Réunion de la délégation pour l'Union européenne du jeudi 23 octobre 2003



Conférence intergouvernementale - Financement de l'Union

Audition de M. Pierre Sellal, Ambassadeur, Représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

M. Hubert Haenel :

Monsieur l'Ambassadeur, je veux d'abord vous remercier de vous être rendu au Palais du Luxembourg pour cette audition. La délégation souhaite en priorité vous entendre sur les deux sujets que sont, d'une part, la Conférence intergouvernementale (CIG) et, d'autre part, les perspectives financières de l'Union. Si le temps nous le permet, nous aborderons ensuite quelques autres points, tels l'élargissement et les questions relatives à Europol.

M. Pierre Sellal :

J'entends dire que la CIG fait du surplace. En réalité, si les négociations ne sont pas encore engagées, c'est parce que la Convention est arrivée à un bon équilibre, auquel on ne voit pas d'alternative. Cela ne veut pas dire que l'on doit empêcher toute discussion, au contraire il faut, dans cette phase, que chacun s'exprime : mais cette phase d'expression fera ressortir, à mon avis, que la Convention est effectivement parvenue globalement à un point d'équilibre. On peut bien sûr estimer que la Convention n'est pas vraiment parvenue à un consensus complet : c'est ce qu'affirment certains pays, arguant que le véritable consensus a été trouvé à Nice et qu'il n'y a pas eu d'accord unanime pour le modifier. Soit, mais le point d'équilibre pour l'Europe d'aujourd'hui, c'est la Convention qui l'a dégagé. Dans la phase actuelle, l'objectif de la France est avant tout de consolider le résultat obtenu, de résister aux remises en cause.

La présidence stable du Conseil européen est, à nos yeux, un acquis capital, car il ne s'agit pas seulement d'un problème de représentation de l'Union : l'enjeu principal est de combler le manque de stabilité et de leadership dont souffrirait, sans cette réforme, le Conseil européen dans l'Europe élargie, alors qu'il en constitue la clé de voûte institutionnelle. Plusieurs pays sont réticents, parmi lesquels ceux qui n'ont jamais vraiment accepté la création du Conseil européen. Pour la France, je dois dire que le texte de la Convention est au contraire un minimum.

Le ministre des Affaires étrangères de l'Union est un autre apport important. Sa création répond à un double souci d'effectivité et de visibilité. Aujourd'hui, nous parvenons à définir des orientations pour la politique étrangère et de sécurité commune, mais non à mobiliser les moyens pour les mettre en oeuvre, car la définition des orientations relève du Conseil, tandis que la gestion des moyens appartient à la Commission. Le ministre des Affaires étrangères de l'Union, grâce à sa « double casquette », devrait permettre de surmonter cette dichotomie. Par ailleurs, alors que l'Union dispose d'un budget considérable pour la coopération au développement et l'aide humanitaire, alors qu'elle est un acteur essentiel des négociations commerciales multilatérales, ces réalités sont insuffisamment perçues et ces actions ne sont pas sous-tendues par des objectifs politiques clairement affichés. Là également, le ministre des Affaires étrangères de l'Union devait être en situation de réduire ces déficits. Pour la France, il faut que ce ministre joue son rôle au sein de la Commission, mais qu'il soit avant tout dans une relation très étroite avec le Conseil, qu'il présidera. Car, si l'on veut que l'Union ait une politique étrangère, il faut que les États qui en ont une s'y impliquent. C'est pourquoi il est nécessaire de préciser avec soin la définition des tâches et responsabilités du futur ministre.

Pour ce qui est maintenant de la réforme de la Commission, l'objectif principal doit être l'efficacité. Nous déléguons beaucoup de compétences à l'Union. Il faut, c'est notre intérêt, que celle-ci soit capable de les exercer. D'où la proposition française, depuis plusieurs années, d'une Commission « ressourcée » dans son esprit collégial, sa capacité à dégager ce qu'on appelle l'« intérêt général européen ». À l'inverse, beaucoup de pays estiment que la Commission doit avant tout être représentative de la diversité des intérêts nationaux, et sont animés du sentiment que « leur » commissaire est leur « vrai » représentant au sein des institutions.

La solution retenue par la Convention est-elle un bon compromis ? Certains doutent qu'un système où certains commissaires peuvent voter et d'autres non puisse bien fonctionner. De plus, le collège des membres de plein exercice sera composé sur la base d'une rotation strictement égalitaire. Le risque est d'entâcher la représentativité, et partant la légitimité des décisions, d'un tel « collège ». Il faut reconnaître que le résultat de la Convention sur ce point paraît un peu fragile. Mais il demeure un élément d'un équilibre global auquel nous sommes attachés. Si l'on devait répondre au souhait des pays peu peuplés en prévoyant un commissaire par État membre, il faudrait que ces pays acceptent un effort sur d'autres points afin de préserver cet équilibre.

Le système retenu pour le vote à la majorité qualifiée au Conseil est satisfaisant à nos yeux. Il s'agit, là également, d'un élément au sein d'un ensemble. Avec ce système de double majorité - majorité des États et majorité de 60 % de la population de l'Union - la majorité qualifiée sera plus facile à obtenir qu'avec le système de Nice : de ce fait, la position de la Commission se trouvera renforcée. En effet, plus la majorité qualifiée est difficile à réunir, plus le rôle de la Commission se réduit ; quand le Conseil statue à l'unanimité, le rôle de la Commission devient très faible à partir du moment où elle a présenté son initiative. La formule retenue par la Convention est donc à la fois un aspect de l'équilibre entre États et un aspect de l'équilibre institutionnel.

Bien sûr, il y a des critiques. Certaines font valoir que le système serait très favorable à l'Allemagne, défavorable au contraire aux États moyens. L'Espagne se considère particulièrement perdante dans un système où elle ne disposerait plus que d'un seul commissaire, comme n'importe quel pays, et où elle subirait pleinement les effets de sa situation démographique relative par rapport aux autres grands pays. C'est pourquoi certains, M. Fischer notamment, estiment que, si l'on doit avoir un commissaire de plein exercice par État membre, alors il faut rétablir le second commissaire des « grands » États, ce qui rendrait à l'Espagne son statut antérieur.

Une autre piste consiste à réexaminer la répartition des sièges au Parlement européen. La Convention maintient la répartition des sièges définie à Nice. Or celle-ci, et en particulier l'avantage consenti à l'époque à l'Allemagne, seul pays dont la représentation parlementaire n'était pas diminuée pour tenir compte de l'élargissement, était liée au compromis sur les voix au Conseil, et la Convention a précisément supprimé l'égalité du nombre de voix entre les plus grands États membres pour les votes au Conseil. Aussi certains considèrent-ils que la définition d'un nouvel équilibre global et d'un compromis d'ensemble pourrait intégrer la répartition des sièges au sein du Parlement.

M. Aymeri de Montesquiou :

En tout état de cause, l'influence allemande au sein du Parlement européen est déjà très forte, et va s'accroître encore avec l'arrivée des États de la Mitteleuropa, où les investissements allemands jouent un rôle important.

M. Pierre Sellal :

Je ne crois pas que les pays d'Europe centrale soient disposés à une sorte de coalition permanente autour de l'Allemagne. Il y a un clivage important en politique étrangère par exemple entre l'Allemagne et ses voisins orientaux, qui critiquent aussi sa politique économique. On est loin d'un alignement.

M. Aymeri de Montesquiou :

Vous avez dit qu'il n'y avait pas d'alternative au texte élaboré par la Convention. Mais est-ce qu'il n'est pas dangereux de ne pas avoir d'alternative ? Que fera-t-on si un pays dit non ?

Pour le président du Conseil européen, vous avez semblé dissocier les aspects intérieurs et extérieurs de son autorité. Mais peut-on vraiment faire cette dissociation ?

Quant au ministre des Affaires étrangères de l'Union, nous permettrait-il de faire mieux si un problème du même ordre que celui de l'Irak se présentait à nouveau ?

Enfin, l'idée que chaque État membre ait un commissaire ne me paraît pas déraisonnable. Nous avons entendu Jean-Claude Trichet, il y a deux jours : il a souligné combien il était important pour la BCE que chaque pays ait son représentant et son mot à dire. Pourquoi ce raisonnement ne vaudrait-il pas pour la Commission ? Mais, pour qu'une Commission « large » soit un vrai collège, qui cherche à dégager l'intérêt général européen, il serait préférable d'y nommer, comme autrefois, des hauts fonctionnaires, et non des personnalités politiques souhaitant revenir ensuite vers leur pays d'origine avec un bon tableau de chasse !

M. Pierre Fauchon :

Je ne suis pas, non plus, convaincu par le système retenu par la Convention pour la composition de la Commission, dont la légitimité risque de se trouver affaiblie, ce qui ferait l'affaire de ceux qui veulent la cantonner dans un rôle de gestionnaire. Je crains un affaiblissement de la Commission. J'ai le sentiment d'une dérive vers une place accrue des procédures intergouvernementales, avec un monopole d'initiative moins clair pour la Commission. Bien sûr, on comprend que les gouvernements cherchent à garder le contrôle des domaines des deuxième et troisième piliers, qui touchent à des domaines très sensibles. Mais, pour que cette prétention soit justifiée, il faudrait que les procédures intergouvernementales puissent déboucher sur des résultats. Or, sur les questions concrètes où il faudrait avancer rapidement, comme les questions de justice et d'affaires intérieures, on bâtit des façades sans rien derrière. Ce sont les légistes qui ont fait la France ; or, les légistes de l'Europe, c'est à la Commission qu'on les trouve !

M. Pierre Sellal :

Dire qu'il n'y a pas d'alternative au résultat de la Convention, c'est dire tout simplement que le « centre de gravité » des positions actuelles en Europe a été trouvé par la Convention, qu'on ne peut pas beaucoup s'en écarter. Le projet de la Convention va jusqu'où on peut aller aujourd'hui. Et je crois qu'un accord va être trouvé dans les délais prévus. La ratification sera-t-elle facile ? C'est une autre question. Nous ne sommes pas à l'abri d'un référendum négatif. Jusqu'à présent, on a réussi à trouver une issue, dans le cas du Danemark comme dans celui de l'Irlande. Que faire si le cas se présente à nouveau ? C'est une des questions posées à la Conférence intergouvernementale. Il faudrait trouver une formule, mais c'est une question très difficile.

Sur le rôle de la présidence stable du Conseil européen, les oppositions ont été très fortes. On craignait qu'une présidence forte ne nuise à la fois au président de la Commission et au ministre des Affaires étrangères de l'Union. Dans ce contexte, il faut avoir une priorité et répondre au besoin le plus manifeste : or, le coeur des compétences du président stable, c'est la préparation et le suivi des réunions du Conseil européen, plus que la représentation extérieure de l'Union.

Assistons-nous à un affaiblissement de la Commission ? Le jugement doit être nuancé. Le système de décision fonctionne, il est même moins contesté qu'auparavant : on ne fait plus, aujourd'hui, de procès en légitimité à la Commission lorsqu'elle conduit la politique de la concurrence ou la politique commerciale, domaines dans lesquels son autonomie est très grande ; ce n'était pas le cas il y a dix ans. Le monopole d'initiative est-il affaibli ? Ne nous laissons pas tromper par les apparences. Le Conseil européen est très visible, et il constitue la force d'impulsion, ou en tout cas de déblocage, surtout par rapport au Conseil des ministres. Mais ce n'est pas le rôle de la Commission elle-même qui a diminué.

Dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures, on assiste malgré tout à une accélération des travaux depuis trois ans, avec des résultats importants comme le mandat d'arrêt européen ou l'accord sur la garde des enfants. La principale question me paraît être de savoir si le principe de reconnaissance mutuelle, pierre angulaire de l'espace judiciaire européen, résistera à l'élargissement. Il demande une grande confiance réciproque. À l'heure actuelle, nous discutons de l'application des sanctions pécuniaires, par exemple le recouvrement des contraventions quand on a commis un excès de vitesse dans un autre État membre. Ce principe pose des problèmes à l'Allemagne, qui exige des garanties de passage devant un tribunal, des voies de recours, comme si les contraventions étaient imposées arbitrairement dans les autres pays membres. Si, entre la France et l'Allemagne, la confiance est déjà très difficile à obtenir, qu'en sera-t-il à vingt-cinq ?

Les procédures intergouvernementales ont-elles un rôle croissant ? Je ne suis pas sûr que le problème se pose ainsi. En réalité, les méthodes de travail ne peuvent plus être à vingt-cinq ce qu'elles étaient à six. J'ai connu et pratiqué l'Europe des dix : à dix, les gouvernements délibéraient vraiment entre eux ; à vingt-cinq, c'est beaucoup plus difficile, les procédures deviennent très lourdes. Inévitablement, apparaissent des formules pour travailler à quelques-uns, ce qu'on a vu à La Baule pour certains aspects de la coopération policière ou à Téhéran pour une question précise de politique étrangère. Mais dans ces deux exemples, c'est pour mettre en oeuvre une démarche européenne !

M. Pierre Fauchon :

Dans cette optique, ne faudrait-il pas que les coopérations renforcées débouchent sur un nouveau traité entre les pays qui veulent vraiment l'intégration ?

M. Hubert Haenel :

Si le traité constitutionnel n'est pas ratifié et si l'on revient au traité de Nice, est-ce que certains pays ne voudront pas, de toute manière, se lancer dans une Union plus étroite ?

M. Pierre Sellal :

Je crois que les coopérations renforcées ont surtout leur place dans des domaines où l'Europe s'est encore peu affirmée. Dans les domaines liés au marché unique, c'est plus difficile. Regardons ce qui s'est passé pour le protocole social décidé à Maastricht, qui permettait d'avancer dans le domaine social sans les Anglais : ce processus a tourné court, car il apparaissait que le Royaume-Uni tirait un avantage concurrentiel de sa non-participation. C'était même pour lui un argument pour attirer des entreprises ! Il en serait de même si certains États se lançaient ensemble dans une harmonisation fiscale : les non-participants seraient les premiers bénéficiaires. Donc, dans tout ce qui touche au marché intérieur, les coopérations renforcées ne sont guère envisageables.

Par ailleurs, y a-t-il bien un consensus aujourd'hui pour une intégration beaucoup plus forte des politiques budgétaires, des politiques économiques ? Y a-t-il une aspiration forte pour que ces questions se tranchent à l'échelon européen, à la majorité ?

M. Pierre Fauchon :

Je le crois, car il existe une aspiration à ce que l'Europe pèse davantage dans la mondialisation.

M. Aymeri de Montesquiou :

Mais est-ce que cela réclame une harmonisation toujours plus poussée ? Après tout, les États-Unis laissent une grande autonomie fiscale et budgétaire à leurs États.

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M. Hubert Haenel :

Il nous faut aborder maintenant la question des perspectives financières.

M. Pierre Sellal :

Le débat communautaire sur les nouvelles perspectives financières pour l'après 2006 reste, pour quelques mois encore, principalement animé par la Commission. Le calendrier s'établit ainsi :

- la Commission prévoit toujours de présenter en novembre prochain ses orientations pour l'avenir, mais elle pourrait être amenée à retarder la publication de ce document. Certains s'interrogent, en effet, sur l'opportunité d'ouvrir un débat sur ce thème en pleine discussion dans le cadre de la Conférence intergouvernementale. Il y a un risque évident de télescopage qui pourrait conduire à reporter le débat sur les futures perspectives financières après la fin de la CIG ;

- en tout état de cause, la Commission entend présenter formellement ses propositions au printemps 2004, ce qui devrait permettre aux négociations d'aboutir à l'horizon 2005. Étant donné que le mandat de l'actuelle Commission s'achève à l'été 2004, ce ne sera donc pas le même collège qui élaborera les propositions et qui ensuite les négociera.

Avant d'évoquer les enjeux de cette négociation, je voudrais d'abord rappeler brièvement les principales caractéristiques du budget européen actuel.

Aujourd'hui, le budget de l'Union européenne est de l'ordre de 100 milliards d'euros par an, ce qui représente près de 1 % du PIB européen en dépenses réelles. Dans cette enveloppe, près de 45 % des dépenses sont consacrées à l'agriculture et environ 35 % à la politique de cohésion. Il reste donc 20 % pour couvrir les dépenses des autres politiques. Or, il existe une forte demande au niveau européen pour augmenter la part des dépenses consacrées aux nouvelles politiques de l'Union, comme, par exemple, la politique étrangère, qui ne dispose que de 50 millions d'euros, mais aussi les politiques qui concernent la recherche et l'innovation ou encore les actions relevant de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures. Le troisième élément qu'il faut garder à l'esprit, et qui change radicalement la donne par rapport aux exercices précédents, est que, lors du Conseil européen d'octobre dernier, la dépense agricole a été « sanctuarisée » jusqu'en 2013. Il s'agit d'un élément qui donne un certain confort à notre pays dans le cadre des négociations, mais qui présente aussi l'inconvénient de rendre cet exercice beaucoup plus difficile.

La situation peut, en effet, se résumer de la manière suivante : si l'on veut augmenter la part des dépenses consacrées aux autres politiques de l'Union, il faut soit augmenter le budget global, en allant jusqu'au plafond de 1,27 % du PIB, voire même au-delà, soit jouer sur la variable d'ajustement, c'est-à-dire la politique de cohésion. On estime, aujourd'hui, que cette politique représente environ 0,45 % du PIB de l'Union, ce que Michel Barnier qualifie de seuil de crédibilité. Or, si l'on souhaite augmenter, à budget constant, la part des autres politiques de l'Union, ce pourcentage pourrait tomber à 0,40 % ou 0,35 %.

La négociation ne porte pas seulement sur la répartition des dépenses mais concerne également le partage du fardeau. Actuellement, on peut distinguer un groupe de pays qui sont d'importants contributeurs nets, comme les Pays-Bas, l'Allemagne, et même le Royaume-Uni en dépit du système de compensation. Un groupe de pays qui figurent parmi les principaux bénéficiaires nets, tels que la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande. La France se situe pour sa part, avec le Danemark, la Suède et l'Italie, dans une position moyenne de « petits contributeurs nets », puisque notre solde est légèrement déficitaire, de l'ordre de 0,2 % du PIB.

L'enjeu des négociations est donc le suivant. Pour les pays qui contribuent fortement au budget communautaire, ils veulent que leur solde net diminue ou, en tout cas, qu'il n'augmente pas, soit en stabilisant le budget, soit en mettant en place un mécanisme d'écrêtement qui leur garantirait de ne jamais dépasser un certain plafond. Les Pays-Bas, qui connaissent le solde net le plus déficitaire, avec 0,9 % du PIB, insistent tout particulièrement sur ce point. Le Royaume-Uni souhaite également le maintien de ce qu'on appelle communément « le chèque britannique ». À l'inverse, l'Espagne et, dans une moindre mesure, le Portugal, souhaitent maintenir au maximum leurs retours actuels au titre de la politique régionale dans le contexte de l'élargissement, alors que tous les nouveaux pays adhérents attendent beaucoup de cette politique.

Pour la France, il existe donc un risque important d'être considérée comme la variable d'ajustement, le contributeur dont l'effort devrait nécessairement s'accroître pour résoudre ces aspirations contradictoires. Pour certains de nos partenaires, la faiblesse de notre contribution nette est ressentie comme une anomalie, opinion que, bien évidemment, nous ne partageons pas. La pire hypothèse pour notre pays serait donc la mise en place d'un mécanisme de plafonnement généralisé des contributions nettes, avec en particulier le maintien du « chèque britannique », dans un contexte où la politique de cohésion continuerait à bénéficier largement aux États membres. C'est la raison pour laquelle la vigilance s'impose et qu'il est indispensable de définir notre position à l'égard de l'avenir de la politique de cohésion dans le contexte global de l'architecture du financement de l'Union.

Dans l'immédiat, la priorité de la France réside dans la suppression du « chèque britannique », qui, je le rappelle, est financé, depuis le Conseil européen de Berlin, à hauteur de 30 % par la France, et qui surtout a perdu toute pertinence dans une Union élargie où le Royaume-Uni ne souffre plus du tout d'une « moindre prospérité relative », comme c'était le cas en 1984. Il est aussi dans notre intérêt d'éviter la mise en place d'un mécanisme de correction généralisé des soldes, qui paraît en outre éloigné des principes de solidarité financière qui fondent le financement des politiques communes. Il est crucial enfin d'avoir une réflexion globale, tant sur l'avenir de la politique de cohésion que sur le budget de l'Union, puisque les deux éléments sont étroitement liés.

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M. Hubert Haenel :

Nous allons passer à présent aux questions de justice et d'affaires intérieures.

Même s'il y aurait beaucoup de choses à dire à ce sujet, je concentrerai mon propos sur Europol. Tout d'abord, pour vous dire ma satisfaction sur la manière dont vous avez fait part, au Conseil Justice et Affaires intérieures du 2 octobre dernier, des réserves exprimées par la délégation du Sénat au sujet du projet d'accord entre Europol et la Fédération de Russie. Lors de l'examen de ce texte, au cours de notre réunion du 30 septembre dernier, nous avions exprimé trois préoccupations, dont une portait sur l'utilisation exclusive du russe et de l'anglais pour la mise en oeuvre de cet accord. Nous avions réaffirmé notre position lors de l'examen du projet d'accord entre Europol et la Roumanie. Je me réjouis de voir que notre souci de préserver la place de notre langue au sein d'Europol a porté ses fruits, puisque le Conseil des ministres a accepté, à notre demande, relayée de manière efficace par le Gouvernement, de supprimer le paragraphe 6 de l'article 7 du projet d'accord entre Europol et la Roumanie, qui prévoyait que « toutes les communications entre la Roumanie et Europol se font en langue anglaise ».

Je voudrais à présent vous demander quelle sera la position du Gouvernement au sujet du projet de protocole modifiant la Convention Europol proposée par le Danemark. Ce texte doit, en effet, être examiné prochainement par le Coreper en vue d'une adoption par le Conseil JAI de novembre. Or, il me paraît soulever d'importantes difficultés. Lors de l'examen de ce texte en février dernier, notre délégation avait, en effet, adopté des conclusions faisant état de plusieurs préoccupations. En particulier, nous avions été très étonnés de constater que la dernière version de ce projet prévoyait de renforcer le contrôle d'Europol par le Parlement européen, mais qu'elle était muette sur le rôle des Parlements nationaux. Et cela, alors que le texte initial prévoyait la création d'une commission interparlementaire, composée notamment de représentants des parlements nationaux. Or, Europol reste, je le rappelle, un organe intergouvernemental et il est indispensable que les parlements nationaux aient leur mot à dire, comme le reconnaissait d'ailleurs le ministre de l'Intérieur lui-même, lors de son audition au Sénat. Notre délégation avait donc demandé au Gouvernement le rétablissement de cette disposition, qui avait mystérieusement disparu au cours des négociations. Je voudrais donc savoir si le Gouvernement prendra en compte cette préoccupation du Sénat, qui est d'ailleurs partagée par l'Assemblée nationale, comme par la plupart des autres Parlements.

M. Pierre Sellal :

Avant toute chose, je voudrais rendre hommage à la vigilance du Sénat sur la question linguistique. Comme j'ai eu l'occasion de vous le dire alors, j'ai en effet relayé la préoccupation du Sénat devant le Conseil.

En ce qui concerne le projet de protocole modifiant la Convention Europol, qui figure effectivement à l'ordre du jour du prochain Conseil JAI, je considère que votre prise de position est très utile. Je rappellerai que, au départ, l'initiative danoise avait un objectif assez limité, puisqu'il s'agissait d'un simple « toilettage » de la Convention Europol. Cependant, le texte actuel est plus ambitieux, puisqu'il réforme en profondeur le fonctionnement de l'office en élargissant ses compétences ainsi que ses prérogatives.

Votre interrogation sur le contrôle politique d'Europol et le rôle des parlements nationaux apparaît donc fondée. Et vous avez raison de souligner que, dans le texte initial, les parlements nationaux étaient associés au même titre que le Parlement européen au contrôle politique sur cet organisme, alors que la dernière version ne prévoit plus cette association. Si cette disposition a disparu au cours des négociations, c'est parce que le service juridique du Conseil a estimé qu'elle dépassait le cadre du droit secondaire. D'après son avis, il n'existe aucune base juridique dans les traités pouvant permettre d'instituer une commission interparlementaire chargée du contrôle d'Europol dans un instrument de droit dérivé. Je remarquerai, d'ailleurs, que, sur la base des travaux de la Convention, le projet de Constitution européenne prévoit explicitement la possibilité d'associer les parlements nationaux au contrôle d'Europol. On aboutit donc au paradoxe suivant : bien que le projet de Constitution européenne rende possible la création d'une commission interparlementaire, celle-ci ne peut être créée dans l'état actuel des traités, de sorte qu'aujourd'hui seul le Parlement européen apparaît compétent pour contrôler cet organisme de nature intergouvernementale.

Je comprends également vos interrogations sur le fait de procéder aujourd'hui à une révision importante de la Convention Europol, sans attendre les nouvelles potentialités que confèrera la Constitution. On peut, en effet, s'interroger sur l'opportunité de procéder à une telle réforme, compte tenu du fait que ce projet apparaît encore timide, tant sur le renforcement du caractère opérationnel d'Europol que sur le rôle des parlements nationaux. Cependant, on ne peut nier que ce projet apporte déjà quelques améliorations et clarifications bienvenues. Aussi je voudrais souligner que, si ce projet recueillait un large consensus chez nos partenaires, le récuser risquerait de placer notre pays dans une position très difficile. Je pense donc qu'il convient d'apprécier si les améliorations techniques contenues dans ce texte valent la peine de se prononcer aujourd'hui sur une révision de la Convention Europol qui, de toute manière, mettrait un certain temps à aboutir, puisqu'elle nécessiterait de procéder à des ratifications parlementaires nationales.

M. Hubert Haenel :

Je souhaiterais attirer votre attention sur un autre point important qui concerne, cette fois-ci, la mise en oeuvre de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution. Un protocole annexé au traité d'Amsterdam prévoit un délai de six semaines entre le dépôt d'une proposition et son inscription à l'ordre du jour du Conseil. Le respect de ce délai est impératif pour que les parlements nationaux puissent pleinement exercer leur prérogative constitutionnelle et examiner avec toute l'attention requise les projets de textes européens. En effet, si les textes en question font l'objet d'un accord politique avant même que les parlements nationaux aient eu le temps de se prononcer, comment leurs observations pourraient-elles être prises en compte ?

Or, le Parlement français est appelé de manière croissante à se prononcer en urgence sur des textes importants, qui concernent en particulier les questions de justice et de sécurité, sans que ce délai de six semaines soit respecté. Je ne citerai qu'un seul exemple : nous avons été informés hier soir que le Sénat serait saisi prochainement de projets d'accords en matière de coopération judiciaire entre l'Union européenne et l'Islande et la Norvège, accords négociés sur la base des articles 24 et 38 du traité sur l'Union européenne. Or, ces projets doivent faire l'objet d'un accord politique le 6 novembre prochain, en vue d'une adoption le 27 novembre. Et cela, alors que ces textes ne sont pour l'instant disponibles qu'en anglais.

M. Pierre Sellal :

Une intervention française sera effectuée pour retarder l'adoption de ces projets d'accord afin de permettre à l'examen parlementaire de se poursuivre.

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M. Hubert Haenel :

Abordons à présent le processus d'élargissement de l'Union.

M. Pierre Sellal :

Je considère qu'il est important que le Sénat continue de faire preuve d'une grande vigilance sur la manière dont la Commission met en oeuvre le suivi du processus d'élargissement. La Commission doit, en effet, être soutenue dans cet exercice difficile, qui doit continuer à se faire en toute indépendance et en toute impartialité.

Certes, l'élargissement aura bien lieu, mais il importe que les pays candidats ne relâchent pas leurs efforts à la veille de cette échéance. Je pense, en particulier, au renforcement des capacités administratives et judiciaires, notamment dans les domaines qui affectent la sécurité de nos concitoyens, comme la sécurité sanitaire, le contrôle des frontières, la lutte contre la criminalité, etc.

M. Hubert Haenel :

La délégation du Sénat a pris une position claire sur ce sujet. Elle a demandé que le Parlement français ne soit conduit à examiner le projet de loi autorisant la ratification du traité d'élargissement qu'une fois que la Commission européenne aura rendu son rapport. Le rapport de la Commission doit être rendu public le 5 novembre ; or, l'Assemblée nationale doit examiner le projet de loi à la fin du mois de novembre et le Sénat vers le 20 décembre. Ce calendrier répond donc bien à notre préoccupation.

Par ailleurs, notre délégation va auditionner prochainement le Commissaire européen chargé de l'élargissement, Gunther Verheugen, ce qui nous donnera l'occasion d'exercer notre vigilance sur ce sujet.

M. Pierre Sellal :

En ce qui concerne la Bulgarie et la Roumanie, si l'objectif de ces pays de conclure des négociations d'adhésion en 2004 doit être soutenu, cela ne veut pas dire pour autant que ces pays doivent relâcher leurs efforts, c'est même tout le contraire.

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M. Hubert Haenel :

Pour conclure, je voudrais connaître votre sentiment sur les moyens d'améliorer le contrôle parlementaire en matière européenne.

M. Pierre Sellal :

En ce qui concerne les relations entre la Représentation permanente et le Sénat, je me félicite du rôle joué par l'antenne administrative de votre assemblée qui est présente dans nos murs à Bruxelles et avec laquelle nous entretenons des contacts quotidiens.

Sur le rôle exercé par la Haute Assemblée sur la politique européenne, ce qui me paraît le plus important, c'est l'expression d'une sensibilité politique et d'une vision européenne. Les prises de position du Sénat, mais aussi les nombreux contacts des parlementaires, sont de nature à renforcer l'influence de notre pays, à sensibiliser nos partenaires européens à certaines réalités politiques nationales.

Je forme un voeu pour l'avenir. Je voudrais pouvoir m'appuyer dans les négociations européennes sur les prises de position du Parlement français, de la même manière que le Gouvernement américain utilise dans les négociations internationales les positions du Congrès.

C'est d'ailleurs ce qui s'est passé lors du dernier Conseil JAI à propos du projet d'accord entre Europol et la Fédération de Russie et je peux vous dire que les représentants de la Commission et des autres États membres ont été particulièrement attentifs aux préoccupations exprimées par votre assemblée.