Réunion de la délégation pour l'Union européenne du mercredi 22 février 2006


Table des matières

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Institutions européennes

La Cour de justice des Communautés européennes

Audition de M. Philippe Léger, avocat général,
et de M. Jean-Pierre Puissochet, juge à la Cour de Justice
des Communautés européennes*

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois :

Je voudrais vous souhaiter la bienvenue au Palais du Luxembourg et vous remercier d'avoir bien voulu accepter notre invitation pour cette audition commune de la commission des lois et de la délégation pour l'Union européenne du Sénat. Il nous a semblé, en effet, très utile de vous entendre sur le rôle, souvent méconnu, mais très important, joué par la Cour de justice dans la construction européenne. Or, personne mieux que vous ne connaît les rouages de la Cour de justice de Luxembourg. Je rappelle, en effet, que vous exercez les fonctions de juge et d'avocat général auprès de la Cour de justice depuis octobre 1994 et que vous arriverez bientôt au terme de votre deuxième mandat. Vous avez donc pu vivre de l'intérieur le bouleversement qu'a été le dernier élargissement de l'Union, avec l'arrivée de dix juges issus des nouveaux États membres, et l'accroissement très significatif du nombre de recours ces dernières années, malgré la création du tribunal de première instance. Je souhaiterais donc d'abord connaître votre sentiment sur les conséquences du dernier élargissement sur le fonctionnement de la Cour de justice, et notamment sur la place de la langue française.

M. Hubert Haenel :

Le rôle de la Cour de justice des Communautés européennes a été récemment mis en cause publiquement par plusieurs personnalités politiques de premier plan. C'est d'abord le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel qui, au moment de prendre la présidence de l'Union européenne, a accusé la Cour d'étendre systématiquement les compétences de la Communauté à des domaines relevant des compétences nationales. Quelques jours après, c'est le Premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen, qui lui a emboîté le pas en déclarant : « Nous devons nous assurer que la manière dont la coopération européenne se développe est fondée sur les décisions démocratiques et non sur les arrêts de la Cour ». Tous deux ont souhaité que le rôle de la Cour de justice soit évoqué dans le cadre du débat actuel sur l'avenir du traité constitutionnel.

C'est toutefois bien avant ces polémiques sur le « gouvernement des juges » que nous avons eu l'idée de vous inviter à vous exprimer devant notre assemblée. En effet, alors que certains commentateurs estimaient encore récemment que, du fait de l'élargissement, le temps des grands arrêts était révolu, la Cour de justice a rendu, il y a quelques mois, deux décisions très importantes. La première au sujet du droit pénal. Dans un arrêt du 13 septembre 2005, la Cour de justice a considéré, à propos de la protection de l'environnement, que la compétence pour édicter des sanctions pénales n'était pas un monopole du « troisième pilier », mais qu'elle pouvait également relever de la compétence de la Communauté. Dans cet arrêt, les juges communautaires ont, en effet, annulé une décision-cadre relative à la protection de l'environnement par le droit pénal, en estimant que cet acte aurait dû être adopté par la voie d'une directive, prise sur le fondement du pilier communautaire. Si j'en juge par l'interprétation très extensive qu'a faite la Commission européenne de cet arrêt, celui-ci pourrait ouvrir la voie, dans le cadre des traités actuels, à une « communautarisation » du domaine pénal qui irait au delà même de ce qui était prévu par le traité constitutionnel.

Dans un autre arrêt, rendu en juillet de l'année dernière, la Cour de justice a infligé à la France une sanction pécuniaire sans précédent, sous la forme d'une amende forfaitaire de 20 millions d'euros et d'une astreinte semestrielle de près de 58 millions d'euros, pour non respect des règles communautaires en matière de pêche et notamment de la taille minimale des poissons, en dépit d'un premier arrêt en constatation de manquement de la Cour. Il s'agit d'un arrêt de grande portée car, pour la première fois, la Cour de justice juge possible le cumul des deux types de sanctions, alors que le libellé de l'article 228 du traité instituant la Communauté européenne dispose que « si la Cour de justice reconnaît que l'État membre ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte ». Et cette décision est susceptible d'avoir de très lourdes conséquences pour notre pays étant donné que pas moins de 30 procédures sont actuellement ouvertes à l'encontre de la France, en particulier dans le domaine environnemental.

Or, dans les deux cas, certains commentateurs ont relevé que la Cour s'était éloignée de la lettre des traités pour adopter une interprétation qui ne paraît guère conforme à la volonté de ceux qui ont participé à la rédaction des traités. Ce sentiment est d'ailleurs renforcé par le fait que, dans les deux affaires, la quasi-totalité des États membres était intervenue au cours de l'instance pour donner leur interprétation des traités, ce qui n'a pas empêché les juges communautaires de retenir l'interprétation contraire.

Enfin, je serai très désireux de vous entendre au sujet de la prise en compte du principe de subsidiarité dans la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, depuis la reconnaissance de ce principe par le traité de Maastricht, il y a plus de dix ans, la Cour de justice n'a jamais censuré une disposition communautaire pour non respect du principe de subsidiarité. Et cela alors même qu'elle n'a pas hésité à étendre au maximum les compétences de la Communauté, dans de nombreux domaines. Il me semble qu'il y a là un « hiatus » qui explique les mises en causes récurrentes de la jurisprudence de la Cour. D'un côté, celle-ci a tendance à aller au-delà de la lettre des traités, au moyen d'une interprétation volontariste, pour étendre les compétences de la Communauté et renforcer l'intégration communautaire. Mais, dans le même temps, la Cour se montre très réticente à exercer un véritable contrôle du principe de subsidiarité, si bien que l'on peut s'interroger sur le point de savoir si les choses auraient été réellement différentes si le traité de Maastricht n'avait pas reconnu à ce principe une valeur juridiquement contraignante. J'en viens donc à ma question, que je formulerai sous une forme volontairement provocatrice : la Cour de Justice entend-elle exercer un jour un réel contrôle juridictionnel du principe de subsidiarité ?

1. Le fonctionnement de la Cour de justice des Communautés européennes

M. Philippe Léger :

La Cour de justice des Communautés européennes est composée d'un juge par État membre. Ainsi, elle comprend, depuis le 1er mai 2004, vingt-cinq juges, désignés par chaque État membre, pour un mandat de six ans renouvelable. La Cour de justice comprend également huit avocats généraux nommés par les États membres pour un mandat de six ans. Chaque juge ou avocat général est assisté par trois référendaires, qui sont des juristes nationaux (magistrats, avocats, universitaires...) ou des fonctionnaires des Communautés européennes en détachement. Au total, environ 1 650 fonctionnaires et agents temporaires de toutes les nationalités travaillent au sein de la Cour.

La Cour de justice rend environ 600 arrêts par an. Depuis l'origine, c'est-à-dire depuis la création de la Cour de justice par le traité CECA en 1952, la Cour a rendu environ 14 000 arrêts. La Cour de justice des Communautés européennes, conformément à la logique de la subsidiarité, n'exerce que des attributions limitées. En effet, elle s'est vu attribuer les fonctions que les différentes juridictions nationales ne pouvaient exercer.

De manière schématique, on peut distinguer trois types de fonctions. Tout d'abord, la Cour de justice est chargée d'apprécier la légalité des actes communautaires. Ensuite, à l'image d'une cour constitutionnelle, elle a pour mission d'arbitrer les conflits entre les institutions européennes (la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen). Enfin, elle a pour fonction de dire le droit. Tout juge national peut, en effet, saisir la Cour de justice, dans le cadre d'un renvoi préjudiciel, afin de lui demander de préciser un point d'interprétation du droit communautaire. Ainsi, on peut dire que la Cour de justice fait partie intégrante du système juridictionnel français.

La procédure devant la Cour de justice, qui est écrite, est largement inspirée de la procédure française. La Cour de justice est la seule juridiction internationale où le français est la langue la plus couramment utilisée. Je n'emploie pas ici volontairement l'expression de « langue de travail » car, au sein de la Cour, les vingt langues officielles de l'Union européenne sont utilisées. Ainsi, pour chaque affaire, l'arrêt fait l'objet d'une traduction dans les vingt langues officielles. Toutefois, le français occupe une place particulière. Ainsi, les projets d'arrêts sont d'abord rédigés en français et le français est la langue du délibéré. Cette situation s'explique par le fait qu'à l'origine, parmi les six pays fondateurs, trois étaient francophones. Elle a pu se maintenir jusqu'à aujourd'hui, en dépit des élargissements successifs, grâce aux efforts des membres de la Cour pour maîtriser la langue française lorsque cette dernière n'est pas leur langue maternelle. Dans les effectifs de la Cour de justice, les Français sont au nombre de 300, soit 18 % de l'effectif total. Et ce chiffre est en progression, car ils n'étaient que 150 en 1994. La plupart des juges et des avocats généraux auprès de la Cour disposent au moins d'un juriste francophone parmi leurs collaborateurs. À l'image de la Cour, le français a été choisi comme langue du délibéré par le tribunal de la fonction publique européenne, créé récemment.

Chaque juge ou avocat général dispose de sept collaborateurs (trois référendaires, trois secrétaires et un chauffeur). Ceux-ci sont choisis à l'entière discrétion des juges et des avocats généraux.

M. Jean-Jacques Hyest :

J'ai constaté que le rôle des référendaires avait été mis en cause récemment.

M. Philippe Léger :

Si je me réfère aux propos du juge danois, M. Claus Gulmann, qui a critiqué, dans son discours d'adieu à la Cour de justice, le rôle trop important joué par les référendaires, je répondrai que c'est d'abord à chaque juge de définir les responsabilités de ses collaborateurs.

Les référendaires, qui sont souvent de grande qualité, jouent un rôle très utile étant donné le nombre très important d'affaires. Ils sont chargés d'étudier les dossiers et de préparer, sur la base des orientations qui leur sont données par le juge ou l'avocat général, des projets d'arrêt ou de conclusions. L'exercice de cette fonction permet ainsi à des magistrats ou à des avocats d'acquérir en quelques années une formation très poussée en droit communautaire qu'ils peuvent ensuite utiliser avec profit dans leur profession nationale d'origine. Ainsi, la Cour de cassation comprend de nombreux anciens référendaires. Mais il appartient à chaque juge ou avocat général de définir ses relations avec ses collaborateurs.

M. Jean-Pierre Puissochet :

La Cour de justice des Communautés européennes comprend traditionnellement un juge par État membre. Avant le dernier élargissement de l'Union européenne aux dix nouveaux pays, il y avait donc quinze juges. Cet élargissement n'a pas entraîné de bouleversement dans le fonctionnement de la Cour de justice. Cependant, étant donné qu'il est difficile de délibérer à vingt-cinq, il a été décidé de mettre en place un nouveau système, inspiré de celui de la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg. Pour les affaires importantes, la Cour siège en grande chambre composée de treize juges. Cette situation conduit à écarter la moitié des juges, ce qui suscite parfois l'insatisfaction des juges ainsi écartés de la délibération.

2. La Cour de justice outrepasse-t-elle ses compétences ?

M. Jean-Pierre Puissochet :

Vous avez mentionné les critiques adressées à la Cour de justice par le chancelier autrichien, Wolfgang Schüssel, qui ont été relayées par le premier ministre danois, Anders Fogh Rasmussen. Bien entendu, chacun est libre de critiquer la Cour de justice et, pour ma part, j'accepte bien volontiers ces critiques. Je voudrais toutefois faire observer que le chancelier autrichien s'est référé à des décisions très particulières sur le rôle des femmes dans l'armée allemande et sur l'accès des étudiants étrangers aux universités autrichiennes. Or, ces deux exemples sont loin d'être scandaleux.

Dans le premier arrêt auquel il a été fait allusion, relatif au rôle des femmes dans l'armée allemande (11 janvier 2000), la Cour a pris le soin de préciser qu'il « appartient aux États membres, qui ont à arrêter les mesures propres à assurer leur sécurité intérieure et extérieure, de prendre les décisions relatives à l'organisation de leurs forces armées ». Quant au fond, la Cour s'est bornée à constater que le droit allemand édictait une interdiction disproportionnée en autorisant l'accès des femmes aux emplois militaires seulement pour les services de santé et pour la musique militaire, et en excluant donc, d'une manière générale, les femmes des emplois militaires comportant l'utilisation d'armes.

Dans le second arrêt, relatif à l'accès des étudiants étrangers aux universités autrichiennes (7 juillet 2005), la Cour a rappelé que le principe de non-discrimination impose à l'Autriche de s'assurer que les titulaires de diplômes d'enseignement secondaire obtenus dans les autres États membres puissent accéder à l'enseignement universitaire autrichien dans les mêmes conditions que les titulaires de diplômes autrichiens d'enseignement secondaire. La Cour a donc jugé contraire au droit communautaire la législation autrichienne qui imposait aux étudiants ayant obtenu leur diplôme d'études secondaires dans un autre État membre non seulement de produire ce diplôme, mais également de prouver qu'ils remplissaient les conditions d'accès aux études universitaires dans l'État de l'obtention de leur diplôme.

En réalité, de telles critiques récurrentes ne se distinguent pas, à vrai dire, de celles que l'on voit adresser de temps à autre à la Cour de cassation ou au Conseil d'État lorsque l'un ou l'autre rend un arrêt sur un sujet délicat. De plus, relancer ce débat aujourd'hui peut sembler curieux, alors que la Cour, à vrai dire, se comporte désormais surtout en gestionnaire de l'acquis communautaire. Il s'agit surtout d'un faux débat. La Cour de justice a pour rôle d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités constitutifs des Communautés européennes ainsi que des dispositions arrêtées par les institutions communautaires compétentes. Elle s'acquitte de cette tâche dans le respect scrupuleux des prérogatives qui lui ont été confiées par les traités. Les arrêts de la Cour ne manquent pas, à cet égard, de rappeler qu'elle est dotée d'une compétence d'attribution, et qu'il ne lui appartient pas de réécrire les traités. On pourrait, à cet égard, citer l'arrêt Union de Pequenos Agricultores, du 25 juillet 2002, sur le recours des particuliers. La Cour se montre ainsi respectueuse de la souveraineté des États membres, qui sont à ses yeux les seuls « constituants » compétents pour modifier les traités.

Toutefois, il est vrai que les deux décisions auxquelles vous avez fait référence ont suscité des interrogations, y compris parmi les juges eux-mêmes, car il s'agit, sans aucun doute, de décisions marquantes.

3. L'arrêt de la Cour de justice du 13 septembre 2005, Commission c/ Conseil sur les sanctions pénales

M. Jean-Pierre Puissochet :

Je rappellerai d'abord les faits de l'espèce, avant d'examiner la portée de cet arrêt et ses limites. Mais, avant toute chose, je voudrais dire que la Cour de justice a uniquement dit pour droit, dans cet arrêt, que la Communauté européenne est compétente pour obliger les États membres à prévoir des sanctions pénales afin de protéger l'environnement. Elle n'a pas reconnu une compétence à la Communauté pour harmoniser le droit pénal.

Quels étaient les faits de l'espèce ? L'affaire se présentait comme un litige classique de base légale et posait la question de savoir si la décision-cadre attaquée du 27 janvier 2003, relative à la protection de l'environnement par le droit pénal, adoptée par le Conseil sur le fondement du titre VI du traité sur l'Union européenne, ne relevait pas en réalité des compétences que le traité instituant la Communauté européenne confie à la Communauté. L'article 47 du traité sur l'Union européenne prévoit en effet qu'« aucune des dispositions du traité CE ne saurait être affectée par une disposition du traité sur l'Union européenne ». La Cour en a déduit qu'il lui appartient de veiller à ce que les actes dont le Conseil prétend qu'ils relèvent du titre VI du traité sur l'Union européenne n'empiètent pas sur les compétences que les dispositions du traité instituant la Communauté européenne attribuent à la Communauté (CJCE, 12 mai 1998, Commission/Conseil).

Il convient de rappeler, à cet égard, que le choix de la base juridique peut emporter d'importantes conséquences pour la procédure d'adoption d'un texte, le contrôle de sa mise en oeuvre, ainsi que du point de vue de l'équilibre des pouvoirs entre le Conseil et le Parlement européen. Le « premier pilier » se caractérise, généralement, par la méthode communautaire, où la Commission européenne dispose d'un monopole d'initiative et où le Conseil décide à la majorité qualifiée en co-décision avec le Parlement européen, sous le contrôle plein et entier de la Cour de justice. Le « troisième pilier » repose, en revanche, sur le modèle intergouvernemental, où le droit d'initiative est partagé entre la Commission et les États membres, où le Parlement européen est simplement consulté, où le contrôle de la Cour de justice est limité et où le Conseil statue, en règle générale, à l'unanimité. La Cour a jugé, par l'arrêt du 13 septembre 2005, que la décision-cadre attaquée, alors même qu'elle imposait aux États membres de prévoir des sanctions pénales, aurait dû être adoptée non sur le fondement du titre VI du TUE, mais sur celui de l'article 175 du TCE qui attribue à la Communauté compétence pour mener une politique de protection de l'environnement.

Quelle est la portée de cet arrêt ? L'arrêt signifie que la Communauté européenne peut, en matière de protection de l'environnement, obliger les États membres à prévoir des sanctions de nature pénale. Selon la Cour, seule la menace de sanctions pénales permet d'atteindre efficacement l'objectif de protection de l'environnement. C'est parce que la réalisation de cet objectif exige que la sanction revête un caractère pénal que la Communauté peut être considérée comme compétente pour adopter la mesure litigieuse. En d'autres termes, le caractère nécessaire du recours à l'instrument pénal, « mesure indispensable » pour reprendre les termes de l'arrêt, emporte par lui-même la compétence communautaire.

Quelles sont les limites de ce qui a été jugé par la Cour de justice ? En premier lieu, contrairement à ce qui a été dit parfois, et sans trahir le secret du délibéré, mon sentiment est que l'arrêt est strictement cantonné à la protection de l'environnement et se fonde expressément sur la spécificité de cette matière. La solution de la Cour s'explique uniquement par l'importance que les traités accordent à la protection de l'environnement en tant qu'objectif « essentiel, transversal et fondamental » de la Communauté. Chaque mot a ici son importance. Contrairement à ce que semble penser la Commission dans sa communication du 23 novembre 2005, l'arrêt du 13 septembre 2005 ne saurait être considéré comme un précédent permettant de dire que la Cour pourrait transposer dans d'autres matières cette solution spécifique à la protection de l'environnement.

En second lieu, l'arrêt se borne à dire que la Communauté européenne peut exiger des États membres que leur législation prévoie des sanctions de nature pénale en cas d'atteinte à l'environnement. Mais la Communauté européenne ne peut pas elle-même déterminer ces sanctions. Les États membres sont toujours libres du choix des sanctions pénales applicables, sous réserve bien entendu du caractère effectif, proportionné et dissuasif de ces sanctions.

En dernier lieu, l'arrêt ne revient pas sur la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle ne relèvent de la compétence de la Communauté ni la législation pénale, ni les règles de la procédure pénale (CJCE, 11 novembre 1981, Casati ; 16 juin 1998, Lemmens).

Au total, il n'est donc pas exact, selon moi, de dire que la Cour a « communautarisé » la matière pénale.

Cet arrêt a toutefois donné lieu à des interprétations différentes, notamment de la part du député Christian Philip qui, dans un rapport présenté au nom de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale, a fait part de son inquiétude de voir le principe ainsi posé par la Cour étendu à d'autres domaines pour lesquels la Communauté s'est vu reconnaître une compétence. Il est vrai que ces craintes ont été nourries par l'interprétation extensive de cet arrêt, faite par la Commission européenne dans sa communication du 23 novembre 2005, qui tend à lui donner une portée générale. La Commission défend d'ailleurs depuis longtemps et avec constance la même position. Ainsi, au moment de l'adoption de la décision-cadre du 27 janvier 2003, la Commission européenne avait déclaré, dans une déclaration annexée au procès-verbal, qu'elle contestait la base juridique de cet instrument car elle considérait que la Communauté était, de manière générale, compétente pour prévoir des sanctions pénales pour atteindre un objectif sectoriel pour lequel elle dispose d'une compétence.

M. Philippe Léger :

J'ajouterai que le choix entre une décision-cadre, prise sur le fondement du « troisième pilier », et une directive, sur la base du pilier communautaire, n'est pas neutre au regard du contrôle exercé par la Cour. En effet, dans le cadre du « troisième pilier », la Commission européenne ne dispose pas du recours en manquement.

Par ailleurs, la Cour de justice aura prochainement l'occasion de se prononcer à nouveau sur cette question puisqu'elle a été saisie d'un recours de la Commission européenne à l'encontre d'une décision-cadre relative à la lutte contre la pollution par les navires.

4. L'arrêt du 12 juillet 2005, Commission c/ France, dit « poisson sous taille »

M. Jean-Pierre Puissochet :

L'affaire des « poissons sous taille », ou merluchons, est liée à la question de l'exécution des arrêts de la Cour. Le recours en manquement, prévu dès le traité de Rome et organisé par les articles 226 et 227 du traité instituant la Communauté européenne (TCE), permet à un État ou à la Commission européenne, en tant que « gardienne des traités », de demander à la Cour de justice de constater qu'un État membre a manqué à ses obligations. Cette procédure comprend plusieurs étapes, avec une phase précontentieuse au cours de laquelle la Commission s'efforce d'aboutir à une solution à l'amiable avec l'État concerné (lettre de mise en demeure, puis avis motivé et enfin saisine de la Cour). Toutefois, jusqu'au traité de Maastricht, il n'existait pas de moyens de contraindre un État à se conformer à ses obligations à la suite d'un arrêt en manquement (à l'exception du traité CECA). Pendant longtemps, la seule solution était d'ouvrir une nouvelle procédure en manquement fondée sur le non respect du premier arrêt en manquement.

Le traité de Maastricht a apporté une innovation importante en prévoyant la possibilité d'infliger à un État des sanctions pécuniaires lorsque celui-ci ne s'est pas conformé à ses obligations communautaires, en dépit d'un premier arrêt en constatation de manquement de la Cour. En effet, l'article 228 du TCE permet à la Commission européenne de saisir la Cour de justice en sollicitant la condamnation d'un État membre au paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte pour inexécution d'un premier arrêt en manquement. Une telle saisine intervient au terme d'une phase précontentieuse identique à celle de l'article 226 du TCE (mise en demeure, avis motivé). Il convient d'observer que la Cour de justice n'est pas liée par la proposition de la Commission.

Pendant longtemps, ce nouveau dispositif n'a pas été appliqué. Les deux premiers arrêts prononcés par la Cour sur le fondement de l'article 228 du TCE l'ont été dans le domaine environnemental :

- le 4 juillet 2000, la Grèce a été condamnée, pour inexécution d'un arrêt de 1992 relatif à l'élimination des déchets toxiques et dangereux dans le département de La Canée (Crète), au paiement d'une astreinte journalière de 20 000 euros par jour, dont elle s'est acquittée durant neuf mois pour un total de 5,4 millions d'euros ;

- le 25 novembre 2003, l'Espagne a été condamnée, pour inexécution d'un arrêt de 1998, au paiement d'une astreinte annuelle de 624 150 euros pour manquement à la directive de 1976 relative à la qualité des eaux de baignade.

Dans les deux cas, la Cour s'est contentée de prononcer des astreintes, pour des montants modestes, assez proches de ce qui était demandé par la Commission. En effet, dans un premier temps, la Cour avait estimé que la condamnation à une astreinte constituait le moyen le plus efficace pour conduire un État récalcitrant à respecter les obligations du droit communautaire.

Cette approche a toutefois évolué avec l'arrêt du 12 juillet 2005. En effet, pour n'avoir pas, en dépit d'un premier arrêt en constatation de manquement du 11 juin 1991, assuré un contrôle suffisant des activités de pêche, et notamment veillé au respect de la taille minimale des poissons, ni engagé de poursuites dissuasives à raison des infractions constatées, la République française a été condamnée par la Cour de justice au paiement d'une somme forfaitaire de 20 millions d'euros en raison de la persistance du manquement pendant une longue période depuis l'arrêt de 1991 et d'une astreinte de près de 58 millions d'euros pour chaque période nouvelle de six mois au terme de laquelle l'arrêt de 1991 n'aura pas été pleinement exécuté. Au regard des montants financiers très élevés en cause, on comprend l'émoi suscité par cet arrêt. L'astreinte est en effet la plus lourde jamais infligée par la Cour. C'est également la première fois qu'un État membre est condamné au paiement d'une amende forfaitaire. A titre de comparaison, les sanctions pécuniaires prononcées à l'encontre de la Grèce et de l'Espagne étaient beaucoup plus faibles.

Du point de vue juridique, l'originalité de l'arrêt réside dans l'interprétation des sanctions financières prévues à l'article 228 du TCE. La Cour, réunie en grande chambre, a, en effet, adopté une interprétation extensive qui lui permet, pour la première fois, et conformément à ce qui était préconisé par l'avocat général M. Geelhoed, de condamner la République française non seulement au paiement d'une somme forfaitaire, alors même que celle-ci n'avait pas été demandée par la Commission, mais aussi de cumuler cette sanction avec l'application d'une astreinte.

Qu'a dit la Cour dans cet arrêt ? Elle a dit trois choses. Tout d'abord, la Cour de justice a confirmé qu'elle n'était pas liée par la proposition de la Commission. Ensuite, la Cour de justice s'est reconnue un large pouvoir d'appréciation, tant du montant de l'astreinte que de l'amende forfaitaire. Enfin et surtout, la Cour de justice a jugé possible le cumul des deux types des sanctions, notamment lorsque le manquement a perduré pendant une longue période et tend à persister.

Alors que la France et onze autres États s'appuyaient sur le libellé de l'article 228 du TCE (« si la Cour de justice reconnaît que l'État membre ne s'est pas conformé à son arrêt, elle peut lui infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte ») et sur l'emploi de la conjonction « ou » à laquelle ils attribuaient un sens disjonctif, la Cour de justice a considéré que le « ou » peut, d'un point de vue linguistique, revêtir un sens soit alternatif, soit cumulatif et doit être lu dans le contexte dans lequel il est utilisé. Or, au regard de la finalité poursuivie par l'article 228 - assurer l'application effective du droit communautaire - la Cour de justice retient que l'utilisation de cette conjonction doit ici être entendue dans un sens cumulatif.

En effet, astreinte et somme forfaitaire visent le même objectif, à savoir inciter un État membre défaillant à exécuter un arrêt en manquement et, par là, assurer l'application effective du droit communautaire. Mais ces deux sanctions se caractérisent aussi par une aptitude différente à remplir cet objectif. Alors que l'astreinte est plus adaptée pour inciter un État membre à mettre fin dans les plus brefs délais à un manquement persistant, la somme forfaitaire repose davantage sur l'appréciation des conséquences du défaut d'exécution des obligations de l'État membre concerné sur les intérêts publics et privés, notamment en cas de manquement persistant sur une longue période. Cette interprétation des notions de « somme forfaitaire » et « astreinte » amène donc la Cour de justice à juger possible le cumul des deux types de sanctions, notamment lorsque le manquement a perduré une longue période et tend à persister. Cet arrêt a beaucoup surpris. Personnellement, je pense que l'interprétation de la Cour n'est pas dénuée de fondement, mais il est vrai que l'importance des montants a suscité l'étonnement.

Enfin, la Commission européenne s'est empressée de tirer les conséquences de cet arrêt, en adoptant, le 13 septembre 2005, une nouvelle communication relative à la mise en oeuvre de l'article 228 du TCE. Cette communication contient deux innovations importantes :

- la Commission demandera désormais systématiquement à la Cour la condamnation de l'État membre défaillant au paiement, non seulement d'une astreinte, mais aussi d'une somme forfaitaire ;

- la Commission ne se désistera plus en cas de régularisation en cours d'instance, contrairement à la pratique antérieure, et ce afin d'inciter les États à se mettre en conformité le plus rapidement possible.

Que penser de cette communication ? Même s'il peut sembler prématuré de tirer des conclusions définitives sur l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de sanctions financières prononcées à l'encontre des États membres qui ne respectent pas leurs obligations communautaires, on peut néanmoins relever la détermination de la Commission européenne de donner à cette procédure dite de « manquement sur manquement » une efficacité renforcée. En réalité, on peut distinguer deux périodes distinctes dans la politique de la Commission, avec une première période, allant jusqu'en 1975, durant laquelle la Commission européenne ne poursuivait les États membres qu'en cas de violations très graves au droit communautaire, qui au demeurant restaient assez rares, et une seconde période, à partir de la présidence de M. Jenkins en 1977, pendant laquelle la Commission a fait preuve d'une plus grande sévérité à l'égard des États récalcitrants. En tout état de cause, la période actuelle semble se caractériser par une tendance assez forte, au sein de la Commission et peut-être aussi au sein de la Cour, à faire preuve d'une plus grande fermeté à l'égard des États membres qui ne respectent pas leurs engagements. Certes, la poursuite systématique des États membres défaillants peut paraître rude, mais cela permet d'éviter tout risque d'arbitraire et le développement d'un sentiment d'impunité chez certains États membres.

5. La prise en compte du principe de subsidiarité dans la jurisprudence de la Cour de justice

M. Philippe Léger :

Le principe de subsidiarité, qui était implicitement mentionné dans le traité de Rome, expressément visé, sans être nommé, par l'Acte unique européen en matière d'environnement, a été expressément énoncé dans le traité instituant la Communauté européenne depuis le traité de Maastricht. Il s'agit d'un principe qui est lié à la philosophie même de la construction européenne. La Cour de justice des Communautés européennes illustre en elle-même ce principe. En effet, sa compétence d'attribution est très précisément définie et délimitée dans les traités. Et les fonctions juridictionnelles qui lui sont dévolues ne pourraient pas être remplies par les juridictions nationales.

Le principe de subsidiarité signifie qu'une action de la Communauté ne peut être entreprise qu'à deux conditions : d'une part, l'action envisagée ne peut être réalisée de manière suffisante par les États membres (test de nécessité) ; d'autre part, elle peut être mieux réalisée au niveau communautaire (test de la valeur ajoutée de l'action communautaire). Le principe de subsidiarité ne s'applique toutefois que dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de la Communauté.

L'analyse de la jurisprudence de la Cour de justice révèle que les dispositions sur l'application du principe de subsidiarité et le principe lui-même sont justiciables du contrôle de la Cour de justice, par un contrôle a posteriori selon les voies de recours ordinaires. Cela a été notamment confirmé par un arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Royaume-Uni c/Conseil.

Si la justiciabilité de ce principe ne fait pas de doute, on peut néanmoins affirmer que, jusqu'à présent, le contrôle juridictionnel de la subsidiarité est resté superficiel et peu développé. Ceci pour trois raisons principales. Tout d'abord, cela résulte du très faible nombre d'affaires dans lesquelles le principe de subsidiarité a été invoqué comme fondement d'un vice de légalité d'un acte communautaire (23 arrêts sur 12 000). Ensuite, le principe de subsidiarité a toujours été invoqué conjointement à d'autres griefs, par exemple l'erreur de base juridique. Enfin, ceux qui l'invoquent le confondent souvent avec le principe de proportionnalité.

Sur la nature du contrôle exercé par la Cour, il faut distinguer le contrôle formel et le contrôle matériel.

En ce qui concerne le contrôle formel, c'est-à-dire essentiellement le contrôle de la motivation de l'acte au regard du principe de subsidiarité, la Cour de justice a reconnu que l'obligation de motivation exigeait également une motivation relative au respect du principe de subsidiarité, mais que cette motivation ne devait pas forcément figurer de manière expresse, et qu'elle pouvait également être implicite.

Ainsi, dans une affaire l'opposant au Parlement européen et au Conseil, l'Allemagne demandait à la Cour d'annuler la directive concernant les systèmes de garantie des dépôts bancaires, en invoquant plusieurs moyens dont celui de la violation du principe de subsidiarité. Dans mes conclusions du 10 décembre 1996, j'avais indiqué : « Il n'apparaît pas excessif (...) eu égard à l'importance du principe de subsidiarité dans la répartition des compétences entre les États membres et la Communauté, et compte tenu de la nécessité pour la Cour d'exercer son contrôle sur les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont fait application du traité, d'attendre de ces institutions qu'à l'avenir elles motivent de manière systématique leurs décisions au regard du principe de subsidiarité » (point 89).

Dans sa décision du 13 mai 1997, la Cour a énoncé : « (...) Des considérations qui précèdent, il ressort que, en tout état de cause, le Parlement et le Conseil ont précisé les raisons pour lesquelles ils estimaient que leur action était conforme au principe de subsidiarité et, partant, qu'ils se sont conformés à l'obligation de motivation telle qu'inscrite à l'article 190 du traité. Il ne saurait être exigé à cet égard que ce principe soit mentionné expressément » (point 28).

De cet arrêt, on peut donc déduire que l'obligation de motiver exige également une motivation relative au respect du principe de subsidiarité, mais que cette motivation peut être implicite.

Le contrôle juridictionnel, s'agissant d'un vice formel, est aisé à exercer. Il n'en va pas de même du contrôle au fond, du contrôle matériel. En effet, l'examen des deux conditions qu'impose le principe de subsidiarité (nécessité de l'action et valeur ajoutée) nécessite des appréciations complexes et implique des évaluations de nature politique telles qu'un contrôle juridictionnel ne peut qu'être limité à la recherche de l'erreur manifeste d'appréciation. En outre, il faut avoir à l'esprit que le rôle que le principe de subsidiarité peut jouer diminue au fur et à mesure que les conditions d'exercice d'une compétence communautaire sont plus détaillées et précisées dans la clause d'attribution de compétence. En d'autres termes, si la légalité d'un acte est contestée, le débat se portera davantage sur la base juridique que sur le principe de subsidiarité. En effet, si l'acte est annulé pour mauvais choix de la base juridique, le débat sur la subsidiarité n'aura plus lieu d'être. A l'inverse, si l'acte a une base juridique correcte et si les conditions pour l'exercice de la compétence qui en découle sont réunies, l'acte sera généralement conforme au principe de subsidiarité. Il en est ainsi dans les affaires où la Cour, saisie de recours en annulation contre des directives tendant au rapprochement des législations nationales (article 95 du traité instituant la Communauté), rejette le grief de la violation du principe de subsidiarité, en constatant que l'objectif de l'intervention du législateur communautaire étant d'harmoniser les législations nationales afin de supprimer les entraves aux échanges intracommunautaires, une telle action ne peut pas être réalisée par les États membres seuls et ne peut être entreprise que par le législateur communautaire (voir par exemple Commission c/ Allemagne, 22 mai 2003 ou Pays-Bas c/ Parlement et Conseil, directive biotechnologie).

Autrement dit, dans ce genre de cas, relativement fréquent, le contrôle du respect de la subsidiarité se confond, dans une large mesure, avec le contrôle de la base juridique.

En définitive, on peut tirer trois conclusions sur la prise en compte du principe de subsidiarité par la Cour de justice :

- le principe de subsidiarité est justiciable, mais la jurisprudence n'en est qu'à ses débuts et demeure peu développée ;

- la Cour vérifie si le législateur communautaire a motivé, même de façon implicite, ses actes sous l'angle de la subsidiarité ;

- le contrôle matériel de la Cour est très réduit et se confond largement avec le contrôle de la base juridique.

M. Hubert Haenel :

Ne pensez-vous pas que la jurisprudence de la Cour de justice sur la subsidiarité sera amenée à évoluer, notamment sous la pression des parlements nationaux, qui sont très attachés au respect de ce principe ? Le traité constitutionnel prévoyait d'ailleurs de renforcer le contrôle du principe de subsidiarité, grâce au mécanisme d'alerte précoce, mais aussi en prévoyant la possibilité, pour un parlement national ou une chambre de celui-ci, de saisir la Cour de justice, après l'adoption d'un acte, d'un recours pour violation du principe de subsidiarité.

M. Philippe Léger :

La jurisprudence de la Cour de justice ne me paraît pas avoir connu d'évolution particulière en ce domaine ces dernières années.

M. Jean-Pierre Puissochet :

Une jurisprudence n'évolue que sous la pression des requêtes. Or, jusqu'à présent, le nombre d'affaires où le principe de subsidiarité a été invoqué est resté très faible. Les choses seraient très différentes si le nombre de requêtes était plus élevé car, dans ce cas, cela amènerait inévitablement la Cour de justice à modifier ses pratiques.

M. Philippe Léger :

Il faut effectivement que la Cour de justice soit saisie d'une requête sur le fondement du principe de subsidiarité pour se prononcer à ce sujet.

M. Jean-Jacques Hyest :

La Cour de justice ne pourrait-elle pas soulever d'office le moyen tiré du non respect du principe de subsidiarité ?

M. Philippe Léger :

Cela serait théoriquement possible dans le cadre d'un recours préjudiciel.

M. Jean-Pierre Puissochet :

L'absence de consensus entre les juges sur la définition des moyens d'ordre public rend toutefois cette idée difficile à mettre en oeuvre en pratique.

M. Jean Bizet :

Je voudrais vous poser une question au sujet de la proposition de directive sur les services, et plus particulièrement sur le principe du pays d'origine. Comme vous le savez, ce principe a été retiré de la proposition de directive à la suite du vote du Parlement européen. Mais certains se sont inquiétés de voir resurgir ce principe dans la jurisprudence de la Cour de justice en raison du manque de clarté du texte. Pourriez-vous nous donner votre sentiment sur ce point ?

M. Christian Cointat :

Avant toute chose, je voudrais rendre hommage au rôle majeur joué par la Cour de justice dans la construction européenne. À bien des égards, le véritable moteur de l'intégration européenne, ce n'est pas la Commission européenne, ni le Conseil, ni même le Parlement européen, c'est la Cour de justice des Communautés européennes.

Après cette observation liminaire, je voudrais vous poser deux questions :

- ne pensez-vous pas que le contrôle sur la base juridique présente un risque pour la Cour de justice ? En effet, le choix de la base juridique d'un texte résulte souvent d'une décision de pure opportunité politique du législateur communautaire. Dès lors, la Cour de justice est parfois amenée à trancher un conflit politique au travers de la question de la base juridique. Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque à confondre la question de l'existence ou non d'une base juridique avec le respect du principe de subsidiarité ?

- dans un arrêt du 16 juin 2005, dit « Pupino », la Cour de justice a reconnu une sorte d'« effet direct » aux décisions-cadre prises sur le fondement du « troisième pilier », en estimant que le droit national devait être interprété à la lumière d'une décision-cadre. Ainsi, les particuliers pourront désormais invoquer une décision-cadre au cours d'une procédure devant une juridiction nationale. Or, le traité sur l'Union européenne précise expressément que les décisions-cadre ne peuvent entraîner d'effet direct. Comment expliquez vous cette décision ?

M. Philippe Léger :

La question de l'existence ou non d'une base juridique est étroitement liée au respect du principe de subsidiarité.

En ce qui concerne la proposition de directive sur les services et le principe du pays d'origine, ce principe ne doit pas être confondu avec le principe de la confiance mutuelle, qui est un principe fondamental de la construction européenne. En effet, l'application du principe du pays d'origine au secteur particulier des services est susceptible de se heurter à d'autres principes essentiels de la construction européenne. En tout état de cause, il serait prématuré de tirer des conclusions définitives sur ses modalités d'application.

Enfin, dans l'arrêt « Pupino », la Cour de justice n'a pas reconnu, en tant que tel, un effet direct aux décisions-cadre prises sur le fondement du « troisième pilier ». Elle a seulement posé le principe que le juge était tenu d'interpréter le droit national, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte, ainsi que de la finalité d'une décision-cadre, ce qui est différent.


* Cette réunion s'est tenue en commun avec la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.