REUNION DE LA DELEGATION DU 21 NOVEMBRE 2001


Commerce international

Echange de vues sur la 4e Conférence ministérielle
de l'Organisation mondiale du commerce
(Doha, 9-13 novembre 2001)

M. Hubert Haenel :

Je voudrais remercier les trois membres de notre délégation, MM. Jacques Bellanger, Jean Bizet et Aymeri de Montesquiou, qui étaient présents à la dernière conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Doha, du 9 au 13 novembre 2001, d'avoir accepté de se prêter à cet échange de vues sur le déroulement de cette conférence et ses résultats.

M. Jacques Bellanger :

Avant toute chose, je voudrais rappeler qu'il ne s'agissait pas de négocier sur le fond, mais uniquement de se mettre d'accord sur l'objet des négociations, d'ouvrir un nouveau cycle. A cet égard, la conférence de Doha a très mal commencé. Au jour de l'ouverture, en effet, les déclarations des organisateurs ont été très sévères sur l'agriculture, ce qui a créé un certain émoi chez les parlementaires français.

Certes, le représentant français, M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, avait des instructions très fermes, tant du Président de la République que du Gouvernement, sur ce point. Mais, en matière de négociations commerciales, le principal interlocuteur, ce n'est pas la France, c'est l'Europe. Je rappellerai qu'à Seattle, les conférences de presse du représentant français n'attiraient qu'une poignée de journalistes, alors que plusieurs centaines d'entre eux se pressaient aux conférences du Commissaire européen chargé du commerce, M. Pascal Lamy. Cela montre bien que, dans ce domaine, ce qui compte, c'est la position de l'Union européenne.

Or, je voudrais rendre hommage à l'action de M. Pascal Lamy à Doha, car il a parfaitement rempli son mandat. Le compromis auquel on a abouti sur l'agriculture dans la déclaration finale est, en effet, très positif même si, au fond, il ne veut pas dire grand chose. En réalité, ce qui importe, c'est que la phrase qui figurait dans le projet initial : « nous nous engageons à mener des négociations globales visant à (...) des réductions de toutes les formes de subventions à l'exportation, en vue de leur retrait progressif (...) », qui était inacceptable en l'état, a été précédée de la mention suivante : « sans préjudice du résultat des négociations ». De plus, alors que jusqu'à présent, dans le cadre de l'OMC, seules étaient mises en avant les subventions à l'exportation, ce qui avantageait les Etats-Unis, la déclaration mentionne dorénavant toutes les formes de « soutien interne », ce qui est une grande avancée.

Je trouve que l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations est une bonne chose. Mais je voudrais ajouter que l'OMC me semble aujourd'hui à bout de souffle. Tout d'abord, parce que seuls les Etats sont représentés à l'OMC. Il manque une représentation des acteurs économiques et sociaux. Or, parmi les cent premières puissances économiques du monde, il n'y a plus que quarante-neuf Etats et la majorité est constituée de grandes entreprises multinationales. La seconde raison tient à la règle de l'unanimité, qui explique le caractère a minima, et parfois obscur, des textes adoptés. Certes, il y a eu des efforts en matière de transparence, principalement à l'égard des ONG, à l'égard desquelles je suis personnellement assez réticent, en tout cas vis-à-vis de certaines d'entre elles. Mais l'organe de règlement des différends (ORD) est très peu transparent. Or, il est appelé à jouer un rôle majeur dans les prochaines années. Je crois donc qu'il est nécessaire de réformer l'OMC.

M. Jean Bizet :

Tout d'abord, je pense qu'il était très important de démarrer un nouveau cycle de négociations, car on estime que cela pourrait augmenter le PIB mondial de 1,4 %, ce qui n'est pas négligeable dans la conjoncture mondiale actuelle, qui est proche de la récession. De plus, l'ouverture de ce nouveau cycle coïncide avec l'entrée de la Chine dans l'OMC. Même si, à Doha, la Chine avait encore un statut d'observateur, les enjeux que représente son adhésion (1,3 milliard d'habitants) sont très importants. Par ailleurs, il s'est établi à Doha, contrairement à ce qui s'était passé à Seattle, un dialogue Nord/Sud, en particulier sur la question des médicaments. En outre, l'Europe a réellement parlé d'une seule voix. Il n'y a eu aucune voix discordante, même sur les dossiers difficiles comme l'agriculture. A ce propos, il convient de souligner l'habileté dont a fait preuve M. Pascal Lamy en évitant avec soin d'évoquer la question de l'agriculture durant les trois premiers jours, pour se consacrer au dossier de la propriété intellectuelle.

Avec les accords de Marrakech, on a créé une réglementation, je dirais presque une « moralisation », qui vaut ce qu'elle vaut mais qui a le mérite d'exister, et qui permet de saisir un organe de règlement des différends indépendant en cas de contentieux. A mon avis, la critique essentielle qu'on peut lui opposer, ce n'est pas tant celle des défauts de son organisation interne que celle du manque d'information transmise ensuite au grand public. Il faut désormais tenir compte de la société civile et c'est sans doute insuffisamment pris en compte ici. Cela dit, j'ai constaté un certain essoufflement des thèses anti-mondialistes, et la chose me paraît normale car, en réalité, elles ne font que contester et ne proposent pas de solution de rechange. En tout état de cause, il est essentiel de ne pas les laisser s'arroger la cause de la défense des pays en développement.

Pour ce qui est de l'accord final proprement dit obtenu à Doha, trois sujets principaux ont été abordés. D'abord, l'agriculture. Suivant les termes très diplomatiques retenus par le communiqué, la politique agricole commune (PAC) reste encore pertinente, puisque l'on prévoit, à terme, la suppression des restitutions à l'exportation « sans préjudice du résultat des négociations ». Si je prends l'exemple de la filière « viande rouge », cette disposition ne nous posera pas de réelle difficulté puisque nous n'exportons que 5 % de notre production. Les deux autres mesures décidées à Doha sont très classiques et tiennent, d'une part, à l'engagement de diminution « substantielle » des subventions, d'autre part, à celui de l'augmentation « substantielle » de l'accès aux marchés. Vous observerez que tout l'intérêt réside dans ce qu'il conviendra d'appréhender sous le vocable « substantielle ».

Deuxième sujet, la propriété intellectuelle, dont les règles internationales figurent dans le traité dit ADPIC. Le problème se posait essentiellement ici sous l'angle de la santé publique et les organisations non gouvernementales ont plaidé la cause des pays en voie de développement en demandant que leur soit librement accordé l'accès aux médicaments. Or, il faut être conscient que, si l'on supprime la protection des brevets, on supprimera également les moyens de la recherche et les perspectives de progrès médicaux qui en découlent. Ce point a été fort heureusement souligné dans les premiers paragraphes de l'accord final, qui propose que, pour un certain nombre de pandémies (Sida, tuberculose, malaria...), les pays en développement puissent acquérir des licences et fabriquer, ou faire fabriquer, les produits génériques nécessaires, et ce, dans des conditions encadrées. Je veux toutefois souligner que, sous couvert de générosité, beaucoup d'argent a, semble-t-il, circulé et je suis très satisfait de voir que cette situation devrait pouvoir être clarifiée.

Troisième aspect, le secteur textile, pour lequel s'est posée la problématique classique de l'OMC : abaissement des droits de douane et amélioration des conditions d'accès aux marchés. Elle s'est doublée d'un accord bilatéral spécifique conclu entre les Etats-Unis et le Pakistan, dont tous les partenaires ont parfaitement compris l'intérêt.

Voilà quel a été l'accord, mais tout reste à faire d'ici 2005. D'autant que je viens d'apprendre que la Chambre des Représentants américaine, qui est en train de voter sa loi d'orientation agricole (Farm Bill), aurait accordé une augmentation de 80 % des crédits alloués à l'agriculture. On ignore bien sûr si le Congrès suivra cette voie, mais, si tel était le cas, les orientations retenues à Doha devraient s'adapter à cette nouvelle donne. Ce qui nous renvoie à la définition du qualificatif « substantiel » que j'évoquais précédemment.

Pour ce qui est de la position européenne, je crois que nous avons tout intérêt à maintenir notre PAC et à ne pas céder aux pressions britanniques et allemandes qui proposent son démantèlement. La notion de multifonctionnalité de l'agriculture n'est toujours pas comprise par les Etats-Unis et pourtant, sans vouloir faire de surenchère, il m'apparaît évident que l'agriculture ne se réduit pas à une fonction de production.

Pour finir, je voudrais signaler la création d'un groupe de travail au sein de l'Union interparlementaire pour associer les parlementaires nationaux à ce processus. L'opinion publique demande à être informée sur toutes les questions et ce n'est pas le rôle des ONG que de monopoliser l'interface avec les citoyens.

M. Jacques Bellanger :

Je voudrais quand même indiquer que l'accord final introduit, il est vrai de manière timide, l'idée de la multifonctionnalité de l'agriculture.

M. Aymeri de Montesquiou :

Pour compléter la présentation de mes collègues, permettez-moi une petite note d'ambiance. Le choix de Doha était finalement très judicieux, le cadre se prêtait à un travail sérieux et l'organisation des travaux était excellente. Il paraissait inimaginable de trouver une unanimité avec 142 membres, se présentant chacun sur un pied d'égalité, quelle que soit sa puissance économique. D'ailleurs, les débats s'étaient mal engagés puisque, d'entrée de jeu, un délégué canadien avait jugé bon d'annoncer que l'Europe accordait à son agriculture un milliard de dollars par jour, plaçant ainsi l'Union - et la France -, en mauvaise posture. De son côté, M. Pascal Lamy avait commis quelques petites maladresses vis-à-vis des pays en développement.

Le résultat positif était donc inespéré et le commissaire français a parfaitement rempli sa mission en maintenant jusqu'au bout la cohésion de l'Union européenne, en dépit de sa fragilité. Désormais, les régimes de subventions américain et français sont placés sur un pied d'égalité pour l'opinion publique internationale et c'est une excellente chose. Le ralliement inattendu du groupe de Cairns au maintien temporaire des subventions à l'agriculture permettra à l'accord de Berlin d'aller jusqu'à son terme de 2006. Il faudra ensuite prévoir d'agir par le biais de la fiscalité.

Je mentionnerai également l'accord obtenu sur l'étiquetage. Il appartiendra désormais au consommateur de décider s'il souhaite acheter des produits comportant des hormones ou des organismes génétiquement modifiés et cette démarche m'apparaît infiniment préférable à celle des panels de contentieux.

Durant les débats, l'Inde a voulu montrer sa puissance, notamment sur le dossier « médicaments », probablement pour s'imposer avant l'arrivée de son concurrent chinois dans l'Organisation mondiale du commerce. Les choses se sont ensuite normalisées.

Par ailleurs, la décision d'associer les parlements nationaux au processus est excellente, bien sûr, mais elle me paraît n'être qu'un gadget. L'idée en avait d'ailleurs déjà été évoquée à Seattle.

Enfin, la position accordée aux pays en développement constitue une bonne ouverture, mais il faut être conscient des faibles moyens dont ils disposent. L'écart de richesses entre pays développés et pays en développement était de 1 à 3 au début du siècle ; de 1 à 30 dans les années 60 ; il est aujourd'hui de 1 à 60. Il me semble que la vision américaine des choses a évolué dans le bon sens depuis le drame du 11 septembre 2001. Pour l'avenir du monde, nous ne pouvons pas laisser durer de telles situations d'inégalité.

M. Xavier de Villepin :

Il me semble que l'accord de Doha est une excellente nouvelle et qu'un second échec aurait eu des conséquences dramatiques dans le contexte actuel.

J'observe toutefois une certaine contradiction dans les propos de MM. Bizet et de Montesquiou. Celui-ci souligne que l'attitude américaine vis-à-vis des pays en développement a changé, tandis que celui-là nous parle d'une augmentation considérable des subventions agricoles. Ce faisant, on renforcera encore les écarts de richesses, me semble-t-il.

Ceci m'amène à la question suivante : pensez-vous qu'un rapprochement entre les thèses européennes et américaines soit envisageable en matière agricole ? Même si la notion de multifonctionnalité est complexe, ne peut-on envisager la constitution d'un front commun permettant de combattre ensemble l'opposition du groupe de Cairns ?

M. Philippe François :

Avant l'été, nous avions envisagé de créer un groupe d'études pour suivre les négociations commerciales internationales. Où en est-on ?

M. Hubert Haenel :

Ce groupe est en voie de constitution. L'idée n'a pas été abandonnée !

M. Aymeri de Montesquiou :

Il me semble qu'il eût été habile de calquer notre système de soutien à l'agriculture sur celui des Etats-Unis. Faute de l'avoir fait, nous avons à nous battre sur deux fronts : contre les Etats-Unis et contre le groupe de Cairns. Finalement, les Etats-Unis qui subventionnent autant que nous leur agriculture ne sont guère attaqués. En 2006, les accords de Berlin vont expirer. L'agriculture européenne pourra-t-elle survivre sans une très large défiscalisation ?

M. Jean Bizet :

Je répondrai au Président de Villepin que, dans le domaine de l'agriculture, le fossé culturel entre Européens et Américains est toujours aussi grand. Au demeurant, les spécialisations ne sont pas les mêmes : les Etats-Unis exportent surtout des produits de base, l'Europe des produits transformés. Et l'on ne peut être certain que le Congrès dans son ensemble va voter une forte hausse des subventions agricoles.

M. Xavier de Villepin :

Il y a bien une tendance interventionniste aujourd'hui aux Etats-Unis, comme on le voit dans le cas des compagnies aériennes.

M. Jean Bizet :

Alors il faudra réexaminer la portée du principe d'une réduction « substantielle » des subventions. Mais attendons le vote du nouveau « Farm Bill » ! Pour ce qui est des pays en développement, je voudrais souligner que leur priorité est l'accès aux marchés.

Enfin, il faut constater que l'organe de règlement des différends est un formidable progrès. Avant sa création, l'Europe perdait toujours ; aujourd'hui, elle gagne une fois sur deux. Mais il est clair que les Etats-Unis veulent porter le dossier des biotechnologies devant l'ORD, et qu'il nous faudra accepter le résultat, qui risque de ne pas être favorable aux thèses européennes...

M. Aymeri de Montesquiou :

Mais grâce à l'étiquetage, le consommateur pourra choisir !

M. Philippe François :

Un mot sur les rapports euro-américains. Il faut rappeler que, pour les Etats-Unis, l'agriculture n'a pas l'importance qu'elle conserve encore en Europe.

M. Marcel Deneux :

Je ne vois pas comment une entente serait possible entre Européens et Américains sur l'agriculture. Un accord franco-américain serait plus facile à trouver. Mais, pour beaucoup de pays européens, l'agriculture n'est qu'un problème d'aménagement du territoire. Les Américains ont une vue économique et surtout commerciale de l'agriculture ; les producteurs agricoles pèsent peu en tant que tels.

M. Jacques Bellanger :

J'ajoute que ce n'est pas la même agriculture. A Seattle, nous avions rencontré un agriculteur américain intéressé par les thèses européennes, qui s'était présenté comme un petit agriculteur : or, son exploitation comptait malgré tout 2000 hectares ! Nous ne parlons pas de la même chose quand nous parlons d'agriculture. Mais il reste qu'aujourd'hui toutes les subventions sont sur la table, ce qui devrait permettre une discussion plus ouverte.

M. Jean Bizet :

Soyons clairs : il faut nous préparer à des changements importants. Ce qui rend les évolutions si difficiles en France, c'est que la grande distribution capte une trop grande part de la valeur ajoutée. Il nous faudra réfléchir à ce que pourrait être une relance de la coopération agricole, avec des filières mieux organisées.

Politique agricole et de la pêche

Communication de M. Jacques Oudin sur les perspectives de réforme de la politique commune de la pêche (E 1711 et E 1789)

Ma communication porte sur deux textes d'inégale importance, tous deux relatifs à la pêche, qui nous ont été soumis dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

Le premier - le texte E 1711 - est le « Livre vert » de la Commission européenne qui propose des évolutions profondes de la politique commune de la pêche (PCP).

Le second - le texte E 1789 - a un caractère plus ponctuel, mais il pose de sérieuses difficultés, car il prévoit un durcissement des règles concernant la restructuration des flottes de pêche : c'est pourquoi j'ai souhaité vous proposer de prendre position en même temps sur ces deux textes.

I. LE « LIVRE VERT »

a) Rappel des grands traits de la politique commune de la pêche (PCP)

Les bases de la PCP sous sa forme actuelle ont été posées en 1983. Cette politique comporte quatre volets :

- le premier concerne la protection des ressources. Chaque année sont fixés des totaux admissibles de captures (TAC) pour les stocks des principales espèces. Les TAC sont ensuite répartis en quotas nationaux en suivant le principe de la « stabilité relative », c'est-à-dire que les quotas sont fixés automatiquement en fonction de références historiques. La limitation des captures est complétée par des mesures techniques (réglementation des engins de pêche, établissement de périodes de pêche, fixation de tailles minimales de capture...).

- le second volet est la politique structurelle, qui s'appuie principalement sur les programmes d'orientation pluriannuels (POP), qui prévoient notamment des réductions des capacités de pêche en contrepartie d'aides financières.

- le troisième volet est l'organisation commune des marchés (OCM), largement inspirée de celle des fruits et légumes. Elle est mise en oeuvre par des organisations nationales de producteurs (OP) et comporte principalement des normes de commercialisation et un régime commun des prix, permettant le retrait du marché d'une partie de la production lorsque les prix chutent en deçà d'un certain seuil.

- enfin, le quatrième volet est le volet externe. Il s'agit essentiellement des accords de pêche négociés par la Commission, qui garantissent l'accès des navires de l'Union dans les eaux des pays tiers, généralement en contrepartie de compensations financières.

Au total, on peut dire que la PCP est, avec la PAC, l'une des deux politiques aujourd'hui pleinement communautarisées.

b) Le diagnostic du « Livre vert »

Le « Livre vert » s'inscrit dans la perspective d'une réforme annoncée de longue date. En effet, lors d'un premier réexamen de la PCP intervenu en 1992, la décision avait été prise de proroger temporairement les règles en vigueur, avec certains ajustements, mais aussi de fixer l'échéance pour une nouvelle décision au 31 décembre 2002 au plus tard. Le débat sur le « Livre vert » est donc d'une grande importance pour l'avenir de la politique de la pêche.

Le « Livre vert » dresse un bilan sévère de la PCP. Il relève principalement cinq points faibles :

- tout d'abord, de nombreux stocks seraient menacés si l'intensité de la pêche se maintenait à son niveau actuel ; d'une manière générale, la dimension environnementale n'aurait pas été suffisamment prise en compte par la PCP ;

- le processus décisionnel serait trop lent et n'associerait pas assez les professionnels ;

- l'organisation de la surveillance et du contrôle serait jugée nettement insuffisante ;

- le résultat économique et social de la PCP, toujours selon la Commission, s'avèrerait décevant : malgré des aides publiques relativement importantes, la rentabilité des flottes diminuerait et l'emploi déclinerait ;

- enfin, le volet externe de la PCP devrait être revu : les accords de pêche conclus avec des pays en développement contribueraient à raréfier les ressources halieutiques de ces pays et nuiraient finalement à leurs intérêts à long terme.

Au total, le tableau peut paraître sombre, mais il reflète une certaine réalité. Certes, en considérant de plus près les données publiées par la Commission elle-même, on s'aperçoit qu'il règne en fait une assez grande incertitude sur des points comme la situation des stocks, l'effet des accords de pêche sur la ressource halieutique, et même l'évolution de l'emploi dans le secteur de la pêche. Certains estiment que la Commission a eu tendance à « noircir le tableau » pour justifier de nouvelles mesures. Je crois pour ma part, au contraire, que le Livre vert traduit une prise de conscience dont la France devrait profiter pour obtenir les changements qui s'imposent.

c) Quelles orientations adopter ?

La Commission suggère des évolutions assez profondes. Certaines paraissent bienvenues ou acceptables ; d'autres sont insuffisantes ou préoccupantes. Au total, cinq grandes orientations se dégagent.

1. La fixation des TAC

La Commission propose tout d'abord de passer d'une fixation annuelle des TAC à une gestion pluriannuelle ; une telle formule devrait effectivement permettre d'adopter des stratégies plus souples et plus efficaces pour la conservation de la ressource. Encore faudrait-il que ces stratégies soient le fruit d'une approche plus rationnelle et plus concertée qu'aujourd'hui.

Comment se prennent aujourd'hui les décisions ? Le point de départ, chaque année, est un rapport élaboré par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) où se retrouvent les experts de dix-neuf pays. Les conclusions de cet accord sont généralement confirmées sans modification par le comité scientifique de la Commission, puis par la Commission elle-même. Ensuite, intervient la décision du Conseil où, il faut le reconnaître, les Etats membres ont tendance à se mettre d'accord pour augmenter sensiblement les TAC, pour des raisons économiques et sociales. Ce système n'est pas satisfaisant parce qu'il ne favorise pas le dialogue.

Il n'y a pas de dialogue entre les instances d'expertise : en réalité, ce sont en grande partie les mêmes experts que l'on retrouve au sein du CIEM et au sein du comité scientifique de la Commission. Il n'y a donc jamais de contre-expertise, de sorte que l'avis qui se dégage de ces comités est considéré comme une donnée indiscutable par la Commission, alors que les marges d'incertitude sont en réalité considérables : on l'a bien vu dans le cas de l'anchois, qui s'est trouvé surabondant alors que l'on annonçait l'épuisement des stocks. Et le Conseil, quant à lui, prend souvent ses décisions en fonction de considérations socio-politiques.

Au total, la fixation des TAC n'est pas crédible. Nul ne peut comprendre, comme on le voit régulièrement, des propositions de TAC en diminution de 50 ou 60 %. Cela signifie soit que les bases étaient mal déterminées, soit que le suivi de l'effort de pêche n'a pas été effectué correctement. A cela s'ajoute le phénomène des « TAC-papiers » ou « quotas-papiers » : comme l'attribution des quotas se fait sur la base de références historiques, certains Etats n'utilisent pas tous leurs quotas, quitte à les troquer contre d'autres quotas non utilisés.

Si l'on veut arriver à une gestion plus rationnelle de la ressource, il faut assurément passer à une gestion pluriannuelle, car cela dédramatisera la fixation des TAC, mais il faut surtout qu'il y ait une réelle concertation autour de la fixation des TAC. A partir du moment où l'on passe à la gestion pluriannuelle, il devient encore plus nécessaire de partir de bases sérieuses. Cela suppose un débat scientifique, avec expertise et contre-expertise, ainsi qu'un débat entre les experts, les professionnels et les institutions, de manière à déboucher sur des décisions qui soient comprises par tous.

A l'heure actuelle, le système de décision ne repose pas sur des bases suffisantes. Je pense en particulier à l'affaire des filets maillants dérivants qui ont été interdits sans qu'il y ait eu la moindre preuve scientifique de leur nocivité : ils ont été victimes, en réalité, de la pression conjointe des associations écologistes - qui voyaient dans ces filets un danger pour les dauphins - et des pays dont la flotte ne disposait pas de bateaux adaptés. Cette situation avait été reconnue avec une grande franchise par le commissaire européen chargé de la pêche, M. Manuel Marin, au début des années 1990 : « Avoir raison ou tort sur les effets qu'a la pêche germonière française sur les mammifères marins n'a plus guère d'importance (...) Quant à moi, je constate simplement qu'il y a un sentiment général de l'opinion publique qui s'impose et je ne veux pas risquer la réputation de la pêche européenne pour trente bateaux qui pêchent au filet dérivant. » Le plus extraordinaire, c'est que pour obtenir une majorité pour l'interdiction des filets maillants dérivants dans le Golfe de Gascogne, on les a autorisés en mer Baltique afin de rallier les Etats du Nord.

Un autre exemple est le fait que la pêche minotière - destinée à la production de farines de poissons - n'a jusqu'à présent jamais été contestée, alors qu'elle représente un prélèvement important sur la ressource (1,5 million de tonnes chaque année en mer Baltique), sans commune mesure avec le prélèvement qu'opéraient les thoniers français dans le Golfe de Gascogne avec les filets maillants dérivants. Un million et demi de tonnes de pêche minotière (réalisée pour l'essentiel par le Danemark), c'est presque autant que la pêche espagnole et la pêche française toutes espèces confondues. Le Danemark est parvenu à faire admettre que cela n'avait pas d'impact sur la ressource. Mais comment croire que cette pêche ne réalise pas de captures annexes et ne nuit pas à la chaîne alimentaire ?

On voit qu'il est impératif de restaurer la confiance dans le processus de décision. Le « Livre vert » va dans ce sens en préconisant une meilleure « gouvernance » de la pêche, notamment un dialogue avec les professionnels : c'est une orientation que nous devons soutenir et compléter par l'exigence d'un réel débat scientifique sur l'évolution de la ressource, si nous voulons arriver à des décisions plus fondées, plus rationnelles.

2. L'accès à la ressource

Une deuxième grande orientation retenue par la Commission est le maintien des règles communautaires actuelles (principe de stabilité relative) pour l'accès à la ressource halieutique. C'est la sagesse, car il n'y aurait sans aucun doute pas de majorité au sein du Conseil pour d'autres règles ; au demeurant, d'un point de vue national, ces règles ne nous défavorisent pas et nous n'avons donc aucun intérêt à ouvrir ce débat. Je précise bien qu'il s'agit des règles communautaires, non des accords bilatéraux qui peuvent, quant à eux, être à confirmer ou à revoir.

3. Les contrôles

Une troisième grande orientation est l'harmonisation des contrôles et des sanctions. Je crois que nous devons appuyer résolument la Commission sur ce point. A l'heure actuelle, il n'y a plus de confiance entre les Etats membres. Chacun soupçonne l'autre - non sans raison - de fermer les yeux sur les dépassements de quotas par les bateaux de son pays. Dans certains pays, le « blackfish », ce poisson débarqué, non contrôlé et non déclaré, représenterait 20 à 30 % des prises. De même, à tort ou à raison, chacun soupçonne l'autre de contrôler beaucoup plus les bateaux étrangers que les bateaux nationaux dans ses eaux territoriales. Enfin, il semble que les sanctions soient fixées et appliquées de manière très variable. Dans le « Livre vert », la Commission se montre sévère dans le diagnostic, mais relativement prudente sur les solutions. Je crois que nous devons plutôt pousser dans le sens de l'audace. Premièrement, il faut harmoniser les sanctions. Surtout, il faut aller, me semble-t-il, jusqu'à la mise en place d'une agence communautaire de contrôle, de la même manière que nous réclamons une agence de sécurité maritime. Car, tant que le contrôle restera exercé par les Etats membres, la suspicion persistera.

Jusque là, je suis plutôt allé dans le sens préconisé par la Commission. Sur les deux autres grandes orientations qu'elle annonce, je suis au contraire très critique.

4. L'encadrement des flottes

Il y a d'abord la question de l'encadrement des flottes. Il existe aujourd'hui un dispositif d'encadrement, les POP que j'ai évoqués tout à l'heure. Ce dispositif tend à la réduction des capacités de pêche en contrepartie d'aides financières. C'est un système coûteux, bureaucratique, et d'ailleurs peu efficace car, lorsque l'on détruit deux bateaux anciens pour les remplacer par un bateau moderne, le progrès technique fait que l'intensité de la pêche ne diminue pratiquement pas. Or, ce que propose la Commission, c'est d'aller encore plus loin dans cette logique d'encadrement, en réduisant de manière drastique les capacités de pêche - le « Livre vert » évoque une réduction pouvant aller jusqu'à 40 %.

Je vous propose de vous opposer à cette orientation pour une raison simple : à supposer que l'on retienne les orientation précédentes - une fixation des TAC sur une base scientifiquement démontrée, après une concertation, et un contrôle effectif du respect des TAC, avec une agence communautaire de contrôle et des sanctions harmonisées - il n'y a aucune raison que la Communauté intervienne dans la gestion des flottes. Le principe de subsidiarité doit jouer : chaque Etat membre doit régler lui-même le problème des capacités de pêche. C'est pourquoi, j'y viendrais dans un instant, je vous propose de vous prononcer pour la suppression des POP.

5. Le volet externe

Enfin, autre orientation qui me paraît critiquable : la remise en cause, en termes voilés, du volet externe de la PCP, c'est-à-dire en fait des accords conclu avec les pays du Sud. Ces accords menacent-ils les stocks de ces pays ? C'est la thèse de Greenpeace, qui, comme à l'accoutumée, a plus de talent pour la publicité que pour les preuves scientifiques, car cette thèse ne paraît guère étayée. Ces accords sont certes coûteux - quelque 200 millions d'euros par an au total - mais ils sont un apport financier appréciable pour des pays peu développés : ils représentent 15 % des recettes budgétaires pour certains petits pays d'Afrique. Il est vrai - et c'est le noeud du problème - que ces accords profitent surtout aux flottes de certains pays, en premier lieu l'Espagne (mais, pour la pêche française, ils constituent aussi un appoint non négligeable), tandis que les pays d'Europe du Nord, importants contributeurs du budget communautaire, n'en bénéficient guère. Mais ce type d'approche ne peut être le critère exclusif d'une politique communautaire. Je vous propose donc de vous prononcer pour le maintien d'une politique ambitieuse d'accords de pêche.

Voilà donc les grandes orientations que je vous soumets au sujet du « Livre vert », qui sont reprises dans la proposition de résolution que je vous propose de déposer au nom de la délégation.

II. LE TEXTE E 1789

J'en viens au texte E 1789, sur lequel je serai très bref.

Ce texte comprend deux aspects.

· Le premier est la prolongation d'une année du quatrième programme d'orientation pluriannuel, le POP IV. Comme nous venons de le voir, la réforme de la PCP est prévue pour le 31 décembre 2002 au plus tard. Le POP IV vient à échéance un an avant. La Commission propose de le prolonger d'un an, ce qui est normal si l'on ne veut pas préjuger de la décision qui sera prise. Mais elle propose aussi de durcir les objectifs et les modalités de ce programme, ce à quoi je vous suggère que nous nous opposions.

Je ne reviens pas sur ce que j'ai indiqué tout à l'heure, c'est-à-dire que les POP sont un échec et qu'il convient de changer de logique dans ce domaine. Dans cette optique, le plus raisonnable serait de reporter d'un an les échéances du POP actuel sans le modifier, et d'abandonner purement et simplement ce type de programme à l'occasion de la réforme.

· Le deuxième aspect du texte E 1789 est une modification du règlement du 31 décembre 1999 sur les actions structurelles dans le domaine de la pêche. Le Gouvernement est très opposé à cette proposition pour deux raisons :

- tout d'abord, le règlement en cause est entré en application en 2000, et il ne paraît pas raisonnable de le remettre déjà en chantier ;

- ensuite, la modification proposée rendrait le texte beaucoup plus restrictif : il deviendrait pratiquement impossible d'accorder des aides publiques à l'investissement dans le domaine de la pêche, tant les contreparties en termes de réduction des capacités seraient draconiennes. A l'heure actuelle, on peut accorder des aides si l'on a respecté un engagement global de réduction des capacités : les Etats membres ont donc une certaine marge de manoeuvre.

Ce qui est proposé, c'est qu'une aide ne soit possible qu'en contrepartie d'une réduction des capacités pour chaque segment de la flotte. Un tel système serait extraordinairement contraignant et susciterait un degré particulièrement élevé de complexité bureaucratique. Je vous propose donc de soutenir le Gouvernement dans son opposition.

Sur ce deuxième texte, je vous propose d'adopter non pas une résolution, mais des conclusions. En effet, le Gouvernement nous a fait savoir que ce texte serait examiné par le Conseil le 27 novembre, et sans doute réexaminé à la mi-décembre. Si nous déposions une proposition de résolution, la commission des Affaires économiques n'aurait pas le temps de l'adopter avant la réunion du Conseil ; mais le ministre, de son côté, serait normalement tenu de réserver sa position lors de la réunion du Conseil du 27 novembre. Comme ce que je vous propose va dans le sens de la position du Gouvernement, je crois que nous devons veiller à ne pas le gêner dans cette négociation, mais plutôt à le soutenir par nos conclusions.

Compte rendu sommaire du débat

M. Lucien Lanier :

Je souhaiterais attirer l'attention de la délégation sur les intérêts des pêcheurs de la Réunion exerçant leurs activités dans les terres australes. Des armements d'origine bretonne sont d'ailleurs parmi eux. On est en présence d'une pêche exagérée, qui pourrait compromettre l'avenir de la ressource dans cette mer très poissonneuse. Les contrôles sont très insuffisants : un seul avion doit contrôler une zone immense.

M. Jacques Oudin :

Les départements d'outre-mer sont concernés par la politique commune de la pêche. Vous avez abordé les problèmes de l'évolution de la ressource et du contrôle des activités de pêche qui sont, vous avez pu le constater, au coeur de mes préoccupations.

Mme Maryse Bergé-Lavigne :

Quelles zones sont-elles principalement concernées par la politique de conservation de la ressource ? Vous avez évoqué les farines de poisson. Quelle est leur utilisation ?

L'aquaculture se développe dans les pays du Nord. Qu'en est-il en France ?

M. Jacques Oudin :

C'est essentiellement dans l'Atlantique Nord que se posent les problèmes de la pêche communautaire. Ce sur quoi je souhaite insister, c'est sur le manque de crédibilité de la politique actuelle, avec ce que j'appelle les « TAC erratiques », variant considérablement d'une année sur l'autre et fondés sur une base incertaine : l'action communautaire a été judicieuse pour le hareng, elle ne l'a pas été pour le thon et pour l'anchois.

Les farines sont produites soit à partir de poissons, soit à partir de résidus de produits élaborés. Elles sont essentiellement destinées à l'aquaculture. Celle-ci est aujourd'hui très développée : 90 % du saumon commercialisé provient de l'aquaculture nordique. Le bar, la daurade, la crevette demandent des mers chaudes. Les eaux tempérées de la France ne sont pas les plus favorables à l'aquaculture, mais il existe des réussites, notamment le turbot en Vendée.

A l'issue du débat, la délégation a conclu au dépôt d'une proposition de résolution sur le texte E 1711 dans les termes suivants :

Proposition de résolution

Le Sénat,

Vu le texte E 1711 qui lui est soumis dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution,

Invite le Gouvernement :

- à approuver l'idée de plans de gestion pluriannuels destinés à favoriser la conservation de la ressource ;

- à demander que ces plans soient fondés sur une analyse scientifique des données et soient élaborés dans des conditions permettant un dialogue avec des instances d'expertise et les représentants des professionnels ;

- à proposer que le respect de ces plans par tous les Etats membres soit contrôlé par une agence communautaire et que le régime des sanctions soit harmonisé ;

- à veiller au respect du principe de subsidiarité pour la gestion de chaque flotte ;

- à soutenir le maintien des règles communautaires en vigueur pour l'accès à la ressource ;

- à promouvoir la reconnaissance par la Communauté du rôle de la pêche dans l'aménagement équilibré du territoire des Etats membres, et à proposer des mesures tendant à conforter ce rôle ;

- à proposer, dans le cadre de l'objectif de gestion responsable de la ressource halieutique, des mesures de limitation de la pêche minotière ;

- à obtenir que l'organisation des marchés accorde toute sa place aux exigences de qualité et de sécurité sanitaire ;

- à s'opposer à tout désengagement de la Communauté en matière d'accords de pêche, tout en soutenant une amélioration de la gestion de ces accords.

Puis, sur le texte E 1789, elle a adopté les conclusions suivantes :

Conclusions

La délégation pour l'Union européenne,

Vu le texte E 1789 soumis au Sénat dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution,

Estime qu'il convient :

- de s'opposer à la poursuite des programmes d'orientation pluriannuels (POP) au-delà du 31 décembre 2002, et de proposer que les échéances du POP en vigueur soient reportées d'un an sans modification de ses objectifs ;

- de s'opposer à la modification du règlement communautaire définissant les modalités et conditions des actions structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche.