Les réunions de la délégation du Sénat pour l'Union européenne

15 juin 2000 (à 11 h et à 15 h)


Justice et affaires intérieures

Audition de M. Antonio Vitorino, commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures


Transports

Audition de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement, sur le programme de la présidence française de l'Union en matière de transports


Justice et affaires intérieures

Audition de M. Antonio Vitorino, commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures

Compte rendu sommaire

M. Hubert Haenel :

Je suis particulièrement heureux d'accueillir aujourd'hui, devant notre délégation, le commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures (JAI), M. Antonio Vitorino.

M. Vitorino, de nationalité portugaise, est un juriste confirmé, qui a exercé les fonctions d'avocat, de professeur de droit puis de juge au tribunal constitutionnel du Portugal.

Il mène également une carrière politique de premier plan : il a été élu cinq fois député à l'Assemblée de la République du Portugal ; il a été membre de trois gouvernements dont une fois en qualité de vice-Premier ministre ; enfin, il a été élu parlementaire européen en 1994 et il a présidé la Commission des Libertés publiques et des Affaires intérieures du Parlement européen.

Commissaire européen en charge de la Justice et des Affaires Intérieures dans l'actuelle Commission, M. Antonio Vitorino intervient à ce titre dans des domaines très sensibles, qui sont au coeur des préoccupations des citoyens et touchent à la souveraineté des Etats.

M. Vitorino est également le représentant du Président de la Commission au sein de la convention chargée d'élaborer une charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

C'est donc à ce double titre que nous souhaiterions vous entendre sur ces sujets nous tenant particulièrement à coeur et dont nous débattons régulièrement au sein de notre délégation.

La justice et la sécurité se sont désormais imposées comme des chantiers prioritaires de la construction européenne.

Plusieurs affaires ont récemment souligné les imperfections judiciaires de l'Europe : le problème de la garde des enfants binationaux en cas de divorce, entre la France et l'Allemagne ou, plus récemment encore, entre votre pays et le nôtre, " l'Affaire Rezala ". Cette affaire a soulevé une grande émotion en France, alors même que le tribunal de Relaçao de Lisbonne a donné droit, le 14 mars dernier, à la demande d'extradition formulée par les autorités françaises.

Le Conseil européen de Tampere a défini des orientations et des priorités politiques dans les " trois corbeilles " que sont la mise en place d'un espace judiciaire, la politique d'immigration et d'asile, la lutte contre le crime organisé.

A la demande du Conseil, la Commission a élaboré, le 24 mars dernier, un document intitulé " Tableau de bord pour l'établissement d'un Espace de liberté, de sécurité et de justice " qui récapitule les mesures à prendre et qui permet, à la fois, de maintenir la dynamique engendrée par le Conseil européen de Tampere et de garantir la transparence pour les citoyens.

Nous souhaiterions, Monsieur le Commissaire, que vous dressiez un état des lieux, à la veille de la présidence française, des réalisations présentes et à venir en ces matières.

Plus particulièrement, nous souhaiterions connaître votre sentiment sur la " bonne marche " de cette dynamique. Il semble en effet, mais ce n'est peut-être qu'une impression, que l'Europe de la Justice prenne du retard sur l'Europe de la sécurité.

Eurojust reste encore pour nous un simple concept. Pouvez-vous nous dire ce que recouvre cette idée. Ce qu'elle peut recouvrir dans un avenir proche. Et ce qu'elle peut devenir à plus long terme.

Enfin, une question intéresse particulièrement notre délégation : lors du dernier Conseil Justice/Affaires intérieures, les représentants des Quinze devaient débattre de la manière d'assurer une meilleure information des Parlements nationaux sur les matières relevant de la Justice et des Affaires intérieures. Aucun débat n'a finalement eu lieu sur ce point, mais peut-être pourriez-vous nous donner votre sentiment à ce sujet.

La rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne soulève, elle aussi, son lot d'interrogations. Vous occupez dans l'enceinte rédactionnelle, une place particulière, celle de représentant de la Commission européenne.

Je souhaiterais que vous nous faisiez part de votre conception quant au contenu de la future Charte, notamment sur l'introduction de droits économiques et sociaux, de votre position s'agissant de sa portée juridique, et sur son articulation avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. Antonio Vitorino :

Dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, on a assisté à quelques événements importants ces derniers temps. D'abord, l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam qui a défini le cadre juridique général dans les domaines de la JAI. Ensuite, le Conseil européen de Tampere qui a donné l'impulsion politique indispensable et a défini une stratégie pour achever le projet dans les délais fixés par le traité d'Amsterdam lui-même.

Rappelons-nous qu'on avait craint d'un Conseil européen uniquement consacré aux questions de justice et de sécurité qu'il ne débouche sur des conclusions répressives, oubliant les dimensions de liberté et d'accès à la justice. Je pense que, au contraire, les conclusions de Tampere ont dégagé un équilibre entre les trois composantes que sont : la liberté de circulation des personnes et les politiques sur l'asile et l'immigration ; la lutte contre la criminalité organisée et l'immigration clandestine et les trafiquants ; enfin la construction d'un espace judiciaire européen qui rejoint les préoccupations de la vie quotidienne des citoyens et des entreprises européennes.

Ce projet touche au coeur de la souveraineté et aux compétences régaliennes des Etats. C'est pourquoi il me semble qu'il faut être prudent et tirer les leçons de ce qui s'est passé entre Maastricht et Amsterdam. Dans sa composante essentielle, le projet JAI du traité de Maastricht était de nature intergouvernementale ; les chefs d'Etat et de gouvernement ont reconnu à Amsterdam qu'il devait y avoir une dimension communautaire dans ce projet pour lui donner le dynamisme nécessaire ; c'est pourquoi l'on a intégré dans le premier pilier communautaire les politiques de l'asile et de l'immigration, en gardant dans le troisième pilier intergouvernemental la coopération policière et la coopération judiciaire pénale.

En tout état de cause, qu'il s'agisse du premier ou du troisième pilier, on doit prendre en compte la notion de subsidiarité. Il faut être très conscient qu'il y a des politiques en la matière qui sont mieux menées au niveau national qu'au niveau européen ; le niveau européen ne doit intervenir que si on est convaincu de la valeur ajoutée apportée par l'Europe aux politiques nationales. On touche, surtout sur les questions de l'asile et de l'immigration, à des questions qui sont d'une extrême sensibilité dans les opinions publiques, et dans la vie politique interne des Etats membres. Le dernier sondage de l'eurobaromètre montre que, après le chômage, la sécurité est la seconde préoccupation des citoyens. Ce sont les questions de la lutte contre la criminalité, du maintien de la paix sociale dans les villes et les campagnes, de l'intégration des étrangers, de la lutte contre la xénophobie et le racisme, de la préservation du modèle social européen et de la coexistence entre des citoyens d'origines ethniques et culturelles différentes.

La Commission a engagé son travail en dressant un tableau de bord qui doit remplir trois objectifs.

Etablir tout d'abord une liste aussi exhaustive que possible des tâches législatives, administratives ou de coopération étroite entre la Commission et les Etats membres qui sont nécessaires pour réaliser cet espace de liberté, de sécurité et de justice avant 2004, tel qu'il avait été précisé par le traité d'Amsterdam et le plan d'action de Vienne de décembre 1998. Il s'agit de réussir, grâce à ce tableau, une plus grande transparence sur les actions engagées par la Commission et le Conseil au bénéfice des parlements nationaux et des citoyens et de décrire l'éventail aussi complet que possible des instruments qui peuvent être adoptés au niveau européen parce qu'ils apportent une valeur ajoutée par rapport aux instruments nationaux.

Le tableau de bord permet également de faire apparaître la responsabilités des institutions pendant la période transitoire où la Commission n'a pas le monopole de la proposition dans ce domaine, l'initiative législative étant partagée avec les Etats membres et l'expertise -surtout en matière de coopération policière et judiciaire- étant surtout du ressort des administrations nationales. La Commission a pris en charge les tâches qui lui ont été assignées par le Conseil européen de Tampere et un accord a été recherché avec les Etats membres pour savoir sur quels sujets ils souhaitaient des initiatives coordonnées avec la Commission.

Le troisième objectif du tableau de bord est enfin de faire apparaître les éventuels blocages par rapport aux échéances fixées dans le plan d'action de Vienne et dans les conclusions du Conseil de Tampere.

S'agissant du débat sur les parlements nationaux qui a eu lieu au Conseil le 29 mai dernier, ce n'était pas un point de l'ordre du jour, mais un échange au cours du déjeuner demandé à l'initiative du gouvernement néerlandais. Il s'agit de l'organisation des méthodes de décision au niveau du Conseil pour avoir les propositions de décisions en temps utile afin que les parlements nationaux puissent être consultés. Les problèmes résultent en réalité des contraintes de traduction sur des textes qui doivent, de par leur technicité et les précisions qu'ils requièrent, être révisés par des juristes-linguistes en onze langues. La question ne se pose pas d'ailleurs spécifiquement pour les matières JAI, mais d'une manière générale pour l'ensemble des questions traitées par le Conseil. C'est pourquoi il ne me semble pas souhaitable d'adopter une formule spéciale pour les seules matières JAI.

Une seconde question porte sur la participation spéciale des parlements nationaux dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Le protocole annexé au traité d'Amsterdam fournit déjà une idée sur l'importance de la mobilisation des parlements nationaux pour les débats en matière de justice et de sécurité intérieure. Je crois d'ailleurs savoir qu'il est dans les intentions de la présidence française de dynamiser la COSAC comme instrument de débat sur les questions de justice et d'affaires intérieures. C'est un point important car les rapports entre le Parlement européen et les parlements nationaux n'étant pas toujours faciles, la COSAC pourrait être une enceinte pour ce dialogue entre les parlements nationaux, le Parlement européen et la Commission elle-même.

Concernant la Charte des droits fondamentaux, il faut être très pragmatique et très réaliste. A l'origine, le Conseil européen de Cologne a donné mandat à une enceinte, devenue Convention, dont la composition est originale, d'élaborer une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Mais cette enceinte délibérante n'a pas de responsabilité politique pour définir des options sur les questions plus sensibles, telles que la portée juridique et la force contraignante de la Charte ou l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Le Conseil européen n'a malheureusement pas fourni d'indications en la matière. La Charte pourrait être soit contraignante, soit simplement déclaratoire, soit proclamatoire dans un premier temps, mais ayant vocation à devenir contraignante.

La Convention a essayé d'élaborer un texte rigoureux sous l'angle juridique, facilement lisible par les citoyens, mais aussi capable d'être intégré, le moment venu, dans les traités avec une force juridique contraignante. La Commission est en faveur de l'inscription de droits civils et politiques au plus proche de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette approche est surtout dictée par le souci d'éviter des conflits d'interprétation avec la Convention européenne des droits de l'homme si la Charte devait avoir une valeur contraignante.

Concernant les droits spécifiques des citoyens européens, on trouve comme nouveautés le droit à fonder un parti politique, le droit à voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable au niveau des organes et des institutions de l'Union. Pour ce qui est des droits de la " post-modernité ", on trouve notamment les droits de la bioéthique et de la manipulation génétique et la question de la protection des données au regard de la société de l'information, autant de droits nouveaux par rapport à la Convention européenne des droits de l'homme, mais qui ont déjà été abordés dans des textes communautaires. Le droit à la protection de l'environnement découle également de l'acquis communautaire dans la matière.

Sur les droits économiques et sociaux, l'approche que la Convention est en train de définir consiste à reprendre dans la Charte le noyau dur des politiques économiques et sociales européennes dans sa projection sur les droits des citoyens : droit à la propriété, droits sociaux qui, d'une façon ou d'une autre, sont déjà présents dans les politiques sociales de l'Union. Le mandat de Cologne est précis sur la sélection des droits subjectifs concernés. Le principe de subsidiarité trouve toute sa place dans la mise en oeuvre de ces droits du fait de la diversité des modèles de régulation sociale existants dans les Etats membres. Dans certains pays, la loi est l'instrument essentiel de la concertation et de la régulation sociales ; mais dans d'autres pays, la loi joue un rôle mineur dans ce domaine au profit de la concertation et de la négociation.

Dans mon domaine, l'idée essentielle est que, lorsque les institutions européennes adopteront des décisions-cadres dans le domaine de la coopération policière ou judiciaire, elles aborderont la législation ou la procédure pénale. Il faut donc disposer, pour l'adoption de ces règles par les institutions européennes et pour leur transposition dans le cadre national, de principes contraignants en matière de garantie des droits des citoyens. En ma qualité de juriste, je sais qu'il faut des principes de référence très clairs quand on touche aux libertés des citoyens ou qu'on arrête des décisions de nature pénale au niveau européen. En outre, je pense que la Charte doit avoir une valeur intrinsèque pour les pays candidats à l'adhésion.

Enfin, le débat sur l'Autriche conduit à fournir une référence essentielle en relation avec la définition des droits fondamentaux pour l'application de l'article 7 du traité sur l'Union européenne. Je constate d'ailleurs que la Commission est maintenant de plus en plus fréquemment saisie de demandes portant sur le respect des droits fondamentaux, par exemple en matière de retard des procédures pénales en Italie ou d'expulsions collectives en Allemagne. Le discours sur le respect des droits de l'homme conçu comme une ligne directrice de la politique étrangère de l'Union implique une stricte observation de ceux-ci dans les Etats membres, mais aussi dans les organes et les institutions de l'Union européenne.

M. Pierre Fauchon :

Je voudrais attirer votre attention sur une idée à laquelle notre délégation a bien voulu attacher une certaine importance. L'idée est qu'il ne suffit pas de parler de droits fondamentaux des citoyens européens, mais qu'il faut aussi engager une réflexion sur les devoirs et les responsabilités des citoyens. Toute démocratie ne repose-t-elle pas sur un contrat social où les devoirs et les obligations sont équilibrées ? Sans doute cette remarque ne vaut-elle pas pour les droits fondamentaux de la personne tels qu'on les entendait au XVIIIème siècle -droit à la liberté, à la libre pensée, à l'expression, de circuler...- qui sont des droits absolus qui procèdent de la dignité humaine. Mais pour les droits économiques et sociaux, qui sont d'une toute autre nature, car le citoyen se place alors en créancier de la société -droit au logement, au travail, à une rémunération, à l'éducation...- les citoyens doivent être responsables de leurs droits. L'exemple de l'environnement en fournit un bon exemple : la puissance publique y a des devoirs, mais les citoyens aussi. Les premiers droits ont été arrachés à des régimes monarchiques ; maintenant les droits européens ne sont arrachés à personne ; ils se créent dans le cadre de la construction européenne. Je serais heureux que vous puissiez prendre cette idée en considération.

M. Antonio Vitorino :

Je rencontre une difficulté conceptuelle à rédiger une clause générale de devoirs. Je m'y suis essayé à trois reprises à l'occasion de la révision de la constitution du Portugal, mais je me suis heurté à la difficulté d'insérer dans une clause unique des devoirs diffus ou collectifs qui s'opposeraient à des droit subjectifs. Je pense en revanche qu'on pourrait inclure une référence globale de responsabilité et de devoirs dans le préambule de la Charte.

M. Paul Masson :

Je suis convaincu que vous avez, au sein de la Commission, une des charges les plus difficiles et les plus périlleuses et je constate que vous êtes parfaitement à même de comprendre la lourdeur de cette charge et sa subtilité. A mon sens, ce sujet ne supporte pas la division ; tout se tient entre la liberté, la justice et la sécurité. Vouloir à cet égard segmenter le domaine pour des raisons administratives ou par habitude, c'est aller à l'encontre du traitement et de la maîtrise d'un problème qui ne peut être abordé que globalement. Il n'y aura de valeur ajoutée de l'Europe, selon votre expression, dans ce domaine qui touche la liberté de chaque citoyen dans le quotidien qu'en fonction du sentiment de sécurité ressenti par chacun sur son lieu de travail, son lieu d'habitation ou dans son moyen de transport. C'est un pari prodigieux où vous devez maîtriser à la fois l'infiniment grand, selon le pari de Pascal, et aller considérer l'importance de l'infiniment petit. Ce pari ne peut s'analyser que dans la mesure où se créera une doctrine qui soit une doctrine européenne.

Quelle est la question fondamentales que doit se poser l'Europe à terme de vingt ou trente ans ? C'est celle de savoir si elle sera ou non une terre d'immigration. L'Italie ne s'imaginait pas il y a quelques années devenir une terre d'immigration, comme le Portugal qui de tout temps était un pays d'émigration, mais devient progressivement un pays d'immigration. Si la réponse est positive, alors il faut concevoir une politique d'immigration qui doit se développer en prenant en compte tous les facteurs, non seulement l'immigration irrégulière, mais aussi l'immigration régulière avec une politique des quotas et la définition des conditions d'intégration. Un Conseil européen pourra-t-il reconnaître un jour que l'Europe est une terre d'immigration ? Dans ce cas, cette politique conduira à une vision globale avec une harmonisation des juridictions qui règlent la matière et la mise en place d'un système qui ne peut pas seulement poser les grands principes, mais qui doit aussi permettre une application pratique, toute d'exécution. Cette politique commune de l'immigration implique ainsi l'existence, d'une part, d'un concept général - corps législatif nécessaire pour les juges et les arbitres - et, d'autre part, d'une politique rapprochée marquée par la subsidiarité, et déléguée par l'Europe.

A cet égard, je voudrais vous interroger sur quelques points concrets.

D'abord, comment s'effectue l'intégration des acquis Schengen dans la direction générale JAI ? Ensuite, a-t-on bien mesuré, en procédant à l'élargissement de l'Union, que les Etats candidats auront la responsabilité de nos frontières communes ; disposent-ils des moyens et de l'état d'esprit correspondants ?

Par ailleurs, si le concept global d'une politique d'immigration est perçu et praticable, pourquoi s'engager dès maintenant dans le détail et présenter tout de suite une proposition de directive sur un segment de la politique d'immigration qui est le regroupement familial ? Pourquoi avoir choisi le regroupement familial, plutôt que l'asile ou les conventions bilatérales ; était-ce simplement parce que le dossier était prêt ? Ou pour montrer que la nouvelle direction générale existe et fait quelque chose ? Ou une volonté délibérée de commencer la politique d'immigration par le regroupement familial ? En résumé, y a-t-il une doctrine ou simplement une opportunité ?

M. Antonio Vitorino :

Je partage comme vous le sentiment que ce domaine est très difficile et qu'il faut une certaine passion pour le traiter. Je suis conscient des difficultés et surtout des limites de notre action. Il ne faut pas créer des attentes chez les citoyens que nous ne pourrons pas tenir. Nous savons le temps qu'il faut pour changer des politiques en matière d'immigration et toute la sensibilité de l'opinion publique sur ces sujets. Je partage avec vous l'idée que les trois composantes ne peuvent pas être séparées. La liberté n'a pas de sens sans sécurité et la sécurité doit respecter les règles fondamentales d'une communauté de droit avec un rôle essentiel pour les tribunaux.

Le débat est là où vous l'avez situé. Nous connaissons tous l'étude de l'Organisation des Nations Unies qui dresse un panorama des besoins futurs de l'Europe en matière de main-d'oeuvre. Mais c'est un travail technique et bureaucratique qui ne prend pas en compte la capacité d'intégration des immigrants par nos pays. Je partage votre avis sur le fait que nous sommes dans le domaine de la micro-politique ; l'intégration n'est pas seulement une question nationale ; c'est surtout une question locale ou régionale. On ne peut imaginer qu'une politique européenne de l'immigration remplace les décisions de micro-politique. Il ne peut en aucune manière être envisagé de gérer de manière centralisée les flux migratoires en Europe. Le critère de l'intégration des immigrants ne peut être apprécié que par les autorités nationales ou locales, en fonction de la subsidiarité.

Cependant, il y a des critères communs que nous devons partager en matière d'immigration. Dans un espace sans frontières intérieures, qui est sous pression à l'intérieur de ses frontières extérieures communes, il est extrêmement difficile aux Etats-membres de conduire une politique de l'immigration qui soit séparée de la politique de l'immigration poursuivie par les autres Etats-membres. C'est l'échec, non seulement pour celui qui veut poursuivre une politique séparée, mais c'est aussi l'échec pour l'ensemble des Etats-membres. C'est pourquoi je suis en faveur de critères communs. La Commission est en train de préparer pour l'automne une révision de sa communication de 1994 sur l'immigration tenant compte du vieillissement démographique des populations européennes. Ce vieillissement va avoir des conséquences majeures sur la structure de nos sociétés et le fonctionnement de l'Etat-providence qui est précisément en crise du fait de l'évolution démographique. D'autres questions apparaissent que les Etats-Unis ont abordées il y a déjà une quinzaine d'années, comme l'immigration sélective ou l'immigration des experts de la société de l'information. Les Etats et l'Union doivent dire quelle politique d'immigration ils veulent, compte tenu du fait que la thèse de " l'immigration zéro " n'est pas crédible et n'a été appliquée avec efficacité par aucun Etat-membre et du fait que le retour au modèle d'immigration des années soixante n'est pas plus réaliste en raison de la sensibilité nouvelle de l'opinion publique sur ces questions.

A titre personnel, je pense que l'Europe va de plus en plus devenir une société multi-ethnique et pluri-culturelle. C'est le grand débat que le président de la République fédérale d'Allemagne, M. Johannes Rau, a abordé à Berlin en soulignant qu'il faut aborder la différence, combattre le racisme et la xénophobie, mais qu'il faut aussi que les immigrants respectent un certain nombre de principes et de valeurs qui sont les valeurs et les principes identitaires de notre vie commune. Ils s'agit certainement des valeurs qui définissent les droits fondamentaux et des modèles d'organisation sociale et politique comme la démocratie, le droit de vote etc.

Concernant l'acquis Schengen, je suis d'accord avec vous que l'élargissement pose un défi pour l'application des règles spécifiques en matière de contrôle des frontières extérieures. L'intégration de l'acquis Schengen ne donne pas à la Commission un rôle particulièrement important et relève beaucoup plus de la responsabilité du Conseil et d'une dynamique intergouvernementale. Il faudra revoir l'acquis Schengen dans le cadre communautaire, mais cela prendra du temps. Je compte prendre quelques initiatives, notamment en matière de rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Les pays candidats qui n'ont pas de dérogations en la matière, doivent accepter l'acquis Schengen. La levée des contrôles n'est cependant pas automatique ; elle dépend aussi de la vérification préalable des conditions de mise en oeuvre des dispositions de Schengen. Le jour d'entrée dans l'Union ne signifie pas obligatoirement l'abolition des contrôles de personnes. Il peut y avoir une période transitoire dont on ne connaît pas a priori la durée. Plusieurs programmes PHARE sont actuellement en cours pour renforcer l'équipement et la formation des gardes-frontières de ces pays. Les situations sont très diverses selon les pays candidats, mais le message doit être clair pour nos citoyens : l'élargissement doit se réaliser avec la garantie de la sécurité. Le message doit aussi être clair pour les pays candidats : ils doivent s'engager très sérieusement dans l'amélioration des contrôles aux frontières extérieures et de la qualité des documents de voyage, dans la lutte contre la contrefaçon des documents de voyage et contre les réseaux de traite des êtres humains et d'immigration clandestine.

M. Aymeri de Montesquiou :

Vous avez évoqué le réalisme et le pragmatisme dans les matières de justice et d'affaires intérieures. A propos de l'affaire Rezala, les Français auraient ressenti avec beaucoup d'amertume le fait que cet homme, sur lequel pèsent un certain nombre d'indices quant à sa culpabilité, ne soit pas jugé en France. Ils auraient alors considéré que c'était un mauvais coup de l'Europe. Aujourd'hui l'Europe est moins populaire qu'elle ne l'a été ; souvent l'Europe sert de bouc émissaire et il me semble que, pour faire progresser l'idée européenne, il faut appliquer l'extradition automatique d'un présumé coupable vers le pays où il a commis son crime.

M. Antonio Vitorino :

Tampere s'est prononcé en faveur de l'extradition automatique des présumés coupables ; il faudra du temps pour arriver à cet objectif parce que l'extradition dépend de la confiance mutuelle dans les sytèmes juridiques et judiciaires et parce que les systèmes judiciaires nationaux doivent converger. Le dosage entre la reconnaissance mutuelle et l'harmonisation des systèmes judiciaires est un exercice difficile, qui dépendra des matières abordées. Le problème porte notamment sur les questions de la double incrimination, de l'extraterritorialité du droit pénal, de l'évaluation des preuves. Ne soyons pas trop ambitieux au début. Sur l'extradition, sans un système simplifié, il sera impossible de faire comprendre à l'opinion que les criminels ne peuvent profiter de sanctuaires dans l'Union européenne, que ce soit pour les meurtres ou pour la criminalité financière.

M. Aymeri de Montesquiou :

Mais l'harmonisation pénale n'existe pas aux Etats-Unis !

M. Antonio Vitorino :

L'harmonisation pénale n'est peut-être pas nécessaire sur le plan national, mais harmoniser les incriminations et les sanctions pénales pour un certain nombre d'activités criminelles transnationales qui ont été identifiées par le Conseil de Tampere -comme la traite des êtres humains, le trafic de drogue, les crimes contre les enfants y compris la pédopornographie par internet, le blanchiment de l'argent et la criminalité financière, le terrorisme, le cybercrime et le crime environnemental- , c'est déjà une harmonisation de la procédure et des règles pénales. Mais, pour que ce système puisse fonctionner, il faut également un minimum d'harmonisation de règles de procédures complémentaires, comme par exemple le régime des preuves. Cela prendra beaucoup de temps, mais il faut s'engager dans cette voie.

M. Xavier de Villepin :

Tout le monde dit que le pays qui s'oppose le plus à la Charte est le Royaume-Uni. Comment expliquez-vous que ce grand pays démocratique y soit aussi opposé ? Par ailleurs, la Commission a-t-elle un avis sur la question des enfants de couples binationaux divorcés ?

M. Antonio Vitorino :

On ne peut pas dire à l'heure qu'il est que le Royaume-Uni est contre la Charte. La question n'a pas encore été évoquée par le Premier ministre britannique. Mais il est vrai que le représentant du gouvernement britannique dans la Convention a une conception de la Charte qui aurait deux conséquences négatives. La première serait d'empêcher que la Charte puisse avoir une valeur contraignante. La seconde, que la Charte ne puisse avoir d'existence autonome par rapport à la Convention européenne des droits de l'homme. J'ai exprimé publiquement mes divergences de vue par rapport à cette conception de la Charte, qui doit, le moment venu, pouvoir devenir, en tant que telle, un instrument juridique contraignant. La procédure proposée par le représentant du gouvernement britannique, même si elle peut se comprendre en raison de la spécificité de l'adhésion de la Grande-Bretagne à la Convention européenne des droits de l'homme, présenterait à mes yeux le double inconvénient de ne pas préserver l'autonomie de droit communautaire et d'exclure, a priori, toute possibilité de donner à l'avenir une force contraignante à la Charte. Il faut déployer tous les efforts pour parvenir à une solution consensuelle, parce qu'il s'agit de notre patrimoine commun.

M. Robert Badinter :

Y a-t-il dans les discussions de la Convention un accord pour la reconnaissance du droit collectif des minorités ?

M. Antonio Vitorino :

Concernant la protection du droit des minorités, la question est celle des règles de non-discrimination. Mais ouvrir la porte aux droits collectifs des minorités conduirait à traiter sur le même pied d'autres questions comme les langues nationales. Pour l'instant, la Convention, qui est saisie d'amendements, n'a pas encore tranché le débat.

M. Hubert Haenel :

Dans quel délai pensez-vous que la Commission déposera une contribution écrite sur la Charte ?

M. Antonio Vitorino :

La Commission organisera un séminaire sur la Charte dans le courant du mois de juillet et la contribution formelle sera disponible début septembre.

Concernant les enfants de couples divorcés binationaux, un premier pas en avant a eu lieu avec l'adoption de la Convention de Bruxelles II. Mais je suis favorable à l'idée d'aller plus loin. Je souhaite que la solution franco-allemande puisse être l'avant-garde d'une solution qui pourrait être généralisée au plan européen. Il s'agit d'un exemple concret de la valeur ajoutée de l'Europe en matière judiciaire et à la vie concrète des personnes. La Commission soutiendrait toute initiative que la France pourrait prendre sur cette question.

M. Robert Badinter :

J'attache une très grande importante à la création de la Cour pénale internationale du traité de Rome. Ces jours-ci, on vient d'assister à des manoeuvres aux Etats-Unis pour empêcher la ratification du traité par les Etats signataires. La Commission, à la faveur de la présidence française, va-t-elle favoriser une recommandation, voire une résolution, du Conseil, demandant qu'aucun Etat candidat à l'Union européenne ne puisse être admis s'il n'a pas ratifié le traité de Rome créant la Cour pénale internationale. Tout signe politique sur cette question est déterminant.

M. Antonio Vitorino :

Ce n'est pas une question, mais une suggestion. Ma conviction, déjà exprimée devant le Parlement européen, est telle que je compte soulever ce problème devant le collège des commissaires.

M. Robert Del Picchia :

La Commission a-t-elle l'intention de préparer l'opinion des pays candidats dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ? Ces pays manquent en particulier de juridictions et de juristes, par exemple pour la répression des trafics de drogue.

S'agissant de la simplification de la vie des citoyens européens, on constate de graves lacunes par exemple en matière de cartes de séjour, de permis de conduire, de commissions sur les virements bancaires en euro. Le résultat est que la plupart du temps le citoyen expatrié doit s'adresser à son poste consulaire pour faire appliquer ses droits dans le pays d'accueil et qu'on aboutit ainsi au résultat inverse de celui escompté.

Concernant les articles 6 et 7 du traité et les sanctions appliquées à l'Autriche, n'y a-t-il pas une lacune juridique et une application inappropriée de la procédure par le moyen de sanctions purement bilatérales ? Ne faudrait-il envisager de revoir la procédure de l'article 7 du traité pour que, à l'avenir, il n'y ait plus de contestation pour l'application de sanctions en cas de manquement aux valeurs communes de l'Union ? Le fait que la population autrichienne, y compris la population anti Haider, devienne maintenant anti-européenne, parce qu'elle pense que les sanctions sont des sanctions européennes, me préoccupe. Qu'en pensez-vous ?

M. Antonio Vitorino :

L'acquis en matière de justice et affaires est du type "  roll-on, roll over ", c'est-à-dire que, à la différence des autres chapitres de l'acquis communautaire, qui sont stables et bien connus, l'acquis de la sécurité se bâtit parallèlement aux négociations d'adhésion avec les pays candidats. Nous avons en outre plusieurs programmes avec ces pays pour le renforcement de leur capacité judiciaire, pour la lutte contre les réseaux de trafic de drogue, pour l'intégration dans le réseau d'information de l'Observatoire européen des drogues de Lisbonne. Toutes les décisions que nous prenons en matière JAI seront de toute manière intégrées dans l'acquis communautaire que devront respecter les pays candidats.

Concernant la simplification de la vie des citoyens européens, je partage votre avis et c'est d'ailleurs sur la base d'une enquête de la Commission que des recommandations vont être prises pour diminuer les commissions bancaires sur les virements en euros. Il en va de même pour l'application des règles communautaires en matière de libre circulation des personnes. C'est un droit des citoyens que de s'adresser à la Commission pour lui demander l'ouverture de procédures d'infractions quand ils s'estiment lésés dans leur pays d'accueil.

Sur l'article 7, la politique use parfois d'artifices. Les mesures prises à l'encontre de l'Autriche sont des mesures bilatérales ; il ne s'agit pas d'une décision prise dans le cadre du traité, pas plus sur la base de l'article 6 que de l'article 7. J'essaye, avec mon collègue Michel Barnier, de construire une approche crédible sur les conditions d'application future de ces deux articles. Il faut évidemment un cadre juridique clair plutôt que de recourir à des sanctions bilatérales.

M. Hubert Haenel :

La Charte, si elle proclamée, ne fera pas partie des acquis communautaires. Mais pour les pays candidats, la Charte aura-t-elle une valeur plus que déclaratoire ?

M. Antonio Vitorino :

C'est le Conseil européen de Nice qui se prononcera sur la valeur contraignante ou non de la Charte. Mais une Charte proclamée par la Commission, le Conseil et le Parlement européen, même si elle n'est pas intégrée dans le traité, aura une portée qui ira très au-delà d'une simple rhétorique politique.

*    *   *

A la suite de son audition, M. Vitorino a adressé des informations complémentaires sur la question du regroupement familial à M. Paul Masson en réponse à ses travaux sur le sujet (voir communication et proposition de résolution présentées lors de la réunion du 23 mai 2000).

On trouvera ci-après le texte de la lettre.

" Cher Monsieur le Sénateur,

C'est avec plaisir que j'ai accepté l'invitation du Président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne pour discuter de la création de l'espace de liberté, de sécurité et de justice et, notamment, des questions liées à la Charte des droits fondamentaux, à l'espace judiciaire européen et aux questions touchant à l'immigration.

Parmi les questions liées à l'immigration, j'aurais voulu aborder en détail la proposition de directive sur le droit au regroupement familial, à la lumière de votre Rapport sur la base duquel la Délégation a adopté une proposition de résolution. Lors de notre rencontre du 15 juin, par manque de temps, ce thème n'a pas pu être traité avec l'attention qu'il mérite. Pour cette raison, je souhaite vous faire part par écrit de mes réactions à votre rapport et au projet de résolution.

Au moment même de présenter mon programme d'action dans le domaine de l'immigration, en septembre 1999, j'avais pris l'engagement politique d'entamer et de poursuivre les travaux en matière d'immigration légale et d'exploiter toutes les possibilités qui sont offertes par le Titre IV du Traité établissant la Communauté européenne. Cela comporte de viser toutes les catégories d'admission des ressortissants de pays tiers afin d'opérer un rapprochement des législations nationales relatives aux conditions d'admission et de séjour des ressortissants de pays tiers.

C'est justement à cette tâche que la Commission s'est attelée, sur la base des orientations politiques fixées par les Chefs d'Etats et de gouvernement lors du Conseil européen extraordinaire de Tampere. Les Conclusions de Tampere demandent en effet que l'Union européenne assure un traitement équitable aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire des Etats membres. Dans ces mêmes Conclusions il est souligné qu'une politique plus énergique en matière d'intégration devrait avoir pour ambition d'offrir aux ressortissants de pays tiers des droits et obligations comparables à ceux des citoyens de l'Union européenne.

Je sais que vous vous êtes posé la question de savoir si la Commission a bien fait de commencer le rapprochement des législations nationales en matière d'immigration par le regroupement familial plutôt que par d'autres sujets.

Le choix fait par la Commission repose sur plusieurs considérations factuelles. Il s'agit d'abord du fait que le regroupement familial constitue un thème d'importance primordiale pour l'intégration des ressortissants de pays tiers ; il s'agit ensuite de l'ampleur des textes de droit international qui traitent du regroupement familial ; il s'agit enfin de l'importance en termes quantitatifs des flux d'immigration dus au regroupement familial.

Si la Commission a décidé de commencer par ce sujet c'est également parce que, au fil des années, le Conseil lui a réservé une attention constante. En 1993, une Résolution a été adoptée par les Ministres en charge de l'Immigration. Depuis, des discussions, des échanges de vues, des notes de réflexion se sont succédé pendant les Présidences des Pays-Bas, du Luxembourg et du Royaume-Uni. Ceci témoigne du fait que les Etats membres ressentent l'opportunité d'échanger leurs expériences et de faire des progrès vers un rapprochement dans ce domaine.

La proposition de directive sur le droit au regroupement familial constitue pour la Commission la première proposition en matière d'immigration légale. Elle sera suivie par d'autres initiatives.

A l'automne, la Commission produira une Communication qui traitera de la politique de la Communauté en matière de migrations à la lumière des changements démographiques, de la situation du marché de l'emploi, ainsi que des pressions migratoires des pays et des régions d'origine.

Plus tard, la Commission prendra une initiative sur le statut juridique des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée dans les Etats membres. Une étude a été effectuée et la Commission souhaite également prendre en compte les résultats d'un important séminaire sur l'intégration des ressortissants de pays tiers durablement installés, qui aura lieu sous Présidence française les 5 et 6 octobre prochain.

Pendant le premier semestre 2001, la Commission déposera des propositions législatives dans le domaine de l'admission aux fins d'emploi salarié et d'activité économique indépendante, ainsi qu'aux fins d'études et de formation professionnelle sur le territoire des Etats membres. Dans ces domaines également les services de la Commission ont financé des études qui servent de base pour la réflexion en vue de l'élaboration d'initiatives législatives.

En abordant le sujet du regroupement familial, la Commission était consciente de la sensibilité du sujet, comme d'ailleurs de la sensibilité de tous les dossiers en matière d'asile et d'immigration. Elle a mené des travaux préparatoires basés sur les résultats d'un questionnaire diffusé à toutes les délégations nationales par le Conseil sous Présidence britannique. Le travail préparatoire a été basé également sur des rencontres bilatérales avec les Etats membres, des organisations internationales et des organisations non gouvernementales.

Le résultat est une proposition équilibrée qui reconnaît la spécificité du regroupement familial parmi les autres catégories d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers et qui opère un rapprochement tout en laissant aux Etats membres la possibilité de faire des choix sur certaines questions.

Vous avez manifesté des doutes quant à l'étendue de la notion de famille et vous avez suggéré que seuls les membres de la famille nucléaire puissent bénéficier du droit au regroupement familial.

Concernant le partenaire non marié du même sexe, je dois attirer votre attention sur le fait que leur admission sur base du regroupement familial est déjà une réalité dans un certain nombre d'Etats membres : cette admission est en effet possible aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande, au Danemark et en Belgique. Mais, ce qui me semble encore plus important, c'est que la proposition de la Commission opère dans ce domaine selon le principe de subsidiarité. En effet, l'assimilation des couples non mariés aux couples mariés ne relève pas des compétences communautaires ; la Commission ne souhaite pas entrer dans ce débat. La proposition prévoit que si un Etat membre assimile, dans sa propre législation nationale, la situation des couples non mariés à celle des couples mariés, alors il doit prévoir également le regroupement familial des partenaires non mariés des ressortissants de pays tiers.

La proposition n'ouvre pas de manière exagérée le regroupement familial, car elle prévoit l'admission des partenaires non mariés lorsqu'il s'agit de relations durables. De plus, les règles pour lutter contre les fraudes s'appliquent. Concernant les ascendants et les enfants majeurs à charge, je souhaite souligner que notre proposition prévoit une définition très stricte des catégories des personnes concernées.

Pour les ascendants, sont visées uniquement des personnes qui sont dépendantes du regroupant et qui n'ont pas d'autre soutien dans le pays d'origine ; pour les enfants majeurs, il s'agit uniquement des enfants qui ne peuvent pas subvenir seuls à leurs besoins et cela à cause de leur état de santé. Il n'est donc pas question de permettre le regroupement de tous les enfants majeurs, qui seraient dépendants de leurs parents en raison de leur manque de travail ou du fait qu'ils mènent des études. Ne sont donc concernées que deux catégories de personnes strictement définies et nettement qualifiables de " cas humanitaires ".

Enfin, votre rapport suggère que les parents et les collatéraux des enfants non accompagnés ne soient pas visés par la proposition, car il y aurait un risque que cela favorise la formation de filières d'immigration clandestine spécialisées dans le trafic d'enfants. Or, la proposition ne vise pas le regroupement familial de tous les mineurs non accompagnés qui sont présents sur le territoire des Etats membres à un titre ou à un autre. Elle traite uniquement de la situation des mineurs non accompagnés auxquels un Etat membre aurait déjà accordé le statut de réfugié en vertu de la Convention de Genève ou de ses propres dispositions constitutionnelles. Non seulement il s'agit d'une catégorie étroite, mais, en plus, je souligne que la proposition ne prévoit pas une obligation pour les Etats membres de permettre le regroupement familial dans ce cas. Il s'agit seulement d'une possibilité.

J'espère, avec ces remarques, avoir mieux éclairé la position de la Commission dans ce domaine et certains aspects du contenu de la proposition sur le regroupement familial. J'envoie copie de cette lettre à M. Jacques Larché, Président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et de l'administration générale, car je comprends que cette Commission sera appelée à se prononcer sur la proposition de résolution adoptée par la Délégation pour l'Union européenne.

La discussion de la proposition de directive va continuer sous Présidence française, qui en a fait une de ses priorités. La Commission est prête à coopérer avec la future Présidence pour parvenir à des solutions acceptables par toutes les délégations, car une adoption rapide de ce texte est souhaitable. Toutefois, je suis d'avis que ceci ne devrait pas se faire au prix d'un texte qui se limiterait à énoncer le plus petit dénominateur commun."


Transports

Audition de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement, sur le programme de la présidence française de l'Union en matière de transports

Compte rendu sommaire

M. Hubert Haenel :

Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour évoquer les priorités de la présidence française de l'Union européenne en matière de transports.

Votre audition est particulièrement bienvenue, car elle rejoint une préoccupation majeure de la délégation. Nous ne considérons pas la politique des transports comme une simple " question d'intendance ", mais bien comme un élément tout à fait essentiel de la construction européenne.

En effet, des transports fluides et performants conditionnent le bon fonctionnement du marché intérieur, l'exercice effectif de la liberté de circulation des personnes et, in fine, l'équilibre du territoire de l'Union européenne. C'est donc un domaine où les préoccupations concrètes, qui sont proches des citoyens européens, rejoignent les grands principes de la construction européenne, qui manifestent une communauté d'intérêts entre les Etats membres.

Pour ces raisons, notre délégation a toujours été particulièrement attentive aux questions de transport.

Ainsi, nous avons suivi avec intérêt les différentes étapes de la libéralisation du transport ferroviaire, qui vise à redynamiser ce mode de transport en Europe. La difficulté est d'atteindre cet objectif sans renoncer pour autant aux avantages du service public. Il y a trois semaines, j'ai effectué une mission en Suisse avec nos collègues Maurice Blin et Denis Badré pour étudier les projets helvétiques de ferroutage à travers les Alpes. Je rendrai compte la semaine prochaine à la délégation de ce que nous avons vu à cette occasion, qui nous a paru très impressionnant et tout à fait digne d'être pris en exemple par l'Union européenne.

La question sensible de la sécurité du transport maritime est traitée au Sénat dans le cadre de la mission d'information ad hoc qui a été mise en place suite au naufrage de l'Erika.

Enfin, notre collègue Jacques Oudin travaille actuellement à un rapport d'information sur la politique européenne des transports, dans sa globalité, qu'il devrait nous présenter à la rentrée prochaine.

Les premières analyses de Jacques Oudin sont plutôt alarmantes. L'unification économique de l'Europe s'est accompagnée d'une croissance continue de la demande de transport, qui a explosé dans la période récente avec la réalisation du marché intérieur. Cette dynamique devrait être encore amplifiée par l'élargissement.

Paradoxalement, bien qu'elle ait été prévue dès le début par le traité de Rome, la politique communautaire des transports est restée longtemps en sommeil. Le réveil a eu lieu en 1985, lorsque le Parlement européen a obtenu devant la Cour de Justice des Communautés Européennes la condamnation du Conseil pour défaut d'action dans le domaine des transports.

La Communauté européenne s'est alors engagée dans une politique des transports plus active, mais qui a été essentiellement réglementaire, avec une priorité donnée à la libéralisation.

Cette libéralisation réglementaire n'a pas été accompagnée au même rythme par la politique d'harmonisation. Celle-ci a été assez poussée dans le domaine technique, relativement consensuel, mais est demeurée timide dans les domaines fiscaux et sociaux, où les intérêts des Etats membres sont plus divergents. Il en résulte des distorsions de concurrence de plus en plus gênantes entre les pays et entre les modes de transport.

A côté de cette action réglementaire, l'Union européenne a conduit une réflexion de fond sur la politique des transports, motivée par un souci de rééquilibrage entre les modes de transport. Cette orientation s'est exprimée dans trois directions :

- un encouragement à l'intermodalité, mais qui reste encore embryonnaire face aux obstacles pratiques et financiers ;

- une incitation au transport maritime à courte distance, afin de décongestionner les axes terrestres ;

- une intégration des préoccupations environnementales dans les prix des transports, mais qui reste pour l'instant au stade des études et des voeux pieux.

La plus grande faiblesse de la politique communautaire des transports est relative aux infrastructures. En effet, l'espace européen des transports apparaît encore fragmenté, tandis qu'une part croissante des infrastructures est saturée.

Les réseaux transeuropéens de transport n'apparaissent pas comme une réponse adéquate. Dans leur conception, ils résultent plus de la juxtaposition des schémas de transports nationaux que d'une véritable vision communautaire. Et leur financement reste très difficile : il repose quasi exclusivement sur les ressources budgétaires des Etats membres, dès lors que l'Union européenne n'a pas retenue l'idée avancée par Jacques Delors de recourir à l'emprunt.

L'Union européenne ne peut donc ni décider, car ce n'est pas de sa responsabilité, ni financer un réseau de transport cohérent à l'échelle du continent, car elle n'en a pas les moyens. A défaut, elle s'est contenté d'élaborer une doctrine sur les modalités de financement des infrastructures de transport et d'exercer un contrôle sur les interventions financières des Etats membres dans le secteur des transports.

Telles sont les premières analyses de M. Oudin sur la politique européenne des transports, qu'il compte encore préciser et affiner.

Je vous invite à présent, Monsieur le Ministre, à nous présenter les priorités de la présidence française pour l'Union européenne en matière de transports.

M. Jean-Claude Gayssot :

Dans votre introduction, Monsieur le Président, vous avez posé les thèmes à l'ordre du jour, mais aussi certains autres valables pour l'avenir.

Permettez-moi d'abord une considération générale. Je considère que, s'il y a un domaine où l'Union européenne doit passer à un autre niveau qualitatif, c'est bien la politique des transports. Parce que nous touchons là au droit d'aller et venir, à la liberté de circulation des personnes.

En matière de transports, il y a en Europe un clivage entre les pays périphériques, qui veulent d'abord que " ça passe ", et les pays de transit, qui ont un besoin vital que l'on prenne en compte la contrainte environnementale. De notre capacité à intégrer ces contradictions et à les surmonter dans des compromis dépend la possibilité de faire avancer les choses.

Par ailleurs, avec l'élargissement, nous sommes confrontés à un risque de dumping économique et social dans le secteur des transports. Je crois qu'il nous faut progresser dans l'harmonisation sociale et fiscale, pour maintenir une concurrence loyale et réduire la bureaucratisation. Car on oublie souvent que l'harmonisation européenne contribue aussi à la débureaucratisation, grâce à la simplification des procédures et à la suppression de contrôles redondants.

Actuellement, les exigences en matière de transports ne font que croître, dans tous les secteurs. Je rappellerai simplement que le trafic de fret ferroviaire en France a enregistré une progression de 22 % au cours des derniers mois par rapport à la même période de l'année précédente. La SNCF a besoin d'urgence de 400 locomotives supplémentaires.

Le bon moyen d'avancer est d'intégrer ces problématiques à l'échelle nationale et à l'échelle de l'Union européenne. Mon objectif est de doubler le trafic ferroviaire en France d'ici dix ans, ce qui implique de le quadrupler dans les zones sensibles des Alpes et des Pyrénées. Je crois également que l'on pourrait faire bien mieux dans le secteur du transport fluvial.

En ce qui concerne les priorités de la présidence française en matière de transports, celles-ci sont au nombre de cinq. Je vous les présente dans un ordre qui n'est pas hiérarchique.

1. Transport routier

Le problème le plus urgent est celui de l'harmonisation sociale. Récemment, une tentative d'accord entre le patronat et les syndicats à l'échelle européenne a failli aboutir, mais elle a échoué à cause de l'opposition de quelques Etats membres. La Commission européenne doit présenter une nouvelle proposition. Pour débloquer la situation, je crois qu'il faut accepter les délais de transition demandés par certains pays pour les travailleurs indépendants. Une harmonisation des contrôles et des sanctions devrait accompagner l'accord.

En ce qui concerne la question de la vitesse et de la sécurité, il n'y a pas d'évolution prévisible sur le taux d'alcoolémie. La proposition d'un limiteur de vitesse intégré dans la conception même des véhicules ne progresse pas non plus. Il faut reconnaître que les autres Etats membres ont un bon argument à opposer à la France, dans la mesure où ils ont déjà proportionnellement beaucoup moins de morts sur les routes sans recourir à un dispositif de ce genre. Dans le meilleur des cas, un accord pourrait se faire sur un système de limiteur-avertisseur, qui donnerait l'alarme au conducteur lorsqu'il dépasse la limite de vitesse autorisée.

2 . Transport ferroviaire

Le compromis auquel nous sommes parvenus lors du Conseil transports du 10 décembre dernier sur le " paquet ferroviaire " est très important, et reste à mettre en oeuvre. La France s'est déclarée à cette occasion favorable à l'instauration d'un réseau de fret européen fondé indifféremment sur la libéralisation ou sur la coopération, selon la préférence de chaque Etat membre.

Mais je suis inquiet, parce qu'il semble que le Parlement européen soit tenté de rompre ce compromis, pour aller plus loin dans la voie de la libéralisation. Ma position est très claire : si l'on sort du cadre du compromis, je bloque tout le dossier.

Sur le fond, je suis préoccupé parce que la France est le seul Etat membre qui développe effectivement ses capacités ferroviaires. La SNCF embauchera 25 000 cheminots cette année. Actuellement, tous les Etats membres conviennent qu'il faut développer l'intermodalité et le ferroutage dans les zones sensibles, mais les moyens ne suivent pas.

3. Transport maritime

L'enjeu est de faire en sorte d'obtenir une responsabilisation des acteurs du transport maritime, l'élimination des navires à simple coque d'ici 2008, le renforcement des contrôles des navires par l'Etat du port, la définition de critères d'accréditation pour les sociétés de classification, la lutte contre le dumping social et économique chez les équipages.

Le but est de bannir des eaux européennes tout ce qui est sous-norme. La Commissaire chargée des transports, Mme Loyola de Palacio, est tout à fait favorable à cette évolution. La Grèce résiste encore, en faisant valoir qu'il faut agir au niveau de l'Organisation Maritime Internationale (OMI) et ne rien faire au niveau de l'Union européenne. Ma position est inverse : il faut d'abord agir à l'échelle européenne, tout en faisant parallèlement progresser le dossier au sein de l'OMI.

4. Transport aérien

La France apparaît assez isolée au sein de l'Union. Une majorité d'Etats membres préconise, au nom de la lutte contre les retards des vols aériens, une séparation entre les opérateurs et les régulateurs, sur le modèle du Royaume-Uni. Mais je crains qu'une réforme de ce type, compte tenu des réticences des personnels concernés, aboutisse en fait à un blocage général. En toute hypothèse, il faut respecter la liberté de choix des Etats membres sur ce point, dans le respect du principe de subsidiarité.

Sur le fond, il s'agit surtout d'un problème technique de coopération et d'harmonisation entre les autorités aériennes européennes. Dans l'immédiat, je compte poser la question d'un partage plus adéquat de l'espace aérien entre les utilisateurs civils et militaires.

L'Union envisage de créer une autorité européenne de sécurité aéronautique. Je crois qu'il est également important de faire progresser les droits des passagers, et de lutter contre les nuisances sonores au sein de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI).

4. Le programme Galileo

Il s'agit d'un système européen de gestion des transports par satellites qui sera meilleur technologiquement que le Global Positionning System (GPS) américain, et qui présentera surtout l'avantage de renforcer la souveraineté des Etats membres. Lors de la guerre du Kosovo, les Etats-Unis ont brouillé les communications GPS sur de larges zones en Europe. Il me paraît important que l'Union européenne soit autonome en la matière, sans se priver pour autant de coopérer avec les Américains et les Russes.

La décision doit être prise rapidement. Tous les Etats membres sont d'accord sur le principe. Les discussions portent sur les modalités de financement. Le Royaume-Uni préconise un recours au partenariat public-privé, mais je doute que cette formule soit à la mesure d'un projet de cette ampleur. Toutefois les industriels sont effectivement très intéressés, y compris au-delà de l'Europe. Je pense en particulier aux Japonais.

M. Aymeri de Montesquiou :

Nous sommes heureux de découvrir votre enthousiasme européen, Monsieur le Ministre. J'ai relevé que vous avez étendu vos préoccupations à la question de l'harmonisation fiscale. J'espère que votre Gouvernement concrétisera sa volonté nouvellement affichée de réduire le niveau très élevé des charges d'imposition en France.

Il est dommage que l'aménagement du territoire ne soit pas dans votre secteur de compétence, car les transports en constituent le pilier. Vous avez évoqué un quadruplement du trafic ferroviaire à travers les Pyrénées. Le chemin de fer est sans doute plus écologique que la route, mais il manque de souplesse. Pour ce qui regarde ma région, je regrette que les promesses de votre prédécesseur relatives à la N124 n'aient pas été tenues.

En ce qui concerne l'espace aérien, il me semble que les militaires disposent d'une part disproportionnée. Nous sommes en temps de paix, la guerre froide est finie, et cette situation me paraît tout à fait injustifiée. Sur les trois derniers vols intérieurs que j'ai effectués, le retard a été en moyenne d'une heure et demie ! C'est d'autant plus grave que la France est un pays central en Europe.

M. Jean-Claude Gayssot :

S'agissant des promesses de mon prédécesseur, je rappellerai simplement que, lorsque je suis arrivé au ministère des transports, 2 500 kilomètres de lignes de TGV étaient programmés, mais que 500 millions de francs seulement étaient dans les caisses. Je ne sais pas faire, dans ces conditions. Personnellement, je m'abstiens de toute promesse inconsidérée, mais je m'efforce de réaliser tout ce qui est financièrement possible.

La traversée des Pyrénées est assurée à 95 % par la route. La situation est explosive, alors que le développement économique du Portugal et de l'Espagne, qui est plus rapide que la moyenne communautaire, entraîne un accroissement des échanges. Nous avons mis en place un Observatoire pour arrêter des décisions cet été. Ma préférence va au ferroutage.

En ce qui concerne la N124 entre Auch et Toulouse, celle-ci a été inscrite dans le nouveau contrat de plan de l'Aquitaine, et je vous communiquerai les engagements financiers correspondants. Je voudrais quand même observer que certains me reprochent d'en faire déjà trop pour la route ! La contribution budgétaire de l'Etat aux routes dans la nouvelle génération de contrats de plan s'élève à 30 milliards de francs, hors autoroutes, et à 80 milliards de francs en tout. C'est dix fois plus que dans les contrats de plan précédents, et traduit une volonté de rééquilibrage du territoire.

Permettez-moi également de souligner l'intérêt de la " clause de revoyure " qui a été insérée, à la demande du Premier ministre, dans chacun des contrats de plan. Ces rendez-vous programmés permettront de faire le point sur les réalisations effectives à mi-parcours et, le cas échéant, de redéployer vers les travaux effectivement engagés les crédits qui demeureraient inutilisés.

M. Paul Masson :

Un récent rapport parlementaire préconisait de prendre une décision avant cet été sur le site du troisième aéroport international de la région parisienne. Je souhaiterais savoir, Monsieur le Ministre, où vous en êtes sur ce dossier.

D'autre part, je souhaiterais savoir quel est l'état des négociations entre la France et la Commission européenne sur la question de la prolongation des concessions autoroutières.

M. Jean-Claude Gayssot :

Pour le troisième aéroport de la région parisienne, la décision sera prise dans le cadre du schéma de service qui doit être élaboré cet été. Mon sentiment est que nous ne pouvons pas nous en tenir à l'existant. J'ai fixé des limites à l'extension de Roissy et d'Orly, tandis que le développement des aéroports régionaux, bien que réel, ne permet pas de répondre à la demande internationale spécifique qui s'adresse à la région parisienne.

Mais une réflexion reste à conduire sur les moyens d'obtenir, à infrastructures constantes, de meilleures performances de la part des compagnies aériennes. Il est évident que, si elles faisaient voler des avions plus gros et mieux remplis, le transport aérien serait plus efficace et, in fine, plus rentable. Mais on ne peut pas contraindre les compagnies à remplir tous leurs avions avant de les faire décoller. Une évolution sera néanmoins possible, avec la mise en service par Airbus d'avions gros porteurs de six cents places. Par ailleurs, si l'on prend en considération les progrès de la grande vitesse et de l'intermodalité, il est plus sérieux, sur certaines distances, d'encourager le ferroviaire que l'aérien.

Sur le partage de l'espace aérien, il ne faut pas sous-estimer les nécessités permanentes des militaires pour leur entraînement, même en temps de paix. Jusqu'à présent, j'ai obtenu de leur part des concessions en faveur des utilisateurs civils dans le nord et le nord-est de la France. Mais il reste encore à examiner les possibilités pour le sud du pays.

En ce qui concerne les concessions autoroutières, il est clair que la France ne pourra plus faire comme avant. Cela ne veut pas dire que son système antérieur était mauvais. Mais il va falloir apprendre à renoncer à " l'adossement " des nouveaux tronçons d'autoroutes à des sociétés concessionnaires existantes, et procèder systématiquement à des appels d'offre européens.

La réforme du système autoroutier défendue par la France à Bruxelles consiste à faire bénéficier les Sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) existantes d'un allongement de la durée de leurs concessions, en échange de la suppression de la garantie de l'Etat pour leurs emprunts et du système comptable des " charges différées " qui leur procurait un avantage de trésorerie. Ainsi, elles se trouveront sur un pied d'égalité pour concourir aux appels d'offre avec les nouveaux venus dans le secteur autoroutier.

La décision devrait être prise dans quelques jours. Le dernier point en discussion porte sur la durée précise de l'allongement des concessions. La France a proposé vingt ans. Ce sera peut-être finalement dix-sept ou dix-huit ans. La Commission européenne a désigné une expert-comptable pour vérifier dans le détail les aspects chiffrés du dossier.

Je tiens à souligner que l'endettement des SEMCA, qui a atteint 140 milliards de francs, n'est pas en soi aberrant, s'agissant d'investissements productifs. Par ailleurs, il n'y aura pas de limite maximale de la durée des concessions attribuées sur concours, qui pourra atteindre soixante ans et même plus. Une fois l'aval de la Commission donné, un projet de loi devrait être déposé devant le Parlement à l'automne.

M. Marcel Deneux :

Je travaille actuellement, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, à un rapport d'information sur le réchauffement climatique. Je suis désormais convaincu qu'il faut vraiment tout faire pour réduire le trafic routier.

Je souhaiterais savoir, Monsieur le Ministre, ce que vous faites pour doter la SNCF d'une vraie comptabilité, permettant l'analyse et les comparaisons, et pour lui donner les moyens de développer le fret.

Je suis également intéressé par le transport fluvial. Croyez-vous, après l'abandon du canal Rhin-Rhône et l'enlisement de la liaison Seine-Nord, qu'il faille considérer que la France se place en dehors du schéma européen des voies navigables ?

Enfin, en ce qui concerne le transport aérien, je crois que si vous maîtrisiez mieux la base militaire de Creil, on pourrait gagner de la marge sur l'aéroport de Roissy.

M. Serge Lagauche :

Permettez-moi, Monsieur le Ministre, une incidente locale. Dans le Val-de-Marne, l'axe autoroutier A4-A86 est une voie de transit surchargée. Deux projets visant à la soulager avaient été mis à l'étude, l'un d'un coût de 1 milliard de francs, l'autre d'un coût de 3 milliards de francs. Mais aucun des deux n'a été engagé. Le souci de mon département est de relancer la discussion sur la base d'un projet plus modeste, mais tout aussi efficace.

Pour en revenir à la dimension européenne, je souhaiterais savoir si les pays candidats sont associés à la conception des réseaux transeuropéens de transport et à la politique communautaire des transports, qui ne peut pas s'arrêter aux frontières actuelles de l'Union.

M. Jean-Claude Gayssot :

Pour le développement du fret ferroviaire, le récent accord dit " 95-20 " entre la Fédération des transporteurs routiers et la SNCF ouvre des perspectives intéressantes. Les termes du marché sont simples : si la SNCF garantit 95 % de ponctualité sur les convois de fret, alors les transporteurs routiers mettent 20 % de leurs marchandises sur le rail. Pour l'instant, cela marche bien, comme le prouve la forte croissance du fret ferroviaire au cours de la période récente, et même trop bien puisque l'on est à un point où existe un risque de blocage. Il manque à la SNCF 300 locomotives Diesel et 100 locomotives électriques bi-courant.

En ce qui concerne la réforme comptable, c'est une question que j'ai posée à l'échelon européen, qui constitue l'un des éléments du " paquet ferroviaire ". Je crois essentiel que le chemin de fer joue la transparence, et qu'il n'a rien à perdre en le faisant. Je rappellerai que le corridor de fret mis en place, par coopération entre entreprises ferroviaires, à travers les Pays-Bas, la Belgique, la France et l'Italie, a déjà enregistré le passage de 2 200 trains. Un corridor concurrent, fondé sur la libéralisation, à travers les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Italie, n'a, à ce jour, enregistré le passage que d'un seul train. Enfin, j'ai l'espoir que la SNCF fera des bénéfices en 2000, pour la première fois depuis 1974.

La situation des voies navigables est effectivement très dégradée en France. Certes, notre Gouvernement a pris la décision d'arrêter le canal " Rhin-Rhône ". Je souligne toutefois qu'en décidant de faire le TGV " Rhin-Rhône ", nous libérerons des capacités pour le fret ferroviaire supérieures à celles qui auraient été offertes par le canal. Personnellement, je suis convaincu que le développement du transport fluvial est nécessaire. Le projet de liaison " Seine-Nord " ne doit pas être considéré comme abandonné, même si mon pragmatisme m'interdit de prendre des engagements que je ne pourrais pas tenir. L'important est d'avancer rapidement sur les points de blocage. Je pense aux problèmes de tirant d'air du canal " Dunkerque-Escaut ". Plus au sud, le projet " Oise-aval " va se faire. N'oublions pas que le port fluvial de Paris a des performances exceptionnelles.

A l'égard des pays candidats à l'adhésion, nous rencontrons déjà le problème de l'utilisation d'une main-d'oeuvre sous-payée originaire de ces pays par des entreprises de transport routier établies dans les Etats membres de l'Union européenne. Il faut que les transporteurs communautaires soient obligés d'appliquer les conditions sociales en vigueur dans l'Union, même lorsqu'ils recourent à une main-d'oeuvre extérieure. Le patronat est d'accord sur ce principe. Mais le risque de dumping social de la part des Etats candidats à l'adhésion demeure.