REUNION DE LA DELEGATION DU MERCREDI 22 NOVEMBRE 2000


Institutions communautaires

Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes.

Institutions communautaires

Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes.

M. Pierre Moscovici :

Je suis heureux de vous retrouver une fois encore - et je me félicite à cet égard de la régularité de nos rencontres -, à quinze jours maintenant du Conseil européen de Nice, qui constituera, sinon la fin de la Présidence française de l`Union européenne, du moins son échéance majeure, celle qui nous permettra de dresser le bilan des travaux que nous avons entrepris depuis le 1er juillet dernier.

Ceci posé, je ne vais pas faire devant vous une projection complète de ce que seront les résultats définitifs de notre présidence. Nous avons encore un peu de temps pour cela, et, d'ailleurs, nous nous reverrons normalement le 13 décembre prochain, juste après le Conseil européen de Nice, pour procéder à cette évaluation finale.

Je crois donc plus utile, aujourd'hui, de vous dire comment j'entrevois les lignes de force de Nice, en mettant, certes, l'accent sur les résultats que nous avons d'ores et déjà engrangés au cours des semaines passées, mais aussi en pointant les sujets sur lesquels il nous faut - si j'ose ainsi m'exprimer - mettre les bouchées doubles, afin de parvenir, à Nice, aux objectifs que les autorités françaises se sont fixés dans le cadre de cette présidence semestrielle de l'Union.

Je commencerai donc, si vous le voulez bien, par les dossiers sur lesquels le Gouvernement a souhaité mettre tout particulièrement l'accent, et que je qualifie de " citoyens ", au sens où ils concernent l'Europe au quotidien, c'est-à-dire les préoccupations les plus concrètes des citoyens européens, et en particulier de nos propres concitoyens.

Je ferai ensuite le point sur les autres dossiers, plus politiques dont il revient à notre présidence d'assumer la gestion, voire, pour certains d'entre eux, la conclusion : l'élargissement de l'Union, bien sûr, qui constitue - nous le savons tous - le grand défi des Européens pour cette décennie, la mise en place d'une défense européenne, qui devrait marquer, sous notre présidence, des progrès très importants, et enfin, bien sûr, la Conférence intergouvernementale (CIG) sur la réforme des institutions, dont nous souhaitons conclure les travaux à Nice.

Notre ordre du jour est chargé. J'entre donc, sans attendre, dans le vif du sujet.

I - Les sujets de l'Europe citoyenne, ou de l'Europe quotidienne.

Vous connaissez l'importance de cette thématique pour le Gouvernement. Lorsque le Premier ministre, le 9 mai dernier, à l'occasion du cinquantième anniversaire de la " déclaration Schuman ", a présenté devant l'Assemblée nationale les priorités de la présidence française, il avait en effet commencé son intervention sur notre choix délibéré de mettre l'accent sur des sujets concrets et particulièrement emblématiques.

Notre idée - vous le savez - était de faire la démonstration que l'Europe constitue aussi un échelon utile pour aller à la rencontre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. Sans entrer dans le détail, permettez-moi d'insister sur quelques sujets auxquels, je le sais, vous-même attachez une grande importance.

La Charte européenne des droits fondamentaux, d'abord. Je ne reviens aujourd'hui ni sur son contenu - qui est très ambitieux -, ni sur l'originalité de la méthode qui a été utilisée pour son élaboration, ni sur la question - que nous savons pourtant très importante - de son futur statut juridique, et pour laquelle les réflexions se poursuivent, comme le montre le tout récent débat au Parlement européen. Je veux toutefois souligner que la proclamation de la Charte par les trois institutions, à Nice, dans le cadre d'une cérémonie que nous souhaitons un peu solennelle, constituera un grand événement, qui consacrera - je le souligne aujourd'hui encore avec force - une remarquable avancée politique pour l'Europe, en fixant enfin le corps de valeurs fondamentales sur lequel elle se construit.

- Ensuite, l'approfondissement du modèle social européen : là encore, nous avons pensé qu'à l'heure où certains de nos concitoyens - et notamment les plus défavorisés d'entre eux - peuvent encore ressentir la mondialisation comme une menace à l'encontre de nos systèmes sociaux, il était important de mettre l'accent sur l'adoption d'un certain nombre de textes destinés à renforcer le modèle social européen auquel nous sommes, tous, très profondément attachés.

C'est dans ce contexte que nous avons fait adopter une stratégie en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale - un sujet pour la première fois abordé au niveau européen - ainsi qu'une directive contre les discriminations enmatière d'emploi. Et c'est dans ce contexte aussi que nous souhaitons que le Conseil européen de Nice puisse adopter un " Agenda social ", véritable programme de travail de l'Union pour les cinq ans à venir. Sur cet ambitieux projet, qui fait encore l'objet de consultations (et, reconnaissons-le, de réticences de la part de certains de nos partenaires), nous devons redoubler d'efforts afin de parvenir à un résultat satisfaisant à Nice. C'est avec la même détermination que nous poursuivons nos efforts sur les propositions de directives sur l'information et la consultation des travailleurs, ainsi que sur le statut de la société européenne.

Dans ce contexte encore, je mentionne les services publics, à la défense desquels nous sommes particulièrement attachés, et sur lesquels nous comptons faire adopter, à Nice, une déclaration politique. Mais il ne faut pas se cacher que c'est un terrain difficile, et que nous devons, là encore, poursuivre nos efforts de persuasion à l'égard de plusieurs de nos partenaires. Je sais que votre délégation aux Affaires européennes a débattu de cette question récemment, nous pourrons donc y revenir plus tard, si vous le souhaitez.

La sécurité des transports maritimes,domaine dans lequel il est évidemment inutile de vous rappeler l'extrême sensibilité de l'opinion publique française. après les naufrages, coup sur coup, de l'Erika et du Ievoli Sun au large de nos côtes.

C'est la raison pour laquelle, à notre initiative, les ministres des Transports ont adopté un premier paquet de mesures, destinées à renforcer les contrôles des navires, à mieux contrôler les sociétés de classification, et à éliminer les navires à simple coque. Nous avons ainsi mis tout en oeuvre pour parvenir, sans retard, à l'adoption de ce premier paquet de mesures substantielles, sur la base des propositions faites par la Commission. Mais nous devons aller plus loin, non seulement en étudiant dans quelle mesure ce premier train de décisions pourrait être mis en oeuvre par anticipation, mais aussi en examinant, d'ici la fin de l'année - et notamment lors du dernier Conseil des ministres des Transports de notre présidence, les 20 et 21 décembre prochains - un second paquet de mesures, que la Commission a présenté plus tardivement.

La sécurité alimentaire : là encore, je n'insiste pas sur ce dossier, dont nous connaissons l'extrême et très légitime sensibilité, sinon pour signaler qu'il a naturellement des implications européennes extrêmement importantes.

C'est pourquoi, par-delà les mesures qui ont été annoncées par le Premier ministre, nous souhaitons que la réflexion puisse progresser rapidement, car il y a des enjeux considérables de santé publique au niveau européen. Dans cet esprit, nous comptons faire aboutir rapidement non seulement une résolution du Conseil européen sur la mise en oeuvre du principe de précaution en Europe, mais aussi, si possible sous notre présidence, parvenir à un consensus sur les grands principes de fonctionnement de la future Autorité alimentaire européenne indépendante, dont la proposition a été faite par la Commission en janvier dernier et ce, en dépit du retard qui a été pris par le Parlement européen dans l'examen du Livre blanc de la Commission.

- Je mentionne, par ailleurs, les initiatives que nous avons prises pour approfondir la mise en oeuvre d'un espace européen de liberté, de sécurité et de justice, avec, en particulier, l'adoption d'un paquet extrêmement important de mesures destinées à lutter contre le blanchiment et la criminalité financière, notamment une directive relative à la lutte contre le blanchiment, mais aussi la mise en place du réseau européen de magistrats, dit Eurojust, et je sais à quel point votre délégation suit avec attention ces dossiers. Je signale enfin que nous avons bien engagé les travaux qui permettront de faire adopter, d'ici la fin de l'année, au Conseil JAI, plusieurs textes destinés à lutter contre l'immigration clandestine, en particulier à travers une aggravation des sanctions, concertée au niveau européen, contre les passeurs.

- J'évoque brièvement, dans un autre domaine " sociétal " important, celui de la culture, de l'audiovisuel, et de l'éducation, l'accord auquel nous sommes parvenus sur l'enveloppe - budgétaire du programme Media Plus (400 millions d'euros), ainsi que l'adoption par le Conseil Education, sous la présidence de Jack Lang, d'un plan d'action sur la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs, qui figuraient parmi les grandes priorités de notre présidence. En revanche, nous continuons de travailler encore sur un projet de déclaration, qui serait annexé aux conclusions du Conseil européen de Nice, et qui soulignerait la spécificité du secteur du sport.

- Je souligne enfin, dans le domaine économique, trois sujets auxquels je sais que vous portez un intérêt particulier : d'abord, l'Eurogroupe, dont nous avons considérablement amélioré le fonctionnement et la visibilité ; ensuite, le plan d'action intitulé " eEurope ", sur la société européenne de l'information, qui avait été adopté par le Conseil européen de Feira, et dont nous avons bien engagé la mise en oeuvre ; et enfin - j'y insiste - la délicate question du paquet fiscal, et en particulier du projet de directive sur la taxation des revenus de l'épargne, question extrêmement importante pour nous, pour l'Union, et sur laquelle nous devons encore travailler lors du prochain Conseil des ministres de l'Economie et des Finances, lundi et mardi prochains, afin de venir à bout - sans doute aussi à Nice, du moins espérons-le ! - des réserves persistantes de quelques-uns de nos partenaires. Voilà donc ce que je souhaitais vous dire sur l'état de nos travaux, sur nos premiers résultats et sur les efforts que nous devons faire encore dans les quinze jours qui viennent.

Je n'insisterai pas sur les aspects relatifs à la politique étrangère, de sécurité et de défense commune. Je sais qu'Alain Richard est venu hier débattre avec vous de la politique européenne de défense. Vous savez donc tout. Je veux juste insister sur le fait que nous sommes en train de donner à l'Union un moyen supplémentaire d'affirmation et de crédibilité au plan des relations internationales, au service, naturellement, de la paix et du respect du droit international.

S'agissant de la politique étrangère, je mentionnerai simplement, en écho à la réunion ministérielle euro-méditerranéenne - que nous avons tenu à maintenir, en dépit des revers dans le processus de paix au Proche-Orient - et en prélude au sommet de Zagreb, qui réunira vendredi prochain, autour de l`Union européenne, les pays des Balkans enfin acquis à la démocratie, l'accord récemment intervenu sur le montant du programme MEDA II (5,35 milliards d'euros sur sept ans) et sur le programme CARDS pour les Balkans (4,65 milliards d'euros sur sept ans).

Je veux dire toutefois ma conviction que, si nous avons pu atteindre l'ensemble de ces résultats et si nous pouvons espérer un bon bilan à Nice, c'est aussi parce que nous avons fait un effort particulier pour améliorer le fonctionnement du Conseil des ministres, dans toutes ses formations. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le Conseil Affaires générales, que je connais un peu mieux que les autres, et vous savez que cette démarche, pragmatique mais indispensable, participe des réformes que nous devons faire pour améliorer le fonctionnement pratique des institutions de l'Union, à côté, bien sûr, de la réforme des institutions qui a été engagée dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, et dont je vais maintenant vous parler.

II - Les grands chantiers politiques de l'Union, en commençant par le contexte politique général dans lequel s'inscrit la réforme des institutions : je veux parler naturellement de la perspective de l'élargissement de l'Union, à laquelle notre Présidence a également souhaité donner une impulsion forte.

1. L'élargissement

La Commission a transmis, le 8 novembre dernier, son " document de stratégie ", ses treize rapports annuels sur les progrès réalisés par les candidats, et - pour la première fois - douze " tableaux de bord " constituant une photographie de la négociation pays par pays.

La Commission propose une stratégie ayant pour objectif d'achever les négociations d'adhésion avec les pays candidats les plus avancés " dans le courant de 2002 ", de sorte que l'Union soit en mesure d'accueillir de nouveaux Etats membres à partir du ler janvier 2003, conformément aux conclusions du Conseil européen d'Helsinki. Ses principales propositions sont les suivantes :

- poursuivre, comme nous le souhaitions, le traitement au cas par cas des demandes de périodes transitoires, dans le cadre des propositions qu'elle fera dans le cadre de chaque chapitre, et pour chaque pays ;

- adopter une " feuille de route " pour la conduite des négociations au cours des trois prochains semestres (jusqu'en juin 2002). Cette feuille de route fixe une liste de chapitres sur lesquels l'Union " aura pour priorité de définir des positions communes, notamment sur les demandes de mesures transitoires, en vue de clore provisoirement les chapitres " recensés.

Les premières réactions des Etats membres ont été exprimées, lundi dernier, dans le cadre du Conseil Affaires générales auquel j'ai participé, à l'occasion d'un important débat d'orientation organisé par la présidence française. Ces réactions sont, dans l'ensemble, positives : large soutien à la " feuille de route " proposée par la Commission, mais nécessité de continuer à appliquer le principe de différenciation, ce qui implique une certaine " flexibilité " dans la mise en oeuvre des programmes semestriels de travail ; volonté partagée, enfin, de poursuivre l'examen des demandes de périodes transitoires " au cas par cas ".

Le débat que nous avons eu, lundi, au Conseil, a donc permis une bonne préparation de Nice. Ainsi, après avoir rencontré les Chefs d'Etat et de Gouvernement des pays candidats, dans le cadre de la Conférence européenne, qui se réunira à Nice dans la matinée du 7 décembre - ce que, pour ma part, je ferai dès demain, à Sochaux, au niveau de mes homologues des Quinze et des treize ministres des Affaires étrangères des pays candidats - le Conseil européen sera vraisemblablement en mesure de faire siennes les conclusions préparées par le Conseil Affaires générales, et qui comporteront une " vue d'ensemble " du processus d'élargissement. Je crois ainsi que nous aurons rempli le mandat que nous nous étions fixés, en donnant une vue à la fois claire et précise de ce processus, et en préparant de cette façon la finalisation des négociations, du moins avec les pays les plus avancés et dans le respect du principe auquel, je le répète encore, nous sommes très attachés, de différenciation entre ces candidats.

En somme, nous aurons bien progressé sur le premier tableau, celui de l'élargissement. Il reste, à présent, à finaliser le second, qui est celui de la réforme préalable des institutions de l`Union, que je vais évoquer à présent pour terminer cette présentation.

2. La Conférence intergouvernementale

Comme je vous l'avais indiqué lors de notre dernière rencontre, le Conseil européen informel de Biarritz des 13 et 14 octobre a marqué une étape essentielle de la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions. Ce Conseil est arrivé à point nommé pour donner une impulsion politique aux travaux. C'était, en effet, la première fois que les Chefs d'Etat et de Gouvernement reparlaient de ces questions, au fond, depuis Amsterdam. Le caractère informel de ce sommet a, en outre, permis des échanges très libres et très francs.

Dès notre retour de Biarritz, j'ai entrepris, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, des visites dans certaines capitales, afin d'écouter les demandes de nos partenaires et de commencer à rassembler les éléments qui nous permettront d'esquisser le compromis final.

J'ai noté tout d'abord que nos partenaires ont été sensibles à notre démarche et à notre souhait de les consulter de façon approfondie, en amont de la traditionnelle tournée des capitales, qu'entame, aujourd'hui même, le Président du Conseil européen.

La volonté de faire des efforts, malgré les contraintes parfois fortes qui pèsent sur certaines délégations, est manifeste, et le dernier conclave ministériel, réuni dimanche dernier, a permis d'avancer, notamment sur la question très sensible de la Commission.

Ainsi, beaucoup de nos partenaires préfèrent la formule d'un commissaire par Etat membre, mais la plupart manifestent désormais aussi une compréhension plus grande de la difficulté que cela peut constituer dans l'Europe élargie.

Une majorité s'est donc montrée prête à travailler sur l'idée d'un plafonnement par étapes de la Commission avec, à terme, un système de rotation parfaitement égalitaire. Surtout, et ce point me paraît très important, la plupart de nos partenaires sont également favorables à l'inscription de dispositions précises dans le traité sur ce point. Nous ne saurions, en effet, nous contenter d'une simple clause de rendez-vous.

Nous poursuivrons donc les travaux, dans les deux semaines à venir, vers la recherche d'un compromis, en nous concentrant en particulier sur deux points : la réorganisation de la Commission ; la rotation, qui doit être vraiment égalitaire, c'est-à-dire que toutes les garanties doivent être données en ce sens.

Sur la pondération des voix au sein du Conseil, autre sujet sensible et étroitement lié au précédent, Biarritz a permis de convaincre nos partenaires, sinon de renoncer à la double majorité, à tout le moins d'accepter de travailler sur quelques hypothèses de repondération arithmétique. Un premier échange a pu avoir lieu au niveau des ministres, dimanche dernier. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que des divergences demeurent. Nous allons donc continuer à travailler.

S'agissant du vote à la majorité qualifiée, un accord sera possible sur un grand nombre d'articles. Toutefois, certaines délégations continuent d'avoir des difficultés sur quelques articles particulièrement importants et sensibles :

- la coordination des régimes de sécurité sociale,

- la fiscalité,

- les domaines de l'asile, des visas et de l'immigration,

- les négociations multilatérales dans le domaine des services.

La Présidence a entamé, avec le concours de certaines délégations, un travail de " découpage fin " des articles posant difficulté, afin de circonscrire les aspects qui devraient rester à l'unanimité, et faire en sorte qu'ils soient, à Nice, le moins nombreux possible. Certaines délégations, comme le Danemark, par exemple, sur la coordination des régimes de sécurité sociale, font des efforts importants et j'espère que d'autres suivront.

Sur les questions relatives à l'asile, aux visas et à l'immigration, l'idée d'une déclaration, confirmant la volonté des Quinze de passer à la majorité qualifiée à l'échéance prévue par le traité d'Amsterdam, en 2004, semble acceptable par un grand nombre de délégations. Cela nous permettra d'éviter en France tout problème d'ordre constitutionnel, puisque nous ne modifierons pas le traité dans ce domaine.

Sur les coopérations renforcées, les travaux sont déjà bien avancés, puisque la tendance enregistrée à Biarritz se confirme et qu'un large accord devrait donc être possible sur de réelles mesures d'assouplissement de cet instrument indispensable, notamment l'abaissement du " quorum " de pays participants. Des interrogations fortes demeurent toutefois sur les modalités de mise en oeuvre de coopérations renforcées en matière de politique étrangère et de sécurité commune et, surtout, en matière de défense. Les ministres en reparleront lors de leur prochain conclave, le 3 décembre prochain, juste avant Nice.

Enfin, la possibilité d'introduire, à l'article 6 du Traité, une référence à la Charte des droits fondamentaux a été évoquée. Malheureusement, nous avons dû constater que six délégations étaient fermement opposées à une telle référence, voire que l'une d'entre elles, dans l'éventualité où une telle référence serait faite, serait dans l'impossibilité de se joindre à la proclamation de la Charte, à Nice.

Un dernier mot sur l'article 7 du traité sur l'Union européenne : je pense qu'un consensus devrait finalement être possible sur la mise en place d'une procédure de surveillance préventive, en cas de risque d'atteintes aux droits de l'homme dans un Etat membre.

Au total, vous le voyez, les choses progressent. Mais je ne vous cacherai pas qu'il reste beaucoup de travail à faire d'ici Nice. Soyez assurés que nous ne baisserons pas la garde ! Tous souhaitent que le niveau d'ambition soit maintenu ; tous aussi ont des difficultés, mais pas sur les mêmes points. Il faut donc que chacun fasse des efforts pour contribuer à la convergence des points de vue.

Alors, quid de l'après Nice, me direz-vous ? Je n'en ai pas parlé, c'est vrai. Cela ne veut pas dire que nous ignorons cette question. Nous savons bien que d'autres questions majeures devront être traitées plus tard, selon des modalités et un calendrier à définir, avec nos partenaires. Mais nous le ferons d'autant mieux que nous aurons toutes les cartes en mains, c'est-à-dire les résultats de Nice.

Pour l'instant, il convient de ne pas relâcher l'attention portée aux quatre questions à l'ordre du jour, car elles sont essentielles, et, nous le voyons bien, très difficiles à résoudre.

J'en ai à présent terminé avec cette présentation, qui ne pouvait naturellement être totalement exhaustive, des lignes de force du Conseil européen de Nice. Comme vous le voyez, le bilan est d'ores et déjà substantiel, mais il reste quelques terrains de progrès d'ici Nice, sur lesquels nous allons à présent faire porter nos efforts. Comme de coutume, laissons place à présent au débat, à la fois sur les sujets que j'ai évoqués, mais aussi sur ceux que j'ai seulement mentionnés, voire négligés, dans le cadre de cette présentation.

M. Xavier de Villepin :

Où en est-on du débat sur une éventuelle nouvelle conférence intergouvernementale en 2004 ? J'avais cru comprendre que la France n'y était guère favorable, mais que l'Allemagne souhaitait un engagement sur ce point pour aider à surmonter les réticences des Lander. Les points de vue se sont-ils rapprochés ?

Un mot sur la coopération euroméditerranéenne : le programme MEDA I a été très critiqué pour la lourdeur de ses procédures et pour ses lenteurs ; a-t-on pris les mesures nécessaires pour que MEDA II soit plus convaincant ? Je constate que l'aide extérieure de la Communauté est souvent jugée incompréhensible et opaque.

Mme Danièle Pourtaud :

L'extension du vote à la majorité qualifiée doit-elle concerner tous les aspects de la politique commerciale de la Communauté, y compris le commerce des services ? Il paraît pour ma part nécessaire de préserver l'unanimité pour tout ce qui concerne la culture et la communication, compte tenu de la spécificité de ces questions.

Par ailleurs, pouvez-vous préciser comment avancent les négociations sur les coopérations renforcées ?

M. Jean Bizet :

Je regrette la lenteur de l'adoption du Livre blanc sur la sécurité alimentaire. Nous avions défendu, au Sénat, l'idée d'une liste positive pour les ingrédients autorisés dans l'alimentation animale. Cette approche me paraît plus que jamais justifiée. Peut-on espérer, compte tenu des événements, une mise en place rapide de l'autorité alimentaire européenne ? Et la France a-t-elle proposé une ville pour abriter le siège de celle-ci ?

Au sujet des biotechnologies, ne faudra-t-il pas revenir sur le moratoire actuel et transposer les dispositions communautaires ? Par quels moyens sera assuré le remplacement des farines carnées dans l'alimentation des animaux ?

Mme Marie-Madeleine Dieulangard :

J'avoue ma déception devant le refus de certains pays d'inscrire à l'article 6 du traité une référence à la Charte. Quelles démarches pourrait-on envisager pour débloquer cette situation ? Doit-on renoncer ou peut-on envisager un travail de conviction d'ici le Conseil européen ?

Vous avez évoqué l'Agenda social. Prévoit-on une évaluation de la mise en oeuvre des orientations qu'il contient, comme on le fait pour la coordination des politiques de l'emploi avec l'évaluation des plans d'action nationaux ?

M. Hubert Haenel :

Je voudrais vous poser trois questions dans trois domaines très différents.

Ma première question porte sur le lien qui devrait exister entre la négociation de la législation européenne et son introduction en droit interne. Je dois vous dire, Monsieur le Ministre, que j'ai été un peu déçu de l'attitude peu constructive du Gouvernement lors du débat que nous avons eu il y a quelques semaines à propos de la transposition, par ordonnances, de directives communautaires. Au-delà du contenu même du projet de loi dont nous étions saisis, j'avais fait remarquer que la plus grande carence de ce texte tenait au fait qu'il ne s'accompagnait d'aucune mesure pour que la situation qu'il fallait assainir ne se reproduise pas. Dès lors, les mêmes causes ayant les mêmes effets, tout permettait de penser que les directives non transposées allaient recommencer à s'amonceler jusqu'à une prochaine loi d'habilitation. En réalité, dans beaucoup de cas, nos négociateurs à Bruxelles ne paraissent pas suffisamment informés des problèmes que posera, en matière de transposition en droit français, telle ou telle disposition d'une directive ou d'un règlement examinée au sein du Conseil. Une circulaire du Premier ministre de 1998 prévoyait l'élaboration d'études d'impact juridique sur les projets européens. Or, elle semble ne pas être appliquée. N'y a-t-il pas là matière à une nouvelle impulsion gouvernementale ?

Ma deuxième question portera sur les travaux de la Conférence intergouvernementale. Elle ne s'adresse pas au Gouvernement en tant que Président en exercice du Conseil, mais en tant que représentant de la France.

Une forte pression s'exerce sur la France, en matière de vote à la majorité qualifiée, à propos de l'article 133 du traité qui définit les relations entre les pays de l'Union et de la Commission européenne dans le domaine du commerce extérieur. Si l'on va dans ce sens, la France pourra-t-elle toujours demain s'opposer à des accords de commerce internationaux susceptibles de menacer sa production culturelle et de porter atteinte à ce que nous appelons aujourd'hui la diversité culturelle ? J'aimerais savoir si la position française est toujours aussi ferme qu'elle l'était au début de la négociation et qu'elle le fut par le passé.

Un autre domaine dans lequel une forte pression s'exerce concerne l'article 67 du traité. Cet article prévoit que, pour les questions relatives à l'asile, à l'immigration et à la libre circulation des personnes, les décisions sont prises à l'unanimité. Il ajoute que, cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le Conseil peut décider, à l'unanimité, que les décisions sont désormais prises à la majorité qualifiée et selon la procédure de codécision, c'est-à-dire à égalité entre le Parlement européen et le Conseil. Cette question a provoqué de grands débats, il y a deux ans, au sein du Parlement et nous avons dû modifier notre Constitution pour rendre cette disposition constitutionnelle. Mais nous avons modifié notre Constitution d'une manière très précise qui rend possible le vote à la majorité qualifiée cinq ans après l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, mais pas plus tôt. Je souhaiterais donc, Monsieur le Ministre, que vous me confirmiez que, si l'on décidait un passage plus rapide à la majorité qualifiée pour des matières touchant à la souveraineté en matière de liberté de circulation, il faudrait à nouveau modifier notre Constitution.

J'ai enfin une troisième et dernière question qui porte cette fois sur l'élargissement. Indépendamment des négociations engagées avec les pays candidats, il est apparu un conflit ponctuel entre un pays candidat et un Etat membre. Je veux parler de l'affrontement entre la République tchèque et l'Autriche à propos de la centrale nucléaire de Temelin. Il s'agit d'une centrale qui, me semble-t-il, offre des garanties de sécurité comparables à celles des réacteurs occidentaux. Pourtant, la sensibilité autrichienne, à cet égard, est extrême. Pensez-vous, Monsieur le Ministre, que cette question puisse provoquer une difficulté sérieuse pour l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne ?

M. Pierre Moscovici :

Il y a effectivement une forte demande allemande pour que soit retenu le principe d'une nouvelle Conférence intergouvernementale autour du thème de la répartition des compétences. Cette demande est liée à la structure fédérale de l'Allemagne et à la nécessité d'obtenir l'accord du Bundesrat pour la révision des traités. Le sujet a été évoqué lors du sommet franco-allemand de Vittel, mais la France n'a pas pris d'engagement. Cette question sera un des éléments de l'ensemble qui sera traité à Nice.

Le fonctionnement du programme MEDA n'est certes pas satisfaisant, en raison de conditionnalités très fortes et de difficultés administratives tant à Bruxelles que dans les pays bénéficiaires. Le taux de consommation des crédits atteint à peine 30 %, et les délais de paiement peuvent atteindre huit ans. La France milite donc pour une meilleure exécution de ce programme. Le sujet a été abordé avec le commissaire européen Chris Patten.

Pour ce qui est de la révision de l'article 133 du traité, qui traite de la politique commerciale de la Communauté, la présidence française doit constater que presque tous les Etats membres sont partisans de décider à la majorité qualifiée dans l'ensemble des domaines ; mais, en tant qu'Etat membre, la France ne peut renoncer à la possibilité de défendre son identité culturelle et sa conception du service public. D'une façon ou d'une autre, il faudra prévoir des exceptions parmi lesquels figureront la culture et l'audiovisuel car il ne saurait être question pour nous de renoncer à notre identité culturelle.

Mme Danièle Pourtaud :

Ce qui m'étonne, c'est que, il y a quelques mois, nous avions eu l'impression d'un certain consensus entre Européens sur l'exception culturelle. Aujourd'hui, nous semblons isolés. Y a-t-il eu une évolution défavorable ?

M. Pierre Moscovici :

En réalité, lors de la préparation de la réunion de Seattle, la France était déjà bien seule ! Et l'on ne peut dire que nous soyions aujourd'hui plus isolés.

J'en viens aux coopérations renforcées. Aujourd'hui, tous les Etats admettent la nécessité d'un assouplissement. Le nombre des Etats nécessaires pour lancer une coopération renforcée pourrait être définitivement fixé à huit, et la clause d'appel au Conseil européen supprimée ; les coopérations renforcées ne pourraient concerner ni le marché intérieur, ni la politique de cohésion ; enfin il serait prévu une clause de dernier ressort qui permettrait de provoquer un débat au sein du Conseil européen. Pour la politique européenne de sécurité et de défense, la France souhaiterait un dispositif spécifique, beaucoup plus souple, mais nous avons encore à convaincre nos partenaires.

En ce qui concerne la sécurité alimentaire, il est regrettable que le Parlement européen ait tardé à examiner le Livre blanc. Nous souhaitons accélérer les travaux. Pour le siège de l'autorité européenne de l'alimentation, nous avons proposé la candidature de Lille. Nous espérons que le Conseil européen de Nice entérinera le principe de la création de cet organisme et la définition de ses grands principes de fonctionnement (comme la transparence de ses avis), même si la Commission a toujours voulu lier les deux volets du Livre blanc, le volet législatif et le volet " création de l'autorité ".

Pour ce qui est des productions végétales appelées à remplacer les farines carnées, nous pensons que les accords en vigueur laissent une marge, notamment dans le cas des pois et du soja.

Au sujet de l'inscription dans le traité d'une référence à la Charte des droits fondamentaux, six pays s'y opposent, dont un très fermement. Mais, au fond, cette simple référence constitue déjà un compromis de portée limitée ; certains Etats montrent d'ailleurs une certaine réticence pour une telle solution car ils l'estiment insuffisante. Pour ma part, je continue de penser qu'il valait mieux une Charte non contraignante mais avec un vrai contenu, qu'une Charte contraignante mais vide. Je suis maintenant certain que le débat sur l'intégration de la Charte dans le traité se poursuivra et je suis sûr que, à terme, nous obtiendrons satisfaction car la place de ce texte est bien en préambule des traités.

Sur l'Agenda social, la France est favorable à un suivi régulier et à une évaluation des résultats : c'est un des points qui restent en débat sur ce texte.

En ce qui concerne la transposition des directives, je reconnais qu'il faudrait améliorer les mécanismes, même si le Gouvernement a déjà proposé un nouvel instrument législatif plus rationnel : les projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation communautaire (qui regroupent des directives relevant du même secteur). S'agissant du recours aux ordonnances, il fallait bien sortir de cette situation intenable où nous occupons le treizième rang pour le taux de transposition !

Nous souhaitons trouver une formule pour que les résultats de la Conférence intergouvernementale dans le domaine des visas, de l'asile et de l'immigration ne rendent pas nécessaire une révision constitutionnelle, d'autant qu'il serait peut-être difficile de réunir la majorité requise au Congrès.

Pour la controverse sur la centrale de Temelin, il se mêle sans doute, au-delà du problème de sûreté nucléaire, des préoccupations de politique plus générale. Quoi qu'il en soit, les questions de sûreté nucléaire doivent être abordées avec le plus grand soin dans l'optique de l'élargissement.