispensable entre Européens face à une crise d'une telle ampleur.

Enfin, j'ai le sentiment que le cas de l'Afghanistan est tout à fait distinct de celui de l'Irak. Le régime des Talibans était vraiment une cause de déstabilisation qu'il fallait éradiquer.


Communication de M. Hubert Haenel sur les dispositions
du traité constitutionnel relatives à la PESD

Malgré le facteur de division constitué par la crise irakienne, l'année 2003 a été une année importante pour l'Europe de la défense. Il suffit à cet égard d'évoquer les opérations menées en Macédoine, puis au Congo, l'accord sur l'Agence européenne de l'armement, dont il sera question dans la suite de notre réunion, l'accord de principe sur le projet de constituer une force d'intervention très rapide, la mise en place de la force de 60 000 hommes pour remplir les missions de Petersberg, qui a été déclarée opérationnelle, la création de la « cellule de planification européenne autonome », enfin l'adoption, par le dernier Conseil européen, d'un document sur la stratégie européenne de sécurité qui permet de définir une vision commune. On voit qu'il existe une dynamique autour de réalisations concrètes, ce qui rend particulièrement nécessaire la définition d'un cadre commun.

L'effort pour préciser ce cadre s'est également poursuivi en 2003. La Convention sur l'avenir de l'Europe a été bien sûr une étape particulièrement importante, avec le groupe de travail présidé par Michel Barnier. Grâce à ce groupe, le consensus final s'est fait sur un texte novateur. Ce texte a été ensuite examiné par la Conférence intergouvernementale, notamment lors du « conclave » de Naples les 27 et 28 novembre. La présidence italienne estime avoir au début de décembre obtenu un accord sur un texte modifiant sensiblement celui qu'avait retenu la Convention. C'est pourquoi il a semblé utile de faire le point sur ce sujet.

Voir en fichier attaché les textes comparés sur la clause de défense mutuelle.

I. Le texte adopté par la Convention

Ce texte comprend l'article I-40 et les articles III-210 à III-214 (qui précisent les modalités d'application des principes posés par l'article I-40). Quels en sont les principaux aspects ?

a) Tout d'abord, le champ couvert par la politique de sécurité et de défense commune est élargi. Aux missions de Petersberg (missions humanitaires et d'évacuation, missions de maintien de la paix et missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris de rétablissement de la paix) s'ajoutent les « actions conjointes en matière de désarmement », les « missions de prévention des conflits et le maintien de la paix » et les « opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Toutes ces missions peuvent en outre s'intégrer dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien militaire apporté à des États tiers pour combattre le terrorisme sur leur propre territoire.

b) Par ailleurs, ce projet comporte une clause de solidarité permettant de mobiliser tous les instruments, y compris militaires, lorsqu'un État membre est victime d'une attaque terroriste ou d'une catastrophe.

c) De plus, le projet comporte un engagement des États membres à améliorer leurs capacités militaires et il institue une Agence européenne de l'armement. Ce sera l'objet de la communication de Serge Vinçon tout à l'heure.

d) Le projet prévoit également que le Conseil peut confier à un groupe d'États membres l'accomplissement d'une mission de gestion de crise. La décision d'engagement de l'opération se fera à l'unanimité avec l'application des règles de l'abstention constructive. Une fois l'opération en cours, seuls les États membres participant à l'opération prendront les décisions au jour le jour pour la mise en oeuvre de l'opération. Néanmoins, l'accord de tous les États membres sera encore nécessaire pour une décision qui aurait des conséquences politiques importantes ou qui modifierait fondamentalement le concept de l'opération.

e) Enfin, le projet de Constitution introduit la possibilité - sous une forme très spécifique - de recourir aux coopérations renforcées en matière de défense.

Le projet prévoit tout d'abord ce qu'il appelle une « coopération structurée » entre les États membres qui remplissent des critères de capacité militaire plus élevés et qui ont souscrit entre eux des engagements plus contraignants en vue des missions les plus exigeantes. Cette coopération porte sur les moyens et non sur les missions. À la différence des coopérations renforcées à caractère général, cette « coopération structurée » est créée par le traité lui-même. La liste des États qui y participent doit figurer dans un protocole annexé au traité, ce qui implique qu'ils fassent connaître leur volonté avant l'adoption du traité. Et la coopération structurée entre en vigueur dès que le traité devient exécutoire. Les États membres qui n'en font pas partie ne participent ni aux délibérations ni à l'adoption des décisions, le ministre des Affaires étrangères de l'Union étant chargé de faire le lien entre les participants et les non participants. Comme la liste des participants initiaux ainsi que les critères et engagements en matière de capacités militaires sont inscrits dans le protocole, ils doivent être approuvés par les Vingt-cinq au sein de la CIG ; en revanche, les participants initiaux sont ensuite seuls juges de l'admission de nouveaux participants.

Le projet prévoit ensuite une « coopération plus étroite en matière de défense mutuelle ». Dans le cas où l'un des États participants à cette coopération plus étroite serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, « les autres États participants lui portent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres, conformément aux dispositions de l'article 51 de la Charte des Nations unies ». Cette « coopération plus étroite » en matière de défense mutuelle a été généralement interprétée comme se substituant à l'engagement de défense mutuelle contracté par les États membres de l'UEO, qui achèverait ainsi de disparaître. La participation à cette « coopération plus étroite » s'effectuerait par simple déclaration. Une déclaration annexée à la Constitution devait recenser les États ayant décidé d'entrer dans cette coopération plus étroite ; tout autre État membre pourrait s'y joindre à tout moment par simple déclaration.

Le texte élaboré par la Convention peut être jugé imprécis sur certains points, et la Convention avait d'ailleurs renvoyé à la CIG le soin de préparer le protocole où devaient figurer la liste des États participants à la « coopération structurée » ainsi que les critères et engagements conditionnant cette participation.


II. Le texte de la présidence italienne

Le texte présenté par la présidence italienne en décembre peut être considéré sous deux aspects : celui de son contenu (que modifie-t-il par rapport au texte de la Convention ?) et celui de son statut (peut-il être considéré comme acquis ?)

1. Le contenu

Le compromis de la présidence italienne ne touche pas aux quatre premiers aspects du texte élaboré par la Convention (élargissement des missions de Petersberg, clause de solidarité, Agence d'armement, possibilité de confier une mission à un groupe d'États membres) ; en revanche, il apporte des modifications sensibles aux deux points qui permettraient une différenciation au sein de l'Union en matière de défense : la « coopération structurée » et la « coopération plus étroite ».

a) la « coopération structurée » (article I-40 paragraphe 6, article III-213 et protocole spécifique)

Le compromis modifie le régime de la « coopération structurée » sur un point important : alors que, dans le texte de la Convention, cette coopération était liée au traité et entrait en vigueur en même temps que celui-ci, son lancement est désormais subordonné à une décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée, y compris quant à la liste des États participants. Et si l'admission ultérieure de nouveaux membres dans la coopération structurée reste soumise à la décision des seuls membres participants, cette décision doit être prise à la majorité qualifiée, alors que le texte de la Convention prévoyait une décision à l'unanimité. Le texte est même aujourd'hui rédigé de telle manière que l'on a le sentiment que cette admission est de droit dès lors que l'État qui souhaite rejoindre la « coopération structurée » respecte les critères et souscrit aux engagements du protocole. Selon le compromis italien, il sera plus difficile de lancer la « coopération structurée », et il sera plus facile de la rejoindre une fois qu'elle sera lancée. Il sera en outre possible à tout État participant de quitter la « coopération structurée » quand il le souhaitera.

De plus, si seuls les États participants votent pour l'adoption des décisions prises dans le cadre de la coopération structurée, les délibérations se font en présence de tous les États membres.

Par ailleurs, le compromis de la présidence contient - conformément à ce qu'avait demandé la Convention - un protocole sur les critères de participation à la « coopération structurée ». Cependant, ce protocole n'impose en réalité aucun engagement quantitatif précis, mais constitue plutôt un engagement de pleine participation à tous les développements de la PESD. C'est ainsi que les contributions nationales de forces ne sont pas précisées, qu'elles peuvent même être multinationales, dès lors qu'elles sont déployables dans un délai entre cinq et trente jours, disponibles pour une période de trente jours, et qu'elles comportent des combattants et de la logistique. On est, me semble-t-il, en retrait de l'esprit des travaux de la Convention, où la plupart avaient en tête l'idée d'un pourcentage minimum du PIB à consacrer à la défense pour pouvoir participer à la « coopération structurée ». On a le sentiment que la CIG a cherché surtout à permettre à chaque État membre de participer à cette coopération structurée, quitte à en abaisser les ambitions et les moyens.

b) La « coopération plus étroite » (article I-40 paragraphe 7)

Pour ce qui est de la « coopération plus étroite » en matière de défense mutuelle, les modifications sont encore plus sensibles. Il faut dire que, dès le début des travaux de la CIG, la Grande-Bretagne a fait connaître son opposition à l'inclusion dans la Constitution d'une telle clause qu'elle jugeait susceptible de faire doublon avec l'article 5 du traité de l'OTAN.

En réalité, le texte ne se présente plus aujourd'hui comme une coopération entre certains États membres, mais comme une clause valable pour tous les États membres. En même temps, et cela est logique dès lors qu'il s'agit d'une clause applicable à tous, la rédaction paraît beaucoup moins contraignante, puisqu'il est dit qu'en cas d'agression contre un État membre, les autres États lui « doivent aide et assistance » et non plus lui « portent aide et assistance », puisque les moyens militaires ne sont plus explicitement mentionnés, et puisqu'il est précisé que cette clause « n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ». Aux yeux d'un certain nombre d'États membres, l'Union n'est pas et ne doit pas être une alliance militaire ; dès lors que cette clause est applicable à tous les États membres, elle ne doit donc plus comporter d'engagement contraignant. De ce fait, la clause de « défense mutuelle » apparaît davantage comme une pétition de principe et ne peut plus apparaître comme se substituant à la clause de défense mutuelle de l'UEO.

Par ailleurs, il est précisé que la clause de défense mutuelle est conforme aux engagements souscrits au sein de l'OTAN « qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre ».

2. Le statut

Ce compromis doit-il être considéré comme définitif ? Certes, il a reçu l'accord des quatre plus grands États, puisqu'il est basé sur l'accord intervenu entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, et que la présidence italienne le présente comme son oeuvre. Cependant, il convient de rester prudent. Ce texte, en effet, est une partie du projet de Constitution qui est un projet global. Selon la formule consacrée, il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout. Le texte de la présidence italienne, pour ce qui est des modalités de vote au Conseil, reprend d'ailleurs le principe de la double majorité, qui reste rejeté par la Pologne et l'Espagne. Tel quel, ce compromis ne peut donc être présenté comme l'objet d'un accord unanime.

De plus, il ne paraît pas acquis que la rédaction italienne de la clause de défense mutuelle, bien qu'elle ne soit plus que l'ombre de la clause prévue par la Convention, ait reçu l'approbation des quatre pays neutres qui sont membres de l'Union. D'une part, ces pays refusent une clause qui, à l'image du texte proposé par la Convention, ne créerait pas d'obligation pour eux puisqu'ils auraient la possibilité de ne pas y participer. D'autre part, dès lors que la clause s'applique à tous les membres, ils la jugent toujours trop contraignante. C'est ainsi que, après le « conclave » de Naples, ils ont réclamé une rédaction encore plus édulcorée. Ils ont à cet effet déposé un texte différent de celui de la présidence italienne. Alors que ce dernier précise que, dans le cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance, la proposition de l'Autriche, de la Finlande, de l'Irlande et de la Suède consiste seulement à mentionner que l'État membre agressé peut demander aux autres États membres de lui porter aide et assistance. À vrai dire, ce dernier texte n'a réellement aucune portée ni aucune effectivité car l'on voit mal ce qui pourrait empêcher, même en l'absence de tout texte, l'État membre victime d'une agression de demander l'aide des autres États membres. Or, en l'état actuel des travaux de la CIG, il n'est pas certain que les quatre États à l'origine de cette proposition se soient effectivement ralliés au compromis de la présidence et aient abandonné l'idée de faire prévaloir leur propre texte.

Aussi bien pour la coopération structurée que pour la clause de défense mutuelle, il y a donc eu, lors des négociations de la CIG, un travail d'érosion visant à favoriser autant qu'il est possible la participation de tous les États membres, empêchant par là même que puisse se constituer, dans le cadre du traité, une avant-garde volontariste et ambitieuse en matière de défense. De même, il est apparu une opposition résolue à tout ce qui pourrait constituer une défense mutuelle dans le cadre du traité.

On rejoint là une difficulté plus générale. À l'approche du Conseil européen du 12 décembre, on avait le sentiment qu'il ne restait plus qu'un problème à régler, celui des modalités de vote au sein du Conseil. On découvre aujourd'hui que cette présentation était très optimiste. En réalité, la situation est plus floue, et la présidence irlandaise semble avoir des difficultés à déterminer l'étendue exacte des zones d'accord. Même en matière de défense, on ne doit donc pas considérer que la négociation est complètement achevée.

Compte rendu sommaire du débat

M. Armand De Decker :

Je voudrais souligner que les quatre pays membres de l'Union qui se réclament de la neutralité font preuve de beaucoup de bonne volonté pour les missions de Petersberg. La Suède est une référence pour les missions de maintien de la paix. Ne fustigeons pas les neutres ! Je crois que la compréhension mutuelle est entravée par l'usage d'un vocabulaire datant de la guerre froide. J'avais proposé au gouvernement belge, pour le texte de la Constitution, la formule suivante : « Les États membres se doivent mutuellement aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, civils et/ou militaires, conformément à la Charte des Nations unies ». Cela couvrirait, à mon avis, tous les cas d'école.

M. Hubert Haenel :

Mais pourriez-vous préciser vos attentes prioritaires vis-à-vis de la CIG, en tant que président de l'Assemblée de l'UEO ?

M. Armand De Decker :

J'ai deux préoccupations fondamentales.

Tout d'abord, le traité de Bruxelles modifié, base légale de l'autonomie européenne en matière de défense, arrive à terme cette année. Il devient possible à des États parties à ce traité d'en sortir. Je crains de tels retraits. En particulier, l'Allemagne attache naturellement de mauvais souvenirs aux débuts de l'UEO. Mais il serait très dangereux que le traité de Bruxelles modifié devienne caduc avant que la Constitution n'entre en vigueur.

Ensuite, et c'est mon message principal, quand toutes les compétences de l'UEO auront été transférées à l'Union, il faudra un contrôle parlementaire au moins égal à ce qu'il était auparavant. Cela passe à mon avis par une formule de contrôle interparlementaire. Le Parlement européen voudrait avoir le monopole du contrôle parlementaire sur l'Union. Mais il faut se rendre à l'évidence : la politique européenne de sécurité et de défense, de même d'ailleurs que certains aspects de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures, demeurent largement intergouvernementaux. Et ce n'est pas demain que les États membres vont renoncer intégralement à leur souveraineté. Ce n'est pas demain que les parlements nationaux ne voteront plus les budgets de défense et n'autoriseront plus l'envoi des troupes. À une politique entièrement ou - c'est ce que je souhaite - partiellement intergouvernementale, doit correspondre un contrôle de type interparlementaire, avec un grand rôle pour les parlements nationaux. Il faut rappeler que la Grande-Bretagne est la première puissance militaire européenne. Comment convaincre les députés britanniques d'accepter d'engager pleinement leur pays dans la politique étrangère et de sécurité commune, s'ils en débattent seulement entre eux à la Chambre des communes ? Dans ce cas, ils en resteront toujours à une logique nationale. Je suis d'un pays où les partisans du fédéralisme européen sont très nombreux. J'ai moi-même des convictions européennes très fortes, mais je crois que le réalisme conduit à juger nécessaire un organe interparlementaire pour la politique de sécurité et de défense commune.

M. Didier Boulaud :

Le concept de « coopération structurée » ne me paraît pas clair. Entre les « coopérations structurées », les « coopérations renforcées », les « coopérations plus étroites », on se perd un peu.

Je m'étonne en particulier de la possibilité de sortir à tout moment de la « coopération structurée ». En matière de défense, on va faire des acquisitions communes de matériel, avoir un état-major, des outils de planification, une doctrine d'emploi des forces. Comment cela pourra-t-il fonctionner si l'on ne peut pas compter sur la stabilité des participants ?

M. Xavier de Villepin :

J'avoue ne pas très bien percevoir non plus la finalité de la coopération structurée. Nous avons besoin d'une Constitution le plus tôt possible. L'idée d'une « Europe à plusieurs vitesses » suscite beaucoup de méfiance, voire de rejet. Beaucoup de pays, notamment parmi les nouveaux adhérents, craignent d'être exclus de certains développements de la construction européenne. Il faut les rassurer tout en évitant de rendre plus complexes des traités que l'on s'était promis de simplifier.

M. Jean-Guy Branger :

J'ai une certaine expérience des relations avec les États-Unis. Mon sentiment est qu'ils ne sont pas très favorables à une défense européenne. En tout état de cause, comment définir la frontière, le partage ? Devons-nous chercher à être complémentaires, ce qui suppose d'accepter d'être en partie subordonnés ?

M. Armand De Decker :

L'Europe sera ce qu'elle voudra devenir. Ce que veulent ou non les État-Unis n'est pas le problème ! Nous sommes alliés, nous sommes reconnaissants aux États-Unis, mais nous sommes une grande puissance économique, nous avons créé notre monnaie - ce dont les Américains ont douté jusqu'au bout -, nous devons aujourd'hui devenir une puissance globale. Nous n'en avons pas moins besoin, aujourd'hui, de l'OTAN. Ne nous laissons pas aller à penser que toute menace a disparu. Nous n'avons plus à affronter les mêmes menaces, cela est vrai : mais ne sous-estimons pas les nouveaux risques de conflit, par exemple entre l'Inde et le Pakistan, avec le danger de voir un jour l'islamisme radical dominer un pays disposant d'armes de destruction massive.

L'Europe doit pouvoir discuter d'égal à égal avec des pays comme la Chine et la Russie. Quant aux États-Unis, leur attitude obéit à des cycles. Tantôt ils pressent les Européens de s'unir, tantôt ils leur reprochent de vouloir trop en faire. Sachons continuer notre chemin ! J'avoue moi aussi quelque perplexité quant à la formule de la « coopération structurée » - dont je ne connais pas l'origine - et de la clause de sortie, qui peut déconcerter. La crainte existe que l'on fasse de la défense l'affaire de quelques-uns, en fait les « grands » pays.

M. Hubert Haenel :

La formule de la « coopération structurée » est issue du groupe de travail de la Convention consacré à la « Défense » qui était présidé par Michel Barnier. Cette formule, propre à la défense, se distinguait des « coopérations renforcées », notamment parce qu'elle était organisée directement par le traité constitutionnel. Pourquoi ce choix ? Le risque existe que, dans l'Europe à vingt-cinq, les progrès deviennent très difficiles dans les domaines régis par des décisions à l'unanimité. D'où la recherche d'une formule permettant à ceux qui le veulent - et le peuvent - d'aller plus vite et plus loin. Je reconnais qu'on aboutit à un dispositif compliqué, qui pose un problème aux pays neutres et suscite chez certains pays la crainte d'être mis à l'écart. La Conférence intergouvernementale a voulu l'assouplir avec le risque de rendre la finalité du dispositif moins claire.

L'existence d'une clause de sortie peut paraître un problème, mais c'est avant tout un symbole politique, destiné à apaiser les inquiétudes. Le projet de Constitution contient également une clause de sortie de l'Union : non pas que l'on veuille faire de celle-ci un hall de gare, mais il s'agit d'une réponse aux souverainistes et eurosceptiques, à qui l'on peut dès lors démontrer que l'Europe n'est pas une prison.

M. Jean-Pierre Plancade :

Je comprends la volonté de permettre à ceux qui veulent avancer de le faire ; mais le texte doit être rédigé de manière à ne pas pouvoir donner l'impression d'exclure.

M. Xavier de Villepin :

Il faut être pragmatique. Même les pays qui sont les plus proches ne sont pas, en matière de défense, sur la même ligne de départ. L'Allemagne envisage une restructuration de ses forces proche de celle que nous avons réalisée, mais elle ne l'envisage pas avant 2006. On ne pourra pas avancer à marche forcée dans ces conditions.


Communication de M. Serge Vinçon sur la création
d'une Agence européenne d'armement

La création d'une Agence européenne de l'armement est évoquée à intervalles réguliers depuis plus de dix ans. Une coopération plus étroite dans le domaine de l'armement paraît en effet indispensable pour préserver une industrie européenne, maîtriser les coûts des armes nouvelles, améliorer l'efficacité de la recherche, et donner à l'Europe une plus grande autonomie. Après plusieurs initiatives peu concluantes, la décision prise à la fin de l'année dernière de créer une Agence de l'armement dans le cadre de l'Union est un élément nouveau.

I. UNE PROBLÉMATIQUE DÉJÀ ANCIENNE

1. L'armement à l'écart de la construction communautaire


Le secteur de l'armement a été, dès l'origine, placé en dehors des règles communautaires. L'article 296 du traité instituant la Communauté Européenne précise ainsi que :

« Tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre ; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. »

Dès 1958, le Conseil a établi une liste des produits ainsi soustraits aux règles communautaires. Cette liste ne peut être modifiée qu'à l'unanimité sur proposition de la Commission.

Dans ce contexte, une politique européenne de l'armement supposait la mise en place d'un cadre spécifique. Pendant plus de trente ans, rien de vraiment significatif ne s'est dessiné dans ce sens. En effet, il y a un lien évident entre les politiques d'armement et les politiques étrangères et de défense. Or, durant la « guerre froide », les politiques des États membres divergeaient sur des points importants : les plus nombreux plaçaient exclusivement ou presque exclusivement leur sécurité dans la participation à l'OTAN, d'autres étaient neutres, tandis que la France avait une position spécifique. Ces divergences conduisaient à ce que les concepts et les stratégies diffèrent, rendant très difficile un rapprochement dans la définition des besoins.

2. Des inconvénients croissants

La fin de la « guerre froide » a créé une situation entièrement nouvelle. Les divergences antérieures ont perdu une partie de leur portée, à partir du moment où les États membres ne sont plus confrontés à un adversaire potentiel identifiable. Les budgets militaires ont diminué dans de fortes proportions - sans empêcher plusieurs États membres de connaître une situation budgétaire difficile - alors que le coût de développement des armes les plus modernes ne cesse d'augmenter.

Ainsi, la fragmentation du marché européen n'apparaît plus comme la conséquence de divergences politiques fortes ; en même temps, cette fragmentation, qui fait obstacle aux gains de productivité, nuit au maintien du potentiel de défense dans un contexte de restriction budgétaire. La conscience de cet état de fait a conduit, dans les années 1990, à plusieurs initiatives en direction d'une « Europe de l'armement ».

3. Des efforts de coopération multiformes

Les efforts de coopération se sont développés principalement en dehors de l'Union, même si quelques aspects ont été abordés dans le cadre de celle-ci.

a) La coopération en dehors de l'Union

· La première instance à mentionner est, historiquement, le Groupe Armement de l'Europe Occidentale (GAEO), institué en 1992 et rattaché à l'UEO. Le GAEO regroupe dix-neuf pays qui sont les pays européens membres de l'OTAN à l'exception de l'Islande (soit l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, le Luxembourg, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce, la Turquie, et, depuis avril 1999, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque), et trois pays membres de l'Union, mais non de l'OTAN (l'Autriche, la Finlande et la Suède). L'objectif de départ du GAEO était d'accroître la coopération entre les pays européens membres de l'OTAN dans le domaine de l'acquisition d'armements. Il succédait d'ailleurs à un forum créé dans cet esprit au sein de l'OTAN. La vocation du GAEO apparaît aujourd'hui plus large, du fait de la participation de pays non membres de l'OTAN ; au demeurant, une déclaration annexée au traité d'Amsterdam a qualifié le GAEO d'« instance européenne de coopération en matière d'armement ».

Les objectifs du GAEO sont d'harmoniser la définition des besoins, d'ouvrir à la concurrence les marchés nationaux, de renforcer la base industrielle européenne et la coopération en matière de recherche-développement. Les ministres de la défense se réunissent une fois par an dans le cadre du GAEO, les directeurs nationaux de l'armement tous les six mois ; dans l'intervalle, des représentants permanents des directeurs nationaux doivent assurer la permanence. Le GAEO n'en reste pas moins une instance informelle, sans organe exécutif, fonctionnant par consensus, et donc peu susceptible de parvenir à des résultats concrets.

C'est pourquoi l'idée de créer une « Agence européenne de l'armement » a été présente dès l'origine dans les travaux du GAEO. Sans pouvoir se mettre d'accord sur la création d'une telle Agence, les ministres ont décidé la création de l'« Organisation de l'Armement de l'Europe Occidentale » (OAEO), ayant le statut d'organe subsidiaire de l'UEO et pouvant donc bénéficier de la personnalité juridique de celle-ci. La « Charte » de l'OAEO prévoit que celle-ci « peut accomplir, au nom de l'UEO et pour le compte d'un ou plusieurs Participants, les fonctions suivantes : a) activités de recherche et de technologie dans le domaine de la défense ; b) acquisition d'équipements de défense ; c) études ; d) gestion de biens et d'installations (...) ». Dans la pratique, l'OAEO n'a cependant jamais été capable de jouer un rôle significatif.

Une des causes principales de la faible portée des travaux du GAEO et de l'OAEO est le grand nombre de participants et l'application de la règle du consensus, alors que, dans la réalité, l'essentiel de l'industrie de défense et de la recherche militaire en Europe est concentré dans quelques pays. Ainsi, au sein de l'Europe des Quinze, six pays représentent 90 % de la capacité industrielle, assurent 85 % des dépenses militaires et réalisent 98 % des investissements de recherche/développement. Il n'est donc pas étonnant que les pays réellement impliqués dans l'effort de défense se soient tournés vers des coopérations en cercle plus restreint.

· Dans cette optique, les quatre plus grands pays de l'Union ont décidé de créer l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR). La Convention instituant l'OCCAR a été signée en septembre 1998 ; le processus de ratification s'est achevé en décembre 2000. Les missions de l'OCCAR sont définies par cette Convention dans des termes assez larges : gestion de programmes, coordination et planification des activités de recherche et des investissements... Dans la pratique, l'OCCAR s'est principalement attachée, sur une base pragmatique, à la gestion de programmes menés en coopération, qui sont principalement l'hélicoptère d'attaque « Tigre », la « Famille des systèmes sol-air futurs » (FSAF) et l'avion de transport A-400 M. Au titre de ces programmes, l'OCCAR administre un budget de l'ordre d'un milliard d'euros.

L'OCCAR est une organisation ouverte aux pays qui acceptent les règles fixées par la Convention de base et décident de participer à un programme important. Dans ce cadre, la Belgique a rejoint l'OCCAR en mai 2003, en liaison avec sa participation au programme A-400 M. Il est à noter que la Turquie est associée à ce même programme sans pour autant être membre de l'OCCAR.

· Une seconde initiative en groupe restreint est la « Lettre d'intention » (LDI), accord-cadre signé en juillet 2000 entre les six plus grands producteurs d'armement de l'Union (ces pays sont les cinq États les plus peuplés et la Suède). La LDI est destinée à favoriser la restructuration des industries de défense dans une optique européenne, en acceptant une dépendance mutuelle entre les signataires. L'accord-cadre couvre six domaines : sécurité d'approvisionnement, procédures de contrôle des exportations, sécurité des informations classifiées, recherche et technologie, traitement de l'information, harmonisation de la définition des besoins. Le processus de ratification de l'accord-cadre et de signature des arrangements d'application vient seulement de s'achever. Il est donc impossible de porter une appréciation sur l'efficacité de ce dispositif qui supposera, à l'évidence, un engagement politique fort de la part des signataires compte tenu de la sensibilité des sujets traités.

b) La coopération au sein de l'Union

Si la coopération en matière d'armement s'est organisée principalement en dehors de l'Union, celle-ci a également pris certaines initiatives :

- un groupe, baptisé POLARM, a été créé en 1995 auprès du COREPER afin d'étudier les options d'une politique européenne d'armement. Il n'a pas, jusqu'à présent, débouché sur des décisions significatives ;

- un « code de conduite » en matière d'exportation d'armements a été adopté en 1998 par le Conseil Affaires générales ; un groupe, baptisé COARM, a été mis en place auprès du COREPER pour suivre sa mise en oeuvre ;

- enfin, la décision prise par le Conseil européen d'Helsinki, en décembre 1999, de rendre l'Union capable de déployer en 60 jours et d'entretenir durant un an une force de 60 000 hommes, a conduit à identifier un ensemble d'insuffisances européennes, dont certaines concernant les armements. Le « plan d'action européen sur les capacités » adopté par le Conseil européen de Laeken, en décembre 2001, a permis une définition plus précise des besoins et le lancement de « groupes de projet » pour y répondre.

Cependant, au total, le rôle de l'Union est jusqu'à présent demeuré modeste.



II. LES TRAVAUX DE LA CONVENTION ET L'ACCORD SUR LA CRÉATION D'UNE AGENCE

1. Les travaux de la Convention


Les travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe ont marqué une évolution importante, puisque le texte adopté institue une Agence européenne de l'armement dans le cadre de l'Union. La contribution franco-allemande présentée à la Convention au sujet de la politique européenne de sécurité et de défense prévoyait « la création d'une Agence européenne de l'Armement, le cas échéant sur la base de la coopération renforcée ». Cette idée a été reprise par le groupe de travail « défense » créé au sein de la Convention, groupe que présidait Michel Barnier. Le texte finalement adopté par la Convention est le suivant (article 40, paragraphe 3, 2ème alinéa) :

« Les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. Une Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires est instituée pour identifier les besoins opérationnels, promouvoir des mesures pour les satisfaire, contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participer à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, ainsi que pour assister le Conseil des ministres dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires ».

On peut constater que, si le principe de la création d'une Agence est clairement posé (« Une Agence (...) est instituée »), en revanche son rôle est défini en des termes qui ne font pas peser de contrainte nouvelle sur les États membres. En réalité, on retrouve largement les termes employés pour définir les missions de l'OEAO et de l'OCCAR. L'évolution la plus significative réside donc dans l'implantation de la nouvelle structure au sein de l'Union.

2. Les décisions du Conseil européen, puis du Conseil Affaires générales

 Le Conseil européen de Thessalonique (juin 2003) qui a pris acte des résultats de la Convention, a décidé de lancer sans attendre le processus de création de l'Agence de l'armement. En effet, sur le plan juridique, la création de l'Agence n'est pas liée à l'adoption du projet de Constitution : rien n'empêche sa création sur la base des traités actuels, dans le cadre des dispositions régissant la PESC et la PESD. Les conclusions du Conseil européen définissant le rôle de la future Agence dans des termes plus précis et opérationnels que le texte issu de la Convention :

« Cette Agence, qui sera placée sous l'autorité du Conseil et ouverte à la participation de tous les États membres, visera à développer les capacités de défense dans le domaine de la gestion des crises, à promouvoir et à renforcer la coopération européenne en matière d'armement, à renforcer la base technologique et industrielle européenne en matière de défense et à créer un marché européen concurrentiel des équipements de défense, ainsi qu'à favoriser, le cas échéant en liaison avec les activités de recherche communautaire, la recherche en vue d'être à la pointe des technologies stratégiques pour les futures capacités de défense et de sécurité, afin de renforcer le potentiel industriel européen dans ce domaine ».

 Sur cette base, le Conseil a travaillé rapidement, puisqu'il est parvenu à un accord à la mi-novembre. Cet accord reprend le principe de l'ouverture à tous les États membres.

Pour ce qui est du rôle de l'Agence, le texte reprend les quatre thèmes mis en avant par les conclusions du Conseil européen de Thessalonique : développement des capacités, coopération en matière d'armement, renforcement de la base industrielle dans le cadre d'un marché concurrentiel, effort de recherche. Il est précisé que l'Agence ne porte pas atteinte aux compétences des États membres en matière de défense.

Pour ce qui est maintenant de l'organisation de l'Agence, l'accord s'appuie sur le cadre institutionnel de l'Union :

- l'Agence est placée sous la responsabilité des ministres de la défense. Les décisions du Conseil la concernant sont prises par le Conseil Affaires générales/Relations extérieures réuni en une formation composée des ministres de la défense ;

- le comité directeur de l'Agence est présidé par le Haut représentant pour la PESC. Il est composé de représentants des États membres habilités à engager leur gouvernement, et d'un représentant de la Commission ;

- l'équipe de l'Agence est composée de personnels contractuels recrutés directement au sein des États membres, de fonctionnaires des institutions de l'Union, et d'experts nationaux détachés par les États membres. Le directeur exécutif est nommé par le comité directeur.

En ce qui concerne les relations extérieures de l'Agence, l'accord précise que l'Agence établira des « relations de travail étroites » avec la LDI, l'OCCAR et le GAEO, « en vue de les incorporer ou d'en assimiler en temps utile les principes et pratiques ». Elle devra également faire en sorte que les pays du GAEO non membres de l'Union puissent être associés aux programmes ou projets spécifiques. Les relations avec les organes compétents de l'OTAN sont définies à partir des concepts traditionnellement mis en avant dans les débats sur le pilier européen de l'Alliance : « renforcement mutuel », transparence réciproque », « développement cohérent » ; il est précisé que ces relations demeurent dans les limites des compétences respectives de l'Agence et des organes compétents de l'OTAN, et qu'elles se situent dans le cadre de coopération et de consultation établi (ces précisions ont été apportées, on le devine, à la demande de la France).

Enfin, si l'accord pose le principe de la personnalité juridique de l'Agence, il ne dit rien de son budget ni des procédures de décision. Ces points devront être réglés durant la phase intérimaire que je vais évoquer dans un instant. Pour l'instant, on peut considérer comme positif que ces questions restent ouvertes, car un certain nombre de pays voulaient d'ores et déjà prévoir l'application de la règle de l'unanimité pour les principales décisions.

La phase intérimaire sera conduite, sous la responsabilité du Haut représentant, par une équipe composée d'experts nationaux détachés et de fonctionnaires des institutions de l'Union. Cette équipe devra présenter, en principe pour la fin avril, des propositions précises sur les structures et l'organisation de l'Agence, les méthodes de travail, les relations extérieures, le projet de programme opérationnel dans les quatre grands domaines d'activité de l'Agence, le projet de texte pour l'action commune créant l'Agence, ainsi que la « feuille de route » pour la mise en place définitive.

* *

*

L'Agence de l'Armement de l'Union va-t-elle se révéler plus efficace que les initiatives précédentes, ou va-t-elle ajouter une structure bureaucratique de plus à un domaine qui n'en manque pas ? On ne peut naturellement répondre à cette question aujourd'hui. Ce dont on ne peut douter, c'est de l'importance de cette question pour la construction européenne. Sans une coopération efficace en matière d'armement, on ne peut espérer rendre crédible l'idée d'une Europe de la défense, elle-même indispensable à une affirmation pleine et entière de l'Union sur la scène internationale. Tout le problème sera de parvenir à surmonter les différences d'approche qui subsistent entre les États. Les pays européens qui ont aujourd'hui une industrie d'armement significative sont naturellement très attachés au maintien d'une base industrielle européenne forte. D'autres États souhaitent avant tout une ouverture maximale des marchés, de manière à pouvoir choisir uniquement sur un critère de prix : or, les matériels américains, qui bénéficient d'investissements déjà largement amortis sur le marché domestique, se trouvent avantagés par une telle approche.

Il est donc important que l'Agence ne se borne pas à définir des besoins, mais qu'elle favorise aussi les acquisitions communes pour y répondre. En même temps, nous devons être conscients qu'un soutien artificiel à des entreprises qui n'offriraient pas des technologies de même valeur que les technologies américaines empêcherait l'Europe de réduire le fossé qui la sépare des États-Unis. Amplifier l'effort de recherche doit donc être une des grandes tâches de l'Agence.

Compte rendu sommaire du débat

M. Armand De Decker :

Vous avez évoqué l'article 296 du traité : c'est un problème de fond que j'ai déjà évoqué lors de mon audition devant vous ce matin. Je souhaite que le champ d'application de cet article soit beaucoup plus limité qu'aujourd'hui.

Vous avez également évoqué les tentatives précédentes et notamment l'OCCAR qui traduit déjà l'idée d'une coopération à plusieurs. Tout ceci m'incite à dire que nous aurions intérêt à méditer le projet de la CED. Le « plan Pleven » était trop en avance, mais il était génial dans son principe, parce qu'il associait l'intergouvernemental et le supranational. Le projet allait loin dans la supranationalité, puisque la division était la formation la plus grande restant de nature nationale, de sorte que toute armée était multinationale. Il faut rappeler que nous disposions alors d'effectifs gigantesques, par exemple 300 000 hommes pour la seule Belgique. Le plan prévoyait une gestion supranationale en matière de recherche, d'industrie, d'acquisition d'armements, avec un commissariat européen indépendant qui est d'ailleurs une des sources de l'actuelle Commission européenne. En revanche, tout ce qui était opérationnel relevait d'une approche intergouvernementale.

Pour que la nouvelle Agence soit efficace, il faudra remettre en question l'article 296 du traité, sauf pour les armes stratégiques. Bien sûr, des intérêts industriels, relayés par les directeurs nationaux de l'armement, s'y opposeront. Mais je crois que, en recherchant une source d'inspiration du côté de la CED, on trouverait bien des enseignements utiles.

M. André Dulait :

Il faudrait également mettre en perspective les aspects concernant les exportations, la recherche, et reconnaître le rôle spécifique des ministres de la défense.

M. Didier Boulaud :

J'espère que nous n'aurons pas à regretter l'échec de la CED. Quand l'Europe de l'armement progresse, c'est l'Europe de la défense qui avance. Mais n'est-il pas trop tard ? La parité trop élevée de l'euro va nous empêcher de rattraper notre retard. Nous payons en quelque sorte l'effort de défense américain par le handicap que constitue notre monnaie trop forte vis-à-vis de concurrents américains redoutables, qui sont d'ailleurs en train de prendre pied dans les entreprises européennes, comme le montre l'entrée de General Electric dans le capital de la SNECMA.

M. Xavier de Villepin :

Il est évident que, avec des dépenses proches de 400 milliards de dollars, l'effort de défense américain est sans rapport avec celui de l'Europe, qui est de 150 milliards d'euros. Faut-il pour autant céder au pessimisme ? Des réalisations comme l'A-400M ou Galileo montrent que les Européens peuvent progresser lorsqu'ils s'engagent vraiment. Inversement, les pays européens qui se sont associés au « Joint Strike Fighter » (JSF) constatent aujourd'hui une dérive des coûts.

L'avance américaine est indéniable. Mais, si les Européens ont la volonté de s'organiser, ils peuvent parvenir à des résultats significatifs. Des entreprises comme EADS et Thalès inspirent confiance. Et le succès d'AIRBUS, dans un autre domaine, est un signe d'espoir.

M. André Dulait :

La semaine dernière, Henry Kissinger nous disait, ici même, que l'Europe se construirait pour elle-même, et non contre les États-Unis.

M. Lucien Lanier :

Je crois souhaitable de privilégier la complémentarité avec les États-Unis. Il nous faut avant tout veiller ensemble à ne pas être en retard d'un conflit. Les États-Unis luttent aujourd'hui contre un terrorisme qui n'utilise pas un armement moderne. Pourrons-nous faire face à ce phénomène par des promesses technologiques ?

Mme Danielle Bidard-Reydet :

Je souhaiterais faire une remarque générale. On veut mettre en place des structures européennes de sécurité et de défense, et c'est sans doute souhaitable. Mais cet effort devrait être complété par une autre préoccupation, celle d'agir sur les causes des conflits. On voit aujourd'hui certains résultats de l'action européenne, dans le cas de l'Iran, avec l'acceptation d'une collaboration avec l'AIEA. Les relations entre l'Inde et le Pakistan vont peut-être évoluer dans un sens positif. Je ne crois pas que l'accentuation de l'effort de défense soit la solution aux problèmes d'aujourd'hui.


Communication de M. Hubert Haenel sur le financement des coûts communs des opérations de l'Union européenne ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense
(programme Athena - E 2412)

Conformément à l'article 28 du traité sur l'Union européenne, les opérations de l'Union ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense sont financées par les États membres, en dehors du budget communautaire. Les premières opérations conduites en Macédoine et au Congo ont fait apparaître l'intérêt qu'il y aurait pour l'Union à disposer d'un mécanisme permanent de financement pour les coûts communs liés à ces opérations. La proposition E 2412 a pour objet de fixer les modalités de fonctionnement d'un tel mécanisme, baptisé Athena.

Les responsables sont nommés par le Secrétaire général du Conseil. Ils agissent sous le contrôle et conformément aux décisions d'un comité spécial composé d'un représentant de chaque État membre susceptible de participer à une opération militaire de l'Union (c'est-à-dire tous les États membres sauf le Danemark). Lorsqu'il délibère sur le financement des coûts communs d'une opération déterminée, le comité spécial est composé des représentants des seuls États membres participant à cette opération.

Le document E 2412 énumère la liste des dépenses pouvant faire partie des coûts communs. Le projet de budget est arrêté par le comité spécial. La répartition des contributions entre les États membres s'effectue en fonction du Produit national brut, conformément à l'article 28 du traité sur l'Union européenne. La reddition des comptes s'effectue devant le comité spécial.

La France fait partie des pays qui demandaient la mise en place d'un tel mécanisme. Les grandes lignes de la proposition n'appellent pas d'objection.

Il m'a paru utile d'évoquer ce sujet au cours de notre réunion consacrée à la politique européenne de défense, mais il ne me semble pas nécessaire que le Sénat intervienne davantage sur ce texte.

Il a été décidé de ne pas intervenir plus avant sur le texte E 2412.




1 Cette réunion s'est tenue en commun avec la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et les sénateurs membres de la délégation française à l'Assemblée de l'UEO.